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Compte-rendu de discussions et de présentations animées en Allemagne, Chili et Argentine
Autour du mouvement de la « loi Travail »
mis en ligne le 7 juin 2018 - Collectif
Compte-rendu de discussions et de présentations animées en Allemagne, Chili et Argentine autour du mouvement de la « loi Travail »
Sommaire :
- Présentation de la brochure
- Contextualisation
- Les mouvements sociaux passés
- Particularité et organisation du mouvement
- Chronologie
- La CGT
- Nuit Debout
- Point de vue anti-autoritaire
- Perspectives et discussions
Présentation de la brochure
Cette brochure est un récapitulatif de discussions publiques sur le mouvement dit « de la loi travail » qui a secoué la france de mars à juillet 2016 (sans oublier les soubresauts de septembre et octobre).
Elles se sont tenues dans un premier temps en décembre 2016 dans 4 villes d’allemagne : Magdeburg, Berlin, Dresden et Leipzig. Ces présentations consistaient à rendre compte de ce qui s’était passé dans nos villes et ailleurs, à contextualiser le mouvement par rapport à l’état d’urgence et à la situation politique actuelle, à revenir brièvement sur les mouvements passés, à éclaircir le rôle de la cgt ou de nuit debout (les gens à l’étranger ayant très peu d’infos sur ces sujets), à donner une analyse anti-autoritaire, et à parler de perspectives avec les personnes présentes. Elles ont été animées par des personnes ayant vécu le mouvement à lyon, marseille ou rennes.
Sous une forme différente en mars 2017, certain-es des intervenant-es ont animé ces discussions dans les villes de Buenos Aires, Valparaiso et Santiago du Chili.
En plus de la loi travail, étaient abordées les violences policières (mobilisations pour Adama, Théo, etc) et les ZAD (nddl, sivens, roybon, bure). Nous ne revenons pas ici sur ces deux derniers sujets, pour nous concentrer sur la loi travail.
La volonté était de faire part de quelques expériences du mouvement, qui sont forcément subjectives. Aucune prétention d’atteindre une vérité absolue sur ce qu’a été ce mouvement, mais juste de donner un point de vue. Celles et ceux qui ont déjà vécu le mouvement n’apprendront rien avec cette brochure. L’envie était plutôt de partager cette lutte avec des gens qui n’en avaient que peu entendu parlé et de rendre ces discussions le plus accessible possible.
Les textes que vous lirez ici ne sont pas forcément fidèles à 100% avec ce qui a pu être dit pendant les discussions. Il fallait parfois adapter les textes au nombre d’intervenant-es qui pouvait être variable selon les soirées. Disons que la version de cette brochure est un « director’s cut », une version longue de ce qui a pu être dit. Nous avons aussi essayé de retranscrire au mieux les discussions qui ont suivi la présentation. A noter que les témoignages de rennes et lyon ne sont pas relatés ici.
Contextualisation
Quand on a commencé à se bouger, on ne savait pas trop ce que disait cette loi. On savait qu’elle était néo-libérale et qu’elle allait nous mettre dans la merde encore plus. Mais là n’est pas le problème. L’intérêt, c’était de participer à cette force collective qui émerge et qui fait descendre dans la rue des centaines de milliers de personnes.
Beaucoup de gens qui ont l’habitude de militer voyaient l’avenir en noir en ce début d’année 2016. Les attentats de charlie hebdo et du 13 novembre avaient rendu patriotiques des personnes pas forcément super politisées mais qui avaient au moins l’habitude de venir en manif et qui n’étaient pas les dernières à gueuler contre le gouvernement. Plein de ces gens qui étaient souvent du côté de la contestation se sont retrouvés le 11 janvier 2015 à défiler derrière les chefs d’État et aux côtés des pires raclures réactionnaires. Et les drapeaux français ont réapparu aux fenêtres.
Rien d’encourageant, d’autant qu’en avril 2015, la très néo-libérale loi macron a été promulguée sans aucune difficulté. En guise de protestation, il y eu tout juste une manif syndicale chiante et inutile comme les syndicats en ont le secret.
Et finalement, c’est arrivé, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue. Il y a eu plein de blocages de l’économie, d’émeutes, d’occupations de bâtiments, un début de pénurie d’essence, des actions directes, des grèves, etc.
Les rues du pays, qui avaient été occupées en 2015 par les manifestants-Charlie embrassant les CRS, l’ont été plusieurs mois durant par ceux qui criaient « Tout le monde déteste la police ».
