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Le Rosier Petites histoires d’une Zone À Défendre

mis en ligne le 24 août 2018 - Adventices

Préface

Voici quelques histoires. Des histoires de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : un coin de 1650 hectares de bocage situé à une vingtaine de kilomètres au Nord de Nantes, où plusieurs centaines de personnes issues d’horizons différents luttent contre un projet d’aéroport et contre le monde qui va avec.

Pour nous, les histoires ne sont pas des vérités, elles racontent plutôt des points de vue ; et celles qu’on peut déjà lire manquent de diversité.

Alors on est un petit groupe de personnes qui vit sur la ZAD depuis quelques années, réuni par l’envie de recueillir d’autres voix : des voix qui ne sont pas toujours héroïques ; des voix de personnes qui n’ont pas forcément l’habitude d’écrire ; des voix dissonantes.

Parce que plutôt que d’entretenir des mythes, on a envie de raconter des échecs, des hésitations, des doutes autant que des réussites et des moments forts. Parce que c’est ce qu’on vit et ce qui nous fait apprendre des choses.

Pour commencer, on s’est raccroché.es à un lieu, le Rosier, qui fêtait ses dix ans cette année. C’est un prétexte, un point de départ pour titiller des vécus, des analyses et des ressentis. On a trié des archives, fouillé dans nos mémoires, proposé des ateliers d’écriture et interrogé des gens qui vivent ou qui ont vécu sur cette zone. Cette brochure en est le résultat.

On n’y trouvera pas tout, mais on y trouvera ce dont on s’est souvenu, ce que l’on a réussi à rassembler et ce qui nous a semblé pertinent de mettre ici.

On espère que c’est une première étape pour continuer de raconter d’autres histoires, en prenant d’autres prétextes. Alors bonne lecture, et à bientôt !

Quelques adventices, décembre 2017

Guide de lecture

Certains (pré)noms ont été modifiés ; par souci d’anonymat, parce que nous n’avons pas reçu le consentement de chacun.e (ni demandé).

Beaucoup des textes que vous vous apprêtez à lire sont issus de conversations enregistrées à l’aide d’un microphone, puis retranscrites. Pour maintenir un juste équilibre, entre lisibilité et authenticité du contenu, nous les avons allégés de certaines redondances (« euh… », « du coup », « en fait », « donc », « en vrai... »).

À propos de la féminisation des textes : nous avons choisi de l’employer au maximum parce que nous y tenons politiquement. Cependant nous n’avons pas voulu modifier les contributions, certaines ne sont donc pas féminisées.

Nous nous sommes donné comme limite éditoriale de ne pas publier de contenus méprisants et/ou qui renforcent les dominations structurelles (sexisme, racisme, etc.). Nous assumons donc de ne pas faire apparaître certaines contributions.

Nous avons également décidé de ne pas uniformiser la syntaxe propre à chacun des textes, parce qu’elle traduit directement la sensibilité de leurs auteur.es. On peut donc lire état/État, ZAD/zad/Zad, etc./et cætera.

Adventices signifie « ce qui vient du dehors, qui est acquis », par opposition à « ce qui est inné », c’est-à-dire déterminé à la naissance. Les plantes adventices sont celles qui poussent dans les cultures sans y avoir été semées.

Le 9 Septembre 2017, nous fêtions les 10 ans de l’ouverture du Rosier, et avec elle les 10 ans de l’occupation illégale de la ZAD.

Nous avons retranscrit l’heure d’enregistrement que les copain.e.s de Radio Klaxon ont fait ce soir-là. Y’a moyen de trouver l’ensemble de l’enregistrement en passant au bus de Radio Klaxon.

Ça commence :

« On va se raconter des histoires. Y a des gens qui avaient envie de raconter des trucs, et peut-être d’autres gens qui avaient envie d’entendre des histoires, et ce qu’on proposait en fait, c’était de faire les deux, de raconter et de demander.
- Si y en a qui connaissent des histoires faut qu’ils les racontent hein !
- Ce qu’on se disait, peut-être, pour que ce soit plus facile de se lancer, c’est qu’on pouvait distribuer des petits papiers et qu’on met soit une question, soit un thème dont vous aimeriez bien entendre ou raconter l’histoire, et qu’on peut les mettre dans un genre de chapeau et après on tire.
- Y a pas de micro ?
- Y a pas de micro.
- On a qu’à parler fort.
- Ah, de micro pour parler fort non, mais y a un micro pour enregistrer, […] c’est pour Radio Klaxon. Si y a des personnes qui veulent pas être enregistrées y a qu’à me faire signe et puis j’arrête. »

Il était une fois... 2007, le premier squat

« Bin moi j’trouve que la question qu’il posait Paul, elle est chouette : qui était là avant au Rosier ? Ça me dirait bien.
- Y avait pas Marcel Alain ?
- Alors Marcel Alain il est parti…
- Il aurait 87 ans, il était de l’âge de mon mari…
- Il avait des vaches à lait… Puis il est parti à la retraite.
- Depuis longtemps. Parce que le problème, c’est que cette ferme là faisait partie de toutes les fermes de la ZAD, que le Conseil Général avait acheté les terrains et il n’avait pas entretenu les bâtiments. Les fermiers qui partaient, en général, y avait pas de reprise de maison, de ferme ; donc c’est le voisin qui avait une grande ferme à côté, SD, qui a pris les terrains, les hangars, et pas les maisons.
Donc la maison était libre, et ça a été pendant quelques années la mairie qui avait trouvé des gens pour loger. Je crois que c’est des gens qui étaient sans abri, et qu’ils ont logé provisoirement là-dedans. C’est la mairie qui s’en occupait, le CCAS [1] quoi. Et d’un seul coup ce gars est parti, on sait pas pourquoi d’ailleurs.
- Et puis, SD, il faisait aussi les terrains. Donc, ce gars-là d’un seul coup il a disparu, peut-être parce qu’il a trouvé du boulot autre part. Et la maison est restée vide pendant quelques semaines, pas beaucoup, et puis y a eu des contacts de pris avec des gens de St-Herblain et d’ici, pour occuper la maison. Des gens d’un collectif qui étaient là-bas depuis déjà quelques temps, qui squattaient la maison du… le Fouloir. C’était la première occupation, en 2007. »

« Moi j’ai une question, ça veut dire que les Alain, la famille, ils étaient locataires ?
- Oui.[...]
- Mais la maison elle était pas à eux ?
- Le Conseil Général voulait pas mettre des paysans dedans.
- C’était déjà au Conseil Général, avant que les paysans ils partent en fait ?
- Oui oui oui, plusieurs cas dans la ZAD c’est comme ça hein ! Quand les gens sont partis en retraite, plus personne pouvait prendre la ferme parce que c’était pas entretenu, et puis c’était les paysans à côté qui en avaient déjà grand, mais qui voulaient encore s’agrandir. Et ils se sont agrandis tous en général, comme ça sur des fermes qui ont pas été renouvelées. Les Planchettes, tout ça, ça a été le même cas. [...]
- Et puis y avait L., un paysan à côté qui gérait des veaux, des cochons, qui est toujours là, dans le voisinage, et qui était dans le coup à ce moment-là pour occuper ici. Y a eu des démarches de faites avec le Conseil Général, pour voir si y avait moyen de faire un bail ou un accord sur cette maison-là. Et puis le maire de Couëron, qui était au Conseil Général, l’a envoyé au maire de Vigneux. Et puis le maire de Vigneux, au départ il était d’accord de faire un bail aux jeunes qui vivaient ici, puis quand ils ont vu la façon dont ça tournait, ils ont peut-être vu les gens qui venaient ici... La mairie voulait plus faire d’accord. Donc les gens sont rentrés à ce moment-là, sans accord avec la mairie.
- Qui est-ce qui était le maire à cette époque-là ?
- Oh c’était le notaire. Ou le toubib. »

« Moi j’ai encore une question. Est-ce que les gens qui sont venus habiter là en 2007, ils savaient qu’il y avait le projet d’aéroport ?
- Oui oui, ils venaient pour ça. Faut dire que c’était depuis 2000-2001 que le projet avait été remis en route. Pendant 25 ans, ça avait pas bougé, ils avaient seulement acheté les terrains et pas refait de bail. Et puis après, quand même, ils ont été vite dans les démarches. Y a eu les enquêtes, les débats publics, tout ça... Puis à partir de ce moment-là, ça devenait sérieux quand même. [...]
[Au Rosier] y avait un problème d’eau, parce qu’ils avaient demandé à la mairie qu’ils leur installent l’eau, parce que l’eau était pas potable ici. Mais la mairie voulait rien faire. Alors elle et ils ont nettoyé le puits, puis ont habité là.
Ils étaient trois, y avait Yann, y avait Noémie, et Fl. […]
- Quant à SD, il mettait son foin dans le hangar, et puis la maison était là, toute habitée par les trois-quatre personnes. Y avait le jardin qui était ici, devant là, qui avait des sacrées tomates qui étaient comme ça ! Et puis on a ouvert le jardin à ce moment-là, aux Fosses Noires.
- SD lui, il était à Bellevue ?
- Oui, oui. Et puis y a eu là-bas un jardin collectif, un peu avec les gens des Q de Plomb. C’était pas les paysans je crois, c’était les habitants de Notre-Dame.
- Les habitants qui résistent. Y en avait aux Fosses Noires, au Liminbout, et puis ils ont fait les Q de Plomb avec les gens du Liminbout et d’ici.
- L’histoire des Q de Plomb je crois que ça venait du fait que les squatteurs allaient boire des coups chez ces habitants, et le “Q de Plomb” c’est parce qu’ils repartaient jamais très vite quoi, ils avaient le cul plombé autour de la table.
- Je crois qu’ils avaient quand même envie de plus avec les gens des voisins. Ils ont fait un jardin là-bas, à cultiver pendant deux ans ou trois ans, après ils ont fait des poulets, ils ont fait de la viande avec le Liminbout tout ça, ils ont vraiment travaillé collectivement.
- Oui, l’idée c’était de produire sur place pour faire des repas collectifs comme il en existe encore aujourd’hui avec l’auberge du Liminbout.
C’était le début de ça quoi.
[...]
- Faut voir qu’y avait aucun zadiste sur la ZAD. C’était les gens qui habitaient avant.
- Ah non non non ! Y avait pas du tout de zadistes ! Mais y avait les Q de Plomb, qui représentaient les gens comme les habitants de la Sècherie... Y avait plein de gens sur la ZAD qui habitaient ou travaillaient, et puis c’est ceux-là qui, quand même, amenaient un soutien aux personnes qui se sont installées ici.
- Après en 2007, y a des gens qui étaient d’ici, avec Q de Plomb et tout, qui ont déjà lancé l’idée d’une occupation de la ZAD. Ça a déjà été à l’ordre du jour, y avait des réunions, y avait des débats un peu, mais ça mordait pas fort... »

Histoires lointaines

Pourquoi

Parmi d’autres copains, Yann, Elodie, Fl. et moi habitions au Fouloir, à Saint-Herblain, et nous étions expulsables. Nous cherchions un autre lieu où habiter et faire évoluer un projet de vie collectif lié à la terre. Un de nos camarades était en lien avec Paul B, où ils se retrouvaient au jardin partagé de Couëron.

Nous étions au courant du projet d’aéroport et de ces maisons qui se vidaient.

Mon camarade Fl. et moi venions de passer notre diplôme des Beaux Arts.

Perso, mes réflexions artistiques s’attardaient entre autres sur le mode de vie, j’étais un peu paumée, je ne me projetais pas très concrètement sur ce que j’allais faire, d’ailleurs je ne savais rien faire, mais j’avais confiance dans les gens avec qui je vivais, je n’avais pas grand chose à perdre. Au moins ici, à la campagne, je construisais.

Comment

Paul a fait l’intermédiaire entre nous et Julien Durand ainsi que d’autres personnes de l’Acipa. Nous sommes passés les rencontrer au pique-nique annuel qu’ils organisaient, afin de leur faire part de notre envie de s’impliquer dans la lutte mais aussi de cultiver la terre, ce qui pour nous était déjà une façon de lutter.

Avec des personnes de l’Acipa nous avons fait le tour des 12 maisons vides.

Vides car le Conseil général avait mis des loyers onéreux sur des maisons dites standing ou alors trop vétustes (pas d’eau pas d’électricité). Le CG visait sans doute l’insalubrité d’un grand nombre de ses biens autrement dit leur destruction à petit feu.

Parmi ces maisons il y avait le Rosier, cette charmante maison pour laquelle il avait laissé la gestion à la municipalité de Vigneux-de-Bretagne. Il se disait que le maire de l’époque laissait cette maison en pseudo location à un pote qui s’en servait comme « garçonnière »…

En tout cas, quand on a fait le tour des maisons début août, elle était bien vide depuis des mois.

Le Rosier

Nous avons investi les lieux fin août 2007, commençant les premiers chantiers de remise en état par un assainissement des murs pour faire respirer les pierres. Puis, nous avons aménagé des chambres pour chacun, un espace commun en repensant ses volumes, toilettes sèches dans la maison avec une sortie en direct pour la grosse poubelle, c’est quand même plus confortable.
Le potager à l’arrière était tellement trempé qu’il fallait faire des tranchées.

À une tête de bêche de profondeur, t’arrives à l’argile, et ils veulent faire un aéroport se répétait-on...

Des éléments liés au bon fonctionnement de la maison manquaient, comme une pompe et un baromètre pour remplir le réservoir d’eau. Comme nous étions en fin de saison, nous n’avions pas de bois et pas de légumes. En bons citadins on essayait de faire les courses comme d’habitude, mais c’était un peu loin, on s’organisait.

Deux jours après notre arrivée, un certain P. que nous ne connaissions pas, prend le chemin de la maison, il descend de sa voiture, se présente ; il habitait sur la ZAD aux Fosses Noires, il était venu voir l’état de la mise en eau et nous avait apporté des légumes comme acte de bienvenue.
Alain B à été au cœur de nos présentations avec quelques habitants qui sont devenus nos ami-es. Il nous a dit où aller chercher du lait, où acheter des légumes.
Ce territoire nouveau pour nous avait cet aspect schizophrénique, d’un côté un accueil prévenant et chaleureux de l’autre beaucoup de méfiance envers des étrangers, jeunes, et surtout dits squatteurs… Nous montrions pattes blanches.

L’ACIPA et l’ADECA étaient les seules assoc’ opposées au projet. Nous sommes allées au réunion de l’ACIPA mais nous n’arrivions pas à trouver notre éthique dans ce qu’il se disait, de l’autre côté nos relations devenaient de plus en plus fortes tant amicalement que politiquement avec 4 familles habitant depuis longtemps sur les lieux.

Anecdote

Le Rosier c’est aussi le tournage d’un court-métrage genre série Z, avec Béranger Laymond. C’est ce tracteur de malheur qui arrivait à fond avec SD et son fils (ils avaient la grange accolée à la maison) qui nous regardaient avec des yeux pleins de haine. C’est la DJ mobile de Solide Garçon et ses musiques paillardes.

Les fêtes mémorables 4 fois par an. Le cubi de rouge des Karoget qu’on buvait comme du petit lait... il a fallu qu’on arrête d’en acheter. C’est les 3× 8 que nous ont fait faire Claude, Patrice et Alain.

Le kangourou un soir dans les phares de la bagnole. Le verre de Claude à 20h posé sur le comptoir de la cuisine...

Municipal

Au printemps 2008, est élu, pour son opposition au projet, un nouveau maire à la municipalité de Vigneux. Ayant à sa gestion notre maison et voulant lui permettre de poser un acte fort comme preuve de son opposition, nous lui proposons de régulariser notre situation. Il vient en juin/juillet avec son adjoint, pour voir la maison et nous rencontrer.

Le contact s’établit et le bail sera signé en septembre, le temps de prendre une assurance et de préparer le contrat. Sauf qu’après l’été, les choses ne sont plus si simples, la maison n’est pas aux normes et s’il arrive quoi que ce soit, nous sommes sous sa responsabilité. Ils nous envoie deux entreprises pour faire des devis. Ce qui est en cause : l’éléc’ et un conduit de cheminée qui touche la charpente. Les devis (de tête 20 000 €) sont évidemment trop élevés et comment pourrait-il justifier ça auprès des contribuables blabla...

Nous rentrons dans sa logique et déjouons ses arguments grâce au soutien qui nous entoure. Il s’avère que nous sommes en relation avec un électricien et un charpentier ; nos contre-devis s’élèvent à (de tête) 5 000 €. Cette somme serait remboursée par nos loyers modiques, durant le temps de son mandat. Mais rien à faire, au bout de quelque temps il ne veut plus nous recevoir et ne nous répond plus. Nous allons au conseil municipal pour avoir des réponses mais nous sommes reçues par la gendarmerie.

Les habitants qui résistent avaient signé et lu un texte à l’occasion du pique-nique (ACIPA) annuel suivant mettant en parallèle divers faits et incohérences des politiques locaux.

Les habitants qui résistent

En hiver 2008, ces 4 familles et nous décidons d’organiser un événement débats/concerts autour de ce monde qui marche sur la tête. La préparation de cet événement vise à rallier d’autres personnes des environs bien concernées par cette lutte. Ce qui a permis d’allier nos forces et d’aller plus loin dans la réflexion (juridique, politique, action, position). C’est en cette occasion que le tract à été signé pour la première fois « Les habitants qui résistent » 1er mai 2008 au Liminbout.

Les géomètres

Malgré pas mal de désaccords avec certains locaux et certaines prises de position de l’Acipa, nous avons mené à bien des actions qui ont été suivies ensuite par ces derniers.

Comme par exemple, empêcher le travail des géomètres. Je me souviens d’une fois où nous étions 4 pélos dans le champs avec une pancarte contre le projet devant son trépied. Le géomètre est arrivé en disant qu’on le gênait et que ça serait bien qu’on parte ; nous lui avons répondu que c’était le but et que c’était à lui de partir, il était perplexe. Si je pars, nous disait-il, « il faudra que je fasse un rapport à mon patron », nous lui avons dit que c’est exactement ce que nous voulions, qu’ici il ne pourrait plus travailler tranquille. Que nous ne voulions pas de cet aéroport, mais que nous pouvions en parler avec lui si il le souhaitait.
Mais qu’en tout cas son travail était terminé. Les semaines qui ont suivi, il a joué au chat et à la souris avec nous. Un jour, on a même dû l’escorter jusqu’à la 4 voies, car il tournait de champs en champs.

J’ai le sentiment qu’à partir du moment où on a formé un petit groupe affinitaire, les actions se sont un peu décoincées et on a trouvé notre place, sans doute sans le vouloir, « protégés / légitimés » par les locaux.

Les Q de plomb

En 2008 avec Claude, Christiane et les 3 habitants du Rosier, nous avons cultivé une parcelle en potager sur les terres des Fosses Noires. Nous avons aménagé des espaces pour les poules, les lapins, les poulets, les cochons, ainsi que commencé les travaux dans la grange du Limimbout. L’idée était de cultiver et élever suffisamment pour nourrir 7 personnes à l’année, nous avions pris le nom de « Les Q de plomb ».

Pour démarrer cette aventure, nous avons proposé une souscription à qui voulait nous soutenir. Ce qui a donné l’occasion de faire une grande fête, une sorte de banquet. Nous y avions servi des moules frites, les deux années de suite, puis la troisième année nous avons préparé un plat avec notre production, le repas était prix libre, seul l’alcool était prix coûtant. Nous attendions entre 50 et 200 personnes. Grâce à ce banquet devenu annuel, nous pouvions faire rouler ce projet pour un an.

Les gens qui y venaient, au début, étaient essentiellement les locaux et les gens de Nantes ; au fur et à mesure du temps, certains locaux ne sont plus venus, sans doute trop de « squatteurs » à leur goût.

