T


« Toutes les valeurs de cette société sont des prisons de haute sécurité » Recueil sur la lutte contre les prisons de type C en Grèce

mis en ligne le 21 avril 2015 - Collectif


Quelques chiffres sur les prisons grecques :

Au 1er juillet 2014 : Il y a un total de 9886 places en prison pour 12 638 prisonniers, dont environ 1/3 est tombé pour des affaires de stup’, et 1014 prisonniers condamnés à perpétuité. Il y a dix millions d’habitants en Grèce.

À Koridallos, plus grand complexe carcéral du pays, il y a un maton pour 400 prisonniers, et 2055 prisonniers pour 800 places. A l’hôpital de la même prison, il n’y a que 60 lits pour 200 patients.

Forcément, la Grèce a été plusieurs fois épinglée par les organismes internationaux sur les conditions de détention misérables dans les taules qui se sont encore aggravées avec les coupes budgétaires enregistrées depuis le début de la crise. Comme si cela allait changer quelque chose. Pour environ 13 000 personnes détenues dans 34 prisons du pays, il n’y a que 1 800 employés, a avoué récemment le ministre de la Justice.


Quelques slogans entendus dans les rues de Grèce :

 "Ni droits communs ni politiques, poudre noire et feu à toutes les
prisons"
 "La passion pour la liberté est plus forte que toutes les cellules"
 "Liberté pour tous ceux en cellule"
 "Malandrino était un bon début, que soit coupé le larynx de chaque
maton" (pour Ilia Kareli)
 "Toutes les valeurs de cette société sont des prisons de haute sécurité"


« Toutes les valeurs de cette société sont des prisons de haute sécurité »

En 2013, l’évasion massive de onze détenus de la prison de Trikala [1], vantée pour ses qualités sécuritaires, lance le débat sur la sécurité en prison chez les politiciens grecs et leurs médias. C’est la première fois que vient sur le tapis la question des prisons de type C, nouveau régime sur le modèle de la Haute Sécurité et des modules d’isolement disciplinaires, sorte de QHS ou FIES à la mode grecque. Trikala étant déjà considérée comme une prison de Haute Sécurité, il fallait pour l’État grec, monter encore les enchères de la surenchère carcérale. Depuis l’évasion de Trikala, le sujet revenait sans cesse sur la table, par exemple, à chaque fois qu’il était question de nouvelles affaires d’évasions ou d’armes lourdes en taule.

C’est en janvier 2014 que la proposition est relancée, avec l’évasion de Christodoulos Xiros, ex-membre de l’organisation du 17 novembre [2] qui avait dénoncé ses camarades lors de son arrestation en 2002. Puis en mars 2014, lorsque le prisonnier longue peine Ilias Karelli fut retrouvé mort au mitard de la prison de Nigrita après avoir été tabassé au cours de son transfert, quelques jours après avoir tué un maton tortionnaire à la prison de Malandrino. Sa mort provoquera un des plus grand mouvement de prisonniers depuis ceux de 2008, pile au moment où l’État recommençait à parler des prisons de type C. En réponse à ce meurtre d’Etat, les prisonniers des ailes B et C de la prison de Larissa et ceux des ailes A, B et C de la prison de Patras ont fait la grève des plateaux et ont refusé de rentrer dans leurs cellules à de nombreuses reprises. Il y eut également des épisodes similaires dans les prisons de Malandrino, Chania, Korydallos ou Kerkyras, mais aussi à la prison de Domokos où seront construits un peu plus tard les premiers modules de type C.

À l’extérieur aussi, la lutte s’étendra par divers moyens : de grandes manifestations devant les prisons et les tribunaux (avec l’apparition du nouveau slogan : « Malandrino était un bon début, que soit coupé le larynx de chaque maton »), mais aussi dans les quartiers, de nombreuses attaques d’intensités diverses (par exemple, l’explosion d’une grenade contre la voiture de la directrice de la taule sur le parking de Korydallos), banderoles, distribution de tracts avec des sound-system dans toute la Grèce. Afin de ramener la paix sociale, l’État arrêtera temporairement de parler des prisons de type C le temps de calmer un peu les esprits, et il mettra en examen 13 matons ou flics, en placera certains en détention avant de les relâcher. Il ne s’agissait bien sûr que de mettre un peu d’eau sur le feu, au lieu de continuer à souffler sur les braises brûlantes de cette lutte diffuse et bien déterminée.

