I
Une vision non-euclidienne de la Californie comme d’un espace froid où être au monde
Imaginer une utopie
non-euclidienne, non-européenne, non-masculiniste
mis en ligne le 16 mai 2018 - Ursula K. Le Guin
Brochure traduite en 2016 à partir de sa version originale en anglais (« A non-euclidean view of California as a cold place to be »), parue en 1982.
Note de The Gangstars library : J’ai rajouté des annexes explicatives, récoltées au fil de mes recherches en découvrant le texte. Tous les mots suivis d’une étoile (*) correspondent à une annexe à la fin du texte.
Robert C. Elliott est mort en 1981 à l’apogée de sa carrière, juste après avoir terminé son livre The Literary Persona. Il était le professeur le plus authentique, l’ami le plus aimable. J’ai écrit ce texte pour le lire en ouverture d’une série de conférences dans son institut à l’Université de Californie à San Diego, qui étaient dédiées à sa mémoire.
« Si le mot utopie doit être ressuscité, ce sera par quelqu’un qui aura suivi l’utopie dans l’abysse présente en arrière-plan de la vision du Grand Inquisiteur*, et qui en sera ensuite remonté pour en sortir de l’autre côté. »
Robert. C. Elliott, The Shape of Utopia, 1970
Cette saisissante image sera le point de départ de mon texte, et ma devise sera :
« Usà puyew usu wapiw ! »
Je reviendrai sur ces deux citations dans la suite de mon essai, pas d’inquiétude, ma démarche ici est de toujours revenir sur mes pas.
Dans le premier chapitre de son ouvrage The Shape of Utopia, Robert nous montre que les grandes fêtes participatoires tels que les Saturnales*, Mardi-Gras ou Noël, soit l’âge de paix et d’égalité, l’Age d’Or*, sont vécus dans un intervalle distinct, un temps hors du temps quotidien. Mais l’avènement de Communitas* parfaites dans la structure de la société ordinaire serait un travail que seul Zeus pourrait accomplir. Par contre, « si l’on ne croit pas dans la bonne volonté de Zeus, ou même dans son existence », cela devient alors le travail de l’esprit humain.
« L’utopie est l’application de la raison humaine et de sa détermination concernant le mythe de l’Age d’Or*, l’effort de l’homme pour déterminer de façon imaginative ce qui arrive – ou pourrait arriver – quand les aspirations premières incarnées par le mythe se confrontent au principe de réalité. Dans cet effort, l’homme ne rêve plus simplement à un état divin dans des temps lointains mais il assume lui-même le rôle de créateur. »
Robert C. Elliott, The Shape of Utopia, 1970
L’âge d’or* n’est distant que de l’esprit rationnel. Il n’est pas accessible à la raison euclidienne*. Mais comme tous les mythes et mysticismes le montrent, et comme toutes les religions participatives le confirment, pour ceux qui ont le don ou la discipline de le percevoir il est présent ici et maintenant.
Au contraire, l’essence même de l’utopie rationnelle, ou jupitérienne, c’est de ne pas être ici et ne pas être maintenant. Celle-ci naît d’une réaction de la volonté et de la raison contre l’ici et le maintenant. Et ne se situe nulle part. Il s’agit d’une pure structure sans contenu. Un pur modèle, un but. C’est là sa vertu. L’utopie est inhabitable. Aussitôt qu’on l’atteint, elle cesse d’être une utopie. Nous-mêmes formons une preuve de ce fait triste mais inéluctable puisque nous sommes dans cette pièce, ici et maintenant, une utopie inhabitable.
Lorsque j’étais enfant, on m’a fait croire que la Californie a été nommée « l’État d’Or » (« Golden State ») non seulement à cause des ressources minières de la région, mais aussi d’après les coquelicots sauvages de ses collines et l’avoine sauvage de ses étés. Pour les Espagnols et les Mexicains c’était le bled, mais les Anglais l’ont vécu comme une réelle utopie : l’Age d’Or* avait été rendu accessible par la force de la volonté. Le paradis sauvage avait été domestiqué par la raison. C’était un endroit où se libérer des chaînes et des crampes, où laisser sa ferme et ses galoches derrière soi, où se débarrasser de ses rhumatismes et de ses inhibitions. Se lancer dans un « nouveau mode de vie », dans un non-ici et un non-maintenant où tout le monde devient riche rapidement dans l’industrie du cinéma, trouve le sens de sa vie, ou du moins un beau bronzage en faisant du deltaplane. Et les coquelicots et l’avoine sauvages poussent toujours en or massif dans les fêlures du ciment dont nous avons couverte l’utopie.
En « assumant le rôle du créateur » nous avons recherché ce que Lao Tseu appelle « le profit de ce qui n’est pas », plutôt que de participer à ce qui est. Reconstruire le monde, le rationaliser, c’est prendre le risque de perdre ou de détruire ce qui est déjà là.
Après tout, la Californie n’était pas vide quand les Anglais ont débarqué. Malgré les efforts des missionnaires, elle abritait toujours à ce moment là la population la plus importante d’Amérique du Nord.
Ce que les blancs ont perçu comme un monde sauvage à « domestiquer », était en fait mieux connu des humains qu’il ne l’a été depuis. Chaque colline, chaque vallée, chaque crevasse, courbure, canyon, ravin, dessin, pointe, falaise, plage, rocher, chaque arbre de chaque sorte avait son propre nom et sa place dans l’ordre des choses. Un ordre était appréhendé dont les envahisseurs étaient complètement ignorants. Chacun de ces noms nommaient non pas un but ou un endroit où arriver, mais un lieu où l’on est, un centre du monde en soi. L’un d’entre eux est une falaise le long de la rivière Klamath. Son nom était Katimin. La falaise est toujours là, mais elle n’a plus de nom, et le centre du monde ne s’y trouve plus. Les six directions* peuvent se rencontrer uniquement dans le temps vécu, dans le lieu que l’on appelle le foyer, la septième direction*, le centre.
Mais nous nous ruons hors de notre foyer en criant « Avanti ! Sus à l’Ouest ! », conduits par notre raison divine qui s’exaspère du présent limité, intraitable, irraisonnable et qui aspire à se libérer des entraves du passé.
« Les gens proclament toujours qu’ils veulent créer un meilleur futur. Ce n’est pas vrai, le futur est un néant apathique qui n’intéresse personne. Le passé est plein de vie, toujours capable de nous irriter, de nous provoquer et nous insulter, de nous tenter de le détruire ou de le repeindre. La seule raison pour laquelle nous voulons être les maîtres du futur, c’est pour changer le passé. »
Milan Kundera, Le Livre du rire et de l’oubli, 1979
A la fin de son livre, il aborde le sujet de l’oubli avec son interviewer :
« Oublier c’est le grand problème intime de l’homme : la mort comme perte de soi. Mais qu’est-ce que le soi ? C’est la somme de tout se dont on se souvient. C’est pourquoi ce qui nous terrifie à propos de la mort n’est pas le futur, mais la perte du passé. »
Kundera nous dit donc que lorsqu’un grand pouvoir veut déposséder un plus petit de son identité nationale, de sa conscience de soi, il utilise ce qu’il appelle la « méthode de l’oubli organisé ».
Et quand une culture orientée vers le futur empiète sur une culture centrée sur le présent, la méthode devient une compulsion. C’est l’oubli de masse. D’où viennent les appellations « Costanoan » ou « Wappo » ? C’est de cette façon que les Espagnols ont nommé les peuples qui se trouvaient autour de la Bay Area et dans la Napa Valley. Mais nous ne connaissons pas les noms que ces personnes s’étaient choisis. Ces noms ont été oubliés avant même que les peuples qu’ils désignaient soient anéantis. Plus de passé, table rase.
Une de nos méthodes d’oubli organisé les plus subtiles s’appelle la découverte. Jules César donne un exemple de cette technique avec son élégance caractéristique dans La Guerre des Gaules. Il écrit :« Il n’était pas certain que la Bretagne exista jusqu’à ce que nous nous y rendions ».
Pour qui cela n’était-il pas certain ? Mais les savoirs païens ne comptent pas. La Bretagne peut régner sur les mers seulement si César le demi-dieu la voit de ses yeux.
L’Amérique existe seulement si un Européen l’a découverte ou inventée. Au moins Christophe Colomb a eu l’esprit, dans sa folie, de prendre le Venezuela pour les abords du paradis. Il s’est pourtant vite concentré sur l’accessibilité de la force de travail esclavagisée du paradis en question.