C’est loin maintenant tout ça, j’ai la sensation d’un plein d’énergie et d’envie, comme si tout était possible et que tout était à faire. Nous trouvions les soutiens nécessaires malgré des coups de gueule et les désaccords.

Camp Action Climat

Cet été là [2009], bien des gens sont venus sur la zone, des rencontres, des débats des événements, des balades, etc.

C’est à la fin de cette semaine que certaines personnes décidèrent de faire un appel à rester. 12 personnes ont été hébergées, elles ont occupé la Gaîté ; certaines se sont construit des cabanes. De fil en aiguille les rangs se sont étoffés.

Rien à voir

Suite à un fait s’étant déroulé au super U de Vigneux, un article dans le Ouest-France est édité avec comme titre « LE VRAI VISAGE DES ENCAGOULÉS ».
Loin de s’imaginer un truc comme ça, j’étais avec mon camarade au potager, un ami arrive nous montrant ce torchon qui nous désignait très clairement.
C’était pas très éloigné de l’affaire Tarnac. À ce moment précis, j’ai eu peur. L’article parlait du Fouloir, des autonomes, il faisait des amalgames entre les façons de se vêtir, les milieux sociaux, les pensées philos et politiques et terminait par l’histoire de la négociation des squatteurs du Rosier avec le maire de Vigneux.

Un tri naturel s’est imposé à nous quant à la teneur de nos relations avec les locaux. Nous avons pris la décision de porter plainte pour diffamation.
Le procès à eu lieu environ 1 an après, le juge ne porta aucun intérêt à notre affaire déclarant qu’il ne voyait pas l’atteinte néfaste portée sur nous suite à cet article.

Nouvelle vie pour le Rosier

En 2010, la première brochette de 4 (puis très vite 3) se délitait, nos chemins de vie prenaient des virages ou des angles à 90° les uns des autres.
Nous passions donc le relai du Rosier à Valérie et Carole, qui vivaient à mi-temps avec d’autres.

Le Tertre

Je me souviens qu’avec Fl. nous lorgnions sur la maison du Tertre chaque fois qu’on prenait la route du chêne des Perrières. Un jour cette maison à l’allure de petite gare n’avait plus d’huisseries et son toit était cassé. Son proprio l’avait vendue et deux molosses avaient été payés pour lui enlever son étanchéité, afin qu’elle ne soit pas occupée et qu’elle se dégrade.

Dès que nous avons constaté ces dégâts, nous nous sommes regroupés et nous avons décidé très collectivement de lui remettre ses fenêtres, ses portes, sa toiture, son eau et quelqu’un dedans. Durant un mois les menuisiers/charpentiers travaillaient à la confection des fenêtres et des portes, les autres préparaient aussi le chantier et ce 1er mai 2010 en une journée tout était remis en état et j’ai passé ma première nuit dedans. C’était une très belle action.

Les choix

Malgré ces moments de vie pas forcément joyeux mais en tout cas super riches, je retrouvais le besoin viscéral de me replonger dans l’art. Sauf que je préférais aller faire un appentis ou une autre construction, plutôt que d’avoir un travail « d’atelier ». C’est ce qu’on appelle le cul entre deux chaises.

Je savais que j’allais partir, rien n’était plus pareil au fond de moi, je faisais des rêves terribles de lâcheté ; Claude était là, il comprenait tout, me conseillait, me rassurait. J’ai quitté le Tertre le 14 octobre 2011.

J’ai pas gardé beaucoup de liens, certains ne sont plus que symboliques, d’autres sont réels et très forts. Je ne reviens quasi pas. Après être partie, j’ai bossé la sculpture et l’installation, digérant ces 4 années à Notre-Dame.

De loin

La ZAD est un très bel exemple de lutte, nous avons gagné sur pas mal de points. Ce qui n’était pas facile au départ, nous avons pas mal de fois baissé les bras. Dans ces cas, grâce au regard extérieur de personnes concernées par des luttes similaires (extension de l’aéroport d’Heathrow) nous retrouvions la force et l’énergie d’échafauder de nouveaux espoirs.
Je ne pensais pas être une des pionnières de ce qui se passe actuellement.
Parfois en visite je me sens toute petite face aux projets rondement menés de certain.es. En tout cas, vu de loin, ça se gère ! Plutôt bien même.

C’est sûr ce projet n’aura pas lieu. Reste à garder espoir que ce territoire de non-droit en reste un !

Noémie, Janvier 2018

Causeries

« Causeries », c’est une grande conversation retranscrite que l’on a disséminée en plusieurs parties nommées « (non)-actes ».

(Non-)Acte 1

« Non mais je pense, il y avait des désaccords depuis beaucoup plus longtemps.
- Ouais mais y avait pas d’appel à occupation ?
- Non pas vraiment... Ici c’était un peu le truc où les assos de lutte historiques ont perdu le contrôle sur ce qu’il se passait, parce qu’il y avait plein de gens qui débarquaient, qui faisaient ce qu’ils voulaient, et c’était les squatteurs, c’était pas leur réseau... ils avaient pas le même contrôle que sur leur asso et les paysans.
Du coup, ça a changé un truc pour certains d’entre eux. Ils ont vu la lutte se renforcer, mais ils ont perdu du contrôle sur la possibilité de la diriger...
Sur le site de la ZAD, il y a un texte trop marrant, sur la lutte du Pellerin en 1975. Vous voyez où c’est, c’est en face de Couëron. Ils voulaient construire une centrale nucléaire, et y avait une lutte contre ça. Et y a une lettre, qui est écrite par le “comité de Couëron”, à “la coordination de la lutte”, après une manif, pour dire qu’il faut arrêter de cracher sur les casseurs...
- En 1975 ?!
- ... et que c’est normal si le comico de flics s’est fait attaquer, et qu’il faut arrêter de se dissocier...toute une lettre comme ça ! Et là tu te dis “Ah ! Le comité de Couëron, la coordination... y a pas grand chose qu’a changé finalement !” »

(Non-)Acte 2

« D’ailleurs ça c’était très drôle aux dix ans du Rosier, le copain qu’est dans la lutte depuis longtemps, il racontait le début de l’occupation du Rosier, c’était vraiment rigolo... J’sais plus comment il prononce le truc, mais en gros il disait : “On connaissait des gens qui cherchaient une maison, nous on connaissait des maisons vides, alors ils sont venus s’installer, tout ça...”. Et plus tard dans le discours il ressort : “Ben faut pas se voiler, c’était un peu... mou quoi, la lutte, fallait mettre un petit coup de pouce quoi...”. Ouais alors en fait : t’es allé placer tes billes ! T’es allé voir tes copains squatteurs, tu leur as dit : “Bon c’est un peu mou par chez nous !”. Tu le sentais trop dans la manière dont il le racontait, petit
petit... Hop ! on arrondit le machin ! En fait... t’as juste motivé une occupation parce que tu trouvais ça mou du genou les mouvements citoyennistes !
[rires collectifs]
- Faut pas s’voiler ! [entre guillemets]
- Il arrivait à dire ça de manière diplomatique...
- Ouais hein, j’ai trouvé ! Ça sonnait pas trop procès des uns ou des autres, ce qu’il a dit à l’anniversaire. Mais pourtant, y a un peu de ça quand même...
J’aime bien : y a d’autres gens qu’ont demandé “mais comment ils ont eu l’idée de venir occuper ici ?”
Ben... oh ils ont trouvé... ! [rires] »

Premiers travaux, Camp Climat : la lutte décolle et ça mord sûr !

Extraits des 10 ans du Rosier

« 2008 c’est un peu le début des forages, sondages, pour évaluer le projet etc., faire des travaux d’étude... Et du coup, c’est les premières mobilisations sur le terrain, avec les géomètres qui venaient un peu tout le temps. C’est à ce moment-là qu’il y a eu des appels à venir sur le terrain pour empêcher la foreuse de rentrer dans un champ.
- Et du coup, y a tous ces travaux-là et pendant un forage y a deux camarades qui… Y avait pas encore beaucoup de gendarmes qui encadraient les travaux à ce moment-là, et y a deux camarades qui accèdent au camion de l’entreprise de forage et en sortent les échantillons de terre et les détruisent, et qui sont passés en procès derrière ça. Après y avait toujours plus de gardes mobiles et de troupes qui encadraient les machines, mais y avait aussi de la mobilisation.
Et là les gens, les habitants qui résistent, se sont aussi retrouvés face au fait que sur le terrain il allait se passer beaucoup de choses et qu’il allait falloir aussi plus de monde qui était prêt à être présent sur le terrain, pour voir ce qui s’y passait, aller courir après telle machine ou aller courir après telle entreprise. Du coup, à la suite du Camp Action Climat de 2009, enfin durant le Camp Action Climat de 2009, y a eu un appel à occupation qui a été rendu vachement plus public.
Et la semaine d’après les gens se sont retrouvés à la Gaîté, une vingtaine-trentaine de personnes. […] »

« Est-ce que quand y a eu l’appel à occupation y avait d’autres luttes qui avaient été dans l’imaginaire… Est-ce qu’on s’est dit “ah là-bas ils ont fait comme ça on aurait qu’à faire pareil” ou “on invente, on verra bien, il faut qu’on soit plus et aviser” ?
- De quoi les gens se sont inspirés, je pense que c’était un peu… J’ai l’impression qu’y avait pas tellement de modèle d’inspiration, que y a plusieurs maisons qui s’ouvrent, et qui s’ouvrent hyper facilement… ’Fin rien à voir avec le fait d’ouvrir un squat en ville parce que, peut-être les gendarmes allaient passer, mais y avait vraiment pas de menace imminente d’intervention.
Alors à chaque fois qu’y avait des maisons vides, elles ont été ouvertes sans beaucoup de stress ou de précautions. Et ça a grandi comme ça, avec un appel à occupation qui a beaucoup été propagé. Et puis, tout au long, des conflits avec des gens qui se disent “est-ce qu’il vaudrait pas mieux qu’on arrive à densifier nos liens et à mieux se comprendre pour avoir de la stratégie en commun, ou est-ce qu’il faut être toujours plus nombreux ?” Et du coup voilà, ça a toujours été des questions stratégiques. Au final, j’ai l’impression que le mouvement d’occupation ça a toujours été d’être toujours plus nombreux.
- Le Camp Climat si tu veux ça a été déjà ce groupe qui depuis un an ou deux parlait déjà d’occupation et ont pris leur autonomie. Parce qu’on faisait tous partie à ce moment-là de l’ACIPA, vu qu’y avait pas de groupe ici organisé, à part les Q de Plomb. Et l’ACIPA avait fait une fête annuelle, comme ils font tous les ans, et puis le Camp Climat, on s’est mis un peu en dehors de ce truc-là.
On avait nos stands, nos chapiteaux, et le débat on l’amenait un peu en parallèle avec eux, on venait chez eux quoi. Puis c’est ce qui a permis d’aller plus vite, en une journée on a avancé beaucoup sur l’occupation, parce qu’on a mis le débat là-dessus.
Si bien que le soir même tout le monde était décidé, on a traversé le Camp Climat avec des slogans vraiment… “Occupation des terres” et tout. Si bien que dans la nuit entre les deux y avait un peu un conflit, puisque y en a même qui jetaient du fumier d’un stand à l’autre, alors... Mais bon c’est une petite histoire de rien ça !
- Bin c’est le conflit entre auto-organisation et parti politique quoi.
- On a parlé d’un No-Man’s Land dans ce camp ! Y avait vraiment d’un côté tous les barnums avec tous les drapeaux de partis et tous les machins, et puis de l’autre côté la zone auto-organisée, où c’était vraiment net quoi, ça se mélangeait pas, c’était assez drôle.
- Après, pour mitiger un peu cette histoire-là, moi quand je suis arrivée avant le Camp Action Climat, c’était les habitants qui résistent, mais c’était aussi des gens de l’ACIPA qui sont venus nous rencontrer, nous montrer des endroits, pour discuter avec nous. Et parce qu’aussi leur attente forte dans la défense des terres agricoles c’était qu’il y ait des jeunes qui viennent s’installer pour avoir des projets agricoles.
- Parce que, le Rosier s’est installé deux ans auparavant, mais y a eu de nouvelles installations qui se sont faites.
- Je pensais à l’occupation des Cent Chênes, où y a eu une occupation qui était plutôt autour d’un petit événement festif, qui fait qu’il y a eu de la rencontre.
Et dans cette rencontre, les habitants qui résistent, qui étaient quand même des gens qui payaient leur loyer etc, ont trouvé une possibilité de coexistence avec des gens qui étaient pas comme eux. Et ils se sont ouverts à cette éventualité que “peut-être y a des gens qui sont pas comme nous, qui peuvent venir s’installer ici, et comme ça on constitue une force ensemble”.
Et que ça peut se passer plutôt bien.
- Et faut voir aussi que la stratégie du Conseil Général c’était la stratégie du vide. Toutes les maisons elles sont préemptées [2], du coup la plupart sont rasées.
Y a des gens qui en bataillant ont obtenu des baux précaires sur des lieux, mais plutôt l’idée c’était de vider la zone quoi. Y avait plus de permis de construire possibles, y avait déjà la Zone d’Aménagement Différé, qui est devenue la Zone À Défendre ou la Zone d’Autonomie Définitive. »
[...]

Se donner de la force

« Un truc qui m’a marquée dans ce lieu, c’est l’énergie qui y existait pendant les expulsions.
Elles ont duré, les expulsions au Rosier, vu que la maison a été détruite que fin novembre...
C’était bien ça. Ça faisait un peu comme une base qui tient encore dans la tempête, maison en dur, un lieu où se retrouver, capter des potes, dormir, prendre son souffle... Je pense qu’il y a vraiment pas mal de monde qui y est passé à ce moment-là, vivre un bout d’ça.
Moi ça m’a touchée, énorme, comme une bouée de survie cette maison. J’étais larguée, perdue sinon. L’ambiance qu’il y avait m’a attachée à ce lieu, affectivement. Y’a même des tonnes de gens qui étaient venus là, sur place dans les sleepings, dans le champ d’a côté, pour défendre la maison au moment où on l’a crue le plus expusable. Des cantines collectives, des crews de potes parfois avec matos, avec de la motiv, et plutôt une chouette attention les uns aux autres [3]... Y’a eu vraiment un truc fort d’ouvrir la baraque aux gens, une grosse culture d’accueil du crew “habitant-es”.
J’ai été très impressionnée par cette force je crois....
Finalement les keufs sont venus quand l’attention s’est baissée, un lendemain de fête. Un classique non ? »

« Mais qu’importe finalement “Ce qui s’est vécu, ils ne pourront jamais nous le reprendre”.
C’est là où ça me reste cette énérgie. Comme si l’important n’était plus tant “est-ce qu’on va gagner cette bataille ?” que “qu’est-ce-qu’on veut faire, projeter ensemble ?”.
En discutant avec des habitant-es de la maison j’ai entendu et appris une idée qui a changé ma manière d’appréhender la venue des condés.
Cette idée de mettre plus d’énergie à rêver l’après, qu’à les attendre.
De pas les attendre justement. Penser l’après veut dire ne pas faire avec leur calendrier, leurs choix, leurs dates. Savoir se dire, “on va pas gagner la bataille sur un plan militaire là, et est ce qu’on a vraiment l’envie d’aller à la castagne ?”. Fallait voir aussi comment tenir après les maisons détruites, les potes arrêtés, écroués, la fatigue.
Moi j’étais un peu dans l’énergie du désespoir et être déterminé, je croyais que c’était ne pas partir, ne rien lâcher. Se baaattre quoi ! Mais se battre contre quoi ? Se battre, c’est quoi dans ce contexte ?
Et là, on me disait de laisser les condés à leur moisitude. Ça parlait de Sème ta ZAD, en mars, d’une grosse marche, manif pour semer, planter, penser déjà les prochaines saisons, récoltes... et laisser la maison aux keufs quand ils viendraient. Partir le cœur joyeux, ensemble, parce que c’est nous qui l’aurions choisi.
J’avoue ça m’a paru fou pendant un bon bout de temps : laisser la maison !!! De nous même en plus ! Ne même pas opposer de résistance aux flics et leurs pelleteuses !!!
On a débattu, discuté pas mal, je trouve sans trop de jugements.
On a avancé ensemble je crois, ça m’a bousculée. Mais finalement, oui, puisqu’on peut espérer que tout soit complémentaire, pourquoi pas. Décider de partir et de plus accorder d’importance aux condés, c’est aussi une stratégie sacrément pleine de détermination ! Pendant ces semaines toutes boueuses ça a beaucoup discuté stratégie au Rosier, j’pense qu’on s’est un peu tous co-formés/ questionnés.
Et je trouve vraiment chouette qu’il y ait eu cette énergie de penser le futur, rêver ensemble un peu, et sans trop de prétention. J’ai de la chance d’avoir partagé de ces réflexions j’crois...
C’est bien parce qu’il y avait eu là de la place pour rêver que j’ai pu avoir envie d’y habiter un jour ! »

Rosier et communauté

Le Rosier, c’était pour moi, quand j’habitais en cabane en centre ZAD à l’hiver 2011, une des « vraies maisons » où aller prendre une douche chaude l’hiver. Un endroit où l’on a un peu peur de déranger, mais où l’on est toujours bien accueilli. À ce moment là, il n’y avait qu’une vingtaine de lieux de vie squattés sur la ZAD et en hiver, quand les visiteurs saisonniers sont partis et que la moitié des occupant⋅e⋅s sont dans leurs familles pour les fêtes, on était seulement quelques dizaines. Je me rappelle de soirées avec tou⋅te⋅s celleux qui restent ou presque dans la pièce commune de la maison des Rosiers.
C’était pour moi des moments où on faisait vivre un sentiment de communauté entre occupant⋅e⋅s, ces moments où l’on ne se pose pas trop la question de qui est invité⋅e ou pas quand y’a une fête, parce que de toute façon on est si peu nombreux⋅ses que pour être assez, il faut être tou⋅te⋅s là.

Ces hivers dans l’humidité, mais aussi la solidarité de celleux qui restent là sont des très bons souvenirs pour moi, comme la nostalgie d’une période révolue.

Depuis, il y a eu 2012, l’opération César, la destruction de nombreuses maisons.

Ma cabane de l’époque et les Rosiers en faisaient partie, parmi tant d’autres.

Et moi, j’étais de celleux qui croyaient que quand les flics viendraient expulser la ZAD, illes gagneraient. On se préparait à faire qu’illes en chient, qu’illes hésitent
venir, que ça leur coûte cher. Mais pour moi c’était quasiment sûr qu’illes finiraient par gagner. On discutait déjà de comment continuer la lutte contre le projet d’aéroport autrement qu’en vivant sur le terrain. Et il y a eu cette résistance incroyable qui a fait venir tant de personnes et de groupes différents, pour quelques jours, pour quelques semaines ou pour s’installer. La lutte contre l’aéroport et son monde est sortie d’une certaine confidentialité. Plein de gens on rejoint ce qui devenait un mouvement de lutte. On a vu les fruits de ce qu’on avait semé lors des rencontres, des infotours, des années ici. Pour beaucoup, l’automne-hiver 2012 est leur début dans la lutte ici. On a gagné en nombre, en diversité et en puissance.

Mais il y a aussi la rançon du succès. 2013 a été pour moi l’année de l’embrouille.

Non pas qu’avant c’était le paradis et qu’on vivait tou⋅te⋅s en harmonie.

On s’engueulait déjà bien en discussion, je vous rassure.

