Q
La question féminine dans nos milieux
mis en ligne le 11 mai 2017 - Lucía Sánchez Saornil
I
Je remercie M. R. Vazquez [1] qui, avec son article publié dans ces colonnes, « La femme, facteur révolutionnaire » où le problème y est d’ailleurs très bien traité — me donne l’occasion de revenir sur le sujet.
A différentes reprises et dans d’autres journaux — « Le Libertaire », « C.N.T. » — j’ai écrit un peu sur tout ce qu’il y aurait à dire quant à l’importance qu’il y aurait pour notre mouvement à y attirer des femmes.
Mais à ce propos il faut parler clairement, très clairement ; entre nous les circonlocutions n’ont pas lieu d’être, nous devons être sincères, même si cette sincérité nous afflige ; donnons nous-mêmes les verges pour nous faire battre ; c’est seulement à ce prix que nous prendrons la voie de la vérité.
Vazquez se plaint, comme moi-même je me suis plainte maintes fois, que nous ne propagions pas suffisamment nos idées parmi les femmes ; et après avoir observé et analysé les faits j’en suis arrivé à la conclusion suivante : les camarades anarcho-syndicalistes — et non l’anarcho-syndicalisme, attention — ne sont que peu intéressés par la participation de la femme.
Il me semble entendre un chœur de voix irritées qui s’élève à mon encontre. Du calme mes amis ; je n’ai pas encore commencé. Quand j’affirme quelque chose je suis toujours prête à le démontrer, et j’y arrive.
Rien de plus facile que la propagande parmi les femmes — quel dommage que tous les objectifs n’aient pas la même simplicité —. De la propagande dans les syndicats ? De la propagande dans les athénées ? La propagande à la maison ! C’est la plus facile et la plus efficace. Dans quel foyer n’y a-t-il pas une femme, compagne, fille ou sœur ? C’est donc là qu’est le nœud du problème. Supposons que la Confédération Nationale du Travail ait un million d’affiliés. Ne devrait-elle pas avoir parmi les femmes au moins un autre million de sympathisantes ? Si cela était jugé nécessaire, qu’est-ce que cela coûterait alors de les organiser ? Comme nous le voyons ce n’est pas là que réside la difficulté, le problème est ailleurs ; il est chez les compagnons eux-mêmes, dans leur manque de volonté.
J’ai vu nombre de foyers, non seulement de simples confédérés mais bien anarchistes (!?) régis selon les plus pures normes féodales. A quoi servent donc les meetings, les conférences, les cours de formation, et tout le reste, si celles qui s’y rendent ne sont pas vos compagnes, les femmes de votre foyer. A quelles femmes vous référez vous donc ?
C’est pour cela qu’il ne suffit pas de dire : « Il faut faire de la propagande parmi les femmes, il faut les attirer à nos milieux » ; mais nous devons prendre le problème en partant de plus loin, bien plus loin. Les compagnons, exception faite d’une douzaine bien orientés, ont dans leur immense majorité une mentalité contaminée par les aberrations bourgeoises les plus caractéristiques. Tout en se récriant contre la propriété, ce sont les plus enragés des propriétaires. Tout en se dressant contre l’esclavage, ce sont les « maîtres » les plus cruels. Tout en vociférant contre les monopoles, ce sont les plus acharnés monopolistes. Et tout cela découle du plus faux des concepts qu’ait pu créer l’humanité : la supposée « infériorité féminine ». Erreur qui nous a peut-être fait prendre un retard de civilisation de plusieurs siècles.
Le dernier des esclaves se transforme, une fois franchi le seuil de sa demeure, en un souverain et maître. Un de ses désirs, à peine ébauché, est un ordre catégorique pour les femmes de sa maison. Lui, qui dix minutes avant avalait encore le fiel de l’humiliation bourgeoise, se dresse comme un tyran en faisant sentir à ces malheureuses toute l’affliction de leur prétendue infériorité.
Que l’on ne me dise pas que j’exagère. Je pourrais en offrir des exemples à pleines mains.
Le concours de la femme n’intéresse pas les camarades. Je cite des cas véridiques.
J’avais eu plusieurs fois l’occasion de dialoguer avec un compagnon qui me paraissait assez sensé et je l’avais toujours entendu mettre l’accent sur la nécessité qui se faisait sentir pour notre mouvement, de la participation de la femme. Un jour qu’il y avait une Conférence au Centro, je lui demandais :
— Et ta compagne, pourquoi n’est-elle pas venue écouter la conférence ?
La réponse me glaça.
— Ma compagne a bien assez à faire pour s’occuper de moi et de mes enfants.
Un autre jour, ce fut dans les couloirs du Palais de Justice. Je me trouvais en compagnie d’un camarade qui faisait étalage de fonctions représentatives. Une avocate, peut-être défenseur d’un prolétaire, sortait de l’une des salles. Mon accompagnateur la regarda à la dérobée et, tout en ébauchant un sourire plein de rancœur, murmura :
— Je les enverrai laver, moi, celles-là.