Dans le premier chapitre de Californie : Une Histoire interprétative, Walson Bean, écrit ceci :
« La survie d’une culture de l’âge de pierre en Californie n’était pas le résultat d’une quelconque limitation biologique héréditaire au potentiel des Indiens en tant que « race ». Ils ont été géographiquement et culturellement isolés. La grande présence des océans, montagnes et déserts ont protégé la Californie des stimulations extérieures aussi bien que des conquêtes étrangères. [Être isolé du contact et des conquêtes est, vous l’aurez noté, caractéristique de l’utopie.] Et même au sein de la Californie, les groupes d’Indiens étaient si isolés qu’ils avaient très peu de chances d’entrer en contact les uns avec les autres. L’aspect positif de cette situation, c’est qu’ils s’étaient parfaitement adaptés à leur environnement et qu’ils avaient appris à vivre sans se détruire les uns les autres. »
Le livre de W. Bean est meilleur que la plupart des livres sur l’Histoire de l’Amérique pour la partie qui m’intéresse : le premier chapitre. Le premier chapitre de l’Histoire de l’Amérique, du Sud ou du Nord, nationale ou régionale, est toujours très bref. Anormalement bref. Dans celui-ci les « tribus » qui « occupaient » le territoire sont mentionnées et au mieux décrites sous forme d’anecdote. Dans le deuxième chapitre, un Européen « découvre » la région, et avec un soupir de soulagement, l’historien se plonge dans la narration de la conquête, souvent décrite comme une colonie ou colonisation, et les actions des conquérants. Puisque l’Histoire a été traditionnellement définie par les historiens comme étant un rapport écrit, ce déséquilibre est inévitable. Et d’une façon plus large, il est légitime. Puisque les habitants non-urbains des Amériques n’avaient pas d’Histoire à proprement parler, ils n’étaient visibles que pour les anthropologues et non pour les historiens, sauf aux moments où ils sont apparus dans l’histoire Blanche de l’Amérique.
Le déséquilibre est inévitable, légitime, et de ce fait, d’après moi très dangereux. Il exprime opportunément le souhait des conquérants de nier la valeur des cultures qu’ils ont détruites et de déshumaniser les personnes qu’ils ont tuées. Ce qui participe de manière flagrante à la méthode de l’oubli organisé. Ils ont appelé ce continent le « Nouveau Monde » : voilà une belle naissance par césarienne !
Les mots « holocauste » et « génocide » ont désormais acquis une certaines popularité, mais jamais pour évoquer l’Histoire de l’Amérique. À l’école de Berkeley, on ne m’a pas appris que le premier chapitre de l’Histoire de la Californie était l’équivalent de la solution finale. On m’a appris que les Indiens se sont « rendus » devant la « marche du progrès ».
Dans l’introduction de The Wishing Bone Cycle, Howard A. Norman écrit :
« Les Swampy Cree* ont une expression conceptuelle pour parler du porc-épic lorsqu’il s’engouffre en marche arrière dans une crevasse rocheuse :
Usà puyew usu wapiw !
« Il recule tout en en regardant vers l’avant » (« He goes backward, looks forward »). Le porc-épic fait le choix conscient de s’engager en marche arrière dans le but de spéculer sans risque sur le futur : la marche arrière lui permet de voir son ennemi arriver. Pour les Cree* c’est un acte de préservation de soi duquel il nous pouvons apprendre.
Les histoires des Cree* sont toujours introduites par la phrase « I go backward, look forward, as the porcupine does », soit « Je marche à reculons tout en regardant vers l’avant, comme le fait le porc-épic. ». »
Pour spéculer sans risque sur notre futur inhabitable, on ferait peut-être bien de trouver une crevasse rocheuse et d’y rentrer à reculons. Pour trouver nos racines, il faudrait peut-être les chercher là où l’on trouve généralement les racines. Au moins, l’esprit du lieu est plus bénin que l’esprit exclusif et agressif de la race. Que le mysticisme du sang qui en a fait couler tant. Avec notre grande conscience de nous-mêmes, nous avons une minuscule idée de l’endroit où nous vivons, où nous nous trouvons ici et maintenant. Si nous en avions seulement conscience, nous ne gâcherions pas cet endroit de la manière dont on le fait en ce moment. Notre littérature le célébrerait, notre religion serait participative. Si on vivait – vraiment – ici et maintenant, dans le présent, on aurait peut-être une idée de notre futur en tant que peuple. Et on saurait peut-être même où se trouve le centre du monde.
« Idéalement, dans sa plus grande élévation et sa plus grande pureté, l’utopie aspire à (s’il ne l’a jamais atteint) la condition de l’idylle telle que Schiller la décrit : ce genre de poésie qui guiderait l’homme, non pas de nouveau vers l’Arcadie*, mais en avant vers l’Élysée*, vers un état de la société dans lequel l’homme serait en paix avec lui-même et avec le monde extérieur. »
Robert C. Elliot
« Les Indiens californiens ont réussi à s’adapter à leur environnement et ils ont appris à vivre ensemble sans s’entre-tuer. »
Walson Bean
Leur réalité s’approchait alors de l’Arcadie* bien sûr, et non pas de l’Élysée*. Je vais dans le sens de la mise en garde de Victor Turner à ne pas confondre des sociétés archaïques ou primitives avec la vraie Communitas* « qui est une dimension de toutes les sociétés passées et présentes ». Je ne propose pas un retour à l’âge de pierre. Mon intention n’est pas réactionnaire, ni même conservatrice, mais simplement subversive. J’ai le sentiment que l’imaginaire de l’utopie est piégé, tout comme le capitalisme, l’industrialisme et la population humaine, dans une vision du futur unique consistant uniquement en la croissance. Tout ce que j’essaie de faire c’est de remettre le porc-épic sur ses rails. Marcher à reculons. Tourner et retourner.
« Si le mot utopie doit être ressuscité, ce sera par quelqu’un qui aura suivi l’utopie dans l’abysse présente en arrière-plan de la vision du Grand Inquisiteur*.
L’utopie du Grand Inquisiteur est le produit de « l’esprit euclidien* » (une expression que Dostoïevski utilise beaucoup), qui est obsédé par l’idée de réguler toute la vie par la raison et d’apporter le bonheur à l’humanité quel qu’en soit le coût. »
Robert C. Elliott
La vision unique du Grand Inquisiteur* contient une image de la condition humaine, décrite avec une clairvoyance terrible dans Nous Autres, de Yevgent Zamyatin :
« Ils étaient deux au paradis, et on leur a proposé de faire un choix : le bonheur sans la liberté ou la liberté sans le bonheur. Pas d’autre choix. »
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No other choice. Hear now the voice of Urizen* !
Hidden, set apart in my stern counsels
Reserved for days of futurity,
I have sought for a joy without pain
For a solid without fluctuation…Lo, I unfold my darkness and on
This rock place with strong hand the book
Of eternal brass, written in my solitude.Laws of peace, of love, of unity,
Of pity, compassion, forgiveness.
Let each choose one habitation,
His ancient infinite mansion,One command, one joy, one desire,
One curse, one weight, one measure
One King, One god, one Law.William Blake, The Book of Urizen*
[Traduction partielle]
Nul autre choix. Écoutez maintenant la voix d’Urizen !
...
Voici que je déploie mes ténèbres, et que sur
Ce rocher, d’une main forte, je place, le Livre
de cuivre éternel, écrit dans ma solitude.Lois de paix, d’amour et d’unité
De compassion, de pitié, de pardon.
...Un commandement, une joie, un désir,
Une malédiction, un poids, une mesure,
Un Roi, un Dieu, une Loi.