Mais on formait une forme de communauté de vie et de lutte. Maintenant on est assez nombreux⋅ses pour avoir plein de groupes différents. On a plus que jamais des modes de vie et des cultures différentes, mais en plus on est suffisamment nombreux pour ne pas avoir besoin d’être ensemble au quotidien. Et on a pas su remplacer la nécessité d’être une communauté de vie et de lutte par l’envie d’en reformer une. Maintenant on est un mouvement d’occupation dans sa diversité. Ou un assemblage hétéroclite de groupes et de personnes qui ne désirent pas vraiment le même monde et qui voient chacun⋅e une route différente pour y aller. Et c’est assez facile de traîner avec ses potes et de croiser les autres avec défiance. Quand on a un ennemi commun, la diversité est une arme.
Mais est-elle tournée seulement contre l’État, ou surtout contre nous ?

L’arrivée au Rosier

Bim - On voudrait parler du Rosier. Mais aussi de ton arrivée là-bas et sur la ZAD.

Oré - Alors, ce groupe auquel j’ai participé il est né plus ou moins au début de l’année 2009, parce qu’on s’était retrouvés à quelques uns de Nantes, de la campagne à côté et de la ZAD, à s’opposer aux forages à Notre-Dame. Avant d’y aller, on avait entendu l’histoire des 2 personnes arrêtées par la gendarmerie pour vol de terre, et qui avaient été poursuivies. Je me rappelle qu’on trouvait ça beau cette histoire, depuis Nantes. On se disait que ça valait peut-être le coup d’aller faire un tour.

Une fois sur place, on faisait partie d’une opposition qui était bien décousue, pas très structurée. On était un peu dépités quand on attendait je ne sais pas combien de temps en tournant sur les routes du bocage qu’on ne connaissait pas encore.

Et là, on arrivait vers la parcelle du forage et on était beaucoup moins nombreux que les gendarmes mobiles qui protégeaient la foreuse. On ne savait pas précisement où était la machine, ’fallait lui courir après. Parfois en suivant des habitants du coin, parfois seuls. Dans le champ ou autour du champ concerné.

On a quand même bien rigolé par moment à les attendre derrière des haies, pour parfois leur balancer ce qu’on pouvait.

Mais bon, pas au point d’empêcher les forages...

Donc suite à ça, on s’est retrouvé à Nantes. On s’est dit allez, ’faut se regrouper. On a appelé des ami.e.s, pas que des squats, mais des ami.es avec qui on arrivait à partager des idées, des visions, et avec qui on était quand même plus ou moins d’accord, au moins pour aller s’opposer sur place. C’est comme ça qu’on est arrivés sur le terrain, à Notre-Dame, en groupe, de façon un peu plus coordonnée. Et ce groupe-là, après s’être vu et revu il s’est dit ’faut peut-être arrêter de juste attendre que ’y ait des rumeurs annonçant que la foreuse va venir et pourquoi pas anticiper en allant occuper des bâtiments ou des bureaux de décideurs, ou des entreprises qui font avancer ces travaux.

L’idée c’était d’essayer de les devancer et pourquoi pas de les faire bien chier durant leur intervention.

Puisqu’on savait que les gendarmes mobiles arrivaient en masse pour protéger l’entreprise ou le Conseil général qui ramenait ses machines censées prélever les carottes de terre, pour ensuite les analyser.

On s’est dit pendant ce temps-là, occupons leurs bâtiments ailleurs mais le même jour au même moment. C’est ce qui s’est passé par exemple à la DIRO [4], près de la 4 voies, à Héric. Si je me rappelle bien c’était un pique-nique/occupation, fin mai 2009. Il y eu un peu de tension avec l’arrivée des gendarmes, mais je me souviens d’un bon moment, où notamment les échantillons des forages découverts par surprise sous un hangar ont été endommagés.

On a donc commencé à s’organiser comme ça. Et petit à petit, en s’intéressant de plus en plus à cette lutte et ce qui s’y passait sur le terrain. On était sensibles au fait que des habitant.e.s se battent contre l’aménagement de leur territoire depuis là-haut.

C’est à peu près à cette période que ’y en a qui ont parlé de s’installer sur la ZAD. Et certain.e.s ont commencé cette année là à débarquer sur place. Mais d’autres sont restés vers Nantes. Et se sont d’ailleurs organisés là-bas contre le projet. Notamment en publiant par la suite une revue, Nantes Nécropôle, qui critique l’arnaque des politiques « vertes » et les enjeux de l’aménagement du territoire. En organisant aussi des rassemblements mensuels en ville. Puisque c’est quand même, ’faut pas l’oublier, un projet pensé depuis Nantes.

Les souvenirs sont pas toujours très précis, mais je crois qu’après un hiver et printemps de forages, en été, arrive le camp action climat. C’est un rassemblement auto-organisé qu’a eu lieu fin juillet début août 2009. On a pris part à l’orga de cet événement.

C’était sur le champ entre la Rolandière et le bois de Rohanne, à côté de la semaine des résistances, mis en place par la Coord’ (ACIPA, ADECA, les assos et partis...). Il y avait une délimitation claire ; entre les deux espaces, l’ambiance était plutôt froide. D’un côté les stands avec les orgas et les trucs officiels, et de l’autre un campement avec son fonctionnement plus participatif disons (cuisines, débats, organisation d’actions, boulangerie, groupe soin, projections...). Ça tentait de s’auto-gérer comme on dit.

Et donc à la fin du camp, se lance un appel par des habitant.e.s et des personnes en soutien à la lutte, à venir vivre sur la zone.

Bim - Et pendant tout ce temps-là, du coup, le Rosier était déjà occupé par un collectif de squatters, qui venait aussi d’ailleurs, de Nantes ou d’à côté plutôt. Et qui avait un lien particulier avec les habitants qui résistent ou d’autres habitants de la zone. À un moment ce collectif il fait une invitation à prendre le relais puisqu’illes choisissent de s’en aller de ce lieu.

Oré - Oui on peut dire ça, comme ils ne veulent pas partir en la laissant vide et qu’on se connaît quand même un peu, et ben ils tendent la main et nous invitent à habiter là. ’Faut s’imaginer que ’y a pas autant de monde sur place à cette époque. On s’y est projeté.e.s comme un pied à terre et finalement on y habitera pas ensemble. À ce moment-là il y a la Gaîté, une maison à la Sécherie et les Planchettes qui sont déjà squattées avec des habitants toujours sur place. Il y avait déjà eu des personnes qu’avaient occupé de façon éphémère, en juin de la même année, une friche qui s’appelait pas encore les 100 chênes. Elles avaient déjà connu les joies d’être survolées par l’hélico et des contrôles de gendarmes. Donc c’est par une invitation que j’arrive dans cette baraque.

Les deux personnes qui restaient de la première “fournée” qui a investi le Rosier en 2007 allaient partir. Je les ai rencontrées vite fait pendant le camp Action Climat, à l’été 2009. Puis on les croisait quand on venait sur la ZAD. Avant de se casser, elles voulaient, ces 2 personnes, filer les clés. Enfin façon de parler, parce que j’ai pas le souvenir qu’on ait eu des clefs.

Bref elles voulaient les filer au groupe avec lequel je naviguais souvent entre Nantes et Notre-Dame. On s’est dit que ça pourrait nous faire une bonne base pour les moments où on serait sur place. À cette période, on y venait pour des réunions, des moments d’opposition aux forages, des chantiers, comme la cabane des planchettes ou encore des ouvertures de baraque.

On est en 2010. La maison se vide de ses premiers occupants. Finalement, j’ai vécu avec 2 autres personnes puis, petit à petit, au gré des arrivées sur la ZAD et des rencontres, un collectif a fini par se former à l’été/automne 2011 et jusqu’aux tentatives d’expulsions en octobre 2012. On était 5 en théorie, un peu plus en pratique. C’est selon les périodes. Au début, je trouvais ça bizarre parfois de se retrouver à squatter à la campagne, dans cette ancienne ferme isolée, tout au bout de ce long chemin. Avec le voisin agri [5] qui louait le hangar et l’étable accolés à l’atelier. On arrivait sur une zone où il y avait eu un appel à venir occuper des bâtiments vides et des terrains. Ça changeait des occupations en ville où c’est toi et ta bande de potes qui s’invitent dans le quartier.

Bref, je me souviens que ce qui nous bottait c’était cette idée d’aller vivre dans un endroit où les habitant.e.s refusent un projet. Dans nos têtes, ça partait bien !

Ça donnait envie de soutenir. Et de les rencontrer. Ça n’a pas toujours été facile, évidemment. Mais bon, ça s’est fait quand même.

En y repensant, il y a eu de beaux échanges, je me rappelle de quelques actions menées ensemble, comme l’opposition aux forages à la Rolandière. Une fête aussi. Avec le recul, on se rend compte que ça a été important, surtout pour la suite.

À notre arrivée, on a un peu cohabité avec Y. et A. on sentait bien quand ils nous causaient qu’il y avait eu des liens forts entre eux et des habitants.

Eux produisaient des légumes qui allaient avec la viande faite au Liminbout.

Ils faisaient des repas ensemble, se voyaient souvent. Il y avait pas mal de moments festifs. Nous on avait pas connu tout ça. On débarquait. Donc, des liens existaient déjà entre « anciens » occupants et habitants qui avait lancés le premier appel. On arrive dans ce contexte où les premier.e.s squatteurs se cassent et où on ne connaît pas grand monde. ’Faudra apprendre à se connaître, parfois ça va prendre du temps. Ça s’est fait tant bien que mal, mais ça s’est fait.

Malgré tout, quand j’y repense aujourd’hui, rien n’aurait pû être possible sans l’accueil des habitant.e.s. Si l’ambiance avait été complètement hostile en arrivant, ça n’aurait certainement pas été la même histoire...

Toutes ces nouvelles arrivées d’occupant.e.s et les rencontres qu’ont pû être possibles ensuite, et ben mine de rien, ça a crée de la confiance. Avec certains agris de la zone ou d’à côté qu’ont filé des coups de main. Et ça s’est vérifié pendant l’opération César quand les habitant.e.s qui résistent ont ouvert leurs maisons et les dépendances à côté assez directement et spontanément pour accueillir tout un tas de personnes, d’ami.e.s et d’inconnu.e.s, venus de partout s’opposer aux expulsions et soutenir cette résistance. Cette aide a été précieuse. Sinon ça aurait été compliqué, car en face ils détruisaient toutes les baraques en dur expulsables. C’est là qu’on se dit que mine de rien ça compte les liens, même si on réalise pas toujours ça au quotidien.

Je me rends compte, en arrivant sur zone un an après, qu’avec les nouvelles arrivées de personnes et de lieux occupés à l’automne 2009 et au printemps 2010, les rencontres et les liens avec les habitant.e.s prennent d’autres formes.

Bim - Je me souviens de quand même aller ensemble à Rennes, en 2011 je crois, avec Machin, Bidule et Chouette. En vrai il y avait plein de liens avec plein de gens, on se croisait, on se déplaçait parfois ensemble. Ça n’allait pas jusqu’à s’organiser ensemble comme probablement il y avait au Rosier avant, mais des liens inter-individuels il y en avait plein.

Oré - Finalement, cette baraque, avec le dortoir et la salle de bains, elle aura servi de lieu d’accueil pour des personnes vivant sur place ou de passage.

Bim - Et la machine à laver ! Quand même, ça compte. Il n’y avait déjà pas beaucoup de lieux où il y en avait. À Bel Air et aux Planchettes je crois. Il y avait le confort moderne.

Oré - En fin de compte il y a eu, et il y a toujours, pas mal d’allers et venues et de rencontres au Rosier. Ça a servi de refuge à pas mal d’ami.e.s. Et c’est aussi ça qui a fait tenir. Sinon on aurait certainement craqué depuis longtemps ! D’ailleurs quand on a su que la date d’arrivée des keufs était proche, on a eu beaucoup, beaucoup de soutien. C’était intense !

Que ce soit au niveau des occupants de la zone, qui une fois expulsé.e.s sont venues s’y réfugier, ou se joindre à l’équipe qui se réunissait régulièrement dans la maison pour s’organiser face aux expulsions. Que ce soit pour l’accueil, pour imaginer les formes de résistance, ou pour la logistique.

Avant que les accès à la maison soient bloqués, il y avait du matériel qui atterrissait là tous les jours. Et qui était souvent renvoyé vers la Vache rit.

Quand ils ont commencé à démolir les maisons, on se disait qu’il fallait sauver tous les lieux en dur qui restaient. On savait que c’était aussi leur objectif : affaiblir les structures matérielles et du coup les capacités de résistance.

Bim - ’Faut dire aussi que c’est un lieu qui a une histoire particulière, le plus vieux lieu occupé de la zone, le lien avec les habitants qui résistent, le fait que ce soit une ancienne ferme, ça joue des trucs, et surtout le fait que ’y a eu une spécificité au niveau de la procédure d’expulsion. Ça a permis un délai, qui a fait que c’est devenu un des seuls derniers lieux en pierre qu’était pas encore détruit. Qui avait un délai qu’était pas grand, d’une quinzaine de jours, mais qui a permis pendant 2 semaines d’éviter le questionnement : est-ce qu’ils allaient détruire ce lieu ?

C’était une donnée importante pour nous, car au début de la période César, on ne savait pas qui ils allaient expulser le matin et/ou ce qu’ils allaient détruire. Ça a encore plus focalisé un endroit de rencontre et de stabilité, très précaire mais qui fait qu’il y a eu des rencontres avec les paysans, qui sont liés à ce lieu parce que c’est une ferme.

Souvenirs au Rosier

En vrac

La grande échelle qui monte au sleeping, aménagé dans le grenier, l’odeur du plancher. Y faire la sieste, pendant que dehors il pleut à verse. S’y coucher discrètement pour ne pas réveiller les autres, un peu tout bourré, après des heures
refaire le monde en sirotant du rouge du cubi ou de la bière Lidl. Y faire son sac, déjà, parce que demain matin il faut faire 400 bornes en stop pour rentrer.

Été 2011

Le réveil sonne, beaucoup trop tôt, alors que le soleil se lève à peine. En bas, dans la cuisine sombre, une personne est en train de cuire des crêpes véganes pour le petit déjeuner. Elle s’est levée encore plus tôt et a pris le temps de faire la pâte à crêpes, c’est vraiment chouette ! On attrape du fromage et des yaourts dans le cagibi à récup, cet endroit bizarre où malgré l’odeur de poubelle et de légumes daubé il y a plein de trucs super bons à manger. Tisane, crêpe au chèvre, brossage de dents, et hop c’est parti !

Causeries

(Non-)Acte 3

« J’sais pas ce qu’on pourrait raconter sur le Rosier. J’ai l’impression que les trucs les plus rigolos à raconter c’est pas vraiment moi qu’étais là, en fait.
- Ahah “moi j’ai vécu que les trucs chiants !”
- Non, c’est pas du tout c’que j’veux dire ! Nan mais c’est que j’ai l’impression que les trucs les plus... Moi ce qui m’a le plus marquée dans cette maison c’est plutôt ce qui s’y passait avant les expulsions, l’ambiance qu’il y avait chez vous.
Et que c’est ça que j’ai eu dans la tête à plein de moments en vivant ici après, c’est ça que j’avais envie de perpétuer.
- Y avait cinq personnes qui habitaient-là, mais y avait quinze personnes qu’étaient là, la plupart du temps. C’était chouette parce que c’était plein d’énergie. D’aller faire des actions, des trucs comme ça... Ça bougeait quoi. C’était assez cool. Mais j’me rappelle quand même beaucoup moins de... d’énergie par exemple dans la gestion « zadiste » du quotidien, des réus...
- Y en avait pas autant !
- C’était vraiment plus un lieu qui vivait, et on faisait des trucs vers l’extérieur aussi, dans les luttes et... j’pense, si on avait dû aussi mettre toute cette énergie à faire des réus des habitant.es, des gestions de toute sorte de trucs d’embrouilles entre nous... ça aurait plombé quoi, c’était pas la même ambiance...
- Tu veux dire qu’on poursuit un mythe ?! [rires]
- Mais j’crois y a un truc qui moi m’a touchée, ptet qu’existait parce qu’y avait le temps pour ça, mais j’aurais quand même envie de croire qu’il y a encore le temps pour ça... C’est le côté “on a vécu des choses”.
Tu vois, les gens, ils sont partis comme tu dis, soit faire une action, soit être au potager, soit aller aux 100 noms le jour du ptit marché, soit à la réu... Et en revenant, ils trouvent ici, au Rosier, un endroit où raconter tout ça.
Cette propension à se caler comme on fait là, dans une cuisine comme on fait les ptits dej là... Cette propension à se caler, à se raconter c’qu’on a vécu, qu’est-ce que ça nous évoque... à le discuter ensemble en fait.
Moi j’ai pas trop vécu ça dans mes autres lieux...et ni même sur la zone, j’suis pas bien sûre que j’arrive à capter ce même truc de ... tu vas beaucoup parler de la vie que tu vis ensemble, si bien que t’élabore ensemble une critique - ou pas critique mais une vision de c’que chacun vit. C’qui fait que, quand tu vas te promener... ’fin tu sais quelque part que t’as des alliés à la maison, tu vois. Ça fait comme une base, pis tu pars de là, chacun vivra des trucs, desquels tu reviens, et... Ptet ça, ça a existé parce qu’il y avait le temps, mais moi ça m’avait pas mal marquée. Toujours un peu des gens à la table dans la cuisine en train de se raconter des trucs, toujours des gens que tu trouveras pour être camarade...
Si y a quelqu’un qui dit une réplique de merde sexiste, tu vas pas devoir te battre dans la semoule pour être le seul qui parle, t’es sûr qu’y aura une réaction collective quoi. T’as comme une sécurité de ça. Trop agréable quoi ! Moi je m’étais un peu dit “waaaah”.
- C’est toujours une chouette bande qui tourne autour du Rosier, hein.
- Ouais.
- Et c’est cool. Des gens trop chouettes.
- Moi j’y crois très très fort que si y a une bande de gens qui peuvent tourner autour d’un lieu c’est parce qu’il dure depuis longtemps. Ça c’est vraiment trop classe, ça fait une sécurité de pouvoir revenir quelque part quoi. J’me dis, ça c’est trop trop bien.
[…]
- Pour plein de gens c’est encore un endroit où mettre les pieds, partir sur la ZAD et trouver des potes, et se sentir bien.
- Moi j’sais ce truc de la sécurité là, l’assurance que politiquement t’auras un peu des camarades, c’est quelque chose que j’ai déjà discuté avec des potes qui traînent ici, avec d’autres gens qui partagent ça aussi... Qu’on sait pas qui habitera là, mais on sait qu’on y sera bienvenu. Ça, pour moi, ça fait un truc hyper fort ! Même moi je sais pas comment j’vais rester, si j’vais rester, à des moments j’me pose des questions..., mais j’ai toujours l’impression que je serai bienvenue.
Et ça dans ma tête ça fait un truc hyper fort quoi, hyper bien... »

Des flics et des juges

Kari - Alors je vais essayer de raconter ce que moi j’ai vécu sur la ZAD quand y’avait encore des flics sur la zone.
Je me rappelle d’une p’tite récup de bouffe, un soir lambda, normal, une petite récup’ à Vigneux. On allait encore à Vigneux. Avec deux copains, on s’était pas vus depuis longtemps, on a bien rigolé. Voilà p’tite récup…
Min - La voiture pleine…
Kari - Blindée ouais et là sur la D81, on arrive à un croisement entre le bourg et le carrefour de la Saulce, on voit des keufs derrière nous. “Ah fait chier, des keufs”. Bon, on continue, sirène des keufs, gyrophare et là, “fuck”. Petit regard comme ça, “on s’arrête ou on s’arrête pas ?”. Nan on s’arrête pas fuck that…
Min - Mais ’faut préciser où on allait. On allait déposer de la bouffe aux Planchettes.
Parce que dès qu’on faisait une récup’, on en laissait pour tout le monde aux Planchettes puis on gardait le reste dont on avait besoin pour nous.
Kari - Exact. Du coup, on arrive parce qu’on se dit on s’arrête pas, du coup, ça commence un tout petit peu à accélérer, petite course poursuite, c’était assez rigolo, moi c’était ma préférée parce que c’était la seule... J’ai vraiment rigolé.
Et là, on arrive comme des cons aux Planchettes parce qu’on avait pas trop le choix en fait et y’avait cette espèce de barricade, tu te souviens ? Y’avait une barricade et une grosse bagnole et on a réussi, mais vraiment à peine, à rentrer avec la caisse. Tu te souviens, on est rentrés en faisant “braoum”, on s’est engouffrés là-dedans, et on a mis la caisse derrière.
Et là on est arrivés y’avait une petite fête sympa, toute tranquille, des guitares, des pet’ et nous on arrive là : “euh excusez-nous, on a ramené la police” [rires]. Sur le coup, on faisait pas trop les fiérots. Y’a quelques personnes qui ont réagi et puis d’autres tranquillou continuaient à faire la teuf. Du coup on se fait “merde”, y’a les keufs devant qui réclamaient la voiture, qui disaient “on va appeler du renfort”. Et à ce moment-là, c’était encore hyper flou pour les keufs qui il y avait sur la ZAD, du coup on s’est dit “on va faire croire qu’on est plein”, alors qu’on était vraiment pas nombreux. Et nous, on était derrière cette barricade qu’on avait juste vite fait refermée, et là c’était un mélange de bruits de métal, de voix, plein d’allers et retours avec la cuisine… Ils avaient demandé des renforts et puis les potes qui disaient “quelle voiture ? Mais y’a pas de voiture, vous trippez total !”
Voilà, on les a envoyé chier et au bout d’un moment ils sont partis. Voilà ça s’est bien fini, c’était assez rigolo. Ça n’arrive plus ça, non ?
Min - Juste pour finir sur ce truc des Planchettes, ils avaient appelé des renforts, ils sont venus avec des spots et puis ils ont insisté, insisté, puis ils sont partis au bout d’une demi-heure.
Kari - En tout cas ils rentraient pas dans la cour et pour de vrai, ils savaient pas combien on était, ça c’était assez drôle.
Min - Ils doutaient du nombre...
Kari - Ils doutaient, puis on les entendait parler dans les talkies “ils sont une trentaine”, alors qu’on était une douzaine je crois, max.

