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La République des Escartons
... autonomie communale dans le Briançonnais du Moyen Age à la Révolution française
mis en ligne le 10 novembre 2014 - Collectif
La République des Escartons au 14e siècle
A l’époque de l’apogée du féodalisme dans toute l’Europe,
quelques communautés se soulevèrent contre leurs seigneurs
et rois et obtinrent des libertés qui leurs garantissaient une
autonomie plus ou moins étendue (création de la fédération
suisse en 1291, les cités-Etats italiennes, les villes libres en Allemagne, etc.).
La région des Alpes du Briançonnais fut de celles-là dès le 14ème siècle.
Cette région ne fut pas conquise par César sous l’Empire romain mais seulement associée. De cette période, les Briançonnais gardèrent les institutions municipales romaines (élection par tous les citoyens libres des consuls, questeurs, officiers de police, de justice, etc.) mais aussi les plus anciennes traditions fédérales gauloises (travail communautaire, regroupement des villages unis au sein des fédérations gauloises pour la défense de leurs intérêts).
Par la suite, lors de l’écroulement de l’Empire, les Alpes briançonnaises, n’offrant pas de richesses aux envahisseurs « barbares », ne furent qu’un lieu de passage pour les Goths, Burgondes, Francs et Lombards. Les habitants se réfugiaient sur les sommets et attendaient que l’ardeur des pilleurs se calme... C’était un peuple composé surtout de bergers nomades.
Pendant les temps troublés du Moyen Age, les Briançonnais perdirent et retrouvèrent plusieurs fois leur droit municipal autonome mais conservèrent, ancré profondément dans les traditions populaires qui les avaient régis pendant de longs siècles, le désir de liberté et d’autonomie. Petit à petit, à partir du 10e siècle, ils vont acheter la plupart des droits et privilèges attribués aux seigneurs.
En effet, les seigneurs et dauphins successifs n’avaient jamais assez d’argent pour leur vie luxueuse et leurs guerres internes. À une époque où les neuf dixièmes de la population étaient dans la misère, écrasés par les charges, les impôts, assujettis aux seigneurs, les Briançonnais, moyennant finances, obtinrent des libertés que les autres provinces françaises n’avaient pas.
Au 14e siècle, pour confirmer ces libertés, les Briançonnais firent ratifier par le roi du Dauphiné, Humbert II, une charte entérinant toutes leurs conquêtes.
La Charte du 29 mai 1343
« Le Dauphin ratifie toutes les libertés, franchises, privilèges, bons usages et coutumes du Briançonnais, soit qu’ils aient été concédés par lui ou ses prédécesseurs, soit qu’ils aient été admis ou usités ; qu’il abandonne toutes les redevances foncières que les Briançonnais lui doivent, qu’il les exonère de tous services féodaux, de toutes sortes d’impôts..., qu’il leur reconnaît ou concède des franchises personnelles et municipales assez importantes... et qu’il ne réserve, en quelque sorte, que les droits attachés à sa personne ou à sa dignité de Dauphin, moyennant une somme capitale de 12.000 florins d’or plus une rente annuelle et perpétuelle de 4.000 ducats » (voir plus loin l’intégralité de la Charte). Pour l’époque, c’était une petite révolution !
Dans les faits, cette charte leur permettait de nommer leurs officiers municipaux, leurs secrétaires ; ils pouvaient créer et percevoir leurs impôts et en disposer à leur guise ; ils avaient le droit de port d’armes, pouvaient chasser, étaient exempts de tous les impôts tels que la gabelle et les taxes sur les échanges. Ils ne payaient plus les droits de four, de bois, de moulin ; ils étaient déchargés de tous les droits extraordinaires. Seul, l’impôt sur les bêtes à laine était conservé. Les Briançonnais avaient la charge de la garde des frontières, de la levée des soldats qu’ils devaient armer, nourrir, équiper. Le Dauphin se réservait le droit de justice et, chaque année, les Briançonnais devaient fournir 500 soldats pendant un mois.
Lorsque le Dauphiné fut rattaché à la France, les députés briançonnais allèrent faire reconnaître leur charte par le nouveau roi et firent opiniâtrement de même à chaque changement de trône jusqu’à la veille de la révolution en 1789.
Organisation municipale et régionale
Leur pouvoir très large reposait sur la volonté populaire, par le suffrage universel.