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Pour croire à l’utopie, Robert C. Elliott dit que nous devons croire que…
« ...à travers l’exercice de leur raison, les hommes peuvent contrôler et modifier de façon significative leur environnement social pour le meilleur. On doit retrouver une sorte de foi que notre histoire a rendu presque inaccessible. »
« Quand le chemin est perdu, dit Lao Tseu, il y a la bienveillance. Quand la bienveillance est perdue, il y a la justice. Quand la justice est perdue, il y a les rites. Les rites sonnent la fin de la loyauté et de la bonne foi, l’avènement du chaos. »
« Les prisons, écrit William Blake, sont construites avec les pierres de la Loi. » Et pour revenir au Grand Inquisiteur*, Milan Kundera reformule pour nous le dilemme entre bonheur et liberté :
« Le totalitarisme n’est pas seulement l’enfer, mais aussi le rêve du paradis : le rêve séculaire d’un monde où tous vivraient en harmonie, unis dans une volonté commune et une seule foi, sans secret pour son prochain. Au début de son existence, le totalitarisme attire beaucoup de monde grâce à ces archétypes. Si le totalitarisme n’avait pas exploité ces archétypes, profondément implantés en nous et enracinés dans toutes les religions, il n’aurait jamais pu attirer autant de personnes, en particulier dans les premières phases de son existence.
Une fois que le rêve du paradis commence à se transformer en réalité, ici et là des gens commencent à lui barrer la route, donc les dirigeants du paradis doivent construire un petit goulag à côté de l’Éden. Avec le temps, ce goulag devient de plus en plus grand et parfait, pendant que le paradis à ses côtés devient de plus en plus petit et pauvre. »
Plus pure, plus euclidienne*, est la raison qui construit l’utopie, plus grande est sa capacité d’autodestruction.
Je pose que notre manque de foi dans la raison en tant que pouvoir de contrôle est bien-fondé. Nous devons tester et croire notre raison, mais avoir foi en elle c’est l’élever au rang de divinité. Zeus le Créateur prend alors le dessus. Les Titans incontrôlables sont envoyés dans les mines de sel, et le gênant Prométhée est mis au ban. La Terre elle-même devient la verrue sur les murs de l’Éden.
L’utopie rationaliste est un « power trip ». C’est une théocratie déclarée par un décret exécutif, et maintenu par le pouvoir de la volonté. Et comme son principe est le progrès, non pas le processus, elle ne contient pas de présent habitable, et parle seulement au futur. Et au final, la raison elle-même finit par devoir la rejeter.
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O that I had never drank the wine nor eat the bread
Of dark mortality, nor cast my view into futurity, nor turned
My back darkening the present, clouding with a cloud,
And building arches high and cities, turrets and towers and domes
Whose smoke destroyed the pleasant garden, and whose running kennels
Choked the bright rivers…Then go, O dark futurity ! I will cast thee forth from these
Heavens of my brain, nor will I look upon futurity more.
I cast futurity away, and turn my back upon that void
Which i have made, for lo ! Futurity is in this moment…
So Urizen* spoke…
Then, glorious bright, exulting in his joy,
He sounding rose into the heavens, in naked majesty,
In radiant youth…William Blake, Vala, or the Four Zoas
[Tentative de traduction]
Oh, je n’ai jamais bu le vin, ni mangé le pain
De la sombre mortalité, ni projetté ma vision dans l’avenir, ni lui ai tourné
Mon dos, assombrissant le présent, l’obscurcissant d’un nuage,
Et construisant de hautes arches et des villes entières, des tourelles et des tours et des dômes
Dont la fumée a détruit le plaisant jardin, et dont la gestion des chenils
Obstruent les rivières lumineuses….Alors va-t-en, Oh sombre avenir ! Je vais te jeter de ces
Cieux présent dans mon esprit, je ne m’interesserai plus davantage à l’avenir.
Je rejette l’avenir loin de moi, et tourne mon dos à ce vide
Que j’ai créé, là-bas ! L’avenir est dans ce moment…
Ainsi parla Urizen*…
Puis, lumière magnifique, exultant dans sa joie,
Sa résonnance s’éleva dans les cieux, dans une majestée nue,
dans une radieuse jeunesse...
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Ceci est sûrement le point central de ce texte. J’aimerais tellement que nous puissions suivre Urizen* dans sa sa splendide évasion verticale, mais cette voie est réservée aux grands poètes et compositeurs. Le reste d’entre nous doit rester ici bas sur la terre ferme, à marcher en rond, à proposer des détours déviants, à poser des questions impertinentes. Ma question désormais est : Où est l’endroit que le Coyote* a créé ?
Dans un texte sur l’enseignement de l’utopie, le professeur Kenneth Roemers écrit :
« L’importance de cette question s’est imposée à moi il y a de cela quelques années dans un cours de première année à l’Université de Arlington au Texas. J’avais demandé à la classe d’écrire un devoir en réponse à une situation imaginaire : si vous aviez des ressources financières illimitées et le support total de la municipalité, de la région et de l’État, comment transformeriez-vous la ville d’Arlington au Texas en une utopie ? Quelques minutes après que la classe ait commencé à écrire, l’une de mes élèves (une femme intelligente et dans la trentaine) s’est approchée de mon bureau. Elle semblait embarrassée, même contrariée. Elle m’a demandé : « Et si Arlington était déjà une utopie ? » »
Que ferait-on d’elle dans Walden Two* ?
L’utopie a été euclidienne*, elle a été européenne, et elle a été masculine. Ce que j’essaie de suggérer, de manière évasive, prudente voire douteuse, et de la manière la plus obscure que je peux, c’est que la fin de notre foi dans ce château de sable rayonnant nous permette d’habituer nos yeux à une lumière plus tamisée, et de finalement apercevoir une autre forme d’utopie. Comme cette utopie ne serait pas euclidienne, ni européenne, ni masculiniste, les termes et les images que je vais utiliser pour la décrire doivent être provisoires et paraître étranges. Les antithèses de Victor Turner sur la structure et les Communitas* sont utiles à la tentative de penser cette nouvelle forme d’utopie : la structure de la société, dans ses termes, est cognitive, la Communitas* existentielle. La structure apporte un modèle, la Communitas* un potentiel, la structure classifie, la Communitas* reclassifie, la structure s’exprime dans les institutions légales et politiques, la Communitas* dans l’art et la religion.
« La Communitas* s’introduit dans les interstices de la structure, dans la liminarité ; sur les bords de la structure, dans la marginalité ; et par dessous la structure, dans l’infériorité. Elles sont presque partout considérées comme sacrées, sûrement car elles transgressent ou dissolvent les normes qui gouvernent les relations structurées ou institutionnalisées, et s’accompagnent d’expériences de puissance sans précédent. »
William Turner, The Ritual Process : Structure and Anti-structure, 1969
La pensée utopiste a souvent eu pour but d’institutionnaliser ou de légiférer l’expérience des Communitas*, et elle s’est heurtée à chaque fois au Grand Inquisiteur*.
« Les activités d’une machine sont définies par sa structure, mais la relation est inversée pour les organismes : les structures organiques sont déterminées par leurs processus. »
Fritjof Capra, The Turning Point, 1982
Si la tentative de créer une structure qui assurerait les Communitas* est empalée sur les cornes de son propre dilemme, ne devrait-on pas abandonner le modèle de la machine et donner sa chance à l’organique – permettant au processus de déterminer la structure ?
Mais le faire c’est aller encore plus loin que les Anarchistes, et risquer non-seulement de se faire accuser d’être en fait régressive, mais aussi naïve politiquement, Luddite* ou anti-rationnelle.
Ce sont des dangers réels (bien que je doive admettre que le risque d’être accusée de ne pas être dans le courant principal de la pensée occidentale est un risque que j’accepte de prendre de bon cœur). Quel type d’utopie peut surgir de ces marges, de ces négations, de ces obscurités ? Qui même va les reconnaître comme des utopies ? Elles ne vont pas ressembler à ce qu’on attend d’elles. Elles vont sûrement ressembler à un endroit que le Coyote* aura créé après avoir eu une conversation avec sa bouse.
« Le symbole que le fripon* incarne n’est pas un symbole statique. » C’est Paul Radin qui l’écrit. Rappelons-nous que la qualité de perfection statique est un élément essentiel de la non-inhabitabilité de l’utopie euclidienne* (un point que Robert C. Elliott questionne avec beaucoup de force).
« Le symbole que le fripon* incarne n’est pas un symbole statique. Il contient en lui-même la promesse de la différenciation, la promesse de dieu et de l’Homme. Pour cette raison, chaque génération cherche à interpréter le fripon sous un nouveau jour. Aucune génération ne le comprend complètement mais aucune génération ne peut se passer de lui… car il représente le passé indifférencié et distant, mais en même temps le présent indifférencié compris dans chaque individu… Si on se moque de lui, il nous sourit jusqu’aux oreilles. Ce qui lui arrive à lui nous arrive à nous aussi. »
Paul Radin, Le Fripon divin, 1958
Il n’a jamais connu le paradis, car les Coyotes* vivent dans le Nouveau Monde. Chassés par l’épée enflammée de l’ange, Eve et Adam levèrent leurs tristes têtes et virent le Coyote* grimaçant.