Min - Et l’histoire du juge ?
Kari - Ben je me rappelle de ce purin dégueulasse qu’y’avait aux Planchettes.
Min - C’était pour quoi ça déjà ?
Kari - Ben c’était au cas où... au cas où ça puisse servir. C’était plus ou moins du purin, c’était un compost liquide avec tous les cadavres de la récup’ et à un moment y’avait une arrivée de juge. Du coup avec tous les keufs et tout et on s’était dit “tiens on va se faire des petites bombes de purin”.
Ben je crois que je le referais plus avec ce purin-là, parce qu’on en a bien plus chié que les keufs à le faire. C’était vraiment une horreur... En plus, on est arrivées, on faisait des embuscades dans la forêt comme des petites chipies, sauf que les œufs nous ont explosé dans les pieds et puis c’était vraiment dégueulasse. Pas juste ça pue, c’était un nid de bactéries, c’était une petite arme chimique quoi ! Y’en a quand même quelques uns qui sont arrivés sur les keufs, mais à la fin on était quand même sur cette conclusion de “Non, mauvais plan”.
Min - Et c’était où ça ?
Kari - C’était vers la Bellish, vers l’ancienne cabane de G.
Min - Et ça c’était quand, c’était le jour ?
Kari - Ouais, c’était le matin. Mais on avait préparé ça la veille du coup, tu dors avec ton odeur de cadavre dans les mains et le matin on était prêts avec nos œufs et là, l’oeuf qui tombe, et après c’était…
Mais y’en avait plein, moi j’ai l’impression d’avoir joué à ça vraiment beaucoup de fois..
Min - C’était pour le juge ?
Kari - Je sais pas si c’était pour le juge ou l’huissier, ou peut-être avant
[….]
Au même moment où il y avait ces petits convois de gendarmes mobiles et tout, on se réveillait le matin, on se préparait des petits pièges et on se cachait dans les fourrés comme ça et on attendait. Mais le nombre de petits matins qu’on a passés avec des talkies qui marchaient à peine, à attendre les keufs... Ça a pas toujours marché, faut dire ce qui est.
Min - Attendre des fois longtemps pour rien..
Kari - Ça fait des souvenirs, mais ça faisait pas beaucoup avancer la conflictualité, mais on rigolait bien. On était présents au moins. S’ils passaient on était là, mais parfois ils prenaient d’autres routes et on était pas si nombreuses. Voilà, j’ai ces souvenirs-là, y’en a plein, mais là je sais plus...
Ah si, l’arrivée des flics au Rosier quand y’avait eu cette embrouille avec le voisin.

Min - Avec le voisin S.D., ça, c’était deux trois jours avant la grande manif du 24 mars 2012. Le contexte de ce truc-là, du moment où les flics viennent tôt le matin casser la porte, c’est qu’il y a une manif prévue à Nantes et qu’il y a des contrôles aux abords de la ZAD, l’hélico tous les jours et des CRS dans Nantes qui tournent… Y’a une ambiance à la répression, avec des articles de presse qui annoncent que la manif va être très tendue et avec des confrontations éventuellement. Et c’est comme ça qu’ils déboulent très tôt, suite à cette embrouille…
Kari - Une altercation avec un agriculteur et son collègue, mais qui est une embrouille entre voisins, où déjà avant il y a de l’hostilité… On peut raconter vite fait ce qui s’est passé : en gros il y avait quatre personnes qui bricolaient, qui faisaient de la soudure sur la petite cour devant l’atelier du Rosier. Il se trouve que c’est par là qu’il passe de temps en temps chercher son foin, sous le hangar dans le prolongement de l’atelier. Ils arrivent ce jour-là, à toute berzingue, comme souvent. Sauf qu’à ce moment-là, exceptionnellement, il y a du monde et de la ferraille sur son passage. Un ami lui fait signe de ralentir, avec des grands mouvements de bras, avant qu’il n’arrive à notre niveau. Lui continue à foncer et l’ami en question, puis un autre, doivent se jeter sur les côtés du chemin au dernier moment pour éviter de se faire écraser. S’en suit un échange d’insultes assez vif et lui qui continue d’appuyer sur l’accélérateur. Il a fini par descendre du tracteur et pendant qu’on rangeait le matériel, ça n’a pas été long, les deux autres potes se prenaient la tête avec eux. Avant qu’il ne remonte sur son tracteur.
Je crois qu’un coup ou deux sont partis de chaque côté. Pas grand-chose non plus. Mais finalement, en rentrant chez lui, il a foncé à la gendarmerie porter plainte, en disant qu’il s’était pris une grille de porte de clapier dans la tête... ça nous a surpris cette plainte, on ne s’y attendait pas du tout... et la porte de clapier, là, on a halluciné, parce que personne n’a vu ça ! Et si ça avait réellement été le cas, il aurait eu une autre tronche... mais bon... en y repensant il s’est servi des grilles qui traînaient dans l’allée comme prétexte. Il ne devait pas être fier de ce qui s’était passé...
Min - On était quand même un peu choqués. Il nous avait foncé dessus ! Et dans ce contexte-là c’est devenu une info à l’échelle départementale pour la presse. Et pour le pouvoir, une belle opération de communication contre la ZAD... Juste avant la manif contre l’aéroport...
Kari - Du coup le lendemain, réveil très matinal avec lazer du gun du keuf sur la gueule, à 6 h du matin. Une compagnie entière de gendarmes mobiles dehors sur le chemin et tout autour de la maison. Une brigade spéciale d’intervention dedans, enfin un truc complètement démentiel, de taré, ils s’entraînent quoi ; et donc j’ai le souvenir de ça, qu’ils ont défoncé la porte, qu’ils montaient, de se réveiller, ça faisait quand même bien flipper... On faisait pas trop les fières : tu te réveilles, t’as le mec encagoulé qui arrive devant ton pieu, t’es à poil et t’as juste la marque du lazer sur toi et t’as le gun un peu plus loin comme ça tu fais : “ho hoho, tout doux”. Et tout ça pour venir choper le pote !
Min - Et après y’a quand même eu plusieurs personnes qui sont venues au Rosier et qui sont allées à la ferme de S.D. C’était ouf !
Kari - Plein même, on était beaucoup ; direct y’a eu plein de monde qu’est arrivé en soutien le matin, après le départ des keufs, c’est allé assez vite. Après ’fallait aller chercher le pote emmené en garde-à-vue et pendant ce temps là y’a des gens qui sont allés à la ferme lui dire qu’il abusait… On y voyait pas mal de gens de la ZAD et aussi d’autres agriculteurs qui tentaient de faire la jonction.
Min - Dans cette histoire, je crois qu’il faut y voir autre chose qu’un conflit de voisinage. Il avait fini par prendre parti pour les autorités. Il s’entendait très bien avec les flics et en conséquence il a été bien protégé dans cette histoire. Puisqu’en fin de compte il y a quand même eu condamnation (600 euros d’amende)...

Communiqué du Rosier

Jeudi 22 novembre 2012

Depuis la remorque d’un tracteur défendant la maison du Rosier, expulsable depuis le 18 novembre.

Dans la nuit du 15 au 16 novembre, après 4 semaines d’expulsion et de résistance et à la veille d’une manifestation de réoccupation massive, une vingtaine de tracteurs sont arrivés au Rosier.

Depuis une semaine, cette maison occupée depuis 5 ans pour lutter contre l’aéroport est protégée par des paysan-ne-s, des habitant-e-s, des gens qui nous rejoignent de tous les départements. Nous nous relayons derrière les barricades et nous nous organisons pour faire vivre ce lieu encore longtemps. Ces barricades qui ont empêché les forces de l’ordre de venir jusqu’ici, nous permettent aussi de construire des espaces et des moments de rencontres, d’échanges, d’entraide.

De la diversité des personnes qui s’y croisent naissent de nouveaux projets, des perspectives de lutte et de vie. Notre détermination grandit, de cette lutte qui s’élargit nous nous sentons renforcés.

Pour participer à la lutte, rejoignez nous tous les jours dès 6h pour le petit déj’.

Pour le Far, la Gare, le Champs de ronce, No name et tous les lieux réoccupés pour ne pas les laisser vider la zone.

Nous sommes tous et toutes des habitant-e-s qui résistent !

Tenir la baraque

Extraits des 10 ans du Rosier

« J’sais pas si y a des gens qui veulent raconter comment ça s’est passé les expulsions au Rosier, mais en fait l’opération César elle a commencé le 16 octobre [2012] et pendant cette période, le Rosier il était pas expulsable parce que justement y avait le…
- Le JEX [Juge d’Exécution des Peines] .
- Le quoi ?
- Ouais y avait du délai jusqu’à la semaine du 17 novembre, juste après la manif de réoccupation. En fait, y a eu une semaine de lancée pour la défense du Rosier et du coup, c’était une semaine de préparation de défense du lieu.
- Y a eu l’appel de COPAIN après, à défendre le lieu d’ici, qui ont barré la route avec les tracteurs.
- Ouais, avec des bottes de paille et…
- Et une dizaine de tracteurs qui ont fait une chaîne autour du Rosier pour le protéger.
- C’était trop beau quoi ! J’me souviens que quand les tracteurs sont arrivés c’était la nuit, y avait déjà plein de gens qui logeaient au Rosier parce qu’y avait déjà les expulsions qui avaient commencé, et ils sont arrivés avec plein de lumière… J’me demande si y a pas eu un feu d’artifice…
- C’était trop beau ! Et c’était “Wah ils arrivent” !
- C’est pas eux qui sont arrivés avec le feu d’artifice. Eux ils arrivaient dans le noir, en se disant “ah la la faut pas qu’on se fasse choper”. Ils sont arrivés au bout du chemin, puis y avait les squatteurs qui les attendaient qui ont fait péter des feux d’artifice, du coup ça les a un peu surpris, sur le coup ils étaient là “ah !”.
Ils s’y attendaient pas du tout, après qu’ils aient traversé les champs et tout ça en mode “tch tch tch”. [NDLR : c’est-à-dire, discrètement]
- Moi j’me souviens en tout cas que à l’arrivée, ça faisait un truc où les tracteurs se mettent en place, les gens ils descendent de leurs tracteurs, les autres gens les accueillent. Ça se fait dans la cuisine, et puis les uns ont ramené à manger, les autres ont fait sur place, et là ça fait “oh” ! On se rencontre, on se regarde. Et j’me souviens de m’être assis à côté d’une personne de COPAIN qui disait “bin voilà, ça y est, on est tous pareils maintenant, putain on est squatteurs aussi quoi !”
Et ouais, c’était marrant ! C’était drôle cette rencontre là possible.
- Moi j’avais une petite anecdote que j’ai apportée, sur la fête des Rosiers.
J’me souviens plus tout bien du déroulé de l’histoire, mais y avait aussi des jeux de fête foraine. Et je me suis retrouvée à ce qu’y avait un jeu de tir au fusil, avec plein de petits objets qui étaient installés et où y avait des lots qui tombaient, et du coup moi j’ai gagné ce lot-là. C’est un petit doudou de poche qui ressemble à un cochon rose avec un short bleu. Et j’ai gagné ce doudou-là en shootant l’hélicoptère de la gendarmerie ! Y avait un petit hélicoptère de la gendarmerie ! Et c’est quelque chose que j’ai ressorti en octobre dernier, parce que [de ressentir de] l’impuissance par rapport à leur artillerie et puis pouvoir regagner une petite joie dans cette fête foraine.
- Moi j’me souviens de l’ambiance ici pendant tout la semaine, c’était trop bien parce qu’y avait toujours plein de gens qui restaient en attendant… On savait pas si les flics allaient arriver ou pas, et du coup on restait hyper tard à parler.
J’ai fait des galettes jusqu’à cinq heures du matin, c’était vraiment trop marrant, et puis y avait vraiment plein de monde à rester. C’est allé jusqu’au jeudi soir, et puis le jeudi soir y avait un concert d’organisé au théâtre du No Name, et là on se disait “bon jeudi soir ça va quoi, ils sont pas venus, ils viendront plus maintenant”.
Et j’me souviens que j’ai participé à convaincre les gens que c’était bon, on pouvait faire la fête jusqu’à très tard le jeudi soir et… c’est ce qu’on a fait, dans un concert sans fin, dans la boue, à boire des coups et tout ça, jusqu’à très tard.
Et puis le lendemain en fait je me suis réveillée au son des grenades explosives et… C’était moins cool, parce que je me suis rendue compte qu’en fait ils étaient arrivés un vendredi, quand on les attendait pas du tout.
C’était le moment où ils étaient entrés dans la Chateigne, et ils étaient arrivés au Rosier, le matin, hyper tôt, et y avait des gens qui étaient sur le toit de la maison et dans la maison, et… J’sais pas si y a des gens qui étaient là à ce moment-là mais… ça a été hyper compliqué de tenir la baraque quoi.
- Avant l’expulsion du Rosier, la préfecture avait publié un communiqué dans lequel ils disaient que leur objectif maintenant c’était d’épuiser les ressources des zadistes et qu’ils aient pas… comment dire, de lieu où se mettre au sec, qu’ils aient plus de jardin pour manger, etc. Et du coup l’expulsion des Rosiers, qui est parmi les derniers lieux à avoir été détruits dans cette phase-là, elle s’inscrivait pleinement dans ce truc de guerre à la résistance qui était en train de se mettre en place. Plus du tout dans une question d’opération policière dans laquelle on va, comment dire, évacuer des gens qui sont illégaux sur le site.
- […] C’était un peu la déception d’avoir eu un grand plan et puis qu’il aient, comme ça, bêtement, profité du moment où on y était pas. Et après... on est arrivés, après que la maison ait été vidée. Les flics avaient mis les potes d’un côté, nous on arrivait par l’autre côté et on voulait rejoindre, ils voulaient pas qu’on traverse. Du coup on avait prétendu que j’sais pas quoi, qu’on avait laissé des affaires dans la maison… et là, on sait pas pourquoi, ils nous ont laissé re-rentrer dans la maison qui était enfumée tout ce qu’elle pouvait, tout le monde avait mis plein de trucs dans le poêle, du coup on avait plus du tout envie de rester dans la maison ! On était ressortis aussi vite qu’on était rentrées. Les keufs ont dû crever quelques pneus de tracteurs aussi avant de partir et faire des trucs mesquins comme ça… »