Ces deux épisodes, à première vue si banals, que de tristes choses ne disent-ils pas ? Ce qu’ils veulent dire avant tout c’est que nous avons oublié quelque chose de très important ; que pendant que nous concentrions toute notre énergie sur le travail d’agitation, nous avions oublié notre tâche éducative ; que nous ne devons pas faire la propagande pour attirer les femmes parmi les femmes, mais parmi les compagnons eux-mêmes ; nous devons commencer par extirper de leur cerveau l’idée de supériorité ; quand on leur dit que les humains nous sommes tous égaux, nous devons leur dire aussi que la femme, bien qu’elle végète — confondue avec les casseroles et les animaux domestiques — parmi les objets du foyer, appartient aussi à l’espèce humaine. Il faut leur dire que chez la femme existe une intelligence égale à la leur, qu’elle possède une sensibilité aiguë et un besoin de se dépasser ; il faut leur dire qu’avant de réformer la société il convient de réformer leur foyer ; il faut leur dire que ce dont ils rêvent pour le futur — l’égalité et la justice — ils doivent l’implanter à partir d’aujourd’hui même parmi les leurs ; il faut leur dire qu’il est absurde de demander à la femme de comprendre les problèmes de l’humanité si, avant, ils ne l’éclairent pas pour qu’elle voit clair en elle-même, s’ils n’essaient pas de réveiller chez les femmes qui partagent leur vie la conscience de leur personnalité et, enfin, si avant ils ne les élèvent pas à la catégorie d’individu.
C’est cette propagande, et non une autre, qui peut attirer les femmes vers nos milieux. Qui, parmi elles, n’embrassera pas la cause qui a produit le « miracle » de lui révéler son être ?
Alors, au travail camarades.
Et si nous considérons que ce problème est intéressant pour le mouvement révolutionnaire, ne le dissimulons pas comme une honte dans nos journaux, parmi les étroites colonnes des pages d’informations télégraphiques ; aérons-le, mettons-le à la vue de tout le monde. (Ceci est pour toi camarade directeur.)
Quant aux compagnons, ils me pardonneront ma dureté, mais elle est nécessaire si nous ne voulons pas nous duper nous-mêmes.
Et comme je n’ai pas terminé, je ne vous dis qu’au revoir.
II
Que personne ne pense, car il se tromperait formellement, que, en recommandant d’attirer la femme par une propagande individuelle, j’ai abandonné toute estime pour le travail accompli par d’autres moyens plus larges : la conférence, le meeting, et le journal. Mais il est nécessaire que chaque camarade qui se décide à les employer se rende compte qu’il faut, pour ne pas faire un travail négatif, beaucoup de tact et d’habilité. De tels moyens ne doivent être utilisés que par ceux qui, dans l’intimité de leur conscience, ont reconnu par avance la nécessité et la valeur de ce que nous nous proposons de faire.
J’aimerais que chacun, avec une sincérité absolue et disposé à rechercher la vérité par delà toutes les contraintes extérieures, médite profondément et, avant d’ouvrir la bouche, regarde en lui-même, au plus profond de son intimité, jusqu’à atteindre la limite de ses connaissances, et essaie de découvrir en lui-même et dans la société la légère marque qu’il lui a été permis de laisser chez la femme. Et seulement lorsqu’il aura découvert que, même du fond de sa relégation et au delà de la légende maladivo-sexuelle qui l’a entourée, la femme œuvra comme un élément vital qui impulsa tant l’épanouissement de l’individualité masculine que celui de l’humanité, c’est seulement à ce moment-là, une fois reconnus les bienfaits qu’apporterait à la société la prise en compte de cet élément vital, qu’il annoncera aux quatre vents la vérité récemment découverte. Mieux vaudrait que ceux qui ne seraient pas arrivés à cette conclusion se taisent et ne portent pas préjudice, par des agissements négatifs, aux résultats que promet cette campagne.
Il y a de nombreux compagnons qui souhaitent sincèrement le concours de la femme à la lutte. Mais cela ne correspond en rien à un changement du concept qu’ils ont d’elle. Ils souhaitent son concours comme un élément qui pourrait faciliter la victoire ; comme un apport stratégique, pourrait-on dire, sans pour autant penser un seul instant à l’autonomie féminine et cesser de se considérer comme le nombril du monde. Ce sont ceux-là qui, dans les périodes d’agitation disent : « Pourquoi n’organise-t-on pas de manifestations de femmes ? Une manifestation de femmes est parfois plus efficace et, face à elles, la force publique se retient un peu ». Ce sont eux aussi ceux qui pour les attirer écrivent des articles comme celui signé des initiales R. P. et fait à Vilasar de Mar que nous avons eu la douleur de lire dans le numéro 1053 de notre quotidien.
Cet article prétendait avoir été écrit par une femme, mais je me permets d’en douter. Le seul fait qu’une femme écrive un article dans notre presse démontre qu’elle a atteint un certain niveau d’émancipation morale ; et une femme moralement émancipée qui, pour atteindre ce but, a traversé toutes les peines, toutes les amertumes et qui a dû mener la plus acharnée des luttes contre ses proches et les autres : moquerie, ironie et ridicule — le ridicule étant le plus amer et le plus difficile à affronter —, une telle femme ne peut pas écrire ainsi. On ne peut pas, en prétendant prendre les effets pour les causes, rejeter sur les femmes les fautes de tous les systèmes sociaux qui ont existé jusqu’à aujourd’hui.