Les mouvements sociaux passés
Ces 20 dernières années, il y a eu en 1994, une lutte contre des atteintes au droit du travail contre les jeunes, en 1995, d’immenses manifestations et blocages de l’économie, notamment dans les transports, contre la libéralisation de la sécurité sociale et des retraites, en 2006 il y a eu une lutte contre un contrat de travail ultra-précaire pour les moins de 26 ans et en 2010 un mouvement contre une nouvelle réforme des retraites. A part pour cette réforme des retraites de 2010, les autres mouvements ont pu faire reculer le gouvernement.
Particularité et organisation du mouvement
Cette fois-ci, on peut dire qu’il y a eu une participation moins importante en nombre de participant-es ou de lycées bloqués.
Pendant le cpe, les étudiant-es étaient en pointe du mouvement. Cette fois-ci, ils/elles sont plutôt resté-es en retrait. Il n’y a eu quasiment aucune fac occupée, et si elles l’ont été, ce n’était que quelques jours maximum alors qu’en 2006 presque toutes les facs de science humaines ont été occupées et pendant deux mois ou plus.
Par contre, il y a eu une très forte détermination des participant-es, d’autant plus impressionnante si l’on prend en compte le niveau de violence policière et judiciaire déployée.
D’habitude, dans les autres mouvements de lutte, il y avait l’assemblée générale (AG) de la fac, une autre dans le lycée, dans une entreprise, une autre ailleurs. Cette fois-ci, tout le monde était le bienvenu dans des AG ouvertes à tous-tes. A la différence de nuit debout, il y avait un ordre du jour à respecter et on cherchait une certaine efficacité, tout et n’importe quoi ne pouvait pas être dit. C’est là aussi que différentes tendances se confrontaient, se contredisaient. On y préparait en partie les manifs, on y faisait les debriefings et l’on cherchait des solutions pour les personnes arrêtées.
Le fait vraiment nouveau tenait à ce que ces assemblées de lutte soient régulièrement suivies et débouchent sur des initiatives et des actions. On avait un peu peur au début que ça se résume à des luttes entre anarchistes, communistes, syndicalistes, radicaux ou non-violents ou autres, mais petit à petit, ces différences ont plus ou moins été mises de coté. C’était vraiment réjouissant de voir comment beaucoup de personnes ont pu évoluer au fil du mouvement. Certain-es étaient très réformistes au début, avait complètement confiance en la cgt, disaient même qu’il fallait demander à la police de nous rejoindre, etc. Mais après plusieurs manif, beaucoup de ces mêmes personnes crachaient sur les flics, et demandaient des actions plus dures et conflictuelles.
En fonction des villes et des situations locales, les assemblées pouvaient se tenir dans la rue, ou dans une fac partiellement occupée, ou dans un bâtiment squatté spécialement pour l’occasion.
C’est dans ces assemblées qu’a émergé l’idée de faire un bloc indépendant des syndicats, des partis politiques, ou d’une quelconque organisation. C’était le fameux ‘cortège de tête’, composé de plein de gens qui voulaient défiler sans label politique revendiqué.
Au sein du cortège de tête, on essayait de ne pas parler que de la loi travail. C’est vrai que c’est ça qui mobilisait les gens, mais il fallait éviter que ça fasse comme en 2006, c’est à dire que le gouvernement retire sa loi néo-libérale et qu’ensuite il ne reste plus personne dans la rue. On a donc essayé de parler de la place du travail en général dans la vie des gens et de l’intérêt d’en finir avec le capitalisme plus particulièrement. Deux des slogans qu’on pouvait entendre le plus étaient ‘ni loi, ni travail’ ou ‘loi, travail, retrait des deux’.
Une autre particularité de ce mouvement, c’est que les flics attaquaient pour blesser le plus de gens possible, parfois sans volonté d’arrestation. Leur seul souci était de ne pas tuer. Cela mis à part, le pouvoir leur laissait toute liberté pour utiliser toutes leurs armes qui ont mutilé, blessé plus ou moins gravement ou fait perdre l’usage d’un œil, et ce à des centaines de manifestant-es à travers la france. Les street-medics ont été énormément touchés, c’était comme si la petite croix rouge sur leurs brassards était en fait une cible pour la flicaille. Parfois, des lacrymos étaient envoyées au milieu des médics en train de secourir quelqu’un-e.
Contrairement à d’habitude, il n’y a pas eu de grosse dissociation cette fois-ci. Évidemment, les médias, les dirigeants syndicaux et politiques ont cherché à diviser le mouvement en faisant une distinction entre gentil-les manifestant-es et méchant-es casseurs-euses, mais cela n’a pas vraiment pris. Les gens restaient en général solidaires des actions et entraient peu en conflit avec celles et ceux qui sortaient de la légalité. D’ailleurs, la porte-parole de la coordination étudiante en direct à la télé a déclaré : « On a décidé de ne pas se dissocier de ce que vous appelez les casseurs ». Devant un journaliste médusé qui s’attendait justement à ce qu’elle prenne ses distances.