Non-européenne, non-euclidienne*, non-masculiniste : ce ne sont que des définitions négatives, ce qui n’est pas grave mais fatiguant. Et insatisfaisant, non pas qu’il faille comprendre que l’utopie que j’essaie d’approcher ne pourrait être seulement imaginée par des femmes – ce qui est possible – ni habitée uniquement par des femmes – ce qui est intolérable. Peut-être que le bon terme pour la définir serait yin*.
L’utopie est jusqu’à présent yang*. D’une manière ou d’une autre, depuis Platon, l’utopie n’a été qu’un long trip yang*. Lumineux, aride, clair, fort, ferme, actif, agressif, linéaire, progressif, créatif, expansif, progressant, et chaud.
Notre civilisation est désormais si intensivement yang* que n’importe quel imaginaire de réduction de ses injustices ou de blocage de son auto-destructivité doit induire un renversement.
Les dix mille êtres naissent ensemble ;
ensuite je les vois s’en retourner.
Après avoir été dans un état florissant,
chacun d’eux revient à son origine.
Revenir à son origine s’appelle être en repos.
Être en repos s’appelle revenir à la vie.
Revenir à la vie s’appelle être constant.
Savoir être constant s’appelle être éclairé.
Celui qui ne sait pas être constant s’abandonne au désordre.
Lao Tseu, Livre I, chapitre 16
Pour atteindre cette constance, nous devons retourner, marcher en rond, aller vers l’intérieur, aller vers le yin*. A quoi pourrait ressembler une utopie yin* ? Elle serait sombre, humide, obscure, faible, fructifiante, passive, participatoire, circulaire, paisible, nutritive, réfugiée, contractante, et froide.
Maintenant, au sujet du chaud et du froid : une référence dans The Shape of Utopia m’a renvoyée à une conférence de M. Lévi-Strauss de 1960 : Le Champ de l’anthropologie. Celle-ci a influencé la rédaction de ce texte et j’aimerais la citer de manière conséquente - en m’excusant auprès de ceux pour qui le passage est déjà familier. Lévi-Strauss y parle des sociétés dites « primitives » :
« Tout en étant dans l’Histoire, ces sociétés semblent avoir élaboré une sagesse particulière qui les incite à résister désespérément à toute modification de leur structure, ce qui permettrait à l’Histoire de faire irruption en leur sein. Le souci principal de ces sociétés est leur volonté de persévérer dans leur être. »
Persévérer dans son être est la qualité propre aux organismes : ce n’est pas une progression vers la réalisation suivie de l’arrêt, ce qui est le mode de la machine, c’est au contraire un processus interactif, rythmique et instable qui constitue une fin en soi.
« Ce qui peut se résumer en trois grandes caractéristiques : la manière dont elles exploitent le milieu environnant garantit tout à la fois un niveau de vie modeste et la protection des ressources naturelles.
Les règles de mariage que ces sociétés appliquent, si différentes qu’elles puissent être, ont pour point commun de limiter à l’extrême et de garder constant le taux de fécondité. Enfin, la vie politique y est fondée sur le consentement et n’admet pas d’autres formes de décision que celles fondées sur le principe de l’unanimité et exclut absolument tout fonctionnement fondé sur la lutte entre un pouvoir et une opposition, majorité et minorité, exploiteurs et exploités. »
Lévi-Strauss est sur le point de faire la distinction entre les sociétés « chaudes » qui sont apparues à partir de la Révolution Néolithique et au sein desquelles « la différenciation entre castes et entre classes est sollicitée sans trêve pour en extraire du devenir et de l’énergie » et les sociétés « froides », auto-limitées, qui ont des températures historiques proches de zéro.
La pertinence de cette belle pensée anthropologique par rapport à mon sujet est immédiatement prouvée par Lévi-Strauss lui-même. Il remercie le ciel dans le paragraphe suivant que l’on n’attende pas des anthropologues de prédire le futur, mais dit que si c’était le cas, au lieu de n’extrapoler qu’à partir de notre propre société « chaude », ils proposeraient une intégration progressive du meilleur de la société « chaude » au meilleure de la « froide ».
Si j’interprète correctement sa pensée, cette unification inclurait de porter la Révolution Industrielle, qui est déjà notre source principale d’énergie sociale, à sa logique extrême : l’achèvement de la Révolution Électronique. Après cela, le changement et le progrès seraient strictement culturels et produits par des machines.
« Avec la culture prenant intégralement en charge le processus de fabrication, (...) la société, placée en dehors et au-dessus de l’Histoire, pourrait, une fois encore, assurer cette structure régulière et comme cristalline, dont les mieux préservées des sociétés primitives nous enseignent qu’elle n’est pas contradictoire à l’humanité. »
La dernière phrase, provenant de cet esprit austère et sombre, est poignante.
Si je comprends bien sa pensée, Lévi-Strauss suggère que combiner le chaud et le froid, c’est transférer les modes opérationnels mécaniques aux machines tout en retenant les modes organiques pour l’humanité. Procédé mécanique, rythme biologique. Une sorte de TGV yang* dans lequel la vie yin* des pullmans et des wagons restaurants se déroule sereinement : la rose ornant la table du dîner ne tremble pas d’un pouce. Ce qui m’inquiète dans ce modèle, c’est la dépendance qu’il induit à la cybernétique en lui prêtant une fonction intégrative. Qui se trouve dans le fauteuil de l’ingénieur ? Qui fait fonctionner la machine ? Est-elle en mode automatique ? Qui a écrit le programme qui la fait fonctionner ? À nouveau ce bon vieux monsieur-tout-le-monde ? S’agit-il d’un de ces trains sans freins ?
Je ne peux m’empêcher de voir dans cet aperçu d’utopie une mise à jour brillante d’un vieux modèle d’utopie issu de la science-fiction, celui d’un monde où les robots font le travail pendant que les êtres humains se la coulent douce. Il s’agit toujours d’œuvres satiriques. Elles suivent en général une de ces deux intrigues : soit un jeune homme impulsif sabote la machine et sauve l’humanité de la stagnation, soit les machines, se conduisant selon leur logique implacable, se débarrassent tout bonnement de l’humanité devenue superflue. La première œuvre, et la plus subtile du genre : The Machine Stops de E.M. Forster, se termine sur une classique image en double teinte de terreur et de promesse : la machine s’écroule, la société cristalline tombe avec elle, mais des personnes libres sont à l’extérieur (à quel point sont-elles civilisées ? Nous l’ignorons, mais elles sont dehors et libres).
Nous voici revenus à la verrue de Kundera sur les murs de l’Eden : les exilés du paradis sur lesquels l’espoir d’un paradis repose, les habitants du goulag qui sont les seules âmes libres. Les systèmes d’information du train sont merveilleux, mais ses rails sillonnent le pays de Coyote*.
« Dans des temps reculés, l’Empereur Jaune usa d’abord de la bienveillance et de la rigueur pour modeler l’esprit des hommes. Yao et Shun le suivirent et travaillèrent pour lui jusqu’à ce qu’il n’y eu plus un poil sur leur menton…. Exerçant la pratique de la bienveillance et de la rigueur, ils ont taxé leur sang et leur souffle à l’établissement de lois et de standards. Mais pourtant, certains n’acceptaient de se soumettre à leur règles à aucun prix, et ils devaient êtres exilés, conduits à l’écart… Le monde acquit toujours plus de savoirs… Il y eut les haches et les scies pour donner forme aux choses, l’encre et les mines de plomb pour les esquisser, les maillets et les gouges pour creuser des trous en leur sein. Et le monde, perdu et dérangé, était dans une confusion extrême. »
Extrait de l’ouvrage The Complete Works of Chuang Tzu
Voilà Chuang Tzu, le premier fripon* de l’Histoire, qui fait une pique à l’Empereur Jaune, le modèle légendaire du contrôle rationnel. L’époque de Chuang Tzu était, comme la notre, une période « chaude ». Il proposa un véritable refroidissement. La meilleure compréhension, disait-il, « repose dans ce que l’on ne peut comprendre. Si vous ne pouvez comprendre cela, alors vous serez détruit par le Paradis Equilibrateur. »
En copiant cette phrase, j’ai obéi, laissant ma compréhension se reposer dans ce qu’elle ne pouvait comprendre, et je me suis tournée vers le Yi Jing*.