Il était dit dans un des paragraphes de l’article auquel nous faisons allusion : « Il n’y a pas que les hommes à avoir une piètre image de la femme, la société aussi. Savez-vous pourquoi ? Parce que beaucoup d’entre elles, à l’âge où se forment le cœur et le cerveau, ne font attention à rien. Au contraire, elles se fatiguent vite de tout ce qui est réflexion et préoccupation. Que veulent-elles ? Elles veulent tout ce qui flatte leur imagination et leur amour-propre. » Et, plus loin : « La femme, à force de regarder son corps dans un miroir, oublie de regarder son cœur dans le miroir de sa conscience. »
Quelle immense tristesse de lire cela ! Qui a dit que cela ait pu être écrit par une main féminine ?
Le cerveau de la femme doit forcément héberger un vaste potentiel d’intelligence pour qu’elle n’ait pas échoué définitivement dans les profondeurs de l’animalité la plus absolue. Pendant des milliers d’années elle s’est vue enfermée entre les quatre murs du gynécée. Le manque d’horizon créa-t-il par hasard chez elle un début de myopie spirituelle. Elle ne put même pas apprendre à regarder en elle-même parce qu’on lui assura qu’il n’y avait rien. Et maintenant que l’on vous montre qu’elle n’est pas ainsi, mais bien telle que vous l’avez créée, vous lui reprochez ce qui n’est simplement que le résultat de votre propre travail.
La femme, jusqu’à maintenant, a toujours été dans la société, objet de mépris, le plus humiliant des mépris. Au VIIème siècle, alors que l’idéal religieux était l’idéal de l’humanité, on discuta au cours d’un Concile tenu en Flandres, pour savoir si la femme avait une âme. Dans le premier tiers du XVIIIème siècle, alors que commençait à poindre l’idée des droits de l’homme, virent au jour toute une série de dissertations — de ton moqueur pour mieux outrager — posant le problème de savoir si la femme était un être humain. Et ainsi à travers les siècles, les sociétés fondées par les hommes et fondées d’hommes relèguent la femme aux derniers échelons de l’échelle zoologique. On l’a parfois appelée animal de plaisir, mais moi je vous assure qu’elle ne fut même pas cela, sinon le témoin à la fois tourmenté et passif du plaisir des autres.
R. P. sait-il dans quel but, pendant des milliers d’années, la femme a été élevée et éduquée ? Exclusivement pour exciter les sens du mâle. On lui a dit qu’elle était née pour cela et toute sa vie fut tracée dans ce but. Son unique horizon était et n’a cessé d’être la maison close ou le mariage, blanc bonnet, bonnet blanc. Ainsi Charles-Albert [2] a pu dire dans son livre « Amour Libre » : « Imaginez qu’une courtisane au lieu d’exercer son commerce dans la rue soit sûre de trouver tous les jours, à la même heure, le même client, et vous aurez là le portrait si courant de la femme obligée de se marier parce qu’elle à besoin de vivre du salaire d’un homme. » C’est autour de cette unique solution que se portèrent toutes ses activités. Quand est-ce que quelqu’un se préoccupa de réveiller en elle la conscience ? Quand est-ce que quelqu’un lui dit qu’en elle existait un individu avec des devoirs, mais aussi avec des droits ? Naître, souffrir, mourir, ce fut son seul destin et son seul droit. Non, une femme émancipée ne peut juger ainsi ses sœurs. En regardant en arrière, vers cette immense pléiade d’esclaves que sont en général les femmes du peuple, elle ne peut que ressentir angoisse, indignation et envie de pleurer, et ensuite, un violent désir d’unir son propre effort, sa propre individualité à ceux qui entrevirent sincèrement la possibilité d’un monde meilleur. Unir sa volonté au vaste mouvement d’émancipation intégrale qui bâtira sur la face de la Terre un système unique de vie en commun plus juste et plus humain, dans lequel la femme pourrait trouver sa libération définitive.
Mais que nos propagandistes n’oublient pas que seule la femme ayant atteint un certain degré d’émancipation morale arrive à ces conclusions. Donc leur faciliter cette émancipation doit être notre objectif le plus immédiat ; et n’oublions pas que, à moins d’être peu charitables, le meilleur moyen n’est pas de leur reprocher un crime dont elles ne sont que les victimes.
III
J’ai encore en mémoire une certaine manifestation de propagande à laquelle je pris part. C’était dans une petite ville de province. Avant que le meeting ne commence, un camarade membre du Comité Local le plus important, s’approcha de moi. « En annonçant ton intervention, me dit-il, nous avons réussi à faire venir un bon nombre de femmes. Il faut que tu les fustiges parce qu’elles ont ici une idée très erronée de ce que doit être leur mission ; depuis quelque temps elles ont commencé à envahir les usines et les ateliers, et aujourd’hui elles nous font concurrence, créant un vrai problème de chômage. D’autre part, très orgueilleuses de leur indépendance économique, elles se montrent réticentes au mariage. Tu dois leur dire que leur mission est ailleurs, que la femme est née pour de plus hauts destins, plus en harmonie avec sa nature ; qu’elle est la pierre angulaire de la famille ; qu’elle est avant tout et par dessus tout la mère, etc... » Et ainsi, le camarade me déversa un sermon de plus d’une demi-heure.
Moi, sans savoir que faire, si rire ou m’indigner, je le laissai parler et, le moment venu, je dis aux femmes ce que je croyais opportun de leur dire ; quelque chose qui, sans être opposé à ses opinions, était bien loin de correspondre à ce qu’il désirait.
