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Notre blé est politique Introduction aux semences paysannes et à ses combats face à l’industrie boulangère

mis en ligne le 20 février 2021 - Groupe Blé , Mathieu Brier

SEMENCES PAYSANNES

Une définition

Nous cultivons des blés populations,
non des variétés pures.
Ces blés sont-ils pour autant anciens ?
Parfois oui, parfois non. Parce que la
date de naissance n’est pas notre critère,
nous préférons parler de semences paysannes.

Les notions de variétés anciennes ou de blés anciens prêtent à confusion. Elles insistent sur un aspect patrimonial qui n’est pas au centre de notre démarche. Nous ne cultivons pas les blés de nos grands-parents. Nos champs ne sont pas des musées et nos pains n’ont pas le goût de l’antique. Aux expressions « blés anciens » et « variétés anciennes », nous préférons donc « blés paysans » et « semences paysannes ». Cultiver aujourd’hui des blés populations, comme cela se faisait majoritairement jusqu’au milieu du XXe siècle, ce n’est pas promouvoir une tendance rétro ou un rejet de la modernité en tant que telle. C’est refuser l’impasse dans laquelle nous jette l’agro-industrie. Nombre d’entre nous prennent part à des programmes de sélection participative (cf. Notre pain est politique, p. 44). Les blés qui en seront issus seront modernes, par la force des choses. Ils auront toutefois les qualités que nous recherchons : adaptabilité, diversité génétique, maîtrise paysanne de leur sélection, faibles besoins en intrants chimiques.

Le non-label des semences anciennes

S’il faut insister sur ces précisions sémantiques, c’est que le commerce des aliments est un domaine où le spectacle est particulièrement présent. L’« ancien », le « traditionnel » sont des arguments commerciaux avant tout. En tant que tels, ils ne se réfèrent à rien de précis : il est facile de trouver des tomates anciennes ou du pain tradition issus de processus et d’ingrédients parfaitement industriels. N’importe quel·le paysan·ne, meunier·ère ou boulanger·ère peut donc les utiliser à sa guise. Ces termes désignent la plupart du temps des blés inventés ou découverts avant les années 1950, ce qui n’empêche en rien ces derniers d’être en lignée pure, certifiés par l’État et vendus par des semenciers, tout comme les variétés plus récentes. Leur spécificité réside uniquement dans leur date de création. Cependant, l’expression « variétés anciennes » est aussi utilisée pour désigner des blés populations, sélectionnés et semés chaque année par le ou la paysan·ne. Le mottin, par exemple, est un blé population conservé à l’Inra et cultivé par certain·es paysan·nes qui le font vivre aux champs.

LES SEMENCES PAYSANNES COMME UN COMMUN

Une fois chassé le discours sur l’ancien, reste à dire ce que nous valorisons dans les variétés paysannes. L’aspect agronomique a été mentionné plus haut : ces variétés nous paraissent les mieux à même de permettre une sortie favorable de l’impasse agro-industrielle. Il y a plus. Parce qu’elles sont facilement reproductibles par les paysan·nes qui les emploient, elles peuvent être envisagées comme des communs. Ainsi que le précise la définition du Réseau semences paysannes, ces semences devraient être « librement échangeables dans le respect des droits d’usage définis par les collectifs qui les font vivre ». Cette manière de voir place les utilisateurs·rices au centre de la mise au point des règles d’échange et de diffusion. Elle répond à un double enjeu : ne pas réserver l’usage des semences paysannes à un groupe restreint d’initié·es et, dans le même temps, protéger les droits d’usage de celles et ceux qui les emploient – et donc les font vivre – contre des tentatives d’appropriation ou de dévoiement de la démarche (cf. Notre pain est politique, p. 58).

Ainsi la notion de semences paysannes est-elle en lien avec les élaborations les plus actuelles concernant la propriété d’usage : communs, droits d’usage, gestion collective des ressources. Comme dans le cas des défis agronomiques mentionnés plus haut, les semences paysannes, envisagées dans ce cadre, apportent une réponse à l’appropriation du vivant par l’industrie.

  • Définition établie par le réseau de semences paysannes
    « Les semences paysannes sont des semences issues d’une population ou d’un ensemble de populations dynamiques reproductibles par le cultivateur, sélectionnées et multipliées avec des méthodes non transgressives de la cellule végétale et à la portée du cultivateur final, dans les champs, les jardins, les vergers conduits en agricultures paysanne, biologique ou biodynamique.
    Ces semences sont renouvelées par multiplications successives en pollinisation libre et/ ou sélection massale, sans autofécondation forcée, sur plusieurs générations. Elles sont librement échangeables dans le respect des droits d’usage définis par les collectifs qui les font vivre. »
    Définition adoptée lors d’une assemblée générale du Réseau en 2013 (elle peut, comme les semences en question, évoluer dans le temps, notamment lors d’une future assemblée).

NOTRE PAIN EST POLITIQUE

Le grouple blé partage plus que des semences

Écrire un livre ensemble (Notre pain est politique)
n’est pas la première raison d’être du Groupe blé.
Depuis 2004, celui-ci réunit des paysan·nes,
meuniers·ères, boulangers·ères (une même personne
y est souvent les trois à la fois) pour organiser
la sélection, l’échange et la conservation de
semences paysannes à petite échelle. Et de là...