Chronologie
La première manif est venue d’un groupe de travailleur-euses dont certain-es sont dans des syndicats. Voyant leur syndicat ne rien vouloir faire contre cette loi, ils et elles ont appelé via les réseaux sociaux à une manif le 9 mars, qui a été massivement suivie, 500 000 personnes se sont bougées à travers le pays. Dans certaines villes, les actions et la casse étaient déjà au rendez-vous. En tout cas, tout le monde était surpris de voir autant de gens dans la rue.
Pour l’anecdote, notre squat était en face d’un lycée, et c’était complètement fou de se faire réveiller à 7h du matin par des ados en furie qui avaient fait une immense barricade de poubelles ou autres devant l’entrée de leur lycée.
Ce sont les lycéen-nes qui ont été dans un premier temps le pilier de ce mouvement. Dès le 9, des dizaines de lycées ont été bloqués. Certains étaient occupés mais en général, il s’agissait de bloquer le lycée de 7h du matin jusqu’au début de la manif.
Après ça il y a eu de nouvelles manifs pour le 17 et le 24 mars. Elles étaient moins importantes en nombre, mais plus fortes en intensité, en rage et en actions. Dans beaucoup de villes, l’habitude était prise : il ne pouvait y avoir une manif sans action avec un degré de conflictualité plus ou moins grand.
A noter le beau geste de solidarité des lycéen-nes de Paris. Ils-elles étaient super vénéres après la répression de leur blocus de lycée et après le tabassage filmé de l’un d’eux le 24 mars. Le 25 au matin, ils et elles sont parti-es en manif sauvage pour attaquer 2 commissariats de police puis ils-elles ont pillé 2 supermarchés et ont redonné la bouffe à des migrant-es qui campaient près de là.
Les manifs du 31 mars ont été un succès, des émeutes ont éclaté dans pas mal de villes, plus de 1,2 millions personnes sont sorties manifester.
A partir de là, les assemblées de lutte, les lycéen-nes et les groupes autonomes informels ont appelé à prendre la tête de la manif en se mettant devant les syndicats. Ce qui est assez rare et symboliquement fort en france.
Pendant le mois d’avril, il serait dur de faire ici une chronologie de tout ce qu’il s’est passé, il y avait un rythme de deux grosses manifs par semaine dans certaines villes, plus des actions, des assemblées, ça n’arrêtait pas. A noter qu’il y a eu une période de vacances scolaires en avril : d’habitude, la plupart des gens arrêtent de manifester, mais cette fois-ci ça a continué et tout le monde s’est donné rdv pour le 28 avril. C’était un peu le tournant du mouvement, soit ça s’arrêtait là, soit ça continuait de plus belle.
Et les grosses manifs du 28 avril ont été massives et explosives. Des centaines de milliers de personnes sont sorties dans la rue, plus de 120 personnes ont été arrêtées. Il y a eu des émeutes et des manifs sauvages dans plein de villes de france. Par exemple à marseille en tout 70 000 personnes ont manifesté dont 3 000 personnes qui sont parties en manif sauvage pour une après-midi d’émeute, ce qui ne s’était pas passé depuis très longtemps dans cette ville.
3 jours après, le 1er mai a été le plus remuant en france depuis bien longtemps. Encore des émeutes et de la répression, spécialement à paris où la manif s’est fait durement attaquer par les flics.
Le 10 mai, le gouvernement a passé la loi par décret, c’est-à-dire sans débat parlementaire. Le but était de faire passer la loi le plus vite possible pour que le mouvement s’arrête. Cette mesure a énervé d’autant plus de gens. De nouvelles manifs sauvages ont éclaté dans pas mal de villes.
Ces schémas se sont répétés jusqu’aux manifs du 17 mai.
Le 18 mai, les flics décident de faire des rassemblements pour dénoncer la violence contre la police. Certains syndicats de policiers ont même parlé de racisme anti-flic (sic) ! Après tout ce qu’ils ont fait, après tous les os qu’ils ont brisé, après toutes les personnes qu’ils ont blessé, humilié et traumatisé, ils ont quand même eu le culot de se victimiser. Il y a eu peu d’affrontements, mais c’est ce jour là qu’une voiture de police a brulé à paris.
Après le 19 mai, les blocages économiques commencent vraiment et continueront à intervalles irréguliers jusque début juillet. En pointe du mouvement, les routiers, les cheminots, les agents de port, d’aéroport, de raffinerie. Il y a des actions de blocages, de péages gratuits, des électricien-nes coupent l’électricité dans des quartiers entiers, ou coupent l’électricité dans des mairies ou sièges d’organisations patronales.
Mais malheureusement, après 2 mois de mobilisations, le mouvement des lycéens et des jeunes en général commence à faiblir. Moins de lycées sont bloqués, moins d’étudiant-es sont présent-es, les manifestation sont moins offensives.
