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Keine G20, keine problem Déclarations de Loïc devant le tribunal de Hambourg

mis en ligne le 6 septembre 2020 - L. , La neige sur Hambourg

CHRONOLOGIE DE L’AFFAIRE

7-8 JUILLET 2017 Sommet du G20 de Hambourg
PRINTEMPS 2018 Mandat d’arrêt européen émis contre Loïc
En juin, il annonce partir en cavale
17 AOÛT 2018 Loïc est arrêté à Nancy et incarcéré
6 OCTOBRE 2018 Extradition vers Hambourg
18 DÉCEMBRE 2018 Début du procès de l’Elbchaussee
18 DÉCEMBRE 2019 Libération après 16 mois de détention
17 JUIN 2020 Première déclaration devant la cour : « Je ne savais pas qu’un procès pouvait durer si longtemps »
9 JUILLET 2020 Seconde et dernière déclaration : « Keine polizei, keine problem »
10 JUILLET 2020 Verdict du procès de l’Elbchaussee

Ces déclarations ont d’abord été publiées sur le blog de soutien "La neige sur Hambourg". Tous les textes et poèmes écrits par Loïc durant cette affaire, avant, pendant et après sa détention sont disponibles à cette adresse ainsi que d’autres analyses. Une version numérique de cette brochure est également disponible à cette adresse : laneigesurhambourg.noblogs.org. Diffusion et reproduction libres.

INTRODUCTION

Le G20 de 2017 a été une humiliation pour le maintien de l’ordre allemand. Pendant des heures, les manifestant·e·s et opposant·e·s à cette rencontre des dirigeant·e·s des pays les plus riches de la planète ont tenu la rue et attaqué les symboles du capitalisme mondialisé ainsi que les flics qui se dressaient entre elleux et leurs cibles. Durant ces jours d’émeute, la police a fait preuve d’une brutalité extrême, attaquant sans distinction les révolté·e·s comme les sit-in non-violents et les marches autorisées.

Afin de trouver des coupables, les autorités ont déployé par la suite des moyens gigantesques : création d’une cellule « spéciale black blocs » de 150 flics, fichage massif, constitution de bases de données illégales, appels à délation repris dans la presse, emploi de la reconnaissance faciale, collaboration internationale, mandats d’arrêt européens, etc.

Au printemps 2018, Loïc, 22 ans, militant français connu (des services de l’État et de ses camarades de lutte) pour son engagement contre les projets imposés et mortifères, à Notre-Dame-des-Landes, à Bure et ailleurs, se retrouve sous le coup d’un de ces mandats d’arrêt. Absent lors de la perquisition au domicile de ses parents, il choisit la cavale et se soustrait à la justice. Il est finalement arrêté après trois mois de cette liberté précaire. Incarcéré en France, à Nancy, il est rapidement livré aux autorités allemandes qui le conduisent à Hambourg.

Son procès s’ouvre quelques semaines plus tard, le 18 décembre 2018. Lui et quatre autres jeunes hommes âgés de 17 à 22 ans au moment des faits, risquent plusieurs années de prison ferme pour leur participation supposée à une manifestation durant laquelle des voitures et des vitrines ont été « dégradées ». Cette déambulation dans le quartier bourgeois d’Altona, sur la rue Elbchaussee, a marqué les esprits localement. En une vingtaine de minutes, ce matin-là, les quelques 220 personnes masquées et vêtues de noir auraient occasionné un million d’euros de dégâts. L’ouverture du procès est très médiatisée. La presse conservatrice et les politiques de tout bord réclament des coupables
Pour le procureur, qu’importe qu’aucun de ces faits ne puisse être imputés directement aux 5 personnes qui se trouvent dans le box des accusés. Il ne s’agit pas selon lui d’une manifestation politique mais d’une action criminelle exécutée par une bande organisée. Il soutient en conséquence que tous sont coupables de l’ensemble des dégâts parce que leur simple présence les a rendus possibles. Il évoque une « coopération délibérée fondée sur la division du travail » et dénonce « l’aide mentale » que les manifestant·e·s « pacifistes » auraient fourni à celles et ceux qui commettaient des dégradations.

Lorsque le procès s’ouvre, Loïc et deux autres accusés sont détenus. Des audiences sont prévues pour les six mois qui suivent. Elles s’étaleront en réalité sur une année et demie. Deux jeunes seront libérés en février 2019, Loïc en décembre de la même année. Il aura passé 16 mois en détention, à mille kilomètre de chez lui, dans un pays dont il ne parlait pas la langue au moment de son incarcération.

Surtout, il n’aura jamais pu s’exprimer publiquement sur cette affaire. Dès la troisième audience, la juge décrète en effet un huis clos et exclut le public et la presse. Elle invoque un soucis « pédagogique » et la nécessité de « protéger » les deux accusés qui étaient mineurs au moment du G20. Son objectif : obtenir des excuses à la barre, des regrets.

En juin 2020, le huis clos est enfin levé pour les déclarations finales du procès. Loïc, pour qui il était impensable de s’exprimer devant la seule cour chargée de le juger, prend enfin la parole. Ce sont ces deux déclarations, faites devant le tribunal (en français, puis traduite en allemand par une interprète officielle) qui sont reproduites ici. À leur lecture, il semble évident que notre ami ne s’adresse pas uniquement aux magistrat·e·s auxquel·le·s il fait face mais à l’ensemble de celles et ceux qui refusent de se résigner face au désastre ou de céder face à la violence d’État.

Comité de soutien transfrontalier,
juillet 2020.

17 juin 2020 « JE NE SAVAIS PAS QU’UN PROCÈS POUVAIT DURER AUSSI LONGTEMPS »

Mesdames et messieurs les jurés,

Enfin, nous arrivons vers la fin de ce procès qui a débuté en décembre 2018. Je ne savais pas qu’un procès pouvait durer aussi longtemps.

J’ai été arrêté quelques jours après l’anniversaire de mes 22 ans, en août 2018, les policiers ont défoncé la porte de la maison de mes parents en criant, ma petite sœur a dû se mettre à genoux les mains sur la tête. En entendant la porte se faire fracasser, j’ai eu dans mon esprit des images de violence policière lors d’interpellations, de comment les policiers se lâchent et frappent les personnes. J’ai pris peur et je suis passé par le toit en finissant dans le jardin des voisins et j’ai rejoint l’autre côté du lotissement. Mais la police avait bouclé l’ensemble du quartier, et une personne qui marche en chaussettes sur la route est très vite suspectée. Un policier en civil se met à courir après moi en me criant : « Viens ici petit merdeux ». Ayant ressenti dans sa voix une certaine animosité, je juge préférable de ne pas répondre à son invitation qui, si c’était moi qui lui avais dit « merdeux », relèverait de l’outrage.

Je me retrouve alors dans le jardin puis le garage d’un voisin, pris au piège. Étant contre le mur, contraint d’attendre que le policier arrive, ce dernier me saute dessus et me tord le poignet droit alors que je me laisse faire. Je lui fais la remarque de sa violence inutile et il me réplique : « Estime toi heureux que je ne t’ai pas tiré dessus ». Vu sous cet angle, je m’estime effectivement heureux d’être encore en vie. Il est vrai que de nombreuses interpellations policières ont comme fâcheuse tendance de se transformer en peine de mort. Mais ce triste sort est d’avantage réservé aux personnes racisées habitants dans les quartiers populaires. En France, il ne passe pas un mois sans décès lors d’interpellation. La porte du garage finit par s’ouvrir, des policiers, gendarmes, bacqueux et civils cagoulés apparaissent, arme automatique à la main. Peut-être trente membres des « forces de l’ordre ».

Le voisin, à qui appartient le garage, sort de sa maison et découvrant la scène me dit spontanément : « Ça va Loïc ? Tu veux un verre d’eau ? ». Cette remarque a fait un blanc dans le sérieux et la lourdeur de l’interpellation, j’ai fait de mon mieux pour étouffer un rire et j’ai refusé le verre d’eau car mes mains étaient attachées. De retour à la maison de mes parents afin de mettre mes chaussures, je n’arrive pas à faire mes lacets et demande aux gendarmes d’enlever mes menottes : « Nan, c’est possible d’y arriver avec », répond l’un. J’ai toujours aimé les défis alors j’essaye, mais vu que mes mains sont attachées dans le dos – et même avec beaucoup de volonté – c’est tout bonnement impossible. Les gendarmes rigolent et se moquent de moi. Ma petite sœur se tient juste à côté avec une sérénité mélangée d’émotions comme je n’en avais jamais vu sur son visage, son regard est puissant. Elle lance spontanément avec force aux gendarmes : « Mais enlevez-lui les menottes pour qu’il mette ses chaussures ! » Sa voix contient une puissance divine, la moquerie s’est transformée en gène. J’ai vu les regards des gendarmes se perdre vers le sol et l’un s’est empressé d’enlever les menottes. Ma petite sœur aurait dit : « Mais enlevez-lui les menottes et laissez-le libre ! », les gendarmes seraient peut-être partis et j’aurais pu faire un câlin à ma petite sœur. Parce que viendront ensuite 1 an et 4 mois d’emprisonnement, 1 an et 4 mois où même au parloir, les gardiens empêchent les câlins.

Lorsque j’arrive à la prison en France, un gardien de 2 mètres de haut me dit : « Si tu brûles ma voiture, je te découpe en deux ». Entre le policier qui est prêt à me tirer dessus et ce gardien qui veut me découper, je crois que je préfère encore me faire tirer dessus que de finir en deux morceaux. Mais ce qui est inquiétant, outre la menace de mort, c’est que ce gardien pense que j’ai brûlé une voiture. Je réalise à ce moment-là combien le procès à venir est une supercherie monstrueuse. En accusant quelqu’un de toutes les violences qui peuvent se passer dans une manifestation, vous générez un flou dans l’esprit simpliste des gardiens et policiers. Par l’accusation disproportionnée, vous suscitez un traitement disproportionné.