Dix tables où s’empilent des sacs de blé tendre, de seigle, d’épeautre, d’engrain ou encore d’amidonnier. Certain·es piochent çà et là pour remplir une enveloppe, et recopient le nom de la céréale. D’autres indiquent sur une fiche les semences récupérées, d’où elles viennent et leurs coordonnées. Un paysan cherche des variétés de poulard (une espèce de blé) pour faire des pâtes fermières. Une brasseuse s’intéresse aux orges « anciennes ». Une paysanne et un boulanger discutent d’un mélange de blés et de ses qualités en boulangerie. Nous sommes aux Rencontres régionales des semis, la journée annuelle de notre collectif : le Groupe blé de l’Ardear Aura (Association régionale pour le développement de l’emploi agricole et rural Auvergne-Rhône-Alpes), réuni dans une ferme de Haute-Loire en ce mois de septembre 2018. Dans la matinée, une assemblée de 40 personnes avait parlé de sélection participative, de techniques de culture, ou encore des soucis de certain·es avec les douanes pour des déclarations de moulin et de farine.

Autour d’un café, on revoit les collègues, les visages connus et les ami·es, on se donne des nouvelles de la ferme, on polémique sur cette sombre histoire du groupe Carrefour qui fait de la com’ sur les semences paysannes, ou sur le dernier article à propos des boulangers stars des quartiers chics parisiens [1]. Et à la pause, on étale le désormais traditionnel « repas partagé », banquet gargantuesque où 18 types de pain côtoient des fromages de partout, des bières artisanales et autres gourmandises autoproduites.

UN PEU PLUS QUE DES GRAINES

C’est la particularité du Groupe blé depuis le début : on n’y vient pas seulement pour trouver des graines, mais aussi pour échanger des techniques, réfléchir ensemble au contexte politique et juridique, ne pas rester seul·e face aux difficultés. Et, dans une activité où les soixante heures de travail par semaine sont courantes, pour prendre une respiration et retrouver la motivation.

Aujourd’hui, ce sont plus de 400 céréales différentes (dont une immense majorité de blés) qui vivent sur 30 à 40 fermes du Groupe blé. Dans celui-ci, certain·es ne font « que » des céréales et du pain, seul·es ou à plusieurs... D’autres élèvent des vaches, brebis ou chèvres, et transforment parfois le lait. D’autres encore produisent des légumes, des huiles. « Cotisant·e solidaire », en Gaec ou en association agricole, sur 3 ou 60 hectares, les statuts varient autant. Certains blés sont cultivés en collection (sur une toute petite surface, pour les maintenir vivants), d’autres sont cultivés en mélange sur plusieurs hectares pour faire des farines panifiables et du pain, mais aussi parfois des pâtes.

Petit à petit, nos rencontres autour des semences paysannes se sont parsemées de petites incursions boulangères : telle personne se décide à faire du pain parce que c’est un moyen plus efficace que la vente de farine pour faire rentrer un peu d’argent, telle autre arrive parce qu’elle fait déjà du pain et cherche des blés plus adaptés à sa pratique...

Les pains que nous produisons sont très différents les uns des autres : boulés ou moulés, plus ou moins denses, avec ou sans graines, aux goûts plus ou moins prononcés... Ils ont pour autant de nombreux points communs : élaborés à partir de farine T80, T110 ou plus, sur levain naturel, avec une fermentation lente et un pétrissage doux (si tous ces termes vous semblent obscurs, vous en saurez plus dans les pages du livre Notre pain est politique). Des pains qui ne se contentent pas d’êtres bons, mais sont aussi digestes et nutritifs. De la culture du blé à la cuisson du pain, nous combattons en pratique l’industrialisation de l’agriculture mise en œuvre au XXe siècle pour défendre l’autonomie alimentaire et la biodiversité.

DES CHAMPS STANDARDISÉS POUR UN PAIN SANS QUALITÉS

Car l’immense majorité des champs sont aujourd’hui remplis de quelques variétés de blé en lignée pure issues du catalogue officiel, sélectionnées pour leur force boulangère, c’est-à-dire leur capacité une fois moulues à produire des pains bien aérés, pleins de glutens très tenaces et globalement mauvais pour la santé.

Des variétés de blé « modernes » aux additifs ajoutés dans la farine, en passant par l’usage massif de pesticides dans les champs, toute une chaîne de production à l’échelle industrielle s’est mise en place au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Résultat : les sols sont épuisés et pollués, la farine est privée de ses nutriments essentiels et bientôt plus personne ne pourra digérer correctement le pain blanc qui nous est vendu tous les jours. À bien y regarder, le bilan de cinquante ans de croûte croustillante et de mie aérée n’est pas glorieux. La baguette souvent érigée en symbole de la France est massivement un pain fade, trop salé et dénué de presque tous ses potentiels apports nutritifs.