Mais, en juillet 2014, le ministre de la justice Athanassios pond enfin sa nouvelle loi qui réforme le code pénitentiaire, et qui crée trois catégories différentes de prisons et de prisonniers :
 Type A : Prisonniers pour dettes, balances, prisonniers qui collaborent ou qui font preuve de « bonne conduite », petites peines (moins de cinq ans). Ils ont toutes les « faveurs » de la pénitentiaire, comme les permissions, plus de promenades et de parloirs et moins de mesures disciplinaires.
 Type B : Les prisonniers de droits communs. Rien ne va changer pour eux, le régime de détention reste à peu près le même (prétendument).
Type C : Les condamnés sous l’article 187 et 187a [3]. Ce sont les prisonniers considérés comme dangereux.

Un prisonnier classé C sera soumis à ce régime pendant une durée minimum de quatre ans, après quoi il est possible d’être reclassé sur avis des procureurs de la pénitentiaire. En Grèce, chaque prison a son procureur attitré, qui répond de ses décisions à l’administration pénitentiaire et au ministère de la justice. Poste sans réel équivalent en France. Ce sont les procureurs des prisons qui décident du placement en catégorie C d’un détenu.

Les prisons prévues pour accueillir les détenus de type C sont logiquement beaucoup plus strictes que les autres. elles sont dotées d’un système de surveillance panoptique, les permissions y sont interdites, le courrier et les livres sont légalement censurés, il y a moins de parloirs, et ils ne sont permis qu’avec la famille proche ou l’avocat. Les contacts téléphoniques sont également restreints. Avec cette nouvelle loi, ils ont aussi prévu des parloirs conjugaux, mais ils n’ont pas été mis en place.

Les cellules sont individuelles, et, chose importante, le travail y est interdit. En Grèce, la législation pénitentiaire prévoit que la peine doit être effectué aux 3/5 pour pouvoir demander une remise en liberté sous conditions. Par ailleurs, ce pourcentage prend en compte le fait qu’un jour de travail en prison est compté comme 2 ou 2,5 journées d’emprisonnement (selon le travail effectué). Néanmoins, la durée incompressible de la peine est de 1/3, temps qui doit être fait quoi qu’il arrive et même si l’on travaille. De plus, chaque prisonnier peut demander des permissions après avoir effectué ce premier tiers de sa peine. Par exemple, un détenu condamné à 9 ans doit obligatoirement faire 3 ans. S’il travaille les deux premières années, qui comptent donc comme quatre, il ne peut être libéré puisque qu’il n’a pas encore effectué un tiers de sa peine.

On peut donc noter que les conditions de libération conditionnelles en Grèce sont plus souples que dans la plupart des autres pays européens, ce qui a provoqué de nombreux débats nationaux. En témoigne également les fiascos de la cavale de l’anarchiste Kostas Sakkas et des révolutionnaires Nikos Maziotis et Panagiota Roupa après leur libération à l’expiration de la durée maximum de détention provisoire en Grèce (18 mois) alors que ceux-ci allaient être condamnés peu après à 50 années de prison ferme. La cavale de Christodoulos Xiros, profitant d’une permission, a également remis sur le tapis le dit "laxisme" de la justice, selon les partisans de la nouvelle loi qui comptent bien, en resserrant la vis, mettre un terme à tout cela.

Pour départager comme toujours le bon grain de l’ivraie, la nouvelle loi prévoit par contre une facilitation des remises de peine pour les balances et les collaborateurs de justice, et une nouvelle base de données ADN par dessus le marché.