Les manifs continuent à être énormes. Mais avec moins d’émeutes, moins d’actions.
Le 14 juin, il y a cette énorme manif à paris où un million de personnes manifestent. Il y a de très violents affrontements avec la police. De nombreuses personnes l’attaquent, et pas seulement des ‘autonomes’. Par exemple beaucoup de gens de syndicats s’y mettent aussi.
Il y a beaucoup d’appels à perturber l’euro de foot qui débute à ce moment, mais finalement, à part quelques actions, rien de spécial ne se produit.
Les manifs et blocages continuent jusqu’à début juillet (début des vacances d’été).
Le 15 septembre, de grosses manifs se déroulent partout en france mais le mouvement ne recommence pas vraiment. Plus tard, des lycées seront bloqués ici ou là, des actions seront menées mais rien qui ait vraiment de l’ampleur. C’était la fin de ce mouvement.
La CGT
La cgt est le plus gros syndicat en france. Il est né à la fin du 19ème siècle.
Jusqu’au début de la première guerre mondiale, elle était pour moitié anarcho-syndicaliste et pour moitié socialiste autoritaire. C’est ensuite qu’elle est devenue intimement liée au parti communiste français.
Son passé est assez controversé. Beaucoup disent que mai 68 n’a pas marché à cause d’elle. Parce qu’elle a négocié avec le pouvoir pour que le mouvement s’arrête. Et en gros c’est à chaque fois ce qui lui est reproché à chaque mouvement en france. Elle a aussi pour réputation d’attaquer physiquement les gauchistes ou autonomes avec qui elle n’est pas d’accord. On lui reproche aussi de ne pas être révolutionnaire et de ne jamais demander plus que le strict minimum. Il faut faire une différence entre la direction de la cgt et son service d’ordre d’un coté et les membres de base de l’autre. Tout le monde n’est pas pourri à la cgt, il y a des gens qui veulent sincèrement se battre contre le capitalisme et les patrons.
En ce qui concerne la loi travail, dès le début, la cgt a tout fait pour que le mouvement ne commence pas. À la première manif, celle du 9 mars, la cgt a décidé de participer au dernier moment, voyant que énormément de monde serait là, elle ne pouvait pas faire comme si ça n’avait pas lieu. Du coup elle a appelé à une manif le 31, soit 3 semaines plus tard. D’une manière générale, elle a toujours tout fait pour ralentir le plus possible les manifestations, les blocages, les solidarités dans le cortège. Elle a joué le jeu du pouvoir en dénonçant à maintes reprises les soi-disant casseurs parfois même en les traitant de flics infiltrés.
A paris, on a d’ailleurs vu de gros affrontements entre le service d’ordre de la cgt et des gens du cortège de tête. A marseille aussi, la cgt a chargé le cortège à coups de batte de baseball et de gazeuse sans aucune raison. Ce n’est pas un fait nouveau, depuis toujours la cgt tape ce qui ne lui correspond pas et collabore activement avec la police. A marseille comme à paris, pendant plusieurs manifs, ce sont des membres des renseignements de la police, les RG, qui disaient à la cgt quand il fallait avancer ou pas, pour isoler au maximum le cortège de tête du reste de la manifestation. Ils avaient peur qu’il y ait une jonction entre des membres de la cgt et les autres.
Il fallait pour la direction de la cgt les empêcher de rejoindre les autres manifestant-es qui demandaient plus que le retrait de la loi travail.
Au fur et à mesure du mouvement, de plus en plus de membres de la cgt se sont retrouvé-es dans le cortège de tête. Des solidarités se sont créées. Comme par exemple au havre dans l’ouest de la france, où les dockers ont publiquement déclaré qu’ils bloqueraient entièrement la ville si quelqu’un du havre devait se retrouver en prison pendant le mouvement.
A l’approche de l’euro, beaucoup de composantes du mouvements ont appelé à le perturber et le bloquer. Mais c’était sans compter sur la cgt qui a clairement dit qu’elle n’empêcherait pas le bon déroulement de l’euro.
Il est aussi reproché à la cgt d’avoir appelé à bloquer l’économie beaucoup trop tard (en gros à partir de la mi-mai) alors que le mouvement avait commencé depuis déjà deux mois.
Nuit Debout
Ces assemblées étaient assez étonnantes. Si beaucoup, voir énormément de gens venaient, tout et n’importe quoi était dit. On pouvait ainsi entendre quelqu’un appeler à la solidarité avec les policiers qui sont de pauvres travailleurs comme nous, et juste ensuite quelqu’un d’autre que personne n’avait jamais vu qui appelait à la lutte armée et à venir avec des pistolets en manif. A noter que le temps d’intervention était limité à 2 minutes par personne, mais que les personnalités considérées comme ‘‘intellectuelles’’ pouvaient prendre la parole aussi longtemps qu’elles voulaient. Contrairement aux assemblées de lutte, qui étaient des lieux de confrontation d’idées et de prises de décisions, nuit debout (ND) ressemblait plus à un gros mix dont rien d’intéressant ne ressortait.