DE LA LUTTE CONTRE LES OGM À LA REDÉCOUVERTE DE LA BIODIVERSITÉ

Ce n’est pas de la transformation du blé et de ses filières que vient notre histoire, mais bien des semences et des luttes qui les concernent. À la fin des années 1990, la mobilisation contre l’arrivée des organismes génétiquement modifiés (OGM) et plus largement le renouveau de la contestation du néolibéralisme et de son pendant agricole mettent sur le devant de la scène le rôle néfaste des entreprises qui vendent pesticides et semences aux paysan·nes, à commencer par l’entreprise Monsanto. D’initiatives individuelles en prises de conscience d’organisations nationales, la nécessité de s’émanciper de leur tutelle s’impose progressivement dans les esprits. La connaissance des dommages causés par l’industrialisation progresse et la perte de qualité gustative due à la course aux rendements devient de plus en plus évidente. Parallèlement aux faucheurs·ses volontaires [2] et au mouvement anti-OGM dans son ensemble, s’engage alors un processus de remise en culture de plantes sélectionnées en dehors du cadre de l’agro-industrie. Ce sont surtout des espèces fruitières ou potagères qui font l’objet de ces tentatives. Elles sont portées par des associations locales dont les objectifs peuvent être assez variés : stimuler le maraîchage amateur, valoriser des plantes locales, retrouver les saveurs perdues avec la standardisation génétique.

Des initiatives individuelles démarrent aussi autour de la remise en culture de plantes disparues dans le domaine des grandes cultures céréalières (maïs, blé) [3]. Dans ces productions, au contraire du maraîchage ou de l’arboriculture, la pratique amateur n’existe pas : personne ne cultive du blé dans son jardin. Ce sont des paysan·nes qui partiront à la recherche de blés anciennement cultivés sur leur territoire par le biais de recherches bibliographiques ou d’enquêtes auprès d’ancien·nes agriculteurs·rices. Occasionnellement, des grains pourront être récupérés chez des paysan·nes qui les ont conservés au champ (en les replantant chaque année), mais c’est principalement dans les réfrigérateurs du Centre de ressources génétiques (Clermont-Ferrand) de l’Inra que les premières semences seront trouvées. Ces blés ont été demandés au Centre, et lorsqu’ils étaient conservés, de petites quantités de graines ont été données. Plusieurs blés ont ainsi été obtenus pour être semés, observés, multipliés et parfois distribués aux voisin·es ou ami·es partageant l’intérêt pour ces variétés.

NAISSANCE DU RÉSEAU SEMENCES PAYSANNES ET DU GROUPE BLÉ

Les rencontres d’Auzeville, qui rassemblent 300 personnes en 2003, concrétisent cette ambition en donnant naissance au Réseau semences paysannes (RSP). Il rassemble des passionné·es qui cultivent déjà céréales, légumes ou arbres de variétés de pays, des artisan·es semenciers·ères menacé·es par la réglementation, mais aussi des membres de la Confédération paysanne, de la Fédération nationale d’agriculture biologique, de Nature & Progrès, du mouvement d’agriculture biodynamique, ou encore de la Coordination nationale pour la défense des
semences fermières (cf. Notre pain est politique, p. 200).

En Rhône-Alpes, nous sommes quelques paysan·nes disséminé·es à nous rencontrer autour des variétés de pays et de l’autonomie semencière. Christian (cf. Notre pain est politique, p. 74) et ses associé·es, en bio dans une zone de terres pauvres, après avoir essuyé plusieurs échecs avec des variétés commerciales, veulent trouver autre chose. Cécile (cf. Notre pain est politique, p. 76), qui s’installe à plus de 1 000 mètres d’altitude, cherche des blés qui pourraient être cultivés dans ce contexte. Gilles, qui cultive de petites surfaces agricoles à côté de son travail, multiplie les trouvailles de variétés locales dans sa vallée alpine. Raphaël (cf. Notre pain est politique, p. 164), qui travaille avec ses frères dans la ferme familiale, a trouvé grâce à une connaissance une variété « ancienne » chez une retraitée qui l’avait gardée pour nourrir ses poules. Daniel, céréalier qui s’est investi dans la lutte contre les OGM, veut aller plus loin et se passer des semences des firmes industrielles.

Avec la Confédération paysanne de l’Isère et l’Ardear Rhône-Alpes, nous mettons en place des formations sur l’agronomie, le contexte juridique, et des visites s’organisent dans les champs. C’est la naissance du Groupe blé, au cours de l’année 2004.

D’autres groupes locaux naissent à la même époque : le Centre d’études et terre d’accueil des blés (Cetab) dans le Sud-Ouest, Triptolème en Bretagne, ou encore le syndicat de promotion Touselle dans le Midi méditerranéen. Des tournées s’organisent à travers la France, pour que chacun·e découvre les différents blés cultivés par les autres. On part en Syrie pour découvrir un travail de sélection participative sur les céréales en zone aride, mené par despaysan·nes et chercheurs·ses là-bas [4]. En 2005, un poste salarié à mi-temps est créé au sein de l’Ardear Rhône-Alpes spécifiquement pour accompagner le travail du Groupe blé : organisation de journées d’échanges, visites de fermes, formations sur l’agronomie, la boulange, la réglementation, etc.

