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Les prisonniers politiques et la question de la violence révolutionnaire
mis en ligne le 14 février 2004 - Jean-Marc Rouillan , Joëlle Aubron , Nathalie Ménigon
"Il n’y a pas de révolution sans violence. Ceux qui n’acceptent pas la violence peuvent rayer le mot révolution de leur dictionnaire". Malcolm X
LES PRISONNIERS POLITIQUES ET LA QUESTION DE LA VIOLENCE RÉVOLUTIONNAIRE
La lutte pour la libération des prisonniers politiques (PP) n’est pas un acte neutre. Elle ne l’a jamais été. Il doit s’agir avant tout d’un processus de réappropriation du concept de violence révolutionnaire. Et aujourd’hui ce processus se confronte au tabou et à la véritable chape de plomb tombée sur le mouvement après les défaites et les reculs de la guérilla et de l’ensemble des forces antagonistes sur ce continent. La bourgeoisie a réprimé l’idée même de violence.
De Paris à Naples, des lieux de travail aux rues des cités ghettos, une recomposition des forces révolutionnaires s’amorce. C’est indéniable. Et dans cette résurgence, le mouvement doit aujourd’hui trouver en lui la volonté de s’extraire de la simple répétition du message de la dénonciation antiterroriste et de la banalisation de la parole révolutionnaire édulcorée. Car ces deux trahisons ficellent les prolétaires à la même impuissance soumise. Des années de pacifisme réformiste et de psalmodies groupusculaires, sur ce que devrait être et surtout ne pas être la contre-violence des exploités et des opprimés a rendu opaque toute perspective d’émancipation. Bien sûr quelques-uns évoquent encore le fusil mais toujours sans agir concrètement à la préparation et à l’organisation de la guerre révolutionnaire. Pour eux, l’heure n’est jamais à l’action révolutionnaire.
Dans les années 80, les grandes campagnes antiterroristes de défense de l’Etat ont bien sûr joué de ces deux trahisons des faux révolutionnaires. Et aujourd’hui encore certains organisent des campagnes pour la libération des prisonniers politiques sur les mêmes bases de collaboration : Tout d’abord ils affirment que la lutte armée des années 60-80 n’aurait servi à rien. Qu’elle n’aurait été qu’un "instinct de mort" après l’échec des barricades de 68. Qu’elle avait pour seule origine l’histoire mal cicatrisée des années 40. L’essentiel pour tous ces "solidaires" est de tourner la page. La conclusion s’imposant d’elle-même, il ne se passera plus rien et leurs trahisons anciennes et actuelles se justifieraient.
Pour d’autres les échecs des années 80, résumés à la seule défaite de la guérilla, se mystifient derrière le fatras de la vulgate du protestataire officiel. Et on sort de nouveau du chapeau les grandes formules creuses de l’idéologisme : l’absence du Parti, l’absence du syndicat de classe, du mouvement autonome organisé...
La libération des PP dans ces campagnes d’arrière-garde est l’acte ultime de la réécriture de l’histoire révolutionnaire sur notre continent depuis les années 60. Elle s’articule à la critique partielle et sectaire orchestrée par les nouvelles boutiques. Nous qui, depuis des années, sommes les otages de l’ordre dans les prisons, nous refusons de nous transformer aujourd’hui en objets de ces basses manoeuvres. On ne lutte pas pour la libération des PP par charité ni par humanisme. L’exposé de la situation des PP doit être avant tout un acte d’agit-prop. Il dépasse immédiatement ces cadres pour aborder les problématiques fondamentales du processus révolutionnaire à notre époque. C’est donc un acte politique, un positionnement de classe. Un acte de lutte pour la réappropriation de la mémoire et des savoirs, pour plus de pouvoir et un moment du combat pour la destruction du pouvoir bourgeois. Avec la lutte pour la libération, on se réapproprie l’histoire occultée et son expérience de lutte. Mais en premier lieu, on se réapproprie le concept même de légitimité de la "contre-violence".
