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Recueil de textes
The Tottenham Chronicles
émeutes et pillages au Royaume-Uni du 6 au 10 août 2011
mis en ligne le 14 octobre 2011 - Federico Campagna , Joseph K , Le Réveil , Libcom , Max von Sudo , Occupied London collective , Workers Solidarity Movement , Zanzara athée
Sommaire :
Analyse critique d’une révolte
– Les yeux grands ouverts à Londres
– Londres brûle – causes et conséquences des émeutes, une perspective anarchiste
“On cible les richesses...”
– Émeutes à Londres : combats sur Mare Street
– Quand le silence s’ébruite
– Criminalité et récompenses
– Cinq postes de police attaqués à Nottingham
Traque & répression
– Vengeance de classe
– Pas de panique, ne parle pas
– Camouflage digital
– Remplir les comicos, remplir les tribunaux, remplir les prisons
– Nouvelles technologies + police + citoyenneté = répression 2.0
Analyse critique d’une révolte
Les yeux grands ouverts à Londres
Des visages souriants, certains sous des foulards et des cagoules. C’est ici, à Hackney, Londres. Ou alors c’était à Hackney la nuit dernière. C’est quelque part ailleurs ce soir et ce sera encore ailleurs dans quelques heures à peine. Les sourires sont là parce que les rues ont été prises et parce que plus personne n’a peur de la police.
Certaines personnes disent que mettre le feu à une voiture de police n’est pas politique, que le pillage d’un magasin est un acte de voyous égotistes, qu’il est irresponsable de briser des vitrines. Ceux qui disent que ce n’est pas politique ont vécu dans cette ville avec les yeux clos, ne voyant pas les immenses inégalités grandissantes et la répression économique et sociale. La politique. Les politiques de logement. Les politiques urbaines. Les politiques sociales. Les politiques financières. Avec quels résultats ? Non seulement les gens vivent dans des logements de merde, avec des boulots de merde, et se font emmerder quotidiennement par la police, mais pour la plupart, les perspectives sont encore plus merdiques, avec la crise financière et les restrictions budgétaires de plus en plus pénibles à vivre.
Il y a aussi ceux qui disent que ce n’est pas politique parce que les cibles sont mauvaises – des commerces locaux et quelques lieux d’habitation sont malheureusement a compter parmi les victimes. Ils disent aussi que ce n’est pas politique parce que le pillage sert plus le marché noir que la nécessité de se nourrir, ou parce que les gens volent des vélos et des caméras aux spectateurs, mais il ne s’agit pas d’émeutes consciencieusement organisées comme certains l’auraient souhaité. C’est une réaction, une révolte, l’éclatement d’une bulle de colère, de répression, d’ennui pur, de dépression et du manque de possibilités. Et quand cette bulle finit par éclater, tout devient une cible potentielle pour la vengeance d’un assassinat policier, mais il y aussi l’amusement, l’assurance de s’emparer de marchandises, et regagner du pouvoir sur sa propre existence pour un moment, et à travers toute la ville pendant quelques jours.
Comme dans toute action de rue, chaque personne impliquée a sa propre façon de s’exprimer, il y a constamment des discussions d’ordre politique et des débats de rue entre les gens sur les actions à mener. Dire que les gens impliqués sont tous des voyous et qu’ils n’ont rien de politique est un mensonge. Comment les discussions et actions contre le continuel harcèlement et les assassinats policiers peuvent-ils ne pas être politiques ? Comment les discussions sur comment réagir face aux problèmes sociaux, aux restrictions budgétaires du gouvernement imposées à l’éducation et aux activités de jeunes, face au chômage, au manque même du plus petit niveau d’auto-détermination, ne peuvent-elles pas être politiques ? Comment peut-on considérer aussi soudainement autant de jeunes gens comme des voyous ordinaires et des criminels ?
Dans un journal, un nouvel habitant de Hackney se plaint de ne plus se sentir en sécurité dans le quartier, alors qu’il pense que les problèmes sociaux ou les fusillades sont internes aux gangs, aujourd’hui il est terrifié à l’idée de sortir de chez lui. Cela montre bien la ségrégation, même dans les quartiers les plus mixtes, et comment il est facile d’oublier les problèmes sociaux tant que les victimes sont jeunes et noires. Ces jours-ci, les victimes ne sont pas jeunes et noires.
Hormis la peur, comment réagissent les autres gens ? Certains sont furieux, furieux à propos de la destruction de quartiers déjà pauvres, certains sont organisés et défendent leurs quartiers comme la communauté turque à Stoke Newington, chassant un groupe d’émeutiers hors de leur territoire, et d’autres organisent des rondes et des discussions dans la rue pour trouver d’autres moyens de réagir au meurtre de Mark Duggan.
Au troisième jour, les sirènes ne cessent de retentir à travers les rues. Tous les employés du centre de Londres ont été prévenus par la police qu’il valait mieux quitter leur travail plus tôt et rentrer chez eux afin d’éviter les émeutes nocturnes attendues. Une réunion COBRA (Cabinet Office Briefing Room A) s’est tenue après que le premier ministre fut convaincu qu’il devrait écourter ses vacances toscanes et prendre un avion pour Londres. Les balles en caoutchouc ont été évoquées, et l’augmentation des effectifs policiers semble être le seul remède qu’ils veulent nous foutre au fond de la gorge contre une maladie sociale qui n’est devenue mortelle qu’après que la police ait tué un homme.
Occupied London collective - 9 août 2011
Londres brûle – causes et conséquences des émeutes, une perspective anarchiste
[…]
Que s’est-il passé ?
Dans la guerre, on dit que la première victime indique la vérité. Après quatre jours d’émeutes de masse ininterrompues qui sont parties du Nord de Londres, il faut revenir en arrière et considérer ce que nous avons appris. Le caractère massif des désordres s’illustre par le fait que la police dit avoir arrêté plus de 1.500 personnes, un chiffre qui ne peut représenter qu’une petite partie de ceux qui ont participé aux émeutes.
Le meurtre de Mark Duggan
La cause immédiate des émeutes a été le meurtre de Mark Duggan par la police armée, le jeudi 4 août, alors qu’il rentrait chez lui à bord d’une camionnette. Au départ, la police a parlé d’une fusillade ayant entraîné la mort, mais quelques temps plus tard, il s’est avéré que la balle qui avait frappé la radio d’un policier avait été tirée par le policier qui avait tué Duggan par balles, et qu’il n’y avait pas de preuves que Mark Duggan eût ouvert le feu sur les policiers. Une semaine plus tard, l’Independent Police Complaints Commission (IPCC) [sortes de boeufs-carottes britanniques] a fini par reconnaître dans les pages du Guardian : « Il semble possible que nous ayons par nos paroles induit les journalistes à croire que des coups de feu avaient été échangés. »
Mark Duggan, homme noir de 29 ans et père de trois enfants, rentrait chez lui en camionnette lorsqu’eut lieu la tentative d’interpellation. Un agent de l’escouade CO19 de la police métropolitaine armée lui tira dessus par deux fois, une balle dans la tête le laissa raide mort. L’autre balle s’est logée dans la radio d’un de ses collègues. Sur les lieux, les policiers ont retrouvé une arme qu’ils attribuent à Mark Duggan. Il s’agit d’après eux d’un pistolet d’alarme, transformé pour pouvoir utiliser de vraies balles.
La police s’empresse de justifier le meurtre en présentant Duggan comme un gangster. Mais sa fiancée Semone Wilson a expliqué à la chaîne de télévision Channel 4 News que s’il avait fait de la prison en préventive, lui et elle s’apprêtaient à quitter Tottenham pour entamer une nouvelle vie avec leurs enfants. Elle a dit également : « Même s’il avait une arme, chose que j’ignore, Mark aurait fui. Mark est un homme qui s’esquive. Il aurait pris la tangente, plutôt que de faire feu, je vous dis cela car ça me vient du fond du coeur. »
L’exigence de réponses et le début de l’émeute
Semone Wilson et d’autres membres de la famille sont allés au commissariat de Tottenham à 17h le samedi 6 août, avec des dirigeants de la communauté, pour qu’on leur donne des réponses au sujet du meurtre. La police ne leur a présenté aucun responsable et aucune réponse ne leur a été fournie, et trois heures et demi plus tard, l’émeute a commencé au moment de la dispersion de la manifestation, apparemment suite à la bastonnade par la police d’une jeune fille de 16 ans qui se tenait aux avant-postes de la foule.
Lors des émeutes qui ont eu lieu cette nuit-là, deux voitures de police et un bus ont été incendiés et plusieurs magasins attaqués. L’émeute s’est propagée de Tottenham à Enfield et à Brixton. Les rapports de police font état de 55 arrestations et de 26 blessés parmi les forces de l’ordre. A cette étape, la famille Duggan a pris ses distances avec le mouvement émeutier.
La propagation de l’émeute
Lors des trois nuits qui ont suivi, l’émeute s’est propagée dans toute l’Angleterre, avec des points chauds signalés à Birmingham, Salford, Liverpool, Nottingham, Leicester, Manchester, Wolverhampton, West Bromwich, Gloucester, Chatham, Oxford et Bristol.
La police a tôt fait d’être débordée, et a profité du fait que la majorité des émeutes se soient focalisées sur le pillage plutôt que sur l’affrontement direct avec elle. Ceci ne s’est pas vérifié partout. A Nottingham, pas moins de cinq commissariats ont été attaqués, mais dans la majorité des cas, les émeutiers se sont dispersés à l’arrivée de lourdes forces de police, pour se regrouper plus tard et reprendre ailleurs les pillages.
Quand elles prennent cette forme, il est très difficile pour la police de contenir ces émeutes. Dans une émeute traditionnelle dirigée contre la police, il y a des lignes de policiers denses et statiques, lourdement équipées, qui font face à des émeutiers qui leur jettent des projectiles à distance. Chaque camp peut avancer, reculer et tenter de prendre à revers son adversaire, mais ce schéma implique que la destruction et le pillage sont relativement limités. Mais dans le cas qui nous occupe, la plupart des émeutes qui ont eu lieu après la première nuit se sont concentrées sur le pillage et ont esquivé la police, sans confrontation directe.
Hugh Orde, président de l’association des commissaires de police, a écrit un article dans le Guardian au beau milieu du mouvement émeutier, qui critiquait l’usage du canon à eau et des balles en plastique. Non pas pour des raisons morales, puisqu’il avait ordonné leur emploi à plusieurs reprises lorsqu’il était chef du PSNI en Irlande du Nord. Il considérait évidemment que des citoyens britanniques à Londres ne devraient pas subir le même traitement que des citoyens britanniques en Irlande, mais, ceci mis à part, son argument principal est d’ordre tactique. Il écrit : « Les canons à eau, dont la logistique est difficile à mettre en oeuvre, fonctionnent bien contre de grandes foules statiques qui jettent des projectiles sur la police (…) Cela permet de maintenir une distance, parfois vitale, entre la police et des foules hors-la-loi. Les matraquages, tactique plus sévère, sont là fondamentalement pour protéger la vie. (…) Ce que nous avons vu jusque-là dans ces émeutes, ce sont de petits groupes de hors-la-loi se déplaçant rapidement, situation qui exige un traitement policier particulier et approprié. »
Dans sa couverture des événements, le journal The Economist a confirmé la raison pour laquelle la police avait perdu le contrôle : « L’ancien manuel policier se base sur deux principes qui se sont montrés soudain inappropriés. Le premier affirme que les émeutiers cherchent à aller attaquer la police, la situation est donc plus facile lorsqu’on sait qu’ils seront là où vous êtes. Le second affirme que l’objectif principal est de tenir le terrain, plutôt que les gens. Mais comme le remarque M. Innes, la police doit aller chercher les flash mobs [rassemblements-éclairs], qui se servent des nouveaux réseaux sociaux pour aller se rassembler et piller un endroit, puis se disperser et se réunir ailleurs : "Il nous faut les suivre, les harceler et les éloigner". Le problème reste que lorsque les pillards sont chassés, ils se divisent, ce qui disperse d’autant les forces de l’ordre. Même si la police en interpelle et en arrête un (tâche qui accapare au moins deux policiers dont on pourrait avoir besoin ailleurs), elle ne pourra l’accuser que d’un délit mineur de trouble à l’ordre public. »
La forme particulière qu’a prise ce mouvement émeutier se voit aussi au pourcentage d’arrestations liées aux violences à agent. A part la première nuit à Tottenham, qui a vu la police être la cible de l’émeute, le nombre de policiers blessés comptabilisés est inférieur à celui qu’on dénombre dans les émeutes où la police est affrontée ou chargée. On comptabilisa lors des émeutes de 1981 à Brixton quelque 299 policiers blessés contre seulement 82 arrestations, d’après les chiffres officiels de la police. Evidemment, du point de vue de la police et de l’élite britannique, c’est une chance que l’émeute ait pris cette forme pillarde, d’autant plus que les pillages se sont en général cantonnés aux quartiers les plus déshérités des villes, ce qui signifie qu’aucune parcelle massive du capital ou de l’Etat n’a été lourdement endommagée.