La Charte établissait le droit d’éligibilité universelle, c’est à dire que chaque citoyen pouvait voter et être élu quand il avait au moins 20 ans et payait une cotisation à la commune. Et même cette dernière condition disparaissait dans les communes pauvres. Il était procédé chaque année à l’élection des percepteurs, juges et officiers de police, secrétaires, greffiers, etc. et enfin, les consuls (officiers municipaux supérieurs au nombre de 1 à 6) qui n’étaient rééligibles qu’après cinq ans révolus.
Les cités briançonnaises avaient des assemblées supérieures où se discutaient et se réglaient tous les intérêts régionaux de leur principauté. 51 communautés se regroupaient en 5 Escartons [1] qui eux-mêmes se réunissaient en un Escarton général (voir carte ci-dessous). Ces Escartons nommaient chaque année un ou plusieurs députés qui se réunissaient au chef-lieu, une ou plusieurs fois par an. D’une manière générale, le nombre des députés était proportionnel, d’une part à l’importance de la communauté, d’autre part à celle des sujets traités aux assemblées.
Moins de nobles, plus d’instits
L’acquisition de tous ces privilèges eut pour conséquence heureuse d’éliminer presque tous les nobles de la principauté. En effet, les consuls pouvaient emprisonner, dans l’Escarton, les propriétaires terriens qui ne payaient pas leurs impôts. On comptait, avant la Charte, 85 familles d’aristocrates ; avant la révolution de 1789, deux familles seulement.
Libérée du joug seigneurial, la vie locale était plus active. Organisés pour les institutions, les Briançonnais l’étaient aussi, avant l’heure, pour l’enseignement. Les Alpes briançonnaises étaient l’une des régions les plus alphabétisées de France, bien avant la Révolution de 1789 (9 hommes sur 10 savaient lire). Considérant l’instruction publique comme un devoir, ils désignaient un villageois pendant la période hivernale pour faire la classe aux enfants de la communauté. L’instituteur saisonnier soit enseignait sur place, soit louait ses services dans des régions éloignées telles que Marseille, Lyon, Besançon, Béziers et il retrouvait son activité rurale l’été venu.
Les avantages acquis permirent la réalisation de grands travaux d’utilité et d’intérêt publics, tels que la construction de canaux d’irrigation, de sentiers, de routes de montagne, etc. et favorisèrent d’autre part les échanges commerciaux. A ce moment-là, presque tout le commerce avec l’Italie passait par le Col du Montgenèvre ; très peu d’autres cols dans les Alpes permettaient un trafic de cette importance. Les tissus, tapis, épices, richesses, en général importés d’Orient par les ports riches de Venise, Pise, Gênes, Amalfi... étaient transportés à travers toute l’Italie, puis la France, pour les seigneurs de l’époque friands de marchandises raffinées, et pour la papauté installée à cette époque en Avignon. Ce qui donna un essor formidable au commerce de la région, d’autant plus que les taxes, impôts et droits douaniers sur l’échange et la vente n’existaient plus dans les Escartons. Tant que le Montgenèvre resta le seul passage possible, la Province prospéra ; mais quand d’autres cols s’ouvrirent, notamment dans le Royaume de Savoie, détournant les communications à leur profit, Briançon périclita et, se repliant sur les Escartons, se limita aux seuls échanges nécessaires à la survie.
Le début de la fin
Le traité d’Utrecht de 1713, annexant à la Principauté de Piémont les cantons d’Oulx, de Fenestrelle et Casteldelfino, anéantit définitivement tout espoir de communication commerciale avec l’Italie. Mais la région garda son statut d’autonomie inhabituel pour l’époque. Il n’était pas dû au hasard. Les rois de l’époque avaient tout intérêt à « favoriser » une région frontalière stratégique telle que celle du Briançonnais. Les bourgeois et les artisans s’enrichirent facilement, il n’y eut pas de révolte paysanne, le calme régnait... La garde des frontières vers l’Italie était bien assurée, les citoyens payaient régulièrement et sans retard leur redevance décidée par la Charte. D’où la réputation qu’avaient les Briançonnais auprès des rois de France et d’Italie de bons sujets loyaux.