Il s’agit clairement, avec cette nouvelle loi, d’enterrer vivant les prisonniers non repentants de l’action armée et du crime organisé.
L’annonce de la loi Athanassios avait, par conséquent, provoqué un nouveau mouvement en juin 2014. Près de 4500 prisonniers ont prit part à une grève de la faim massive, et de nombreuses familles se sont bougées à l’extérieur. Malgré tout, cette loi sera votée en catimini pendant les vacances d’été, en juillet 2014, malgré toutes les protestations et les mouvements. Une nouvelle unité de police carcérale a également été crée dans la foulée, qui rend des comptes à la fois à la justice et au ministère de l’intérieur. Ils ne font pas le boulot des matons mais s’occupent de la dite « sécurité extérieure » sur un périmètre specifique à chaque prison, décidé par les autorités, et au-delà en cas de transferts dits « sensibles ».

La première aile de haute sécurité prévue pour accueillir les classés C à été construite rapidement [4], elle se situe dans la prison de Domokos. Aujourd’hui il y a deux ailes de haute sécurité dans cette taule. Mais cette prison n’est pas encore complètement prête pour l’enfermement de type C, il manque une infrastructure adéquate. Elles ont été construites dans la hâte en pleine période électorale pour satisfaire un électorat avide de répression. Les premiers transferts de type C à Domokos ont été réalisés à Noël, dans la précipitation des élections : le 30 décembre 2014 [5], Nikos Maziotis, membre de Lutte Révolutionnaire, a été transféré depuis la prison de Diavata. Le 2 janvier 2015, Dimitris Koufontinas (membre de l’organisation 17 Novembre) et Kostas Gournas (Lutte Révolutionnaire), tous deux condamnés pour participation à une organisation armée, ont été transférés depuis la section spéciale de la prison pour femmes de Koridallos. La même matinée ont également été transférés depuis les prisons de Koridallos les anarchistes Giannis Naxakis et Grigoris Sarafoudis, condamnés pour braquage dans la commune de Pyrgetos (près de Larissa), ainsi que pour leur supposée participation à une organisation de lutte armée (Conspiration des Cellules de Feu). Depuis ces premiers transferts, d’autres ont eu lieu. Ils ne concernent que des prisonniers déjà condamnés.

Début février 2015, un mois seulement après les premiers transferts de type C, un mouvement éclate déjà, avec 100% de participation parmi les onze détenus de type C de l’aile E1 de la prison de Domokos, réclamant un médecin suite à la mort d’un prisonnier de Domokos (Meksas Alkibiadis, type B) : « Ainsi, il n’y a pas de médecin dans la prison de Domokos, il n’y a pas d’infirmiers, il n’y a pas d’assistante sociale. Il peut donc ne pas y avoir de peine de mort dans la loi grecque, mais dans les prisons grecques cette sentence est infligée dans la pratique. Aujourd’hui à l’aube, à 4h, nous avons perdu un codétenu de plus, Meksas Alkibiadis, 52 ans, dans l’aile D2. Il demandait depuis 12h un médecin, ce médecin que nous n’avons jamais eu dans cette prison » [6]. Tous refusent de rentrer en cellule et de prendre le plateau de la prison jusqu’à satisfaction de leur revendication quelques jours plus tard. Les détenus des Ailes A, B, C, D, E et ST de la prison de Korydallos refusent également de rentrer en cellule après le bouclage de midi en signe de solidarité avec les type C de Domokos. Il ne s’agit là que du premier sursaut à l’intérieur des prisons de type C, certainement le premier d’une longue liste.