Cette légitimité a été battue en brèche, salie et travestie durant des années. Mais dans son cours, la lutte des classes la produit et reproduit inexorablement. Tout simplement parce qu’elle est inhérente à la violence du système capitaliste. La première violence est celle de l’exploitation, des cadences, de la discipline des usines casernes, de la misère et des galères. C’est la violence des profits. Ainsi la légitimité de la contre-violence des exploités est naturelle avec ce mode de production, elle découle inéluctablement de la violence des rapports de production du capital. Et elle en est la condamnation. Un ouvrier de Vilvorde rappela au début du mouvement contre la fermeture de l’usine Renault : "les violents sont ceux qui cassent l’usine et jettent les travailleurs à la rue". La violence c’est le système tout entier. Et le moindre de ses rapports sociaux est violent. Ce sont les logiques de la subordination impérialiste et la paupérisation qui condamnent l’humanité aux périphéries des misères. C’est le processus de fascisation des pouvoirs des monopoles. C’est l’apartheid du racisme institutionnel et la montée des politiques réactionnaires. C’est la violence sexiste ... La vie quotidienne imprime la violence dans le corps de tous les hommes et de toutes les femmes, exploités, opprimés, bafoués, pressés jusqu’à la simple survie.
Résister et se révolter face à cette violence est un "instinct de vie".
Les exploiteurs monopolisent la violence. Elle se concentre et se condense dans les appareils et les rapports étatiques. La confrontation Etat/classe est donc bien toujours au coeur du conflit et de tous les conflits. Mais en des termes différents que par le passé. Avec la globalisation, l’étatique ne peut plus être résumé à l’étatique de l’État-nation ni au système des États. Désormais, les rapports et les appareils se dessinent différemment comme la conjoncture globale de leurs contradictions et de leur crise politique. L’étatique est le reflet des intérêts de monopoles transnationaux et de leurs déchirements dans une guerre concurrentielle sans merci.
Les flics et les lois d’exception sont le blindage des pouvoirs transétatiques locaux, nationaux et continentaux. Ils les militarisent. Plus les pouvoirs sont violents, plus la violence est pouvoir. Et plus le pouvoir réel de la puissance économique d’une poignée de monopoles et des élites gestionnaires les usurpe, plus ils ont l’impérieuse exigence de la manipulation spectaculaire du "démocratique". Plus ils diffusent une propaganda de légitimation obsessionnelle, omniprésente, omnidimensionnelle. La comédie est ainsi devenue la forme dictatoriale de gestion de la violence quotidienne. A cette fin, le protestataire a toujours été non seulement un ghetto tout à fait admissible pour les pouvoirs, mais plus encore, il constitue une culture aujourd’hui phagocytée à la survie du régime bourgeois. D’autant plus qu’il a su se garantir ce statut en s’accordant aux manipulations et à la dénonciation des révolutionnaires. De peur peut-être que le silence même puisse être compris comme un soutien tacite des "terroristes". Le pacifisme du protestataire est prisonnier de l’utilisation qu’en fait le pouvoir.
L’action des mouvements sociaux n’est une menace pour l’ordre que lorsqu’ils portent en eux ne serait-ce que le possible dépassement des cadres routiniers des luttes. Lorsqu’ils peuvent encore prétendre se transformer en une action révolutionnaire capable de poser la question de la violence. Mais aujourd’hui il est clair que les militants encartés ont intériorisé jusqu’à la caricature les axiomes du discours antiterroriste. Ils tricotent les messages de l’ordre et de la morale dans les prairies de la soumission. Ils répètent à tue-tête que le faible est l’agresseur et le puissant la victime, que le rebelle est le fanatique, l’exploiteur le représentant légitime, le partenaire de la conciliation "démocratique" et des fronts républicains antifascistes ! Les commémorations institutionnelles de Mai ont porté au pinacle ces pseudo-révolutionnaires. Leur chemin de Damas a été sanctifié. Et les clercs stigmatisent le "violent" comme une justification a posteriori de leur retour dans le giron des élites bourgeoises. 68 a été récupéré, car il pouvait encore l’être. Tous les aspects de protestataire métropolitain dont il n’était pas parvenu à se défaire complètement ont permis de phagocyter son histoire. Mais le mouvement insurrectionnel autonome de 77 qui l’a suivi ne pouvait connaître le même sort institutionnel. Des manifestations insurrectionnelles de Milan et de Rome aux résistances contre l’OTAN, au mouvement "asambleista" espagnol ; des révoltes de la base ouvrière aux offensives de la guérilla, le 77 autonome et armé avait ouvert une brèche véritable dans le consensus des centres impérialistes. A ce titre, la répression ne pouvait faire de demi-mesure. Il fallait qu’il soit anéanti de la mémoire collective. Et ces militants devaient se repentir ou crever dans les prisons spéciales.