Il faut se rappeler qu’entre la signature de la Charte de 1343 et la Révolution de 1789, il y a quatre siècles. Face à toutes les ruses employées par les rois et les seigneurs successifs pour retrouver leurs privilèges, les Briançonnais gardèrent une façade d’unité et d’accord interne entre les diverses couches de la population. Mais à l’intérieur des Escartons, depuis longtemps, les bourgeois-commerçants avaient pris le pouvoir dans les institutions grâce à la « supériorité » que leur conférait l’argent. Tous les leviers de commande étaient aux mains des notables des bourgades les plus importantes. Il ne restait plus aux populations paysannes qu’à courber l’échine sous le joug des commerçants cette fois-ci. Mais ce sont les paysans qui conservèrent les traditions communautaires qui permirent notamment la réalisation de grands chantiers pour la percée de nouveaux cols, le défrichage des alpages, etc. Quand la Révolution de 1789 éclata dans toute la France, les Briançonnais, qui n’avaient rien à gagner des réformes centralistes des Jacobins, ne se joignirent que tard à cette grande révolte du peuple.
Aujourd’hui, les institutions populaires et autonomes du Briançonnais, bien qu’elles aient duré quatre siècles dans l’histoire, semblent largement oubliées hors des remparts de Briançon. On n’en entend plus guère parler.
Les Escartons faisaient partie du Dauphiné. Ce territoire était celui du Briançonnais ou baillage de Briançon. Il était situé dans les Alpes Cottiennes, entre le col du Mont-Cenis et le col du Montgenèvre, dans un triangle de 90 km de côté formé approximativement par les villes de Grenoble et Gap en France et par la ville de Turin en Italie. L’altitude de ce territoire va de 900 à 4.100 mètres (Barre des Ecrins). Il contient la ville la plus haute d’Europe, Briançon, à 1400 mètres, et le village le plus élevé, Saint-Véran, à 2050 mètres.
Au moment où l’histoire des Escartons commence, en 1343, cette contrée contient 7.200 foyers, soit 30 à 40.000 habitants, répartis sur une cinquantaine de communautés villageoises autour de Briançon.
Dans ces lieux inhospitaliers, difficilement gouvernables par un pouvoir central, les municipalités avaient peu à peu pris le pas sur les féodaux. Les Briançonnais bénéficiaient donc depuis environ 1240, de très nombreux privilèges et franchises, issus d’un accord passé alors avec le Dauphin. Dès cette époque les communautés obtinrent de nombreux droits : gestion de l’eau, gestion des pâturages, etc.
Tous les ans, à la Chandeleur (le 2 février), les chefs de famille du village se réunissaient pour désigner leur « consul ». Celui qui avait le plus de voix était désigné, quelquefois à son corps défendant. Mais il ne pouvait refuser. Il devait même déposer une caution de 200 écus, restitués avec intérêt à son départ, car il était responsable sur ses deniers du recouvrement de l’impôt et de l’excédent des dépenses sur le budget prévisionnel. Il disposait de pouvoirs étendus et ses décisions étaient rarement critiquées. Le consul était désigné pour un an seulement.
La Charte des Escartons (29 mai 1343)
Le texte ci-dessous est le texte original, traduit sous la direction de Fernand Carlhian-Ribois.
L’incroyable complexité de ce contrat a entraîné le fait que tout habitant des Escartons avait intérêt à savoir lire et écrire pour garder une trace de ses transactions, sans doute une des raisons du taux d’alphabétisation considérable pour cette période.
Au Nom de Notre Seigneur Jésus Christ. Amen.
Sachent tous présents et à venir qu’en l’An de Notre Seigneur, 1343, le 29 Mai, sous le Pontificat de Notre Saint Père Clément VI, le Seigneur Humbert II, Dauphin de Viennois, Prince de Briançonnais, Marquis de Césane, après mûres réflexions et nombreuses délibérations, après avoir fait vérifier tous les droits seigneuriaux qu’il possède en Dauphiné, après avoir rappelé la bonne mémoire de ses Ancêtres qui lui ont légué le pays et tous leurs droits, Remet, Cède et Transporte a perpétuité aux Universités et Communautés Briançonnaises, la Jouissance pleine et entière de ses Droits et Devoirs Féodaux et Seigneuriaux, savoir, Les censes en blé, lods, tiers, treizains, vingtains [2], bans [3], bois, usages, aisances, pâturages, eaux, fours et moulins, le tout contenu dans la présente Transaction, signée par Lui, Dauphin Humbert II d’une part, et par les Consuls, Syndics, et les Procureurs des Communautés et des Universités de la Principauté du Briançonnais, d’autre part.