A marseille, ça a quand même permis à au moins 2 manifs sauvages nocturnes de démarrer et d’aller saccager le local de fascistes royalistes et de foutre un peu le bordel.
A paris aussi, ça a permis des actions malgré une certaine confusion. Par exemple, lors d’une manif sauvage de nuit qui est partie de nuit debout, les organisateurs de ND ont appelé la police pour les tenir au courant. Par contre, la commission chargée de la question de la violence avait décidé de ne pas condamner les actes de vandalisme lors des manifs.
De ce que j’en sais, ND a eu beaucoup d’impact dans les villes de tailles petite et moyennes Apparemment, c’était le seul relais local de la lutte en dehors des syndicats. Et ça permettait vraiment de s’organiser de manière horizontale et directe. Même si malheureusement, cela faisait le nid de la gauche de la gauche qui espérait en tirer des bénéfices pour les prochaines élections présidentielles.
Au final, si le bilan semble plutôt négatif, ça a tout de même permis a des gens de se rencontrer et de lutter. Ce qui est déjà pas mal en soi.
Point de vue anti-autoritaire
Malgré tout ce qui a pu se passer, ce mouvement n’a pas réussi à faire reculer le gouvernement.
Peut-être parce que nous n’étions pas assez coordonné-es et organisé-es. Quand les jeunes et les précaires se sont bougé-es dans un premier temps, les travailleurs-euses ne bloquaient pas encore l’économie. Et quand ces dernier-es ont commencé à vraiment faire grève et à bloquer des points stratégiques de l’économie, beaucoup de jeunes et de précaires étaient fatigué-es du mouvement et ne venaient plus en manif. Que peut-on faire pour que les gens se mobilisent ensemble ? Une des solutions est peut-être d’aller vers ces mêmes gens, d’aller vers le travailleurs-euses, de leur parler, de voir ce qui est possible de faire avec eux-elles.
Pour beaucoup, c’était le premier mouvement social. Pour essayer de partager notre expérience, on a donné des tracts en début de manif qui expliquaient comment s’y prendre quand les flics attaquaient. Il y avait aussi des tracts de la legal team qui expliquaient que faire en cas d’arrestation. C’était aussi beaucoup de discussions avec des lycéen-nes, étudiant-es, sur l’importance des actions en manif pour créer un rapport de force et être visibles. C’est une question centrale. Comment faire en sorte que les manifestant-es se protègent contre la répression et puissent s’approprier un certain degré de conflictualité ? Ce ne sont pas des choses qui s’inventent comme ça.
On a vu des personnes qui aiment à s’organiser contre la répression, contre la prison ou autre, qui veulent détruire cette société merdique, mais quand la révolte est en bas de chez eux-elles, ils et elles ne sont pas là. On a vu pas mal de personnes qui d’habitude se bougent et qui là ne se sont pas impliquées du tout dans ce mouvement, ou alors juste pour le toucher du bout des doigts.
D’autres, tout aussi habitué-es à se bouger, venaient à ces manifs, sans rien savoir du contexte, ils et elles cassaient des trucs, mettaient des poubelles sur la route, ce qui est plutôt cool, mais quand les flics approchaient c’était les premiers à partir et à laisser les gens se débrouiller avec la répression. C’est vraiment dommage. Pas de casser des banques et de faire des barricades, mais de laisser les gens moins habitués se prendre une charge de flics dans les dents.
Beaucoup de ces gens ne reviennent pas en manif après s’être fait défoncer. Ok, on va casser des banques, mais ça veut dire que le flics derrière vont réagir. Et là on fait quoi ? Si on veut être crédibles, si on veut que nos idées et pratiques soient diffusées et écoutées, on doit penser à ce genre de questions. Et pas laisser les gens seuls. Des initiatives ont été prises dans ce sens, mais pas assez.
Par exemple, les jeunesses communistes (qui sont la fraction ‘jeune’ du parti communiste français) ou le npa (trotskyste) sont très présents dans certaines villes. Si des personnes qui s’organisent de manière autonome n’avaient pas été là, ils auraient clairement pu diriger le mouvement des jeunes, et on en serait resté à des manif chiantes qui ne posent aucun rapport de force, et à la cgt et aux communistes autoritaires qui décident de ce que doivent faire les un-es et les autres. Les mouvements sociaux sont un moment de politisation, si on laisse l’espace aux autoritaires, alors ce sont eux qui vont diffuser leurs idées et leurs pratiques.