Quel parti prendre ?
Dans Hommage à la Catalogne, George Orwell a donné un point de départ général utile aux anarchistes pour ce qui touche aux émeutes : « Je n’ai pas d’affection particulière pour l’ouvrier idéalisé tel que la mentalité communiste bourgeoise se le représente, mais quand je vois un ouvrier en chair et en os entrer en conflit avec son ennemi naturel le policier, je n’ai pas besoin de me demander quel parti prendre. » Ce qui s’est passé à Londres et qui s’est étendu ailleurs n’a pas été quelque glorieux soulèvement prolétarien idéalisé, mais l’explosion très réelle de la colère qui surgit lorsque des années de pauvreté, de répression policière et de racisme atteignent leur point de rupture.
Des choses horribles ont eu lieu pendant les émeutes, mais les politiciens qui versent des larmes de crocodile devant les incendies de boutiques et les agressions anti-sociales sont ceux-là mêmes qui ont bombardé l’Irak jusqu’à faire revenir ce pays à l’âge de pierre, qui ont organisé la guerre et l’occupation qui ont tué des centaines de milliers de personnes. Il n’est pas nécessaire de considérer les émeutiers comme des exemples d’ouvriers idéalisés pour mesurer l’hypocrisie et les mensonges étalés par les politiciens et les médias qui ont décrit, à qui mieux-mieux, les événements comme le spectacle d’une stupéfiante horreur, plutôt que comme la conséquence d’une société profondément divisée.
Ceci ne veut pas dire que nous suggérions que la "réponse" aux émeutes consisterait à multiplier les séances de pourparlers communautaires, destinées à tenir les jeunes loin des rues. Ce genre d’aménagement de surface peut bien être appliqué pendant les lendemains pour examiner des symptômes, mais la cause gît dans l’inégalité profonde qui est inhérente au capitalisme. Cette division a des effets terribles sur les individus qui sont captifs au fin fond de la pyramide des richesses, le plus souvent dans des conditions de pauvreté, de chômage et d’exclusion partagées entre plusieurs générations.
Brève histoire des meurtres policiers
Les motivations du mouvement émeutier, une fois passée la première nuit, ne peuvent se réduire au simple facteur qu’a été le meurtre de Mark Duggan. C’était plutôt l’étincelle qui a enflammé le papier d’allumage au‑ dessus d’un petit bois tout prêt à s’embraser.
Le meurtre de Mark Duggan est le dernier en date d’une longue série de morts violentes perpétrées par la police. Depuis 1990, 900 personnes sont mortes entre les mains de policiers, dont un quart dans les commissariats de la Police Métropolitaine. On compte 333 morts depuis 1998, 87 d’entre elles ont eu lieu alors que les victimes étaient retenues entre les mains des policiers. Aucune de ces morts n’a été suivie de procès victorieux contre les policiers impliqués ; en fait, aucun policier n’a été reconnu coupable des morts dans les locaux de police s’étant produites dans les quarante dernières années.
En 1979, Blair Peach a succombé à ses blessures alors qu’il participait à une manifestation anti-raciste à Londres. Quatorze témoins virent Blair se faire frapper par des policiers du Special Patrol Group de la Metropolitan Police Force, mais personne ne fut accusé et l’enquête conclut à un "décès malencontreux" ["death by misadventure"]. En 1989, cette police métropolitaine réussit à débouter le frère de Blair Peach de sa plainte. En 1985, les émeutes de Broadwater Farm furent déclenchées par un incident semblable : une mère de 49 ans, Cynthia Jarrett, s’était évanouie et était morte alors que son domicile était perquisitionné.
En 2005, Jean Charles de Menezes, Brésilien et innocent, fut frappé de sept balles dans la tête par la Police Métropolitaine alors qu’il entrait dans le métro à la station Stockwell. Plus récemment, des milliers de personnes ont manifesté au sud de Londres au début de cette année pour protester contre la mort de l’artiste reggae Smiley Culture, que les policiers accusaient de s’être poignardé à mort alors qu’ils perquisitionnaient chez lui.
Ceux qui meurent dans les commissariats viennent en général des sections les plus pauvres de la classe ouvrière. En Grande-Bretagne en général et à Londres en particulier, les minorités ethniques sont massivement sur-représentées dans les 10% les plus pauvres de la population, et cela, en plus du racisme direct, explique que les minorités ethniques sont encore une fois sur-représentées parmi la masse de gens qui meurent dans les commissariats. Depuis 1998, sur les 333 qui sont morts dans les commissariats, il y avait « une majorité de Blancs (75%), hommes (90%) et âgés entre 25 et 44 ans. » Mais comme 91% de la population britannique est classée comme « blanche », cela signifie que les 9% qui restent comptent pour 25% des morts dans les commissariats.
La police en Grande-Bretagne n’est pas différente des polices ailleurs dans le monde sous ce rapport. En Irlande, les morts au commissariat de Terence Wheelock, John Maloney et Brian Rossiter, parmi d’autres, ont encore des zones d’ombre. Si le meurtre de Mark Duggan n’avait pas été suivi d’émeutes, son assassinat n’aurait pas représenté autre chose qu’un bref entrefilet dans les informations.
La situation économique de Tottenham
Tottenham se trouve dans l’arrondissement d’Harringey, c’est là que l’émeute a commencé. Le taux de chômage y est de 8,8%, ce qui représente le double de la moyenne nationale, on estime qu’il y a en moyenne un emploi pour 54 demandeurs. Sur la liste des 354 arrondissements d’Angleterre, Tottenham est à la 18e place des plus déshérités (en partant du bas), et d’après les chiffres de l’organisme End Child Poverty, environ 8 000 enfants vivent dans des logements temporaires. Harringey a le 4e plus haut taux de pauvreté infantile de Londres, avec le chiffre vertigineux de 61% d’enfants vivant dans des familles à bas revenus.
Les coupes budgétaires affectant les dispositifs de maintien dans le système éducatif, qui étaient considérés comme un moyen d’encourager les jeunes défavorisés à rester scolarisés, jointes à la hausse du prix des inscriptions à l’université, ont frappé durement les jeunes des villes, qui voient toutes les options disparaître. Symeon Brown, activiste de 22 ans contre les coupes budgétaires à Harringey, explique : « Comment est-ce qu’on crée un ghetto ? En faisant disparaître les services dont les gens dépendent pour vivre et améliorer leur sort ».
Plusieurs clubs de jeunesse ont été récemment forcés de fermer leurs portes à Tottenham, suite à une coupe de 75% des allocations destinées aux services à la jeunesse, alors que le conseil d’arrondissement subit une réduction de 41 millions de £ par rapport à sa subvention ordinaire de la part du gouvernement central. Fin juillet, le Guardian avait sorti une vidéo sur les fermetures de clubs, dans laquelle on voyait un jeune habitué de ces clubs prédire une émeute.
La crise et les coupes budgétaires
Le contexte dans lequel est pris le mouvement émeutier n’est pas seulement celui de la pauvreté sévissant à Tottenham et dans d’autres quartiers populaires de Londres intra-muros, il s’agit de la détérioration du sort de la classe ouvrière engendré par la crise capitaliste. Même avant la crise, le néo-libéralisme a élargi le fossé séparant riches et pauvres. Les 1% les plus riches en Grande-Bretagne ont une richesse estimée a minima à 2,6 millions de £ ; quant aux 10% les plus pauvres, ils possèdent pour moins de 8 800 £, automobile comprise. Ce qui fait que les moins riches parmi les 1% sont environ 300 fois plus riches que les plus riches parmi les 10%. Ces statistiques ont été divulguées dans un rapport gouvernemental intitulé Anatomie de l’inégalité économique au Royaume-Uni et publié en janvier 2010.
Comme on peut s’y attendre, la race coïncide largement la classe quand il s’agit de pauvreté. « Comparés à un Britannique blanc et chrétien de même niveau de qualification, d’âge et d’emploi, un Pakistanais ou un Bangladeshi musulman ou un Africain chrétien a un revenu inférieur de 13 à 21%. Presque la moitié des foyers bangladeshi et pakistanais vivent dans la pauvreté. »
Les banquiers du Royaume-Uni se sont octroyés des bonus de presque 14 milliards cette année, et David Cameron n’a pas poussé de cris d’orfraie. Au contraire, il s’est échiné à accabler d’impôts les travailleurs du secteur public et à saigner à blanc les services sociaux. Une partie de l’explication de la profondeur des émeutes, de leur extension et de leur colère, se trouve dans les effets que ces coupes budgétaires ont produit sur ceux qui vivaient déjà au fin fond de la pyramide sociale.
Dans un article publié par le London Independant, Boff Whalley de Chumbawamba [un groupe de rock] cite Andrew Maxwell, un comédien irlandais, disant : « Créons une société qui valorise les choses matérielles au-dessus de tout. Séparons-nous de l’industrie. Augmentons les taxes des pauvres et réduisons celles des riches et des grandes entreprises. Alimentons les institutions financières d’argent public. Demandons plus de taxes tout en réduisant les services publics. Mettons des publicités partout, sans prendre en compte la capacité des gens à s’acheter les marchandises dont elles font l’article. Permettons que le coût de la nourriture et du logement dépasse la capacité de les payer. Enflammons le papier d’allumage. »
La droite et la majorité des médias veulent nier tout rapport entre la pauvreté et le mouvement émeutier, mais la cartographie des émeutes exhibe clairement que celles-ci ont eu lieu dans et autour des quartiers où vivent les sections les plus pauvres de la classe ouvrière.
La politique des émeutes
Les gens ne sont pas idiots. Ils peuvent saisir l’injustice du sort qui leur est fait. Ils ne sont pas entendus. Lorsque ce sentiment d’être ignoré et exploité se répand dans une société, il ne faut pas grand chose pour enflammer le papier d’allumage au dessus du petit bois. Mais, dépourvue d’organisation politique, ou au moins d’une politisation extensive, la colère se manifeste d’une façon fruste et mal ciblée. Ceci ne veut pas dire que les émeutes étaient apolitiques, étant donné qu’elles étaient animées par des ressorts économiques et sociaux. Le journal Daily Mail cite une jeune femme qui dit avoir quitté l’école à 13 ans : « Toutes ces enseignes cossues pour richards reçoivent un peu de la monnaie de leur pièce, et il est temps pour nous, les pauvres pékins de base, d’avoir notre mot à dire dans ce pays. »
La Gazette de Montreal a publié des interviews d’émeutiers intéressantes. Ils sont d’un quartier d’Hackney [quartier populaire de Londres] et défendent l’émeute en termes directement politiques. L’un d’entre eux dit : « Ce n’étaient pas les voyous typiques du coin, non. C’était des travailleurs, des gens en colère. Ils ont augmenté les prix, ils ont baissé les allocs. Alors tout le monde ici a pris ça comme une chance à ne pas rater. » Une femme de 39 ans est citée ainsi, indirectement : « Ni elle ni d’autres n’ont de sympathie pour la plupart des commerçants dont les boutiques ont été pillées et brûlées, qu’elles identifient aux chaînes de grands magasins qui ont peu à offrir à leur communauté. Nombre de boutiques en vue à Hackney ont de plus en plus comme clientèle des salariés des classes moyennes et des bobos blancs qui ont déménagé ces derniers temps dans les belles maisons d’Hackney, qui sont à quelques pas des coins les plus sordides. »
Les politiciens cherchent à nier tout aspect politique dans les émeutes, et jouent d’intimidation contre tous ceux qui font remarquer ces évidences, en les accusant de soutenir l’incendie et l’agression. Sous cet aspect, ces émeutes sont traitées différemment des émeutes estudiantines de l’hiver dernier et des émeutes anti-coupes budgétaires du mois de mars. Pendant ces mouvements, les politiciens laissaient entendre que les désordres étaient le fait d’une minorité d’anarchistes et d’ "agitateurs extérieurs". Cette fois-ci, ils cherchent à empêcher toute discussion sur les raisons qui ont engendré quatre nuits d’émeutes massives.