Art. I : Bien informé et sûr de ses droits, traitant de son plein gré, en Son Nom personnel, et en celui de ses héritiers et successeurs, Le Seigneur Humbert II fait savoir que les officiers, greffiers, secrétaires, et tous les habitants des Communautés Briançonnaises sont habilités à posséder tous fiefs et arrières fiefs, biens et héritages, tant en groupes qu’en particuliers des deux sexes et qu’ils ont désormais, le droit, d’acheter ou de se succéder avec ou sans testament.
Art. II : Ils ont désormais le droit de se réunir où et quand ils le désirent, sans autorisation, et sans la présence d’un officier, pour leurs affaires communes. Ils sont libres.
Art. III : Ils ne pourront être jugés hors de leur Communauté sans appel régulier et sans autorisation du Juge de Briançon.
Art. IV : Ils sont déchargés de tout impôt et de toute taille. Ils en sont de même exemptés.
Art. V : Les Juges de Briançon ne pourront plus prendre plus de dix sols, pour les Jugements qu’ils rendront désormais ou pour les actes d’émancipation qui seront dressés devant eux.
Art. VI : Le Dauphin remet toutes ses commissions personnelles et particulières. Tous les droits ou taxes qui lui sont dus sont convertis en une rente annuelle, payée en argent, chaque année, le Jour de la Chandeleur (2 février). Le montant de cette rente est fixé à : 4 000 Ducats d’or pour l’ensemble de la Principauté. Le montant par Communauté sera fixé par conventions particulières qui devront être établies et signées dans l’année qui commence aujourd’hui, 29 mai.
Art. VII : Moyennant le paiement de cette rente, le Dauphin se démet de tous ses droits seigneuriaux sur les fiefs qui lui appartiennent ou pourront appartenir à ses successeurs.
Art. VIII : Les Briançonnais pourront se réunir pour s’imposer et s’imposer sans avoir à rendre de compte.
Art. IX : Les habitants qui possèdent des biens devront contribuer, pour ce qu’ils possèdent, à la rente due au Seigneur Dauphin.
Art. X : S’ils reconnaissent la transaction, les Briançonnais pourront à l’avenir dire qu’ils tiennent leurs biens, et leurs droits par acquisition au moyen de la rente annuelle payée au Dauphin. Les collecteurs de ladite rente seront payés, pour ce travail, selon leurs qualités.
Art. XI : Les habitants sont déchargés de lettres de clame ou criées pour leurs dettes. Ils seront en plus absous par les juges, s’ils reconnaissent leurs dettes de bonne foi.
Art. XII : Chaque année, pour Chandeleur, les Briançonnais pourront élire leurs officiers et Consuls. Ces derniers devront jurer de bien servir et de rendre des comptes en fin d’année. Si un Consul ou autre officier ne remplit pas bien ses fonctions, il ne sera jamais réélu. Les habitants qui refuseront de payer leur part de rente, seront punis d’une amende de cinq à dix sols. Les criées pour affaires communes sont permises.
Art. XIII : Le Dauphin s’engage à obliger, Ses héritiers et successeurs, qui pourraient être Seigneur en pays Briançonnais, à respecter la présente et à s’engager à en respecter toutes les dispositions. S’ils ne prêtaient pas ce serment, ils ne pourraient rien posséder en Briançonnais.
Art. XIV : Hors les cas de lèse-majesté, de faux, blessures, rapts, adultères et violences, les officiers du baillage ne pourront ouvrir aucune information.
Art. XV : Les châtelains ne pourront plus se faire payer lorsqu’ils apposeront leur sceau sur les lettres des habitants de leur châtellenie.
Art. XVI : Les habitants des Communautés du Briançonnais pourront remettre ou donner ce qui leur appartient sans l’autorisation ou le consentement de quiconque.
Art. XVII : Les Briançonnais ont dès aujourd’hui le droit de construire des canaux pour arroser leurs terres, prendre l’eau aux torrents et rivières sans avoir à payer le droit d’usage ni au Dauphin Humbert, ni à ses héritiers et successeurs.
Art. XVIII : Défense est faite aux officiers delphinaux et aux Nobles de couper du bois de charpente ou de chauffage dans les forêts des Communautés et Universités du Briançonnais, du Queyras, Vallouise, Césane, Oulx, Pinet, Chevalette, Fontenils, ni autres lieux du Baillage, car les coupes sont causes d’inondations, éboulements et avalanches. Cette interdiction est perpétuelle.
