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L’En-Ville 1
Chroniques de la transformation du Bas-Montreuil et du quartier des Coutures à Bagnolet
mis en ligne le 29 novembre 2013 - Collectif Prenons la ville
« La langue créole ne dit pas "la ville", elle dit "l’En-ville" […]. L’En-ville désigne ainsi non pas une géographie urbaine bien repérable, mais essentiellement un contenu, donc une sorte de projet. Et ce projet, ici, était d’exister ».
Extrait de Texaco, de Patrick Chamoiseau, p. 422.
Sommaire
Édito
- Le collectif Prenons la ville
- Voir le quartier depuis une permanence
- Dans quel contexte intervient la restructuration du quartier ?
- Quel est le projet sur Montreuil et Bagnolet ?
Insalubrité : prétexte ou réalité ?
- « Une pièce dans l’arrière-boutique … », rue Robespierre, Octobre 2011
- Qui sont les marchands de sommeil ?, rue Paul Bert, Mai 2012
Démocratie participative, la vieille blague !
- « Ce que l’on veut savoir, c’est si nous, on va pouvoir rester là ! », rue Paul Éluard, Mai 2012
- Pénétrer la grammaire de ce qui se fait réellement, rue de Paris, Février 2012
- « Tout est normal dans le cadre du PNRQAD », Place de la Fraternité, rue É. Marcel, Août 2012
Squats expulsés, foyers restructurés
- A propos de la restructuration du foyer Bara, rue Bara, 5 juin 2012
- Une année de lutte, rue des Sorins, 29 juillet 2011
- « Il y a une volonté d’assainir le quartier », rue Robespierre, Octobre 2012
- Montreuil-Bagnolet « Avec le tri, simplifiez-vous la vie », Mai 2013
Dégâts collatéraux – Gentrification, une politique à part entière
- Locataire en sursis, rue de l’Avenir, 2 avril 2012
- « Encadrement » des loyers : rien de neuf sous les pavés …
- « Elle nous a proposé de racheter la maison, 300 000 euros pour un pavillon deux pièces alors qu’on y paie le loyer depuis 70 ans ! », rue de l’Avenir, Décembre 2012
- A propos du non-renouvellement de bail
- Vendre son appartement pour payer les charges impayées équivaut à se faire expulser de son logement, rue Marcel Sembat, 18 juin 2012
Les Rroms : la continuité des bidonvilles dans l’histoire de l’immigration
- Au milieu du quartier des Coutures, des familles Rroms vivent..., rue de l’Avenir, Novembre 2011 – mars 2012
- Un repas de quartier, Place de la Fraternité, 17 juin 2012
- Les Rroms de la Halle Marcel Dufriche, 21 Novembre 2012
Conclusion
- Trime ou dégage
- Quelles solidarités ?
- La question des commerces
- Les logements sociaux
- Une « réunion de concertation » pour dénoncer la présence des biffins
- Dans le Facebook merveilleux de la ville enchantée
- Glossaire
Edito
Ceci est un journal qui parle de la transformation et de la restructuration du Bas-Montreuil et du quartier des Coutures à Bagnolet. Ce n’est pas un récit exhaustif mais plutôt un montage de fragments.
C’est la tentative de se représenter, de saisir un processus qui se déroule sur un temps long et avance par à-coups. Ce journal est issu de nos rencontres, de nos discussions, de nos luttes, de nos lectures aussi. Il cherche à comprendre par qui et comment la ville est produite ? Qu’elle est la relation entre le marché et les pouvoirs publics ? Que se cache-t-il derrière le discours sur la mixité sociale ou les chiffres généreux du logement social ? Enfin et surtout, quelles sont les conséquences pour les habitants ? C’est finalement, la tentative d’établir une position à partir de laquelle il serait possible de contester la légitimité du pouvoir et du marché. C’est aussi l’occasion de remettre radicalement en cause la manière dont la ville est produite. C’est une tentative d’étayer une politique anticapitaliste et antibureaucratique concernant la ville.
Faire face aux verts à Montreuil, c’est faire face aux derniers aménageurs du capitalisme, sûrement les plus progressistes parmi eux. Il disent : « Nous limitons la gentrification. » Nous répondons : « Vous accélérez la gentrification et vous limitez à la marge ses effets les plus violents. » De même, le slogan à la mode de la ville de Bagnolet est « on va faire du moderne en restant populaire. » Or, sous couvert de mixité sociale, la gentrification est une politique à part entière. Elle achève la reconversion économique de la ville et la positionne dans la concurrence internationale des territoires pour attirer capitaux et travailleurs qualifiés.
A quelques exceptions près, la plupart des histoires que nous avons recueillies se passe dans un tout petit périmètre. Ce journal invite à une balade dans ce quartier populaire à la porte de Paris en cours de gentrification.
Le collectif Prenons la ville
La plupart d’entre nous vivent dans le Bas-Montreuil et le quartier des Coutures à Bagnolet. Depuis des années, nous voyons nos quartiers se transformer. Un grand nombre de petites et moyennes opérations immobilières transforme le quartier en faveur d’une population plus riche et à la défaveur des habitants les plus pauvres. Il semble que ce processus ait connu une accélération en 2011 avec l’expulsion coup sur coup du squat de la rue des Sorins et de celui de la rue Robespierre [1]
C’est à cette époque que nous avons appris que la transformation de ces deux quartiers n’était pas le simple fait du marché immobilier, mais qu’ils faisaient l’objet d’un plan de restructuration impulsé par l’État et les collectivités locales : le PNRQAD [2]. Ce plan, sous couvert d’amélioration de l’habitat, accélère le processus de gentrification [3] du quartier. Nous avons décidé de constituer le collectif Prenons la ville pour y faire face.
Faire face, c’est-à-dire ? Puisque la mairie ne disait rien, ou très peu, de ce qu’elle comptait faire, de peur des réactions et des résistances que cela susciterait, nous avons voulu informer les habitants de ce qui était prévu. Nous nous sommes procuré des documents décrivant les grands principes de la restructuration du quartier. L’ensemble des immeubles susceptibles d’être détruits y est listé. Ensuite, nous avons publié et distribué dans les boîtes aux lettres du quartier un feuillet analysant les conséquences du plan de restructuration accompagné d’une carte indiquant les pâtés de maisons menacés.
Nous avons organisé des réunions publiques, des balades dans le quartier, un repas sur la place de la Fraternité. Enfin, nous tenons une permanence deux fois par mois au Rémouleur [4] où il est possible d’échanger des informations, cela en vue de s’organiser et lutter collectivement contre ce plan de restructuration et ses conséquences.
Voir le quartier depuis une permanence
Les conséquences justement, c’est ce que nous essayons de rendre visible à travers ce journal. Nous l’avons réalisé à partir des récits recueillis auprès de personnes très différentes passées nous voir à la permanence. Certains squattent, d’autres louent, d’autres encore ont acheté leur maison, mais tous sont touchés par la restructuration et risquent de devoir partir vivre ailleurs.
Squatteurs, locataires et propriétaires ne sont plus des statuts suffisants à partir desquels on peut dire qui subit et qui profite de la transformation de la ville.
Bien sûr, tous ne sont pas égaux face à la restructuration. Mais il existe aussi des différences de classes parmi les locataires et les propriétaires. Un propriétaire, un locataire et un squatteur peuvent avoir des intérêts partagés face à ceux qui spéculent sur la ville. Avec la pression immobilière, il devient toujours plus difficile de squatter des maisons. Pour les locataires, les loyers augmentent sans cesse. Enfin, des propriétaires occupant leurs maisons risquent l’expropriation au profit d’opérations immobilières. Les histoires réunies dans ce journal, permettent de comprendre quels sont les effets de la restructuration urbaine sur les habitants d’un quartier.
Mais avant d’entrer dans ces différents récits, il nous a semblé important de rappeler le contexte global dans lequel ce plan de restructuration a lieu et quel est le projet spécifique concernant le Bas-Montreuil et le quartier des Coutures.
Dans quel contexte intervient la restructuration ?
La restructuration urbaine de ces quartiers n’est qu’une manifestation à notre échelle de la réorganisation économique et politique de la métropole parisienne. Ce que les décideurs appellent le « Grand Paris » vise à « moderniser » la capitale et sa banlieue, c’est-à-dire à accroître sa rentabilité dans la compétition mondiale entre métropoles d’envergure internationale en la dotant d’infrastructures économiques.
Cette course à l’attractivité se rejoue entre les communes de la petite couronne et c’est sur ce marché que Montreuil et Bagnolet essaient de se placer. Si le pouvoir municipal est un maillon crucial dans la réorganisation du territoire, il répond à des contraintes économiques qui le dépassent. Les principaux acteurs de cette transformation de la métropole sont les banques, les grandes multinationales, l’État, les collectivités locales qui réorganisent le territoire, comme on réorganise une entreprise en vue de la rendre plus productive, plus juteuse.
Quel est le projet sur Montreuil et Bagnolet ?
Aux portes de Montreuil et Bagnolet, des administrations, des sièges d’entreprises, des banques, des hôtels pour touristes se sont déjà installés depuis une dizaine d’années. Mais aujourd’hui, les équipes municipales (surtout à Montreuil) favorisent et valorisent l’installation d’entreprises dans les secteurs du spectacle, de la communication, de l’informatique, de l’urbanisme et des arts.
Au centre de ce nouveau projet économique se trouve une nouvelle population récemment arrivée à Montreuil. Ce sont le plus souvent des professions culturelles et certaines professions libérales comme les architectes, des cadres d’entreprises, des ingénieurs et, moins souvent, des enseignants et professions intermédiaires. Beaucoup d’entre-eux achètent et rénovent des ateliers, des usines pour en faire de belles maisons. Ils sont sans aucun doute le moteur de la gentrification du Bas-Montreuil et du quartier des Coutures à Bagnolet. Ils sont aussi la figure valorisée, la nouvelle norme autour de laquelle le pouvoir municipale transforme la ville, ses infrastructures, ses commerces, ses services. Mais ce plan comprend aussi des immeubles financés par le « 1% patronal » [5] ayant vocation à accueillir des employés de banque, de la poste, de la SNCF, de la RATP ou des grandes surfaces. La restructuration favorise une population intégrée économiquement indispensable au bon fonctionnement de la métropole. Par contre, elle aura tendance à éloigner ceux qui ne collent pas (ou plus) au nouveau projet économique de la ville. Si le montant du revenu est le critère discriminant par excellence, il faut aussi compter avec le statut (avec ou sans papiers), l’insertion professionnelle (chômeur, CDD ou CDI), la qualification (Bac+), l’âge (jeune ou vieux), l’origine (parents immigrés), la disposition subjective (flexible, l’esprit d’entreprise ou réfractaire au travail).
On peut donner quelques exemples de la manière dont la Mairie de Montreuil transforme la ville. La modification du PLU a permis de libérer un énorme parc foncier en autorisant la requalification de parcelles réservées à l’activité, en parcelles mixtes activité/logement, ouvrant ainsi un boulevard aux promoteurs. D’une autre côté, le même PLU engage les promoteurs à construire selon certaines normes sociales et écologiques. Dans certains cas, il les contraint à financer des équipements publics. L’action de la ville passe aussi par une nouvelle stratégie de communication qui valorise la ville et attire capitaux, promoteurs, entreprises et main d’œuvre ad doc. De même, l’amélioration de la propreté, qui est une obsession de la mairie de Montreuil et de certains nouveaux habitants, va dans le sens de la valorisation de la ville. Cela se fait au dépend de toutes les activités liées à la récupération, historiquement très importantes à Montreuil (suppression du jour unique du dépôt des encombrants). Par son action au jour le jour, la mairie favorise les commerces dits « de qualité » (cave à vin, fromagers) et les petits supermarchés. Au contraire, elle tente de limiter, voire de faire disparaître une partie de l’économie qui gravite autour du marché aux puces (bazars, marchands de meubles, mécaniciens, etc.). Elle cherche aussi à évincer une partie des commerces populaires présents dans la rue de Paris (kebab, taxiphone) qui constituent un frein à la gentrification du quartier.
PACT ARIM 93
Nous apprenons un jour que le quartier des Coutures à Bagnolet est l’objet d’une « Étude préalable à une Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat – Renouvellement Urbain (OPAH-RU) » menée par l’association PACT ARIM 93 (Protection Amélioration Conservation Transformation de l’habitat – Association Restauration Immobilière).
Un certain nombre d’habitants reçoivent un avis de passage de cette association afin de rencontrer « tous les occupants de l’immeuble » dans le but d’établir « un diagnostic très fin sur les difficultés rencontrées par les locataires et les propriétaires » mais aussi pour permettre « l’adaptation de votre logement à votre composition familiale et à vos ressources financières ». Ce dernier objectif peut sembler particulièrement ambigu surtout en sachant que ce genre d’étude est souvent la première étape d’un processus de gentrification comme cela a eu lieu dans l’est parisien. Ils demandent d’ailleurs pour préparer cet entretien des documents très personnels comme « votre dernier avis d’imposition ».