Si on veut un vrai changement social, il nous faut aller vers les gens et pas se dire : « de toute façon, c’est tous des abrutis réactionnaires qui ne comprennent rien et passent leur temps devant la télé », ou bien « ils/elles disent putain ou enculé, du coup ce sont des ennemis » . On peut aussi se dire que c’est pas parce que les gens utilisent des mots oppressifs (par exemple le mot « enculé », qui entretient clairement des oppressions, notamment homophobe et sexiste) qu’ils doivent être considéré-es à vie comme des ennemi-es. Il ne s’agit pas ici de faire un appel au calme face aux propos oppressifs mais juste de rappeler que si on veut des résultats, si on veut changer la façon de penser ou de faire des gens, si on veut diffuser nos idées, il faut aussi de la pédagogie. (Oui c’est chiant, ça prend du temps. Et oui parfois on peut pas être pédagogue parce qu’on est dans la colère. Mais dans ce cas ça peut être cool de demander à quelqu’un-e de prendre le relais pour soi.) L’idée c’est de laisser une chance aux gens. Et en vrai, ces personnes ont autant de choses à nous apprendre, ça va dans les deux sens.
On peut faire partie de la solution, on peut apporter une autre façon de voir, sans manipuler mais simplement en montrant une autre possibilité, après, ça sera à chacun-e de faire ses choix politiques. Mais l’anti-autoritarisme doit être une possibilité. Et ne doit pas simplement être vu comme une pratique de gens isolés, sectaires ou extrémistes.
On se doit d’expliquer nos gestes si on veut que d’autres personnes nous rejoignent. Si l’anonymat dans l’action nous en empêche parfois, on se doit de le prendre en compte et de développer des formes qui nous permettent de communiquer avec les gens qui luttent autour de nous. ça peut passer par des tracts, des interventions en AG, des discussions, de la diffusion de brochures et de sites d’info, etc.
Et bien sur il ne faut pas idéaliser une forme d’action plutôt qu’une autre. A un moment donné il est plus pertinent de donner des tracts et la fois suivante, il sera plus pertinent de jeter des cailloux. Ça dépend du contexte.
Les autonomes, ou anti-autoritaires ou autres, ont leur place dans un mouvement.
Nos pratiques ne doivent pas rester bloquées dans une sphère autonome où bien vite elles atteignent leurs limites. On ne doit pas s’enfermer dans une bulle radicale et rebelle où tôt ou tard les « autres » ne seront perçus que comme d’inutiles moutons et finalement des ennemi-es.
L’Histoire n’est pas finie et nous en faisons pleinement partie. A nous de la changer.
Perspectives et discussions
Ici une sélection de questions, de remarques et de réactions qui viennent des discussions qui ont suivi la présentation. La volonté était de ne pas faire de questions/réponses mais plutôt privilégier un débat entre personnes présentes (ce qui n’a pas forcément tout le temps fonctionné).
Question : Où en est la lutte aujourd’hui ? Est-ce qu’il y a encore des personnes en taule aujourd’hui suite à ce mouvement ?
Plusieurs personnes ont demandé où en était le mouvement aujourd’hui. Après le mois de juillet, il y a eu encore quelques manifs en septembre et en octobre, qui signaient la fin du mouvement mais avec tout de même quelques belles tentatives d’actions. Par exemple, suite à une manif sauvage à Marseille le 29 octobre, un bâtiment a été occupé pour continuer à organiser la lutte. 2 jours après, la police expulsait le lieu et en profitait pour mettre en taule une personne qui était venue montrer son soutien. Elle a pris 4 mois de prison ferme pour avoir insulté des flics.
Mais en vrai, le mouvement s’est vraiment éteint en octobre.
Concernant la répression : Il y aurait eu une trentaine de personnes incarcérées. Des centaines d’arrestations et sans doute des milliers de blessé-es. Aucun bilan global n’a encore été fait.
Qu’en est-il de la ZAD ? (question récurrente)
Les appels à soutenir la ZAD en octobre 2016 ont été un succès, les gens sont prêt-es à défendre la ZAD si l’état essaie de l’expulser. Apparemment ça arrivera pas tout de suite.
Est-ce qu’en france il y a des centres sociaux comme en italie et en grèce ? Est-ce que c’est possible qu’un mouvement social se repose sur eux ?
Il n’y a quasiment pas de centres sociaux à l’italienne en france. Tout au plus des squats assez éphémères qui ne se sont que peu mobilisés pendant ce mouvement, même s’ils ont pu servir à l’occasion de lieux d’organisation et de rencontre.
Comment on continue la lutte alors ?
Des personnes ont proposé de se retrouver entre les différentes villes de France pour continuer la lutte, pour s’organiser contre les élections. Le but est aussi d’être un minimum prêt-e à se défendre aux prochains coups du gouvernement.