Avec cette loi, le gouvernement veut réduire les contacts entre les prisonniers de droit commun et ceux, environ une cinquantaine à l’heure actuelle dans toute la Grèce, issus des mouvements anarchistes et révolutionnaires. Depuis plusieurs années, les politiciens grecs dénoncent une « collaboration » accrue entre les anarchistes et les criminels, initialement non politisés, une situation qui rend de plus en plus difficile la gestion des prisons selon les autorités, augmentant les risques de contagion de la subversion. Il s’agit de séparer un peu plus encore les prisonniers dits « politiques », des droits communs. Mais cette catégorie des « prisonniers politiques » n’est-elle pas déjà, en elle-même, une séparation ? [7] En 2013, de nombreux prisonniers anarchistes vont aller dans le sens du refus de ces séparations du pouvoir, avec la création du Réseau de Prisonniers en Lutte, dans une tentative de mettre en commun leurs forces et de s’organiser collectivement sur des perspectives anti-autoritaires et anti-carcérales. Il n’y a pas que des anarchistes qui y participent, et ce n’est pas une organisation, mais bien un réseau qui cherche à se développer dans toutes les prisons grecques, dans la seule perspective de les détruire et d’étendre les liens de solidarité entre prisonniers, et avec l’extérieur.

Si la nouvelle loi sur les prisons de type C est une nouvelle offensive dégueulasse de ce monde carcéral contre l’irréductible esprit de révolte qu’aucune loi ni répression ne pourra jamais étouffer, elle n’est pas plus que cela. Sur le modèle des Quartiers de Haute Sécurité en France ou du régime FIES en Espagne, elle n’est qu’une pierre ajoutée à l’édifice de la lutte des autorités contre les prisonniers de la guerre sociale. Tout particulièrement dans un contexte comme celui de la Grèce, où la lutte armée et la proposition de l’attaque diffuse, permanente et décentralisée, obtiennent l’appui d’un mouvement large et l’approbation tacite de plusieurs parties de la population. Il s’agit aussi pour l’État grec d’une partie de son offensive contre le mouvement révolutionnaire et la révolte diffuse qui l’agite depuis les débuts de leur « crise » et un certain mois de décembre 2008. Ce qui nous intéresse ici n’est donc pas l’énième loi scélérate du pouvoir, mais le souffle de rage qu’elle a provoqué, qu’elle provoque encore et qu’elle provoquera probablement jusqu’à la destruction de son idée même.

En Grèce comme partout, brûlons toutes les bastilles.

février 2015,
Ravage Editions.

[1A ce propos, on pourra lire l’article Évasion massive à Trikala et situation actuelle dans plusieurs prisons grecques, publié le vendredi 29 mars 2013 sur Non-Fides.fr.

[2Groupe de lutte armée anti-impérialiste et communiste né peu après la chute de la junte.

[3L’article 187 concerne les organisations criminelles, divisées en deux catégories : organisations criminelles simples, et sous l’alinéa A, « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». En gros tout ce qui est de nature à déstabiliser l’État. Pour citer plus précisément le code pénal grec : « la mise en pratique d’infractions définies de manière à, ou par extension, ou sous des conditions où il est possible d’offenser gravement une nation ou un organisme international et avec pour but d’intimider gravement une population, contraindre illégalement une autorité publique ou un organisme international d’exécuter tout acte ou de s’en abstenir, d’endommager gravement ou de détruire les politiques constitutionnelles fondamentales ou les structures économiques d’une nation ou d’un organisme international ».

[4Cf. Domokos (Grèce) : la transition vers les prisons de type C s’accélère, publié le dimanche 7 septembre 2014 par Non-Fides.fr.

[6Extrait de Grèce : Premières déclarations des détenus de l’aile E1 de type C de la prison de Domokos, publié le mercredi 4 février 2015 sur Non-Fides.fr.

[7A ce sujet, on pourra lire "Pour en finir avec le Prisonnier Politique", en annexe de ce recueil.


Pour plus d’informations et d’actualité en français sur la lutte contre les prisons de Type C et le mouvement anarchiste en Grèce, on pourra suivre en particulier les sites Non Fides et Contrainfo. On pourra également lire un texte dans le dernier numéro d’Avalanche (2014).



ce texte est aussi consultable en :
- PDF par téléchargement, en cliquant ici (5.1 Mio)
- PDF par téléchargement, en cliquant ici (5.5 Mio)