Aujourd’hui, après longtemps, je me demande encore si ce camarade était absolument sincère, et s’il n’y avait pas au fond, dans ses arguments, une grande part d’égoïsme masculin.
Parce qu’il ne faut pas se leurrer. À travers son ardeur enflammée pour la mission sublime de la femme pointait claire et précise l’affirmation brutale de Oken [3] — que lui ne connaissait sûrement pas, mais auquel il était uni par l’invisible lignée de l’atavisme — : « La femme est seulement le moyen et non la fin de la nature. La nature n’a qu’un seul objet et une seule fin : l’homme ».
Les paroles de ce compagnon mettent en relief ce que je suis en train de dire depuis le début de cette campagne : à cause du manque de préparation des compagnons, le peu qui a été fait dans ce domaine a été négatif. On accuse avant tout le manque de cohérence, et, à partir de là, non peu nombreux ont été les maux qui ont suivi pour notre mouvement.
Lui se lamentait de ce qui pour moi était la principale cause de satisfaction : le fait que les femmes aient rompu avec la tradition qui les rendaient tributaires de l’homme et qu’elles soient entrées dans le marché du travail à la recherche d’une indépendance économique. Ce qui le peinait me réjouissait parce que je savais que le contact avec la rue, avec l’activité sociale serait un stimulant qui finirait par réveiller chez elles la conscience de l’individualité.
Quand, quelques années auparavant, les premières femmes abandonnèrent le foyer au profit de la fabrique ou de l’atelier, sa désolation avait été la désolation universelle. N’en déduisit-on pas que c’était un mal pour la cause prolétaire ? L’entrée de la femme dans le monde du travail coïncida avec l’introduction du machinisme dans l’industrie, rendant plus acharnée la concurrence de bras et provoquant comme conséquence une baisse sensible des salaires.
Ainsi, vu superficiellement, nous pourrions dire que le travailleurs avaient raison ; mais si, toujours prêts à chercher la vérité, nous approfondissons le problème, nous découvrirons que les résultats auraient été autres si les travailleurs ne s’étaient pas laissés entraîner par leur hostilité à l’égard de la femme ; hostilité basée sur le préjugé de la prétendue infériorité féminine.
Sous le prétexte de cette prétendue infériorité, on lui chercha querelle et on toléra qu’on lui donne des salaires inférieurs, et, sous le mot d’ordre que le travail social n’était pas la mission de la femme, on l’éloigna des organisations de classe ; et à partir de là s’installa une concurrence inter-sexuelle illicite. L’idée de la femme auxiliaire de la machine allait bien de pair avec celle, simpliste, de la conformation du cerveau féminin en vigueur à l’époque ; et, partant de là, on commença à employer des femmes qui, séculairement convaincues de leur infériorité, n’essayèrent pas d’imposer des conditions aux abus capitalistes. Les hommes furent relégués vers les travaux les plus durs et les plus spécialisés.
Les conséquences auraient été très différentes si, au lieu d’observer cette conduite vis-à-vis de la femme, les travailleurs l’avaient laissée libre, l’avaient stimulée et élevée à leur propre niveau, l’avaient attirée dès le départ vers les organisations de classe, imposant aux patrons l’égalité de conditions pour les deux sexes. Au début, face aux choix du patronat, vu que le fort allait coûter autant que le faible, ce serait eux qui, du fait de leur supériorité physique, auraient eu la suprématie. Et, pour ce qui est de la femme, un ardent désir de dépassement de soi se serait réveillé en elle, et unie aux hommes dans les organisations de classe, ils auraient avancé ensembles plus rapidement sur le chemin de la libération. [4]
J’entends déjà toute une série d’objections. On me dira qu’on ne pouvait pas demander cette perspicacité à l’ouvrier d’il y a 40 ou 50 ans, alors que lui-même venait à peine de sortir d’un état de semi conscience. Mais ayons toujours présent à l’esprit que, lorsque je parle des travailleurs, je ne me réfère pas tant à leur totalité qu’à ceux qui s’étaient chargés de la tâche de les orienter, et qu’il n’est pas dans mon propos de faire tant la critique de cette époque que de fustiger les compagnons qui, dédaignant les leçons de l’expérience, restent encore dans les mêmes erreurs.
On me dira peut-être aussi que la nature féminine impose en effet à la femme d’autres activités tout aussi importantes et de même valeur que le travail social. A ceux-là... je leur répondrai la prochaine fois.
IV
Actuellement la théorie de l’infériorité intellectuelle féminine est socialement battue en brèche ; nous pourrions dire qu’un nombre considérable de femmes de toutes les conditions sociales ont démontré pratiquement la fausseté du dogme en faisant la preuve de l’excellente qualité de leurs aptitudes dans toutes les branches de l’activité humaine. C’est seulement dans les couches sociales inférieures, où la culture pénètre plus lentement, que peut encore se maintenir une croyance aussi pernicieuse.
Mais lorsque le chemin paraissait dégagé, un nouveau dogme — celui-ci avec d’apparentes garanties scientifiques — fait obstacle au cheminement de la femme en dressant de nouvelles barrières sur son passage ; dogme d’une qualité telle qu’il dut un moment la laisser pensive.