Pourquoi le mouvement a commencé à ce moment-là ?
Peut-être à cause de l’état d’urgence, ou du ras-le-bol cumulé. En vrai c’est toujours dur à dire. Des fois il y a des appels à se bouger et personne ne suit, et parfois les gens sortent dans la rue en masse. Ce qui est sur c’est qu’il faut essayer et ne pas se dire d’avance que c’est perdu. On a parfois de bonnes surprises.
Quel a été le rôle des gens qui était déjà militant-es avant le mouvement ?
Ça dépend. Bien sur beaucoup étaient très présent-es, mais certain-es aussi ne se sont pas du tout montré et ont préféré continuer à militer sur leurs thématiques propres plutôt que de participer à ce mouvement. Comme ça a été dit précedemment, on a pu voir des personnes anar, qui organisent parfois des initiatives politiques, ne rien faire ou presque pendant la loi travail et ne pas bouger alors qu’il y avait une émeute à deux rues de leur squat.
On peut parler du rôle des médias pendant le mouvement ? Est-ce qu’il y avait des médias pro-mouvement ?
Du coté des médias bourgeois, pas vraiment non. Et ce n’est pas étonnant. Mais les médias alternatifs ont eu un réel poids. Spécialement les médias liés au réseau mutu qui étaient un relais sur internet de la lutte. Par exemple les sites MIA (marseille), Rebellyon, Paris-Lutte.Infos ou IAATA (toulouse) étaient très sollicités pendant cette période.
Quand vous demandez « comment atteindre plus de monde », est-ce que vous parlez en termes numériques d’atteindre plus de monde ? Ou est-ce que c’est plutôt : comment atteindre des personnes d’horizons différents ?
Un peu des deux. Les manifs étaient énormes mais pas autant que pendant les autres mouvements. Donc se pose la question de comment faire pour atteindre plus de gens, comme par exemple les étudiant-es, ou les chomeur-euses. Mais aussi comment toucher les gens qui participent qui ne sont pas en contact avec nous. On aurait plein de choses à partager avec des travailleurs-euses (sympathisant-es des syndicats ou pas) mais on a peu l’occasion de créer quelque chose avec eux/elles.
Quelle était la position des partis de droite sur la loi travail ?
Ils se sont fait discrets. Évidemment ils ne pouvaient qu’approuver cette loi.
Quid des émeutes de hooligans pendant l’euro de foot ?
On a effectivement un peu eu peur à marseille avec l’arrivée massive de supporters polonais ou russes qui sont connus pour être facilement d’extrême droite. Mais finalement, il ont ignoré le mouvement en cours et n’ont pas attaqué de lieu militant. Ce n’est même pas sur qu’ils étaient au courant de quoi que se soit. Ils se sont surtout mis sur la gueule entre eux et avec les flics.
Comment vous pouvez expliquer qu’il y ait autant d’affrontements dans les manifs en france ?
D’un coté ce sont les flics qui attaquent et qui ne nous laissent pas le choix de se défendre et de s’organiser pour tenir la rue. Mais aussi, pendant ce mouvement, il y avait une volonté de toujours faire des actions pendant ou juste après la manif. A marseille, il y avait la manif dite « normale » où le cortège de tête prenait le même chemin que tous les autres cortèges, et ensuite ça partait en manif sauvage avec souvent un but précis, comme par exemple : exploser un local de parti ou de syndicat jaune, bloquer les voies de chemin de fer, bloquer une autoroute, attaquer le local du medef (syndicat patronal), etc. Du coup forcément, ça ne plaît pas aux flics et on se retrouve dans une situation de répression et d’affrontements. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y avait une constante volonté d’action, on ne pouvait pas simplement manifester. S’il n’y avait pas au moins le « gazage de principe », on rentrait chez nous avec un goût d’inachevé.