J’ai demandé au Yi Jing de me décrire une utopie yin*. Il a répondu avec l’hexagramme n°30*, le double trigramme de Feu, avec une seule ligne changeante qui m’amène à l’hexagramme n°56*, le Voyageur. L’écriture de la suite de ce texte et les révisions que je lui ai faites ont été considérablement influencées par la rumination continuelle de ces textes.
Si l’utopie est un endroit qui n’existe pas, alors le chemin pour y aller est (comme dirait Lao Tseu) sûrement aux abords du chemin qui n’est pas un chemin. Dans la même veine, la nature de l’utopie que j’essaie de décrire est telle que si elle doit émerger, c’est qu’elle doit déjà exister en ce moment.
Je crois que c’est le cas : plus clairement comme un élément dans des œuvres utopistes extrêmement insatisfaisantes, telles que Un Age de Cristal de Hudson ou Île de Aldous Huxley. Robert C. Elliott a d’ailleurs conclu son livre sur l’utopie avec une discussion à propos d’Île. Pour lui, « La « réussite extraordinaire » de Huxley est d’avoir « rendu l’ancien objectif – l’objectif principal de l’Homme – envisageable une fois de plus ». Ce sont les derniers mots du livre. Et cela ressemble bien à Robert d’avoir choisi une conclusion non pas en forme de fermeture mais d’ouverture d’une nouvelle porte.
L’élément utopique majeur de mon roman Les Dépossédés est un type d’anarchisme pacifiste, qui est aussi yin* qu’une idéologie peut l’être. L’anarchisme rejette l’identification de la civilisation avec l’État, et l’identification du pouvoir avec la coercition. Contre la violence inhérente à la société « chaude », l’anarchisme pacifiste affirme la valeur d’un comportement aussi antisocial que celui du refus général des femmes de porter des armes en temps de guerre et d’autres astuces de Coyote*. Dans ce domaine, l’anarchisme et le taoïsme convergent tous deux sur le fond aussi bien que sur la forme. C’est pourquoi j’ai choisi ce terrain pour imaginer mes fictions. La structure du livre peut suggérer au lecteur l’équilibre en mouvement et la récurrence rythmique du Taï-chi, mais l’importance de son yang* montre que bien que l’utopie fut (à la fois dans les faits et dans la fiction) fondée par une femme, le personnage principal est bien un homme, qui domine le roman, je dois l’admettre, de façon très masculine. Aussi entichée de lui que je le sois, je ne vais pas le laisser s’exprimer ici. Je veux faire entendre une autre voix. Celle de Lord Dorn (dans Islandia* d’Austin Tappan Wright), s’adressant au Conseil de son pays, le 16 juin 1906. Il ne parle pas à nous, mais bien de nous :
« Chez eux, le père et le fils appartiennent déjà à deux civilisations différentes et sont étrangers l’un pour l’autre. Ils bougent trop vite pour voir plus que le reflet à la surface d’une vie trop rapide pour être réelle. Ils sont assaillis par trop de choses pour jamais trouver les profondeurs de l’ancien avant qu’il n’ait disparu pour de bon. Ils appellent la précipitation de leur vie progrès, bien qu’elle soit trop rapide pour eux pour pouvoir la suivre. L’homme reste le même, déconcerté et étonné, avec un tas de nouvelles choses autour de lui, déjà évanouies avant qu’il n’apprenne à les connaître. Les hommes peuvent vivre toutes sortes de vies, et ils appellent cela « opportunité », et croient que l’opportunité est bonne sans même prendre le temps d’examiner aucune de ces vies pour savoir si elles sont plaisantes. Nous connaissons bien moins de manières d’exister, et la plupart d’entre nous n’en ont connu qu’une. C’est une manière riche de vivre, et nous n’avons pas encore épuisé cette richesse… On ne peut leur reprocher de pas voir ce qui est bon en nous et qui va être détruit par eux. Ce qui est bon en nous, ils ne peuvent pas le comprendre, ni même le voir. »
Ce discours aurait très bien pu être prononcé dans n’importe quelle assemblée d’une nation ou d’un peuple non-occidental à l’époque de sa rencontre avec un flot d’Européens. L’orateur pourrait tout aussi bien être un Kikuyu ou un Japonais et il ne fait nul doute que l’auteur a pensé à la décision japonaise de s’occidentaliser en écrivant ce passage. Ce dernier est douloureusement proche des observations de Black Elk, Standing Bear, Plenty-Coups et d’autres porte-parole natifs-américains.
Islandia* n’est pas une société chaude mais tiède : elle est organisée d’après une hiérarchie de classe définie bien que flexible et a adopté certains éléments des technologies industrielles. Elle a bien conscience de son Histoire, même si elle n’est pas encore entrée dans l’Histoire mondiale, principalement car, comme la Californie, elle est géographiquement marginale et reculée. Dans ce débat central au Conseil d’Islandia*, grand tournant du scénario et de la structure du livre, le choix délibéré est pris de ne pas se réchauffer. De rejeter le concept de progrès comme allant dans la mauvaise direction et d’accepter que de continuer à exister soit un but social totalement louable en soi.
Dans combien d’autres utopies peut-on voir ce choix rationnellement proposé, argumenté et pris ?
Il est facile de rejeter Islandia* comme étant une simple fantaisie Golden Age, prônant naïvement la régression ou bien l’évasion. Je pense que c’est une erreur de l’interpréter de cette façon, et que les options qu’elle offre sont sûrement plus réalistes et plus urgentes que celles de la plupart des autres utopies.
Voici encore M. Levi-Strauss, cette fois à propos des virus :
« La réalité d’un virus est d’un ordre quasi intellectuel. Son organisme est réduit à la formule génétique qu’il injecte dans des êtres simples ou complexes. Ce qui force leurs cellules à trahir leur propre formule dans le but d’obéir à la sienne et à produire des êtres comme lui.
Pour que notre civilisation puisse apparaître, l’existence antérieure et simultanée d’autres civilisations était nécessaire. Et nous savons depuis Descartes que son originalité consiste en une méthode, qui à cause de sa nature intellectuelle n’est pas adaptée pour générer d’autres civilisations en chair et en os, mais une qui pourra imposer sa formule aux autres et les forcer à devenir comme elle. En comparaison avec ces civilisations, dont l’art de vivre exprime leur qualité corporelle car cela concerne des croyances très intenses et dans sa conception comme dans son exécution, et un certain état d’équilibre entre l’homme et la nature, notre civilisation est-elle de type viral ou animal ? »
C’est le virus que Lord Dorn a vu être porté par le plus innocent touriste européen ou américain : un fléau contre lequel les siens n’étaient pas immunisés. Avait-il raison ?
Toutes les petites sociétés qui ont tenté de prendre le choix que Lord Dorn a fait ont été de fait infectées de force. Et les civilisations au grand nombre de citoyens (Chine, Japon, Inde) ont soit choisi de s’infecter elles-mêmes avec la fièvre virale, ou soit ont été incapables de prendre une décision, mélangeant souvent les caractéristiques les plus exploitantes du monde « chaud » avec le plus passif du « froid ». Cette façon a quasiment garanti leur impossibilité à continuer d’exister sans détériorer l’état de santé de la nature locale.
Je voulais parler de Islandia* parce que c’est le seul roman utopique que je connaisse qui ait pour question centrale le progrès ou l’occidentalisation, qui est peut-être le fait majeur de notre temps. Bien sûr le livre n’apporte pas de réponse ou de solution, il indique simplement la voie qui ne peut être suivie. C’est une énantiodromie, un reculer pour mieux sauter, un porc-épic reculant dans sa crevasse. Il fait un pas de côté. C’est sûrement la raison pour laquelle il est exclu des cours d’introduction à la littérature utopiste. Mais les routes parallèles et les marches arrières sont précisément ce dont les esprits bloqués en marche avant ont le plus besoin. Dans sa capacité à renoncer au futur, à s’extraire et à ce qu’on l’exclut, Islandia* a autant de valeur qu’un livre reconnu.