Ce gardien enchaîne avec une vitesse douteuse : « Ça ne sert à rien ce que tu as fait, regarde maintenant où tu es, ils sont où tes amis ? Maintenant tu es ici… » Je lui fais remarquer que lui aussi est ici mais il enchaîne : « … Tu es seul, tu as échoué dans ta vie. Tu n’as rien changé et tu ne sers à rien, etc. » Je n’ai même pas l’opportunité d’en placer une, ou d’avoir un échange, il me coupe la parole. Il ne transpire pourtant pas ce qu’il dit, j’ai l’impression qu’il a la mission de me démoraliser. Je me fais ensuite fouiller à nu lors de l’entrée à la prison, puis également lors de ma sortie de prison vers le tribunal pour juger sur la légalité du mandat d’arrêt. Je suis transféré par les Eris. Les Eris sont des mastodontes, cagoulés et armés de mitrailleuses, ils sont huit dans deux 4×4 blindés aux vitres teintées. Arrivé à la cour d’appel de Nancy, dans une pièce d’attente avant l’audience, un Eris, après m’avoir enchaîné mains et pieds, tente de gagner sur le terrain des idées : « Tu sais que tu coûtes cher ? », dit-il. Je lui réponds : « Vous savez qu’il y a 40 millions d’euros qui sont déversés chaque année en Meuse pour faire accepter le projet d’enfouissement des déchets nucléaire à Bure ? » Lui : « Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? ». Moi : « Oh rien, je voulais simplement préciser ce qui coûte cher. » Fin du dialogue.

Pendant l’audience, je m’avance devant la juge avec deux agents Eris cagoulés, l’un à ma droite, et l’autre à ma gauche. La situation est totalement surréaliste, je suis menotté. Ma famille et des amies sont là pour me soutenir. Mon grand frère pasteur me lance alors un petit bout de papier avec quelques mots d’encouragement, je le rattrape malgré les menottes mais je me fais plaquer au sol par un agent Eris. Les juges se retirent immédiatement et mon frère est évacué de la salle. Alors que je suis toujours au sol, je tente de garder de toutes mes forces le papier dans le creux de ma main. L’agent exerce alors une pression sur mon cou et je hurle de douleur en lâchant prise. L’audience reprend. L’acte d’accusation est traduit d’une manière qui laisse sous-entendre que c’est moi personnellement qui ait brûlé dix-neuf voitures et blessé une personne dans un bâtiment.

Dans cette prison française, je me suis retrouvé bloqué au « quartier arrivant » pendant un mois en attente d’être transféré en Allemagne. Ce qui m’a traumatisé, c’est le passage d’un gardien toutes les deux heures, même en pleine nuit, qui vérifie si je suis toujours en vie en faisant glisser le cache de la porte avec beaucoup de bruit avant d’allumer la lumière. Je n’ai jamais pu dormir plus de deux heures d’affilées. J’ai eu l’occasion de rencontrer un ramasseur de ferraille d’origine roumaine. Son crime était de ne pas avoir déclaré combien d’argent il avait gagné en ramassant ce qu’il trouvait sur les trottoirs. Il avait pris quatre mois ferme pour un manque de 400 euros d’impôts à l’État. Il y a des évasions fiscales, des paradis fiscaux, des blanchiments d’argents, des « panama papers », des « luxleaks », des milliards et des milliards d’euros qui disparaissent entre les mains des riches. Mais je n’ai pas vu de riches ou de banquiers en prison, tout le monde n’a pas les moyens de s’échapper dans une malle de contrebasse. Les 500 personnes les plus riches de France ont multiplié par 3 leur fortune depuis la crise financière de 2008, pour atteindre 650 milliards d’euros.

L’égalité, c’est avoir la possibilité de jouir de la même capacité matérielle, or, une femme de ménage ne peut pas habiter une villa de ­l’Elbchaussee. Et la gentrification à Hambourg, qui continue actuellement, ne devrait pas arranger les choses. Les inégalités se creusent. Le jeune italien Fabio, un ancien prisonnier du G20 de Hambourg, avait déclaré au tribunal (en 2017) que les 85 personnes les plus riches du monde possédaient la même richesse que 50% de la population la plus pauvre. La situation s’est aggravée depuis. Un appel des gilets jaunes précisait en janvier 2019 qu’il s’agit désormais de 26 milliardaires qui possèdent autant que la moitié de l’humanité. L’éducation qu’offre l’institution judiciaire sur ce point est qu’il est immoral de ne pas payer ses impôts lorsque l’on est pauvre mais que c’est chose acceptable lorsque la classe aisée se le permet. C’est ce que l’on appelle une justice de classe. Et je n’ai rien appris dans vos institutions qui embellisse l’âme humaine, tout la déprave.

Voici une citation de Michel Foucault, dans Surveiller et punir :

« L’illégalisme des biens a été séparé de celui des droits. Partage qui recouvre une opposition de classes, puisque, d’un côté, l’illégalisme qui sera le plus accessible aux classes populaires sera celui des biens — transfert violent des propriétés ; que d’un autre la bourgeoisie se réservera, elle, l’illégalisme des droits : la possibilité de tourner ses propres règlements et ses propres lois ; de faire assurer tout un immense secteur de la circulation économique par un jeu qui se déploie dans les marges de la législation — marges prévues par ses silences, ou libérées par une tolérance de fait. Et cette grande redistribution des illégalismes se traduira même par une spécialisation des circuits judiciaires : pour les illégalismes de biens — pour le vol —, les tribunaux ordinaires et châtiments ; pour les illégalismes de droits — fraudes, évasions fiscales, opérations commerciales irrégulières —, des juridictions spéciales avec transactions, accommodements, amendes atténuées, etc. La bourgeoisie s’est réservée le domaine fécond de l’illégalisme des droits. »

Lorsque j’ai été transféré à Hambourg dans une voiture de police allemande, le conducteur a mis quelques musiques puis a monté le son lorsque c’était L’Internationale, les agents de la « Soko SchwarzBlock » voulait certainement voir ma réaction. Je n’ai pu m’empêcher de leur dire que je préfère La Makhnovtchina. J’ai trouvé intéressant de pouvoir parler de permaculture avec une policière même si, entre deux légumes, elle tentait de me poser des questions pour savoir si j’étais allé au G20 et ce que j’avais pu y faire. Je crois que j’ai finalement réussi à éveiller en elle un intérêt plus grand pour les légumes. Arrivé à Hambourg, j’ai été transféré par un autre camion et d’autres policiers vers le centre de détention UHA. Nous avons fait plusieurs escales dans la soirée où venait s’ajouter dans ma petite cellule d’autres interpellés pour diverses raisons. Il n’y a pas de ceinture de sécurité donc on se cogne parfois au mur. Nous nous sommes retrouvés un peu serrés à quatre et deux hommes étaient complètement saouls. L’un d’eux a tapé sur le mur pour demander à pouvoir aller aux toilettes à plusieurs reprises, même lorsqu’il y a eu un arrêt pour rajouter un interpellé dans la deuxième cellule, en vain. Il n’a finalement pas pu se retenir et a fait pipi par terre. Je suis donc resté en équilibre sur le banc avec mes deux pieds levés, un autre a tenté la même tactique. Celui qui a pissé et le dernier qui était aussi bourré ne semblaient pas prendre conscience de la situation et laissaient leurs chaussures sur le sol. La flaque de pisse, en suivant les mouvements du camion, a fini par se balader sur l’ensemble de la surface en s’échappant parfois sous la porte où se trouvait juste derrière mes cartons d’affaires qui venait de la prison de France. Une partie d’un carton a absorbé un peu d’urine, mais c’est un gardien qui les a transportés sans le remarquer. D’une certaine manière, on peut dire que justice est faite. Car il n’est pas bon d’empêcher quelqu’un d’uriner.

Après quelques jours d’observation dans une cellule où la lumière restait toujours allumée, j’ai retrouvé ce rituel du gardien qui regarde à l’intérieur toutes les deux heures. L’avantage est qu’il n’y avait pas ici de cache à faire glisser car la porte contenait un petit hublot. Dans une cellule vide où rien ne se passe, je voyais toutes les deux heures le visage d’un gardien pendant quelques secondes. Si je me mettais un instant à la place de ce gardien qui doit regarder chaque détenu, je crois que je fondrais en larme de voir autant de détresse. Je pense que la plupart des gardiens apprennent à ne plus avoir d’émotions. Ce sont presque des automates ou des robots. Et je crois aussi que la plupart ne rêve pas de faire ce métier, mais que le choix de devenir gardien se fait souvent car il n’y avait aucune autre alternative visible. Je dis alternative visible parce qu’il y a pleins de débouchés dans des collectifs paysans ou de maraîchages. Semer des graines ou semer le désespoir dans les cœurs de celles et ceux qu’on enferme. Tant que cette planète n’est pas complètement bousillée, je pense que nous avons le choix. Je suis resté les quatre premiers mois dans le petit bâtiment A qui est parallèle au palais de justice où nous nous trouvons à présent. Je parle également de ce bâtiment dans mon témoignage de sortie de prison à travers le texte Briser le mur de la prison qui sépare de la zone du dehors, dont je vais reprendre quelques passages :

« Ce bâtiment, c’est celui des arrivants. Là, on doit rester 23h sur 24 en cellule, 7 jours sur 7. C’est un endroit sombre où des détenus craquent, crient et tapent sur les murs. J’y suis resté quatre mois. Pendant le premier, je n’avais que les habits que je portais sur moi en arrivant. Impossible de récupérer mes affaires pourtant arrivées en même temps.

Dans ce bâtiment, c’est deux douches collectives par semaine, à 6h45 du matin. J’y lavais alors mon caleçon puis je me rhabillais sans car il fallait d’abord le faire sécher sur le radiateur de ma cellule. Dans ce bâtiment, c’est des gardiens qui vous gueulent dessus et vous poussent si vous dépassez la ligne invisible entre votre cellule et le couloir lors de la distribution du repas. L’unique instant de respiration dans une cellule de moins de deux mètres de large sur quatre mètres de long : c’est une heure de promenade par jour.