Nous créons ensuite un comité de pilotage réunissant quelques-un·es d’entre nous. Il a pour rôle de fixer le programme de travail du ou de la salarié·e, et surtout de prendre au fil de l’année les décisions d’orientation du groupe : quelle tournée des blés organiser cette année, que répondre à la sollicitation de telle ou telle association locale... Les informations sur qui cultive quoi sont centralisées, ce qui permet d’orienter les nombreuses personnes qui contactent le Groupe blé à la recherche de telle ou telle variété, en leur indiquant la bonne ferme vers laquelle se tourner. L’appartenance au groupe reste assez informelle : il rassemble celles et ceux qui participent à son fonctionnement. Certain·es sont membres d’une Addear (l’échelon départemental des Ardear), d’autres non, et le Groupe blé ne connaît ni carte de membre ni cotisation. Cette organisation est singulière au sein du Réseau semences paysannes, que l’Ardear a rejoint dès 2005.

L’Ardrear et la Confédération paysanne

Dans les années 1980, les personnes issues des luttes des années 1970 au sein des Paysans-Travailleurs ou de la Fédération nationale des syndicats paysans ont créé la Confédération paysanne (1987) et progressivemen mis en place des associations. Elles avaient deux ambitions : la première et principale était de développer sur le terrain, collectivement, un projet d’agriculture correspondant à ce qu’elles défendent syndicalement ; ce qui va devenir « l’agriculture paysanne ».
La seconde, plus prosaïque, consistait à pouvoir recruter des objecteurs de conscience pour soutenir ce développement.
L’objection de conscience permettait aux jeunes hommes d’échapper au service militaire en se mettant au service d’une association pendant deux ans. Mais le dispositif n’était pas ouvert aux syndicats. D’où la nécessité de disposer d’autres structures pouvant accueillir les objecteurs.
Ce furent les Associations départementales et régionales pour le développement de l’emploi agricole et rural – Addear et Ardear. Celle de Rhône- Alpes a vu le jour en 1984, avant de devenir Auvergne- Rhône-Alpes en 2017 à la suite de la fusion des deux régions.
En 2018, ce réseau de l’agriculture paysanne est présent dans 50 départements et 11 régions, rassemblant des milliers de paysan·nes et offrant un accompagnement à celles et ceux qui souhaitent transmettre leur ferme ou s’installer et ne trouvent pas forcément l’écoute nécessaire dans les institutions officielles. Si elles ont un fonctionnement et un financement autonomes, les Addear et les Ardear n’en sont pas moins liées à la Confédération paysanne, car beaucoup de leurs membres participent aussi au syndicat.

DES VARIÉTÉS ANCIENNES ? NON, DES BLÉS PAYSANS !

Les blés retrouvés dans les frigos vivent désormais au champ : chaque année, les paysan·nes sélectionnent une part des grains et les plantent à nouveau. C’est une nouvelle forme de sélection massale, se rapprochant des pratiques agricoles ancestrales sans toutefois les reproduire à l’identique. D’année en année, les blés ainsi cultivés s’éloignent de la définition d’une variété en lignée pure. Il est impossible de les caractériser selon les critères du catalogue officiel : ce ne sont plus vraiment des variétés au sens strictement botanique du terme. Les blés que nous cultivons n’ont donc de sens que dans les champs, et pas dans un quelconque catalogue officiel et certifié.

Cette histoire est souvent résumée par le retour des blés anciens face aux blés contemporains. Nous ne nous sommes jamais reconnu·es dans ce récit et la dimension patrimoniale qu’il implique. Il ne s’agit pas de conserver une variété histori- quement attachée à un terroir. Pour nous, l’enjeu est en premier lieu l’autonomie semencière des paysan·nes [5]. Il s’agit d’abord de se réapproprier les savoir-faire autour de la production et la sélection de semences, de retrouver du matériel qui permette d’effectuer ces activités, de développer des critères d’évaluation des semences et des plantes. On choisira donc ici de parler de « blés paysans » pour les nommer, face aux « variétés pures » créées et utilisées par l’agro-industrie.

Si la culture des céréales paysannes réactive des savoirs et pratiques anciennes, elle n’est donc pas une tendance rétro ni une dérive folklorique. Au contraire, elle est une prise de position politique dans les pratiques agricoles contemporaines. Le bilan de l’agro-industrie est celui d’une grande dépendance aux engrais et aux pesticides, d’une diminution sans précédent de la biodiversité cultivée et d’une captation du revenu paysan par les fournisseurs et les intermédiaires. Face à ce scénario catastrophique pour la Terre comme pour l’immense majorité de celles et ceux qui y vivent, les semences paysannes permettent d’attaquer sur tous les fronts : maintien de la biodiversité cultivée, diminution des engrais et des produits phytosanitaires nécessaires pour la culture grâce à l’adaptation au terroir de ces populations de blés rustiques, maîtrise technique de la totalité du cycle biologique (semence, production) et éventuellement de la première transformation (au moins la farine), maintien d’un revenu digne par une maîtrise de la production et de son écoulement.