Le PACT ARIM 93 est une ancienne association qui a tout d’abord lutté contre les différentes formes de l’habitat insalubre mais qui est devenue, depuis les années 80, un partenaire important du département de Seine-Saint-Denis. Derrière des intentions sûrement louables, l’association est utilisée par les pouvoirs publics pour établir des diagnostics dans un quartier sur la qualité des logements et la composition sociale des habitants, prélude aux grandes opérations publiques de renouvellement urbain. Le PACT ARIM a également la possibilité de subventionner des propriétaires pour des travaux d’amélioration des logements, contre la garantie que le propriétaire n’augmentera pas démesurément le loyer pendant 9 ans. L’exemple de l’est parisien est particulièrement éclairant sur ce genre d’opération puisque la conséquence de ces politiques de lutte pour l’amélioration de l’habitat a surtout été d’exclure les classes les plus populaires du parc des logements privés. Et ni le conventionnement de 9 ans avec les propriétaires, ni les bonnes intentions sociales affichées par ces associations n’ont empêché qu’à terme l’amélioration de l’habitat rime avec augmentation des loyers et expulsion des plus pauvres vers les périphéries. C’est donc ce processus qui se rejoue maintenant dans la petite couronne parisienne et dont les enquêtes du PACT ARIM n’en sont qu’une des manifestations.
Insalubrité : prétexte ou réalité ?
C’est au nom de la lutte contre l’insalubrité que l’on restructure le quartier. PNRQAD, Plan National de Restructuration des Quartiers Dégradés. Pourquoi cette lutte contre l’insalubrité s’accompagne toujours du départ forcé d’une partie importante des habitants ? Peut-être devraient-ils commencer par changer l’intitulé de leur programme. Le PACVDHQ : Programme d’amélioration des conditions de vie des habitants du quartier. Ils penseraient aux habitants avant de penser aux bâtiments.
Car revaloriser les constructions d’un quartier entraîne inévitablement une hausse globale du coût du foncier et donc des loyers. Cela profite aux propriétaires, aux promoteurs, aux banques et cela complique sérieusement la vie des habitants et provoque le départ forcé d’une partie d’entre eux.
En premier lieu, la restructuration du quartier fera disparaître beaucoup de logements inconfortables (squats, hôtels meublés, etc.) dans lesquels habitent des personnes aux statuts précaires. Pour elles, aucun relogement n’est prévu, elles seront les premières à devoir partir du quartier.
« Une pièce dans l’arrière-boutique … », rue Robespierre, Octobre 2011
Un samedi après-midi en plein automne, une personne vient nous voir un peu affolée et nous explique sa situation car des habitants du quartier lui ont dit qu’on pourrait peut-être l’aider. Après avoir habité une dizaine d’années dans des squats du quartier, il a rencontré le gérant d’un commerce qui lui sous-loue depuis 6 ans une pièce dans l’arrière-boutique. Il paie chaque mois 300 euros pour une toute petite chambre humide, sans aération, insalubre. Il est de plus obligé de se soumettre à certaines exigences du gérant du commerce quant au bruit, aux allées et venues ou à la surveillance du commerce pendant les congés du gérant. Deux autres personnes sont dans la même situation et louent d’autres pièces de l’arrière-boutique.
Il est sans-papiers en France depuis des dizaines d’années mais il a récemment décidé de faire les démarches, de déposer un dossier à la préfecture. L’une des nombreuses exigences de l’administration est de justifier de son adresse dans le département de Seine-Saint-Denis et du fait qu’il paie régulièrement un loyer. Il demande donc des quittances de loyer au gérant mais celui-ci refuse, à moins de payer le double pour la chambre, soit 600 euros par mois. Comme il gagne sa vie en tant que biffin Porte de Montreuil, il n’en a absolument pas les moyens et décide de ne pas lâcher. Il menace alors le gérant de prévenir le propriétaire de la boutique et d’alerter les services de l’hygiène de la mairie.
En l’apprenant, le gérant du commerce prend peur et décide de l’expulser ce samedi après-midi du mois d’octobre, ce qui le pousse à venir nous voir. Le gérant ne cache pas sa surprise en nous voyant arriver avec lui, la présence d’autres personnes le met mal à l’aise mais il a prévu son coup et se repose sur deux hommes de main pour intimider et dissuader quiconque de s’opposer à l’expulsion. Le locataire doit sévèrement négocier pour récupérer certaines de ses affaires que le gérant a disséminées dans la cour intérieure de l’immeuble, sous l’œil de voisins dégoûtés par l’expulsion. Finalement, le propriétaire du local nous laisse récupérer des affaires sans nous quitter des yeux et en le menaçant de représailles si l’affaire n’en reste pas là. Le locataire doit trier ses affaires en quelques minutes et on l’aide à repartir avec le maximum de choses. Sa situation est depuis toujours très précaire, il vient nous voir de temps à autre et il vit d’hébergements provisoires chez des connaissances.
Ces possibilités de logement sont malheureusement l’une des seules solutions pour tous ceux qui n’ont ni les moyens, ni surtout les garanties suffisantes (papiers, fiches de paie, cautions...) pour accéder à un logement dans le parc privé ou social. Dans le quartier, certains propriétaires de pavillons ou locataires de boutique utilisent ce pouvoir pour s’enrichir sur la misère en rackettant les plus pauvres.
Témoignage : Qui sont les marchands de sommeil ? Rue Paul Bert , Mai 2012
Un habitant de la ville de Montreuil est venu à la permanence du collectif Prenons la ville suite à un article paru dans le journal de la ville « TOUS MONTREUIL » du 22 mai 2012 et qui dénonce la présence massive de marchands de sommeil sur Montreuil. Ce monsieur se demande quelle est la définition exacte de « marchands de sommeil » au regard de sa situation. Voici son témoignage :
« Suite à notre expulsion en août 2010, pour ne pas avoir réglé nos loyers après le dépôt de bilan de ma société, ma femme s’est présentée à la mairie pour faire avancer les démarches de notre demande de logement social datant de 2007. Nous étions à la rue.
La mairie de Montreuil nous a logés avec nos trois enfants dans un appartement de 23 m2. Vu l’état d’insalubrité du logement mis à notre disposition, elle nous a délivré un bail provisoire de trois mois en nous assurant que nous serions relogés dans un appartement aux normes.
Au bout de six mois, n’ayant reçu aucune proposition, nous nous sommes manifestés auprès de la mairie. Ils nous ont répondus en nous envoyant un avis d’expulsion et en niant s’être engagés à nous reloger dans un logement décent.
Deux ans après, nous y habitons toujours. Dans l’immeuble, trois appartements sont loués. Nous n’avons toujours pas reçu de proposition de relogement. Nous payons un loyer d’environ 200 euros pour habiter dans un appartement d’une insalubrité totale :
- il n’y a pas de lumière dans la cage d’escaliers,
- les murs sont fissurés si bien que les escaliers sont inondés quand il pleut,
- les murs de la cuisine sont tellement humides que la peinture tombe dans les marmites,
- l’évier ne tient pas et il est impossible de faire la vaisselle correctement,
- les tuyaux de la salle de bain et de la cuisine fuient,
- le ballon d’eau s’est décroché du mur (« heureusement que mes enfants n’étaient pas dans la cuisine »), …
En janvier 2012, nous avons été alertés par la PMI que des appartements dans notre quartier sont contaminés par du plomb. Nous avons demandé à la « direction santé » de la mairie de venir faire des prélèvements. La mission saturnisme a confirmé la présence de plomb dans la peinture de la cage d’escalier et dans notre appartement. Nous avons fait faire des examens à nos enfants qui confirment leur contamination. Ceux-ci ont aussi détecté un taux d’humidité très élevé et la présence importante de moisissures. Ce qui est particulièrement dangereux pour la santé des enfants.
Depuis, j’ai envoyé un courrier au service logement ainsi qu’au maire et à l’adjoint chargé du logement, pour les alerter de la situation.
A ce jour, aucune réponse de leur part.
Je me demande ce qu’ils attendent pour réagir alors qu’ils dénoncent les propriétaires qui louent des logements indignes à des gens vulnérables.
Contre qui aujourd’hui, je peux me retourner pour dénoncer ma situation ? Et combien sommes-nous dans ce cas-là ?
Lorsque je regarde les conditions dans lesquelles vivent mes enfants, je ne peux plus me contenter d’attendre des réponses de la mairie. »
Démocratie participative, la vieille blague !
Ministère, services régionaux, départementaux, municipaux, bureau d’urbanisme, bureau d’architecture, think tank, laboratoire de sociologie, d’anthropologie, de géographie, sans compter tous les lobbyistes de la construction, travaillent pendant des mois, des années, produisent des analyses, font des enquêtes, des plans, des budgets, de nouvelles réglementations et puis tout d’un coup une fenêtre s’ouvre. L’annonce est en général si discrète que vous avez une chance sur deux de passer à côté : « messieurs les habitants, la loi prévoit que vous puissiez donnez votre avis, veuillez entrer s’il vous plaît. Oui, oui, vous pouvez vous asseoir. Mais avant toute chose, laissez-nous vous présenter les grandes lignes de notre projet. » C’est là qu’intervient « power point », l’outil obligatoire entre l’expert et la population. Il fige celui qui le regarde l’obligeant à suivre sans rien dire. On présente le projet, décline des chiffres généreux. Les gens suivent inquiets. Ils savent que leurs maisons se trouvent dans le collimateur du plan de restructuration. Ils sont venus en espérant sauver leurs logements de la destruction...
Récit : « Ce que l’on veut savoir, c’est si nous, on va pouvoir rester là ! » Rue Paul Éluard , Mai 2012
Commençons par présenter les différents acteurs de cette réunion de concertation qui s’est déroulée dans le réfectoire de l’école Paul Éluard en face du foyer Bara.
En face de nous, M. Mosmant, maire adjoint à l’urbanisme, M. Leprètre et une femme qui travaillent tous les deux aux services de l’urbanisme de la mairie de Montreuil et qui sont en charge de la restructuration du Bas-Montreuil à travers notamment le PNRQAD. Et le clou du spectacle, sans qui la fête aurait manqué de piquant, Pierre-Antoine Tiercelin, un jeune homme plein d’avenir, un mélange d’urbaniste et d’animateur télé dont le métier est d’organiser des ateliers avec les habitants partout où l’on restructure des quartiers.
Dans la salle, c’est plus difficile à dire. Il y avait sûrement quelques personnes appartenant à des organisations politiques. Mais comme, ils ne nous ont pas fait l’honneur de se présenter, ce ne sont que des suppositions.
Mais il y avait surtout de nombreux habitants, aux multiples situations et aux multiples questions.
La première dispute a porté sur les précédentes réunions de concertation.
Quand ont-elles eu lieu ? Comment les gens ont-ils été informés ?
On a fini par comprendre que, jusqu’alors, la mairie annonçait la tenue de ces réunions de concertation par le biais de Tous Montreuil, le journal de la Mairie et sur le site internet de la mairie dans la rubrique urbanisme puis quartiers puis réunions de concertation. Comme tout le monde ne lit pas assidûment Tous Montreuil, ni ne se rend régulièrement dans les sous-rubriques du site de la mairie, nous étions nombreux à être passés à côté de l’information. Bien sûr, la mairie jouait les innocents.
Mais maintenant qu’elle a lieu et que nous sommes là - cette fois tout le monde a reçu une invitation dans sa boite aux lettres - on avance quand même.
M. Mosmant commence par donner les grands principes qui président à la restructuration du quartier : construire du logement, construire des locaux d’activités, requalifier l’espace public, construire des équipements publics.
La salle écoute.
Les techniciens, la femme et M. Leprètre entrent un peu plus dans les détails : 2 zones d’aménagement concerté (ZAC), la réhabilitation de 35 immeubles, la construction de 115 000 mètres carrés de logement, 65 000 mètres carrés d’activités. Ce qui donne un total de 1 400 logements dont 40 % de logements sociaux. Enfin, il est prévu la création de quatre classes maternelles et sept classes élémentaires. Certaines zones où l’habitat est insalubre feront l’objet d’une intervention lourde, à savoir la destruction et la construction d’immeubles.
La mairie présente les îlots qui seront détruits.
Dans la salle, une poignée d’habitants s’insurgent. Ils habitent l’îlot Voltaire. Les appartements, dont ils sont propriétaires, sont présentés comme voués à la destruction : selon la mairie, ils sont insalubres. Les habitants se demandent à partir de quelles données et sur quels critères la mairie se base pour qualifier leurs maisons et appartements ainsi. Ils disent qu’aucun enquêteur n’ait jamais venu chez eux et ils ne supportent pas que la mairie parle de cette manière des lieux où ils vivent. Leurs maisons ne sont pas insalubres. La mairie répond qu’une enquête a été faite mais que les enquêteurs ne sont pas entrés chez les gens. Ils se sont basés sur l’état des bâtiments tels qu’ils apparaissent vus de l’extérieur.