Dans ce bâtiment, il y avait essentiellement des étrangers dont le crime est d’être contrôlé sans papiers, des petits dealers ou des accusés de vols. J’ai vu des regards haineux de gardiens se porter longuement sur des détenus racisés. La plupart des étrangers que j’ai croisés en promenade dans ce bâtiment A définissent les gardiens comme des nazis. Cela m’a fait bizarre d’entendre ça aujourd’hui, sachant que, dans cette même prison, il y a moins d’un siècle, des nazis ont tué plusieurs centaines de personnes. »

Après un mois d’attente, j’ai enfin pu avoir mes affaires de rechange. Avec désormais une bonne dizaine de caleçons, en sachant que les autres détenus n’en ont qu’un seul, j’ai commencé à faire des distributions durant l’heure de promenade. Ma famille m’a envoyé une cinquantaine de caleçons. Cela m’a donné beaucoup d’énergie de pouvoir aider d’autres personnes en prison en les distribuant, il y avait cette phrase écrite au stylo sur un mur d’une cellule « When you help someone, you help yourself ». C’est dans ce bâtiment A que j’ai été mis en isolement pour la première fois car un gardien m’a surpris en train de donner du pain aux pigeons sur le rebord de ma fenêtre. Je n’ai rien compris à ce qu’il m’a dit en entrant dans ma cellule et c’est seulement en sortant de la pièce d’isolement après une heure que j’ai pu avoir un petit morceau de papier en guise d’explication sur lequel il est écrit en français : « Ne pas nourrir les oiseaux. »

Après quatre mois dans ce bâtiment A, j’ai pu aller dans un autre bâtiment où il y avait plus d’heures de cellules ouvertes en journée. Un détenu a acheté le jeu de société Risk, mais comme il n’était possible que de jouer à 6 joueurs maximum et que nous étions 12 à l’étage, j’ai commencé à construire des cartes d’extension sur des boîtes de Kellog’s que les autres détenus pouvaient acheter chez le commerçant et à faire des figurines avec de la farine, du sel et de l’eau. Pour pouvoir les colorier, j’avais acheté un kit de crayon de couleur que je réduisais en poudre en prenant soin de retirer les morceaux de bois avant de rajouter de l’eau afin d’obtenir une peinture liquide. Il est possible d’imaginer beaucoup de jeux de société avec de la farine, de l’eau et un peu de sel. Un autre détenu a même commencé à calquer les territoires que j’avais imaginé afin de faire le plateau de jeu en 3D. Je pense que j’ai dû faire au moins 50 parties de Risk en prison. Une partie pouvait s’étaler sur plusieurs semaines comme nous étions jusqu’à dix joueurs. Pour vous donner une idée il y a 42 territoires sur le jeu de base, le plus grand des plateaux de jeu que j’ai créé faisait 189 territoires. J’étais souvent la première personne qui se faisait éliminer de la partie car j’essayais constamment de combattre le plus fort et de motiver les autres à équilibrer la partie en l’attaquant. J’ai remarqué qu’en prison il y a souvent un prisonnier qui se prend un peu pour le chef et comme tout le monde le craint, personne n’ose le combattre dans le jeu afin de ne pas créer de tension, c’est donc toujours lui qui gagne. J’ai aussi écrit une cinquantaine de page de règle alternatives du Risk afin de le rendre plus collaboratif et moins compétitif. Malheureusement, en sortant de prison, j’ai seulement pu récupérer les plateaux de jeu, les cartes et figurines sont restées dans ma cellule et n’ont pas été prises avec mes affaires.

Ce que je n’oublierai jamais, c’est chaque matin à 6h45 le gardien qui ouvre ma porte et me dit : « Morgen ». Au début, je répondais et je trouvais ça intéressant que l’on prenne la peine de me dire bonjour le matin, c’est vous accorder un peu de considération, d’humanité. Mais voilà, un matin, de mauvaise humeur, je n’avais pas envie de répondre, le gardien s’est alors mis à insister « MORGEN ! MORGEN ! », j’ai mis ma tête sous mon oreiller et il est parti. Pourtant je n’avais rien dit, je n’avais pas répondu à la salutation. Le lendemain, quand un autre gardien m’a dit « Morgen », j’ai fait un test en levant simplement mon pied, il est également parti. J’ai alors saisi avec effroi que chaque matin, « morgen » n’incarnait pas une salutation matinale, mais une question : « Êtes-vous toujours en vie ? ». Et que n’importe quel geste ou réponse signifie pour le gardien : « Tout va bien, je ne me suis pas encore suicidé ». Ce mot continue encore aujourd’hui à me glacer le sang.

Il y a d’autres textes que j’ai écrit expliquant plus en détails mes péripéties carcérales. Par exemple, comment je me suis retrouvé en isolement à deux autres reprises sur des accusations mensongères d’avoir crié par ma fenêtre lors de deux manifestations de soutien. Quand c’est arrivé pour la deuxième fois, les autres détenus ont chacun signé une pétition écrite à la main affirmant que je n’avais pas crié par ma fenêtre. Lorsque j’ai appris cela, j’en ai eu des frissons. J’ai pu connaître des moments très forts en prison. Souvent, nous nous laissons aller à l’ironie dans notre existence et nos échanges avec les autres. En prison, il y a des échanges et des personnes que j’ai pu rencontrées avec une intensité que je n’oublierai jamais. Un autre texte Escalade de l’arbitraire, procédure disciplinaire et libération d’un oiseau, explique aussi comment j’ai découvert un bébé oiseau mort dans une cellule d’attente lors des pauses du procès. Je l’avais ramené au tribunal car je savais que personne ne me croirait si je le racontais sans preuve. C’est un de ces petits cachots qui se trouve à côté de chaque salle d’audience. Il régnait dans celui-ci une odeur de cadavre fermenté. J’y raconte également comment une gardienne m’a laissé attraper un pigeon tout maigre dans un couloir d’accès au tribunal réservé aux prisonniers. J’ai pu le laisser s’envoler par la fenêtre de la salle d’audience.

Je continue encore aujourd’hui à rêver deux ou trois fois par semaine que je me fais arrêter par la police dans différentes situations ou lieux. Une fois par mois je rêve qu’un policier me tire dessus pendant l’interpellation. J’ai du mal à prendre des initiatives parce qu’en prison on ne vous laisse rien faire de votre propre volonté, vous devez constamment vous soumettre à une volonté extérieure. Je remarque que je me laisse désormais plus facilement emporter par les autres et que c’est difficile de m’affirmer ou simplement être moi-même. Je ne sais même plus qui je suis. Je n’ai plus d’identité et tous les gens que je rencontre me connaisse à travers le procès : « Ah, c’est lui qui est en procès ». Ce procès devient ma nouvelle identité. Et même lorsque l’on me pose une question sur ce que je fais à Hambourg, j’en viens forcément à devoir parler du procès parce qu’autrement je ne serais pas ici mais près de mes proches en France. Je ne vois pas de sens dans cette ville et elle me semble bien triste. J’ai toujours détesté les villes. Je crois qu’il faut les démanteler en offrant gratuitement et sans taxe des lopins de terre à qui le souhaite. Les villes ne sont pas des lieux sains, il n’y a aucune autonomie en nourritures ou énergies. Elles vont s’effondrer un jour ou l’autre. Ma famille et mes ami.e.s me manquent. Parce qu’un des principes de l’incarcération est de vous séparer de vos proches et de votre lieu de vie, j’ai l’impression que malgré ma sortie de prison en décembre, je suis encore enfermé. Je suis allé seulement une fois voir ma famille en France, trouvant un moment entre les journées d’audiences et de travail. Et depuis le coronavirus, c’est impossible de traverser la frontière. Une amie qui s’appelle Monique Tatala était très gravement malade en février, et lorsque j’ai enfin pu débloquer un week-end pour aller la voir à l’hôpital, j’ai appris qu’elle était décédée quelques jours avant mon départ.

Je suis né à Nancy, ville du nord-est de la France, située à 80 km du village de Bure où se trouve un projet d’enfouissement à 500 mètres sous terre des déchets nucléaires les plus radioactifs. Avant de commencer des études de droit pour exercer le métier d’avocat en droit à l’environnement, j’ai réalisé de grands voyages solitaires à vélo où j’ai commencé à lire l’ensemble des livres de prédilections de Christopher McCandless, ce jeune dont la vie a inspiré le film Into The Wild. J’ai pu découvrir Tolstoï, Jack London et Henri David Thoreau, mon auteur préféré. Ce dernier a vécu deux ans seul dans les bois en refusant de payer son impôt à l’État américain pratiquant l’esclavage des noirs. Il a mené une vie autonome construisant une petite cabane en forêt bien que certains témoignages racontent que sa mère continuait à lui faire son linge et que des tartes posées sur le rebord des fenêtres du village de Concord disparaissaient. Il s’est également opposé à la guerre menée contre le Mexique qui a finalement été une guerre colonisatrice des USA où le Mexique a perdu énormément de territoires. Sans cette guerre, le Texas par exemple, ne ferait pas partie des États-Unis. Le mur qui sépare le Mexique et les USA est un mur à abattre.

Voici une citation de son journal (Henri David Thoreau), écrite après son séjour d’une nuit en prison en juillet 1846, 174 ans avant le G20 de Hambourg :

« Dans ma brève expérience de la vie humaine, j’ai découvert que les obstacles qui se dressaient sur mon chemin n’étaient pas des hommes vivants, mais des institutions mortes. Les hommes sont aussi innocents que le matin pour celui qui se lève tôt, pour le pèlerin confiant ou pour les voyageurs matinaux qu’il a croisé sur son chemin vers la poésie. Alors que les institutions comme l’Église, l’État, l’école, la propriété, sont des spectres sinistres et fantomatiques en raison du respect aveugle qu’on leur témoigne. Quand je me suis abandonné au rêve poétique d’un paradis terrestre, je n’ai pas envisagé d’être dérangé par un Indien Chippewa, mais j’ai pensé qu’il serait vraisemblablement englouti par une monstrueuse institution. Le seul bandit de grand chemin que j’aie jamais rencontré était l’État en personne. Quand j’ai refusé de payer la taxe qu’il réclamait pour cette protection dont je ne voulais pas, il m’a lui-même volé. Quand j’ai affirmé la liberté qu’il proclame, il m’a emprisonné. J’aime l’humanité, je hais les institutions de ses aïeux. Ni des voleurs, ni des bandits de grand chemin mais des gendarmes et des juges ; non pas des pêcheurs mais des prêtres ; non pas des ignorants mais des pédants et des pédagogues ; non pas des ennemis étrangers mais des armées en ordre de marche ; non pas des pirates mais des navires de guerre. Non pas une malveillance gratuite mais une bienveillance organisée. Par exemple, le geôlier ou gendarme simplement considéré en tant qu’homme et voisin – avec pour ce dernier 70 années à vivre – peut s’avérer être un homme droit et digne, doté d’un cerveau capable de réfléchir ; mais en tant qu’officier et instrument de l’État, il n’a pas plus d’entendement ou de cœur que la clef de sa prison ou que son gourdin.