Face au dogme de l’infériorité intellectuelle s’est dressé celui de la différenciation sexuelle. On ne discute plus comme au siècle passé pour savoir si la femme est supérieure ou inférieure : on affirme qu’elle est différente [5]. Il ne s’agit plus d’un cerveau d’un poids ou d’un volume plus ou moins grand, mais de quelques petits corps spongieux appelés glandes de sécrétion qui impriment un caractère particulier a l’être déterminant son sexe et, par là, ses activités dans le domaine social.
Si je n’ai rien à objecter sur cette théorie dans son aspect physiologique, j’ai par contre beaucoup à dire quant aux conclusions que l’on prétend tirer. La femme est différente ? D’accord. Bien que cette diversité ne soit peut-être pas due autant à la nature qu’au milieu ambiant dans lequel elle a évolué. Il est curieux de voir que l’on ait tiré tant d’enseignements de la théorie du milieu dans l’évolution des espèces, et que tout cela soit complètement oublié quand il s’agit de la femme. On considère la femme actuelle comme une espèce achevée sans tenir compte du fait qu’elle n’est que le produit d’un milieu perpétuellement coercitif, et qu’il est presque sûr qu’une fois rétablies, dans la mesure du possible, les conditions primaires, l’espèce se modifierait ostensiblement, ridiculisant peut-être les théories d’une science qui prétend la définir.
Pour la théorie de la différenciation, la femme n’est qu’une matrice tyrannique qui exerce ses influences obscures jusque dans les derniers recoins du cerveau : toute sa vie psychique soumise à un processus biologique, processus qui n’est autre que celui de la gestation. « Naître, souffrir, mourir » disions-nous dans un article antérieur ; la science est venue modifier les termes de cet axiome sans en altérer l’essence : « Naître, procréer, mourir », c’est là tout l’horizon féminin.
Bien sûr, on a essayé de donner à cette conclusion une apothéose dorée. « La mission de la femme est la plus précieuse et la plus sublime de la nature », dit-on. « C’est elle la mère, l’orientatrice, l’éducatrice de l’humanité future ». Et pendant ce temps on discute de diriger tous ses pas, toute sa vie, toute son éducation vers cette seule fin, unique semble-t-il, en parfaite harmonie avec sa nature.
Et voilà de nouveau opposés les concepts de femme et de mère. Car il s’avère que les savants n’ont fait qu’enfoncer des portes ouvertes. A travers les âges a toujours eu cours l’exaltation mystique de la maternité. Avant on exaltait la mère prolifique, donnant le jour à des héros, des saints, des rédempteurs ou des tyrans ; à partir de maintenant on exaltera la mère parfaite eugéniste, celle qui engendre, qui conçoit, qui donne la vie. Et avant comme maintenant, tous les efforts convergent pour maintenir en vigueur la brutale affirmation de Oken que je citais l’autre jour : « La femme est seulement le moyen et non la fin de la nature. La nature n’a qu’un seul objet et une seule fin : l’homme ».
J’ai dit que les concepts de femme et de mère se trouvaient à nouveau opposés, mais ce n’est pas cela. Nous avons pire : le concept de mère absorbant celui de femme, la fonction annulant l’individu.
On peut dire qu’au cours des siècles le monde masculin a toujours oscillé à propos de la femme entre les deux concepts extrêmes : la prostituée et la mère, l’abject et le sublime, sans s’arrêter sur ce qui est strictement humain : la femme. La femme comme individu ; individu rationnel, pensant et autonome.
Si vous cherchez la femme dans les sociétés primitives, vous ne trouverez que la mère du guerrier, exaltatrice du courage et de la force. Si vous la recherchez dans la société romaine vous ne trouverez que la matrone prolifique qui approvisionne la République en citoyens. Si vous la recherchez dans la société chrétienne, vous la trouverez cette fois convertie en mère de Dieu.
La mère est le produit de la réaction masculine face à la prostituée qu’est pour l’homme toute femme. C’est la déification de la matrice qui l’a porté.
Mais — que personne ne se scandalise car nous sommes entre anarchistes et notre souci principal est de redonner aux choses leur vrai sens et de détruire tous les faux concepts aussi prestigieux qu’on les ait rendus — la mère comme valeur sociale n’est apparue qu’à partir du moment où elle était la manifestation d’un instinct ; instinct d’autant plus aigu que toute vie de la femme ne s’est déroulée qu’en fonction de lui durant des années ; mais instinct quand même ; c’est à peine s’il a atteint la catégorie de sentiment chez quelques femmes supérieures.
La femme par contre est l’individu, l’être pensant, l’entité supérieure. Par la mère, vous voulez exclure la femme quand vous pourriez avoir femme et mère, car la femme n’exclut jamais la mère.
En lui donnant la qualité de valeur passive, vous dédaignez la femme comme valeur déterminante dans la société. Vous dédaignez l’apport direct d’une femme intelligente pour un fils peut-être inepte. Je répète qu’il faut rendre aux choses leur vrai sens. Que les femmes soient femmes avant tout ; c’est seulement si elles sont femmes que vous aurez les mères dont vous avez besoin.
Ce qui m’attriste véritablement c’est que les compagnons qui se disent anarchistes, peut-être hallucinés par le principe scientifique sur lequel prétend s’appuyer le nouveau dogme, soient capables de l’alimenter. Face à eux un doute me vient à l’esprit : s’ils sont anarchistes, ils ne sont pas sincères, s’ils sont sincères ils ne sont pas anarchistes.