C’est aussi dans une certaine mesure un livre Luddite*, ce qui m’amène maintenant à me demander : est-ce notre haute technologie qui procure à notre civilisation sa poussée vers l’avant invasive et auto-reproductrice ? La technologie est « infectieuse » en elle-même, au même titre que d’autres éléments utiles ou impressionnants de notre culture, comme les idées, les institutions, les modes ; qui sont tout autant auto-reproductrices et irrésistiblement imitables. La technologie est évidemment un élément essentiel de toutes les cultures et bien souvent ce qu’elles laissent sur leur passage, sous forme de tessons de poterie ou de billes de polystyrène. Je crois qu’il est bien trop simplificateur de caractériser n’importe quelle civilisation en elle-même de ying* ou de yang*. Mais dans ce cas, ici et maintenant, le caractère continuellement progressif de notre technologie et les changements constants qui en dépendent, « la manufacture du progrès » comme le décrit Lévi-Strauss, est le principal véhicule du caractère yang*, ou « chaud », de notre société.
Nul besoin de jeter par la fenêtre les machines à écrire ou de poser des bombes dans les laveries automatiques parce qu’on a perdu la foi dans la technologie en tant que porte d’entrée vers l’utopie. La technologie reste, à sa manière, une source sans fin de création. J’aimerais tant pouvoir partager la vision de Lévi-Strauss qui voit la civilisation qui transforme les hommes en machines glisser vers « la civilisation qui transformera les machines en hommes ». Mais je n’y arrive pas. Je ne vois pas comment même les technologies les plus éthérées pourraient nous offrir la promesse de n’être rien de plus qu’un simple outil : pour rendre notre vie plus facile, nous enrichir. Quelle grande promesse et quel grand gain ! Mais si cet enrichissement d’un type de civilisation n’a lieu qu’au coût de la destruction de la planète, alors il me semble clair que de compter sur l’avancée technologique uniquement pour l’avancée technologique en elle-même ne peut être qu’une erreur. On ne m’a pas encore démontré de façon convaincante, et je suis complètement incapable d’imaginer par moi-même, comment l’avancée technologique pourrait nous rapprocher de quelque façon que ce soit d’une forme de société principalement préoccupée par la préservation de son être. Une société avec des conditions de vie modestes, préservant ses ressources naturelles, avec un taux de fertilité constant et une vie politique basée sur le consentement. Une société qui aurait réussi à s’adapter à son environnement et à vivre sans s’autodétruire ni détruire ses voisins. C’est la société que je veux arriver à imaginer, que je dois pouvoir arriver à imaginer si je ne veux pas abandonner tout espoir.
Quelles sont les possibilités d’espérer qui nous sont offertes ? Des modèles, des plans, des diagrammes circulaires. Perspectives de systèmes de communication encore plus inclusifs, connectant les virus tout autour du globe. Pas de secrets, comme le dit Kundera. Des petits tubes à essais en orbite basse, remplis de virus, lancés par la L5 Society* en parfaite obéissance à notre pulsion de « construire le futur », comme ils disent. D’être Zeus, d’avoir le pouvoir sur ce qu’il se passe, de contrôler. La connaissance c’est le pouvoir, et nous voulons savoir ce qui va arriver, nous voulons le cartographier.
Le pays du Coyote n’a pas été cartographié. Le chemin qui ne peut être parcouru n’est pas indiqué dans les atlas, ou bien il est chacune des routes de l’atlas.
Dans Handbook of the Indians of California, A. L. Kroeber [note traduction : père de Ursula K. Le Guin] écrit : « Les indiens de Californie refusent catégoriquement de faire la moindre tentative de dessiner un plan, soutenant une incapacité totale de leur part ».
L’utopie euclidienne* est cartographiée, organisée géographiquement, avec des diagrammes et des modèles, que des ingénieurs sociaux peuvent suivre et reproduire. Reproduction, le mot d’ordre des virus.
Dans le Handbook, en parlant du dénommé « culte Kuksu », encore appelé « société Kuksu » (un ensemble de rites et d’observations retrouvés parmi les peuples Yuki, Pomo, Maidu, Wintu, Miwok, Costanoan et Esselen de Californie centrale), Kroeber observait que notre usage des termes « culte » ou « société », notre perception d’une entité générale ou abstraite Kuksu falsifie la perception des natifs américains :
« Les seules sociétés étaient celles constituées à l’échelle de la ville. Il n’y avait pas de branches, parce qu’il n’y avait pas de tiges pour en sortir. Notre méthode dans ce genre de situation, qu’elle soit religieuse ou autre, est de constituer un corps central et supérieur. Depuis l’époque de l’Empire Romain et de l’église catholique, nous sommes capables de penser l’activité sociale uniquement comme organisée de manière cohérente au sein d’une unité définie subdivisée.
Mais il faut reconnaître que cette tendance n’est pas inhérente ou nécessaire à toutes les civilisations. Nous ne sommes capables de penser la société que comme une machine organisée, les natifs américains étaient juste aussi incapables de la penser dans ces termes.
Lorsque l’on se souvient de la simplicité de la machinerie et de la rudimentarité de l’organisation avec lesquelles l’ensemble de la civilisation grecque fonctionnait, cela devient plus facilement imaginable que les Californiens puissent se passer de presque tout effort dans cette direction, laquelle nous paraît vitale. »
Copernic nous a appris que la Terre n’est pas le centre. Darwin nous a appris que l’homme n’est pas le centre. Si nous écoutions les anthropologues nous les entendrions dire, avec leur convenable manque de franchise, que l’ouest blanc n’est pas le centre. Le centre du monde est un escarpement de la rivière des Klamath, un caillou à la Mecque, un trou dans le sol en Grèce, ici-maintenant et sa circonférence autour de nous.
Peut-être que les utopistes devraient finalement tenir compte de cette nouvelle déroutante. Peut-être que les utopistes feraient bien de perdre le plan, de jeter la carte à la poubelle, de descendre de leur scooter, de se coiffer d’un chapeau complètement farfelu, de lancer trois aboiements stridents dans la nuit, de trotter sur leurs petites pattes maigrichonnes, beige et miteuses à travers le désert et de remonter au travers des pins.
Je pense que nous ne pouvons pas aller en direction de l’utopie en regardant vers l’avant, mais seulement de façon circulaire ou de côté. Parce que nous sommes dans un dilemme rationnel, une situation perçue par la mentalité binaire d’un ordinateur, et que ni le ’soit’ ni le ’ou’ ne sont un endroit où vivre. De plus en plus souvent, dans ces temps de plus en plus difficiles, des personnes que je respecte et admire me demandent « Vas-tu écrire un livre à propos de la terrible injustice et de la misère de notre monde ou vas-tu écrire un fantasme d’évasion consolatrice ? ». Certains me pressent d’écrire le premier et d’autres le second. On m’offre le choix du Grand Inquisiteur*. Vas-tu choisir la liberté sans le bonheur ou bien le bonheur sans la liberté ? Je pense que la seule réponse que l’on peut faire est : Non.
Faire une fois de plus le dos rond. Usà puyew usu wapiw !
« Si le mot utopie doit être ressuscité, ce sera par quelqu’un qui aura suivi l’utopie dans l’abysse présente en arrière-plan de la vision du Grand Inquisiteur*, et qui en sera ensuite remonté pour en sortir de l’autre côté. »
Cela sonne très Coyote* à mes oreilles. Tomber dans les choses, les pièges, les abysses, et ensuite remonter et s’en extraire tant bien que mal, en souriant bêtement. Serait-ce possible que nous ne soyons déjà plus en train de nous confronter au Grand Inquisiteur* ? Serait-ce possible qu’il soit la figure paternelle que nous avons créée devant nous ? Serait-ce possible qu’en le contournant nous puissions le mettre derrière nous, comme le paradis perdu, l’inhabitable royaume de Zeus, l’option binaire, le pays à la vision unique où chacun doit choisir entre le bonheur et la liberté ?
Si c’est le cas, alors nous sommes dans l’abysse qui se trouve derrière lui. Pas encore sortis. Une prédiction typiquement Coyote*. Nous nous sommes mis dans un joli bordel, et nous devons nous en sortir. Et nous devons nous assurer que c’est bien de l’autre côté que nous allons ressortir ! Et que quand nous serons sortis, nous serons changés.
