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Squatter... c’est lutter

mis en ligne le 12 août 2015 - Molotov & Confetti

Squatter... c’est lutter

La galère. Être jeune et coincé chez ses parents faute de fric pour se louer une chambre. Être chômeur et dormir à la rue parce que les loyers sont trop chers. Bosser au noir ou en intérim et s’incruster chez les copains parce que les propriétaires exigent des feuilles de paye. Être immigré et devoir dégager en lointaine banlieue – quand ce n’est pas sous d’autres cieux – parce que dans le quartier, on restructure. La galère.

La galère pour 50 000 Parisiens sans maison. La galère pour 15 000 d’entre eux à qui il ne reste que les squares et les quais du métro. La galère pour 300 000 autres qui attendent depuis des mois d’improbables « logements sociaux ». Sans compter les millions qui crèvent la dalle pour se payer une piaule ou qui, faute de mieux, pourrissent dans des taudis.

La galère, et 300 000 logements vides rien qu’à Paris. Des vieux, des neufs, des grands, des petits, des propres et des crades. Tout ce dont ou pourrait rêver. Sauf que…

Sauf que la ville de demain, Ils la veulent propre, ordonnée, disciplinée et rentable. Tu passes là où on te dit de passer. Tu pointes là où on te dit de pointer. Tu payes là où on te dit de payer. Tu crèches là où on te dit d’habiter. Chacun dans son coin. Tous bien dispersés, bien isolés, bien surveillés, bien contrôlés. Inoffensifs.

Des ghettos immigrés où l’on se fout de la loi et de la « culture française », où on se serre les coudes pour survivre et lutter, où pas un flic ne peut entrer sans risquer sa santé, Ils n’en veulent plus.

Des tribus de jeunes qui dérivent dans la ville, sans soucis des règles et du bon ordre, fauche, truande, rodéos, fêtes, glandes, musiques sauvages et looks d’enfer, Ils n’en veulent plus. Des bataillons de chômeurs un peu desperados, sans rien à perdre et prêts à tout, Ils n’en veulent plus !

Tu te plies à leurs quatre volontés, tu vis comme Ils veulent que tu vives, tu joues le jeu de leur société… ou tu vas mourir. Et pourtant, 300 000 logements sont vides aujourd’hui à Paris.

300 000 logements vides, 300 000 logements à prendre, à occuper collectivement, à squatter, comme des milliers l’ont déjà fait, de « Nationale » aux « Vilins », de « Cascades » à la rue de Flandres, de « Crimée » aux Champs-Élysées.

Sauf que ça ne marche pas toujours. Ça marche même de moins en moins. Squats sauvages du 20ème, squats plus sages du 19ème, squats rebelles du CAO [Centre Autonome Occupé], squats collabos ou squats clandos, tous ont été expulsés.

Mais quoi d’étonnant ? Si c’est de nous qu’Ils veulent se débarrasser, si c’est nos regroupements qu’Ils veulent interdire, on se demande bien pourquoi Ils toléreraient nos squats !

Tant que ce n’était qu’une question de fric, tant qu’Ils ne cherchaient qu’à protéger et à rentabiliser leurs immeubles, on pouvait toujours brandir la loi et prendre l’État et ses propriétaires à leurs propres pièges. Faire durer les choses un an, deux ans ou plus.

Mais maintenant, c’est une autre affaire. Quand à longueurs de journaux, on nous traite de dealers ou de tueurs, c’est moins le squatteur qui est attaqué en nous que le jeune, le chômeur, l’immigré ou le prolo.

Quand Ils se permettent de descendre chaque semaine pour fouiller, pour rafler, c’est pas le squatteur qu’Ils visent, c’est le « délinquant », le mec en cavale ou l’immigré clandestin.

Quand Ils ne te laissent plus aucun répit, quand Ils te chassent chaque semaine de la maison que tu occupes, c’est pas seulement le squat qu’Ils veulent détruire : à quelle ANPE tu vas t’inscrire ? quelle adresse légale sur ta carte de séjour, sur ton contrat d’embauche ou pour recevoir la Sécu.

Aujourd’hui, on ne peut plus occuper un immeuble en oubliant tout le reste. On ne peut plus prétendre résoudre tranquillement son problème de logement et s’arrêter là. Parce que l’État, lui, n’oublie rien de ce que nous sommes. Parce que son oppression ne s’arrête pas à la maison.

Un squat, aujourd’hui, ça ne peut pas vivre seul. Ça ne peut pas tenir seul. Parce que loin d’être une simple question de logement, c’est aussi, nécessairement, une histoire de boulot, de chômage, de carte de séjour, de vie de quartier, de bouffe, de fête.

Un squat, aujourd’hui, ça ne peut survivre que si ça s’affronte aussi aux problèmes de taf, de fric, de contrôle, de vie collective. Ça ne peut survivre que si d’autres s’y reconnaissent, chômeurs, prolos, immigrés, squatteurs ou pas, s’ils sont là pour l’appuyer, pour le défendre.

Un squat aujourd’hui, si c’est un ghetto parmi les ghettos, ça crève. Pour que ça marche, une seule condition : que ça lutte.


Molotov

Plusieurs dizaines de « squatteurs en colère » ont attaqué le 15 mai [1984] à Ménilmontant [Paris XXe] une patrouille de flics à coups de barres et de cocktails Molotov (et confetti !). Dans la foulée, une antenne des HLM de la Ville de Paris a été prise d’assaut après évacuation des gens qui s’y trouvaient. Revendication : contre les expulsions de squats et le flicage du quartier. Tiens ? La presse n’en a pas parlé.


[4e de couv’]

- Parce que mieux vaut l’écrire que se casser une jambe de bois
- Parce que rien à perdre et tout à gagner
- Parce que Boum Boum Racatacatac
- Parce que sans contrôle
- Parce que Travail Ciao
- Parce que le chat est enfin guéri
- Parce qu’on en a ras le bol de tout payer
- Parce que nous raserons les prisons
- Parce qu’androgynie sociale et aventure combattante
- Parce que vivre libre ou mourir
- Parce que Rock de la subversion contre valse des étiquettes
- Parce que la vie est à prendre
- Parce que nous sommes de toutes les bagarres
- Parce que s’il fallait compter sur les autres...

Les fourmis rouges

Tous les numéros de Molotov & Confetti sont archivés sur Internet par Archives Autonomies.

Selon le site Archives Autonomies, les trois numéros de Molotov & Confetti ont été publiés en 1984 et 1985 dans le sillage de plusieurs tentatives visant à ouvrir un « Centre autonome occupé » à Paris. L’équipe de Molotov & Confetti était aussi liée à Radio Mouvance, une radio libre, fondée en 1983, qui se voulait « antiraciste, antifasciste, anti-impérialiste, anticolonialiste et antisioniste ». Squattant littéralement la fréquence 106 MHz réservée en principe à l’armée, et refusant obstinément de demander une autorisation d’émettre à la Haute Autorité, la radio a subi les foudres de l’état. Pas moins de six saisies entre 1983 et 1986 (cinq sous des gouvernements de gauche et la sixième et dernière sous un gouvernement de droite, le 24 avril 1986).



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