Le mouvement de 77 avait porté trop loin l’alternative autonome au système, toutes les forces conjuguées de ce système lui font payer jusqu’à la lie. Mais la violence révolutionnaire est encore à l’ordre du jour et d’autant plus que les monopoles ont fini par accaparer tout l’espace politique et l’ont blindé. Décidément la violence révolutionnaire ne peut et ne chaussera jamais les godillots de l’image anachronique que beaucoup voudraient lui faire porter. Pour eux, elle ne serait plus qu’un souvenir, une vue de l’esprit et une dérive...
Qu’ils nous expliquent alors comment subvertir et détruire les monopoles et leur militarisme ? Comment briser le procès de fascisation de la globalisation ? Sincèrement, qui peut encore croire que l’on pourra vaincre en égrainant le chapelet des voeux pieux, par la lutte pour les petites réformes, par l’appel aux citoyennetés bourgeoises, par la pétition et les longues promenades ? Par le fait même de poser ces questions évidentes, nous entendons déjà les habituels anathèmes : aventuristes, substituistes, immédiatistes, anarchistes...
Dès 1971, Lotta Continua avait parfaitement révélé la substance de la condamnation : "Qui hurle scandalisé au terrorisme et au romantisme ne fait en réalité le plus souvent que masquer sa propre peur devant ses devoirs révolutionnaires".
Et c’est bien de cela dont il s’agit encore aujourd’hui. La violence dont les PP sont les symboles, n’est pas simplement une histoire passée. C’est-à-dire l’héritage humain de la lutte combattante des deux décennies précédentes avec ses avancées et ses erreurs. Elle va bien au-delà pour tous ceux qui se réfèrent encore à l’émancipation du prolétariat et qui prennent le temps de la lire dans le cadre d’un processus historique. Elle permet d’entrevoir la violence armée comme indispensable à la subversion de la gestion actuelle de nos sociétés néolibérales. Qu’il faut et qu’il faudra l’utiliser pour briser le carcan du faux protestataire. Car d’elle dépend la perpétuation de ce qui n’est qu’une soumission, différente certes, mais toujours une soumission aux devenirs de la dictature. Elle seule peut arracher les oripeaux des "songes bienheureux" de citoyennetés, de nouveaux "New deals" , du retour à l’Etat providence, d’unité antifasciste avec la bourgeoisie "progressiste", ...
Petite parenthèse. Nombreux sont ceux qui défilent hebdomadairement contre Le Pen, contre Fini... aux côtés de ceux-là même qui aujourd’hui font régner un silence de mort sur la détention politique de nos pays européens. En ce qui concerne les prisonniers de la guérilla, les gestions social-démocrates du carcéral n’ont rien à envier aux régimes autoritaires. Ils utilisent les mêmes méthodes : criminalisation, torture blanche, arbitraires, tabassages et les masquent d’une arrogance à toute épreuve. En France, les camarades Groix, Ramazan Alpaslan, Pello Marinelarenari sont morts dans leur cellule. De nombreux autres camarades sont atteints de maladies aujourd’hui incurables du fait de leurs conditions de détention. Deux cents prisonniers politiques croupissent dans les prisons de l’Etat français et les gestionnaires de la "mort lente" voudraient encore se mettre à la tête du combat antifasciste !
Celui qui ne veut pas parler d’impérialisme et de répression d’Etat devrait aussi se taire en ce qui concerne le fascisme. Mettre la question des PP et de la violence révolutionnaire sur le tapis c’est inexorablement agir à révolutionner les "révolutionnaires" de la métropole. Tout d’abord en faisant apparaître comment, depuis deux décennies, une connivence avec les gestionnaires de "gauche" dans les luttes utilisatrices de la charité ou de l’antifascisme institutionnel s’est sédimentée. Alors que ces bonnes âmes étaient au gouvernement les farouches défenseurs du néolibéralisme triomphant et les responsables d’un bond en avant sans précédent des inégalités. Qu’ils étaient les législateurs du nouvel apartheid et ceux de la "proportionnelle" pour le FN.