Ils disent que dans de nombreux quartiers, le caractère parfois déconcertant des cibles attaquées prouvait le manque de politique collective derrière le désir de détruire. Ce n’est pas que les gens étaient désorganisés. Les émeutes ont témoigné d’un grand sens de l’organisation lorsqu’il s’est agi de piller ces biens que les émeutiers ont été poussés à désirer mais sans pouvoir se les payer, mais à part cela, il y avait une tendance à attaquer toute figure de l’autorité, même minime, qui se trouvait en chemin et à portée de main. Il y a des parallèles évidents avec le mouvement émeutier des banlieues de France en 2005, qui vit des écoles et des structures municipales être détruites pour les mêmes raisons.
Mais, comme nous l’avons vu, au moins certains possédaient une compréhension politique claire de ce contre quoi ils se battaient, et il y eut aussi des attaques contre les véhicules de police et même contre des commissariats, chose qui exige une organisation et une coordination collective. Cinq commissariats ont été attaqués à Nottingham, avec destruction de véhicules de police à Nottingham, Bristol et à Tottenham même.
Mais qui se soucie des Jeux olympiques ?
Quelques médias ont donné dans le : « Juste Ciel, mais que vont devenir les Jeux olympiques ? » Mais oui, bigre ! que vont-ils devenir ? Des émeutes ont eu lieu près des futurs sites olympiques. Ces endroits où les services publics sont saignés reçoivent de la région 10 millions de £ qui sont dilapidés pour ces Jeux, qui ne bénéficieront que fort peu aux riverains, et qui leur causent tout un tas d’embêtements quotidiens, chose qui montre bien où sont les priorités de ceux qui sont au pouvoir.
Le journal The Economist a sonné l’alerte en ces termes : « Imaginons que par une funeste coïncidence, des membres du comité olympique international viennent cette semaine pour voir où en sont les préparations des Jeux de l’année prochaine, la plupart des événements sportifs auront lieu près des pires terrains d’émeutes. »
On peut supposer qu’à l’image de la répression lors des Jeux olympiques mexicains en 1968, où des étudiants protestataires furent flingués, les sentences sévères qui ont frappé cette semaine servaient en partie à rassurer le comité olympique sur le fait que Londres serait pacifiée pendant les Jeux. L’emprisonnement de tant de fils, filles, frères et soeurs venant des quartiers où les Jeux vont se tenir ajoute à l’insulte faite à la population locale. La réalité des Jeux olympiques est revenue dans la figure de Londres lorsque la première femme emprisonnée, âgée de 18 ans, s’est révélée être une athlète locale, qui avait en outre été sélectionnée en tant qu’ "ambassadrice olympique" et avait rencontré Sebastian Coe, le chef des Olympiades britanniques, et le maire de Londres Boris Johnson !
Classe et race
Dans la gauche institutionnelle, les explications des émeutes, lorsqu’il ne s’agit pas tout simplement de traiter les émeutiers de voyous sans conscience, se concentrent le plus souvent sur l’élément racial pour tenter de faire rentrer les événements dans le moule tout prêt de « l’émeute raciale », c’est-à-dire le meurtre d’un homme noir par un policier blanc (probablement), qui débouche sur l’échauffement des esprits chez les jeunes Noirs, constamment harcelés par des vérifications d’identité ["Stop and search" : il s’agit d’arrestations et de fouilles], et ainsi de suite.
Il y a certainement du vrai dans cette analyse : les jeunes Noirs ont 26 fois plus de chances de subir une vérification d’identité au hasard que leurs alter ego blancs, et leur chances de se faire blesser ou tuer par la police sont sans égales.
Dans le Royaume-Uni, comme ailleurs, la pauvreté coïncide fortement avec l’appartenance à une minorité ethnique. D’après l’organisme Oxfam : « 69% des Bangladeshi et des Pakistanais vivent dans la pauvreté au Royaume-Uni, comparés à 20% de la population blanche ». Même si cela signifie que la majorité des pauvres au Royaume-Uni sont blancs, dans Londres intra-muros, où le mouvement émeutier a commencé, 70% des pauvres font partie de groupes ethniques minoritaires. Nulle coïncidence ici, mais le symptôme d’un système qui utilise le racisme comme arme pour diviser la classe ouvrière afin de préserver les privilèges de la classe bourgeoise (majoritairement blanche).
Des problèmes comme la brutalité et le harcèlement policier, le chômage et la pauvreté ne sont pas l’apanage exclusif des minorités ethniques. Ce sont des problèmes touchant toute la classe, qui affectent les sections les plus pauvres et les plus marginalisées de la classe ouvrière et reflètent le mépris avec lequel la police traite les gens du peuple. Cette vérité se vérifie quand on voit la mixité de la composition ethnique des émeutiers.
[...]
Bien qu’à un niveau rhétorique, l’establishment britannique ait reconnu le problème du racisme institutionnel et adopté le multi-culturalisme depuis les émeutes des années 1980, peu de choses ont été faites pour s’occuper vraiment du racisme structurel qui traverse la société britannique. La formation au "ménagement des susceptibilités" ["sensitivity training" – cf. le début du film Hot Fuzz où le personnage principal reprend ses collègues flics avec son langage neutre et non-agressif – NdT] et autres initiatives n’ont pas beaucoup changé le racisme policier qui porte sa marque sur l’expérience des Noirs urbains. Cependant, cette explication simpliste, qui voit la race séparément de l’oppression de classe, a peu de pouvoir explicatif pour rendre raison de la totalité de ces quatre nuits d’émeutes.
Pourquoi ? Une explication simple dirait que la police ne prend pas assez au sérieux le racisme en son sein. Une explication plus satisfaisante reconnaît que des pourcentages disproportionnés de minorités se rencontrent dans les sections les plus pauvres et marginalisées de la classe ouvrière, et que le rôle central de la police, qui est de faire appliquer les lois qui font fonctionner le capitalisme, aboutit au fait que celle-ci cible cette section qui a le moins à perdre et le plus à gagner en outrepassant ces lois.
Comment racisme et pauvreté s’entrecroisent
Alex Carver, témoin des émeutes, a expliqué ceci dans une interview donnée à wsm.ie : « On éreinte encore et toujours la police pour son racisme, qui doit être endémique dans cette institution, vu les chiffres des contrôles d’identité et de la population carcérale. Mais si elle avait pu faire quelque chose à ce sujet, elle l’aurait fait. Je pense que le fait d’exiger un changement dans ces chiffres n’est qu’une mascarade politicienne pour embrouiller un problème qui est directement un problème de classe et de pauvreté. Les zones géographiques d’où viennent la population carcérale et les gamins qui se prennent des contrôles d’identité à tout bout de champ, ce sont les quartiers pauvres, abandonnés par la classe politique, dont les besoins ne sont pas satisfaits par l’économie. »
Si cette analyse est juste, le racisme structurel est une conséquence imparable du système capitaliste qui a piégé une grande proportion des minorités ethniques dans la pauvreté et l’exclusion. Une confirmation éloquente de cette thèse, selon laquelle la pauvreté et l’exclusion sont les causes des émeutes, c’est sa réfutation débitée à longueur de temps, fondée sur des exemples d’individus qui ont réussi à se sortir de ce piège. Dans cette phase du capitalisme, où la crise aboutit à des saignées dans les aides sociales, la seule "solution" proposée, c’est la fuite individuelle, accouplée à des appels de plus en plus furieux à une discipline imposée de l’extérieur. Nous ne voulons pas dire par là qu’il ne faut pas combattre le racisme institutionnel, mais tirer au clair le fait que, dans une période de crise comme la nôtre, ce combat ne peut pas être gagné, parce que les conditions recréeront continuellement ce racisme.
Une bonne preuve de cela peut être trouvée aux USA, où, après les victoires des mouvements pour les droits civiques, les villes majoritairement noires (ou hispaniques) se dotèrent de forces de police et de conseils municipaux majoritairement noirs (ou hispaniques). Or, dans ces villes, telles Atlanta, Detroit, El Paso, Miami et Washington, les victimes de la violence policière proviennent très largement des populations noires et hispaniques. Le chercheur Ronald Weitzer, a expliqué dans son article “Can the police be reformed ?” ["Peut-on réformer la police ?"] la chose suivante : « Bien que les études d’Etat montrent que les policiers noirs sont plus disposés que leurs alter ego blancs à admettre que la police traite les minorités et les pauvres moins bien que les Blancs et que les bourgeois, la plupart des recherches montrent pourtant que les policiers noirs et blancs diffèrent fort peu lorsqu’il s’agit de leur action concrète face aux citoyens. Quand ils passent à la pratique, les policiers sont principalement "bleus", non pas noirs, bruns ou blancs. »
Qui a pris part aux émeutes ?
Contre l’idée selon laquelle le racisme a été le seul ou le principal motif du mouvement émeutier après la première nuit, l’argument-massue a consisté à montrer que beaucoup d’émeutiers étaient blancs. En soi, cela ne démontre rien, car dans les prétendues émeutes raciales des années 1980, beaucoup de Blancs avaient décidé d’aller affronter la police aux côtés des minorités ethniques, cibles directes du racisme policier, dans un geste de solidarité politique. Mais aller piller un magasin Curry [un équivalent de Darty en plus petit] n’a rien à voir avec la solidarité, mais avec un intérêt commun. Les nombreuses photos de pillards, ainsi que les témoignages oculaires des participants, font état de foules multi-ethniques.
Le premier procès a confirmé cela. Le Telegraph a rapporté que parmi ceux qui étaient mis en examen, « seuls quelques uns n’avaient pas de casier. Beaucoup semblaient être des criminels professionnels. La plupart étaient des adolescents ou avaient une vingtaine d’années, mais un nombre étonnant d’entre eux étaient plus âgés. Le plus intéressant, c’est que la grande majorité était blanche, et beaucoup avaient un emploi. » Parmi eux, un ouvrier du bâtiment, un postier, et un agent de l’éducation nationale gagnant 1 000 £ par mois. Le Torygraph [jeu de mots sur Telegraph, journal réac] glisse savamment sur cette liste d’emplois souvent mal payés et précaires pour se focaliser sur une des personnes attrapées, qu’il isole du lot : « Laura Johnson, 19 ans, fille de son père, riche PDG. »
Parmi les premières personnes emprisonnées à Manchester, il y avait un employé de call-center et un ouvrier dans une usine de biscuits. Parmi une autre fournée de condamnés, se trouvent un chef cuisinier au chômage et un coiffeur stagiaire. Un SDF accusé d’avoir volé de la nourriture a été mis en prison préventive, un homme « qui a proféré des jurons devant les policiers et qui s’est battu avec eux a été soupçonné d’émeute, vu qu’il portait des habits noirs à capuche et conduisait un vélo » en a pris pour 10 semaines. Pendant ce temps-là, à Londres, un étudiant a pris 6 mois pour un vol de bouteille d’eau.