NOMBREUX VISAGES DE L’INDUSTRIE BOULANGÈRE

Cultiver des blés paysans ne permet pas seulement de s’émanciper du modèle agricole conventionnel, mais aussi de poser les bases qui permettent de s’affranchir du pain industriel. L’industrie boulangère telle que nous la critiquons regroupe des produits et des pratiques très différentes. De la baguette blanche vendue 80 centimes dans un « point chaud », fabriquée et surgelée à l’usine, au pain « rustique » relativement bon proposé par un·e artisan·e boulanger·ère de quartier, en passant par le sac de croissants surgelés « à pousser » vendus aux hôtels pour qu’ils les servent tout gonflés et tout chauds à leur clientèle soucieuse de profiter d’une viennoiserie sortie du four. Il y a pourtant beaucoup de points communs entre ces trois exemples. À chaque fois, ce sont des variétés de blés en lignée pure qui ont été utilisées, avec des semences achetées à une grande entreprise et cultivées dans d’immenses champs à grands coups d’intrants chimiques. À chaque fois, ces blés ont été moulus sur d’énormes machines à cylindres, dans une minoterie industrielle, pour produire une farine largement dépourvue de ses potentielles qualités nutritives. À chaque fois, des additifs « améliorants » ont été ajoutés à la farine avant qu’elle ne soit ensachée. À chaque fois, l’autonomie personnelle de l’individu qui s’occupe du produit fini est presque nulle : l’employé·e du « point chaud » sort le pâton surgelé du congélateur pour le mettre au four, la boulangère ou le boulanger utilise un « mixe » spécial « pain rustique » où il suffit d’ajouter de l’eau, du sel et de suivre une recette bien précise donnée par le fournisseur, et la personne qui cuisine à l’hôtel se contente de disposer les croissants sur une plaque, de les faire cuire et de les présenter joliment dans une belle corbeille en osier posée sur le buffet du petit déjeuner.

Ces trois exemples présentent un dernier point commun : une large partie des bénéfices tirés de leur vente remonte le plus souvent vers le même acteur économique. Quelques groupes se disputent en effet le marché de la boulangerie-viennoiserie-pâtisserie (BVP). On peut citer Le Duff (Brioche dorée, Le Fournil de Pierre, Del Arte...), Holder (Paul, Ladurée...), Brioche Pasquier (Pitch), Axéréal (Banette, La Croquise, farine Treblec, Cœur de blé...), Soufflet (Baguépi, Neuhauser, Le petit Français, Pomme de Pain, Parisette...). Pour donner une idée de la rapidité de l’évolution de ce marché, on notera que le groupe Le Duff voit son chiffre d’affaires doubler tous les cinq ans depuis 2005 [6]. Ce dernier est présent dans une centaine de pays répartis sur tous les continents et déclare servir un million de client·es par jour. Le groupe Soufflet, implanté dans « seulement » 18 pays, annonce quand même un chiffre d’affaires annuel de plus de 4 milliards d’euros. On ne saurait oublier le champion Vivescia, qui possède les Grands Moulins de Paris, la farine Francine ou encore la marque de boulangerie Campaillette (cf. Notre pain est politique, p. 28). Premier groupe céréalier français, il maîtrise l’ensemble de la filière, de la semence aux croissants surgelés.

Vivescia incarne à la fois l’agro-industrie et l’industrie boulangère, et si ces deux expressions sont très proches, on a tendance à utiliser la première pour désigner la production agricole en elle-même ainsi que son « amont » (production de semences, de produits phytosanitaires, de machines agricoles...), et la seconde plutôt pour l’« aval » (donc la transformation). La coopérative agricole Vivescia ne maîtrise pas encore la production de semences, dont le champion français Limagrain se dispute le marché avec quelques grands groupes semenciers, mais accroît son emprise de la production de blé tendre à la BVP.

ÉTENDRE NOS PRATIQUES

Il s’agit donc bien pour nous, par la solidarité et le partage de pratiques, de nous étendre et de construire ensemble patiemment de véritables contre-modèles face à l’agro-industrie. La stratégie déployée est grosso modo celle du réseau : non pas l’organisation d’un conflit frontal, mais la mise en place d’organisations matérielles (fermes, machines adaptées à nos pratiques, locaux associatifs...), de liens de confiance et de soutiens disséminés. Ainsi, face à la question majeure de l’accès aux terres agricoles, l’existence de liens tissés dans des collectifs tels que le nôtre permet de favoriser les installations dites « atypiques » dans la profession. Telle personne dont le projet aurait été jugé irréaliste par les organisations agricoles majoritaires aura une chance de trouver confiance et énergie lors des Rencontres des semis, d’y rencontrer des paysan·nes prêt·es à l’accueillir en stage pour se faire la main, d’y puiser des stratégies pour accéder enfin au foncier. Contre la disparition des terres agricoles et l’agrandissement des exploitations existantes, l’existence de ce type de réseaux alternatifs est essentielle à l’installation de nouveaux projets paysans.

Car le Groupe blé est aussi un lieu de retrouvailles pour des professionnel·les aux profils divers : installé·es seul·es, en couple ou en collectif, issu·es d’une famille paysanne ou non, avec l’intention de sortir un revenu salarié ou non. Cette attention à la diversité est précieuse dans un milieu souvent sceptique face aux projets collectifs, par exemple. Soutenir les installations collectives, c’est permettre à certain·es de devenir ou de rester paysan·nes en ayant une vie à côté : engagement syndical à la Confédération paysanne, participation à des luttes sur le territoire ou plus loin, et même temps pris pour écrire un bouquin !