Les expulsions

Fuz - Pour continuer sur le moment d’expulsion du Rosier, moi y’a un truc que j’aurais voulu raconter, c’est une sensation de contraste, de décalage hyper fort entre un moment où c’est l’effervescence (manif de réoccupation du 17 novembre 2012), et faut imaginer le Rosier : les accès sont barricadés, y’a des bottes de foin et des tracteurs qui encerclent la ferme, des trous dans les routes autour, des dizaines de personnes qui dorment dans la baraque, y’a le camping en face qui sert d’accueil pour le logement de centaines de personnes en tente et des cuisines pour la restauration… Et donc ça brasse beaucoup de monde, y’a des va-et-vient entre la maison, le camping d’en face et la ZAD... on se retrouve à des milliers et on sent bien qu’il se passe quelque chose, que la résistance prend une ampleur incroyable, et c’est à la fois touchant et à la fois un peu flippant aussi parce qu’on se dit bon, on habite dans la baraque mais on y habite un peu comme tout la monde à ce moment-là, comme plein de personnes que tu connais ou que tu connais pas du tout… c’est beau.
Vag - Vous vous aviez décidé de plus habiter dans cette baraque à ce moment-là déjà ?
Fuz - Y’a des personnes du collectif du Rosier qui sont parties à ce moment-là (on est 10 jours avant l’expulsion) et d’autres qui sont restés.
Vag - Vous êtes restés habiter mais vous avez choisi que la maison pouvait être habitée par tout le monde…
Fuz - Oui, ouverte, ouverte pour la résistance, pour les personnes qui souhaitaient aider, se battre et avoir un lieu au chaud, donc y’avait des bouffes collectives tous les jours, des grosses gamelles au Rosier et une cuisine collective venue du nord dans le champ de l’autre côté de la route, à 500m. Donc c’est un moment où il y a une organisation propre au Rosier et plus globalement sur la ZAD. Celle propre au Rosier c’est un système où tous les matins on se lève tôt, y’a des vigies autour des barricades, des personnes qui partent en voiture dans la nuit, vers 4h du matin voir si y’a pas des compagnies de gendarmes mobiles ou de CRS qui s’approcheraient de la zone, qui quitteraient leur hôtel, en périphérie de Nantes et ça communique par portable ou par talkie aux personnes qui sont sur place, sur la zone. Et donc y’a cette folie après la manif de réoccupation où des personnes restent au Rosier, le dimanche, le lundi, y’a des assemblées tous les jours au bout de ce long chemin qui mène au Rosier. Tous les jours on refait le point à environ 9-10h quand on arrête les vigilances au niveau des points de blocage, des 3 barricades, et la décision du lundi c’est de refaire de la surveillance en se levant tôt le mardi, le mardi c’est de refaire ça le mercredi et on prolonge jusqu’au jeudi. Et le jeudi, y’a un peu un essoufflement.
Déjà, parmi les milliers de personnes qui étaient à la manif de réoccupation, quelques centaines sont restées après sur la zone et de ces quelques centaines, petit à petit elles sont rentrées chez elles et y’en a de moins en moins. Le jeudi 22 novembre, on décide d’arrêter les vigilances au niveau des barricades, y’a une fête de prévue le soir à la Châtaigne, au No name, sur le chemin de la bataille du Sabot où ça commence à réoccuper tout cet espace qui deviendra la zone non-motorisée. Et donc y’a une ambiance un peu de détente, un peu de fête, on se relâche, on souffle et ça fait du bien et on rigole et on se dit « on a pas forcément se lever à 4 ou 5 heures le lendemain », le vendredi et en plus de ces personnes qui se lèvent y’en a qui viennent de l’extérieur avant la traite ou après la traite des agriculteurs ou des gens des comités de soutien et y’avait un rituel de se retrouver au petit déjeuner dans la maison et y’avait une ambiance chaleureuse. La situation normale, c’était de circuler à pied parce que les routes sont bouchées, les routes sont trouées à cause des barricades et des tranchées creusées la nuit. C’était devenu quelque chose à laquelle on était accoutumés depuis déjà quelques semaines. Donc ce relâchement, ça fait se dire qu’on passe un moment tranquille et je me souviens on avait nettoyé l’espace au Rosier de la grange, on avait fait une grande tablée et ça mélangeait plein de gens, des gens de passage, des personnes qui étaient là depuis plusieurs mois sur la zone, des agriculteurs de je ne sais plus quel canton qui faisaient à ce moment-là le tour de garde, qui restaient dormir 2-3 nuits au Rosier. On avait pas soupçonné que ce serait le lendemain matin, même si y’avait eu des alertes comme quoi ils venaient mais y’en avait tellement tous les soirs qu’on était noyés par les infos qui venaient d’un peu partout.
Et le lendemain matin en allant faire pipi assez tôt, (on s’était quand même levé tôt au cas où avec d’autres personnes), eh ben ils étaient de l’autre côté de la haie, j’allais faire pipi dans le chemin du Rosier et je les vois dire « y’en a un qui sort » et ils déboulent à traverser la haie et là y’a comme un frisson qui te traverse et tu cours dans la maison dire « ils sont-là, ils sont là ». Puis on se calfeutre rapidement dans la maison à barricader un peu les portes et tout et puis ils finissent par frapper et menacer de défoncer la porte. Et une fois à l’intérieur, y’a une discussion vite fait « est-ce qu’on leur laisse la défoncer ou est-ce qu’on l’enlève nous-mêmes » et finalement je sais plus ce qui s’est passé. Je crois qu’on a un peu enlevé, ils ont un peu forcé sur la porte quand même, on a enlevé quelques planches et on s’est fait expulser hyper tôt le matin.
Ce qui me marque de ce moment-là, c’est qu’on passe d’une situation autour de la manif de réoccupation, on est dizaines de milliers, y’a une effervescence à construire un petit hameau, la Châtaigne, qui sort de terre comme ça comme un champignon hyper rapidement que tu vois pas pousser et y’a cette joie spontanée et complètement folle avec des chaînes humaines qui se passent du matériel et le chantier qui se construit avec ses déboires et ses joies. Ça a l’air compliqué pour plein de personnes et même complètement galère pour plein de copines.
C’est une journée qui nous dépasse, tu sais plus comment avoir de prise sur la situation. Et tu passes de ça, d’une situation complètement folle à être une quinzaine à défendre un lieu où on était des centaines quelques jours avant.
Donc le relâchement ça a fait que ouais on se retrouve d’ un bouillonnement de gens à un sentiment de solitude un peu étrange. Et au moment de l’expulsion, malgré tout, on nous laisse rentrer dans la maison, prendre vite fait des affaires. Y’a une fumée énorme parce que les tuyaux du poêle ont été enlevés et y’a encore un feu qui crée une fumée épaisse et il faut ramper ou marcher en dessous du niveau de la cuisinière à bois pour pas être dans la fumée.
Vag - Pourquoi les tuyaux de poêle ont été enlevés ?
Fuz - Les tuyaux ont été récupérés, je crois on essayait de tout démonter mais y’a toujours un feu qui se maintient du coup c’est une ambiance... avec les guirlandes de chaussettes qui continuent à sécher. On a été autorisée à récupérer quelque matériel et on a été un peu démuni parce qu’autant on était prêts les jours avant aux barricades et là y’avait plus de vigilance aux barricades donc on se retrouve en situation de soumission face aux gendarmes mobiles. Et puis, rapidement ça se réorganise, eux, ils occupent la maison, ils organisent un périmètre autour de la maison, on sent que ça frite à la Châtaigne, on entend les bruits des grenades assourdissantes, y’a de la bagarre pour défendre la Châtaigne, dans le bois autour, dans le bois de Rohanne aussi, dans les accès qui mènent au chemin de Suez.
Et rapidement aussi y’a différents niveaux de résistance des personnes qui restent dans un périmètre autour du Rosier, dans les champs autour et puis d’autres personnes qui s’affrontent avec les gendarmes mobiles au bout du chemin du Rosier…
Vag - Ce jour-là, ils viennent avec le tractopelle ? Fuz - Ils viennent avec le tractopelle dans les heures qui suivent pour détruire.
Ils nous ont repoussés autour du Rosier dans des périmètres toujours plus éloignés et puis c’est là que ça a commencé, des débuts de bastons avec les gendarmes et puis ils ont crevé quelques pneus de tracteur aussi pour emmerder les agriculteurs sur place. C’est un peu frustrant, un peu désemparant.
Vag - C’est qu’en même temps ils sont en train d’attaquer la Châtaigne du coup il y a une diversion, l’un sert de diversion à l’autre.
Fuz - C’est ça, la Châtaigne c’est devenu le lieu phare à défendre alors que c’était le Rosier une semaine avant. Quand t’y es, quand t’es un peu dedans et que t’as des œillères parce que t’es dans le lieu et que tu t’occupes de l’accueil, de vivre jusqu’au bout tout ce que tu peux, tous les moments tu saisis tout, tu dors peu, t’es éveillé pour pas rater un seul moment de ce qui se vit. Et j’avoue que ça fait des sensations pas faciles à décrire, de se dire on est des milliers autour de ce lieu et après juste quelques dizaines mais c’est comme ça. C’est des situations qu’on maîtrise pas donc voilà.

Encore les expulsions

Y - Avant les expulsions, quand on ’savait pas encore qu’il allait y en avoir, on avait prévu de fêter les 5 ans d’occupation du Rosier en octobre. Le 12. Du coup on préparait la fête, on avait fait un espèce de tract d’invitation, il y avait un petit programme peut-être, je sais plus. Et ça devait être la semaine d’avant ou celle encore d’avant, qu’on avait appris que les expulsions ça serait autour du 16 octobre. Et en même temps il y a aussi des gens qui prévoyaient de réoccuper une maison qui s’était vidée au Liminbout. Ça devait être le lendemain de l’anniversaire. On a hésité à garder tout ça mais finalement on a fêté les 5 ans, réoccupé cette maison du Liminbout et en même temps on prévoyait de se faire expulser une semaine après. C’est ça, non ?
Fuz - Oui c’est ça.
Von - Trois jours après.
Y - Treize plus trois, oui c’est ça trois jours après. Ce qui faisait une ambiance un peu agitée. On était bien occupé.
Ça faisait trois appels qui allaient crescendo ; les cinq ans, où on avait surtout invité des gens de la ZAD et des soutiens proches, et puis l’ouverture du Liminbout où là on était à peu près 80 voire une centaine, avec un petit fest-noz le soir, et là pour les expulsions, on appelait un nombre illimité de personnes à venir à partir de la semaine suivante.
C’était le début de l’opération César. Qui a commencé en fait le 15 par l’expulsion de la maison qu’on venait à peine de rouvrir 2 jours plus tôt. Je l’ai vu comme un échauffement de leur part, une sorte d’introduction qui annonçait ce qui allait se passer juste après. Ils sont donc venus avec une compagnie ou deux, je sais plus, pour expulser spécifiquement cette baraque et aucune autre ce jour-là. Et pour placer des grilles anti-squat aux ouvertures.
Von - Du coup l’idée d’expulsion immédiate pas en flagrant délit, comme ça ’y a pas de procédure. Et ça leur fait pas une épine dans le pied dans leur processus déjà prévu.
Fuz - Et ça leur fait un test ; on essaie, on voit le niveau de résistance, on voit comment on s’y prend pour expulser, murer, détruire une partie de la maison.
Von - Ça c’est le lundi.
Y - A ce moment-là le Rosier n’était pas encore expulsable puisqu’on avait encore ce délai de 2 semaines, jusqu’au 27 octobre. Et il existait la possibilité d’obtenir plus en faisant appel au juge de l’exécution (JEX), au même titre que la Sécherie et la Saulce.

[Est-ce que tu veux raconter les 5 ans du Rosier ? Qui était là ?]

C’était marrant et un peu triste à la fois cette fête. Je me rappelle qu’il y avait de réuni dans la grange des habitant.e.s de la zone, des ami.e.s, des voisin.e.s à la retraite, bref, des soutiens. On avait préparé la bouffe avec des potes de passage. Je me rappelle d’un moment un peu rigolo quand j’y repense. On a demandé à Yann et Petit Claude s’ils voulaient bien raconter un peu l’histoire de l’ouverture de cette maison, ce qui s’y passait les premières années. Leurs joies et leurs déboires du début puisque c’était le seul squat. Alors ça a été comme une petite pause dans la fête, déjà bien timide, malgré les gâteaux et la musique, c’était pas non plus l’ambiance de folie.
Et je me souviens de Claude qui fait une sorte d’ouverture un peu lyrique ; « voilà ça fait des années qu’on est là, on sera encore là, on va résister, etc ! » et je me souviens d’un enthousiasme assez léger, très mesuré. On nageait parfois dans un marasme ambiant, on n’arrivait pas à imaginer qu’on allait s’en sortir.
On peut pas dire que l’optimisme de Claude était partagé par toutes les personnes présentes ce soir-là. Je me souviens qu’on s’imaginait parfois une zone complètement bouclée, qu’on aurait peut-être des lieux de repli à l’extérieur.
Et comment on fera pour s’organiser à distance ? Les gens qui sont en camion ? Ceux et celles qu’en n’ont pas ? Comment on communique entre nous ? Qu’est-ce qu’on devient ? On était sans réponses face à des grandes questions, bien démunis. Donc quand il a dit ; « on va résister, on va tenir » ’y a pas eu un grand écho dans la grange. Ça s’est arrêté là son intervention et on a remis la musique et c’était reparti. Donc ’faut s’imaginer une ambiance de fête bien particulière, avec l’esprit à l’ouverture de cette maison prévu le lendemain et à la résistance malgré tout. Certains se disaient peut-être que c’était la dernière fête ? Je nous sentais pas toujours sûrs de nous mais avec l’envie de continuer quand même, et de pas lâcher quoi. Ça c’était clair.

Toujours les expulsions

Y - Les expulsions ont commencé le 16 octobre et le Rosier n’était pas expulsable avant le 27 ; ce qui faisait qu’on avait un délai. On n’entrait pas dans le « paquet » des maisons détruites au tout début. Du coup, il y a eu plein de choses qu’ont pu se passer et s’organiser pendant ce temps-là autour de la maison où plein de gens sont passés, ont été accueilli, et tout ça. Mais ça c’est toi qui raconteras parce que moi j’y étais pas beaucoup !
Fuz - Bon, ben, alors j’veux bien raconter un peu. Alors j’me rappelle que juste avant les expulsions, genre la semaine précédant le 16 octobre, qu’on se revoit avec le collectif du Rosier, comme on le faisait de temps en temps pour les questions du quotidien, d’habitation, etc... et là on se voit parce que ’y a un moment tendu qui s’annonce ; le bruit court d’une intervention de l’État pour expulser toutes les personnes sans titre de la zone. En gros tous les squats. On parlait d’à peu près 25 lieux occupés en comptant toutes les cabanes.
On sent que l’étau se resserre et que l’échéance approche. Que c’est une question de jours. Je me souviens donc qu’on se réunit et on essaie d’envisager comment faire à partir du lieu où on vit, comment résister, comment on s’envisage soi-même puis ensemble. Je me rappelle que c’est hyper compliqué, qu’il y a un bordel pas possible dans nos têtes et qu’on arrive pas tellement à y voir clair. On ne se sentait pas très fort.e.s. Tu te rappelles ?
Y - Je me rappelle pas à fond de la réunion mais j’imagine bien que tout le monde avait des objectifs ou des engagements différents, et que ça donnait pas un truc du genre ; on s’organise ensemble sur la défense de la maison.
Fuz - En fait, on a pas souvent, hormis pour les tâches du quotidien (ou peut-être les cultures sur les différents jardins), réussi à s’organiser ensemble. Et là c’était clair qu’on y arriverait pas à s’en sortir juste entre nous.
D’ailleurs c’était pas souhaitable non plus. Et ce constat, il était partagé je pense par d’autres groupes sur la ZAD. Comme on faisait pas partie des premiers lieux expulsés, on a rapidement commencé à accueillir pas mal d’ami.e.s, de personnes déjà virées de chez elles et aussi des soutiens de Nantes et de beaucoup plus loin.
Et là, le collectif qu’on était, plus les ami.e.s, peut-être une dizaine de personnes, ça a grossi jusqu’à atteindre un nombre incalculable.
C’est la folie qui commence, ça nous dépasse, et c’est tant mieux. Il y a plein de moments marquants qui se mélangent dans ma tête....
Je revois des personnes qui arrivent à la porte de la maison avec leur véhicule - les accès n’étaient pas encore barricadés - pour ramener du matériel, de la bouffe, des couvertures... des têtes qu’on n’avait jamais vues.
Je sais pas comment ni qui leur a indiqué cette baraque. C’était le début d’un défilé de personnes qui demandaient ce qu’elles peuvent faire, où elles peuvent déposer tel ou tel truc... on les réorientait souvent vers la Vacherit.
C’est grâce à ces dons que certain.e.s partaient en mission, sac au dos, jusqu’à la cabane du Sabot, où une cuisine magique t’accueillait alors que ça castagnait dans les champs autour jusque dans la nuit.
De cet afflux d’ami.e.s et d’inconnu.e.s venues en soutien, ’y a des souvenirs qui se mélangent.
D’abord, le 16 au matin, bien tôt, il faisait encore bien nuit, on se retrouve à faire une barricade avec des ami.e.s au bout du chemin de suez, pas loin du Tertre, menacé d’expulsion. Elle a pris feu à la vue des gendarmes mobiles. Ça a ralentit d’à peine une heure l’expulsion de la maison. C’est le premier jour. Et on se dit pas que c’est gagné...
Heureusement, du côté du Sabot, ça tient. Et ça devient le point de ralliement, il y a plus de monde. On file là-bas. On y passe la journée. Pareil le lendemain. C’est le coin où ça a frité en premier.

Dans les moments marquants de cette période, il y a entre autre une anecdote, cette dame, qui vient de Vigneux, qui apparaît un matin dans la cuisine de la maison. Il y avait là plein de monde qui squattait déjà le dortoir. Je la revois, cette dame, avec face à elle une dizaine de têtes en bonnet, masquées, sac sur le dos, qui se préparent à déambuler à travers champs vers le carrefour de la Saulce, où il y a déjà des tranchées et des barricades.
En gros, tout le monde va au casse-pipe, et elle, elle arrive, elle s’arrête, hyper intimidée. Elle voit plein de gens partir en groupe avec une certaine détermination. On lui propose un café. Elle ose rien dire. On sent qu’elle flippe. C’est un peu gênant comme situation... Puis on finit quand même par s’asseoir. Puis par causer.
On apprend qu’elle a été en classe avec tel agriculteur de la ZAD dans sa jeunesse. Elle connaît un peu le coin. Elle nous raconte qu’elle s’est engueulée avec son voisin, qui comprend pas comment on peut soutenir des voleurs, qui vivent dans des maisons et qui payent rien, etc. et il ajoute, en plus, tu ne les connais même pas !
Et c’est là qu’elle décide de venir sur place, nous rencontrer. C’est comme ça qu’on est resté bavarder et qu’elle a demandé comment aider. On manquait de vaisselle et de gamelles. Le lendemain elle revient avec des marmites et des assiettes. Depuis, on se recroise de temps en temps.

Ce défilé de soutien, ça a permis un tas d’échanges improbables pendant cet automne. Des habitant.e.s du bourg que t’as jamais croisé qui te proposent des douches chez eux, des gens de la campagne de Rennes, qui faisaient le tour des jardins de leur coin pour ramener des légumes à la Vache Rit, des groupes bien organisés, d’autres pas tellement, des personnes seules...
On a accueilli comme on a pu, dans des moments un peu chaotiques. J’imagine qu’on a dû être perçus comme froid parfois, et peut-être moins à d’autres moments plus détendus. Je ne sais pas.

Y - Ensuite, il y a eu un petit pic le 17 novembre. Pour la manif de réoccupation.
On a pu grâce aux agris du liminbout utiliser la grande parcelle d’en face pour y établir un camping.
Vag - C’était le point d’eau, non ?
Y - Je ’sais plus si le point d’eau était sur le campement mais c’est sûr que plein de gens sont passés.
Vag - Il y avait une sorte d’autoroute piétonne de 200 mètres entre le campement et le Rosier.
Fuz - À ce moment-là la baraque n’est déjà plus accessible en voiture parce qu’en fait les 3 accès principaux sont barricadés.
Vag - Parce que le Rosier est expulsable depuis 2 jours.
Fuz - Tous ces va-et-vient entre le campement et la maison, la maison et les autres lieux menacés ou réoccupés à l’arrache, et ben ça fait qu’on ’se sent pas seul. Et ça c’est pas rien ! Parce qu’on imaginait pas l’ampleur que ça prendrait, perso je me disais que ’y a aurait les soutiens habituels et forcément un peu plus.
Mais on mesurait pas que ça deviendrait un tel mouvement avec tous ces comités de soutien qui se montent dans la foulée un peu partout, ces tracteurs, et ces milliers de gens. Qui repartent et qui reviennent à la moindre alerte.
C’est un mélange de plein de sentiments ; dans la tête tu doutes, il y a beaucoup de questions urgentes qui tournent et qui retournent, t’es bien dépassé par ce qui passe, tu sais pas comment faire parce que beaucoup de monde, parce que parfois pas assez de bouffe, parce que t’es happé par un appel à aller sur telle route, à telle réu, parce des discussions dans tous les sens... et heureusement, parfois, il y avait quand même un cadre qui permettait d’avancer, d’y voir un peu plus clair. Au début, c’était à l’étage, dans le dortoir. C’était la réu d’un collectif élargi entre occupant.e.s et agri, qui s’organisait sur la défense du lieu ; où et comment on bloque, comment on communique, nos rapports aux affrontements, etc. c’est là que des liens avec des personnes de COPAIN commencent.
Pour moi en tout cas. Je ne saurais pas dire comment ça a vraiment débuté. Certain.e.s connaissaient déjà des agriculteurs, mais franchement, vraiment pas beaucoup d’entre eux.
Ils étaient déjà venus en tracteur du côté du Sabot pour bloquer l’arrivée des gardes mobiles. Puis au fur et à mesure on a fini par s’organiser ensemble. Ça a débouché sur la décision d’enchaîner les tracteurs autour du Rosier.
Ils sont arrivés de nuit, je sais plus la date, mais c’était avant le 17. c’était un moment bien particulier. À leur arrivée, par des routes de traverses pour pas se faire griller par la gendarmerie, ils ont été accueilli par des feux d’artifices. C’était une nuit sans sommeil. Dès leur arrivée ils ont commencé à monter une barricade de pneus de tracteurs et de round baller dans le chemin derrière la maison.