En somme, le tableau qui émerge des arrestations nous montre que ces personnes ont en commun d’être au chômage ou mal payées, et si ce sont des adolescents, de venir de familles qui vivent cette condition. Quand la police prend les trognes des gens en photo, ils ne font pas de cadeau, mais il reste que ces nombreux visages marqués que l’on voit dans les journaux ne mentent pas et disent leur propre histoire, une histoire de douleur, de pauvreté et d’exclusion. Le Sun s’est plu à comparer un homme au personnage de Frank Gallagher de la série télévisée Shameless, mais on pourrait trouver facilement ces spécimens d’humanité dans une autre galerie, faite de politiciens dorlotés et bien nourris et d’hommes d’affaires. Et le SDF susmentionné détenu pour vol de nourriture n’était pas seul : une jeune fille de 17 ans a reconnu avoir rempli des sacs de nourriture dans une boulangerie. Une grande proportion des accusés n’a fait que voler de l’alcool et/ou des cigarettes.
Il y a bien sûr des exceptions, comme cette Laura susmentionnée, mais le gros des emprisonnés au lendemain des émeutes sont pauvres et viennent de tous les groupes ethniques, avec sur-représentation des minorités, sûrement à cause de l’emplacement géographique des émeutes, de la sur-représentation massive des minorités dans la tranche des 10% les plus pauvres, et probablement aussi en raison de la présence d’une bonne vieille louchée de racisme policier.
Tensions inter-communautaires, boutiquiers, classe et groupes d’auto-défense
Lorsqu’on examine le lien entre race et émeute, un facteur perturbant apparaît : le conflit potentiel entre les émeutiers et les divers groupes ethniques qui ont formé des escouades d’auto-défense. A Birmingham, cela a abouti tragiquement à la mort de trois membres d’une escouade informelle de ce genre. Si les émeutiers étaient en général multi-ethniques, ces escouades étaient souvent mono-ethniques et dirigées par les boutiquiers du coin.
La stratégie policière à Londres pendant les émeutes semble avoir été d’abandonner provisoirement les quartiers pauvres pour y contenir l’émeute et protéger la City [quartier d’affaires] et West End, où se trouvent la véritable richesse. Tenter d’aller à West End, tel est l’objectif traditionnel de la plupart des émeutes politiques londoniennes, mais bien qu’à Birmingham les émeutiers aient ciblé des boutiques de luxe du centre-ville, à Londres le mouvement émeutier a été presque totalement confiné dans les quartiers pauvres où vivent les émeutiers.
Le Daily News de Londres a cité un membre dirigeant des escouades de Green Lanes disant : « Nous n’avons aucune confiance en la police locale, nos commerces sont les prochains sur la liste des bandits qui ont mis à sac Tottenham, nous protègerons notre propriété. »
Le Guardian a lui aussi interviewé un de ceux-là, Yilmaz Karagoz, propriétaire d’un café : « Il y en avait un paquet. Nous sommes sortis de nos commerces, mais la police nous a dit de ne rien faire. Mais la police elle non plus n’a rien fait, donc, comme il en venait de plus en plus, nous avons dû les chasser nous-mêmes. » Quant aux employés d’un certain kébab, ils ont couru droit sur les assaillants, couteaux à viande à la main. « Je ne crois pas qu’ils reviendront de si tôt. »
Voilà en partie un reflet des tensions de classe où, comme pendant les émeutes de Los Angeles [en 1992], se distinguent d’une part des petits-bourgeois travaillant dur, relativement pauvres, issus d’un même groupe ethnique et qui possèdent les boutiques du coin, et d’autre part la majorité, issue d’un autre groupe ethnique. S’il s’agit certes de tensions de classe, d’un point de vue anarchiste, ce n’en sont pas d’utiles, loin de là. Les batailles locales entre ouvriers pauvres et petits-bourgeois pauvres ne servent qu’à renforcer et protéger la domination de ceux qui sont les véritables riches, et mènent aux travailleurs de ces groupes ethniques-là à faire cause commune avec leurs patrons.
L’enquête du Guardian établit que les travailleurs turcs et kurdes ont fait cause commune avec leurs patrons en défendant les locaux où ils travaillaient. Karagoz donne un aperçu de cette façon de penser : « Nous avons des commerces et nous y travaillons dur. En tant que parents, nous voulons que nos enfants travaillent, gagnent de l’argent et soient capables de s’acheter ce qu’ils veulent, pas de le voler. Nos jeunes savent que nous aurions honte d’eux s’ils faisaient ce genre de choses ». Cette alternative est identique à celle que proposent les Tories [le parti conservateur].
Toutefois, cette perspective n’est pas sans opposants. Des militants des communautés turques et kurdes ont fait une conférence de presse le 10 août à Green Lanes, au nom de « neuf groupes de bienfaisance différents qui soutiennent les membres des communautés turques et kurdes », pendant laquelle ils ont condamné la police et les médias dominants. Ils ont en particulier pointé l’utilisation goguenarde d’une interview de Darcus Howe [ancien membre des Black Panthers britanniques, aujourd’hui publiciste connu] par la BBC. Ils ont accusé la police d’avoir cherché à suscité des troubles entre communautés turques et kurdes d’une part et « jeunes Noirs qui se soulèvent pour combattre la police ».
La situation semble avoir été la même dans le quartier de Southall. La BBC cite Satjinder Singh, membre de la communauté sikh : « Nous commencions à recevoir des textos nous indiquant qu’il était hautement probable que les pillards attaqueraient Southall à cause du grand nombre de bijouteries qui s’y trouvent et du fait que celles-ci soient proches du temple sikh et d’autres lieux de culte. Les Sikhs se sont dit qu’il fallait protéger nos lieux de culte. » Dans une interview télévisée, un membre du comité d’organisation [des groupes d’auto-défense locaux] a dit qu’ils protégeaient tout Southall et qu’ils avaient avec eux des Musulmans, des Chrétiens et des Hindous.
Le caractère interclassiste des groupes d’auto-défense, qui unissaient les employés et les employeurs sur des bases communautaires, devrait donner à réfléchir à ceux qui, dans la gauche, ont défendu de façon acritique leur position, faisant de la surenchère pour mieux se dissocier des émeutes. De son côté, l’USDAW, syndicat des employés du petit commerce, a sorti une déclaration appelant ses membres à « ne pas se mettre physiquement en danger en dissuadant le vol à l’étalage, le pillage ou les attaques contre la propriété ». Mais, de même qu’avec les émeutiers, c’est une erreur de ne rechercher qu’un seul aspect, bon ou mauvais, et le confondre avec le phénomène tout entier. L’une et l’autre partie sont des produits d’une même situation économique et politique, elles contiennent des éléments sur lesquels nous pouvons faire fond, mais aussi des éléments qui doivent être combattus.
Divagation de l’extrême-droite
Les exemples que nous venons de citer concernent des groupes des minorités ethniques qui s’opposent aux émeutiers pour défendre leurs locaux. Cela peut déboucher ou pas sur les tensions à long terme, mais ce qui est infiniment plus préoccupant, c’est que l’English Defence League (EDL), organisation raciste, a pu tirer parti de la vague de peur pour mobiliser ce qui semble être des groupes entièrement blancs. A Eltham, le Guardian a cité un homme qui déclarait : « Ceci est un quartier populaire blanc et nous sommes là pour protéger notre communauté. » Toutefois, la capacité de l’EDL ou du British National Party (BNP) à convaincre une partie importante du public de son rôle de protecteur est sans doute limitée, car cela vient très peu de temps après le forfait d’Anders Behring Breivik, lié à l’EDL, qui a massacré tant d’enfants sans défense en Norvège.
L’extrême-droite va continuer à divaguer sur le fait que c’est le début de la guerre des races qu’elle appelle de ses voeux depuis longtemps, mais la réalité est que les émeutiers semblent avoir été d’origines assez mélangées, unis par la pauvreté et l’exclusion plus que par la race. Qui plus est, ces deux groupes d’extrême-droite doivent se trouver un peu coincés aux entournures, eux qui avaient déclaré récemment : « Les Noirs britanniques sont OK, ce sont les Musulmans britanniques que nous détestons. » Avec des Musulmans britanniques qui se retrouvent aux avant-postes des escouades de défense locales anti-émeute, et une émeute qui se déclenche lors d’une manifestation de protestation contre le meurtre d’un Noir britannique, les bases de l’extrême-droite doivent être en proie à une confusion certaine.
Une chose beaucoup plus préoccupante est la mort tragique de trois Asiatiques britanniques dans le quartier de Winston Green à Birmingham, qui se sont apparemment faits renverser par un groupe d’Afro-caribéens britanniques qui faisaient partie d’un convoi de quatre voitures soupçonné d’aller mener des pillages dans ce quartier, pour la défense duquel 80 Asiatiques, dit-on, s’étaient mobilisés. Ceux qui étaient présents sur place ont dit au Guardian que la police leur avait auparavant dit de monter eux-mêmes la garde près de leurs commerces, puisque « les policiers étaient trop occupés à veiller aux endroits importants du centre-ville, préférant pourchasser l’émeute toute la nuit plutôt que de se faire du mauvais sang. »
Il est probable que ce sont les appels au calme des parents des tués qui ont empêché le déchaînement d’une bataille inter-communautaire dans la zone. En outre, il y eut la décision de tenir une assemblée de quartier, lors de laquelle, selon le Guardian : « 300 Musulmans et Sikhs se sont réunis pour débattre de la façon dont ils devaient répondre à cette tragédie. »
Le côté négatif de la spontanéité
La nature spontanée des émeutes, n’ayant pas d’organisation politique informelle en son sein, ni de formelle cela va sans dire, explique la nature fortuite et contre-productive de beaucoup de pillages et d’incendies. Cela ne doit pas être minimisé, quatre personnes ont été semble-t-il tuées par des émeutiers parce qu’elles défendaient des aménagements ou des commerces locaux.
A moins qu’il n’y ait un contexte particulier que nous ignorons, le pillage et l’incendie d’une boulangerie de quartier ou le pillage d’un fleuriste à son compte n’a aucun sens, si ce n’est que dans un flux d’adrénaline tout a l’air de ressembler à une cible. Sous cet angle, les émeutes de Londres ressemblent plus aux émeutes de Los Angeles de 1992 qu’aux émeutes des années 1980, ou bien sûr aux émeutes étudiantes de l’année dernière, pendant lesquelles les attaques d’édifices semblaient soigneusement choisies. Évidemment, la couverture médiatique a mis l’accent sur ces attaques-là. L’histoire de l’incendie d’un salon de coiffure tenu par un homme de 81 ans a plus d’intérêt sensible immédiat que le pillage d’une succursale de la chaîne Curry ou Foot Locker. Mais les comptes-rendus des procès, ainsi que les témoignages oculaires suggèrent que le pillage des chaînes a été de beaucoup plus répandu.
Il n’est pas rare dans les émeutes que des individus ou des groupes dans la furie de l’extase perdent la tête et se mettent à viser tout type de choses. Mais dans des situations politiques conscientes, ce type de comportement est rapidement arrêté par d’autres émeutiers, qui ont leur mot à dire. Il n’est pas rare, au lendemain de ce genre d’émeutes, de voir des enseignes McDonalds ou Starbucks ou des galeries d’exposition de voitures neuves complètement retournées et vandalisées, alors que le marchand de journaux et le café au milieu sont quasi intacts.
A certains endroits, il semble que cela se soit passé ainsi. Un anarchiste a dit qu’à Brixton, sauf une exception, un café portugais, chaque cible était une succursale d’une grande chaîne. Quand nous avons interviewé Alex, témoin des émeutes d’Hackney, il nous a raconté que lorsqu’il est entré dans une boutique pour éteindre un feu, « personne ne nous en a empêché, beaucoup de gens dans la foule ont couru nous aider, un peu comme s’ils revenaient à eux. »
Nous avons tous entendu ces commentaires : « Ils devraient se trouver un travail au lieu de tenter de piquer une paire de baskets de chez Foot Locker, ou d’arracher cet écran plasma cloué au mur du magasin. » Dans le petit monde des usagers de Twitter, on en rajoute une couche : « Je pourrais comprendre qu’ils volent un sac de riz, mais ils volent des ordinateurs portables. » Les émeutes ne marchent pas comme ça. Si vous créez une société qui est largement basée sur la consommation, vous ne devriez pas être surpris que des gamins de 14 ans saisissent leur chance d’avoir une nouvelle paire de baskets. Ce qu’il faut voir, ce n’est pas la nature de l’émeute, mais pourquoi elle a lieu.