Mais également, le bon usage de la question de la violence et des PP doit être l’un des instruments de la lutte contre la tradition du gradualisme, héritée de l’opportunisme des vieux P"C". Tous ces concepts de la coexistence pacifique que l’on répète par habitude ; "la ligne de masse" et le refus de l’aspect minoritaire de la violence, enfin tout ce qui a toujours servi à repousser l’action révolutionnaire aux calendes grecques. Des décennies d’actions "responsables", de conciliation, d’électoralisme, de routine, de banalisation du message et de l’engagement révolutionnaire... ont fait perdre de vue au mouvement un des points cardinaux de la théorie marxiste : le saut du capitalisme au socialisme se fera dans la violence révolutionnaire. Et pas autrement. En conséquence, poser la question de la violence révolutionnaire, c’est retrouver le souffle du but révolutionnaire, et renouer ainsi le lien entre nos résistances et nos luttes actuelles et la possible destruction du système lui-même, entre le sens du combat de chaque jour et les intérêts historiques de notre classe.
C’est agir à la mémoire des luttes et retrouver le fil rouge qui la parcourt de juin 1848 à la Commune de Paris, de la révolution de 1905 à la révolution européenne de 1917-1923, à la révolution espagnole de 36, au Mayo 37 barcelonais, à la Longue marche chinoise et à la Révolution culturelle, à toutes les luttes de décolonisation, à Che Guevara dans les maquis cubains, congolais et boliviens ; et enfin du Mai piu senza fucile du 68 européen aux mouvement et aux offensives autonomes de 1977-78.
C’est finalement remettre l’usage de la théorie sur ses pieds. L’enseignement et l’expérience des luttes passées et du processus révolutionnaire tout entier font corps avec les problématiques de la pratique, avec la résolution des tâches, avec l’action directe des révolutionnaires aujourd’hui. La théorie de la lutte ne sera jamais le monopole des boutiquiers et des sacristains. A chaque mouvement renaissant, il est impératif de briser le commerce spectaculaire des uns et les litanies des autres, pour se réapproprier la théorie pratique. Dans l’actualité comme par le passé, la préparation et la mise en pratique de la violence révolutionnaire parlent de communisme. C’est la volonté d’incarner des moments du pouvoir de la classe. Sans une théorie, une mémoire et une pratique de la violence, jamais les militants prolétariens ne pourront se doter d’une stratégie conséquente de construction des pouvoirs de classe. D’autant plus qu’à notre époque le sujet déterminant est un prolétaire hautement précarisé. En effet, le porteur du sujet révolutionnaire de transformation sociale n’est plus l’ouvrier professionnel, ni même l’ouvrier-masse de l’après-guerre, mais un ouvrier paupérisé frappé par l’intensité de la violence de l’exploitation mondiale. Un sujet global de Djakarta à La Courneuve, de Los Angeles à Lagos, mais c’est dans le même temps un sujet reflet de la forte hétérogénéité sociale. L’homogénéisation et la polarisation de sa condition ont bouleversé les conjonctures de sa lutte de classe.
Aujourd’hui le prolétariat ne peut plus se recomposer avec les mêmes méthodes de lutte et d’organisation qu’il utilisait auparavant. C’est une évidence. Pire, ces méthodes sont devenues des entraves qui aggravent encore sa précarité économico-sociale avec toutes les conséquences des précarités politiques et culturelles. Le prolétariat précaire ne se recomposera pas comme classe révolutionnaire dans un processus de grèves ou grâce à la politisation syndicale en général, ni même par l’encartement à tel ou tel parti plus radical en parole que son voisin. Il ne le peut plus. Il s’éduque dans l’action directe et les flambées de révolte. Il est poussé inéluctablement à la confrontation violente par ses conditions de vie misérables et par la répression qu’exercent sur lui les représentants d’un capitalisme à bout de souffle.