Dans mes souvenirs ce sont les premières barricades faites avec les machines, avant c’était avec les mains. Et comme ils avaient laissé leurs tracteurs sur place, on en a ramené certains en voiture pour qu’ils aillent faire la traite. Pendant plusieurs jours, il y eu une rotation d’agri, qui venaient par canton, pour se relayer et pas s’épuiser. Ils restaient dormir sur place. Ça a permis de les rencontrer individuellement, et d’échanger avec ceux qu’on entend pas en groupe. Je me souviens de moments chaleureux avec eux. C’était sympa. Ça faisait comme une sorte de bulle, un petit refuge, plus ou moins au chaud, près du poêle. Parce que dehors, les conditions c’était un mélange de gaz, de pluie, de froid et de boue. Alors qu’à l’intérieur il y avait des guirlandes de chaussettes qui séchaient laborieusement dans le salon. Une paire de chaussette sèche, c’était comme une denrée rare.

Ça marque tout ça. Surtout qu’en dehors des moments de rassemblements sur les routes, pour attendre les compagnies de gendarmes mobiles, ou pour aller à la Vacherit où à Hors contrôle [6], et ben je suis resté beaucoup au Rosier et ça jusqu’au jour de l’expulsion. Donc les souvenirs sont surtout là-bas.
Pendant ce moment particulier de « l’opération César », cette maison a aussi servi d’espace de retrouvailles pour des ami.e.s d’un peu partout, comme un point de ralliement.

Vag - J’ai la sensation de se retrouver à devoir gérer l’afflux de plein de gens et puis une situation où chaque jour on ne sait pas qu’est ce qui va être attaqué, détruit. Et du coup d’avoir une sensation de dispersion très très forte pour ces deux raisons-là. Et de pas réussir à dire quelque chose de clair à des gens qui arrivent en disant « moi j’ai des cagettes et des cagettes de trucs », de ne pas savoir quoi faire avec ça. La sensation de ne pas avoir la tête disponible.
C’est pas particulier au Rosier, mais c’est quelque chose de global à cette période ; de se retrouver à devoir organiser un truc qui n’est pas organisable.

Perso, ce que le Rosier ça m’a évoqué, mais pas seulement, le carrefour de la Saulce aussi, c’est à un moment de se dire ; bon, que tous les matins ils débarquent, ils sont en force, ils ont leurs objectifs, qu’on ne connaît pas, ils nous prennent par surprise. Et en fait il faut qu’on réussisse à avoir nos propres objectifs ; et à décider c’est quoi qu’on fait, c’est quoi qu’on défend et à poser notre temporalité là-dedans. Et au Rosier c’est ça qui s’y jouait pendant des semaines, en se disant que cet endroit ils ne vont pas l’attaquer tout de suite.
Et du coup il y a du temps pour réfléchir à comment on fait, que plein de gens puisse venir participer, que l’urgence c’est pas demain matin. Et du coup ça a fait une brèche.
Il y a au moins ça qui s’élabore d’une manière ou d’une autre. Parce que le reste c’était tellement une situation d’alerte générale que chacun.e se retrouvait à se dire ; moi je vais plutôt courir à travers champ pour aller sur la route vers le Sabot parce qu’ils attaquaient systématiquement dans ce coin-là. Pff, en fait c’est peut-être pas ce qui il y a de plus pertinent, mais je ’sais pas quoi faire d’autre, ahah. Voilà, du coup c’était vraiment très précieux de pouvoir se focaliser sur un lieu comme ça, de savoir que y’a ça qui se joue dans un autre temps.

Et aussi, ça comptait pour moi, de pouvoir partir chaque matin, de l’extrême ouest de la ZAD, de me dire je vais retrouver des potes au Rosier. C’est le premier endroit habité, je sais que je vais y trouver du monde. À partir de là, et ben on verra bien vers quoi on court quoi. Du coup j’ai ce souvenir du matin, d’y arriver régulièrement au Rosier avant l’aube, d’y laisser les vélos. Et partir à pied vers le chemin de Suez puis la suite quoi. Et aussi de repasser le soir. De s’échanger les nouvelles de la journée. D’avoir des discussions. De se demander comment ça va. De se donner des rendez-vous pour le lendemain. C’était comme la porte d’entrée sur la ZAD, pour moi qui venait de l’autre bout.

Je me souviens d’une soirée où on s’était dit peu importe où ils attaquent demain, ce qu’on pourrait faire c’est aller préparer des moyens d’empêcher leur arrivée ou leur départ quand ils viendront au Rosier dans une semaine.
C’était précieux dans ce moment-là de ne pas se focaliser sur où ils vont attaquer le lendemain mais de préparer des moyens de les faire chier pour quand ils viendront plus tard, à un moment où l’autre, quand ce sera expulsable. Du coup, nous voilà parti.e.s avec une bagnole, en pleine nuit, dans les routes autour du Rosier, avec un groupe électrogène dans le coffre et un perforateur. Tout ça pour aller péter la route, pour préparer des trous pour enfoncer des fers à béton aiguisés pour les mettre le jour où ce sera le moment. Voilà, du coup on a fait ça ; plein de séries de trous dans la route dans l’idée de les fixer.
On les avait coupés et aiguisés à la meuleuse. Puis on les avait planqués à côté pour que ce soit possible le jour voulu, d’aller dans les champs à côté. Et en fait on ne l’a jamais fait.
Parce que ça a pas marché. Enfin c’était pas le moment, c’était pas ce qu’il y avait à faire, enfin bref... ce qui comptait c’était de se concentrer sur ce qu’on décide et pas juste de céder à la panique. Ce truc-là c’était précieux pour la santé mentale.

Y - Ce qui m’interroge c’est comment ça a commencé à s’imaginer avec les paysans de défendre le Rosier ? Je me demande si c’était pas avant les expulsions. Je ne sais pas.
Il y avait des liens qui commençaient à se faire avec des paysans autour du Sabot. Le Rosier, c’est une ancienne ferme, blablabla, on aurait qu’à réfléchir à comment faire pour s’organiser autour de ce lieu. C’est un truc assez conscient de penser à quelque chose qui implique les paysans, avec cet argument de la ferme à défendre qui rentre en jeu. Ça s’est fait par une bande de gens qui s’est rencontrée autour du Sabot. Qui n’habitait pas au Rosier.

Il y a eu quelques ratés au niveau du partage d’info, de la transmission des comptes-rendus. Et après ça ont commencé les sessions dans le grenier.

Vag - Ces rendez-vous du grenier visaient surtout à imaginer le moment d’expulsion, la défense pratique du lieu. C’est-à-dire de prendre en compte qu’il y a des tracteurs, des paysans, des squatteurs, des gens de partout et discuter ensemble des modes d’actions.
Y - En plus, il y avait le système de communication avec des gens aux trois points de blocages des axes carrossables autour de la maison.
Fuz - A ce propos, je me rappelle que ce qui était envisagé c’était ; surtout on ne fait pas de trou dans la route, pas de barricade avant que les paysans n’arrivent parce qu’on les fait avec eux et puis pour que les tracteurs puissent arriver par la route, tout simplement. On avait convenu que c’était plus pratique qu’ils passent par la route.
Je me souviens que pendant deux jours on a fait en sorte que personne ne se gare dans le périmètre qu’on avait prévu de bloquer. Et c’était un bordel monstrueux parce qu’évidemment il y avait toujours un caisse ou un camion qui venait se garer au plus près de la baraque malgré les flèches indiquant les parkings. On se retrouvait dans le rôle du vigile à dire, « non ’faut pas se garer là ».
Il a fallu batailler. Trouver des chauffeurs dans le camping. Réveiller des personnes qui pionçaient profondément sur la banquette arrière. Retrouver des clefs. C’était pas une mince affaire, mais on a réussi à libérer les accès.
Vag - Je revois l’espèce de château fort en roundballers. C’était vraiment impressionnant.
Fuz - Et on en revient à ce qu’on disait, à leur arrivée la nuit, et le lendemain, c’est l’atelier barricade et « creuse ta route » qui reprend. Ça avait déjà commencé sur les départementales d’à côté.
Vag - Tout ça mêlé d’un concert de punk noise au groupe électrogène, avec les flics qu’étaient pas très loin. Aux Chênes des perrières ou je ’sais plus où.
L’idée du concert était de couvrir le bruit des disqueuses et des perfo qui découpaient la route.
Fuz - Avec ces images qui reviennent en bavardant, je revois un sacré beau bordel.
Cette période, c’est le début d’un nouveau rapport avec le monde agricole local. Ça change la vision qu’on en a je crois. On n’a pas souvent réussi à s’entendre avec les paysans de la zone sur les mêmes modes d’action. Peu sur de l’action directe en tout cas. Ils avaient peut-être plus à perdre aussi. Donc les prises de risques sont différentes. Quoi qu’il en soit, on n’avait jamais discuté en réunion ouverte, sur une route, dans un champ, avec autant d’agriculteurs. Et avec de la confiance les un.e.s envers les autres. Il se passe quelque chose d’important, le début d’un lien, qui continue d’ailleurs. Avec des paysans extérieurs, qui s’investissent dans cette lutte en venant occuper avec leurs machines. Et là, il y a quelque chose qui est lancé, qui ne va pas revenir en arrière, parce que l’opération César ça provoque des croisements entre des mondes.

C’est une bataille, qui malgré les douleurs, est victorieuse puisqu’ils ont renoncé. Au bout d’une présence militaire de 6 mois quand même. Mais ils ont renoncé. Donc les événements de novembre, ça scelle des liens qui ont évolué, mais qui sont toujours là, qui s’inscrivent dans le temps. Avec notamment l’occupation de Bellevue derrière. Mais il faut pas se voiler la face non plus, ça reste très fragile. Les relations ne sont pas toujours tendres. D’ailleurs pour certains squatteurs, ça n’existe pas les liens avec les agris et vice versa.

Y - Je ne sais plus si c’est dans des discussions collectives ou plutôt au cours d’échanges informels, qu’on commence à parler avec les agris de COPAIN notamment, que, en gros, il va falloir reprendre les terres plus largement que ce qu’on a fait jusque-là, ne pas les laisser ni à l’aéroport, ni à l’agrandissement.
J’ai l’impression d’un paradoxe à ce moment-là quand on se dit bon, on subit les expulsions, mais on va continuer à occuper les terres et on va s’organiser ensemble pour ça. J’ai le sentiment que ça apparaît dans les conversations pendant cette semaine, où il se passe plein de trucs, où les murs tiennent encore. _ Vag - Tu parles des bouts de discussions dans tous les sens, qu’ont lieu la nuit.
Pas juste des réus, mais des échanges comme ça, en vrac.
Fuz - Je pense que cette période, ça a fait qu’avec plein de personnes on se reconnaît par rapport à ce moment-là, à leur présence pendant les roulements par canton. Que ce soit pour eux où pour nous. Aujourd’hui, même si ces liens ont évolués, ou disparus, on s’en rappelle.

Vag - Je me souviens aussi de discussions du genre : c’est pas possible qu’ils viennent et qu’ils détruisent des fermes. Je crois que ce rapport-là était vraiment fondamental chez certaines personnes que j’ai rencontré à ce moment-là.
Qui étaient venues avec leur tracteur notamment. On entendait ; cette ferme-là ils ne l’auront pas. C’est pas possible qu’ils détruisent des fermes sans que ça fasse un scandale parmi les paysans. Je pense que ça leur a permis à eux, paysans politisés, pas impactés par le projet, de enfin prendre leur autonomie d’action et d’initiative. Avant ça, ils étaient en soutien aux paysans impactés, qui risquaient de tout perdre.

Les paysans de COPAIN et d’autres sans doute, avaient ce problème, je pense, de comment intervenir dans cette lutte sans se poser en conflit avec les pratiques des autres paysans, sans porter préjudice aux collègues de Notre-Dame.
Qui avaient eux leur propre tactique et qui étaient en conflit avec les occupants. Alors ça veut dire que des paysans de l’extérieur qu’intervenaient sur des pratiques je dirais de complicité ou d’alliance avec les occupants, et bien ils se posaient en conflit avec les paysans aux méthodes plus citoyennes.

Alors quand il s’agit à la fois des occupants qui sont attaqués et d’une ferme menacée de se faire détruire, alors là il peuvent intervenir et ils le font.
Et aussi on n’a pas tellement parlé du Sabot, de leur manière d’intervenir là-bas. Ils sont présents là-bas au moment des expulsions. Ça a marché leur action là-bas avec les tracteurs.
Ils ne sont pas focalisés que sur le Rosier.

Communiqué du Rosier le 15 novembre 2012

Le Rosier est la 1ère maison occupée de la ZAD, suite à la volonté des opposant⋅e⋅s à l’aéroport de faire venir d’autres habitant⋅e⋅s.
En 5 ans d’occupation, de nombeux moments de partage, de résistance et de coups de main ont été échangés. C’est logiquement que tou⋅te⋅s ensemble nous nous réapproprions cet espace le jour où la volonté des professionels de la politique est de raser la zone.

Nous (agriculteurs⋅trices, retraité⋅e⋅s, résident⋅e⋅s de la ZAD et tou⋅te⋅s autres habitant⋅e⋅s qui résistent) avons décidé que cette journée serait un moment de jeux, barricades, projection, ateliers, débats.

Depuis 4 semaines, les forces de l’ordre (milices de VINCI) essaient d’accélérer le temps pour faire place nette, mais nous résistons. Leurs tentatives de répression et de division ne nous arrêteront pas.

Même si Le Rosier est expulsé, maintenant ou plus tard, cela ne fera que renforcer notre colère et notre détermination collective à lutter contre ce projet et le monde qui le produit.

Des habitant⋅e⋅s du Rosier, de la ZAD et du monde opposé⋅e⋅s au projet d’aéroport

Journalistes, hors de nos vies

Kari - Y’a des milliards de trucs à raconter mais y’a un truc par rapport au Rosier qui était quand même assez plaisant. Je sais plus exactement à quel moment c’est mais c’est le moment où y’a commencé à avoir plein de gens, je pense que c’était après la manif de réoccupation où juste avant…
Fuz - C’était le camping de la manif de réoccupation, il était en face du Rosier, dans le champ de l’autre côté de la route.
Kari - Et avant ça y’avait eu cette grande réu avec de plus en plus de monde qui était autour du Rosier, des agriculteurs et plein de potes d’ailleurs, pour avoir des lignes communes sur 2-3 trucs, notamment une qui n’était pas une évidence au départ et qui était vraiment classe, c’était d’avoir fait un espace où il n’y avait pas de médias.
Ça faisait tout une zone et on avait délimité cette zone en mettant des espèces de pancartes sur les chemins d’entrée à droite à gauche, en mode « ici, c’est un espace où les médias ne sont pas les bienvenus ».
C’était chouette de s’être mis tous d’accord là-dessus, ce qui n’était pas une évidence et qui ne l’est toujours pas aujourd’hui. Ça fait que tu pouvais avoir de la conflictualité avec des journalistes sur place et tu vas pas t’embrouiller avec tes potes, complices a priori dans cette lutte là, sur le terrain même face aux journalistes. Y a juste un truc de « vous allez ailleurs » et après nous on peut se prendre la tête sur la pertinence ou pas de cette décision, mais la décision était prise. Et ça j’ai trouvé ça hyper classe.
Tu t’économises sacrément des bouts de discussion avec des gens avec qui tu voudrais avancer sur d’autres trucs parce que ça c’est pas remis en question.
Fuz - Et du coup y’avait des panneaux…
Kari - Y’avait des panneaux aux différentes entrées, aux différents chemins où t’arrivais, tous les accès d’où pouvaient arriver les journalistes, qui leur disaient « ici tu viens pas, là vous êtes pas les bienvenus, vous viendrez pas et on vous demandera de vous casser » en expliquant 3-4 raisons…
Fuz - Parce qu’ils avaient déjà leur lieu de point de chute sur la ZAD, je sais plus où…
Kari - Ouais y’avait des milliards d’endroits où on les envoyait pas chier et y’avait un endroit particulier qui était le point accueil média. Donc c’était facile, parce que y’avait des gens qui avaient accepté ce truc là, de dire « y a un accueil média, vous allez là-bas » sans les renvoyer chez les voisins. Même moi je les renvoyais nulle part, je leur disais de partir mais après chacun faisait comme il voulait.
Mais au moins là où tu vis et là où tu t’organises avec tes potes t’as pas à rebrasser cette question tous les quarts d’heure dès qu’il y a un journaliste et que ça crée des tensions entre les gens.
C’est ce qui est arrivé le jour même de l’expulsion du Rosier, là c’est parti en vrille justement parce que tout ça , ça vole en éclats. Les keufs qui sont arrivés au Rosier, les premiers qui sont rentrés dans la maison, ils étaient suivis, et au milieu de leur convoi y’avait une meuf journaliste atroce… Le matin, donc elle était prévenue avant nous de l’expulsion. Et après quand on était dans le champ et qu’ils étaient en train de sécuriser la baraque etc, y’avait des journalistes qui étaient là et là c’est reparti en vrille, ils allaient chercher, provoquer la conflictualité potentielle entre nous par rapport à ce truc là, avec certaines d’entre nous qui lui disaientO« casse-toi », d’autres qui lui répondaient et du coup lui disait « pourquoi vous me dites de me casser si y’en a qui répondent ». Typique.
Et du coup on avait été malins sur le fait de s’économiser tout ça pendant les semaines avant. Et voilà, ça c’était un bon petit souvenir.

Un système de guet incroyable

Y - Donc y’avait tout le système qui avait été mis en place, dont on vient de parler avec les paysans, avec les gens venus d’ailleurs pour avoir des gens partout, des gens sur les barricades tout les matins, des gens qui avaient des missions diverses et variées… Et, moi, j’ai un souvenir que le vendredi soir ou le jeudi soir, on fait une grande assemblée dehors, en mode « bon comment on continue, comment on assure la défense de ce lieu tout ça » et je ne sais plus pourquoi mais on prévoyait de faire une conférence de presse, du coup on cherchait des gens pour faire une conférence de presse, fallait des paysans et des occupants. Je ne sais plus ce qu’on voulait dire avec cette conférence de presse, en tout cas y’avait des gens chargés de l’affaire…
Vag - Par rapport au Rosier ?
Y - Ben ouais je pense.
Et puis y’a un grand débat, une grande discussion et puis on se dit qu’ils vont pas venir le week-end, c’est pas la peine d’avoir notre système de guet incroyable tôt le matin et tout ça et c’est le lendemain ou le surlendemain de ça quand on avait un peu allégé notre système de guet qu’ils arrivent. Du coup y’a jamais eu de moment pour la conférence de presse parce que c’était prévu pour 3 jours après.
Vag - Ils arrivent un vendredi ?
Y - Ben je sais plus mais je pense qu’on s’était dit « ils vont pas arriver le vendredi parce que après c’est le week end et le week end ils vont pas faire ça. » Je sais pas pourquoi on avait ça dans la tête […]
Et du coup ils arrivent tout à fait le matin où on les attend pas, personne ne les voit arriver des lieux de guet ou sur les barricades, et quand les gens les voient ils sont autour de la maison et du coup tout le plan de les maintenir loin de la maison c’est raté. La résistance sur le coup de la maison, elle est pas très grande. En tout cas moi j’entends par la radio que les flics ils sont autour du Rosier et le temps que j’arrive jusqu’au Rosier…
On avait fait une soirée la veille genre un gros repas tranquille avec plein de gens à la maison tout ça et toujours dans l’idée de « il ne va rien se passer demain », je peux aller dormir ailleurs…
... et du coup le temps que j’arrive, y’avait plus personne dans la maison, les flics étaient déjà dans la maison, le poêle fumait tout ce qu’il pouvait à l’intérieur [...] parce que des gens ont essayé de mettre plein de choses dedans en partant. Et puis, ben c’était un peu fini quoi quand je suis arrivé.
J’ai l’impression qu’il n’y a pas eu beaucoup de possibilités de résister.
Vag - Et parce que y’avait personne sur les barricades pour vraiment annoncer qu’ils sont là ?
Y - Ouais et puis ni pour les freiner et qu’ils ne sont pas passés par les routes.
En fait ils sont venus à pied par les champs et les chemins et du coup ils étaient de l’autre côté des tracteurs, les tracteurs devaient servir à entourer la maison pour la protéger mais ils étaient déjà de l’autre côté quand les gens s’en sont rendus compte. Et on les a regardé détruire la maison depuis le champ et après on s’est rendu compte qu’ils avaient crevé les pneus d’un ou deux tracteur…
Vag - Ils ont détruit la maison avec les tracteurs autour ? Ça les a pas gêné avec les tractopelles et tout ?
Y - Je sais plus si ils les avaient pas déplacés, je sais qu’ils avaient pété des trucs de tracteur mais je sais plus trop. Il y a du avoir un moment de délai où ils demandaient les clés des tracteurs aux paysans qui voulaient pas leur donner pour les déplacer et un moment les paysans ont du déplacer les tracteurs plutôt que de prendre le risque de se les faire remorquer… et y’a 1 ou 2 tracteurs qui ont pas bougé et qui se sont fait crever les pneus. Et pendant ce temps là, les flics étaient aussi à la Châtaigne.
Vag - Ils étaient à la Châtaigne pour empêcher le chantier de construction en cours suite à la manif de Réoccupation.
Y - Voilà, c’était le grand plan « La défense du Rosier »...