***
Au fil des discussions, voici en vrac ce qui a pu être partagé parmi les personnes présentes (on n’est pas forcément d’accord avec tout) :
« Ce serait cool de lutter ensemble, mais faudrait déjà qu’on sache ce qui se passe en france. Des trucs simples et concrets à mettre en place :
Tout simplement, des traductions de textes. En allemagne le site de ‘référence’ linksunten.indymedia.org a fait des traductions de textes français sur le mouvement, ce qui a permis aux gens là-bas de savoir un peu ce qui se passait. Du coup, un bon début serait de traduire des textes dans plusieurs langues et de les diffuser sur les réseaux locaux et sites militants. On peut aussi juste y diffuser des vidéos qui sont un moyen de com efficace et facilement accessibles. Une idée peut être d’organiser des groupes de traduction, comme ça se fait en allemagne sur « A-Radio ». »
« Pour la traduction, il existe contrainfo.espiv.net qui est un site de traduction qui pourrait servir de base. »
« Est-ce que finalement y avait pas plusieurs mouvements ? Les jours de manifs, c’est un jour donné où tout le monde se rassemble, mais en fait y a différents cortèges avec différentes affinités, puis y des trucs un peu à part comme nuit debout … du coup est-ce que ça a pas donné à un moment l’impression que c’est un gros truc alors qu’en fait y a pas de ligne de pensée commune coordonnée… Peut-être bien qu’il faut cette pluralité pour faire un gros truc. Mais en même temps au bout d’un moment si y a pas de ligne commune ça s’affaiblit. »
« Pourquoi y a eu une mobilisation particulièrement sur cette loi, alors que d’autres trucs étaient passés crème juste avant ? Il y a sans doute une crispation particulière sur la question du travail en France. Déjà sur le plan culturel on voit que c’est une question importante y a plein de films qui traitent de la question (par exemple le film « Deux jours une nuit » des frères Dardenne [qui sont belges...]). Y a eu le film "Merci Patron" qui a quand même eu un impact. »
« Vous demandez comment on peut se coordonner au niveau européen. Mais c’est déjà pas facile de se coordonner entre les différentes villes en France. »
« Différentes stratégies de police dans les manifs en France et en Allemagne. Les stratégies des manifestant-es sont influencées par les différentes stratégies de la police. (+ défensives en France ; en Allemagne, peuvent t’arrêter parce que tu portes une cagoule). »
« Ça semble difficile de rejoindre le mouvement contre la loi travail en france depuis l’allemagne. On peut assez facilement rejoindre des luttes anti-globalisation, des luttes féministes, etc. Mais pour la loi travail, ça semble difficile, parce que les groupes qui luttent ne semblent pas pérennes (sustainable). »
« Ca peut marcher si les buts qu’on veut atteindre sont clairs. Il existe des réseaux transnationaux qui donnent des manifs locales à différents endroits, mais le but doit être clair. »
« Les réseaux sociaux sont un point de départ si on veut atteindre les gens. »
« La pérennité des groupes pose problème, parce que les groupes et les lieux changent tout le temps, pour ça la IFA (International Federation Anarchist) peut être une idée. »
« Les mouvements ne marchent pas en allemagne, donc on désespère. On doit mener des luttes plus locales.
Ca peut être important d’entendre parler d’autres mouvements, par exemple pour utiliser des techniques utilisées ailleurs. Le mouvement n’a pas pris en Allemagne parce qu’on avait beaucoup à faire (lutte contre pegida par exemple). Pas le temps pour participer au mouvement français. »
« Pour faire du lien et créer des solidarités, ce genre de présentations sont plus puissantes que les textes. Vous pourriez vous connecter avec d’autres groupes politiques pour diffuser le message. Par exemple, vous pouvez faire une fois votre présentation en allemagne et ensuite on prend le relais pour diffuser votre message en allemagne. »
Cette brochure est un récapitulatif de discussions publiques sur le mouvement dit de la « loi Travail » qui a secoué la France de mars à juillet 2016 (sans oublier les soubresauts de septembre et octobre).
Elles se sont tenues dans un premier temps en décembre 2016 dans 4 villes d’Allemagne : Magdeburg, Berlin, Dresde et Leipzig. Puis sous une forme différente en mars 2017 dans les villes de Buenos Aires, Valparaiso et Santiago du Chili. Elles ont été animées par des personnes ayant vécu le mouvement à Lyon, Marseille ou Rennes.
La volonté était de faire part de quelques expériences du mouvement, qui sont forcément subjectives. Aucune prétention d’atteindre une vérité absolue sur ce qu’à été ce mouvement, mais juste de donner un point de vue.
Voici le texte d’appel de ces discussions :
« Témoignage, analyse et perspective anti-autoritaire sur le mouvement social de la loi travail en france ».
En france, au printemps 2016, 4 mois de blocage de l’économie, d’émeutes, d’occupations de bâtiments, de début de pénurie d’essence, d’actions directes, de grèves, etc n’ont pas suffi à faire plier le gouvernement de gauche contre une loi libérale. Retour sur ce mouvement social qui a laissé des traces et permis à beaucoup de gens de se retrouver pour lutter. Il s’agira aussi de se demander comment lutter depuis l’allemagne où si les réalités politiques sont différentes, les conséquences du capitalisme sont finalement les mêmes. Quelles solidarités mettre en place ? Comment lutter des deux cotés de la frontière ? Comment faire en sorte qu’une lutte dépasse le cadre d’un pays ?
(En présence de personnes d’allemagne et de france ayant directement participé à cette lutte.)
nyoky.noblogs.org
nyoky@@@riseup.net
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