Le plus attristant, c’est que les hommes adoptent volontairement le caractère et la fonction d’une nature brutale. Il existe assurément bien assez de moyens qui permettent à un homme de se procurer du pain sans que cela le rende nuisible en tant que voisin et compagnon. Il y a bien assez de pierres sur le chemin du voyageur sans qu’un homme ne vienne y ajouter son propre corps. Pour prendre un seul exemple : il n’y a sans aucun doute jamais eu de pire crime commis depuis le commencement des temps que l’actuelle guerre mexicaine [au terme de laquelle le Mexique s’est vu contraint de céder aux États-Unis le Texas, la Californie, l’Utah, le Nevada, le Colorado, Wyoming, le Nouveau Mexique et l’Arizona]. Tel est le commandement implacable : bouge et tu seras délogé ; sois le maître de tes actes ou tu deviendras l’instrument de l’esclave le plus insignifiant sans même t’en rendre compte. N’importe qui peut gouverner celui qui ne se gouverne pas lui-même. Tous les hommes sont plus ou moins ensevelis dans la tombe des coutumes, et pour certains, seuls les quelques cheveux au sommet de leur crâne émergent du sol. Ceux qui sont physiquement morts valent mieux, car au moins, il y a de la vie dans leur décomposition. Ceux qui ont un domaine à défendre qu’ils ont usurpé par acte de propriété, des esclaves à garder à leur service, ceux qui aimeraient retenir leur dernière inspiration pour la conserver perpétuellement, ceux-là exigent l’aide des institutions, de ce testament stéréotypé et pétrifié du passé. Mais ceux qui sont, en eux-mêmes, quelque chose à défendre, qui ne sont pas asservis, qui sont en accord avec leur temps, ne veulent pas de ce genre de sujétion. »

La première chose qui m’a attristé en lisant son journal est de savoir qu’il n’existe quasiment plus d’espace sauvage aujourd’hui. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il deviendrait même criminel de mener une vie de contemplation comme il l’a fait, car actuellement notre civilisation industrielle détruit chaque jour 200 espèces animales et végétales. Ce serait être contemplateur du désastre. Le 7 juillet 2020, cela fera 219 000 espèces végétales et animales exterminées par notre civilisation industrielle et capitaliste depuis le G20 de Hambourg. Les manifestations n’ont fait à ma connaissance disparaître aucune espèce, pas même une seule entreprise de marque de luxe. Je n’ai pas envie de lister ici l’ampleur de la catastrophe, de l’effondrement en cours, je pense que chacun en a entendu parler et peut se renseigner en faisant quelques recherches. Dans les débats qui ont pu agiter ce tribunal, j’ai entendu dire qu’il pouvait être compréhensible de lutter avec violence sous le nazisme mais que cela n’est pas convenable dans une démocratie telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le problème, c’est que nous ne sommes pas en démocratie, mais dans un régime représentatif.

Emmanuel-Joseph Sieyès, juste après la révolution française, dans son discours du 7 septembre 1789, a déclaré :

« La France ne doit pas être une démocratie, mais un régime représentatif. Le choix entre ces deux méthodes de faire la loi, n’est pas douteux parmi nous. D’abord, la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; ils doivent donc se borner à se nommer des représentants. […] Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »

Cette personne qui a participé activement à l’élaboration du système politique après la révolution française a l’honnêteté intellectuelle de reconnaître qu’un régime représentatif n’est pas une démocratie. Aujourd’hui, la classe dirigeante, afin de ne pas perdre ses intérêts et risquer de disparaître sous un nouveau mécontentement populaire, nous berce dès l’école et rabâche à la télévision que nous sommes dans une « démocratie avancée ». Cette formulation prétentieuse veut nous faire croire que nous serions allés au-delà même de la démocratie alors qu’en réalité nous n’avons jamais atteint cette étape mais sommes encore aujourd’hui sous un régime représentatif.

J’ai décidé d’agir plutôt que d’abandonner mon pouvoir à un représentant.

« Vous envoyez vos mandataires dans un milieu de corruption ; ne vous étonnez pas s’ils en sortent corrompus », écrivait Élisée Reclus dans son texte Ne votez pas, agissez. Les parlements sont infestés par les lobbys, les intérêts des grosses entreprises et de la finance.

J’ai donc commencé par rejoindre la mouvance Anonymous on me bornant à écrire des textes et faire des vidéos à travers une opération contre les grands projets inutiles et imposés. Il s’agissait de cibler les sites internet des grosses industries ou de l’État français impliqués dans la réalisation de différents projets comme le barrage de Sivens, la poubelle nucléaire à Bure ou l’aéroport de Notre Dame des Landes, par exemple. Dans le même temps, je me suis rendu à la manifestation d’octobre 2014 à Sivens où Rémi Fraisse fut tué par une grenade policière à une centaine de mètres de moi. C’était une de mes premières manifestations et j’ai été traumatisé par la violence policière, les 400 grenades explosives lancées aveuglément dans la nuit, le mensonge d’État qui masqua les circonstances de sa mort, la propagande médiatique de criminalisation, et l’indifférence de la justice qui a prononcé un non-lieu malgré les demandes de la famille de Rémi d’obtenir une condamnation symbolique. Le lendemain matin j’ai directement appelé ma petite sœur au téléphone, et j’ai pleuré, réalisant que j’aurais pu y passer également avec toutes ces grenades qui explosaient autour de moi. J’ai aussi depuis des problèmes d’auditions qui se sont aggravés et des acouphènes aigus continuel dans mon oreille. Mais le plus grave pour moi c’est qu’aujourd’hui je peux dire devant vous qu’un jeune homme de mon âge est mort presque à côté de moi dans une manifestation, que je peux le dire avec sang-froid. Quelque chose s’est éteint en moi pendant l’incarcération, j’ai perdu une partie de mes émotions en prison.

Afin que vous saisissiez un peu mieux, je tiens à dire quelques éléments concernant cette journée de mobilisation qui s’est tenue en pleine nature dans la vallée du Tescou (sud-ouest de la France). La préfecture avait promis de ne pas déployer de gendarmes afin de ne pas générer de tensions en retirant même, au cas où, les engins de chantiers. Le barrage de Sivens fut porté par la CACG, un organisme public-privé, ce qui lui permettait de réaliser une déclaration d’utilité publique et ainsi de mettre la main sur l’argent du contribuable : près de 4 millions d’euros de fonds publics pour construire ce barrage afin de soutenir une agriculture intensive. Mais le comble, c’est que le barrage de Fourrogue, construit juste avant ce projet de barrage de Sivens, a été déclaré illégal et inadapté par le tribunal administratif après sa construction. C’est-à-dire qu’il ne pouvait même pas remplir la mission pour laquelle il a été construit, à savoir l’irrigation des cultures. Cela démontre que l’intérêt derrière ces projets est essentiellement le détournement d’argent public. Les porteurs de ce projet veulent construire une cinquantaine de barrage dans la région et ils réfléchissent actuellement à refaire un projet de barrage non loin de l’endroit où Rémi, jeune homme de 21 ans, a été tué par la police. Une rivière doit pouvoir s’écouler librement jusqu’à l’océan. Est-il plus sain de s’adapter à la nature ou d’adapter la nature au capitalisme ?

J’aimerai que l’on m’explique où est le progrès lorsque des grands groupes comme Bayer/Monsanto brevettent le vivant et réalisent des mutations sur les plantes de telle sorte qu’il soit impossible de réutiliser les graines chaque année sans devoir les racheter. Il est démontré aujourd’hui que dans les anciennes variétés de graines un code génétique se transmet de génération en génération à travers les semences, la plante s’adapte à son milieu, elle a une intelligence, elle s’améliore et se renforce d’année en année. Bayer et Monsanto sont responsables de la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes par maladie ou suicide, notamment en interdisant l’utilisation de certaines semences et en imposant des graines génétiquement modifiées. En Inde par exemple, des paysans s’endettent à devoir les racheter chaque année, mais vous ne verrez jamais les dirigeants de ces entreprises faire 1 an et 4 mois de prison ferme pour ces raisons.

Pour revenir à la mouvance Anonymous, j’ai découvert sur internet l’existence du projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, à quelques pas de chez moi. Je n’en avais pas entendu parler à l’école, aux JT ou dans les journaux. J’ai donc fait des recherches et découvert que depuis plus de 20 ans, des personnes luttent et se mobilisent contre ce projet. Il y a même eu une pétition signée à la main par plus de 50 000 personnes demandant l’organisation d’un référendum local pour savoir si la population était d’accord avec ce projet. Cette pétition a été ignorée. Il serait en effet dommage pour les autorités locales de perdre les 80 millions d’euros distribués chaque année afin « d’accompagner économiquement » le projet d’enfouissement. Jusque dans les écoles, l’argent nucléaire coule à flot et des balades scolaires sont organisées dans les tunnels souterrains où déjà deux ouvriers sont décédés dans un effondrement des galeries.