Chaque année, après plusieurs saisons de travail d’observation, de sélection et de multiplication des blés, de nouvelles fermes suppriment de leur planning le coup de fil à la coopérative agricole pour acheter des semences. Et ce sont bien d’autres activités qui s’en trouvent aussi modifiées. On croise un collègue qui a réfléchi au coût de production et à l’accessibilité des produits, ce qui débouche sur la mise en place d’un nouveau circuit de distribution. Une autre s’est penchée sur la diminution des interventions mécanisées dans les champs, et essayera cet automne. Après plusieurs discussions, on lance un chantier d’autoconstruction d’un four ou d’une nouvelle machine pour nettoyer les grains avant de les moudre. Comme on le voit rapidement au détour des Rencontres des semis, ce dont il s’agit, ce n’est pas seulement de changer de blés, mais aussi de contribuer à changer d’agriculture, et au-delà le cadre de pensée de la production alimentaire.

BLÉS POPULATIONS VS VARIÉTÉS PURES

Différences agronomiques et politiques

L’immense majorité des blés cultivés aujourd’hui sont des « variétés pures », alors que les fermes du Groupe blé font vivre des « blés populations ».
Les uns rentrent dans des cases définies par l’État, les autres non.

VARIÉTÉS PURES

La naissance des variétés pures a accompagné les premiers pas de l’industrialisation agricole, et leur développement est allé de pair avec la mise en place d’un catalogue officiel des variétés cultivées. Pour y être inscrite, une variété doit prouver sa valeur agronomique, mais aussi répondre à trois critères : la distinction, l’homogénéité et la stabilité (DHS). Toutes les citations qui suivent sont issues du règlement technique d’examen des céréales à paille (version du 21 janvier 2019, disponible sur info.agriculture.gouv.fr).

Distinction

« Une variété est distincte si, au moment où l’inscription est demandée, elle diffère nettement par un ou plusieurs caractères morphologiques ou physiologiques de toute autre variété connue. »

Une lignée pure garantit que le blé tendre en question ne puisse pas être, finalement, le même qu’un autre. Prenez un blé rouge, non barbu et bas qui pousse en Île-de-France, et un autre, lui aussi rouge, non barbu et bas, mais qui pousse dans le Languedoc. Il n’y a pas de raison de les nommer différemment : leurs caractéristiques sont les mêmes, c’est une seule et même variété.

La distinction est établie au cours de deux cycles d’étude s’appuyant sur des observations recueillies pendant toute la durée de la culture. La nouvelle variété est comparée à la variété ou au groupe de variétés les plus proches.

Homogénéité

« Une variété est déclarée suffisamment homogène si toutes les plantes qui la composent (abstraction faite de rares aberrations) sont, compte tenu des particularités de leur système de reproduction, semblables pour les caractères de description retenus à cet effet. »

Si je plante un certain blé, mais que dans mon champ apparaissent des blés de tailles différentes, c’est que mes graines n’étaient pas toutes de la même variété. Il faut continuer la sélection en replantant seulement les blés identiques, jusqu’à ce que mon sac de graines ne donne naissance qu’à des blés totalement identiques. Cela implique que la reproduction soit totalement contrôlée par l’humain en laboratoire ou sur des parcelles entièrement dédiées à la production de semences.

Comme pour la distinction, l’homogénéité est mesurée à travers deux cycles d’étude, avec une faible tolérance pour des éléments « hors types ».

Stabilité

« Une variété est stable si, à la suite de ses reproductions ou multiplications successives ou à la fin de chaque cycle, au cas où l’obtenteur a défini un cycle particulier de reproduction ou de multiplication, elle reste conforme à la définition de ses caractères essentiels. »
Pour être réellement une variété, le blé doit être capable de se reproduire sur plusieurs générations à l’identique. La stabilité désigne l’homogénéité dans le temps.

BLÉS POPULATIONS

Pendant des milliers d’années, personne ne parlait de blés populations, car tous les blés cultivés étaient des populations. Nés d’une intervention humaine approximative dans la reproduction des plantes, les blés populations s’adaptent aux évolutions du territoire dans lequel ils vivent. Ce n’est qu’après la mise en place du catalogue officiel, lorsque de plus en plus de gens se sont remis à cultiver des blés qui ne rentraient pas dans les cases, qu’il a fallu trouver un nom pour les caractériser. Les blés populations sont donc définis en creux, par des catégories auxquelles ils ne correspondent pas.

Non-distinction

Un blé population est identifié en fonction de ses caractéristiques et souvent du milieu dans lequel il vit. Le même blé semé et ressemé en Île-de-France et dans le Languedoc va évoluer légèrement différemment en fonction du milieu dans lequel il pousse. Au bout de quelques générations, il devient difficile de savoir clairement si celui d’Île-de-France est toujours le même que celui du Languedoc. Pour peu que les Francilien·nes lui donnent un nom et les Languedocien·nes un autre, on pourrait avoir deux blés différents. Mais ils ne le seront pas forcément assez pour répondre au critère de distinction des variétés pures.

Non-homogénéité

En vivant au champ, le blé population se mélange naturellement : une graine apportée là par le vent peut donner naissance à une plante un peu différente des autres, et être ressemée l’année suivante. Dans l’ensemble, le blé conserve ses caractéristiques car la plupart du temps il s’autoféconde. Mais cette règle générale connaît de nombreuses exceptions, suffisantes pour déqualifier le blé, qui n’est donc plus de lignée pure. Le fait de ne pas viser une homogénéité parfaite permet de prélever des grains pour les utiliser comme semences dans le champ même où l’on récolte le blé destiné à devenir de la farine.