Je n’ai aucune idée de qui nous serons, ni de comment sera l’autre côté, bien que je crois qu’il y ait des gens là-bas. Ils y ont toujours vécu. Ils ont des chants qu’ils chantent là-bas. L’un d’entre eux s’appelle Dancing at the edge of the world*. Si, lorsque nous remonterons de l’abysse, nous leur posons des questions, ils ne traceront pas de cartes, démontrant leur complète impuissance, mais il se pourrait qu’ils montrent du doigt. L’un-e pourrait désigner la direction d’Arlington au Texas.
J’habite là, dira-t-elle. Regarde comme c’est beau !
C’est le Nouveau Monde ! Pleurerons-nous alors, déconcerté-e-s mais ravi-e-s. Nous avons découvert le Nouveau Monde !
Et Coyote répondra : Oh non. Non, vous êtes dans l’Ancien Monde. Celui que j’ai créé.
Vous l’avez créé pour nous ! Pleurerons-nous, émerveillé-e-s et reconnaissant-e-s.
Je n’irais pas jusqu’à dire cela, dira Coyote*.
Annexes
(Rangées par ordre alphabétique)
L’Âge d’Or est un mythe qui apparaît principalement dans la mythologie grecque puis la mythologie romaine (qui s’y réfère sous le nom de « règne de Saturne »). L’âge d’or fait partie du mythe des âges de l’humanité, avec l’âge d’argent, l’âge d’airain et l’âge de fer. L’âge d’or est celui qui suit immédiatement la création de l’homme alors que Saturne (ou Chronos pour les Grecs) règne dans le ciel : c’est un temps d’innocence, de justice, d’abondance et de bonheur ; la Terre jouit d’un printemps perpétuel, les champs produisent sans culture, les hommes vivent presque éternellement et meurent sans souffrance, s’endormant pour toujours.
« En l’absence de tout justicier, spontanément, sans loi, la bonne foi et l’honnêteté y étaient pratiquées. (…) La Terre elle-même, aussi, libre de toute contrainte, épargnée par la dent du hoyau, ignorant la blessure du soc, donnait sans être sollicitée tous ses fruits. » (Ovide)
Le mythe de l’âge d’or prit une importance particulière sous Auguste qui apparaissait alors comme l’homme capable de ramener l’humanité, sinon à l’âge d’or, du moins à un nouvel âge meilleur que celui dans lequel vivaient ses contemporains et qu’ils comparaient à l’âge de fer
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L’Arcadie (Arcadia) : Contrée sauvage où l’on pratiquait des sacrifices humains (mythologie grecque), symbole d’un âge d’or, monde riant et musical. Le pays du bonheur, pays idéal, lieu primitif et idyllique peuplé de bergers, vivant en harmonie avec la nature.
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Communitas est un nom latin se référant communément soit à une communauté non-structurée dans laquelle les personnes sont égales, ou à l’esprit même de communauté. Il a une signification particulière en tant qu’emprunt lexical en anthropologie et en sciences sociales. Victor Turner, qui a défini l’usage anthropologique du terme Communitas, s’est intéressé à l’interaction entre ce qu’il a appelé la « structure sociale » et l’ « anti-structure ».
Communitas se réfère à un état non-structuré dans lequel tous les membres de la communauté sont égaux, au travers du partage d’une expérience commune, la plupart du temps sous la forme d’un rite de passage. Communitas est caractéristique de personnes faisant ensemble l’expérience de la liminarité*. Ce terme est utilisé pour distinguer la modalité d’une relation sociale par rapport à une zone de vie en commun.
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Coyote : voir « fripon ».
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Dancing at the Edge of the World est un recueil non-romanesque de Ursula K. Le Guin publié en 1989. Ses textes sont divisés en deux catégories : les entretiens et les essais et les critiques littéraires et cinématographiques. Elle classe les essais en fonction des thèmes suivants : féminisme, responsabilité sociale, littérature et voyage.
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L’Élysée : Lieu des enfers, du repos après la mort, éternel printemps.
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Euclide : Mathématicien grec, 300 avant JC. Son ouvrage le plus célèbre, Les Éléments, est l’un des plus anciens traités connus présentant de manière systématique, à partir d’axiomes et de postulats, un large ensemble de théorèmes accompagnés de leurs démonstrations. Il fait partie des textes fondateurs des mathématiques en occident : ses thèmes restent à la base de l’enseignement des mathématiques au niveau secondaire dans de nombreux pays.
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La figure du Grand Inquisiteur : Née pendant Les Lumières, c’est une figure importante dans l’imaginaire du XIXe siècle et des romantiques en particulier.
Elle provoque une fascination de par l’exercice de la violence, celle des héros marginaux imprégnés de sang et dotés de pouvoir.
C’est une figure de supériorité (le roi lui même lui est subordonné) qui fait le lien entre le ciel et la terre. Son ambiguïté réside dans la douce oppression qu’il exerce. Il persécute ses victimes au nom de la justice. Il est omnipotent : peut même à distance créer la peur.
On peut observer une évolution de la figure de l’Inquisiteur :
- Révolution : c’est un jouisseur cynique
- après la Révolution : un fanatique criminel qui justifie ses actes au nom d’une vérité suprême
- au XIXe : habileté et cruauté mentale ainsi qu’une aptitude au questionnement et au maniement de la rhétorique
Il représente une violence insoutenable sans aucun rapport avec les idées religieuses qu’il est censé incarner : cette complexité du personnage fait son intérêt littéraire.
Cette figure inspire de nombreux romans de science fiction sur la surveillance et l’oppression, qui sont un rappel de l’inquisition.
On peut par exemple tracer facilement des liens entre le grand inquisiteur et Big Brother ou Nous Autres.
Le dilemme entre liberté-responsabilté contre confort-soumission est aussi décrit par Jean-Paul Sartre.
C’est une figure qui s’affirme toujours sous d’autres formes dans notre société actuelle.
Dostoïevski a écrit un conte philosophique nommé Le grand Inquisiteur (dans le roman Les Frères Karamazov en 1880), dont voici un résumé de l’intrigue :
Jésus est revenu sur Terre pour voir l’inquisition espagnole.
Le texte est le récit de la confrontation entre JC et le grand inquisiteur : il fait arrêter JC car c’est un gêneur. D’après le grand inquisiteur il est naïf de prêcher l’amour de son prochain. La voie du bonheur est l’autorité car l’humanité est incapable de vivre les principes de liberté et d’amour. JC a condamné les hommes à une situation de souffrance, voire de folie (on leur demande d’accomplir quelque chose dont ils sont incapables). JC a offert la liberté aux hommes mais ils n’en veulent pas : c’est un trop grand poids. Certains doivent se sacrifier et gérer le reste de l’humanité par la manipulation. L’inquisiteur prêche la société de l’efficacité. Il reconnaît être avec le démon.
JC est condamné à mourir au bûché. Les intentions de l’inquisiteur sont bonnes : c’est un martyr qui sacrifie sa vie pour œuvrer et choisir pour l’humanité. Il est réaliste : « ils ne sauront jamais répartir le pain entre eux ! ».
Les hommes préfèrent le bonheur même si c’est au prix de l’aliénation à ceux qui les nourrissent.
Ils ne veulent pas choisir entre le bien et le mal, prendre des décisions et en assumer leurs conséquences. Ils préfèrent une vie aliénée et heureuse. Ils sont non-coupables, innocents, toute la culpabilité est portée par les inquisiteurs, bergers manipulateurs. Mais eux-mêmes sont coupable d’actions qui ont conduit le plus grand nombre à un certain niveau de bonheur.
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Hexagramme 30 : les deux trigrammes de Feu
La lucidité
Jour après jour
= Sous le Soleil, le Soleil =
Feu solaire et joyeux, brillant et fragile,
l’énergie en appelle au temps.
Jour après jour.
Complémentarité, réseau de mailles,
amitié légère et grave à la fois.
Jour après jour
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Hexagramme 56 : les Voyageurs
= Sur la Montagne, le Soleil =
Nomades, passants, gens du voyage, marchant et cheminant,
de campement en auberge, de ci et de là,
ménestrels et vagabonds, par monts et par vaux, ils vont,
sur les durs chemins de liberté,
cherchant l’amitié, ou le réconfort,
comme tout un chacun
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Le fripon, ou farceur (ou trickster en anglais) est un personnage mythique présent dans toutes les cultures, rendu célèbre par Paul Radin. Les anthropologues comme Claude Lévi-Strauss utilisent le terme de « décepteur » – du moyen français decepteur : « celui qui trompe, qui trahit ».