Préparer la confrontation armée, c’est agir dès le premier instant à la recomposition de classe, agir à l’unité et à la politisation de ce prolétariat précaire global. C’est faire surgir la conscience qu’il représente la seule classe mondiale à pouvoir conduire jusqu’au bout le processus révolutionnaire. Une classe qui se constitue pour assumer ce rôle, sa nature historique et collective est de détruire sa nature immédiate et individualisée d’esclave économique et politique du capital. Ce processus de conscientisation et d’organisation est un processus de longue durée, une guerre de classe au cours de laquelle les combats sporadiques se généraliseront en affrontement insurrectionnel. Affronter la question de la violence s’enchaîne immédiatement en résolution révolutionnaire de son organisation. C’est la tentative de réponse collective et pratique au comment réarmer le prolétariat de la volonté de s’armer et de mener la guerre révolutionnaire contre le capital. C’est la mise en situation de ce questionnement au c’ur de la lutte pour l’autonomie politique.
Dans ce cheminement, la classe redressera son drapeau et son fusil, d’un même élan car ils sont indissociables. Elle portera ses intérêts et la guerre pour les faire triompher. Dans leur interaction, les intérêts guideront le fusil et le fusil ouvrira la voie à la révélation des intérêts mondiaux et sans concession possible.
Pour conclure. Que signifie le fait de mettre ainsi sur le tapis la question de la violence armée lors de cette Journée internationale du prisonnier révolutionnaire ? Nous entendons déjà du fond de nos cellules les soupirs des mauvais esprits. Non camarades, pour nous la question de la violence armée n’est pas la seule question révolutionnaire, ni la seule à devoir être traitée en urgence. Certains ont toujours caricaturé, et caricaturent encore les positions de la guérilla en essayant de faire croire que n’avons que ça dans la tête. Et en conséquence, trop souvent cet argument en conserve sert d’alibi à l’absence de la juste interrogation sur la nécessité de la violence et de sa pratique organisée. Il a toujours constitué l’ultime argument pour évacuer le débat.
Prisonniers de la guérilla, nous cherchons simplement à soulever les aspects fondamentaux de cette question. Toute son actualité. Et les contradictions dans lesquelles elle plonge tous les militants des pays impérialistes. Parmi eux, nombreux sont ceux qui soutiennent une guérilla dans le monde. Mais rares sont ceux qui font le saut en passant du soutien de cette situation particulière à la globalité de la problématique et ainsi à ses répercutions concrètes où que l’on se trouve. Car soutenir une guérilla révolutionnaire pose immédiatement un problème politique pratique. Tout faire pour le triomphe d’une guérilla au Mexique, en Turquie, en Asie, exige une réflexion profonde sur l’action qui doit être celle des révolutionnaires dans le "coeur de la bête", dans la citadelle des coffres-forts des monopoles. Là où vivent et prospèrent les propriétaires et les technocrates qui taillent en coupe la planète entière. Là où résident ceux qui exploitent et oppriment dans une dictature sans partage plus de 90 % du prolétariat international.
En 1972, Andreas Baader, Ulrike Meinhof et les camarades de la RAF ont apporté une première réponse en détruisant les ordinateurs des forces armées US planifiant les bombardements sur le Viêt-nam. Cette action dépassait le cadre du soutien pour être un acte concret de solidarisation des luttes anticapitalistes et anti-impérialistes ici avec la lutte d’émancipation dans les périphéries.
Depuis trois décennies, la globalisation des processus productifs et d’échange a connu un saut qualitatif sans précédent. Pas un jour sans que le moindre fait nous le rappelle. Mais cette globalisation est avant tout la mondialisation de la lutte des classes, la mondialisation des problématiques et la mondialisation des solutions. Dès lors, qui voudrait sérieusement nous faire croire qu’on peut tout à fait comprendre qu’on prenne les armes dans la Sierra et condamner ceux qui les utilisent dans les places fortes de l’ordre impérialiste ? Qui voudrait nous faire croire que le particulier domine à ce point la situation générale du conflit ? Que c’est une position juste et révolutionnaire ?
La quête de l’unité est la projection révolutionnaire du prolétariat mondial. Où qu’ils se trouvent, les révolutionnaires doivent renforcer et orienter cette "longue marche". Ils doivent avancer pour la recomposition et la politisation de la classe dans le cadre de l’espace dominant de l’époque, dans sa pluridimention du local au mondial. Partout ils doivent abattre les obstacles et les limites qui renvoient sempiternellement les luttes aux cadres et aux règles de l’organisation nationale et institutionnelle du système. Les deux sont aujourd’hui étroitement liés. Et dans la métropole impérialiste, le national et l’institution sont d’autant plus réactionnaires qu’ils sont instrumentalisés dans le processus de fascisation des monopoles. Les immenses armées des travailleurs pauvres, les nouveaux esclaves des grands monopoles et les déshérités des ghettos urbains, forment la majorité de l’humanité. Ce prolétariat précarisé est l’axe autour duquel doit se résoudre la question du partage de la richesse sociale et celle de l’appropriation des moyens de production. Il ne peut en être autrement. Aucune autre classe et strate de classe ne peuvent le substituer dans l’élan révolutionnaire. Et surtout pas, les représentants des classes locales et nationales métropolitaines qui finissent toujours par défendre le "progrès" et les réformes de la citoyenneté impérialiste et les saintes charités.