Dans la théorie de la différenciation, la femme est l’équivalent du travailleur. Pour un anarchiste, avant le travailleur il y a l’homme ; avant la mère, il doit y avoir la femme. (Je parle en termes génériques). Car pour un anarchiste avant tout et par-dessus tout il y a l’individu.
V
Nous croyons, dans notre dernier article, avoir mené à bien le projet initial de ces travaux : montrer aux camarades l’angle nettement anarchiste sous lequel dorénavant devait être envisagée la propagande auprès de la femme.
Je ne suis pas sans ignorer les égratignures plus ou moins profondes — selon la psychologie et la culture de chacun — que mon travail peut avoir laissé sur l’épiderme des camarades de sexe contraire. Le compagnon M. R. Vazquez d’habitude si impartial, m’a donné le ton dans son article « Pour l’élévation de la femme » — article dont je parlerai la prochaine fois. Mais je le répète à nouveau, c’est seulement si nous sommes courageux que nous trouverons la vérité.
Bref, ce qui est intéressant c’est que nous ayons réussi, non seulement comme je te le disais plus haut, à placer le problème sur un terrain nettement anarchiste, mais aussi à l’actualiser ; ceci d’après ce que j’ai pu déduire des différents articles qui, dans ces mêmes colonnes ont fait allusion à mes travaux sur le sujet.
Puisque mon premier objectif est atteint, je pourrais considérer ma tâche comme terminée ; je n’en ferai rien : décidée comme je le suis — c’est une aspiration de longue date — à travailler sans répit pour obtenir l’incorporation définitive de la femme à notre mouvement. Je ne voudrais laisser passer aucune circonstance, aucun fait ou agissement, sans signaler dans quelle mesure cela peut être profitable ou dangereux pour la réalisation de nos buts en ce qui concerne la femme.
Deux manifestations — l’une discrète de M. R. Vazquez et l’autre très concrète de cette vaillante femme qu’est Maria Luisa Cobos [6] — m’incitent aujourd’hui à traiter d’un problème qui actuellement passionne le monde : le problème sexuel ; c’est un problème si étroitement lié à ce dont nous sommes en train de nous occuper que l’on dirait que l’un est le fondement de l’autre. Sans problème sexuel, il n’y aurait pas, dans les sociétés, de problème féminin. Moi, je ne vais pas traiter du problème en soi — d’autres sont tout désignés pour le faire, et avec plus de compétence — mais de la façon de l’envisager qu’ont les jeunes camarades et comment cela peut se répercuter en bien ou en mal sur le travail d’attraction de la femme.
Se référant à la conduite que les compagnons devaient avoir face à la femme, le camarade Vazquez écrivit un jour : « Soyons capables de dominer la bête et, quand nous parlons de salaire, regardons la sœur comme nous regardons le frère ». Et Maria Luisa Cobos a dit aussi, comme pour préciser : « Il n’y a pas longtemps l’ont voulut former ici un groupe mixte et, — bien qu’il soit douloureux de le reconnaître —, cela n’a pas pu se réaliser parce que, dès le début, au lieu de l’orientateur apparut et s’introduisit le « Don Juan », ce qui fit que tout se désagrégea. » Tous deux ont touché du doigt une plaie qui me faisait souffrir depuis longtemps.
C’est lamentable, mais les campagnes en faveur d’une plus grande liberté sexuelle n’ont pas toujours été bien comprises par nos jeunes compagnons et bien souvent elles ont attiré à nos milieux grand nombre de jouvenceaux des deux sexes qui se souciaient bien peu de la question sexuelle et qui ne recherchaient qu’un terrain propice à leurs expériences amoureuses. Il y en a qui ont interprété la revendication de liberté sexuelle comme une invitation à l’excès et qui ne voient, dans chaque femme qui passe à leur côté, qu’un objet destiné à satisfaire leurs appétits.
Il n’y a pas longtemps le docteur Martí Ibañez [7] a dit : « J’estime que chez la jeunesse virile, le problème est mal interprété et que la question n’apparaîtra plus comme si délicate une fois qu’aura disparu l’erreur, origine des conséquences si pénibles, et qui a été de confondre ce qui est sexuel et ce qui est génital. »
En effet, fondée généralement sur quelques brochures, pas toujours écrites par des personnes compétentes, toute la culture sexuelle de nos jeunes se réduit à quelques rudiments de physiologie et le fond moral reste inaltéré. De là, le fait que parmi eux, la potentialité génitale soit encore la plus authentique preuve de virilité et qu’ils ignorent en échange comment elle peut être canalisée vers les activités d’une plus haute éthique. Pour eux, la liberté est le contraire du contrôle. Et rien de plus. Là s’arrête le problème. Et, en définitive, face à la femme ils continuent a réagir, en général, comme leurs ancêtres.
J’ai observé que, dans nos centres assez timidement fréquentés par la jeunesse féminine, les conversations entre les deux sexes tournent rarement autour d’un problème professionnel. A peine un jeune s’oppose-t-il à un individu du sexe opposé qu’apparaît comme par enchantement la question sexuelle et que la liberté d’aimer semble être le seul sujet de conversation. Et, face à cette attitude, J’ai vu deux types de réactions féminines. L’une est de se soumettre immédiatement à la suggestion ; chemin par lequel la femme ne tarde pas beaucoup à se réduire à l’état de jouet des caprices masculins et à s’éloigner complètement de toute inquiétude sociale. L’autre est celle de la déception ; celle par laquelle la femme qui apportait des inquiétudes supérieures et des aspirations plus hautes, s’en détourne, déçue, et finit par quitter nos milieux. Il n’y en a que quelques unes qui arrivent à se sauver : celles qui ont une personnalité marquée et qui ont appris à mesurer par elles-mêmes la valeur des choses.