Non-stabilité

De génération en génération, le blé replanté évolue avec son territoire. Si le climat change par exemple, les individus les moins adaptés ne parviennent plus à se reproduire et laissent la place à ceux les plus adaptés. La sélection effectuée par le paysan ou la paysanne joue également (appelée sélection massale, cf. Notre pain est politique, p. 23), en écartant si besoin les plantes les moins belles au moment de prélever une partie des grains pour ressemer. Dans ce contexte mouvant, la notion de stabilité n’a plus de sens.

DÉMARRER UNE COLLECTION

Fiche pratique à l’attention des jardiniers-ères et paysan·nes débutant·es

En quoi consiste l’activité première du Groupe blé,
« faire vivre les semences paysannes » ? Petit tour au
champ, du choix des blés à la répartition de la récolte.

QU’EST-CE QU’UNE COLLECTION ?

Une collection est une petite parcelle de blé cultivée non pas pour vendre ou transformer celui-ci, mais uniquement afin de faire vivre certains types de blé. Les populations de blés choisies vivent sur la parcelle, de façon à ce que les semences soient prêtes à être données, échangées ou multipliées (pour semer sur une plus grande parcelle et cette fois vendre ou transformer le blé ainsi produit).

TROUVER ET SÉLECTIONNER LES SEMENCES

Vous pouvez récupérer des semences lors de journées d’échanges (cf. Notre pain est politique, p. 201, les groupes susceptibles d’en organiser dans toute la France), directement chez des paysan·nes, mais aussi dans des centres de ressources génétiques (notamment au centre Inra de Clermont-Ferrand).

Si vous ne savez pas quelle semence tester, référez-vous au climat de votre ferme, à son altitude, et demandez à des personnes familières du même contexte. Vous pouvez aussi vous laisser séduire par un nom, une couleur et d’autres facteurs personnels et sensibles.

QU’EST-CE QU’UNE COLLECTION ?

Ne choisissez pas une parcelle dont le sol est trop riche ou trop pauvre. Éloignez-vous au maximum des arbres et autres perchoirs pour les oiseaux. Au milieu d’un champ de blé, c’est l’idéal, ou a minima en laissant une bordure de blé autour de la collection. Cela évite que les attaques d’oiseaux ou de chevreuils, par exemple, déciment une parcelle qui ne fait que quelques mètres carrés.

Tracez au cordeau des bandes de 5 à 10 mètres de long sur 1 mètre de large. Laissez 1 mètre libre entre les bandes (les blés peuvent « verser », c’est-à- dire se coucher, donc il faut de la place entre chaque bande pour ne pas mélanger les variétés).

TRAITER CONTRE LA CARIE

La carie est un champignon qui infecte notamment les blés tendres. Ses spores sont très volatiles et restent présentes dans le sol pendant des années. La carie se développe rapidement et peut provoquer en deux ans une perte radicale de récolte. C’est au moment de la germination qu’elle peut infecter le blé. Il est donc possible de protéger celui-ci en le traitant au moment du semis, jusqu’à la germination. Ce traitement est indispensable, notamment parce que les semences circulent et qu’une semence contaminée suffit à contaminer en peu de temps de nombreuses récoltes. Il existe une multitude de produits efficaces, avec des procédés et des dosages variés, comme le sulfate de cuivre, le vinaigre blanc ou le Tillecur. L’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques (Itab) diffuse l’ensemble des informations nécessaires (itab.asso.fr).

SEMER

Semer « à la volée », c’est-à-dire à la main, n’est pas toujours évident. Pour avoir la bonne densité, mieux vaut peser ses semences avant (comptez 150 grammes pour 10 m2) et commencer très légèrement (on parle de « semer clair », à l’inverse de « semer dense »). S’il reste des semences après avoir semé sur toute la bande prévue, repasser jusqu’à les avoir toutes utilisées. Pensez bien à conserver un plan de la collection indiquant ce qui a été semé à chaque endroit.

ENTRETENIR A MINIMA

Une collection demande moins d’entretien qu’une culture : le désherbage se fait généralement à la main car les surfaces sont toutes petites et ne nécessitent pas de machines. Pas besoin non plus d’ajouter de l’azote au cours de la saison (grâce à du fumier par exemple) car la collection n’a pas vocation à avoir le meilleur rendement, mais plutôt à faire vivre le blé et montrer comment il donne dans des conditions moyennes.

OBSERVER

Tout au long de l’année, vous pouvez observer les parcelles, comparer les variétés. Voici les quatre périodes principales durant lesquelles examiner les comportements des blés semés à l’automne :
– après le semis, lorsque le blé « lève » ;
– à la sortie de l’hiver, lorsque la végétation reprend c’est là que l’on observe la densité de peuplement (la proportion de graines semées qui ont effectivement germé) et le tallage (la quantité de tiges produites par chaque graine qui a germé) ;
– à l’épiaison ;
– avant la récolte, quand les blés sont mûrs.

Il existe des fiches d’observation produites par différents réseaux : l’Ardear Aura en a créé une en 2014, disponible sur demande.