L’incendie du hangar et sa reconstruction

Extraits des 10 ans du Rosier

« C’est qu’ils ont détruit la maison, et le hangar là, c’était celui à SD, qu’était encore à Bellevue, et il était pas encore parti lui, il était plein de foin.
Et une nuit, y a des gens qui ont fait une alerte qu’y avait un gros feu, et en fait le temps qu’y a des gens qui arrivent, tout le foin il avait brûlé, le hangar il était tout en train de brûler, et c’est comme ça que le hangar a disparu.
Et personne n’a rien vu mais tout le monde dit que c’était un incendie criminel fait exprès. Alors y’en a qui disaient que c’était les flics qui l’avait allumé, y en a qui disaient que c’était SD qui savait qu’il allait se barrer qui l’avait allumé pour toucher l’assurance. On saura jamais qui qu’c’était, mais en tout cas c’est parti hyper vite au milieu de la nuit. Tout le hangar il était en feu.
- C’était incroyable, c’était vraiment très très beau.
- Mais après est-ce qu’y a des gens qui étaient là qui veulent raconter comment qu’il est revenu le nouveau hangar ?
- Bin… en tout cas c’est un hangar dont on a beaucoup parlé ! J’pense c’était pas très longtemps après les expulsions, y avait les projets qui se relançaient, tout ça, on se disait “ah comment on réoccupe, comment on se réinstalle, comment on réoccupe des terres ?”, des projets de "Sème ta ZAD" qui se lançaient, tout ça tout ça.

Et puis y avait des gens de Brest et des environs qui ont dit à un moment “ah mais nous on a un hangar stocké dans un champ, on avait des projets mais finalement les projets ils se font pas alors on serait très contents qu’il vienne ici”. Du coup ça a été dit à une réunion, y a eu des questions, “où est-ce qu’on le mettrait, qu’est ce qu’on en ferait ?”. Alors ça a pris plusieurs réunions pour savoir où on le mettrait, qu’est-ce qu’on en ferait, tout ça, après d’autres pour savoir comment on irait le chercher, parce que c’était un peu loin quand même.

Du coup, ça, ça prend un peu de temps, ça prend des mois quoi, parce que chaque fois c’est une réunion, on propose un lieu, après l’endroit où c’est proposé on se dit “ah mais non, peut-être pas, c’est pas malin, si c’est un espace collectif ça va pas être pratique, c’est pas au bon endroit, tout ça”, enfin bref, plein de débats.

Il a dû y avoir une tentative d’aller le chercher en camion, un automne, puis le camion est resté embourbé dans le champ, du coup le hangar est resté dans son champ aussi. Et puis on a du refaire un cycle de discussion vu que les gens avaient dû changer des lieux où on pensait le mettre, il a dû re-y avoir des discussions… et à un moment, COPAIN a dû se dire “bon, prenons les choses en main, ça va pas durer comme ça”, et y a eu l’idée d’aller le chercher en tracteur, et de faire un relais de tracteur. Y a une équipe qui est partie en tracteur, en changeant de tracteur tous les 20 kilomètres, avec transmission solennelle [de la remorque] à chaque étape, tout ça tout ça. [...] Et ensuite il a été installé là, et on s’est rendus compte qu’il fallait quand même refaire un certain nombre de morceaux… C’était une affaire, mais pas tant !

Mais on avait bien rigolé quand même. Et puis il sert à plein de trucs, notamment ranger le matériel, stocker des récoltes qu’on fait avec les cultures collectives, ce magnifique mur d’oignons ! Et les patates qui sont derrière. Et je pense qu’on a fait le fest-noz d’inauguration un an après qu’il ait été construit, parce que ça nous a aussi pris du temps d’organiser le fest-noz d’inauguration…

- C’est le début de la mode du hangar !
- Maintenant y a plusieurs hangars de construits comme ça. Des plus grands et des plus petits. »

Extraits des “Nouvelles de la reconstruction : le voyage du hangar”

Voilà plus d’un an, alors que de nombreuses maisons et cabanes sur la ZAD étaient réduites en miettes, des personnes de l’ouest ont proposé d’offrir un hangar à remonter sur la ZAD. Sème ta ZAD était intéressé pour avoir un lieu où stoker les récoltes, mais n’a jamais réussi, malgré plusieurs tentatives, à téléporter ce bâtiment de Rosporden jusqu’au Rosier. Ce sujet est resté comme une blague dans les assemblées : un an à en parler sans que rien n’avance...

Puis COPAIN s’est proposé pour convoyer ce hangar : départ le 28 avril d’un plateau chargé de foin et de banderoles, ledit plateau est tiré par des tracteurs qui se relaient tout les 20/25 Km jusqu’à Rosporden. À l’arrivée, déchargement du foin, chargement du hangar et retour vers la ZAD par une autre route, par d’autres tracteurs, avec d’autres gens. Ce qui aurait pu être un simple relai de tracteurs s’est en fait révélé être un genre de vaste manif pour la reconstruction : des centaines de personnes se sont retrouvées sur le trajet : aux moments d’échanges de tracteurs, pour des bouffes ou fêtes en bord de route, en centre ville ou dans des fermes, pour accompagner le convoi quelques temps, pour fêter ça à l’arrivée. Autant dire que ce convoi n’est pas passé inaperçu. Autant dire aussi que ça n’a pas vraiment fait plaisir à la préfecture qui venait de renoncer à détruire les maisons de Saint-Jean du Tertre et de la Freusière, et qui, apparemment, préférerait qu’on arrête d’occuper de nouveaux lieux...

Sur le trajet du retour, le convoi se fait bloquer par les flics : ils tentent un contrôle général aux motifs de « risques de dégradations et de transport d’armes ». Ils lisent un papier comme quoi le montage de ce hangar est illégal, que toute personne y participant risque entre 1200 et 6000 euros par mètre carré, que ce chiffre est monté au quintuple pour COPAIN, qu’on risque l’interdiction d’exercer sa profession et un contrôle judiciaire. Rebelote dans les journaux, ils affirment « vouloir attaquer en pénal ».

Le 3 mai, au Rosier, alors qu’une joyeuse équipe remballe les pioches après avoir creusé pour les fondations, un huissier se pointe pour prendre des noms, pour lancer une procédure (alors que d’après lui, il y a déjà une ordonnance d’expulsion pour ces terrains !). Une date de procès devrait donc arriver dans les jours qui viennent. Qu’à cela ne tienne, la mauvaise humeur du préfet ne nous arrêtera pas (bien sûr !), nous monterons ce hangar, nous reconstruirons le Rosier ! Des rendez vous suivront pour des chantier, et pour fêter ça ! À bientôt !

Des habitantEs

Relais de tracteurs de Notre-Dame-des-Landes à Rosporden pour la reconstruction du Rosier

Dimanche 27 avril 2014

Dans la nuit du 14 novembre 2012, quinze tracteurs de COPAIN entourèrent la ferme du Rosier sous les « hourras » des squatteur-euse-s qui l’occupaient. Nous pensions la protéger de la destruction, mais au lendemain de la grande manif de réoccupation les flics, accompagnés des bulls à VINCI, détruisirent et même brulèrent maison et dépendances endommageant quelques tracteurs au passage. Un an et demi plus tard, dans un moment où, sans crier victoire, nous ne nous sommes jamais senti-e-s si près de gagner, le temps de la reconstruction est venu.

Comme d’autres lieux sur la ZAD, où des collectifs construisent, cultivent et élèvent, le Rosier va refleurir en ce printemps prometteur.

Un collectif du Finistère donne un hangar qui, une fois remonté au Rosier servira à abriter chèvres, moutons et récoltes. Pour l’acheminer, un plateau à foin va bénéficier d’un relais de tracteur des COPAIN 44, 56 et 29.

Autour de ce plateau, paré de panneaux et banderoles, et en compagnie des comités NDDL des villes traversées nous échangerons sur cette lutte et sur d’autres projets inutiles qui y font échos dans une ambiance militante et festive.

Les Copains Du Grand Ouest (44, 56, 29...)

Pratiquement :
Une douzaine de personnes de Loire-Atlantique accompagnent le convoi aller-retour. A chaque instant du convoi, vous êtes convié-e-s ! Pour les cyclistes, sachez que le convoi roulera à 20km/h sur les grands axes ! Les horaires sont donnés à titre indicatif.
(COPAIN 56 est composé de Accueil Paysan, la Confédération Paysanne, le GAB 56, l’association La Marmite (CIVAM), Terre de Liens. Le RAD (Réseau Agriculture Durable).)

Causeries

(Non-)Acte 4

« On a plus de balai... les aléas de cette cuisine incroyable.
- Cette cuisine incroyable, tiens, vous voulez pas raconter !?
- Ben du coup y a plein de gens qu’ont aidé à cette cuisine, plein plein plein plein plein [ouais ouais, tout ça] . Genre y a un agri du coin qu’a donné des plaques pour faire le plafond, et l’isolant qu’il y a derrière... bon c’était un super mauvais plan parce qu’il s’avère que finalement, l’isolant avait été habité trèèès largement par des chats et des rats avant, et du coup fallait non seulement se taper de la laine de verre, mais en plus en p’tits morceaux. Du coup ça grattait.
C’était assez horrible ce chantier. Mais y avait plein de gens pour aider...
Ce mur là il a été très long. Parce qu’il était fait pendant la période de cohabitation, où du coup les gens qui ont fait ce mur-là avaient des visseuses et...
des sous.
- ’Fin, ce bout de mur-là. Que d’ailleurs c’était déjà en un seul tenant, ils ont été l’acheter à la recyclerie. Et pour ce mur-là on a dépalleté palette par palette. Du coup c’était un peu un travail inégal sur euh... l’investissement. Mais moi j’trouve franchement ça l’a fait hein. Pour une vieille baraque qu’on nous a dit que la chaux elle tiendrait jamais... Tu te souviens quand on a fait le mur de chaux ?
- Oui. C’est qui qui nous a dit ça déjà..?
- L.
- Ah ouais...
- Que lui il était maçon et qu’un mur qu’avait brûlé ça pouvait pas retenir le truc. Finalement...
- Ben ça tient encore bien assez quoi.
- Moi j’ai entendu plein de trucs sur cette cuisine et j’trouve que...ben elle tient la route. Y a une propension à accumuler du matos un peu euh... improbable. Mais comme une cuisine collective quoi.
- Pis de toute façon si c’était pour rester de l’autre côté... »

Le retour des habitant-e-s

Extraits des 10 ans du Rosier

« Moi j’ai une question. Est-ce qu’on peut raconter comment c’est ré-habité ici ?
- Ça a été habité en continu. Y a peu de temps où ça a pas été habité en fait.
- Bin c’est ce moment là parce qu’y a une expulsion, du coup y a plus personne qui habite, le hangar qui se construit, comment c’est ré-habité ?
- Ça fait un truc où ça donnait envie de pouvoir revenir vivre, et y avait quelqu’un qui habitait déjà là qui disait “ah bin on pourrait essayer”, puis moi ça m’a motivée, le projet était intéressant. Et du coup ça voulait dire quand même de se taper un hangar de 300 m2 qui était ici et qui avait flambé et était tombé en ruine, du coup ça faisait un gros tas d’amiante pourrie que c’était pas facile de faire disparaître. Alors à ce qu’il paraît, moi je m’en souviens pas, mais à ce qu’il paraît à un moment on a dit ce problème dans une AG et y a quelqu’un, un agriculteur, qui a proposé un énorme bulldozer, et qui est venu, et qui a fait un trou énorme là ou y avait la maison, on a poussé la terre et enfoui tout le hangar dessous, on a remis la terre. Parce qu’on pouvait pas trop se pointer à la déchetterie avec 300 m2 d’amiante, voyez ! Du coup c’était une solution… Alors ça a eu des conséquences comme, j’ai l’impression l’eau du puits elle est un peu trouble depuis, c’est bien si on creuse pas là de nouveau, transmettez le aux générations futures, c’est bien de ne pas creuser là ! Et puis ça permettait de revivre alors y a une caravane qui a été posée, puis une cabane qui a été construite, puis une roulotte qui est venue. Puis un hangar. Mais ça c’est très résumé !
- Et après y a plein de cabanes qui ont poussé.
- Et des moutons. »

Fest-noz pour les un an du Rosier

Le collectif brestois de soutien à la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes organise un fest noz le 2 mai 2015 pour fêter l’arrivée sur la ZAD du hangar du Rosier ! Rappelez-vous, c’est le hangar qui a été amené au printemps dernier au Rosier pour abriter matos et récoltes collectives, c’est maintenant l’occasion de l’inaugurer ! Les bénefs iront à la lutte.

On s’est dit que ce serait aussi une super occasion de faire marcher la solidarité entre collectifs pour l’organiser ensemble. Si vous voulez participer à l’organisa-tion vous pouvez envoyer un mail à soutien-nddl-brest@@@riseup.net. Vous pouvez imprimer l’affiche et la placer partout partout partout !

Atelier danses à deux (scottish, polka, mazurka...) à partir de 17h.

21h, début du fest noz avec : Brekilien krew, Les arriérés, Folkentez, Yod, MP6, Le Goff/Salaun, Chuchumuchu + groupe Surprise ! Entrée prix libre, bar, cantine et camping sur place.

La tête à l’est, la fête à l’ouest

Le Rosier ne m’est pas familier.

Je ne m’y suis rendu qu’une fois, à l’occasion du camp d’accueil et de défense qui avait été organisé la semaine précédant la manifestation de réoccupation du 17 novembre 2012.

Le jour du fest-noz du Rosier, le 2 mai 2015, j’habite dans une sorte d’enclave, un microcosme dans lequel je m’épanouis volontiers ; l’est de la route départe-mentale 281, autrement appelée « route des chicanes » ; une zone sans goudron ni moteurs, parsemée de cabanes que seules des friches séparent, reliées les unes aux autres par des sentes que les ronces referment aussi vite que l’on cesse de les pratiquer.

La richesse des relations que cet espace de quelques 40 hectares offre ne suffit pourtant pas à subvenir à l’ensemble de mes besoins. Se réapproprier sa vie au quotidien peut facilement maintenir sur un périmètre très limité. Ici tout met du temps que l’on prend volontiers ; nous sommes ainsi en rupture directe avec le culte capitaliste de la « mobilité » ; pas besoin de courir à tout vent ; pas de montre au poignet, pas d’engagement à être efficace dans ce que l’on fait.

Il me faut en sortir, plus ou moins fréquemment, quitter ma zone de confort, rencontrer cette autre ZAD, celle qui s’organise, qui possède un agenda, s’éclaire à l’électricité, touche le RSA, dispose d’un véhicule, transporte des hangars. Aucune des personnes qui m’entoure ne se rend au Rosier fréquemment, ni ne connaît ceux et celles qui y vivent. Qui sont-ielles ? Je n’en ai aucune idée.

Je les croise sûrement lors de mes sorties hors « zone non motorisée », ces aventures dans ce que ici on nomme le « grand Ouest » c’est à dire le par delà la départementale 81 et le carrefour de la Saulce. Ces lieux auxquels des routes bitumées mènent, avec leurs parkings, leur accès à l’eau courante et leur raccordement au réseau. Ces lieux dans lesquels les gens ont des chaussures à leurs pieds, utilisent des disqueuses et se servent de leurs téléphones portables sans retenue.

Nous nous mêlons sans doute en assemblées quand je veux bien m’y rendre, en concerts ou au Non-marché. Nos regards se rencontrent, nos pratiques se toisent, les visages s’impriment. On se salue d’un hochement de tête respectueux, parfois plus selon les manières de chacun-e, mais ces espaces n’offrent pas toujours la possibilité de se mêler. Il faut parfois des années. J’attends donc patiemment, peu enclin que je suis à précipiter ce qui ne va pas de soi.

Les fêtes sur la ZAD sont pour moi des moments d’une importance capitale. Je leur trouve des potentiels profondément subversifs, en ce qu’elles permettent la réunion d’une diversité d’individus qu’on ne retrouve à nul autre moment – même pas en assemblées – dans un contexte facilitant : on ne vient pas se « prendre la tête » mais plutôt « se lâcher », enlever sa laisse, se déchaîner. Pas besoin de justifier sa présence, on vient pour partager et mettre de côté le reste. Ce sont des moments qui me sont particulièrement chers.

Alors j’irai au Rosier. Un fest-noz, c’est la promesse de danses collectives partagées entre toutes générations confondues et animées par des mélodies envoûtantes. Elle nous mèneront assurément au défoulement de nos membres, éventuellement à la communion que je recherche tant.

Je ne suis pas parvenu à emmener avec moi ceux et celles avec qui je partage une partie de mes convictions d’alors. Mes envies m’ont souvent valu d’aller seul, j’irai une fois de plus.

C’est à pied que je m’élance. Je quitte la Boîte Noire pour rejoindre le Sabot, par-venir à Lama fâché, atteindre la route des Fosses Noires d’abord, puis le chemin de Suez jusqu’à bifurquer à gauche avant la Maison des singes. Je coupe ensuite à travers champs, pour rejoindre les lueurs du Rosier.

La fête est déjà entamée ; il y a du monde sous le chapiteau de COPAIN, monté pour l’occasion. L’eau ruisselle le long des bâches et tombe au pied de ceux et celles qui discutent sur des chaises et se reposent entre deux danses.

L’espace central, jonché de graviers, est réservé à l’exaltation des corps ; scottish, mazurka, valses, cercles circassiens, danses traditionnelles bretonnes et libre interprétation nous agitent au fil des prestations musicales. On assiste à des pas plus ou moins assurés, au respect de la rigidité des codes comme à la souplesse des corps qui se livrent à l’improvisation.

On en voit des déséquilibrés par l’alcool, et d’autres qui tiennent bon malgré les remous du reste et qui veillent à ce que leur espace d’expression soit garanti.

Le brouhaha qui règne à l’intérieur est accompagné de la pluie battante au-de-hors, dont l’écho amplifie la dimension chaleureuse de se retrouver là, ensemble et à l’abri. Ce soir la promiscuité à bon goût, j’ai le sourire vissé aux oreilles.

Un ami me tend une bouteille de bière de pissenlit en même temps qu’un large sourire. On est contents de se voir. Il est du genre à se retrouver en teuf, bien devant les murs de caissons et à y passer des heures, sur une musique lancinante. Je me délecte du nectar et le voilà reparti se mêler à la danse, avec son treillis crotté, son sac sur le dos et sa bouteille à la main. Je suis traversé d’une grande joie alors que j’admire ces scènes qui ont cours sous mes yeux ; je perçois de l’écoute, de la complicité, de la libération et finalement, de l’épanouissement. Qu’ils sont beaux tous ces gens lorsqu’ils sont réunis dans des conditions opportunes.