Une personne demande à M. Mosmant s’il pense mieux savoir que les habitants si leurs maisons sont insalubres.
M. Mosmant répond que oui. D’après lui, les habitants ne savent pas forcément ce qu’il se passe à côté de chez eux. Visiblement la mairie non plus, puisqu’il nous dit lui-même que les enquêteurs ne sont pas rentrés chez les gens.
Quelqu’un d’autre demande à M. Mosmant, s’il est encore possible de revenir sur le projet de destruction/reconstruction de l’îlot Voltaire au regard des protestations des habitants. Il répond que oui.
Mais notre jeune urbaniste-animateur télé, sentant son employeur du soir en difficulté, reprend la main pour nous dire qu’il serait bon de retourner à l’exposé et que le débat aurait lieu après. Il reprend son « power point » et en avant !
Il nous explique qu’il va organiser des ateliers en plusieurs groupes sur différents sujets.
Voici les thèmes :
Le 19 juin : la halle Bada : Quel devenir pour quel projet d’aménagement ? Place de la Fraternité : Quelle vie, quelle activité ? Impasse : Volplier, Axara… des ruelles et des activités, une impasse à valoriser.
Le 25 juin : l’usine Dufour : un bâtiment de qualité, un potentiel à exploiter. Le boulevard de Chanzy : comment apporter plus d’agrément à cet axe ?
Le 27 juin : réflexion autour de l’aménagement de la place et du square de la République. Il nous montre des photos d’ateliers qu’il a menés au Havre.
Vives réactions dans la salle. « Il y a des gens ici dont on planifie la destruction de leurs maisons, et vous voulez les faire participer à des ateliers sur l’aménagement de l’espace public. Vous vous moquez du monde ».
Des personnes, habitants des pavillons qui doivent être détruits au profit d’une école, sont dans la salle.
L’un d’entre eux : « Je ne sais pas si je serai encore à Montreuil dans cinq ans, et vous voulez que je participe à vos ateliers. Vous imaginez même pas le stress de cette situation pour nous. »
Une dame adjointe à la maire, se lève et dit avec la plus horrible condescendance : « Mais monsieur., on se connaît, vous avez été reçu par madame la maire, elle a répondu à vos inquiétudes. »
Il répond : « oui, oui, elle m’a donné quatre ans. »
On nous dit finalement qu’il y a un malentendu. Cette réunion de concertation ne concerne pas le PNRQAD, à savoir la destruction de certains îlots, mais les ZACS.
Pour discuter de cela, ce sera une autre réunion.
On demande quand.
Devant l’insistance du public, ils lâchent septembre.
On demande comment on sera informé.
Ils nous demandent de laisser nos adresses mail. On dit que les tracts dans les boites aux lettres, c’est très bien. On laisse aussi nos mails. M. Mosmant évoque l’idée de faire un atelier par îlot.
Un monsieur demande, quel sera le sort des commerces dans les îlots détruits.
M. Mosmant répond qu’il n’en sait rien. Il dit simplement que la société en charge sera la SOREQA, l’ancienne SIEMP. Il nous dit que la SIEMP était en charge de la requalification des quartiers populaires à Paris. Maintenant que le travail est fini dans la capitale, elle change de nom et vient faire le boulot à Montreuil.
Pour M. Mosmant cela semble être une assurance pour les habitants que leurs situations seront prises en compte.
La différence de point de vue est frappante. Pour beaucoup d’habitants de Montreuil qui ont quitté Paris pour la banlieue à cause de la hausse du coût de la vie, évoquer Paris ne les rassure absolument pas. On demande quand même s’il n’y a pas un droit au relogement pour les commerçants comme pour les habitants. On a une brève explication de notre animateur télé disant « Que non, mais que oui ». On n’est pas plus avancé.
Suite à cela, un jeune demande : « Mais finalement ce que l’on veut savoir, c’est si nous, on va pouvoir rester là ! »
Là, notre urbaniste, fait la bourde du soir : « C’est vrai que l’on ne fait pas la concertation avec les futurs habitants. On ne peut le faire qu’avec les actuels. » Tout le monde se marre. Enfin, un peu de vérité sur un plan d’urbanisme qui a pour premier objectif d’accompagner et de favoriser la venue d’une nouvelle population et d’adapter la ville à leurs nouveaux besoins.
Au revoir les cols bleus, bienvenues les cols blancs.
Pendant toute cette présentation « power point », on parle des immeubles insalubres mais jamais des gens qui y habitent. Lors d’un plan de transformation d’un quartier, on comprend bien que les « habitants » c’est une chose très abstraite. Du point de vue des urbanistes, les habitants d’une ville ont vocation à changer, ils n’en sont que des usagers provisoires, voués à partir ailleurs au gré des emplois qu’ils trouveront, ou de la transformation économique de la ville. Les gens réels, concrets, qui habitent tel immeuble, tel étage, depuis tant d’années, qui ont tels besoins, telles aspirations ne figurent pas dans le plan de requalification de la ville, sinon à la toute fin quand tout a déjà été planifié.
Récit : Pénétrer la grammaire de ce qui se fait réellement. Rue de Paris, Février 2012
On installe, de fait, des habitants dans une situation anxiogène paroxystique, si l’on admet (quand on sait) que le logement acheté est pratiquement le seul capital possédé par une personne de condition modeste, au terme de son activité salarié, qui, de surcroît, ne connaît pas la situation présente de l’Irlande, du Portugal, de la Grèce, de l’Italie, entre autres, et craint, à bon droit que l’on ajoute ainsi du chaos particulier au chaos général dans sa vie.
Les désastres financiers de l’Europe s’arrêteraient-ils aux frontières de la France, tout comme les nuages de Tchernobyl ? De plus, sachant que la cupidité des uns ont fait, justement là, le malheur des autres, des analogies possibles peuvent l’interpeller et l’inquiéter, la spéculation immobilière n’apparaissant pas comme un îlot de bienfaisance, ni de transparence, ici comme ailleurs.
On fait peu de cas de personnes qui habitent à Montreuil depuis des dizaines d’années, voire depuis plusieurs générations. Toutes ces vieilles habitations ont été retapées, agrandies, améliorées, selon des règles non écrites, celles de la vie et de l’usage. Le temps peut effacer effectivement les linéaments et justifications de ce qui est, sans les rendre obsolètes pour autant, puisque la vie, ainsi qu’elle se déroule, décide de ce qui est. Seul l’usage fait sens. Et, l’usage, c’est plus que manger, dormir et travailler. Fera-t-on dans l’urbain les même errements connus avec les remembrements brutaux opérés dans les campagnes dans les années soixante ? Compensera-t-on ici les dégâts avec des antidépresseurs, considérant qu’il est question ici de personnes et non seulement de talus et de haies ? Il est permis de le craindre après avoir entendu un représentant de l’urbanisme, parler de la reconfiguration du quartier comme d’une « remédiation au désordre » dont nous ne savons s’il faut l’entendre comme une valeur morale ou une apologie de l’esprit géométrique.
« Une maison doit vivre » dit quelque part notre maire. Cet impératif concernerait-il aussi les habitants de ces maisons. Comment vivre, avec quelque bonheur, dans une maison dès lors que l’on apprend qu’on en sera expulsé, à plus ou moins brève échéance, avec une faible compensation financière. Fringant avenir... pour ensuite aller où ?
Après les nombreuses protestations de petits propriétaires occupant leurs maisons, notamment lors des réunions de concertation, la mairie semble avoir fait machine arrière. Dans de nombreux cas, elle a redéfini partiellement ses projets de démolition/reconstruction.
Récit : « Tout est normal dans le cadre du PNRQAD » Place de la Fraternité - Rue Étienne Marcel, Août 2012
Le 2 août 2012, l’un des participants au collectif Prenons la ville est témoin de l’expulsion de tous les habitants de l’immeuble voisin au sien. Voici, son récit.
Bagnolet, toujours l’été, comme l’expulsion de la rue Robespierre de l’année 2011, ce matin 2 août, 8 heures, expulsion ou « évacuation » comme le répétaient les services de police et de la mairie, du 182 rue Étienne Marcel (îlot donnant sur la place de la Fraternité comme le café « Le bouliste », lui aussi concerné par l’expulsion). Sans prévenir de la date d’expulsion, même pour les familles dont il était prévu un relogement, par surprise donc puisque certains étaient partis au travail ou en vacances... et à grand renfort de police, le déménagement de tout le monde devait se faire ce jour.
Un arrêté de péril permettant « l’évacuation » avait été signé la veille par l’élu au logement, comme par hasard, après des années d’abandon de gestion municipale depuis l’acquisition en 2003, tout devient urgent pour l’ensemble des trois bâtiments de l’îlot. Une espèce de communiqué non signé par la mairie est affiché à la va vite à l’entrée de l’îlot expliquant que tout est normal dans le cadre du PNRQAD. Sur place, pas d’élus mais les services logement et le CCAS de la mairie sont présents exactement comme si il s’agissait d’une opération faite en urgence alors que la démolition était prévue depuis longtemps.
Une famille avec enfants reste sur le carreau (elle sera envoyée à Bobigny en hôtel). La raison invoquée : « pas de solutions de logements de l’OPHAC à cause de vieux arriérés de loyers ». Pour la police, il y a « péril imminent », pour la mairie « tout le monde est relogé, tout se passe à merveille », il y aura « des logements sociaux et un local commercial », et pour les déménageurs, vigiles et services techniques de la mairie, ils ne sont pas « responsables », ils ne font juste que « collaborer ».
En ce qui concerne les squatteurs qui étaient au fond de cette parcelle, ils continueront, dans le meilleur des cas mais probablement pas éternellement ,à passer de lieu en lieu précaires dans le quartier, pour ce qui est des relogés, à leur grand dam ils ne resteront pas dans le quartier contrairement à ce qui est préconisé dans les plaquettes liées au PNRQAD, c’est-à-dire « le maintien des populations dans le quartier ». Il n’y aura donc pas d’opération tiroirs [6].
Janvier 2013
Pour les risques urgents d’écroulement, six mois après l’expulsion, l’immeuble est toujours debout. Et puis pour ce qui est du Chêne liège il reste en place tant que ses racines résistent dans le sol. Et pour ce qui est de l’association du jardin partagé, promesse lui a été faite de retrouver son terrain après travaux (pour l’instant le jardin a été déplacé de l’autre côté de la place de la Fraternité côté Montreuil sous convention de 18 mois). En fait la seule urgence était bien sûr de rassurer l’opérateur immobilier Amétis qui s’est trouvé acquéreur de cet îlot auprès de la mairie en juin 2011 en vue d’une installation d’une population de salariés venant de RATP, Auchan et de La Poste. La manière brutale de cette opération d’expulsion, ce doit être cela ce qui est marqué sur le site d’Amétis : « on construit une nouvelle idée de la ville ». Mais aujourd’hui avant de construire il va falloir s’occuper des deux plaintes déposées, l’une émanant d’un expulsé et l’autre d’un voisin constatant dans le projet la suppression du passage d’accès à sa propriété.
Squats expulsés, foyers restructurés
Un foyer, c’est comme un quartier. Particulièrement le foyer Bara. C’est une institution dans la ville. C’est le plus connu des foyers du fait de son ancienneté mais aussi de sa proximité avec Paris. C’est le plus grand avec plus de 1000 résidents. C’est aussi un des plus animés avec son petit marché, ses artisans et sa cantine. C’est un des points de visibilité de la communauté malienne à Montreuil.
Comme le quartier qui l’entoure, il a vocation à être restructuré pour cause d’insalubrité. La transformation de l’un et l’autre semble répondre aux mêmes logiques : justifier la restructuration par une insalubrité dont le pouvoir est largement responsable ; améliorer la vie de certains et mettre les autres dehors ; effacer la présence des classes populaires ; supprimer des formes d’autonomie et d’auto-organisation ; évincer les micro-économies communautaires ; renforcer les formes de contrôles, etc. Dans le viseur du mot insalubrité, il n’y a pas seulement la peinture au plomb, la sur-occupation, les marchands de sommeil, il y a aussi des manières de vivre, de petites activités économiques, certains commerces, de l’auto-construction... tout une ville faite de débrouille et de solidarité produite par les gens eux-mêmes. Un plan de restructuration ne fait pas de différence entre ces deux réalités, il veut les supprimer toutes les deux. On peut même dire que la suppression de l’une est l’occasion rêvée de supprimer l’autre.