Art. XIX : Les collecteurs d’impôts peuvent saisir les biens nobles et roturiers de ceux qui refusent de payer leur part de rente, ou toute autre taxe qu’ils doivent à la communauté.
Art. XX : Les Communautés pourront nommer leurs écrivains ou greffiers et les choisir comme elles l’entendront, pourvu que la personne (ou les personnes) de leur choix soit un vassal, ou homme lige du Seigneur Dauphin.
Art. XXI : Les Écrivains Greffiers, Notaires, receveurs, collecteurs devront prêter serment au Seigneur Dauphin et à leur Communauté. Ils devront jurer d’être fidèles. Toutes les reconnaissances écrites ou orales faites depuis peu par les Communautés, ou particuliers devant des Commissaires nommés par le Dauphin sont annulés par la présente.
Art. XXII : Les Syndics ou consuls pourront librement, lorsqu’ils le jugeront utile, agrandir ou rétrécir les chemins, passages, sentes forestières, sans l’autorisation de la Cour delphinale. Aucun travail autre que ceux d’amélioration ne pourra être fait sur les chemins royaux. Sous réserve de prestation de serment les Communautés pourront nommer librement leur garde route, garde forêts, garde-champêtre, garde troupeau, garde-canaux.
Art. XXIII : Les officiers delphinaux du Baillage ne pourront plus, désormais, procéder à l’arrestation de quiconque, en Briançonnais pour des délits commis, si les délinquants donnent caution franche et sûre. Les crimes capitaux sont exemptés de cette mesure. Un criminel même s’il a donné caution ne sera jamais libéré.
Art. XXIV : Aucun officier delphinal (ou autre Noble) n’a, désormais, le droit d’arrêter ou saisir le bétail des marchands voituriers, voyageurs ou autre briançonnais, pas plus qu’il n’a le droit de vexer ou importuner les personnes qui voyagent en Briançonnais.
Art. XXV : Le Seigneur Dauphin promet solennellement que, ni lui, ni ses héritiers ou successeurs, ne pourront porter atteinte en quoi que ce soit aux articles contenus dans le contrat.
Art. XXVI : La contribution au droit de surveillance exigée pour la garde du Château delphinal à Briançon est abolie. Le Dauphin paye lui-même cette dette. La contribution de Garde du Château-Dauphin reste due, à moins que les habitants ne s’engagent à payer leur part de rente annuelle.
Art. XXVII : Comme les habitants de ce pays, tous ceux qui ne sont pas libérés des soixante- trois sols de taille delphinale, seront poursuivis et contraints à payer par les officiers du Dauphin. Cette taille et ses accessoires devront être reconnus par tous.
Art. XXVIII : Les habitants du Baillage ne pourront plus être obligés à garder les Châteaux et les prisonniers, sauf dans les cas urgents. Les chevaliers ou officiers qui feront arrêter quelqu’un devront en donner avis au Bailli et juge du Briançonnais. Dans ce cas, la garde sera confiée au Juge le moins occupé et à l’officier le plus habile.
Art. XXIX : Les Nobles ou gens de qualité ne pourront plus désormais acheter ou affermer les revenus des églises du Baillage sous peine d’une amende de cinquante marcs d’argent fin. Les achats antérieurs au présent contrat sont valables.
Art. XXX : Les habitants de Monêtier, auront à perpétuité le droit à un marché ou à une foire, le mardi de chaque semaine, comme le veut le règlement établi par Dauphin Jean, d’heureuse mémoire, qui accorda ce privilège.
Art. XXXI : Les officiers delphinaux ou Châtelains qui imposeront, ou feront imposer une amende par jugement, ne pourront rien exiger des habitants sans l’accord du Juge delphinal du baillage.
Art. XXXII : Les officiers delphinaux ou Châtelains pourront, avec bêtes et marchandises, aller et venir jusqu’en Avignon par la route de leur choix, sans aucune interdiction, excepté le vicomté de Tallard, et cela malgré les défenses qui pourraient être faites par les Communautés d’Embrun, de Gap, du Champsaur, ou autres lieux.
Art. XXXIII : Le Dauphin Humbert II, cède et remet pour lui, ses héritiers et successeurs et pour l’ensemble des habitants du Briançonnais présents ou à venir (sauf les étrangers), toutes les gabelles du Briançonnais, pour toutes choses, exceptée la Gabelle du bétail. Rien n’est dû sur la nourriture de ce dernier.