En 2009 est sorti le livre intitulé : The Spirit Level : Why More Equal Societies Almost Always Do Better [Le Niveau de l’Esprit : pourquoi les sociétés où il y a plus d’égalité réussissent presque toujours mieux]. Ses auteurs, Richard G. Wilkinson et Kate Pickett ont, arguments et statistiques à l’appui, démontré que dans les sociétés fortement inégalitaires, se produisent érosion de la confiance, anxiété et maladies croissantes, consommation excessive accompagnée de récompense. Les onze quartiers qui sont passés en revue montrent tous des résultats plus mauvais dans les sociétés les plus inégalitaires que ce soit en matière de santé physique, de santé mentale, d’abus de drogues, d’éducation, d’incarcération, d’obésité, de mobilité sociale, de relations de confiance et de vie communautaire [= d’immeuble, de village, de quartier], de violence, de grossesses précoces et de bien-être infantile. Et en effet, le sous-titre "pourquoi les sociétés où il y a plus d’égalité réussissent presque toujours mieux" résume bien l’argumentation.
La politique de la peur
Les comptes-rendus dont nous avons eu connaissance sur l’implication anarchiste dans le mouvement émeutier montrent des efforts menés pour faire cesser la destruction de boutiques locales, effort qui semble assez localisé. D’autres comptes-rendus que nous avons reçus montrent un tableau assez différent de celui qui a été brossé par les médias dominants : des foules sauvages attaquant à vue n’importe qui et n’importe quoi. Au contraire, il nous a été rapporté que les passants et les badauds étaient en général ignorés. Il y a clairement des exceptions (il y a sur Youtube des scènes d’agression filmées), mais étant donné que des dizaines de milliers de personnes ont été impliquées dans les émeutes et les pillages, il semble que ces incidents soient l’exception et non la règle, mais ces exceptions sont utilisées pour propager la peur et la panique.
Nous n’avons aucune objection quant au fait de piller des succursales de chaînes comme Curry ou Foot Locker pendant des émeutes, mais nous ne sommes pas disposés à applaudir à cela comme si c’était grandiose. Ce qui est plus dangereux, ce sont les incendies. Ils peuvent déboucher sur des drames s’il y a des gens dans les immeubles en feu, ou lorsque le feu prend dans les immeubles à-côté. L’année dernière en Grèce, trois employés de banque sont morts dans ce genre d’incendie, et à part la tragédie que leur mort représente, cela a eu un effet massivement démobilisateur sur le mouvement.
Alex, que nous avons interviewé, est allé voir les émeutes vêtu de son costume de travail. La plupart des médias sensationnalistes nous feraient croire qu’il serait immanquablement pris à partie et agressé, mais, tout en faisant remarquer qu’il n’en va pas de même partout, Alex nous dit : « Les kids volaient dans les magasins parce que c’est là qu’on trouve ce qu’on cherche. Ils attaquaient les flics parce qu’ils allaient les arrêter. C’était simultané, il n’y avait pas deux groupes de gens, les uns là pour casser du flic, les autres là pour la fauche, c’était un seul groupe de gens en général jeunes. Ils ne s’attaquaient pas les uns les autres, ne violaient pas, n’agressaient pas les gens. J’ai pu déambuler librement parmi eux dans mon costume réglementaire de travail, belle chemise, beau pantalon ; beaucoup de gens qui visiblement ne participaient pas à l’émeute marchaient dans la foule en plein jour, certains ont dit que plus tard l’ambiance avait changé, mais moi j’y suis resté avec un ami, qui lui non plus n’était pas habillé en tenue ad hoc, jusqu’après minuit. »
Voilà un tableau bien différent ce celui qui a été brossé par les médias ou par la vague de spéculations frénétiques qui se donnaient libre cours sur Twitter pendant les émeutes. Dans les deux cas, on parlait de foules sauvages vadrouillant dans les rues et attaquant à vue n’importe qui et n’importe quoi. Ces spéculations sur fond de peur étaient agrémentées de termes comme « racaille », « vermine », « rats », destinés à déshumaniser les émeutiers et les jeter en pâture à la répression.
Conséquences de la "racaille"
Cette histoire de foule sauvage [feral mob] est une botte médiatique standard employée dès qu’il y a une rupture un peu massive avec l’ordre établi. Ceux qui choisissent d’accepter et de répéter ce genre d’histoires portent une lourde responsabilité, parce que la peur qu’elles suscitent créé une atmosphère favorable à la répression la plus extrême de la part de la police.
Au lendemain du passage de l’ouragan Katrina, des histoires horrifiques ont été colportées et largement acceptées, parlant de violences collectives à la Nouvelle Orléans, qui provoquèrent un climat tel qu’il permit à la police de tirer sur des Noirs qui tentaient de fuir la ville, l’exemple le plus connu étant celui du pont de Danziger où cinq membres d’une même famille qui essayaient de passer le pont reçurent des coups de feu, faisant un mort et blessant un homme de 40 ans, handicapé mental. Après coup, il s’est avéré que la plupart de ces récits étaient mensongers, que les trois morts n’étaient pas dues à des meurtres et, le 11 septembre 2005, le chef de la police de la Nouvelle Orléans a reconnu qu’il n’y avait « aucun rapport de police confirmant des crimes sexuels. »
Les médias, les faux savants et autres vrais charlatans ont tout fait pour avancer l’idée que les gens qui ont participé aux émeutes ne sont que des bandits et des criminels, dans l’intention de les déshumaniser. C’est un phénomène dangereux : une fois transformés en sous-hommes dans la conscience publique, la possibilité de nouveaux niveaux de répression est grande ouverte.
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Apparemment, la solution à la violence policière meurtrière, c’est davantage de violence policière meurtrière. "Solution" qui bien sûr, engendrera de nouvelles vagues d’émeutes, comme cela s’est produit sous Thatcher dans les années 1980.
Cette déshumanisation a eu d’autres conséquences. Avec 1 500 arrestations, il est évident qu’un grand nombre de gens va être emprisonné par un Etat anxieux de rétablir son autorité. Les premiers procès ont été clairs en ce sens : les juges prennent très au sérieux leur rôle de défenseurs du capitalisme et de l’Etat. Des condamnations d’une lourdeur démentielle sont tombées, comme celle de cette femme de 22 ans qui a pris 6 mois de prison pour le vol de 10 paquets de chewing gums.
En outre, la police va recevoir des pouvoirs supplémentaires et on peut augurer qu’elle ira plus loin dans le contrôle de l’espace public. On parle déjà d’expulser de leur logis les condamnés qui sont locataires d’appartements possédés par les municipalités, et de couper toute aide sociale qu’ils demanderaient. Les premiers avis d’expulsion ont été enregistrés à Clapham, contre un locataire dont le fils a été condamné pour participation à émeute. Même d’un point de vue de droite, c’est de la folie pure, comment peut-on attendre d’un ex-prisonnier SDF sans revenu qu’il gagne sa vie ? A quel point d’aliénation une personne dans cette situation pourrait-elle se sentir au milieu du reste de la société ?
Et qu’arrivera-t-il lorsque dans quelques mois, des centaines d’entre eux seront relâchés mais se retrouveront sans logis, sans ressources, et dans l’impossibilité de trouver du travail ? L’Etat s’imagine pouvoir faire abstraction de ces problèmes puisqu’une partie si importante de la population a rejoint le choeur de la déshumanisation des émeutiers. La conséquence sera immanquablement une exclusion et un ressentiment encore plus profonds, et, avec de telles réponses, la réponse sera un mouvement de destruction encore plus indiscriminé.
Les émeutes sont souvent contradictoires
Tout le monde a son opinion sur les émeutes, et il est frappant de voir à quel point ceux qui ont pris partie pour les émeutes et même l’insurrection, dans un passé lointain et pas si lointain, ne cherchent qu’à déshumaniser ceux qui font des émeutes dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui. Comme nous l’avons vu, des problèmes extrêmement sérieux se sont posés quant à la conduite de certains émeutiers. Mais ces problèmes, qui sont sans doute pires cette fois que dans les émeutes passées, n’ont rien de nouveau. Par nature, les émeutes spontanées de masses englobent toujours des éléments variés. Il y avait parmi les émeutiers londoniens des gangsters et des opportunistes anti-sociaux profitant de l’émeute comme couverture pour attaquer les plus faibles. C’est un aspect fréquent dans les émeutes, et c’est la faiblesse de la présence politique formelle ou informelle qui a permis à ces éléments de s’en tirer à bon compte.
La réalité, c’est que les émeutes sont souvent des expressions indiscriminées de colère. Les gens sont assez conscients pour savoir qu’ils n’ont pas leur part dans la société telle qu’elle est. Ils ont expérimenté la pauvreté inter-générationnelle et le manque d’opportunités. Ce qu’ont vécu leurs ascendants, ils le vivent eux aussi. La mobilité sociale est un mythe que plus personne ne prend au sérieux, c’est l’équivalent capitaliste de la jarre d’or qui se tient au pied des arcs-en-ciel. Les dés du jeu sont pipés et ils finissent toujours perdants. Le système politique n’accueille pas et n’écoute pas les gens qui font des émeutes. D’ailleurs personne ne les écoute, personne ne parle en leur nom, et personne ne cherche à investir dans leur avenir. Quand on ne voit pas d’avenir pour soi-même, quand on n’a vu aucun avenir se matérialiser pour nos parents et grands-parents, incendier un immeuble ou piller une boutique est un cri pour se faire entendre, un cri de survie.
En mars 1968, Martin Luther King a prononcé un discours dans un lycée devant un public hostile, où il parlait des émeutes violentes qui avaient ébranlé les villes US pendant l’été précédent, émeutes qui devaient culminer en une orgie de destruction suite à son assassinat quelques temps plus tard. Il était pacifiste mais expliquait néanmoins ceci : « Je ne saurais me contenter de m’adresser à vous ce soir et de condamner les émeutes. Il serait irresponsable de ma part d’agir ainsi sans en même temps condamner les conditions intolérables qui régissent notre société. Ce sont ces conditions qui font que des individus pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de mener des rébellions violentes pour attirer l’attention. Et je dois dire ce soir que l’émeute est la voix des sans-voix. »
Le groupe Hackney Unites a sorti Un message à la jeunesse d’Hackney, le 9 août, qui disait ce qui suit : « Le fait de participer à une émeute peut sembler être un acte de rébellion et une réponse à une série complexe de problèmes : mettre pour une fois la police sur la défensive et adopter les stéréotypes de témérité, de criminalité et de brutalité qu’on vous colle si souvent sur le dos. Cependant, une émeute détruit le peu d’équipements de quartier que nous avons et met grandement en danger les émeutiers et les spectateurs. » Le message continue ainsi : « En Amérique, suite à l’assassinat de Martin Luther King, les ghettos noirs sont entrés en éruption. Cependant, à ce moment, le Black Panther Party qui s’organisait et qui était la plus militante des organisations radicales noires, demandait à la communauté de ne pas faire d’émeutes, mais de s’organiser pour la justice. Nous vous demandons de faire pareil. »
Les émeutes de 1967 dont parle King étaient considérablement plus violentes et contradictoires que tout ce qui a pu se passer à Londres. Mais le point de vue de King n’était pas d’appeler les gens à rentrer chez eux et à accepter leur sort, mais de se demander s’il n’y avait pas un meilleur moyen d’organiser leur mécontentement : « J’ai longtemps cherché une alternative aux émeutes d’un côté, et aux supplications timides d’un autre côté, et je crois que cette alternative, c’est la militance non-violente de masses. »
Contrairement à King, nous ne pensons pas que ceux qui se battent doivent limiter leur résistance à la non-violence, une émeute est l’un des nombreux instruments qui peuvent être utilisés lorsque les circonstances s’y prêtent et qui de toutes façons auront lieu spontanément quand les circonstances l’imposeront, comme cette fois-ci. Mais les paroles de King sont d’une grande utilité pour la gauche et pour les "libéraux" ["liberals" : en français, on dira les "humanistes" ou les "démocrates" – NdT] qui n’ont réagi aux émeutes que sous la forme du blâme des participants, tout en l’accompagnant trop souvent d’un appel à la répression et à la restauration de la normalité. Si vous ne voulez pas voir les résultats chaotiques et dévastateurs d’une émeute, la tâche n’est pas de sermonner ceux qui au moins ont le courage de résister, mais de s’organiser pour proposer une autre façon de résister, plus efficace.