En ce qui concerne la réaction des hommes, malgré leur pompeuse culture sexuelle, elle continue à être la même que jadis. Cela est mis en évidence lorsque, après plusieurs aventures amoureuses, ayant trouvé la femme qu’ils estiment pouvoir être leur compagne, les « Don Juan » se changent en « Othello » et la femme est enlevée au mouvement, quand ils ne disparaissent pas tous les deux.
Nous devons toujours avoir à l’esprit le cas que dénonçait Maria Luisa Cobos, et que j’ai retranscrit plus haut, quand nous essayons de former des groupes, des syndicats, etc...
Prétendre, sans aucune autre préparation culturelle et éthique, introduire sans crier gare nos jeunes filles dans le monde de la liberté amoureuse, c’est tout simplement un non sens. Alors que persistent encore dans leur esprit et dans leur psychologie les restes des préjugés que la société a accumulés en elle, les initier ainsi à la liberté sexuelle revient à briser maladroitement l’équilibre, faux ou véritable, de leur vie.
Cela vaudrait la peine de confier l’éducation sexuelle de nos jeunes à des conférenciers qualifiés en la matière qui leur signaleraient au passage les lectures efficientes ; étant donné qu’en ce domaine, on donne, à côté de livres et de brochures d’une grande utilité, une énorme quantité de littérature qui, plus que de solutionner le problème, ne fait que l’embrouiller.
En définitive, je considère que la solution au problème sexuel de la femme ne se trouve que dans la solution du problème économique. Dans la Révolution. Rien de plus. Le reste revient à changer de nom pour un même esclavage. [8]
Lucia Sanchez Saornil
Articles publiés dans « Solidaridad Obrera » les 26-9. 2-10. 9-10. 15-10. et 30-10 1935.
[1] Mariano Rodríguez Vázquez (1909-1939) dit "Marianet" était un militant anarchosyndicaliste d’origine gitane qui fut entre novembre 1936 et juin 1939 secrétaire régional de la CNT en Catalogne. Orphelin très jeune et délinquant, il rencontra les idées libertaire lors d’un séjour en prison et décide dès lors de s’investir dans le syndicalisme et rejoint la CNT en 1931 en tant que maçon. Comme de nombreux militants de l’époque il est arrêté et emprisonné à plusieurs reprises pour ses activités militantes et sa participation à des tentatives insurrectionnelles. Entre 1934 et 1936 il est président du syndicat de la construction, secrétaire de la Fédération locale de la CNT à Barcelone et secrétaire de la Confédération Régionale du Travail de Catalogne en parallèle avec ses activités de terrain. Lors du débat par écrits interposés avec Lucía Sánchez Saornil sur la place des femmes dans le mouvement libertaire il occupe également le poste de rédacteur de la page syndicale du journal Solidaridad Obrera.
Durant la guerre civile il défendra une position de soutien total au gouvernement républicain, en particulier lors de l’insurrection de Barcelone en mai 1937 contre la liquidation de la révolution par les staliniens et la république, ce qui lui vaudra de vives critiques de la part des militant·e·s anarchistes.
Après la défaite de la république face à Franco, il part en exil pour la France où il dirige le Conseil Général du Mouvement Libertaire Espagnol. Il mourut de noyade peu de temps après dans des circonstances inconnues alors qu’il nageait dans la Marne.
Source (en espagnol) :
https://lacntenelexilio.blogspot.fr/2013/01/mariano-rodriguez-vazquez-marianet.html
[2] Charles-Albert (1869-1957) de son vrai nom Charles Daudet était un correcteur d’imprimerie ayant fondé l’hebdomadaire communiste-anarchiste L’Insurgé en 1893 à Lyon et écrivant dans de nombreux journaux anarchistes. En 1895 il publia L’Amour Libre, cité ici par Lucía Sánchez Saornil, qui connu une large diffusion en France et à l’étranger. Ami du pédagogue libertaire espagnol Francisco Ferrer il devient, en 1908, secrétaire général de la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance. Il se raillera à « l’union sacrée » en 1914, rompant ainsi avec son antimilitarisme et quittera le mouvement anarchiste pour adhérer au parti socialiste en 1918. à partir de 1920 il promouvra un État autoritaire et durant l’Occupation, il collaborera au sein du journal pro-allemand La Gerbe. Ce revirement total fut hélas celui de nombreux révolutionnaires s’étant laissé séduire par les sirènes du patriotisme en 1914. Arrêté à la Libération, il fut peu après remis en liberté.
[3] Lorenz Oken (1779-1851) était un naturaliste allemand et l’un des théoriciens de la Naturphilosophie.
[4] Les réflexions de Lucía Sánchez Saornil restent hélas d’une grande actualité. Au-delà des inégalités salariales entre les hommes et les femmes toujours existantes, son raisonnement pourrait fort bien s’appliquer à la mise en concurrence par les capitalistes des prolétaires "nationaux" et immigré·e·s ou d’autres pays.