Récit : A propos de la restructuration du foyer Bara - Rue Bara , 5 juin 2012
Nous étions deux personnes du collectif Prenons la Ville à nous être rendues à un conseil de quartier où il était question de la restructuration du foyer Bara. Le conseil de quartier a convoqué cette réunion après avoir constaté l’insalubrité du foyer. Il semble aussi que certains voisins du quartier se sont plaints que cette insalubrité leur portait préjudice et ont saisi la mairie pour qu’elle réalise une enquête d’insalubrité. Il y avait donc présents des délégués des foyers Bara, des représentants des Sorins, deux personnes de Coalia (le bailleur en charge de la gestion, ex-Aftam), et pour la mairie de Montreuil, Claude Resnik, délégué aux minorités, ainsi que des habitants du quartier participants au conseil.
Coalia a d’abord présenté son projet de restructuration. Ils veulent remplacer le foyer Bara par cinq petites résidences sociales dans le Bas-Montreuil. En l’état actuel, il est prévu un foyer de 92 places rue Voltaire, un autre de 40 places rue Hayek, un autre de 37 places rue Lebourg Arago, un autre de 80 places rue du Progrès, et enfin le foyer de la rue Bara sera détruit et reconstruit pour accueillir 120 personnes. Il manque donc encore 80 places pour remplacer les 410 places officielles du foyer Bara et commencer le projet. Évidemment, le projet ne prend pas en compte les résidents surnuméraires, pour reprendre leur expression. On sait qu’aujourd’hui, plus de 1 000 personnes résident au foyer. Ce qui signifie que moins de la moitié des résidents actuels pourront prétendre à un relogement dans les nouveaux foyers. Il faudra une dizaine d’années pour réaliser le projet dans sa totalité. Il s’agira de chambres individuelles de 18 m2 avec une salle de bain, le tout accessible pour une personne handicapée. Le projet est actuellement bloqué du fait de la difficulté à trouver et à acheter du terrain. Enfin, ils disent qu’en septembre, ils commenceront la MOUS (Maitrise d’Œuvre Urbaine et Sociale) relogement, c’est-à-dire l’enquête diagnostic concernant les habitants et leurs besoins.
Dans la salle, les habitants du foyer et les habitants du quartier demandent ce qui va se passer en attendant les dix ans compte tenu de l’état d’insalubrité du bâtiment. Ils demandent que des travaux soient réalisés. Mais Coalia refuse de faire faire des travaux. Ses représentants disent investir plus d’une centaine de milliers d’euros chaque année dans le foyer entre charges et travaux. Ils ne peuvent pas faire plus : « cela serait mettre un pansement sur une jambe de bois ». On leur rappelle que les habitants payent un loyer d’environ 200 euros par mois. Multipliés par le nombre de résidents officiels (410), cela fait plus de 80 000 euros par mois, pour une année, cela fait plus de 800 000 euros. Ils nous répondent que cela couvre à peine les frais de chauffage et autres petits travaux. On reste sceptique, ils restent inflexibles.
Claude Reznick prend la parole pour parler de la reconstruction d’un autre lieu : le foyer Centenaire. Le foyer Centenaire est un lieu autogéré obtenu par la lutte. Aussi, il n’y pas de résidents officiels et d’autres surnuméraires. Aucun bailleur ou autre institution gestionnaire pour dire qui est légitime, qui ne l’est pas. Reznick explique que suite aux discussions avec les résidents du foyer, ils ont décidé de ne pas respecter les normes imposées par l’Etat en matière de résidence sociale. Le foyer comprendra des chambres simples et des chambres doubles, des appartements partagés, des boutiques pour accueillir les artisans du foyer, une cantine et une pièce collective. On lui demande si les sans-papiers eux aussi seront relogés dans le foyer. Il nous dit, un peu embarrassé, qu’eux aussi seront relogés mais il s’empresse de dire que pour Bara, cela ne sera pas possible ou plutôt difficile. Le représentant de Coalia en remet immédiatement une couche pour dire que même si à Centenaire tous seront acceptés, de fait tous n’auront pas les mêmes droits. Bref, l’exemple du Centenaire gène car il montre comment il est possible d’améliorer les conditions de vie des habitants sans en mettre la moitié à la rue, en prenant en compte l’économie propre des habitants du foyer, les besoins de vie collective, etc.
Mais il ne faut pas idéaliser la restructuration du foyer Centenaire. Cela ne se fera pas sans contrepartie. Sûrement, les habitants perdront une part d’autonomie puisque la vie du futur foyer sera en partie réglée par un gestionnaire institutionnel. En sortant de cette réunion, on se dit qu’il faudrait aller discuter avec les résidents du foyer Centenaire.
Récit : Une année de lutte - Rue des Sorins , 29 juillet 2011
Le dimanche 29 juillet 2012, une partie des anciens habitants de la rue des Sorins avec quelques soutiens ont organisé une manif anniversaire en repassant sur les lieux de luttes qui ont suivi leur expulsion à la fin du mois de juillet 2011 : le squat de la rue des Sorins, la place de la Fraternité, le square de la place de la République et le stade du boulevard de Chanzy. Un participant du collectif était présent. Il se remémore cette lutte dans le quartier.
Le 94 rue des Sorins, c’était un très grand bâtiment squatté depuis 2008 par 300 personnes. Début mai 2011, les habitants apprennent qu’ils sont expulsables. Ils se mettent à lutter contre leur expulsion et demandent des logements et des papiers. Beaucoup de personnes se montrent solidaires.
Dès qu’ils commencent à se mobiliser, les habitants sont la cible d’un harcèlement policier : plusieurs jours de suite, des sans-papiers sont arrêtés dans les rues autour du squat. A la toute fin du mois de juillet 2011, les habitants sont expulsés. Environ 70 personnes sont arrêtées et placées en garde-à-vue. La préfecture notifie des des obligations de quitter le territoire français (OQTF) à chacune d’entre elles et, au hasard pour certaines, des interdictions de retour. Pour les 10 personnes interpellées avec un document d’identité, c’est le centre de rétention de Bobigny pendant 5 jours. Les anciens habitants décident pour la plupart de rester ensemble et de continuer à lutter. Ils campent d’abord une nuit place de la Fraternité puis restent presque un mois square de la République, et presque trois mois en plein hiver sur un stade de foot boulevard Chanzy.
Durant ces quelques mois, les Sorins ont organisé un rassemblement devant la mairie, plusieurs manifestations à Montreuil, participé à des manifs à Paris, lancé des rassemblements devant les ambassades de différents pays, appelé à des réunions avec des soutiens, fait des points d’infos tous les jours et des repas de soutien chaque semaine.
Préfecture et mairie ont reçu des habitants des Sorins. La préfecture a refusé de considérer leur demande de logement et de régularisation et leur a dit d’être les moins visibles possible. Quant à la mairie, elle les avait encouragés à faire des milliers d’euros de travaux « d’hygiène et de sécurité » chez eux, juste quelques semaines avant l’expulsion. Ensuite, elle leur a conseillé de s’installer sur le stade du boulevard de Chanzy, propriété du conseil général, qui a obtenu rapidement un jugement d’expulsion. La mairie a quand même compris, au vu de la mobilisation des ex-habitants des Sorins, qu’il était de son intérêt politique de trouver une issue à leur proposer ne serait-ce que temporaire.
A présent et depuis fin 2011, après un séjour dans un gymnase de la ville, le collectif a trouvé refuge dans une usine désaffectée rue des Papillons dans le quartier Villiers-Barbusse. La mairie a fourni le mobilier modulaire, fait des travaux de mise aux normes, a équipé le lieu avec sanitaires, cuisine... a fait signé une convention d’occupation très précaire à renouveler régulièrement, et un joli article dans Tous Montreuil. La mairesse nouvellement bien intentionnée les a tout de même mis en garde le jour de l’installation en leur demandant de faire attention à ce lieu car « si ça brûle, vous perdez vos vies et je vais en prison ». Aujourd’hui le « groupe des Sorins », constitué en association a comme projet l’achat collectif du lieu pour en faire un foyer type « foyer de la rue du Centenaire ».
Il y a aussi la « Maison des familles », rue Voltaire, autre lieu occupé par les ex-Sorins avec l’aval de la mairie. Cet endroit est la propriété de l’évêché qui lance procédure d’expulsion sur procédure d’expulsion. Mais la mairie de Montreuil s’est fait une spécialité d’installer des habitants sur des lieux qui ne lui appartiennent pas.
Pour l’instant, les ex-habitants des Sorins se sont organisés pour avoir un toit mais leur situation reste précaire, et soumise aux décisions des propriétaires.
Témoignage : « Il y a une volonté d’assainir le quartier » - Rue Robespierre, Octobre 2012
M. Sow squattait une maison au 178 rue Robespierre à Bagnolet. Lui et ses camarades ont été expulsés deux semaines avant l’expulsion du squat la rue des Sorins, situé à deux pas de là. L’été 2011 fut un moment d’accélération dans la restructuration du quartier avec l’expulsion coup sur coup de deux squats et l’expulsion de plus de trois cents personnes. La maison de M. Sow fut immédiatement murée et surveillée par un vigile. Les habitants se sont installés devant la maison et ont occupé le trottoir pendant plus d’un mois. Ils se faisaient régulièrement virer par les flics. M. Sow nous livre ce témoignage :
« Je m’appelle M. Sow et je suis délégué du 178 rue Robespierre à Bagnolet, l’immeuble qui a été évacué le 26 juillet 2011, en pleine matinée et sans préavis. Ils sont venus et nous ont fait sortir. Depuis, on est laissés pour compte. Après maintes batailles et alors que nous sommes en contact avec la mairie, ils n’ont rien pu faire pour nous. L’objectif qu’ils avaient de nous disperser, de nous éloigner du quartier, a été à peu près concluant. Tous les contacts avec la mairie ont été réduits à néant, vu le manque de volonté, le manque d’encouragements pour essayer de nous trouver quelque chose pour nous abriter, pour qu’on puisse rester dans le quartier. Jusqu’à preuve du contraire, on est là, on continue à batailler, on tourne dans le quartier. Il y a certains qui ont réouvert d’autres squats, d’autres qui se sont fait expulser à nouveau. On est en octobre 2012, personne ne nous a vraiment aidé à trouver quelque chose, que cela soit pour les papiers ou pour les logements. Même une simple mesure d’accompagnement n’a pas pu être faite. Nous, on est là, on est à l’abordage, on baisse pas les bras. Dès que l’occasion se représentera de se battre, d’avoir gain de cause, on sera là. Dans la commune voisine d’en face à Montreuil où il y avait les Sorins, c’est le statu quo, il y a pas eu de solution définitive à leur problème jusqu’à preuve du contraire. Nous, nous espérons vraiment que nous pourrons avoir quelque chose à travers les deux municipalités. S’ils peuvent le faire, nous ne savons pas... Comme le gouvernement a changé, comme le pouvoir a changé, on espère vraiment qu’il y aura des oreilles pour nous écouter et qui pourront nous aider à sortir de ce pétrin qui perdure depuis très longtemps. Vraiment, on est au bord du ras-le-bol, ça nous accable vraiment. On est là, on se sent inutiles, on ne sait pas à quoi s’en tenir.
L’objectif principal quand même, c’est d’avoir des logements, d’avoir un gain à notre lutte parce qu’on ne peut pas expulser des gens comme ça, les oublier complètement et ne rien entreprendre pour trouver des solutions adéquates pour améliorer leurs conditions de vie. C’est ma petite contribution au journal que vous écrivez et, si ça peut faire bouger les choses, c’est pas mal. Parce qu’on voit qu’il y a une volonté d’assainir le quartier, d’essayer de changer de population, d’envoyer les plus démunis très loin et de ne rien faire pour les aider, de nettoyer le quartier : c’est l’objectif principal de cette municipalité affiliée communiste. Voilà, nous, nous avons été expulsés il y a longtemps, il y a plus d’un an. Pour les expulsions à venir, on peut essayer de les freiner un peu, de trouver des solutions adéquates avant une expulsion quelconque, devant ce nettoyage, cet éloignement des populations démunies du quartier. L’objectif est que les choses bougent vraiment. Voilà, c’est tout ce que j’avais à dire ».
Au début, notre attention s’est principalement portée sur les immeubles promis à la destruction. Nous imaginions déjà, l’armée de bulldozer, les gens jetés à la rue ou mis à l’hôtel à l’autre bout de la région parisienne. Notre perception était encore marquée par les grandes opérations urbanistiques des décennies précédentes. Si ce n’est avec les franges les plus précaires de la population (les squatteurs, immigrés, sans-papiers), aujourd’hui le pouvoir agit généralement de manière plus incidente et indirecte.