RÉCOLTER

Pour quelques microparcelles, le plus simple est de récolter à la main (avec une cisaille, en identifiant bien le nom de la variété pour chaque gerbe). Le battage est une étape plus délicate. Différentes techniques sont possibles en fonction de la quantité récoltée :
– quand il n’y a que quelques épis, égrenez à la main (avec des gants) ;
– pour une quantité intermédiaire, enfermez une gerbe dans un sac solide puis écrasez ou frappez celui-ci, ou battez la gerbe avec une batteuse ancienne, assez facile à trouver d’occasion ou à récupérer dans des granges en rénovation. Dans ces deux cas, passez ensuite le tout au vannoir (aussi appelé van ou tarare, notamment) ou au séparateur afin de séparer les déchets des grains à ressemer ;
– enfin, si vous avez beaucoup de surface, privilégiez l’usage d’une batteuse à bottillons (qui nettoie bien le grain mais reste chère à l’achat).

Pour une plus grande collection, l’idéal est d’avoir accès à une moissonneuse-batteuse à essai, avec une barre de coupe de 1 ou 1,25 mètre, qui permet de séparer correctement les variétés.

TRIER ET STOCKER

Pour une collection, un passage au vannoir suffit. Le passage par le trieur Marot, généralement utilisé pour la grande récolte, est compliqué et coûteux en temps, même pour des quantités aussi petites que celles d’une collection.

Ensuite, soyez attentifs·ves au stockage :
– mettez le blé au congélateur quelques jours afin de détruire les éventuels parasites (notamment les charançons) ;
– entreposez-le à température ambiante dans un contenant résistant aux rongeurs (coffre en métal, vieux congélateur éteint, etc.).

Un mélange dynamique

La plupart du temps, la collection va de pair avec la production. On peut choisir de multiplier un ou plusieurs blés pour ensuite les semer à grande échelle, chacun dans un champ différent. Nous préférons le plus souvent faire ce qu’on appelle un mélange : nous choisissons plusieurs blés et nous les semons ensemble au champ. Lors de la récolte, ils sont tous mélangés et donc moulus pour devenir une seule et même farine.

Une farine issue d’un assemblage de différents blés est souvent plus intéressante que celle provenant uniquement du « meilleur » type de blé. Il s’agit de cultiver sur une même parcelle un mélange – souvent seulement de blés tendres, mais parfois avec des poulards ou d’autres – qui peut réunir, suivant les fermes, jusqu’à 80 populations différentes, voire plus. Ce mélange se constitue petit à petit, par exemple en prenant dans la collection les variétés qui sont les plus intéressantes, en multipliant celles-ci pour avoir un stock de graines un peu plus important. Une fois ce mélange semé, le principe n’est pas de doser la quantité de chaque variété d’une année sur l’autre, mais au contraire de garder une partie de la récolte dans son ensemble, puis de la trier et de la ressemer. Parallèlement, on peut ajouter de nouvelles populations. Au fil des ans, les variétés les moins adaptées vont peu à peu disparaître et d’autres vont prendre le dessus. Le mélange s’adapte. Pour garder un maximum de diversité, on peut toutefois réinjecter de petites quantités de semences issues de multiplications (par exemple d’une variété qui a de très bonnes qualités boulangères mais la tendance à disparaître du mélange). Voilà comment maintenir ce mélange dynamique en constante évolution !


LE GROUPE BLÉ

Le Groupe blé rassemble des paysan·nes, des meuniers·ères, des boulangers·ères (une même personne y est souvent les trois à la fois) au sein de l’Association régionale pour le développement de l’emploi agricole et rural Auvergne-Rhône-Alpes (Ardear Aura).

Depuis 2004, le Groupe blé organise la sélection, l’échange et la conservation de semences paysannes à petite échelle. Entre mars 2017 et juillet 2019, un sous-groupe constitué au sein du Groupe blé a travaillé à cet ouvrage, avec l’appui de membres de Z, revue itinérante d’enquête et de critique sociale.

[1Voir par exemple « Christophe Vasseur, boulanger : “Le bonheur devrait s’étudier” », Marie Ottavi, Libération, 14/07/2017, et « Les Parisiens plébiscitent le “pain des amis” de Christophe Vasseur », Philippe Baverel, Le Parisien, 6/10/2016.

[2Le mouvement des faucheurs et des faucheuses volontaires a multiplié les actions directes dans les champs où poussaient des OGM, à visage découvert. Il a dû affronter une sérieuse répression et a joué un rôle primordial dans la mise en échec de la généralisation des OGM dans les champs français.

[3Les témoignages des pionniers·ères de cette démarche sont accessibles dans une publication du Réseau semences paysannes : Voyage autour des blés paysans. Témoignages, 2008.

[4Voir le documentaire d’Honorine Perino, Cultivons la terre. Pour une agriculture durable, innovante et sans OGM, Rés’OGM info, 2008.

[5Comme en témoigne déjà un texte paru en 2008 : Christian Dalmasso et Gilles Pereau, « Pour une réappropriation collective des semences de blés anciens », dans Voyage autour des blés paysans, ouvr. cit., p. 99-105.

[6« Chiffres clés », sur groupeleduff.com (consulté le 5 juillet 2019).


Adaptation en brochure - Août 2020
Fichiers sources & contact :
patatract@@@riseup.net

Texte issu de l’ouvrage "Notre pain est politique" du Groupe Blé, avec Mathieu Brier - Juillet 2019.



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