[5] La critique du différencialisme que fait Lucía Sánchez Saornil dans ce passage préfigure celle qui sera faite des décennies plus tard par le féminisme matérialiste contre les tendances essentialistes du mouvement. Par exemple, voici ce qu’en dit Christine Delphy dans son texte Critique de la raison naturelle : « La différence est la façon dont, depuis plus d’un siècle, on justifie l’inégalité entre les groupes, et pas seulement les groupes dits de "sexe". » (L’ennemi principal 2 — penser le genre)
[6] Maria Luisa Cobos Peña (1909-1973), était une militante anarchiste de Jerez de la Frontera en Andalousie et adhérente de la CNT à partir de 1931 où elle contribua au développement du syndicat. En 1933, après un premier séjour en prison suite à la grève générale de janvier de la même année elle créera un groupe mixte constitué d’hommes et de femmes qui fut actif jusqu’en septembre 1934 où, suite à une nouvelle grève générale, elle fut encore une fois emprisonnée. C’est dans le cadre de ce groupe qu’elle fera le constat rapporté par Lucía Sánchez Saornil sur le "donjuanisme" des militants hommes et sera convaincu de la nécessité d’une activité strictement féminine. À son retour à Jerez en 1936, elle fonda donc avec d’autres femmes le syndicat Emancipacion Femenina qui en quelques semaines regroupa plus de 200 adhérentes. Elle devint également la correspondante locale de la revue Mujeres Libres nouvellement crée et entretiendra des échanges épistolaires régulier avec Lucía Sánchez Saornil.
Lors du coup d’état en juillet 1936, Jerez tomba sous le contrôle des franquistes qui assassinèrent nombre d’homosexuels, de socialistes et d’anarchistes, dont son frère cadet. Maria Luisa parvint à fuir et s’installa à Ronda où elle organisa une section de Mujeres Libres et un syndicat de couturières — également appelé Emancipacion Femenina — qui commença à fabriquer des vêtements pour les milices révolutionnaires. Après que Ronda fût occupée par les franquistes en septembre 1936, elle gagna Madrid où elle participa aux activités de Mujeres Libres et notamment à la formation d’une section à Tarancón.
Après la victoire des franquistes en 1939, elle passa en France où elle connu l’internement dans le camps d’Argelès-sur-Mer. Elle retourna en Espagne en 1941 malgré la féroce répression qui y régnait et fut arrêtée et emprisonnée à plusieurs reprises pour de courtes périodes. En juin 1944 elle est arrêtée à Madrid et interrogée par la Brigada Político-Social devant laquelle elle ne nia pas son militantisme anarchiste. Traduite devant un Conseil de guerre tenu en janvier 1945 à Jerez, Maria Luisa Cobos, accusée de "vol d’argent", de "rébellion militaire", d’être "communiste membre du PCE" — ce qu’elle nia farouchement en déclarant que « tant qu’anarchiste, elle était rebelle à toute autorité » — et d’avoir participé aux violences commises à Ronda, fut condamnée à 6 ans de détention. Après sa libération en 1949 elle gagna sa vie en vendant des churros et des journaux et comme repriseuse. Elle mourut en 1973 dans sa ville natale.
Sources :
http://losdelasierra.info/spip.php?article1736 (en français)
https://libcom.org/history/cobos-pe%C3%B1a-maria-luisa-1909-1973 (en anglais)
[7] Docteur Felix Martí Ibañez (1911-1972), était un militant anarchiste et un médecin qui collabora dans des revues littéraires et scientifiques (Estudios, Tiempos Nuevos, Ruta — organe des jeunesses libertaires) et beaucoup d’autres liées ou non au mouvement libertaire. En 1929, il participa à une Clinique Populaire de Barcelone appelée Asociación Social Obrera.
Au moment du soulèvement du 18 juillet 36 il participa à la lutte comme médecin sur les barricades. Malgré son jeune âge, il fut désigné, sur une proposition de la C.N.T., pour occuper les postes de sous-secrétaire à la Santé dans le gouvernement de la République, et de Directeur Général de la Santé et de l’Assistance Sociale dans le gouvernement de la Généralité en Catalogne. Il y développa la lutte anti-lépreuse, anti-variqueuse et anti-vénérienne. Il restructura le corps des infirmiers psychiatriques et créa une nouvelle conception de l’assistance sociale et jeta les bases d’une socialisation de la médecine. Il sera également le rédacteur de la première loi légalisant l’avortement en Espagne qui sera adoptée en Catalogne le 25 décembre 1936.
Exilé au États-Unis en 1939, il y poursuivra sa carrière de médecin et y fondra le journal MD. Il mourut en 1972 à New-York.
[8] Malgré cette conclusion somme toute assez classique pour l’époque, Lucía Sánchez Saornil aura en fait démontré dans son texte la nécessité de mener une lutte spécifique pour l’émancipation des femmes parallèlement à la lutte contre l’exploitation capitaliste, toutes deux contribuant à la révolution libertaire à laquelle elle aspire. La création de la revue puis de l’organisation Mujeres Libres quelques mois plus tard en sera la conséquence pratique.
ce texte est aussi consultable en :
- PDF par téléchargement, en cliquant ici (623.9 kio)
- PDF par téléchargement, en cliquant ici (626.7 kio)