Si l’Etat est prêt à emprisonner des centaines de personnes, comme il semble vouloir le faire, il y aura probablement des émeutes en prison, comme cela a eu lieu suite aux emprisonnements de masses après la Grande Émeute contre la Poll Tax en 1990, pendant laquelle on entendit de la bouche des médias les mêmes mots, « voyous », « bandits », « racailles », mais qui sont encore plus populaires qu’à cette époque qui était celle du thatchérisme finissant. D’ailleurs, on peut voir aujourd’hui au Musée de Londres une peinture représentant l’émeute de Trafalgar square.
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PS : Pourquoi un article venant d’Irlande ?
Il peut sembler curieux qu’un groupe anarchiste d’Irlande fasse tant d’efforts pour comprendre une émeute en Angleterre. Mais ça ne devrait pas, car non seulement Londres continue de gouverner le Nord-Est de l’Irlande (où ils n’ont jamais eu de complexes à utiliser les canons à eau, les matraquages et à faire feu sur les émeutiers), mais nos deux pays sont liés sous beaucoup d’autres aspects. Cet article nous sert aussi à complexifier l’idée que les émeutes sont forcément une bonne chose, et de prendre conscience du danger des escouades d’auto-défense mono-ethniques. Dans le Nord [de l’Irlande], nous avons vu beaucoup d’émeutes réactionnaires et beaucoup d’escadrons de la mort se faisant passer pour des groupes d’auto-défense.
Deux des auteurs de cet article font partie des gens qui ont littéralement construit Londres et y ont travaillé et vécu pendant de longues périodes. Nous voyageons régulièrement là-bas et maintenons des contacts avec des amis et des camarades qui vivent, travaillent et luttent dans ces étendues tentaculaires. Nous avons vu et participé à quantité de manifestations et d’émeutes, nous avons squatté à Hackney et nous avons, comme des centaines de milliers de travailleurs immigrés qui sont revenus chez eux, notre mot à dire en ce qui concerne cette ville. Par contre, les inconvénients sont que nous n’avons pas pu voir ou participer aux événements que nous discutons dans cet article, mais si ça avait été le cas, nous n’aurions pas pu écrire aussi librement.
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Workers Solidarity Movement (Irlande) - 13 août 2011
le texte dans sa version complète est disponible par mail chez zanzara at squat point net et/ou fuckmay68fightnow at riseup point net.
“On cible les richesses...”
"Une émeute se déroule actuellement devant le comico de Tottenham"
« Une émeute se déroule actuellement devant le comico de Tottenham en réponse au gars tué par les porcs cette semaine.
Un témoin oculaire décrit des policiers “courant et se cachant”. Ils ont en effet été incapables de contenir les foules qui avaient érigé des barricades et chargeaient les lignes de police en utilisant des projectiles et en brûlant des poubelles afin de garder la police à l’écart. Les affrontements ont duré un certain temps. La police et les manifestants ont formé des lignes et un autobus à deux étages a été incendié. Des rapports ont fait état de pillages et d’incendies dans le quartier, y compris dans le centre d’emploi local. À 2h30, on dit sur Twitter que les émeutes se répandent à Wood Green, Turnpike Lane et Green Lane, alors que la police essaie de briser les foules sur Tottenham High Road. Le centre commercial de Tottenham Hale a été pillé, notamment les magasins JJB Sports et PC World.
Channel 4 a cité “Jamal”, un témoin oculaire, disant : “Ce sont nos objectifs, nous sommes ici pour dire à la police qu’ils ne peuvent pas nous maltraiter, nous harceler. On ne va pas tolérer cela, ce n’est que le début, c’est la guerre, et voilà ce que vous obtenez – le feu.”
Les images diffusées en direct par la BBC montraient des jeunes brisant les vitres d’une voiture de police vide. Les journalistes ont ensuite demandé aux manifestants pourquoi ils empêchaient l’équipe de cameramen de filmer. À la fois Sky News et la BBC ont retiré leurs équipes de tournage de l’émeute après que leurs équipes de tournage ont été insultées et attaquées. BBC et Sky ont cité le député local, David Lammy, qui affirmait que les gens dans la rue n’étaient pas représentatifs de la majorité des résidents de Tottenham. Cependant, leurs propres séquences montrent qu’un large éventail de la population locale, de milieux ethniques très différents, étaient debout ensemble et formaient des lignes contre la police. La police a insisté sur l’aspect “localisé” des événements, en affirmant qu’ils ne s’étendaient pas au-delà de Tottenham. Des récits de témoins ont contesté cela, et les médias dominants ont été effectivement exclus de la zone. »
Témoignage – Libcom.org – 7 août 2011
Émeutes à Londres : combats sur Mare Street
Les émeutes continuent à Hackney après que des centaines de personnes ont pénétré dans des magasins, attaqué des bus et affronté la police plus tôt dans la journée.
Mare Street, la rue principale reliant Hackney à la City a été au coeur de ces remous, voyant les vitrines de nombreux magasins voler en éclat.
Plus loin, des containers ont été retournés et enflammés pour servir de barricades au coin de Pembury Road et Downs Park Road dans une tentative de retenir les camions de la police pendant qu’une centaine de personnes s’attaquaient par le côté au [supermarché] Tesco de Morning Lane.
Les efforts de la police se sont d’abord concentrés sur la reprise du contrôle des quartiers autour de la gare centrale de Hackney, entre Dalston Lane et Well Street. Au fur et à mesure que la situation redevenait sous contrôle, des policiers se sont déployés ailleurs dans le quartier pour contrôler les heurts.
Témoignage :
J’ai fait un tour des quartiers pour observer ce qui s’y passait. Contrairement à ce que prétendent les médias, les Noirs ne sont pas sur-représentés dans les émeutes à Hackney – parmi les gens masqués, il y avait des mains et des fronts de toutes les couleurs. Ce qui était aussi remarquable, c’était l’ambiance. À deux ou trois rues des combats, il y avait peu de problèmes, les gens marchaient comme tous les jours, les enfants étaient toujours dehors.
La peur ne dominait pas – au contraire, alors que je marchais dans cette zone beaucoup de gens affichaient un grand sourire en parlant de manière animée de ce qui se déroulait. Ceux qui ne le faisaient pas, contrairement à ce que prétend la police, étaient le plus souvent étonnés plutôt qu’effrayés – j’ai rencontré de nombreuses personnes en face des policiers qui ne savaient absolument pas ce qui se passait. Et certains des visages que j’ai croisés étaient ceux de personnes que je reconnaissais pour les avoir déjà croisés – ce ne sont clairement pas des “gens venus d’ailleurs” qui sont responsables.
Mais certains des habitants proches ont vus leur maison brûler, ont été effrayés par les combats ou ont perdu leur voiture. Aucun outrage, aucun coup de colère ne justifie cela. Tesco, pas de problème, mais seuls les branleurs attaquent les innocents.
Libcom.org – 9 août 2011
Criminalité et récompenses
« Qu’est-ce que le crime de piller une chaîne de magasins
à côté du crime d’en posséder une ? » Luther Brecht
Les pillards ne donnent pas de conférences de presse. Cela fait que toutes les conversations de la matinée sur la BBC étaient un peu unilatérales.
Présent la nuit dernière à Brixton, je me sens aussi qualifié que quiconque pour offrir un point de vue, celui d’un anarchiste installé dans la région depuis six ans.
Premièrement, aucune des personnes qui vidaient le Currys [magasin d’électronique – NdT.] la nuit dernière ne pourra payer les 9000 £ de frais de scolarité annuels du système universitaire néo-libéral flambant neuf de David Cameron, tant apprécié par les jeunes de Londres. Bien que, en Grande-Bretagne, la mobilité sociale soit un peu plus grande aujourd’hui qu’à l’époque victorienne que Cameron semble idolâtrer, les relents racistes sont encore assez présents dans cette grande symphonie qu’est la société britannique. La plupart des personnes de couleur qui ont participé au pillage du Currys sur Effra Road la nuit dernière ne sortiront jamais de leurs cités pour entrer dans la Grande Société [Big Society]. Ils n’ont pas grand chose à perdre.
Malgré cela, la foule relativement mixte (pour Brixton) de plusieurs centaines de personnes se sentait d’humeur festive la nuit dernière, alors que les voitures s’alignaient des deux côtés de la route jusqu’au canal de Brixton. Ce ne sont pas des gens qui sont habitués à gagner très souvent. La chance de pouvoir emporter plusieurs centaines de milliers de livres sterling d’électronique, sous le nez de la police impuissante, qui d’habitude les harcèle, les bat ou les tue, a fait de cette nuit une belle nuit. Les adolescentes qui visaient l’écran plasma géant de leurs rêves ont été assez polies pour me dire « excusez-moi », très sincèrement, lorsqu’elles m’ont heurté alors qu’elles surgissaient sur le parking du Currys. La nuit dernière, tout le monde était de bonne humeur sur Effra Road.
Ce matin, les rabat-joie dans les grands médias n’étaient pas du même avis.
De nombreux commentateurs ont dénoncé le manque de motivations politiques claires dans les émeutes, et semblaient inquiets du fait que le pillage rendait les émeutes peu respectables. Selon cette ligne de pensée, la pauvreté n’est pas politique.
À la radio, sur le web, et dans les journaux, il y a beaucoup de discussions en ce moment au sujet de la « bêtise » des émeutiers qui brûlent leurs propres quartiers. Tous les commentateurs qui débitent ces arguments n’ont pas tenu compte de certains faits assez basiques.
Lecteurs outrés du Guardian [quotidien de centre-gauche – NdT.], je vous le dis : vous n’êtes que partiellement dans le vrai. Il est certain que le gars qui se baladait avec la caisse enregistreuse du côté de la Brixton Academy la nuit dernière n’a probablement pas conceptualisé ses actions selon les théories du choix rationnel économique. Toutefois, en comparaison avec quatre années de tentatives infructueuses de capitalisme d’Etat pour nous catapulter hors de la crise économique, ses manoeuvres étaient hautement rationnelles. Détruire les preuves en boutant le feu à la cuisinière à gaz pour brûler le Nandos [une chaîne de restaurants sud-africains faisant de la cuisine portugaise – NdT.] de Stockwell Road est assez fou. Mais cela fait beaucoup plus de sens économique, à Brixton, que tout ce qu’ont tenté jusqu’à présent le Labour, les conservateurs, ou les cerveaux les plus ingénieux de la City de Londres.
Briser les vitres à Brixton est probablement un chemin plus sûr vers la prospérité pour la plupart des gens que n’importe lequel des chemins plus respectables déjà explorés.
Le gars qui s’est pointé aujourd’hui pour réparer les vitres brisées sur Brixton Road vit probablement sur cette rue, un peu après le tapis du verre brisé, il est peu probable qu’il soit un spéculateur de devises ou un gestionnaire de fonds spéculatifs à mi-temps. Tout l’argent qu’il se fera en réparant les vitres sera dépensé en priorité dans sa communauté locale.
Les mérites d’aspirer à l’infini de l’argent hors des poches des personnes qui travaillent pour les injecter dans les comptes de réserve suralimentés des joueurs de casino de Canary Wharf [nouveau quartier financier de Londres] sont un peu moins clairs pour moi, à l’heure actuelle. La crise est entrée dans sa cinquième année. Balancer des centaines de milliards dans les renflouements successifs des banques, dans les allégements fiscaux pour les entreprises, et dans d’autres accessoires d’une économie mondiale qui ressemble de plus en plus celle de l’URSS vers 1987 n’est clairement pas une stratégie gagnante.