En réalité, les interventions directes de destruction/reconstruction de la mairie sont étalées dans le temps et dans l’espace. Elles se limitent à des interventions stratégiques. Elle construit des infrastructures valorisant le quartier : école Microsoft, éco-piscine, résidence pour artistes, habitat partagé, etc. Elle intervient dans des opérations de destruction/reconstruction d’immeubles d’habitations seulement quand le marché abandonne des parcelles trop difficiles à valoriser du fait notamment d’une situation foncière inextricable, etc. Lors de ces opérations la municipalité est obligée de reloger les habitants concernés. Ce qu’elle ne manque généralement pas de faire, montrant ainsi son souci de maintenir les habitants dans le quartier. Mais en réalité cela ne représente qu’une petite partie des personnes menacées de partir. Pour comprendre les effets de la restructuration sur les habitants, il ne faut pas regarder juste à l’endroit où la mairie intervient, mais autour, dans le périmètre valorisé par son action... Là, le marché ne manquera pas de se débarrasser de ceux qui ne peuvent suivre la hausse des prix sans qu’aucun droit au relogement ne soit prévu.
Montreuil-Bagnolet « avec le tri, simplifiez vous la vie »
Tout est propre, les mairies s’en lavent les mains.La Ville veut trier les gens comme elle trie les déchets encombrants. D’un côté ceux que l’on jette à la rue et qu’ensuite on traque pour qu’ils ne puissent pas s’y installer, trouver un endroit pour habiter ou faire exister des formes de solidarité. Ceux dont elle ne veut pas, qu’ils vivent en bidonville ou en squat, elle y mettra beaucoup de moyens pour s’en débarrasser.
De l’autre, la ville choisit ceux qu’elle voudra bien intégrer à ses conditions.
Pour une minorité de Rroms sélectionnés, les villes construisent des Algecos qu’on appelle « village d’insertion ». Là ils deviennent des animaux de laboratoire pour une multitude d’agents sociaux, de vigiles ou d’ASVP. Au bout de quelques années, ils sont retriés. Ils sont soit rejetés et déclarés non intégrables en fonction de critères comme les papiers, le travail, la bonne pratique du français, des enfants scolarisés ou leur âge, soit mis en logement social.
Pour les autres, harcelés par flics et mairies, ils sont renvoyés de ville en ville jusqu’au pourrissement de leur situation. Les préjugés racistes se chargeront du reste.
Le 17 avril dernier, sur deux terrains où des Rroms vivent, à Stains et à Montreuil, des personnes sont allées mettre le feu à leurs habitations.
Le 2 mai, les Rroms habitant la halle Dufriche, rue de Paris à Montreuil, ont été expulsés ; leurs maisons ont été détruites avec la plupart de leurs affaires. Ils ont donc tenté de réoccuper des terrains et en ont été expulsés immédiatement.
Pour les migrants maliens nouvellement arrivés sur Montreuil, la ville dit en avoir déjà trop fait. Elle les renvoie vers les associations maliennes qui leur disent qu’ils sont « des jeunes sans attaches », qu’ils ne peuvent pas rester et les poussent à demander des aides au retour. Lorsqu’ils cherchent à s’abriter dans un endroit pourtant vide et sans projet, ils en sont violemment expulsés. C’était le 6 mai, rue Rapatel à Montreuil ; ils étaient près d’une centaine.
La ville ne veut surtout pas qu’ils s’installent. Circulez, il faut trier. Les flics et ASVP sont même venus chasser les maliens de la placette devant Bara sur laquelle ils vivent et dorment.
A travers la restructuration du foyer Bara où la pose de la première pierre du foyer Centenaire, la ville sélectionne. Les programmes de rénovation ne sont pas destinés à toutes les personnes qui y vivent et qui s’en servent.
Les villes nous assomment avec ces projets solidaires, alternatifs et bourgeois-branchés, mais quand ceux-ci sortent du cadre commercial et marchand, elles feront tout pour y mettre un terme. C’est le cas, à Bagnolet, du Transfo, un lieu occupé depuis novembre 2012 et ouvert sur la ville, vide depuis plusieurs années (57 av. de la République). Des personnes s’y organisent sur des bases non marchandes. Ce lieu est maintenant menacé d’expulsion.
Leur ville se construit en choisissant ses habitants tout en la vendant au plus offrant que ce soit des bailleurs publics ou privés.
Leur projet n’est pas le nôtre.
Nous voulons des lieux pour vivre et s’organiser et nous les prendrons !
Collectif Prenons la ville
Mai 2013
Dégâts collatéraux – Gentrification, une politique à part entière
Au début, notre attention s’est principalement portée sur les immeubles promis à la destruction. Nous imaginions déjà, l’armée de bulldozer, les gens jetés à la rue ou mis à l’hôtel à l’autre bout de la région parisienne. Notre perception était encore marquée par les grandes opérations urbanistiques des décennies précédentes. Si ce n’est avec les franges les plus précaires de la population (les squatteurs, immigrés, sans-papiers), aujourd’hui le pouvoir agit généralement de manière plus incidente et indirecte.
En réalité, les interventions directes de destruction/reconstruction de la mairie sont étalées dans le temps et dans l’espace. Elles se limitent à des interventions stratégiques. Elle construit des infrastructures valorisant le quartier : école Microsoft, éco-piscine, résidence pour artistes, habitat partagé, etc. Elle intervient dans des opérations de destruction/reconstruction d’immeubles d’habitations seulement quand le marché abandonne des parcelles trop difficiles à valoriser du fait notamment d’une situation foncière inextricable, etc. Lors de ces opérations la municipalité est obligée de reloger les habitants concernés. Ce qu’elle ne manque généralement pas de faire, montrant ainsi son souci de maintenir les habitants dans le quartier. Mais en réalité cela ne représente qu’une petite partie des personnes menacées de partir. Pour comprendre les effets de la restructuration sur les habitants, il ne faut pas regarder juste à l’endroit où la mairie intervient, mais autour, dans le périmètre valorisé par son action... Là, le marché ne manquera pas de se débarrasser de ceux qui ne peuvent suivre la hausse des prix sans qu’aucun droit au relogement ne soit prévu.
Récit : Locataire en sursis - Rue de l’Avenir , 2 avril 2012
Une habitante du quartier est venue nous voir car son propriétaire l’a assignée en justice pour qu’elle quitte l’appartement où elle vit. Il prétend vouloir y loger un membre de sa famille. Elle n’y croit pas. Bien qu’elle ait fait un recours contre la décision du juge, elle reste expulsable.
Un propriétaire peut demander à un locataire (en règle avec son loyer et son assurance), de quitter sa maison à la fin du bail (c’est-à-dire tous les 3 ans) à la condition de vouloir y loger un membre de sa famille ou de vouloir vendre son bien. Ce n’est souvent qu’un prétexte pour changer de locataire et au passage augmenter le loyer.
Cette habitante, venue nous voir, est locataire du même appartement depuis 21 ans. De ce fait elle paye un loyer relativement bas. C’est certain qu’elle ne trouvera pas dans le quartier un appartement au même prix et sera obligée de se loger ailleurs, dans un quartier plus excentré.
Elle nous dit que son ancien voisin a connu une situation comparable. Il a été obligé de quitter son appartement au prétexte que le propriétaire voulait y loger un membre de sa famille. Plus tard, il a su que le propriétaire avait reloué l’appartement et augmenté le loyer après avoir réalisé quelques travaux. Il a porté plainte contre le propriétaire qui s’est vu obligé de lui verser une indemnisation. Par contre, il n’a pas obtenu sa réintégration dans le logement.
Point juridique : « Encadrement » des loyers : rien de neuf sous les pavés…
Depuis le 1er août 2012, un nouveau décret est mis en place pour « encadrer les loyers ». L’évolution des loyers est encadrée dans 38 agglomérations (dont Montreuil et Bagnolet). La hausse des loyers pour les logements concernés est limitée à celle de l’indice IRL fixé par l’Insee, et ce, à l’occasion soit du renouvellement d’un bail avec le(s) même(s) locataire(s), soit d’une nouvelle location. Cet indice, calculé chaque trimestre, était de 2,2 % pour le deuxième trimestre 2012. Ce taux sera donc celui de la hausse maximale des loyers renouvelés ou établis en août 2012.
En réalité, ces mesures bénéficieront encore aux propriétaires. Car il existe deux exceptions pour une hausse des loyers supérieure à l’indice de référence (IRL) :
- si le loyer est manifestement sous-évalué, ce qui signifie que si vos voisins paient plus cher que vous, il n’y a pas de raison que vous continuez à payer moins cher ;
- si des travaux importants de rénovation ont été faits par le propriétaire (ex. les travaux dans la cage d’escalier qu’il a toujours refusé de faire alors que vous payez des charges pour l’entretien de l’immeuble).
Témoignage : « Elle nous a proposé de racheter la maison, 300 000 euros pour un pavillon deux pièces alors qu’on y paie le loyer depuis 70 ans ! » - Rue de l’Avenir , Décembre 2012
Au-delà des expulsions de squats, des destructions d’immeubles ou des plans nationaux de rénovation, la gentrification d’un quartier se déroule quotidiennement, progressivement et discrètement : rachat d’anciennes usines pour les réhabiliter en lofts, augmentation des loyers, non-renouvellement des baux locatifs... C’est cette dernière technique qui est utilisée par la riche propriétaire d’un immeuble du quartier des Coutures (elle-même domiciliée dans le 16e arrondissement de Paris et détenant d’autres immeubles) pour le vendre vide et ainsi se faire le plus d’argent possible.
L’immeuble compte six logements et un petit pavillon en fond de cour. Il a été réhabilité il y a une dizaine d’années. Un studio s’y loue actuellement pour environ 600 euros. Certains locataires sont très anciens et leur loyer reste largement en deçà des prix actuels du marché. Vendre l’immeuble vide est ainsi bien plus rentable pour qu’un nouveau propriétaire puisse le relouer ensuite en étant débarrassé de ces contraintes sur le montant des loyers. Certaines personnes du collectif habitent l’immeuble et ont discuté avec un couple locataire dans l’immeuble depuis 70 et 50 ans et qui ont reçu un courrier leur laissant six mois pour partir trouver autre chose. Voici le témoignage du monsieur :
« Mes parents sont arrivés ici dans les années 30, ils venaient d’Italie. Ils ont fui le fascisme en Italie. A cette époque c’était la misère, il n’y avait pas de travail ou alors il fallait prendre la carte du parti et mettre la chemise noire et ça mon père a refusé, alors ça devenait dangereux pour lui et il est parti en France. Avant de s’installer ici, on a habité plusieurs endroits dans le quartier, on allait là où on pouvait, on n’avait pas grand-chose. Ici maintenant c’est une petite maison mais à l’époque, quand on s’est installé il y a 70 ans, il n’y avait presque rien, on habitait dans une pièce, c’est nous qui avons tout aménagé dans la maison. C’est pour ça que ça me fait mal au cœur de partir, c’est toute une vie ici. Mais on partira pas tant qu’on n’aura pas ailleurs où aller, on veut pas être à la rue.
C’est sûr que j’ai plein de souvenirs dans le quartier, je me souviens même de la guerre, quand les sirènes hurlaient et qu’on allait être bombardé on allait se réfugier dans la cave de l’immeuble, qui existe toujours, ou alors à la station de métro Robespierre. Un jour l’église qui est avenue de la République a même été détruite par une bombe ! A l’époque il n’y avait que des Italiens dans le quartier. D’ailleurs il existe toujours un « passage des Italiens », certains ont lutté pour conserver le nom, en mémoire des italiens qui habitaient ici. C’est sûr que le quartier était différent, il y avait des petites maisons avec des jardins et plein de ruelles, c’était mieux. Enfin non je sais pas si c’était mieux, c’était dur, les logements étaient un peu insalubres, on n’avait pas grand-chose. Par contre ici dans la rue et dans le passage, on était surtout des Italiens et on se connaissait tous, on discutait le soir ensemble. C’est sûr qu’aujourd’hui c’est chacun chez soi, d’ailleurs la plupart des passages sont fermés, les gens ont peur et restent chez eux. Autour du quartier, il y avait des endroits où c’était un peu la campagne, le parc des Guilands par exemple, après c’est devenu une piste de moto-cross avec des compétitions internationales. Nous on jouait là-bas, on y passait nos week-ends. Le quartier a changé, avant il y a avait beaucoup plus de commerces sur la rue Robespierre, des primeurs, un boucher... Et surtout le prix des loyers a énormément augmenté, j’ai regardé, c’est presque comme Paris maintenant. En même temps Paris c’est vraiment juste à côté.