Art. XXXIV : Les Juges delphinaux devront désormais indiquer expressément, dans les sentences qu’ils rendront que les amendes ou sommes dues seront payées en monnaie courante.
Art. XXXV : Lesdits Juges ne pourront recevoir que douze deniers de monnaie courante par livre de condamnation prononcée.
Le Seigneur Humbert II désirant favoriser au maximum ses fidèles sujets du Briançonnais,
Décide et ordonne
que tous, sans exception, seront désormais tenus et considérés comme des hommes libres, francs, et bourgeois. Ils rendront hommage au Dauphin en baisant son anneau ou la paume supérieure de sa main comme le font des hommes francs et libres, et non plus les deux pouces comme le font les roturiers et manants de ce temps.
Art. XXXVI : Les syndics et Procureurs présents remettent, au nom des habitants, au Seigneur Dauphin, toutes les injures, tous les torts ou griefs qui leur ont été faits par le Dauphin ou par ses prédécesseurs en vertu de leur droit. Ils promettent de faire accepter cette transaction dans leur communauté. Ils abandonnent toutes restitutions auxquelles ils sont en droit de prétendre. Ils acceptent de payer la Gabelle à laine.
Art. XXXVII : En reconnaissance de toutes ces largesses, grâces, faveurs, libertés, franchises comme de tous les avantages, privilèges et bienfaits, les Syndics et Procureurs s’engagent à payer, en jurant sur l’Évangile qu’ils touchent successivement de leurs mains, posées à plat, les douze mille florins d’or à raison de deux mille florins pendant six ans, le jour de la fête de la Purification de notre Dame et en outre, chaque année, le même jour, la rente de quatre mille ducats d’or. Il est entendu que :
- Huit mille florins seront payés par les Châtellenies de Briançon, Queyras, Vallouise, Saint-Martin et les habitants de Montgenèvre.
- Quatre mille florins seront payés par les Communautés et Châtellenies de Césane, Oulx, Salbertrand et Exilles, Bardonnèche et Val Cluson. Si ces derniers refusent de payer leur part, la somme de douze mille florins serait réduite à deux mille florins.
Art. XXXVIII : Considérant que les gens du Baillage du Briançonnais sont tenus de fournir cinq cents gens d’armes, le Dauphin donne mille florins d’or, à déduire des douze mille, pour donner aux habitants la possibilité d’acheter armes et poudre, et d’avoir des soldats prêts à accompagner le Bailli dans ses tournées.
Après avoir touché le Saint Évangile, le Seigneur Dauphin Humbert II, Jure de maintenir l’exécution intégrale des choses promises et accordées. Il ordonne solennellement à tous ses officiers de faire exécuter loyalement, tous les articles, et d’empêcher toute violation des clauses par lui accordées à perpétuité, et ce, en Son Nom, et au nom de ses héritiers et successeurs. Il précise que tous les extraits, toutes les copies du contrat seront toujours aussi valables que l’original.
Et pour donner plus de valeur et toute authenticité à la Grande Transaction, faite de deux sceaux collés, le Seigneur Dauphin Humbert II appose sur l’original dressé, le sceau de son anneau secret.
Fait à Beauvoir en Royans, diocèse de Grenoble,
Château delphinal
le 29 mai 1343
Signé : Humbert, second
[1] Le nom d’Escarton donné à ces unions briançonnaises provient du plus important de leurs droits qui était la répartition ou « escartonnement » des contributions et charges entre les communautés.
[2] Diverses redevances ou impôts dus au seigneur.
[3] Désigne le pouvoir de commandement du seigneur guerrier et protecteur sur la terre et ses sujets manants, considérés en bétail inaliénable, taxable et corvéable.
Les textes
La République des Escartons au 14e siècle : tiré de l’Almanach buissonnier n° 5, mars-avril-mai 1982.
La charte des Escartons : traduite sous la direction de Fernand Carlhian-Ribois, trouvée sur le site de la Ville de Briançon.
Les notes
Toutes les notes sont de la Boîte à outils.
Bibliographie
Le rôle joué par l’agriculture dans la reproduction de la formation sociale du Briançonnais, Étude sociologique de Madeleine Mallet.
Essai sur les anciennes institutions autonomes et populaires des Alpes cottiennes, Alexandre Fauché.
Les belles pages de l’histoire briançonnaise, Marc de Ribois, Editions "Alpes et Midi".
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