L’éruption du chaos économique dans la zone euro et les balles de la police qui ont traversé le corps de Mark Duggan, mettant un terme à sa vie, sont désormais deux événements qui sont liés ensemble dans la séquence des émeutes massives de Londres, le plus important centre financier d’Europe.
Ces émeutes sont remarquables principalement par les inversions de rôle qu’elles provoquent, et l’indignation dans les grands médias est le reflet de ce processus. L’indignation est vraiment intéressante si on s’arrête pour y réfléchir.
Par exemple : le bénéfice du commerce est une sorte de vol. C’est de la valeur économique qui est aspirée hors d’une communauté locale par le biais des caisses enregistreuses d’une entreprise. Les décisions quant à l’endroit où vont être réinvestis les profits sont l’apanage des gestionnaires d’entreprise et des actionnaires, non pas la décision des gens dont cette valeur a été extraite. L’ensemble de ce processus est fondamentalement anti-démocratique.
Ce déni quotidien des droits politiques et démocratiques fondamentaux est « normal », et peut durer des années, des décennies ou des siècles. Les sociétés peuvent voler les pauvres – mais toute tentative de la part des pauvres de voler en retour doit être condamnée dans les termes les plus forts.
De même, j’ai eu plusieurs conversations aujourd’hui sur les émeutes de samedi soir à Tottenham. Elles ont invariablement fait référence au cas de Keith Blakelock, le policier tué pendant les émeutes de 1985 à Broadwater Farm. Pas une seule de ces conversations ne contenait de référence à Cynthia Jarrett, la femme dont l’assassinat lors de la fouille de son appartement a déclenché ces émeutes.
De la même façon, je doute que les commentateurs indignés de la classe moyenne qui sont passés ce matin sur la radio BBC4 ont beaucoup pensé aux dizaines de personnes que les flics ont tué en garde à vue, ou à l’humiliation, plus ou moins quotidienne, des jeunes noirs qui sont arrêtés et fouillés devant ma maison. Le message véhiculé par tout cela est assez clair : les attaques de la police sur les personnes pauvres qui ne peuvent pas se défendre (surtout les Noirs) sont normales. Inversement, les attaques des gens envers la police sont un outrage, surtout s’il leur arrive de réussir. Et ne demandez surtout pas au gars qui a emporté la caisse enregistreuse de donner sa version des faits.
Cela ne veut pas dire que c’est une bonne chose que des sirènes de camions de pompiers viennent retentir devant ma fenêtre. Les problèmes politiques et économiques de Brixton sont complexes. Il est trop facile de débiter des platitudes sur le fait que rien ne sera plus jamais comme avant – mais pour quelques heures la nuit dernière, en descendant Effra Road avec des écrans plasma et des ordinateurs portables Macintosh sous le bras, les perdants ont été les gagnants. Et cela pourrait avoir un effet puissant.
Max von Sudo – london.indymedia.org - 9 août 2011
Cinq postes de police attaqués à Nottingham
Les émeutes ont éclaté à nouveau la nuit dernière à Nottingham lorsque cinq postes de police ont été attaqués avec des engins incendiaires artisanaux. Les postes de police Canning Circus, The Meadows, Oxclose Lane, Bulwell et St Ann’s ont été pris pour cible par des émeutiers. Une voiture de police devant le poste des Meadows a également été incendiée.
La police de Nottingham a déclaré avoir arrêté plus de 80 personnes en lien avec les troubles et ils s’attendent à ce que ce chiffre dépasse 100. Dix personnes ont été arrêtées lors d’un incident impliquant des jeunes grimpant sur le toit de la Nottingham High School près de Forest.
Peu importe que les experts de classe moyenne genre bobos prétendent que c’est l’œuvre de Noirs profiteurs engagés dans des "pillages récréatifs", le fait est que la police était la cible première de ce soulèvement. La seule autre cible significative, la Nottingham High School, est un symbole de la richesse et des opportunités des élites : une école payante avec des grands bâtiments et un terrain énorme, à deux pas des quartiers ouvriers d’Arboretum, de Radford et de Forest Fields.
Je ne doute pas qu’il y ait eu des incidents d’opportunisme et de vandalisme de maisons et de voitures ouvrières, mais étaient principalement ciblés ceux qui maintiennent les pauvrent en bas - les flics qui brutalisent et criminalisent et les écoles qui excluent les "racailles".
Joseph K - nottingham.indymedia.org - 10 août 2011
Quand le silence s’ébruite
Les émeutes anglaises sont jusqu’ici la première riposte à la mesure de l’offensive que représente l’austérité généralisée. « Criminelles » (dixit politicards et journaflics) elles le furent dans le sens où elles prennent au mot le « Hell »fare State où paupérisation organisée et traitement punitif du non-travail vont de pair.
Elles ont été d’autant moins « raciales » qu’elles ont attaqué de plein fouet la gentrification, ce soft apartheid, montrant là une voie qui, on l’espère, sera suivie ailleurs (Paris, Berlin notamment). Leur absence d’illusions s’est en tout cas vue confirmée par la fuite en avant sécuritaire choisie par Cameron qui, tout comme la crise des dettes souveraines continuant en course à l’échalote du plus de rigueur, indique que le « there is no alternative » traditionnel se décline désormais en tolérance zéro.
Comme en 2005, on a déploré le « mutisme revendicatif » des émeutiers et pourtant ce silence est un des ponts les plus intéressants entre ces deux mouvements. Qu’il inquiète est bien normal, car il suppose d’ores et déjà une radicalité qui ne se laisse pas phagocyter dans le politique et un démocrate bon teint ne peut que s’étonner de voir toute cette force vive se soustraire au régime neutralisant de la représentation. Certes les actes parlent par eux-mêmes et on pourrait d’ailleurs dire que ces émeutes pratiquent d’une certaine manière un « langage du signe » vis à vis de la société, dans le sens : « on a commencé, à vous de suivre » (la volonté de répondre à 2005 a ainsi parcouru tout le mouvement contre le CPE). Et si il semble difficile à admettre que se taire ne signifie pas nécessairement qu’on se résigne, c’est pourtant de juin 1848 aux multiples refus silencieux qui jalonnent l’histoire de « l’anti-travail », une vieille leçon du mouvement ouvrier.
Cette radicalité sans phrases vient aussi offrir un salutaire contrepoint à toute la vague « indignée ». Il ne s’agit pas d’opposer platement ces deux mouvements (prolétaires combatifs vs petite bourgeoisie numérique ou réforme vs révolution), mais de comprendre que le silence des uns en dit tout de même long sur la vacuité des réclamations des autres. La revitalisation de l’illusion démocratiste ou de cette forme précieuse du masochisme qu’est la non-violence ont suscité un concert effectivement indigne de pamoisons bienveillantes car tant de bonnes intentions si poliment exposées (à peine le mouvement avait-il commencé qu’on rédigeait une longue plate-forme de revendications) surjouaient presque l’inoffensivité. Surtout, on ne sortait pas de « sa place » dans la grande fiction sociale, où le désir d’intégration se faisait ainsi entendre sans bousculer en quoi que ce soit le monologue des « sacrifices nécessaires ». Bref, il y avait effectivement quelque chose de dérisoire à voir les participants de ces campements se laisser tranquillement berner par leurs propres discours, se pétrifiant de commissions en service d’ordre pour que tout cela finisse en quelques sinécures médiatiques pour les plus malins et en élément de décor histrionnesque pour récit de grande crise.
Il n’y a pas de silence révolutionnaire qui s’opposerait à un caquetage réformiste mais une conflictualité qui doit refuser de se « laisser parler » par le capital, c’est à dire de continuer à fonctionner comme une de ses catégories.
La restructuration, en reléguant une partie de la force de travail dans les zones grises de l’économie informelle (les lascars, les sans-papiers) et de l’inactivité en sursis (Workfare, Etat pénal) et en dérobant peu à peu le sol sous les pieds de la traditionnelle classe de l’encadrement (réduction drastique du fonctionnariat, baisse tendancielle de la valeur d’échange des diplômes) créé les conditions d’une convergence de ces obsolètes qui n’ont plus grand chose à négocier. Mais cette convergence doit inventer son propre terrain. Si le silence s’ébruite des banlieues parisiennes au centre de Londres, nous n’en sommes peut-être qu’au prélude.
restructuration-sans-fin.eklablog.com - 17 août 2011
Brèves émeutières
« Aggressive shopping »
Alors que la première nuit, les pillages semblaient plus arbitraires et chaotiques, à partir de la deuxième nuit, ce sont surtout les magasins de vêtements les plus chers, les magasins d’électronique et les supermarchés qui sont visés. Plus de 1100 magasins, supermarchés et centres commerciaux ont été pillés selon les autorités...
Les journalistes visés, comme d’hab’ !
Une petites dizaines de voitures de différents médias ont été ravagées ou incendiées (trois voitures de la BBC, une de Skynews, une d’ITN, ainsi que la caisse d’un journaliste...). A Tottenham, le matériel d’un caméraman est détruit. La BBC et Skynews louent des agents de sécurité pour accompagner leurs cameramen.
Le 17 août, des anarchistes de Bristol revendiquent l’attaque du siège du journal l’Evening Post, la nuit précédente. Toutes les baies vitrées du bâtiment sont détruites : le journal avait publié quelques jours auparavant des photos de visages d’émeutiers...
Tremblez bourgeois !
A Notting Hill, les clients d’un restaurant chic sont forcés de donner leurs bijoux, porte-monnaie, portables et la caisse et le service sont emportés.
La police n’est pas en reste
En plus des 186 keufs blessés, un certain nombre de comicos sont attaqués : à Birmingham, un commissariat brûle, tandis qu’à Nottingham, cinq autres sont attaqués au moyen de cocktails Molotov. Plusieurs voitures de flics sont incendiées.
Jeux olympiques
Certains avaient choisi comme cible le site olympique de Londres. Malheureusement en faisant tourner le Rdv sur Twitter et BBM (messagerie de BlackBerry), ils ont permis aux flics de se déployer en force devant le site juste à temps...
La musique du feu !
Un énorme bâtiment du groupe Sony est complètement détruit par les flammes le 8 août : plusieurs millions de disques sont perdus.
Facture salée
Les émeutes ont coûté à la police londonienne plus de 110 millions d’euros. Tandis que l’Association des assureurs britanniques estime à plus de 220 millions d’euros le coût des pillages et saccages de ces cinq journées...
Citations émeutières
« Hé ! Les banquiers piochent bien dans l’argent public quand ils sont en difficulté. Pourquoi nous, on ne pourrait pas se servir ? »
Un habitant de Hackney, Londres
« Des jeunes de 15 à 16 ans, parfois moins. Ce n’étaient que des gosses ! Ils nous disaient : “Ne vous inquiétez pas, on n’a rien contre vous les Turcs, c’est contre le gouvernement !” »
Mehmet, 21 ans, à Kingsland Road, Londres
« Ces jeunes, les policiers les arrêtent constamment, les fouillent en les traitant de “nègres” et de “salopes”. Ils veulent donc se venger de ce harcèlement. »
Un quadragénaire de Hackney, Londres
« Tout le monde à South London (…). On emmerde la police. Amenez vos sacs et caddies. »
Message passé via BlackBerry (BBM)
« On est descendu prendre des fringues. Nos parents ont rigolé. »
Deux frangines de Hackney, Londres
« Y’en a marre de voir les riches se goinfrer et nous trimer. »
Un ado
« Il faut se révolter. Les taxes sont trop élevées, on n’a pas de travail et il y a eu trop de coupes dans le budget. Pour le gouvernement aujourd’hui, les jeunes sont d’abord un problème. Il ne faut pas s’étonner de ce retour de bâton. »
Yemoko B., 29 ans, d’Hackney, Londres
« Il y a des Noirs, mais pas seulement. J’ai vu des gens de toutes les origines. »
Yemoko B., 29 ans, d’Hackney, Londres
« On n’est pas violents contre les gens, et puis, ici, on n’a pas incendié de bâtiments. En revanche, on cible les richesses. On ne fait que reprendre l’argent qu’on a donné. Si on met l’économie à terre, ça va peut-être faire bouger les choses. »
Yemoko B., 29 ans, d’Hackney, Londres
« Je comprends parfaitement ce mouvement. Les gosses n’ont rien, leur frustration est énorme. »
Robin, un vieil habitant du quartier de Hackney, Londres
[Citations prises dans différents articles parus en août 2011 dans Libération, Le Figaro et Le Parisien.]