Moi j’ai travaillé toute ma vie dans le bâtiment, j’ai commencé à 15 ans et maintenant je suis à la retraite. Ça fait 70 ans que je suis dans l’immeuble, ma femme 50 ans. C’est toute une vie. On a aménagé progressivement, il n’y avait pas de toilettes, pas de salle de bain. On a fait une deuxième pièce, aménagé le grenier. La propriétaire de l’immeuble a une fortune colossale. Elle a hérité de son père qui était dans l’immobilier. Ils ont plusieurs immeubles à Bagnolet et dans le 16e à Paris. Il y a quelques mois un expert est venu, il ne nous a pas dit pourquoi, je pensais que c’était pour un dégât des eaux, il a inspecté tout l’immeuble. Un mois après on a reçu une lettre pour nous signifier le congé pour vente avec 6 mois de préavis, sans relogement. C’est la loi car la propriétaire est plus vieille que nous [7]. Elle nous a proposé de racheter la maison, 300 000 euros pour un pavillon deux pièces alors qu’on lui paie le loyer depuis 70 ans ! Évidemment on n’a pas les moyens et les banques ne font pas de crédit à des gens de notre âge. La propriétaire ne nous a jamais rien dit autrement que par lettre. On a appris ensuite par le gérant que tous les locataires sont concernés. Elle veut vendre l’immeuble vide, c’est plus rentable il paraît. Elle n’a même pas encore prévenu tous les locataires. En plus, l’expert a rappelé il y a une semaine pour savoir si on avait trouvé un autre logement, comme si on pouvait trouver en un mois. Il nous a dit que c’était pas cher à Bagnolet. On est retraité, on n’a plus les moyens de louer dans le privé dans le quartier.
Ça fait mal au cœur mais on accepte de partir. Par contre on veut être relogé. En plus ma femme s’occupait de l’entretien de l’immeuble et elle perd aussi cet emploi. On est allé voir la mairie pour demander un logement social, elle nous a dit que c’était 3 ans d’attente minimum. Moi je connais des gens qui attendent depuis 10 ans. Elle nous a aussi parlé de maisons de retraite où on peut être autonome mais il y a des listes d’attente, alors on verra bien. En tout cas on bouge pas d’ici tant qu’on n’a pas un autre endroit où aller. On s’est renseigné auprès d’associations de défense de locataires comme l’ADIL (Agence Départementale d’Informations sur le Logement), on sait qu’on aura des délais, qu’on ne peut pas nous mettre à la rue du jour au lendemain mais bon, on voudrait savoir où on va habiter. C’est important qu’on se parle tous dans l’immeuble, on est tous concerné, il faut qu’on s’entraide, qu’on s’informe, il y a aussi un monsieur encore plus âgé que nous dans l’immeuble, il faut qu’il demande aussi à être relogé ».
Point juridique : A propos du non-renouvellement de bail
A savoir : votre propriétaire vient de vous signifier par lettre recommandée, six mois avant l’échéance de votre bail de location, que vous devez quitter les lieux. Votre contrat de location ne va pas être renouvelé. Pour que ce congé soit valable, le propriétaire ou le bailleur doit le justifier avec un motif valide prévu par la loi, sinon vous pouvez considérer ce congé comme nul et non avenu. La loi du 6 juillet 1989 dans son article 15-1 stipule que lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être motivé avec l’un des motifs suivants :
- reprise du bien loué par le bailleur (propriétaire) au profit du conjoint, du concubin notoire (depuis au moins un an), des ascendants (parents) ou des descendants (enfants) du bailleur ou de ceux de son conjoint ou de son concubin notoire
- vente du bien loué
- faute manifeste du locataire : défaut d’assurance habitation, non-paiement répété du loyer ou des charges, dégradation du bien, trouble du voisinage, non-respect du règlement de copropriété…Sous peine de nullité, le congé doit mentionner le motif invoqué et dans le cas d’une reprise préciser le nom et l’adresse du bénéficiaire de la reprise. En pratique : si le propriétaire n’indique pas dans son courrier un motif valable de non-renouvellement de votre bail, vous pouvez lui envoyer une lettre en recommandé en lui rappelant les termes de la loi. Attendez le dernier moment pour lui envoyer ce courrier en lui répondant que son congé n’est pas motivé et donc nul. Ainsi, il n’aura pas le temps de régulariser la procédure avant l’échéance de votre bail. Vous pouvez aussi préciser qu’en cas de reprise frauduleuse ou si le motif qu’il invoque n’est pas réel et sérieux, vous demanderez des dommages-intérêts auprès du tribunal compétent.
Récit : Vendre son appartement pour payer les charges impayées équivaut à se faire expulser de son logement - Rue Marcel Sembat , 18 juin 2012
Un monsieur est venu nous voir suite à une lettre d’huissier qui annonçait un rendez-vous à son domicile pour estimer la valeur de ses biens et de l’appartement suite au procès que le syndic lui a fait pour un retard dans le paiement des charges.
Son appartement est dans un immeuble situé près du métro Croix-de-Chavaux. Il y a dix ans, la mairie a voulu racheter l’immeuble et a fait pression sur les propriétaires pour qu’ils vendent.
Comme ailleurs, cet immeuble est administré par un syndic désigné par l’assemblée générale des copropriétaires à la majorité absolue. Il en est le représentant légal.
La mairie est parvenue à racheter autour de 50 % de l’immeuble et, de ce fait, a beaucoup de pouvoir au sein de l’assemblée des copropriétaires et sur le syndic.
Pour pousser les autres propriétaires à vendre, elle laisse pourrir l’immeuble : plus aucune réparation n’est réalisée et les parties communes ne sont plus entretenues. Mais tous les propriétaires ne cèdent pas. Certains, dégoûtés par la gestion de l’immeuble, arrêtent de payer les charges pendant un moment.
Face à cette attitude la mairie change de stratégie. Finalement, la réhabilitation de l’immeuble est décidée, ce qui provoque une augmentation de charges importante (+ 1 500 euros / trimestre). Une dizaine de propriétaires cumulent les retards et sont attaqués en justice par le syndic. Se faire attaquer en justice, c’est quasiment toujours une vente forcée, c’est-à-dire la vente aux enchères de l’appartement pour rembourser les charges.
Une personne du collectif l’accompagne. Pour le soutenir dans sa demande à l’assemblée des copropriétaires de revenir sur la plainte en justice qui va l’obliger à vendre son appartement. Malheureusement, la décision avait déjà été prise et il va devoir maintenant négocier avec le juge de l’exécution.
Le syndic est présent pour faire accepter son plan de gestion aux propriétaires. Il est au service des propriétaires majoritaires (ici la mairie), aux dépens des plus précaires. Il n’écoute pas leurs besoins, il attise les conflits entre les bons et les mauvais payeurs et ne laisse entrevoir d’autres recours que la voie judiciaire.
Mais concrètement, être obligé de vendre son appartement pour payer les charges impayées équivaut à être expulsé de son logement.
Les Rroms : la continuité des bidonvilles dans l’histoire de l’immigration
Que ce soit sur Bagnolet ou sur Montreuil, des Rroms originaires de Bulgarie ou de Roumanie passent de squats en squats, quand ils ne sont pas directement expulsés, harcelés, déplacés en permanence. Dans ces cas-là, les mairies passent leur temps à dire qu’elles ne sont pas responsables et que c’est la préfecture. Les vitrines style « village d’insertion » ou « logements passerelles en algeco coloré » mises en place pour une population triée en amont par des associations subventionnées et par la préfecture, permettent de se donner la part belle. Ces dispositifs légitiment en parallèle une politique du « laisser pourrir » à Bagnolet ou de la tolérance zéro à Montreuil quand la maire par exemple demande en décembre dernier au ministre de l’Intérieur de ne pas laisser de bidonvilles s’installer sur sa commune. Les bidonvilles ne sont pas un choix de vie, faut-il le rappeler. Ces installations précaires sur des terrains ne sont que la conséquence entre autres causes du fait que les municipalités ont initié ou collaboré à une multitude d’expulsions et ont fait murer beaucoup de logements vides.
Récits : Au milieu du quartier des Coutures, des familles Rroms vivent dans une maison... - Rue de l’Avenir
Au milieu du quartier des Coutures à Bagnolet, des familles Rroms vivent dans une maison de fortune située rue de l’Avenir. Du fait de notre voisinage, nous nous sommes mobilisés avec eux quand la police les harcelait, pour obtenir leur domiciliation auprès de la mairie et la scolarisation des enfants, etc. Ceci est le récit des démarches et mobilisations réalisées ces derniers mois.
17 novembre 2011
Suite à des demandes écrites de rendez-vous restées sans réponse avec des élus municipaux, le 17 novembre 2011, nous sommes plusieurs, voisins et soutiens, à accompagner à la mairie les familles Rroms qui occupent « un bien vacant et sans maître, abandonnée et en ruine », au 5 rue de l’Avenir à Bagnolet. Nous voulons interpeller les élus sur cette situation. Promesse est faite de rencontrer des élus, mais en vain.
La maison est occupée depuis plus de cinq ans. Depuis leur arrivée, ils n’ont jamais été menacés d’expulsion. En réponse à une lettre des Rroms et de leurs voisins et soutiens datée de décembre 2011, le maire écrit : « la réponse à cette situation inhumaine, bien que difficile à trouver ne pourra venir que du dialogue, de la rencontre et ne pourra se construire qu’en reconnaissant les droits humains de chaque personne ». Aucune solution collective n’a pourtant été prise. La mairie ne voulant pas prendre la responsabilité d’expulser des familles, ni de les reloger, laisse de fait pourrir la situation. La préfecture se charge alors de les intimider pour qu’ils bougent d’eux-mêmes, ou de les arrêter et de les expulser de France. Des pratiques souvent utilisées par les mairies de gauche pour sauvegarder leur image : d’un côté on s’occupe de trouver des solutions pour quelques-uns, de l’autre, on laisse allègrement se dérouler les expulsions.
11 janvier 2012
Assez tôt le matin, la commissaire de Bagnolet et ses flics accompagnés d’une traductrice, sont entrés dans la maison. Croyant que c’était une expulsion, des voisins se sont rassemblés devant. Plus tard, les familles ont raconté que les flics sont entrés dans la maison sans prévenir alors qu’ils dormaient encore. Ils sont entrés dans toutes les pièces pour chercher les hommes. Mais la plupart était déjà parti travailler. Ils ont délivré des OQTF (obligations à quitter le territoire français) à ceux qui restaient, principalement les vieux et les femmes, soit sept personnes. Dans la matinée, nous avons accompagné les familles à la mairie pour avoir des explications et rendre compte de la violence de l’intervention des flics. La mairie a assuré qu’elle n’était pas au courant de cette opération. Elle a répondu ne pas être à l’origine d’une demande quelconque auprès des flics. Les familles Rroms ont alors demandé à la mairie de les soutenir. Il a été convenu avec eux de se rencontrer avec les familles une fois par mois. Parallèlement, les familles et des habitants du quartier se sont organisés pour faire annuler les OQTF auprès du tribunal administratif.
Il a fallu rappeler plusieurs fois la mairie pour qu’elle respecte l’engagement de suivre les familles. Familles et soutiens, nous nous sommes rendus plusieurs fois à la mairie pour parler de la domiciliation au CCAS de la mairie de toutes les personnes de la maison (d’où découlera la scolarisation des enfants et l’inscription à l’AME), un accès à l’eau et à l’électricité, la garantie qu’ils ne seront pas expulsés sur une initiative municipale. Finalement les habitants ont été domiciliés à la mairie, ce qui a permis la scolarisation des enfants. La mairie s’est aussi engagée à ne pas être à l’initiative d’une expulsion. Vivant dans une crainte permanente, certains hésitent à envoyer leurs enfants à l’école. Ils craignent d’être arrêtés et expulsés alors que leurs enfants sont à l’école et d’être de ce fait séparés.
Mars 2012
Au petit matin, les flics ont refait irruption dans la maison. Ils ont à nouveau contrôlé tous les habitants et arrêté le plus âgé des hommes qui avait déjà une OQTF. Après avoir été placé en centre de rétention, il a finalement comparu devant le tribunal administratif qui devait examiner le recours à l’OQTF. Nous nous sommes rendus avec les familles au tribunal. L’accès leur a été d’abord refusé, puis tout le monde a pu rentrer dans la salle d’audience. Le juge a maintenu la rétention du monsieur malgré son état de santé. Finalement, il a fallu que le médecin du centre de rétention l’examine pour décider que son état de santé était incompatible avec la rétention. Par conséquent, l’administration le libérera en vue d’une hospitalisation.
Quelques semaines plus tard, toutes les OQTF ont été annulées par le tribunal administratif.
La mairie n’a toujours pas réglé l’accès à l’eau et l’électricité dans la maison. Elle laisse de fait pourrir la situation. Certains voisins commencent à se plaindre. Ils disent ne plus supporter la proximité avec cette situation de précarité dont les Rroms sont les premières victimes. La mairie accepte de parler avec certains voisins à propos des problèmes de stationnement dans la rue de l’Avenir, par contre les demandes faites depuis le mois de mai par les familles et leurs soutiens pour être reçus par la mairie sont restées sans réponse.