Mes yeux trouvent un couple d’opposants à l’aéroport qui se rend souvent aux rendez-vous du mouvement. Ils sont membres d’un comité de soutien du coin, et viennent ce soir prendre part à la fête. Je ne les vois jamais au bar, ils se tiennent toujours droit en se tenant l’un à l’autre, en attendant la prochaine chanson, qu’ils danseront soit en couple, soit côte à côte. On partage des conversations pendant lesquelles ielles s’indignent de la politique du gouvernement et du monde qui va avec. J’ai l’impression qu’ils attendent de moi que je valide leur position ; j’acquiesce facilement. Comme s’ils ne trouvaient pas cette opportunité de s’exprimer ailleurs, ils le font ici, parmi ceux et celles qui au-delà de partager leur indignation, tentent de la dépasser de façon concrète. On semble à chaque fois également satisfaits des conditions réunies lorsque l’on se rencontre.

S’il fait beau on dira qu’on a de la chance d’avoir ce soleil, et s’il fait gris qu’on a de la chance qu’il ne pleuve pas, et s’il pleut on trouvera tout type d’excuses pour ne pas penser à une infortune ; « la terre avait grand soif », « c’est de saison » ou encore « c’est l’occasion de prendre une douche ». Ils ont l’air facilement heureux, là parmi nous. Leur présence m’est agréable, je leur souris chaleureuse-ment avant que mes pieds ne m’emportent. J’enchaîne les partenaires dans toute leurs diversités en même temps que j’apprends les pas ou inversement. Mes pieds nus ne désespèrent pas, malgré les efforts que les cailloux qui jonchent le sol leur demande.

En avant pour une bourrée.

Causeries

(Non-)Acte 5

« Pétain, j’avais oublié cette histoire....
- Ah ben moi pas hein...! Tu te souviens pas, le soir où tu me l’as annoncé, que B. voulait venir vivre au Rosier ? NE JA-MAIS prendre des champignons si t’es pas sûr avant que tout va bien se passer, faudrait toujours savoir ce qui va se passer dans ta soirée ! (rires).
[...]
- C’était une période où L. et Q. habitent au Rosier. On est au début de l’hiver. Nous on est revenu.e.s sur le lieu dans l’été, y’a X aussi dans le coin, et plutôt ça sent le sapin avec L...
La situation était pourrie...
[...]
Q lui dit déjà “De toute façon j’vais pas rester, moi je vais me barrer”.
Mais sur le coup c’est même pas dépendant de nous je crois, j’entendais dans sa critique de la ZAD qu’il était blasé. Il avait eu cette expression, qu’il avait envie de “sortir de l’époque du bac a sable” [rires] . J’ai l’impression – mais faudrait demander a Q direct hein – qu’il en avait ras le bol de tout. Ou lui, il voyait plus loin, plus grand, plus fort, plus dedans, plus agricole...
On était pas raccord sur des questions d’efficacité, de mépris, de “branleurs” et de “fesous” [7]. J’avais même été sacrément vexée a propos des “cabanes en palettes de merde qui tiennent que dal” vue que celle dans laquelle je vis c’est que d’la palette et d’la récup !
Et donc quand il a parlé de se casser on allait rester avec L et c’était pas la grosse ambiance (on était 3 autres personnes)... Parce qu’on vivait pas vraiment ensemble et je crois qu’il était un peu seul... Plutôt même c’était tendu sur les outils, les repas.
Un jour L nous a dit “ben ok, moi aussi j’vais prendre des co-habitants.
Vous voulez inviter des gens a vivre au Rosier, ben moi aussi j’vais inviter mes potes, j’vais inviter B.”
À ce moment là, sur la ZAD y’avait déjà eu pas mal d’embrouilles avec B. De grosses embrouilles a Bellevue notamment, c’est même pour ça qu’il s’en barrait !
Alors on a dit “ben non, c’est pas possible”, ça n’avait pas de sens que quelqu’un avec qui ça le fait déjà pas à l’avance s’installe sur le lieu !
Et puis un jour y’a un pote, avec L et B qui font plein de trajets avec une remorque. Ils passent toute la journée, j’me dis “ah, ils font du bois". On bricolait je crois, on percute rien...
Le soir c’était la boum a Bellevue, karaoké même ! Avec D. on se prépare pour y aller, on se déguise avec des habits de lumière, on met des mini-jupes, on prend des champignons, en mode fête quoi !
Sur la route on passe a la Riotière, et là y’a les voisins V. et C. qui me demandent :
- Alors ?
- Ben alors trop bien, ça monte et tout !
- Et comment ça le fait avec votre nouveau voisin ?
- Quel nouveau voisin ?
- Ben B. qui s’installe avec vous ? Il a déposé toutes ses affaires aujourd’hui !
- Mais que dal !
Je suis direct ressortie, j’ai re-traversé le champs, et là j’suis arrivée avec ma frontale devant un tas de bois, palettes, matos..! J’étais toute seule devant ça à me dire “déconne, déconne, DÉCONNE !” ce qu’ils avaient charié tout l’aprèm c’était les affaires de B.!
Je suis repartie, on a été a Bellevue, où je savais qu’il y aurait B. j’ai été lui causer cash, et y’avait L. aussi, on s’est trop embrouillé.e.s, c’était horrible...
- En habits-de-lumière , sous champi, t’as du être crédible...
- Nan, j’me suis plutôt fait insulter une bonne partie d’la conversation avec L.
- Ah ouais c’est ça la soirée carnage à Bellevue...
[…]
Quand en face l’argument était “c’est pas chez vous”, moi mon argument c’était “oui mais ça marchera pas de co-habiter juste a côté si on s’entend pas”. "Ben oui mais c’est pas chez vous”... Et qu’est ce qui est légitime, tu vois ?
Et moi depuis, ça me hante un peu cette question, parce qu’ici il faut penser le territoire ensemble...
Et en même temps, comment tu fais dans le désaccord pour ne pas être juste un frein dans les roues de l’autre ? Pour qu’il puisse aussi faire sa vie quoi ?
- Mais ça, c’est dans l’esprit où, l’idée c’est de savoir jusqu’où c’est chez toi, et tu t’en sors d’façon pas ! Bien sûr que c’est pas chez toi, c’est justement ça le critère qui fait que tu le délimites ou pas !
- Non, mais alors c’est quoi le critère ?
- Ben j’sais pas, une question d’écoute et de bienveillance ?!
[…]
- Oui mais alors, moi, est-ce que je suis dans l’écoute et la bienveillance devant B ? Cette personne là, elle a quand même envie d’avoir un chez-lui ?
- Ouais...? Non mais je pensais plus à l’installation du hangar où ça se croise pas bien... Je connaissais pas l’histoire avec B.
[...]
- C’était vraiment en mode bourrin... Mais ça va, il est pas venu habiter là.
Mais aujourd’hui je me repose la question de la légitimité. Dire « non » à quelqu’un quoi.
- Du moment où c’est ton lieu de vie, et que collectivement t’y établis des principes d’usage et de vivre ensemble en fait...
- Nan mais là y’avait pas de collectivement !
- Au niveau du Rosier ?
- Ben ouai L. il voulait vivre avec B. et nous on était pas d’accord.
- C’est là où t’as l’écrémage qui se fait dans le collectif, et malheureusement c’est souvent les principes de celui-qui-craque-en-premier ou qui-c’est-qui-aura-la-force-de-tenir.

- Moi je trouve que c’est un truc qui se répète sur la zone et qui existe pas souvent dans les vies... J’ai jamais appris à le réfléchir avant, ou le gérer parce que c’est pas un truc qui se passe.
- Ben en squat ou en collectif, si.
- Ça me faisait pas la même ! Les expériences que j’avais croisées, on se choisit plus. Tu sais quand même souvent d’où les gens débarquent, ou c’est les potes de quelqu’un... tu peux t’y référer... Là, sur la zone, tu vis avec des gens que t’as pas choisi du tout a certains moments. Et comment faire pour quand même faire avec ces critères de choix là dedans ? Qui donne les critères, qui a le droit de le faire, qui ça exclu...? Toutes ces questions là je pense qu’elles sont transversales a tous les lieux, enfin j’imagine. Je sais pas comment ça s’est passé a la Riotière au début, mais j’imagine que pour se choisir les uns les autres ça a posé ces questions...
- On s’est choisi.es un peu par défaut parce qu’on était plusieurs à en avoir marre de Bellevue et avoir envie de faire autre chose... Du coup on s’est choisi.es mais c’était avant tout un non-choix en quelque sorte. Et de toute façon, tu choisis plus ou moins des gens que tu connais pas, ou peu, et potentiellement 6 mois plus tard tu te rends compte que c’est la merde...
- Et qui décide de partir ? Comment les gens sont légitimes à rester ou dire aux autres de partir..? C’est une question de ouf quand même ça !
Et c’est une question de ouf qu’on traite pas trop... »

(Non-)Acte 6

« Oh j’avais même pas vu la belle fenêtre à ta cabane, c’est grave beau.
- Ah ouais, t’as vu ! [un temps] C’est beau.
- C’est grave beau.
- Cette cabane elle tient plus la distance que ce qu’on aurait cru hein !
- [en frappant des mains, comme une gosse] Ohhhhh tu veux pas raconter quand t’as construit la cabane ?!
- Ben si, j’veux bien raconter !
- Pis quand elle a pris 180 km/h de vent [éclats de rires divers et variés] et pis que le toit s’est retrouvé quinze mètres plus loin, en entier AVEC la charpente, parce que la charpente, juste la clouer c’était pas assez...
- Ahah ! C’est sûr que, à la refaire, on aurait pris des cours...
- J’ai beaucoup ri. [...]
- Du coup ça fait que...
- ... un soir de tempêeeete !
- Du coup ça fait qu’on construit cette cabane, avec DR, pis après on se barre, et du coup on la passe à un copain, qui finit un peu des trucs et tout. Mais comme on avait construit un peu tout à l’arrache, tout n’a pas très bien tenu dans la longueur... [rires]
- Par exemple, le toit !
- Par exemple, comme le toit, exactement ! Un jour, une des cohabitantes d’ici m’appelle, j’suis à Nantes. C’est vrai qu’à Nantes y avait un peu du vent [rires] . La veille, y a une énorme tempête là, une espèce de tempête comme y a en février dans le coin. Et j’me réveille et au ptit déj le matin j’dis “nan mais cette nuit y avait tellement de vent, j’ai eu l’impression que tout le toit de la cabane s’est soulevé !”. Et là j’pense c’est S. qui me dit “Non mais déconne pas non plus quoi. C’est vrai que c’était impressionnant, mais t’inquiètes, ton toit il va pas se soulever”. J’pars à Nantes cette journée-là, la copine dans l’aprèm elle me téléphone, elle me dit “M. euh... y a le toit de ta cabane qui s’est envolé !”. Et elle en fait, elle était ici dans la cuisine, et elle a vu passer les huit mètres d’un seul tenant, accrochés avec les chevrons, qui sont allés s’éclater sur le puits, POUM ! Le truc bien, bien vénèr...
- Et y a encore un trou !
- Ouais c’est vrai.
- Ça a pété une poutre et tout, avant de tomber sur le puits. Huit mètres de toit. [rires]
- Avec les chevrons.
- 16 m2 en une pièce...
- Des chevrons, des tôles en métal... ça devait peser beaucoup ce truc.
- Ouais, mais heureusement qu’y avait ni poules, ni gens sur la route quoi. Franchement, j’te jure, ça te décapite quelqu’un à mon avis.
- Visuellement ça devait être un peu...
- ... un peu fou.
- un peu bizarre.
- Ouais pis le coup de téléphone c’était terrible parce qu’elle me disait : “Ahh lala, j’sais pas c’qu’on va faire, mais j’te laisse là parce qu’on est en train d’perdre la yourte !”. Moi j’étais là “putain c’est quoi ce délire à la maison ?!?” J’suis arrivée, la yourte elle était plus sur le plancher, c’était n’importe quoi. Y avait toute une armada, notamment des bons potes là-dedans mais qui m’ont vraiment mis vener... Une armada de mecs qui franchement étaient trop en train de faire les warriors de la vie, “on va t’régler ta situation”, ils écoutaient rien à c’que je leur disais, et ils ont rien fait de... bref voilà. Et heureusement après y avait plein de bons potes pour reconstruire. Voilà, ça c’était l’histoire du toit qui s’est envolé. Mais j’pense depuis on a pris une méthode mieux, on a mis des vis, et j’pense ça risque moins de s’enlever avec la force du vent...
- Parce que c’était quoi, c’était des clous ?
- Mais ouais c’était des clouuuuus, tu vois ! Mais parce qu’en fait, qui dit vis dit.. visseuse ! Mais pis aussi c’est plein ouest, c’est pas facile hein, on a pas d’obstacle au vent... »

Automne 2016

C’est la fête, je tiens le bar monté en bottes de foin. Oh, attends, c’est le groupe de trad, j’ai envie d’aller danser, tu peux me relayer ? Le dance-floor c’est sous la grange, il est rempli, les danses débordent souvent dehors. Elle est étonnante cette fête, j’ai l’impression que toute la ZAD est là, et je danse avec plein de gens, mes potes, des inconnu·e·s, et aussi celleux avec qui je me prends la tête en réunion, celleux à qui je parle jamais alors qu’on se croise souvent. Des gens qui en temps normal auraient envie de se balancer des insultes à la figure sont en train de faire une bataille de paille. On est début septembre, le gouvernement annonce qu’il va nous expulser, la pression monte de jour en jour, l’hélico de la gendarmerie survole nos maisons et cabanes, le préfet a publié l’arrêté autorisant la destruction du campagnol amphibie, tous les hôtels environnant la ZAD affichent complet. Ça me donne l’impression que c’est la dernière fête, qu’on est content·e·s d’être là, qu’on ne sait pas de quoi les semaines à venir seront faites, que c’est flippant, et que ce soir il faut profiter.

Causeries

(Non-)Acte 7

« Pis voilà, depuis y a plus l’élec’ dans la cabane parce que les rats ont légèrement mangé les fils... Mais la guerre des rats est pratiquement finie à ce qu’il paraît.
- Pourquoi les rats vont partir, ils abandonnent ?
- Nan apparemment ils ont abandonné la guerre !
- C’est ouf ça.
- Nan mais ils sont morts.
- Voilà ils sont morts. C’est une façon d’abandonner la guerre. »

(Non-)Acte 8

« Mais moi, vous savez, c’est un des trucs que je préfère de c’t’endroit hein ! Cette capacité qu’on les uns et les autres à ramener leurs potes...
- ... et à s’embrouiller.
- Tsss J. ! [ça rigole derrière.]
- J’ai cru que c’était ça que t’allais dire.
- Nan ! c’est ce truc de... t’sais, si y avait que les potes des gens qu’ont habité là au début, ben... j’sais pas, mais y aurait plus grand monde depuis longtemps ici...
Mais le fait que chaque personne qui passe se dise “ah ben en fait je pourrais ptet proposer à...”. Parce qu’aussi, le côté sexy de la ZAD quoi ! Mais euh “j’pourrais ptet profiter qu’il y a un lieu un peu en dur pour ramener du monde...”, que ce soient mes darons, ou machin ou truc, moi jtrouve ça trop trop trop classe quoi. »

(Non-)Acte 9

« Ben avec le voisin L. c’est ce qu’il racontait l’autre fois... T’étais là quand ils sont venus ?
- Non, mais ils sont venus le lendemain...
- Mais oui ! Le lendemain de l’anniversaire du Rosier ils sont venus.
C’était troooop mignon ! Mais c’était tellement mignon ! Y avait que moi qui les connaissait et j’les vois arriver, on avait fini de ranger un peu, et là j’vois deux p’tits vieux, avec un p’tit sac, et pis ils étaient là “Ben..., personne n’est venu ?” [brouhaha de mignonnerie, on dirait un groupe d’ados devant des chatons.] Et tu vois ils étaient trooop mignons ! Ils avaient fait un gâteau pour le concours de gâteaux et tout... Et du je leur dis : “Mais siii ! Y avait 150 personnes, mais c’était hier soir...!”. Et eux ils étaient là : “Ohhh beh... Ohh ben on repart alors...” ; Et nous on était là “Mais noooon ! R’partez pas !”
On s’met à table, ils avaient fait un gâteau avec leurs framboises et tout, c’était trop bon ! Du coup on leur a ressorti des trucs qu’on avait commencé à discuter, on a discuté de la vie et tout... Ils sont trop trop mignons hein, toujours aussi mignons... Et du coup c’était vraiment rigolo quoi ! [rires]
- On dirait qu’elle parle de poupons !
- Mais non mais j’les trouve vraiment hyper sympas. Pis c’était drôle tu vois, ils étaient tout tristes pour nous ! “Ohh personne n’est venu à votre fête...”[rires] Ben si ! Plein de gens sont venus à notre fête ! Grosse cuite même !
[…] Mais tu vois eux... Ben en fait, on peut bien parler dans toutes les réus habitants qu’on veut, qu’il faut faire du lien avec les gens du coin...
Ben je sais pas, les gens du coin qui sont là, à 200 m, ils ont pas particulièrement envie d’avoir du lien avec nous, les gens du coin qui sont à 5 km, moi de ce que j’en connais, ils ont pas non plus envie d’avoir du lien avec nous, du coup à un moment les gens du coin...
- On aurait qu’à leur foutre la paix, p’tet.
[silence]
- Et du coup pendant c’temps là, est-ce qu’on peut vivre comme on veut là ou pas... ? Pour moi c’est pas très clair... »
[réflexions de mauvaise foi ensuite]
[et après on parle des six points]
[et on mange des chips]
[et après y a la question de quelle lutte tu rejoins quand tu viens lutter ici]

Glossaire

- L’ACIPA : Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport, créée en 2000 avec l’aide de l’ADECA pour élargir la lutte à toutes les populations impactées par le projet, et pas seulement les exploitant.es agricoles.
- L’ADECA : Association des Exploitants Concernés par l’Aéroport, créée en 1972 pour lutter contre le projet d’aéroport.
- La Coordination (la « Coord’ ») : rassemblement de plus de trente associations, partis politiques, syndicats luttant contre l’aéroport. Les représentant.e.s de ces différents groupes se retrouvent une fois par mois.
- COPAIN : Collectif des Organisations Paysannes Indignées par le projet d’aéroport, groupement de paysan.nes et agriculteur.e.s pour la plupart extérieur.es à la ZAD qui sont très présent.e.s sur le terrain, notamment en participant activement à l’occupation de Bellevue et aux cultures collectives.
- Sème Ta ZAD (STZ) : assemblée née au printemps 2013 dédiée aux questions de pratiques agricoles sur zone (cultures, rotations, répartition des parcelles...).

[1CCAS : Centre Communal d’Action Sociale.

[2Autrement dit, le Conseil Général a priorité sur l’acquisition des terres et maisons, grâce soit rendue à « l’utilité publique ».

[3Ce qui a bien sûr pas empêché des trucs relous de se passer, notamment sexistes.

[4Direction Interdépartementale des Routes de l’Ouest.

[5Diminutif d’agriculteur.

[6Champ prêté par des agris qui a servi de camp pendant l’opération César jusqu’au printemps 2013.

[7« Gran’ disou’, petit fesou’ » : expression locale, qui pourrait vouloir dire : « qui parle beaucoup et qui fait peu ».


Recueil de contributions rassemblées et bricolées au cours de l’automne-hiver 2017.
Pour nous écrire : adventices@riseup.net

Pour plus de contributions autour de la lutte de la ZAD :
https://zad.nadir.org/



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