Le fripon divin joue des tours pendables, possède une activité désordonnée incessante, une sexualité débordante, etc. Il est, selon Paul Radin, un miroir de l’esprit, un « speculum mentis », ce qui donna lieu, grâce à son travail avec Carl Gustav Jung, au développement du concept d’enfant intérieur, mais aussi d’une pratique psycho thérapeutique.
Le fripon est fondamentalement une personnalité chaotique, à la fois bonne et mauvaise, une sorte de médiateur entre le divin et l’homme. Il passe avec facilité de l’autodérision au sérieux le plus total ; mourir, renaître, voyager dans l’au-delà et conter sont certains de ses attributs.
Le parcours du fripon est celui d’un apprentissage par l’absurde, en quelque sorte.
« Il n’est guère de mythe aussi répandu dans le monde entier que celui connu sous le nom de "mythe du Fripon" dont nous nous occuperons ici. Il y a peu de mythes dont nous puissions affirmer avec autant d’assurance qu’ils appartiennent aux plus anciens modes d’expression de l’humanité ; peu d’autres mythes ont conservé leur contenu originel de façon aussi inchangée. (...) Il est manifeste que nous nous trouvons ici en présence d’une figure et d’un thème, ou de divers thèmes, doués d’un charme particulier et durable et qui exercent une force d’attraction peu ordinaire sur l’humanité depuis les débuts de la civilisation. »
P. Radin
Le fripon est une sorte d’individualiste solitaire considérant les institutions comme des entités étrangères.
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Islandia est un roman de fiction utopique écrit par Austin Tappan Wright dans la première partie du 20e siècle.
Tappan Wright a imaginé un monde très complet, il s’agit en fait d’un monde identique au nôtre, à l’exception d’une île imaginaire appelée Islandia. Ses citoyens ont imposé la « Loi des Cent », qui limite l’accès à Islandia à 100 visiteurs à la fois. Le personnage principal de cette fiction est un américain appelé John Lang. Lang devient ami avec un camarade de classe nommé Dorn et décide d’apprendre sa langue. Grâce à ce savoir, il devient par la suite Consul Américain sur l’île, et apprend petit à petit que sa mission tacite consiste à faire tout ce qui est nécessaire pour accroître les opportunités pour le marché américain sur le territoire d’Islandia. L’un des moments forts de l’intrigue est la décision prise par le peuple d’Islandia de rejeter les offres agressives des grandes puissances internationales pour déréguler le commerce et l’immigration. Ils choisissent à la place de maintenir leurs traditions et leur isolement.
Lorsque cette lutte politique éclate, John Lang décide de suivre sa conscience et se range du côté des Islandiens, au grand désarroi des businessmen américains.
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Liminarité :
Selon cette théorie, le rituel (spécialement le rite de passage) provoque des changements pour ses participants, notamment des changements de statut. Ces changements sont accomplis par trois étapes successives :
- La séparation de l’individu par rapport à son groupe.
- La liminarité, c’est-à-dire la période du rituel pendant laquelle, l’individu n’a plus son ancien statut et pas encore son nouveau statut.
- La réincorporation, c’est-à-dire le retour de l’individu parmi les siens avec un nouveau statut.
La liminarité est le moment crucial du rituel. C’est une étape transitionnelle caractérisée par son indétermination.
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Le luddisme est, selon l’expression de l’historien Edward P. Thompson, un « conflit industriel violent » qui a opposé dans les années 1810 des artisans (tondeurs et tricoteurs sur métiers à bras) aux employeurs et manufacturiers qui favorisaient l’emploi de machines (métiers à tisser notamment) dans le travail de la laine et du coton. La lutte des membres de ce mouvement clandestin, appelés luddites ou luddistes, s’est caractérisée par les nombreuses destructions de machines. Les luddites attaquent en petits groupes, ils sont armés et masqués.
Le terme « luddisme » est parfois utilisé pour désigner ceux qui s’opposent aux nouvelles technologies ou critiquent celles-ci (on parle même de « néo-luddisme »).
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La L5 Society est fondée en 1975 par Carolyn et Keith Henson pour promouvoir l’idée de colonies spatiales développée par le r Gerard K. O’Neill. Le nom de cette association fait référence au point de Lagrange L5 qui constitue un des points d’équilibre gravitationnel du système planétaire Terre - Lune. Le r O’Neill proposait de construire d’énormes habitats spatiaux en rotation aux points L4 et L5 situés sur l’orbite lunaire de part et d’autre de la Lune. Un objet placé en L4 ou L5 y reste indéfiniment sans avoir à dépenser de carburant pour se maintenir en place.
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Les Saturnales (en latin Saturnalia) sont durant l’antiquité romaine des fêtes se déroulant durant la période proche du solstice d’hiver qui célèbrent le dieu Saturne et sont accompagnées de grandes réjouissances populaires. Durant cette période, les barrières sociales disparaissaient, on organisait des repas, on échangeait des cadeaux, on offrait des figurines aux enfants et on plaçait des plantes vertes dans les maisons, notamment du houx, du gui et du lierre. Durant cette fête très populaire, l’ordre hiérarchique des hommes et logique des choses est inversé de façon parodique et provisoire : l’autorité des maîtres sur les esclaves est suspendue. Ces derniers ont le droit de parler et d’agir sans contrainte, sont libres de critiquer les défauts de leur maître, de jouer contre eux, de se faire servir par eux. Les tribunaux et les écoles sont en vacances et les exécutions interdites, le travail cesse. les Romains désignaient un esclave comme « roi d’un jour ».
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La cosmologie mystique des sept directions sacrées des natifs amérindiens. Le dessus comme grand esprit et grand mystère, le dessous comme Terre Mère, le centre de toute chose, et les quatre directions cardinales : le nord, le sud, l’est et l’ouest. Chacune des directions a ses propres attributs et totems, aidant à définir leurs significations et actions.
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Les Swampy Cree font partie des Cree, qui est une des Premières Nations (peuples autochtones canadiens). L’expression « Premières Nations » s’est répandue à partir des années 1980 en remplacement du terme « Indiens » considéré comme péjoratif.
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Dans la mythologie de William Blake, Urizen est l’incarnation de la sagesse conventionnelle et de la loi.
Urizen possède de nombreux livres : d’Or, d’Argent, d’Acier et de Cuivre. Ils représentent la science, l’amour, la guerre et le questionnement social, qui sont les quatre aspects de la vie. Les livres renferment des listes de lois et principes qui visent à surmonter les sept Péchés capitaux. Le Livre de Cuivre, particulièrement original, met en place les croyances sociales d’Urizen, qui cherche à supprimer toute peine et à instiller la paix par la force d’une loi univoque.
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Walden Two est un roman dystopique/utopique et uchronique écrit par B. F. Skinner, publié en 1948. Il s’agit de histoire d’une communauté utopique libertaire
Walden Two est sujet à controverse car ses personnages parlent d’un rejet du libre arbitre et d’un rejet de conception d’après laquelle le comportement humain serait contrôlé par une entité non-corporelle, comme un esprit ou une âme. Walden Two choisit la conception que le comportement des organismes, y compris les organismes humains, est déterminé par des variables environnementales, et que l’altération systématique de ces variables peut générer un système socioculturel qui peut s’approcher de très près de l’utopie. La réussite de Walden Two est prouvée en démontrant le sentiment de bonheur et de liberté de ses membres, en partie acquis grâce à un programme « ingénierie comportementale » commençant dès la naissance.
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Le Yi Jing (sinogrammes 易经simpl./易經trad., également orthographié Yi King ou Yi-King), prononcé en français i ting est un manuel chinois dont le titre peut se traduire par « Classique des changements » ou « Traité canonique des mutations ». Il s’agit d’un système de signes binaires qui peut être utilisé pour faire des divinations.
De fait, partant d’une opposition/complémentarité entre les principes d’engendrement Yin et Yang (yin // réceptif // lune // femelle // passif alors que yang // créatif // soleil // mâle // actif) et subdivisant cette dualité de façon systématique (adret = côté au Soleil alors qu’ubac = côté à l’ombre ; vents favorables opposés aux nuages contraires), le Yi Jing arrive à la série des 64 figures qui peuvent interpréter toutes les transformations possibles.
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