Comment peut-on croire qu’il y a ainsi une once d’espoir dans les limbes de la "gauche de la gauche" et les autres modes du protestataire métropolitain ? Ils en reviendront finalement tous et sempiternellement à préserver les petits avantages des conditions locales et à les aménager. Ils ne peuvent échapper à ce destin fonctionnaire.
D’ailleurs, ils savent bien qu’ils n’obtiennent ces petites réformes qu’à l’expresse condition de diviser la classe et de la mobiliser aux problématiques étriquées du petit chez-soi protégé par les armées aux frontières et les plans vigipirate. Sous le masque, ils collaborent à l’apartheid. Dans les métropoles européennes, depuis un demi-siècle, le triomphe de la pensée "social-démocratie" tant dans l’institution comme dans les groupuscules du protestataire révèle ainsi son imposture. Les demi-solutions des programmes populistes n’ont pas tiré le prolétariat des griffes des lois du capitalisme monopoliste. Au contraire, elles ont agi à leur dynamisme. La déconnexion entre les richesses accaparées et les pauvretés n’a jamais été aussi violente.
L’exploitation intensive s’est considérablement aggravée dans la haute productivité, les cadences infernales mais aussi la précarité et l’insécurité de l’existence de millions de prolétaires. La politique institutionnelle se résume désormais pour les prolétaires à plébisciter le choix entre le pire et moins pire ; ou à s’exclure du jeu. Mondialement, la classe prolétarienne est aujourd’hui seule face à l’alternative socialisme ou barbarie, que soulèvent les développements et les pourrissements du capitalisme. Partout où elle se révolte, elle doit empoigner les armes, des ruelles de Gaza aux barriadas de Bogota, du Chiapas aux cités-banlieues de nos mégalopoles européennes... Partout les masses débordent les cadres périmés des vieilles structures. Les partis et les syndicats institutionnalisés sont toujours plus réduits à l’impuissance de leur inadéquation face aux nouveaux espaces et à leur globalisation. Partout le prolétariat socialise les nouvelles résistances, dans l’auto-éducation et l’auto-organisation, dans la recherche de son autonomie politique. Bien sûr cela ne va pas sans de nombreuses errances. Les fausses croyances et les vrais intégrismes se répandent telle une nouvelle lèpre. Pourtant le souffle de la libération prend corps, il est plus fort. Partout où les prolétaires se révoltent, ils retrouvent le sens de la violence révolutionnaire. Les fusils et à défaut les pierres. Et on voudrait nous faire croire que le temps des guérillas est passé. Que la lutte armée est de l’histoire ancienne ! On voudrait nous faire croire que tout cela ne change rien pour les révolutionnaires ici. Qu’il faut poursuivre inlassablement jusqu’à l’absurde les routines du gradualisme révisionniste. Qu’il faut distiller de la parlote en conserve sur les prétendus lendemains nsurrectionnels et les patiences de leur préparation. La seule préparation authentique à la révolution est l’action révolutionnaire. Jamais le légalisme, le pacifisme et les concessions quotidiennes n’ont rapproché de la révolution.
Seule l’action révolutionnaire résolue, l’accomplissement des tâches telles qu’elles s’imposent véritablement à nous et la subversion des consignes de casernes font surgir l’esprit de la révolution. Les prémisses de l’élan révolutionnaire en devenir démontrent la centralité des liens indéfectibles entre les luttes pour l’autonomie de classe, la libération par les armes et l’internationalisme prolétarien. Ce n’est qu’un début...
On a raison de se révolter !
Oser lutter, oser vaincre !
19 juin 1998
Joëlle Aubron
Nathalie Ménigon
Jean-Marc Rouillan
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