Lorsqu’il a été rappelé à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) qu’il y aura à terme un écroulement des tunnels, la réponse donnée par un responsable fut : « C’est prévu, Cigéo va s’écrouler, mais nous préférons parler de convergences des roches. » Je crois plutôt qu’une convergence des luttes empêchera la folie de ce projet. De la même manière que l’écrivain italien Erri de Luca l’a affirmé à propos du projet de ligne TGV Lyon-Turin en Italie, je crois que le projet d’enfouissement de déchets nucléaires doit être freiné, entravé et donc saboté pour la légitime défense de la santé, du sol, de l’air et de l’eau.

L’Allemagne a théoriquement arrêté le nucléaire après Fukushima mais les déchets nucléaires restent un problème. En France, alors que nous ne savons également pas quoi faire des déchets, nous allons renouveler le parc des centrales et lancer une nouvelle génération de réacteurs (EPR), essentiellement pour pouvoir les vendre à l’étranger.

Au regard de la gestion laborieuse que la filiale nucléaire a réalisé en Somalie, puis en balançant les fûts de déchets nucléaires dans l’océan et dans divers sites d’enfouissement aux multiples accidents (au Nouveau-Mexique comme en Allemagne), il semble évident qu’il ne faut pas laisser la gestion des déchets nucléaires à ces individus irresponsables.

« On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés », a dit Albert Einstein.

Il est important de reconnaître avec honnêteté que nous ne savons pas quoi faire et nous n’avons jamais su quoi faire des déchets nucléaires. Dès lors, l’arrêt immédiat de la production de ses déchets est une évidence. Cette question de la gestion devrait être prise en compte par la société toute entière, en finançant des recherches indépendantes. Où trouver l’argent ? Il y a, chaque année, 80 millions d’euros déversés dans les départements de la Meuse et de la Haute-Marne afin d’acheter le consentement de celles et ceux qui demain seront irradiés. Dans la langue de l’époque, on n’appelle plus cela « corrompre » mais « travailler à l’acceptabilité sociale d’un projet ». Redirigeons cette somme dans la recherche d’alternatives. Pour les déchets existants, tentons de trouver des solutions par la science, plutôt que par l’achat des consciences. Il y a les PDG du nucléaire, nucléocrates et autres personnes qui se sont fait des millions, voir des milliards de bénéfices sur le dos de notre vie, il faudra également qu’ils rendent l’argent, pour la survie de l’humanité.

Je tiens à rappeler que l’Allemagne sera probablement plus impactée par ce projet d’enfouissement, car Bure se situe dans le Nord-Est de la France sous les vents dominants de l’ouest.

C’est cet engagement sur le terrain informatique contre Bure et le Barrage de Sivens qui m’a conduit à une première condamnation en justice après la visite de sept agents de la DGSI au domicile de mes parents. Les 48 heures de garde-à-vue qui ont suivi était une horreur. Refusant de collaborer, les agents sont aller jusqu’à menacer de mettre en garde-à-vue mon meilleur ami car il apparaissait sur le rush d’un montage vidéo. Ils ont réussi à me faire craquer en faisant pression sur cet ami proche qui ne partage pas mes opinions politiques. Je tiens à insister sur cette bassesse monstrueuse de l’élite de la police Française. J’étais jeune, je ne pensais pas alors qu’il était possible d’aller jusque-là. Faire pression sur des proches, je pensais que c’était seulement dans les films ou sous des dictatures. J’ai écopé de quatre mois de prison avec sursis ainsi que d’une interdiction de passer des concours dans certains métiers du domaine public pendant cinq ans. Étant en première année d’étude de droit à ce moment-là, j’ai décidé de faire appel afin de demander que cette interdiction de métier soit enlevée pour que je puisse continuer mes études et tenter de devenir avocats en droit à l’environnement. Malheureusement, la cour d’appel a confirmé l’interdiction qui est en plus redevenue active pour 5 ans à ce moment-là. C’est à ce moment-là que j’ai dû oublier ce projet professionnel et que je me suis tourné vers la permaculture. Terrain dans lequel l’État ne m’a pas encore mis d’entrave.

En France, les policiers allemands sont perçus comme les rois de la désescalade, j’ai cependant vu, à Hambourg, des milliers de manifestants escalader un mur afin d’échapper à la police qui matraquaient les crânes. C’était le premier jour des manifestations contre le G20 de Hambourg, le positionnement des canons à eau qui étaient dès le début presque au contact du cortège et les charges policières de tous les côtés ne laissaient même pas l’opportunité de s’échapper. Il y a eu plusieurs dizaines de blessées très graves à la tête. Pourquoi donc les palais de justices restent-ils silencieux vis à vis de la violence policière ? Où sont les photos des policiers matraquant les crânes dans les médias et leurs colonnes d’appel à délation post-G20 ?

J’accuse le pouvoir judiciaire de participer à un groupement fermé de personnes pratiquant la violence sur la base d’un partage des tâches entre les policiers qui passent à l’acte et les tribunaux qui cautionnent et encouragent les délits par leurs laxismes. Les palais de justice en général, appartenant à ce groupe, sont complices de toutes les violences policières du G20 car aucun ne s’est distancié à l’égard de ces violences. Il n’y a eu aucune condamnation de policiers depuis le G20 et ce, malgré les nombreuses vidéos et documentations citoyennes. Mais c’est également un problème structurel de l’institution policière : la police ne fait pas remonter les enquêtes contre elle-même.

Bertolt Brecht disait : « On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. »

Faut-il accueillir le G20 ou l’empêcher en protestant ?

Nous retrouvons dans ce sommet les cinq plus gros marchands d’armes au monde qui sont les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et la Grande-Bretagne, tous également membres permanents du conseil de sécurité des Nations Unies. « Quand on est pour la paix, on ne vend pas des armes », ce sont les mots d’un sans-papier Guinéen prononcé dans la cour de promenade du bâtiment A. Il m’a beaucoup parlé de la Guinée et de l’Afrique en général, continent très riche en ressources mais pauvre à cause du pillage exercé par le système capitaliste. Si les Thomas Sankara ou Patrice Lumumba ne finissaient pas chaque fois assassinés par des armes construites dans les pays du Nord, l’Afrique aurait aujourd’hui un autre visage.

Pendant le G20 de Hambourg, la France et l’Allemagne vendaient des armes à la Turquie. Des armes qui ont probablement étaient utilisées lors de l’offensive turque contre les kurdes aux Rojava dans le nord de la Syrie. Des journalistes turcs sont encore emprisonnés pour avoir dévoilé que Erdogan avait livré des armes à Daesh. Si une personne donne une pierre a un manifestant, elle peut être accusée de complicité d’un acte d’une extrême violence et risque de finir en prison. Mais vendre des armes est un acte légal. Le problème vient peut-être du fait que c’est un don et qu’il serait à vos yeux plus juste de devenir marchand de pierres. Ou bien cela n’a rien à voir avec l’intérêt financier et il s’agirait d’une question morale : il est bon de vendre des armes car elles servent à faire la guerre pour la paix, incohérence déjà décrite par George Orwell dans son œuvre 1984. Des anarchistes ont récemment été torturé en Russie. Torture que l’on retrouve en Turquie ou en Arabie Saoudite. Avez-vous simplement idée de l’extrême violence qu’incarne votre sommet, cette réunion des vingt États les plus riches de la planète ?

Il y a quelque chose de particulièrement grave dans cette affaire, cinq personnes doivent répondre de l’ensemble des dégâts d’une manifestation. 99 % des faits reprochés ne visent pas personnellement les accusés. L’accusation s’étend à plus d’un million d’euros de dégâts. Le procureur tente de construire et d’imposer une vision très large de la complicité, au point qu’il désire même l’étendre au-delà de la présupposée présence des accusés. Concrètement, imaginez-vous dans une manifestation : quelqu’un brûle une voiture à 50 mètres de vous, vous êtes considéré comme responsable des dégâts. Mais ce n’est rien ! Imaginez-vous maintenant quittant une manifestation, dix minutes plus tard, un cocktail molotov est lancé : bien que vous n’êtes plus présent, vous êtes aussi considéré comme responsable.

Il y a beaucoup de problème dans ce procès, dans la prison, dans la police, dans le capitalisme, dans l’État et son monde. Ces différents thèmes ont, entre autres, comme pourritures communes : la soif de gestion, la globalisation, la classification. La personnalité de l’individu, son identité, sa créativité, son unicité, doivent rentrer dans une case, un groupe.

Voici une autre citation de Thoreau (Journal, juillet 1848) :

« Le caractère unique d’un homme se manifeste dans chaque trait de son visage et dans chacune de ses actions. Confondre un homme avec un autre et toujours les considérer globalement est une marque de stupidité. Les esprits obtus ne distinguent que des races, des nations ou des clans, quand l’homme sage distingue des individus. »

Je ne vais pas pouvoir expliquer ce que je n’ai pas fait et si vous me demandez ce que j’en pense, cela pourrait tenir dans cette autre citation d’Élisée Reclus :

« Quels que soient mes jugements sur tel ou tel acte ou tel ou tel individu, je ne mêlerai jamais ma voix aux cris de haine d’hommes qui mettent armées, police, magistrature, prêtres et lois en branle pour le maintien de leurs privilèges. »
Il vous reste encore un peu de temps avant la fin de ce procès afin de limiter l’acte d’accusation seulement à ce que j’ai pu faire, tant que cela ne sera pas le cas, je refuse de m’exprimer à propos de l’accusation me concernant sur la manifestation de l’Elbchaussee. À savoir : si j’étais bel et bien présent, si vous m’avez confondu avec d’autres personnes ou si je n’étais tout simplement pas là, preuve à l’appui.

En France, j’ai été accusé d’avoir découpé un grillage autour d’un projet d’enfouissement de déchets nucléaire, j’ai revendiqué devant le tribunal ce geste afin de l’expliquer. La retranscription de ce procès est disponible dans une brochure intitulée « Sachez que je n’attends rien de votre institution » , également traduite en allemand. D’autres procès contre des anarchistes, comme celui d’Alexandre Marius Jacob, contiennent également une revendication et explication des actes réalisés devant le tribunal. Il s’agit d’une stratégie de rupture. Je comprends l’attitude de ne pas vouloir s’exprimer et de garder le silence et je veux rester solidaire envers les personnes qui choisissent de ne pas s’exprimer lors des procès. Cependant, je déteste les narrations mensongères des procureurs ou de la police. Et c’est dans les tribunaux que leurs versions s’établissent et sont reprisent par les juges puis les médias. Si je m’exprime aujourd’hui, c’est pour vous relater une réalité que j’ai vécu dans les rues de Hambourg.