Récit : Un repas de quartier - Place de la Fraternité , 17 juin 2012
Le dimanche 17 juin, sur la place de la Fraternité, il faisait beau, des familles Rroms habitaient encore le bâtiment Colorine et le collectif Prenons la ville organisait un repas pour parler des transformations du quartier. Des banderoles contre les expulsions de logement ont fleuri sur les arbres de la place, et on pouvait y trouver aussi une table avec tracts et brochures sur la restructuration urbaine. Beaucoup de gens sont venus manger le chili con carne, d’autres ont apporté des tartes, des boissons et des gâteaux ou ont animé l’espace enfants. L’idée était d’échanger sur les problèmes de logement entre habitants du quartier, de discuter des possibles solutions que l’on pourrait apporter collectivement, et puis de parler des transformations du quartier qui s’intensifient de mois en mois.
Après le festin, une présentation du collectif Prenons la ville a été faite ainsi qu’un rapide point d’actualité sur le quartier, notamment en ce qui concerne la place de la Fraternité : fermeture musclée de la laverie après que la mairie de Montreuil en soit devenue acquéreuse, déménagement du jardin partagé de Bagnolet à Montreuil, fermeture programmée du squat des Rroms, avenir du 182 rue Etienne Marcel et du bar Le Bouliste...
Une discussion ouverte s’est ensuite engagée. Les premières interventions d’habitants du quartier, assez houleuses dans un premier temps, ont concerné la présence de Rroms rue de l’Avenir à Bagnolet. Quelques voisins sont intervenus, excédés par les « nuisances » liées à la proximité de vie, comme entre autres les bruits autour des camions stationnés dans la rue. La discussion a continué d’une manière informelle pour trouver des formes de luttes communes et essayer de trouver des solutions avec les Rroms.
Les débats ont ensuite laissé la place aux jeux avec les enfants, au ping-pong pour les plus grands, et à la musique pour tous. D’abord de la tarentelle italienne puis des textes sur une musique électro...
Tract : Les Rroms de la Halle Marcel Dufriche - 21 Novembre 2012
Ceci est un tract du collectif Prenons la ville distribué dans les boites aux lettres des maisons et immeubles des rues situées aux alentours de la halle Marcel Dufriche, pendant le salon du livre de la jeunesse.
« Au printemps 2012 des personnes s’installent sur le terrain vide de la halle Marcel Dufriche, rue de Paris. Elles ne viennent pas d’arriver à Montreuil. Elles vont et viennent, de terrains en terrains, toujours contraintes par les expulsions.
Le 21 novembre 2012, au petit matin, des flics entrent sur le terrain. Ils demandent à chaque famille de les suivre pour notifier à tous les adultes une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Les femmes, les hommes et les enfants sont emmenés dans les fourgons garés à l’abri des regards, rue Étienne Marcel. Plus de soixante-dix OQTF auraient été distribuées. Tous reviendront dans leur baraquement en accusant le coup de la violence de ces pratiques. Les passants et voisins de la rue de Paris et de la rue Étienne Marcel, eux, observent cette scène de violence devenue habituelle.
Souvenons-nous. A la même époque en 2009, juste avant l’ouverture du salon du livre de jeunesse, la mairie de Montreuil faisait déjà pression sur le propriétaire du terrain pour que les personnes installées soient expulsées, invoquant des raisons de sécurité. Aujourd’hui encore la mairie revendique avoir prévenu la préfecture en soulevant cette fois des principes « d’insalubrité et de mise en péril ». Principes qui lui sont chers quand il s’agit d’expulser les habitants de lieux occupés sans droits ni titres. À Montreuil comme ailleurs, expulser sous prétexte d’insalubrité, c’est mettre les gens encore plus en danger. Ce n’est que les pousser à chercher un autre lieu qui sera avec certitude plus précaire, plus invisible, plus dangereux. Ceux et celles qui se sont installés sur le terrain de la halle ont mis du temps à se construire des baraques avec les moyens qu’ils ont. Ils ne peuvent pas payer de loyers et pourtant ils dorment aujourd’hui au chaud et l’abri de la pluie. Ces baraques ne sont pas un choix mais à défaut d’autre chose...
Cette politique, qui est également celle du gouvernement actuel et des précédents, nous concerne toutes et tous. Pour eux, Il s’agit de choisir qui a le droit de vivre ici ou là. Le choix est clairement de chasser les pauvres, sous n’importe quel prétexte, et en passant, de laisser la main libre à la spéculation. Pourquoi n’est-il jamais question de forcer les propriétaires à faire les travaux nécessaires en frappant d’un décret insalubrité les immeubles qu’ils louent ? Cela les obligerait à reloger les locataires qui, en attendant, ne seraient plus obligés de payer leur loyer. De la même façon, si les personnes sont en danger sur un terrain, pourquoi ne pas commencer par les aider en leur donnant accès à l’eau, en y installant des toilettes et des poubelles ou alors même soyons fous pourquoi ne pas essayer de les reloger dans des bâtiments qui pourtant existent mais ne servent à rien ?
La mairie continue de communiquer encore et encore sur son exemplarité, tout en arguant qu’elle se ferait attaquer par la population pour ne construire que pour les Rroms... Rappelons que rien ne l’empêche de s’occuper de l’ensemble des autres habitants précaires. La MOUS (maîtrise d’œuvre urbaine et sociale), mise en place à Montreuil, devait accueillir des centaines de personnes mais pour le moment elle ne semble concerner que quelques dizaines de personnes. Rien d’exemplaire : comme les autres mairies, comme les autres collectivités locales, comme tous les états européens, la mairie dit craindre l’« appel d’air ». Une fois encore, l’imaginaire de la peur n’a plus de limite. La majorité des Rroms de Montreuil sont toujours les mêmes depuis des années. Et même si la mairie joue la carte de l’hostilité des « montreuillois » vis à vis de ces campements nous répondons, nous, que des liens se tissent parmi TOUS les habitants de Montreuil, et que les Rroms sont aussi montreuillois que nous.
Le « nettoyage » de la halle n’est que passager. Ces personnes et d’autres reviendront. Leurs OQTF, délivrées de façon totalement abusive, seront annulées, et tout recommencera indéfiniment. Elles s’installeront sur la friche ou sur un terrain non loin de là ».
Conclusion
Trime ou dégage
Quand on dit restructuration-gentrification, on s’imagine que les pauvres s’en vont pour laisser place aux riches. Ce n’est pas tout à fait exact. Une partie s’en va, une autre s’efface, se serre et travaille deux fois plus. La première conséquence, c’est une augmentation globale du coût de la vie : hausse des loyers, des charges, des produits de consommation courante. Cela se traduit par des gens qui mettent tous leurs revenus dans leur loyer et qui ne savent pas ce qu’ils vont manger à la fin du mois. Ce sont des adultes qui à trente ans vivent encore chez leurs parents, des familles qui habitent un studio. C’est aussi des gens qui travaillent deux fois plus pour joindre les deux bouts, qui cumulent des petits boulots, qui font des heures supplémentaires, qui sont prêts à se mettre en auto-entrepreneur pour faire du cash quitte à ne plus cotiser et se retrouver sur le carreau au moindre accident. C’est l’arrivée de plein de nouvelles entreprises superinnovantes, supercools qui t’essorent littéralement et te payent au lance pierre. C’est l’avènement d’un nouvel ordre capitaliste où chacun prendrait sur soi les risques de l’économie. C’est aussi des milliers de crédits à la consommation pour arriver à finir le mois. Au final, c’est beaucoup de gens qui sont obligés de partir. Parce qu’ils n’arrivent pas à trouver où se loger car ils n’ont pas des revenus suffisants, des contrats en CDI, des garants riches, le faciès blanc, les papiers en règle. Parce que leurs baux ne sont pas renouvelés, car les propriétaires sentent bien qu’avec la revalorisation du quartier, ils pourraient gagner beaucoup plus d’argent qu’ils ne s’en font déjà. Parce qu’ils n’arrivent plus à payer leurs loyers ou leurs charges s’ils sont propriétaires. Parce que leurs maisons sont en plein milieu d’une grosse opération immobilière. Enfin, pour ceux qui squattent, ce sont les pratiques mafieuses des propriétaires qui t’envoient des gros bras armés pour te dégager manu militari. Mairie de Montreuil comprise qui n’hésite pas à faire intervenir des ASVP [8], une milice armée pour protéger son patrimoine immobilier.
Quelles solidarités ?
Notre propos n’est pas de défendre la ville existante. Nous ne défendons pas les marchands de sommeil, le saturnisme ou l’exploitation, qu’elle ait lieu dans les murs d’un grand magasin ou dans une épicerie. Il ne s’agit pas de défendre la ville telle qu’elle est mais plutôt de défendre dans l’existant ce qui préfigure une ville plus conforme à nos besoins et aspirations. Les pouvoirs publics remodèlent la ville selon un système de valeur conforme aux intérêts des banques, des promoteurs et de la petite bourgeoisie intellectuelle en cours d’installation dans le quartier.
Néanmoins, il y a dans la ville des lieux qui sont en soi des freins à la gentrification du quartier du fait de leur inadéquation aux besoins de la nouvelle population : la cantine d’un foyer, un taxiphone, une épicerie, une laverie, les puces, le marché sauvage des biffins, un bar où l’on peut regarder un match sans consommer, etc. Ces lieux répondent aux besoins de la population la plus précaire. On ne les défend pas en tant que commerce - vu qu’on aspire à la disparition des rapports marchands. On est sensible à ce qui se joue dans certains de ces lieux en terme de rencontres, de liens, de solidarités, voir plus si affinité.
Enfin, il y a toutes les luttes manifestes. La longue lutte des habitants de la rue des Sorins ; la résistance des expulsés de la rue Robespierre à Bagnolet ; la grève des loyers des locataires d’un immeuble insalubre ; les initiatives de la coordination des habitants de Montreuil qui est allée notamment perturber collectivement des conseils municipaux et des conseils de quartier ; la bataille gagnée des habitants de la cité des Roches dans le Haut-Montreuil pour obtenir l’annulation de la construction d’un immeuble sur leur pelouse ; la mobilisation du collectif Jean Lolive pour empêcher la destruction de leur immeuble ; ou encore l’ouverture du Transfo, un lieu occupé ouvert sur la ville, où des gens s’organisent collectivement sur des bases non marchandes.
Dans ce nouveau contexte, l’enjeu est d’inventer d’autres solidarités entre tous ceux qui ne se retrouvent pas dans ces nouveaux critères d’attractivité et de rentabilité. La solidarité s’exprime en multipliant les formes de résistances et d’organisation collective.
Nous voulons continuer à lutter ensemble contre ces logiques qui nous expulsent de nos quartiers, contre l’avènement d’un territoire entièrement soumis aux règles de l’économie, contre cette guerre de tous contre tous. Ce monde hyper-individualiste, capitaliste et aseptisé, nous n’en voulons pas. Organisons-nous.
La question des commerces
Un des enjeux importants concerne le type de commerces existant dans le quartier. Le quartier possède une économie spécifique qui s’est développé en relation avec les besoins des habitants. Cela concerne aussi bien le coût, le type de commerce mais aussi les protagonistes. Cette économie spécifique et fragile fabriquée par et autour de ces habitants est systématiquement dénigrée par la mairie. On se souvient de Danièle Mosmant disant qu’il aimerait voir moins de taxiphones dans la rue de Paris, tandis que la mairie favorise l’installation d’une cave à vin et autres fromagers dans le quartier. Le taxiphone, c’est le bureau dans sans-bureaux : on peut communiquer avec sa famille vivant à l’étranger, envoyer de l’argent, consulter ses mails, tous les mois pointer à pôle emploi, lire les journaux. Rappelons que d’un côté et de l’autre de la rue de Paris se trouvent deux des plus grands foyers de Montreuil. C’est un jugement de classe ignorant des besoins d’une part importante de la vie des habitants du quartier. Jugement qui ne manque pas d’avoir des connotations racistes car il s’agit bien ici d’évincer la centralité des commerces immigrés pour redonner place à des commerces plutôt français : fromages, pinards, fleurs, etc.
Les logements sociaux
Les autorités agitent la promesse de la construction de « logements sociaux ». Quand on entend « logement social », on pense « logements pour les plus démunis ». C’est sans savoir que certains « logements sociaux » sont accordés à des personnes qui gagnent plus de 2300 € par mois ! En réalité, il existe trois types de logements sociaux [9], dont un seul concerne vraiment des personnes ayant relativement peu de moyens... Alors qu’en Seine-Saint-Denis, 70 % des gens pourraient avoir accès à du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) - où les barèmes de loyer et de ressources sont les plus bas - les communes préfèrent répartir les logements sociaux pour que les PLAI ne concernent qu’un tiers de ces logements. Un autre tiers est attribué au prêt locatif social ou intermédiaire (PLS/PLI) qui concerne les classes moyennes gagnant entre 1 500 et 3 000 euros/mois. Une bonne partie des logements sociaux est donc destinée aux classes moyennes. A Paris, au nom de ce qu’ils appellent la « mixité sociale », le « logement social » a, en fait, bien aidé à l’embourgeoisement des quartiers, et à terme à exclure une partie des pauvres.