Dans l’après-midi du 7 juillet 2017, la police allemande a fait une autre démonstration de sa désescalade, dans un ballet incessant de policiers qui chargeaient en passant à répétition tout autour du Rote Flora. J’ai vu à plusieurs reprises la police matraquer sans raison des personnes sur les trottoirs ainsi que des personnes assisses aux terrasses des bars, buvant un verre. Peut-être que dans un esprit policier, le fait d’être simplement présent autour du Rote Flora est une culpabilité suffisante. Dans le petit parc juste derrière, quatre policiers ont couru vers une personne qui était dans un coin près d’un buisson, elle s’est fait tabasser à l’abri des regards et des caméras. J’ai vu un journaliste se faire frapper par la police. Et alors qu’une énième personne se faisait sévèrement matraquer devant le Rote Flora, je me suis avancé spontanément avec d’autres personnes, criant d’indignation. Un policier m’a gazé au visage. J’ai alors posé mon sac à dos par terre et lancé deux bouteilles de bières qui se trouvaient devant moi vers la police. Il y a des violences policières qui sont à l’origine de ce geste, je ne veux pas m’en excuser. D’autant plus que je n’ai pas réussi à atteindre la police et les bouteilles ont atterri à côté (comme on peut le voir sur une vidéo). Certes, à vos yeux, que le projectile touche ou non un policier, cela reste illégal, tout comme votre loi interdit de matraquer à hauteur de tête ou de mettre du gaz lacrymogène au visage. A-t-on pour autant déjà fait un procès à l’encontre d’un policier qui a donné des coups de matraque dans le vent, à côté d’une tête, sans la toucher ? Non. Il n’y a même pas eu un seul procès contre un policier qui a matraqué un crâne au G20. Dès lors, faut-il venir casqué en manifestation ?

Un peu plus tard, sur une vidéo policière, on me voit courir vers une dame d’un certain âge qui pousse son vélo. Elle s’était arrêtée au milieu de la route alors qu’un canon à eau avançait vers elle. Je l’ai aidé à rejoindre le trottoir et une fois atteint, nous nous sommes pris un jet du canon à eau clairement dirigé contre nous deux. Vous faites toujours preuve d’une imagination débordante et d’une sensibilité extrême lorsque vous écrivez dans vos actes d’accusation que tel projectile a été lancé vers la police en rajoutant « acceptant que cela aurait pu blesser gravement les policiers ». Car avant d’imaginer cela, il faudrait peut-être déjà démontrer que le projectile atteint en effet un policier. Une fois que c’est chose faite, il faut reconnaître qu’il est difficile de blesser gravement un policier quand il porte des protections contrairement aux manifestants qui n’en portent aucune. En attendant, le puissant jet d’eau nous a clairement atteint et personne ne reproche au policier qui a tiré d’avoir accepté que cela aurait pu blesser gravement cette dame âgée. Après avoir vérifié que cette dernière se portait bien, j’ai ramassé deux pierres et je les ai jetées en direction du canon à eau. Les policiers étaient en position derrière le canon à eau.

Ne me retrouvant pas dans vos définitions de bon ou de mauvais manifestant, sachez que je reste solidaire à l’égard de n’importe quelle personne se retrouvant face à la justice suite aux manifestations : que ce soit celles du G20 ou des gilets jaunes, de Minneapolis ou des quartiers populaire, du Chili ou de Hong-Kong. Car encore une fois, quels que soient mes jugements sur tel ou tel acte ou tel ou tel individu, je ne mêlerai jamais ma voix à celles et ceux qui mettent armées, polices, magistratures, prêtres et lois en branle pour le maintien de leurs privilèges.

Il y a eu de nombreuses tentatives afin de bloquer le G20 avec des sit-in non-violent. J’ai également pris part à cette stratégie et une personne qui se trouvait à côté de moi s’est retrouvée avec un œil au beurre noir pendant qu’un autre policier m’a donné des coups de pieds alors que nous étions assis. J’ai remarqué qu’il était moins dangereux d’utiliser cette tactique si il y a la présence de caméras qui filment la scène. La police semble très sensible à son image et se retient de montrer sous les projecteurs sa violence mais elle n’hésite pas, une fois qu’un peu d’ombre se présente, à déployer son obscurité.

« La résistance passive non-violente est efficace tant que votre adversaire adhère aux mêmes règles que nous. Mais si la manifestation pacifique ne rencontre que la violence, son efficacité prend fin. Pour moi, la non-violence n’était pas un principe moral mais une stratégie. Il n’y a aucune bonté morale à utiliser une arme inefficace. »

Nelson Mandela

Il existe une analyse de février 1989 sur les effets de l’uniforme ­réalisée par le service correctionnel du Canada. L’étude avait démontré qu’une personne sera plus disposée à être agressive si elle porte un uniforme. C’est pourquoi je n’en veux pas particulièrement aux individus, mais à la situation que génère le métier de policier. Il est probable que bientôt, tout comme à Minneapolis, il devienne nécessaire pour de plus en plus de monde de démanteler la police.

En dernier point, la presse allemande met souvent en avant l’impact économique des manifestations. Je crois que pour l’ensemble du G20 de Hambourg, j’avais entendu qu’il s’agissait de 10 millions d’euros de dégâts. Je vais vous démontrer qu’une personne qui mange sainement et fait quelques dégâts en manifestation coûte moins cher à la société qu’un habitué du McDo. Un article du journal Libération de l’année 2019 a estimé que le coût de la malbouffe pour la santé en France est de 55 milliards d’euros par an. Il faudrait qu’il y ait chaque année 5 500 fois des manifestations avec 10 millions d’euros de dégâts pour égaler l’impact économique de la malbouffe. Sachant que les mobilisations se sont étalées sur quatre journées, il n’est pas possible d’en réaliser plus de 92 dans l’année. À moins que l’on s’autorise à imaginer plusieurs manifestations en même temps. Il faudrait donc que se déroule de manière simultanée 59 manifestations comme celles du G20 de Hambourg en se répétant continuellement pendant un an afin que les dégâts économiques égalent ceux de la malbouffe en France. Je n’ai pas trouvé de chiffre concernant l’Allemagne mais je pense que c’est sensiblement identique. En arrondissant, on peut dire que la malbouffe coûte 100 milliards d’euros par an en Allemagne et en France. Donc 300 milliards d’euros depuis le G20 de Hambourg. N’est-il pas plus sage de faire des procès contre les géants de l’agroalimentaire qui empoisonnent notre nourriture et nos vies ?
Voici quelques paroles de Ravachol :

« En créant les articles du Code, les législateurs ont oublié qu’ils n’attaquaient pas les causes mais simplement les effets, et qu’alors ils ne détruisaient aucunement le crime ; en vérité, les causes existant, toujours les effets en découleront. Oui, je le répète : c’est la société qui fait les criminels, et vous jurés, au lieu de les frapper, vous devriez employer votre intelligence et vos forces à transformer la société. Du coup, vous supprimeriez tous les crimes ; et votre œuvre, en s’attaquant aux causes, serait plus grande et plus féconde que n’est votre justice qui s’amoindrit à punir les effets. »

J’ai entendu que le tribunal se souciait de savoir si la peine était suffisante pour l’éducation des accusés. J’ai été surpris de découvrir cette forme d’éducation. Vous estimez que punir par l’enfermement permet de contraindre à ne plus recommencer. Il existe, en Norvège, des prisons ouvertes où le taux de récidive est de 20 %. L’endroit où je suis resté enfermé 1 an et 4 mois a un taux de 70 % de récidive. Dans cette prison norvégienne les gardiens chantent parfois une chanson aux nouveaux arrivants, il y a de l’écoute, de l’amour et de la considération. Quand je suis arrivé dans votre prison, je suis resté un mois avec le même caleçon enfermé 23h/24 en croisant les regards sévères de gardiens qui vous méprisent. Mais au risque de ne pas avoir été clair, parce que l’on pourrait croire que je me satisfais d’une prison norvégienne. Tout comme Ravachol disant « c’est la société qui fait les criminels » et le criminologue Alexandre Lassange affirmant « la société a les criminels qu’elle mérite ». Je pense que c’est en transformant la société que nous pouvons supprimer tous les crimes. Et je crois qu’il y a dans ce procès 0% de chance de récidive, car la cause a disparu : il n’y aura plus jamais de G20 à Hambourg.

Ma prochaine déclaration contiendra un texte imaginant un G20 sans police, ce que je considère comme étant des alternatives à votre sommet ainsi qu’une critique de la civilisation industrielle et des énergies renouvelables du capitalisme vert.

22 juin 2020 RÉQUISITIONS DU PROCUREUR

À l’audience suivant cette longue déclaration de Loïc, le procureur de Hambourg rend ses réquisitions dans le procès de la Elbchaussee. Il réclame les condamnations suivantes :

• 2 ans et demi de prison ferme pour les deux accusés qui étaient mineurs au moment de la manifestation
• 3 ans de prison ferme pour les deux accusés qui étaient majeurs au moment des faits

Ces quatre personnes sont accusées d’avoir simplement marché dans la manifestation. Le procureur ne leur reproche aucune dégradation ou dégât.

• 4 ans et 9 mois de prison ferme à l’encontre de Loïc, seul parmi les accusés à se voir reproché des actes précis par le procureur outre sa supposée participation à la manifestation, en l’occurrence d’avoir jeté un gros pétard dans l’entrée d’une banque, d’avoir jeté deux bouteilles de bières trouvées par terre en direction de la police (le procureur reconnait que les bouteilles n’atteignent pas la police grâce à une vidéo) et enfin d’avoir jeté deux pierres en direction d’un canon à eau.

Loïc publie ces quelques lignes en réaction à ces réquisitions :

« Maintenant pour terminer parce que je suis fatigué d’écrire, je vais poser cette question : lorsqu’un policier est violent, qu’il s’acharne contre un manifestant au sol et que ce dernier a le crâne fracturé, la justice va-t-elle condamner l’ensemble des policiers présents autour de la scène ? Non. La justice ne va même pas condamner le policier qui a effectivement fait la violence.

J’ai le souvenir de têtes ensanglantées par les matraques de la police pendant le G20. J’ai l’image de visages traumatisés et déchirés par la violence de l’État allemand, dans ma mémoire. C’est le cœur léger et l’âme en paix avec ma conscience que je traverserai cette nouvelle épreuve. J’ai déjà fait 16 mois de prison pour cette affaire, j’ai été libéré en décembre. Maintenant j’apprends que je vais peut-être devoir y retourner… Ce procès a commencé en décembre 2018, plus de 70 journées d’audiences ! L’incarcération n’a pas éteint et n’éteindra pas ma révolte. Je continuerai à dénoncer l’injustice de ce système fou et à faire face aux puissants.

Merci pour vos soutiens et vos messages.

J’espère que de plus en plus décideront d’agir plutôt que d’abandonner leur pouvoir à un représentant. Il faut s’attaquer aux géants, aux grosses entreprises qui polluent, leur faire mal économiquement et de manière efficace. Ne prenez pas forcément exemple, il n’y a pas que lors des manifestations qu’il est possible de faire quelque chose. Il est aussi possible d’aller viser directement et de manière inattendue les structures oppressives, les machines destructrices, les multinationales inhumaines.

Nous pouvons encore inverser la tendance, rien n’est perdu. Mais il ne faut plus attendre et agir efficacement. »

9 juillet 2020 « KEINE POLIZEI, KEINE PROBLEM »

Ainsi, me menace-t-on de 4 ans et 9 mois de prison ferme avec mandat de dépôt. Dont 3 années correspondent à des choses que je ne suis pas accusé d’avoir personnellement faites mais dont je suis rendu complice.

La plupart des gens ne sont pas fans du G20. Aucune manifestation pro-G20 n’a d’ailleurs eu lieu à Hambourg, sauf peut-être celle des 30 000 policiers qui ont décidé d’interdire toute circulation si vous n’êtes pas une voiture de police ou un véhicule de luxe transportant les participants au sommet.

En postant sur Youtube une « Compile des violences policières du G20 de Hambourg » de 15 min, j’ai vu dans mes recherches qu’Olaf Scholz, ancien maire de Hambourg, avait déclaré : « Ceux qui ont commis des actes de violence, ce ne sont ni les policiers, ni les organisateurs du sommet du G20 ». Puisqu’il suffit d’affirmer un mensonge pour qu’il devienne la vérité, sachez que je n’étais pas au G20 de Hambourg.

Je crois que ce procès irait beaucoup plus vite si l’accusation se limitait à ce que chaque individu est accusé d’avoir personnellement fait. Ces nouvelles notions de complicités et de « co-auteurs » qui permettent d’accuser de l’ensemble des choses qui se passent dans une manifestation sont des abus du pouvoir judiciaire. Une des revendications des révoltés de Hong Kong est « le retrait du terme « émeutiers » pour qualifier les manifestants car cette formulation permet des arrestations beaucoup plus nombreuses pour des motifs minimes ». La Chine était présente à Hambourg. Ce long procès est basé sur une même criminalisation des manifestations ainsi que l’utilisation de la reconnaissance faciale. C’est à se demander si la « mainmise de Pékin » sur Hong Kong n’aurait pas déposé quelques doigts sur Hambourg.

Lors d’une manifestation, on n’a jamais accusé un policier d’une violence qu’un autre policier aurait réalisée. D’ailleurs, on n’accuse quasiment jamais de policier tout court. Il existe des réglementations sur l’usage de la force, mais lorsque la police ne respecte pas sa propre déontologie, aucun procès. Et je m’abaisse là sur le terrain des conditions purement légalistes. Car que l’on me matraque au crâne ou dans les règles de l’art de l’usage considéré comme légitime de la force, mon sentiment de révolte reste le même. Mon indignation ne s’arrête pas à l’appréciation anatomique de la violence subie.

Max Stirner écrivait : « Aux mains de l’individu la force s’appelle crime, aux mains de l’État, la force s’appelle droit ». Je crois que lorsqu’un usage de la force s’exprime, il doit-être questionné dans chaque situation, et ne surtout pas devenir une normalité, un droit immuable.

*

Dans la situation du G20 de Hambourg, était-il légitime d’utiliser la force afin de défendre ce sommet ? Que ce serait-il passé s’il n’y avait eu aucun policier pour protéger le sommet du G20 ? Voici mon point de vue.

Si le G20 de Hambourg s’était tenu sans police, les personnes venues pour manifester contre ce sommet se seraient rendues à l’endroit où se tenait la réunion. Il n’y aurait pas eu d’affrontements car il n’y aurait pas eu de police. On aurait vu se confirmer ce vieux dicton de manifestation : « Pas de police, pas de problème. » Chaque structure urbaine symbolisant le capitalisme aurait été occupée. Les banques seraient devenues des lieux de trocs et de dons sans argent. Les panneaux publicitaires auraient été supprimés, libérant du temps de cerveau disponible. Lors de ce contre-sommet, on se serait divisés en plusieurs petites assemblées ou groupes. Comme des personnes de tous les continents étaient venues à Hambourg pour protester, une richesse abondante aurait émergée par les échanges et la diversité des avis. On se serait demandé quoi faire des dirigeants du G20 officiel. Certains auraient voulu les enfermer en prison mais un groupe de discussion « Abolition des institutions policières et carcérales » s’y serait opposé. Une personne aurait reproché à ces utopistes d’un monde sans police ni prison de vouloir le chaos. Quelqu’un lui aurait répondu : « En prison, la majorité des gens viennent des classes les plus pauvres, très peu viennent des classes moyennes et encore moins des classes les plus riches. Cela démontre que le fait de se retrouver en prison ne résulte pas d’un choix individuel mais des conditions sociales et matérielles d’existence. Les solutions qui sont imaginées et expérimentées varient, mais elles ont toutes en commun l’idée d’agir pour réduire les violences et les souffrances dans la société, sans avoir besoin de faire intervenir la police. Ces solutions s’attaquent aux causes : en luttant contre la pauvreté, le mal logement, l’exclusion sociale, et le racisme. »

La première prise de conscience aurait ensuite été de réaliser que l’ensemble des personnes qui venaient des différentes nations ne voulaient pas de l’armement atomique, qu’un même désir de paix émergeait des cœurs des différents peuples. Face à la multitude des problèmes que génèrent la centralisation du pouvoir, on aurait commencé à aller vers la nécessité de relocaliser et de s’auto-organiser en libres associations. Lorsque Trump se serait avancé après avoir attendu son tour de parole, on aurait remarqué qu’on avait complètement oublié de faire attention aux différents dirigeants du G20 officiel. On aurait alors acté un rapide texte intitulé « Abolition des dirigeants et tyrans », dont l’idée aurait été que chacun devienne son propre maître, sans obéir ni se soumettre devant une quelconque autorité. Le texte se serait conclu sur cette citation d’Anselme ­Bellegarrigue : « Vous avez cru jusqu’à ce jour qu’il y avait des tyrans ? Eh bien ! Vous vous êtes trompés, il n’y a que des esclaves : là où nul n’obéit, personne ne commande. »

Il se serait alors passé quelque chose d’incroyable. Comme on aurait cessé de leur accorder une importance particulière, ces chefs d’États – que plus personne ne regardait comme tel – se seraient transformés. Ils auraient perdu ce pouvoir qu’on leur avait jusqu’à présent donné.

On n’aurait même plus reconnu Trump. Ce dernier aurait vu les traits autoritaires de son visage s’apaiser et serait devenu un poète. Méditant sur la frontière mexicaine, il aurait regardé en face l’histoire peu glorieuse de l’appropriation des terres du Mexique par les États-Unis. Dans une chanson « Des murs de mon cœurs, aux murs des frontières » qu’il aurait écrite, il appellerait à détruire le mur et rendre les terres au Mexique. Il aurait également redonné des grands territoires aux dernières communautés amérindiennes en s’excusant pour les projets de pipelines qu’il serait lui-même allé saboter après le G20. Comme il aurait laissé son avion luxueux à des groupes de musique afin qu’ils organisent des concerts prix libre à l’intérieur, il aurait réalisé la traversée de l’Atlantique sur un grand voilier. Le voyage se serait fait au gré du vent. À son arrivée, sa voix serait devenue douce.

Macron aurait construit sa cabane dans les bois du Wendland, à une centaine de kilomètres de Hambourg. Inspiré par ce territoire qui a lutté contre un projet d’enfouissement de déchets nucléaires, il aurait décidé de ne plus voir les militants de Bure comme des malfaiteurs. Toute sa vie, il avait côtoyé le milieu des affaires, suivi les lobbies. Fatigué de jouer la comédie, ce contre-sommet du G20 l’aurait soulagé du poids du pouvoir. N’étant plus président de la France, il se serait laissé définir par le regard de l’écureuil. L’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes n’aurait pas eu lieu. Ces derniers avaient, en luttant sur le terrain, réussi à sauvegarder une zone humide du bétonnage d’un aéroport. La notion de propriété n’aurait plus eu de signification pour Macron quand il aurait appris que Vinci – cette multinationale qui vit au crochet de la société – voulait qu’on lui paye le prix de l’aéroport non-construit. L’argumentation qu’il avait préparée afin de légitimer l’expulsion n’aurait plus eu aucun sens à ses yeux. En effet, pourquoi mettre en avant qu’il s’agit de profiteurs qui ne payent pas d’impôts ? Il aurait su désormais qu’un seul riche qui pratique l’évasion fiscale est un parasite dix mille fois plus dangereux que ces quelques centaines de personnes bâtissant une utopie nouvelle qui tend vers l’autogestion. Les différents lieux de vies des Gilets Jaunes, rentrant en fédération, l’aurait aussi profondément touché. Aucun n’aurait été éborgné. Aucun n’aurait perdu de mains. Aucun n’aurait été tué. Aucun ne serait allé en prison.