Ce d’autant plus que parmi les logements sociaux annoncés, il est très probable que certains soient provisoires. En effet, dans ce genre de rénovation urbaine, il arrive souvent qu’en échange d’avantages financiers offerts aux promoteurs, la mairie impose que des logements soient loués à des prix modérés. Mais cet accord ne dure que quelques années : au bout d’un certain temps, les logements « sociaux » peuvent redevenir des logements classiques (avec les prix du marché). Le nombre de logements sociaux d’un quartier peut donc diminuer au fil des années. Les personnes habitant dans ces logements seront alors à nouveau déplacées. C’est une forme de « transition douce », selon leurs mots, une façon moins visible de faire changer la population progressivement.
Une « réunion de concertation » pour dénoncer la présence des biffins
_ Par des habitants et habitantes du quartier des Coutures à BagnoletLe 22 novembre au soir avait lieu une « réunion de concertation » organisée par le député socialiste Razzi Hammadi, à la demande d’une association d’habitants du quartier des Coutures. Le sujet y était « l’intégrité de l’espace public » menacé par « des occupations sauvages à même le sol et de stockage de détritus de manière anarchique » comme on pouvait le lire sur le blog de ce monsieur. Y était aussi présent Le Préfet Lambert de la Seine-Saint-Denis, le commissaire de Montreuil et quelques acolytes, la commissaire de Bagnolet, le chef de la sécurité publique de Paris, Frédérique Calandra maire du 20e, le maire de Bagnolet Marc Everbecq, divers élus ou ex-élus et une quarantaine peut-être d’habitants de Bagnolet, dont nous !
La soirée a commencé dehors sur le trottoir par un discours dans lequel le député PS a remercié tout le monde d’être venu et de se mobiliser pour ce quartier qui « ressemble de plus en plus à Beyrouth » ! Elle s’est poursuivie dans une salle de réunion de la CNAM juste à côté.
Le sujet, on l’a bien compris était donc les « désagréments » liés à ce que nous appelons le marché sauvage et eux appellent « les sauvettes », bref les pauvres en tout genre qui vendent des bricoles pour survivre autour des puces légales. Les descriptions faites du quartier par des habitants sont apocalyptiques, à croire qu’on leur a raconté sur TF1 !
Mais en résumé, il s’agit essentiellement de gestion de poubelles, de pipi, de trou dans les rues et de stationnement de voitures. Il faut dire qu’avec nos interventions dès le début disant en substance qu’il fallait juste qu’ils assument de vouloir virer les pauvres, on a probablement fait culpabiliser les bien-pensants de gauche et brimé les fachos du coin. Du coup, on peut pas dire que les habitants aient tenus des discours « décomplexés » vis-à-vis des gens qui étaient visés ; par contre on a entendu bon nombre de clichés sur les pauvres, les Rroms, sur ceux qui ne travaillent pas...
En revanche, la maire du 20e s’est, elle, largement lâchée, nous expliquant par exemple qu’il ne s’agissait pas de biffins, « les biffins ayant des papiers français » et ayant « une vrai culture de la biffe » , alors que là il s’agit d’un « flux continu » de gens (pas français on l’a bien compris) qui ne se respectent même pas entre eux… Et de conclure que ça ne sert à rien de leur réserver un périmètre comme cela a par exemple été fait aux puces de Saint-Ouen. Aucune solution aux prétendus problèmes n’a été vraiment avancée mais on sait ce qu’elles vont être. Au final, des flics, des flics et des flics. C’est ce que leur a dit un camarade avant de partir, dégoûté par cette mascarade. Nous sommes quelques-unes à être restées jusqu’au bout, pas mécontentes finalement d’avoir troublé cette soirée avec un autre discours, avec notre colère de ne voir que des flics tout le temps pour repousser la misère…
On leur a rappelé, car ils semblent l’oublier, que les gens circuleront et s’installeront toujours là où ils le veulent et que ce n’est pas leur système répressif qui les en empêchera. Au plus, ils se déplaceront de quelques mètres puis reviendront. A titre d’exemple, des milliards de thunes et des milliers de flics n’empêchent pas les gens de passer les frontières européennes. Alors penser qu’on peut empêcher les gens de venir dans le 93, il faut vraiment ne rien comprendre ! On n’avait rien à demander aux autorités publiques, on sait qu’on les aura toujours en face, on n’empêchera probablement pas les opérations / rafles qui terrorisent les gens qui vendent illégalement sur les trottoirs, mais au moins tout ne s’est pas passé tranquillement, entre « citoyens » qui par facilité ne « tapent » que sur les plus pauvres, et autorités publiques qui adorent que les pauvres se « tapent » entre eux…
Dans le Facebook merveilleux de la ville enchantée...
A propos d’une balade virtuelle dans le quartier, à travers le Facebook « Quartier des Coutures Bagnolet » en octobre 2012
Il y a les beaux, les gentils, les serviables, les passeurs d’annonces, des fleurs, des jardins, des gâteaux, des confitures, ceux qui font de la musique, de la peinture, du chant, de la danse, du jardinage, les commerçants de proximité qui font des efforts dans le bio, dans le choix des vins, dans l’animation ou dans « la cuisine gourmande et généreuse » et bien sûr les héros, comme « Montreuil cracra », le blog d’une habitante qui diffuse photos et vidéos des décharges intempestives et qui met à l’index tout débordements de poubelles ou tout affichage mural.
Il y a les méchants mais ceux là on ne les nomme pas vraiment, on parle quand même des puces comme un foyer de gens pas biens qui vandalise même les vélibs. On préfère évidemment prendre une photo la nuit quand tous les déchets sont rassemblés et pas encore ramassés.
Il y a ceux qui s’incrustent comme l’UMP et Europe écologie mais c’est pas grave il n’ y a pas de « dérapages » comme le dit la modératrice donc leurs présences et leurs communiqués sont tolérés.
Il y a les problèmes du quotidien, les chats et chiens perdus, les enfants à garder, les apparts à trouver et les velibs disparus ou cassés.
Il y a de l’humour avec une photo de l’emplacement du squat de la rue Victor Hugo expulsé sous la neige l’hiver 2010 où l’on voit deux ans après fleurir un massif de marguerite. C’est l’occasion d’un clin d’œil : « Un champs de marguerites sauvage se déploie désormais en lieu et place de ce qui était le squat de la rue Victor Hugo. Un hommage poétique envers ceux qui sont retournés à leur destin ? »
Mais il y a aussi à un autre endroit du blog une autre image sympa de la neige sur la place de la Fraternité ce même hiver.
Sinon il n’y a rien qui peut faire tâche ou qui fâche, le mot Rrom n’est pas prononcé pour présenter l’atelier de recyclerie de Yaya sur la place de la Frat alors qu’il a été monté avec les Rroms.
Il y a quand même une belle photo d’une vieille Rrom assise avec d’autres habitants sur un banc lors du dernier vide grenier, il n’est pas précisé évidement qu’elle vit dans le squat de la place de la Frat ouvert il y a plus de trois ans avec l’aide d’habitants solidaires, c’est pourtant une belle histoire.
Le souci hygiéniste est quasi-obsessionnel alors on s’engage, on milite, on organise un grand concours de photos pour que Bagnolet se bouge autant que « Montreuil cracra » et un appel est lancé à une mobilisation générale devant la mairie. Ce fut un flop mais de temps en temps trop c’est trop : « Ce soir, nous nous retrouvons précisément dans cette rue pour la Fête des voisins. Donc si la MAIRIE DE BAGNOLET pouvait dépêcher ses services DES QUE POSSIBLE pour nous nettoyer ces tas d’ordures... cela serait très appréciable ».
Y aurait-il de mauvais citoyens parmi les voisins ? Ne serions-nous plus entre nous ?
L’avant propos du blog est le suivant : « Habitants et commerçants du quartier des Coutures : Ensemble, échangeons et partageons pour offrir toujours plus de vie et de joie à notre quotidien. »
Je suis habitant du quartier, je dois être probablement un mauvais esprit et avoir un autre point de vue sur mes joies à vivre ensemble.
Un habitant connecté du quartier des Coutures.
Glossaire
- Les logements sociaux : financés par des fonds publics, ont un loyer plafonné. Les organismes HLM, les Sociétés d’Économie Mixte (SEM) et les associations agréées par l’État peuvent construire et/ou gérer ces logements attribués à des personnes dont les ressources n’excèdent pas certaines limites. On distingue plusieurs catégories de logements sociaux suivant les prêts et subventions accordés aux organismes pour leur production.
- PLAI : Prêt Locatif Aidé d’Intégration. Accession la plus sociale au logement avec un plafond de ressource maximum autorisé de 1 100 euros nets mensuel pour une personne seule.
- PLU : Plan local d’urbanisme.
- PLUS : Prêt Locatif à Usage Social. Plafond de ressources maximum fixé à 1900 euros nets par mois pour y prétendre.
- PLS : Prêt Locatif Social. Ce type de logements, ainsi que le logement dit « intermédiaire » n’ont de social que le nom puisque les plafonds de ressource pour y prétendre peuvent atteindre 2 800 à 3 700 euros pour une personne seule.
- PLH : Plan Local de l’Habitat conçu par les municipalités ou les communautés d’agglomération pour organiser et répartir les différents types d’habitats sur les communes.
- Recyclage foncier : Réhabilitation des vieux quartiers par une gestion écolo-bourgeoise du parc immobilier qui impose de nouveaux critères pour accéder aux nouveaux logements.
- ANRU : Agence Nationale de Rénovation Urbaine, responsable de la mise en œuvre du programme du même nom (PNRU) qui concerne 490 quartiers en France. L’ANRU approuve et finance des grands travaux de rénovation urbaine dans des quartiers identifiés comme prioritaires.
- ANAH : Établissement public d’État qui a pour vocation d’attribuer des aides financières aux propriétaires (occupant.e.s ou bailleurs) de logements dégradés qui engagent des travaux.
- Rénovation urbaine : Transformation physique agressive des quartiers dits prioritaires (490 dans toute la France) par démolition-reconstruction ou réhabilitation des appartements ainsi que des places et aménagements publics.
- Mixité sociale : Termes de la novlangue humaniste désignant la dispersion forcée des populations les plus précaires dans la volonté de dissoudre et invisibiliser la pauvreté... à défaut de la résoudre. Synonyme tout aussi grotesque : « diversification de l’offre d’habitat » signifiant la baisse substantielle du logement social.
[1] Ces deux squats très proches l’un de l’autre accueillaient majoritairement des personnes sans-papiers. Plus de trois cent personnes habitaient dans le squat de la rue des Sorins.
[2] Plan National de Requalification des Quartiers Anciens et Dégradés.
[3] La gentrification est le processus d’embourgeoisement des quartiers populaires qui passe par la transformation de l’habitat, des commerces et de l’espace public.
[4] Local auto-organisé de luttes et de critiques sociales.
[5] Dispositif qui permet l’attribution de logement à bas prix par les entreprises elles-mêmes pour leurs salariés.
[6] Relogement dans le même immeuble une fois que la rénovation de celui-ci est terminée.
[7] Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé à l’égard de tous locataires agés de plus de 70 ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à une fois et demie le montant annuel du salaire minimum de croissance, sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert. Toutefois, les dispositions précedentes ne sont pas appilcables lorsque le bailleur est une personne physique agée de plus de 60 ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures à une fois et demi le montant annuel du salaire minimum de croissance.
[8] L’Agence de la surveillance de la voie publique.
[9] A titre d’exemple, voilà des plafonds de ressources correspondant aux trois types de « logements sociaux » (ressources annuelles imposables d’un foyer composé d’une personne seule) :
12163€ (soit 1014€ par mois) pour les logements PLA-TS, PLA-I et PLA-LM
22113€ (soit 1843€ par mois) pour les logements PLUS, HLM, PALULOS PLA
28747€ (soit 2396€ par mois) pour les logements PLS
Le collectif Prenons la Ville
Des projets de transformation du bas-Montreuil et du quartier des Coutures à Bagnolet sont en cours. Des centaines de personnes seront obligées de quitter leur logement.
Le collectif Prenons la Ville propose un moment de rencontres, d’échanges et d’organisation le 2e mercredi de chaque mois au Rémouleur à 19h30. Cette réunion permettra de faire ensemble le point sur l’avancée du projet et des problèmes qu’il entraîne ; de lutter contre la hausse du coût de la vie, des loyers, contre le départ forcé des quartiers où nous habitons...
Sur la page internet du Rémouleur, vous trouverez après la présentation du collectif Prenons la ville, des liens vers un 4 pages et un video-tract.
Contact : degage-onamenage@@@riseup.net
Le Rémouleur
106 rue Victor hugo
93170 Bagnolet
M°Robespierre
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