La politique n’aurait plus été confinée dans le parlement. Le parlement serait d’ailleurs devenu un lieu où se déroulerait des évènements artistiques allant des concerts aux pièces de théâtre. Chaque semaine, des conférences s’y seraient tenues avec des survivants d’autres cultures et d’autres sociétés que la nôtre s’est autorisée à éradiquer afin d’apporter le progrès. Il y aurait aussi des témoignages de vie non-civilisationnelle, des micros société qui savaient prendre soin des forêts sauvages. On aurait alors décidé de quitter la civilisation industrielle capitaliste qui progressait vers l’extinction de toutes les espèces, y compris la nôtre. Il serait devenu évident pour tout le monde que ce n’était pas cool de dominer l’ensemble de la planète et d’imposer notre modèle économique destructeur. On aurait acté que la liberté d’un individu dépend de la liberté des autres individus. Qu’une société vertueuse, c’est celle qui laisse la possibilité à des millions d’autres d’exister. Sans dominer, prendre toute la place, tout contrôler et exterminer. Les personnes auraient alors repris du pouvoir sur leur vie et commencé à agir localement. Macron aurait cessé de parler. Il se déguiserait afin de ne pas être reconnu et écouterait. De manipulateur des masses, il serait devenu contemplateur d’individu.

Le président Xi Jinping après avoir lu L’Évolution, la Révolution et l’Idéal anarchique d’Elisée Reclus, aurait ouvert les immenses prisons en libérant les Ouïghours et toutes les minorités auparavant oppressées. Il aurait abandonné la reconnaissance faciale. Il n’y aurait pas eu de répression des manifestations à Hong Kong. Cette dernière, comme toutes les villes de Chine et du monde, serait devenue autonome et autogérée, voyant naître plusieurs petits quartiers se fédérant ou non par libre association.

Erdogan, comme tous les chefs d’état, aurait perdu son pouvoir, laissant de fait à la communauté kurde sa propre auto-détermination. Il n’y aurait pas eu d’assaut contre le Rojava. Et l’idéal de municipalisme libertaire de l’écrivain Murray Bookchin continuerait d’embraser les esprits dans la région et au-delà.

La Russie n’aurait pas torturé des anarchistes.
L’Allemagne aurait arrêté de vendre des armes.
L’Arabie-Saoudite aurait arrêté de bombarder le Yémen.
L’Angleterre, les USA, la Russie, la Chine et la France qui sont les cinq plus gros trafiquants d’armes, auraient arrêté d’en produire et d’en vendre.
Et tant d’autres merveilleuses choses que j’oublie ou ne peut pas imaginer, car il faut laisser aux situations révolutionnaires le soin de faire naître les utopies.
Reconnaître que la personne que l’on est aujourd’hui est moins bonne que celle qui se lèvera demain. Et ainsi, quittant l’orgueil conservateur, marcher pas à pas sur le chemin de la perfection, sans jamais s’arrêter.

*

L’immense majorité des concitoyens, par le payement des taxes, participe au développement des usines d’armement ainsi qu’à l’existence de la police et de l’armée. Des armes de guerre, des policiers qui mutilent, des soldats qui tuent. Pourquoi construire des armes, pourquoi les vendre, pour qui ? La France fournit des armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, pays engagés dans le conflit au Yémen. Avec plus de 230 000 morts, ce conflit est qualifié de « pire catastrophe humanitaire au monde » par l’ONU. Sans vouloir faire de hiérarchisation des souffrances, je crois que l’ONU se trompe. Il y a une catastrophe humanitaire plus grave qui se déroule au Congo RDC depuis des décennies avec le trafic d’armement et l’exploitation des minerais. Ces 20 dernières années, on y estime un génocide de 6 à 10 millions de personnes. Selon Amnesty international, 40 000 enfants travaillent plus de 10 heures par jour pour extraire le cobalt qui est utilisé dans les entreprises comme Microsoft, Apple ou Samsung. Ces multinationales devraient être accusées de complicité de génocide. Il y a plus de preuves que dans ce procès.

Voici une citation du livre Pédagogie et révolution, de Grégory Chambat :

« Le but du « Musée du travail » est d’exposer aux yeux de tous l’histoire et l’organisation du travail, de l’extraction des matières premières à la vente des produits finis, avec chiffres de production, prix de revient et valeur de la plus-value tirée de l’exploitation du travail à l’appui. Le résultat ne ferait aucun doute : "Ces muettes leçon ne seront-elles pas plus éloquentes que les vaines clameurs révolutionnaires à quoi s’essoufflent les orateurs d’estaminet ? […] Qu’on se représente l’effet d’une pareil leçon de choses, l’intensité d’agitation, l’extraordinaire crise que déterminerait en même temps chez tous les travailleurs, la conviction que le mal social est partout le même." »

Le problème des grands mouvements politiques est qu’il y a toujours cette réflexion d’atteindre le plus de monde, de faire masse. Les personnes commencent par réfléchir au niveau stratégique avant d’écouter leur cœur. Leurs paroles sont creuses et ne font vibrer plus personne. Il faut parler aux individus, pas aux masses. La masse n’existe pas, elle ne doit pas exister. Je suis inquiet de voir la politique écologiste institutionnelle gagner du terrain en faisant toujours plus de compromis, proposant des transitions énergétiques qui ne sont rien d’autre que du capitalisme vert. Intéressons-nous à l’origine de chaque objet, sa construction, dans quelles conditions. Les panneaux solaires sont construits par l’exploitation des ressources et des êtres humains en Afrique. L’assemblage passe par la Chine et d’autres usines asiatiques aux conditions déplorables. Ce sont des matériaux en plus polluants et la construction – car c’est un business – est victime de l’obsolescence programmée imposée par notre système économique. Les mêmes problématiques entourent les batteries électriques et les éoliennes industrielles. Le documentaire Planet of the humans, bien qu’il puisse être critiquable, permet de creuser ce sujet trop souvent ignoré.
Il ne peut pas y avoir d’écologie avec le capitalisme.
Il ne peut pas y avoir de réforme du capitalisme.

Nous pouvons décider de bâtir dès maintenant des multitudes d’utopies sur les ruines du système économique à l’agonie. Il faut être efficace et donc entraver la course folle avec nos corps et nos actes.
Ayons un impact là où des projets destructeurs s’établissent.
Là où des multinationales détruisent des forêts.
Là où des projets nucléaires compromettent les générations futures pour des millénaires.
Là où les puissants de ce monde se regroupent.
La radicalité de nos actions doit être à la hauteur du désastre.

Pour terminer : toute personne se repliant dans un univers spirituel afin de se réconforter, se rassurer, participe à laisser se faire la destruction de la « création ». Une destruction orchestrée par notre civilisation industrielle capitaliste. Une civilisation comme il en a existé et il peut en exister des millions (ainsi que d’autres formes de société non-civilisationnelle.) Nous sommes actuellement dans la pire, car elle compromet la possibilité à toutes les autres et à elle-même d’exister. Imaginons un instant qu’il existerait effectivement un « Dieu », que ce Dieu nous aurait mis sur Terre et non directement au paradis afin de nous laisser le choix de le suivre ou pas. La première des missions – quelle que soit votre croyance – serait de se battre pour que perdure cette liberté, cette création.

Je suis heureux, parce que j’ai pu dire ce que j’avais sur le cœur sans me restreindre à cause de la peur de la peine ou des conseils stratégiques de mes avocats. Je suis fier d’avoir participé aux manifestations contre le G20, sommet où se sont regroupés les plus grands trafiquants d’armes du monde. Rien n’est encore perdu, chaque instant est à sauver.

Deux citations pour conclure. L’une d’Henri David Thoreau :
« Ainsi, tout malheur n’est qu’un tremplin vers le bonheur. »

Et une autre, de Nelson Mandela, a propos de la prison :
« Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l’étroitesse d’esprit. »

Merci.

10 juillet 2020 VERDICT

La cour rend sa décision le lendemain de cette déclaration, le vendredi 10 juillet 2020. La présidente annonce les condamnations avant d’expliquer et de détailler longuement son jugement – trois heures d’un monologue déroutant où elle admet le vide du dossier, la vacuité des thèses du procureur et les nombreux mensonges de la police tout en condamnant 3 des 5 prévenus à des peines démesurées.

Loïc est condamné à 3 ans de prison ferme (le procureur avait requis 4 ans et 9 mois contre lui). Aucun mandat de dépôt n’est prononcé contre lui, il reste donc libre pour le moment. Les 16 mois de prison qu’il a déjà effectué sont à déduire de cette peine et il est commun en Allemagne de n’effectuer que les deux tiers d’une peine lors de la première incarcération. Notre ami devrait donc théoriquement retourner en prison pour une durée de huit mois. Cela dit, ses avocats décident de faire appel et le procureur en fait autant dans les heures qui suivent. Cet appel étant suspensif, Loïc restera libre jusqu’à ce second jugement qui ne devrait pas intervenir avant un an. D’ici là, aucun contrôle judiciaire ne lui est imposé, il peut donc quitter enfin Hambourg et aller où bon lui semble sans avoir à rendre des comptes aux flics ou à la justice. À suivre donc.

Concernant ses quatre co-accusés, deux d’entre eux, mineurs au moment du G20 en 2017, sont condamnés à vingt « unités de travail social », soit 20 fois 6 heures de ce qu’on appellerait de TIG en France. Deux autres écopent de peines de prison avec sursis (1 an et 3 pour l’un, 1 an et 5 mois pour l’autre). Les accusés qui ont tous été condamnés bien qu’aucun fait concret ne leur soit reproché devront de plus s’acquitter des frais de justice qui pourraient atteindre des sommes très élevées vue l’extraordinaire lourdeur du dispositif judiciaire (près de 70 audiences, 10 avocat·e·s, des experts, des dizaines de témoins etc.).



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