Traque & répression
Vengeance de classe
La vengeance est un plat qui est à servir aux pauvres
Une fois les encapuchonnés retournés dans leurs abris, les incendies éteints et la menace terminée, la police a repris pleine possession des villes anglaises. Pendant des journées entières, les 16 000 hommes armés envoyés par le gouvernement ont fait entendre leur monologue assourdissant, avec des colonnes de blindés se lançant sirènes hurlantes sur les routes désertes et des patrouilles dans chaque quartier.
Cameron avait annoncé qu’il n’y aurait pas de pitié, et la pitié – obéissante – a décidé de s’enfouir sous terre, alors que les tribunaux restaient ouverts toute la nuit pour juger les 2 300 personnes interpellées pendant les émeutes. Les peines ont été lourdes. « Exemplaires », selon la définition des journaux. Pour le vol de deux bouteilles d’eau, d’une valeur de trois livres sterling, Nicholas Robinson, 23 ans, a été condamné à six mois de prison. Pour le vol de deux vestes, Eoin Flanagan, 18 ans, de Manchester, a été condamné à huit mois de réclusion. Pour avoir dit à un policier : « Si t’avais pas l’uniforme sur toi, je te défoncerais la gueule », Ricky Gemmel, 18 ans, a été condamné à six semaines de prison. Et ainsi de suite, du moins pour les plus chanceux. Pour tous les autres, de bonne grâce, les juges ont retenu opportunément les peines les plus sévères et les ont renvoyés au jugement des crown courts, les tribunaux royaux qui ont le pouvoir d’infliger des sentences à outrance.
Entre-temps les policiers se sont organisés en équipes et ils sont allés, maison par maison, arrêter les centaines de suspects encore en liberté. Avec eux, comme des chiens de meute des chasseurs, se déplaçait un attroupement de journalistes. Le quotidien The Telegraph, par exemple, a transmis avec fierté sur son site la vidéo de l’arrestation de Shereka Leigh, mère célibataire de 22 ans, de Tottenham, coupable du vol d’une paire de chaussures. La vidéo montre les agents défoncer la porte, entrer dans l’appartement en hurlant, marcher sur les jouets de son fils de 4 ans et emmener dehors la jeune femme menottée.
Mais les agents ne doivent pas faire tout le boulot. Des fois, les parents leur donnent aussi un coup de main. Avec un dévouement qui aurait fait pleurer Staline, après avoir reconnu sa fille de 18 ans, Chelsea, dans des vidéos diffusées à la télévision, l’héroïque Madame Adrienne Ives n’a pas hésité à appeler la police locale. Les journaux n’ont pas pu s’empêcher de chanter les louanges de cette extraordinaire mère-courage. Dommage qu’au temps de Saturne, il n’y avait pas de journaux, ils auraient pu faire briller comme il faut ceux qui dévorent leurs propres enfants.
« Nous vous retrouverons », avaient dit, il y a quelques jours, des agents sur leurs pages Facebook, « et on vous fera sentir tout le poids de la loi ». Et cela s’est passé. On espère bien que ce poids n’est pas écrasant au point d’étouffer, comme c’est arrivé à Jimmy Mubega, Angolais de 45 ans mort par asphyxie pendant qu’il était « mis en sécurité » par les agents qui étaient chargés de le déporter depuis l’aéroport de Heathrow.
Mais le poids de la loi, c’est connu, tombe souvent comme de la grêle du ciel, et il arrive qu’elle détruise en entier la vie de certaines personnes. D’ailleurs, les fautes des pères tombent sur les fils et donc, par propriété transitive, celle des enfants doivent tomber sur leurs parents. Avec une détermination digne de Salomon, David Cameron a déclaré que les familles des interpellés qui bénéficient des aides étatiques réservées aux pauvres perdront tout. Plus de logement social, plus d’allocation chômage, plus de house in benefit, plus de welfare. Interviewé à la BBC, le secrétaire d’Etat pour les communautés locales, M. Eric Pickles, a réaffirmé cette idée. Les émeutiers et leurs familles seront délogés, et les circonscriptions de Wandsworth, Westminster, Greenwich, Hammersmith, Nottingham et Salford ont déjà rendu exécutoires les expulsions.
Mais on craint que même ces dispositions à l’arrière-goût médiéval ne seront pas suffisantes. Le problème est bien plus profond, disent certains, et il s’est infiltré sous la peau des citoyens britanniques. David Starkey, célèbre commentateur de la BBC, l’a expliqué très clairement en direct à la télévision : le problème, dans ce pays, est que les Blancs sont devenus Noirs, ils ont perdu le sens de la dignité occidentale, sont devenus des sauvages. Le multiculturalisme, dit Starkey, a changé la couleur de notre peau et notre ADN.
Heureusement, le gouvernement n’est pas seul à affronter ce défi bio-génétique. Comme ça arrive assez souvent en Angleterre, l’aide est soudainement arrivée d’en haut. Et par « en haut », bien entendu, nous parlons des États-Unis, mère-patrie dont la Grande-Bretagne est l’une des colonies fidèles. Inspiré par l’exemple américain, David Cameron a convoqué le super-flic Bill Bratton, inventeur du régime de la « tolérance zéro » qui a rendu obèses autant de prisons outre-atlantique. Le crime de rue, a déclaré Cameron, sera raclé de l’île, comme si c’était un mélanome sur la peau candide d’Albion.
Peut-être que le premier ministre n’a pas choisi le bon homme pour ces nettoyages. Plutôt qu’à Bill Bratton, Cameron aurait dû s’adresser à Conrad Murray, le célèbre médecin de Michael Jackson, aujourd’hui sous enquête pour l’assassinat du chanteur. Enlever le noir de la peau est une question difficile et il y a peu de gens au monde qui sont capables de le faire. Des bains de mercure, des infiltrations de cortisone et des applications d’hydroquinone sont les seuls soins possibles. Avec quelques injections de médicaments anti-douleur, pour rendre l’ensemble plus supportable. Seulement de cette façon la candide Angleterre pourra gratter sa négritude superficielle. Au risque d’en mourir, si cela devait être nécessaire. D’ailleurs, suite aux magnificences du mariage royal, il n’y a que l’enterrement d’une nation toute entière qui pourrait offrir au monde un événement plus spectaculaire pour la prochaine décennie.
Federico Campagna - 14 août 2011, Londres - original en italien paru sur infoaut.org.
Pas de panique, ne parle pas
Si tu penses que tu pourrais être identifié sur les photos que la police a réalisé lors des récents évènements...
Ne panique pas. Les photos publiées ne sont pas nécessairement des preuves, ce n’est pas parce que la police possède une photo floue de toi qu’elle sait qui tu es.
Ne te rends pas. La police se sert du fait que tu sais qu’ils ont une photo de toi pour établir une pression psychologique et t’inciter à te rendre alors qu’ils ne savent pas qui tu es et qu’ils n’ont aucune preuve contre toi.
Ne pense pas que c’est parce que tu peux toi-même t’identifier sur une vidéo qu’un juge pourra le faire également. « Ce n’est pas moi » a permis à beaucoup de gens d’être relâchés jusqu’à maintenant.
Débarrasse-toi de tes vêtements. Il n’y a aucune chance que tu puisses dire que la personne sur la vidéo n’est pas toi si les vêtements qu’elle porte ont été retrouvés dans ta garde-robe. Débarrasse-toi de tous les vêtements que tu portais pendant les événements, y compris tes chaussures, ton sac, et n’importe quel bijou distinctif que tu portais à ce moment-là.
Fais profil bas quelques temps. La police sera à l’affût d’autres éléments pour les personnes inscrites sur sa liste de recherche.
Pense à changer ton apparence. Peut-être est-ce le bon moment pour une petite transformation. Fais-toi couper les cheveux et colore-les, laisse-toi pousser la barbe, porte des lunettes.
Nettoie ta maison. Débarrasse-toi des bombes de peinture, de tout ce qui est relié aux événements, et des textes/photos douteux sur ton téléphone. Ne leur facilite pas la tâche en ayant de la drogue, des armes ou quoi que ce soit d’illégal chez toi.
Fais attention à qui tu parles de ça. Ne révèle ton implication qu’aux personnes en qui tu as réellement confiance. Fais très attention à ce que tu dis sur Internet.
Essaye de contrôler tes nerfs et ta panique. Attendre qu’on frappe à la porte est extrêmement stressant, il te faut trouver un moyen de vivre comme d’habitude. Autrement, tu te sentiras enfermé avant même d’avoir été arrêté.
« PAS DE COMMENTAIRES »
Si tu te fais arrêter, utilise ton droit de garder le silence. Réponds « rien à déclarer » [no comment] à toutes les questions avant et après ton arrestation, ainsi que pendant les interrogatoires.
Ne dis rien à la police, même s’ils prétendent que « parler est dans ton intérêt ». On ne peut jamais faire confiance aux flics. A partir du moment où tu es interpellé, tout ce que tu dis peut servir de preuve – et pour ça il n’y a rien de mieux qu’une conversation amicale. Ils vont essayer de trouver des preuves contre toi et contre d’autres personnes. Il est plus facile de ne rien dire du tout que de répondre aux questions de manière sélective. Ne déclare rien et ne signe aucun document sans les conseils d’un avocat.
NE TE VANTE PAS
NE BALANCE PAS
NE RÉPANDS PAS DE RUMEURS
FAIS ATTENTION
[Tract trouvé devant Dalston Argos, à Bristol, lundi 8 août 2011 au matin]
Camouflage digital : mode d’emploi
À la suite des émeutes de Londres et d’autres villes de Grande-Bretagne, la police locale a décidé de profiter des dernières avancées en matière de technologie pour retrouver les émeutiers présumés. Scotland Yard, qui a investi dans un système de reconnaissance faciale pour les Jeux Olympiques de 2012, l’a testé avec les images prises par les milliers de caméras de vidéo-oppression disséminées dans les villes de Grande-Bretagne. Bien que les méthodes d’enquête traditionnelles demeurent encore les plus utilisées, l’usage de nouvelles technologies pour traquer les “criminels” se répand extrêmement rapidement. Si l’on ajoute à cela les législations de plus en plus répressives contre le port de masques et autres cagoules sur l’espace public, il semble de plus en plus difficile d’échapper à l’ ?il et à la main du système répressif informatisé.
Il existe cependant des solutions à faible coût pour niquer le panoptique contemporain. Un designer américain a développé des techniques de maquillage – inspirées du dazzle, un type de camouflage pour navire pendant la Première guerre mondiale – qui permettent aux visages d’échapper aux logiciels de reconnaissance faciale. Les principes de base de ce camouflage sont simples :
1. Ne pas souligner les traits avec un crayon : cela augmente les probabilités de reconnaissance.
2. Assombrir l’espace entre les yeux : l’intersection entre le nez, les yeux et le front est une caractéristique faciale essentielle.
3. Assombrir la région oculaire : la position et l’ombre des yeux sont une autre caractéristique faciale essentielle.
4. Ne pas se faire remarquer : pour que le camouflage fonctionne, il ne doit pas être remarqué en tant que tel.
Le Réveil – 13 août 2011
Remplir les comicos, remplir les tribunaux, remplir les prisons
Si la Justice a rapidement répondu à l’affront subi par la bourgeoisie lors des émeutes qui ont touché l’Angleterre entre le 6 et le 10 août 2011, les enquêtes pour trouver des coupables impunis sont toujours en cours et pourraient durer des années...
Le 22 août, la police métropolitaine a rendu public un rapport affirmant que 3 296 crimes avaient été enregistrés, rien qu’à Londres.
Un mois après la fin des émeutes, des arrestations et des perquisitions avaient encore lieu, souvent devant la complicité des caméras des médias, histoire que ces opérations de police soient également des opérations de propagande d’Etat.
Une source policière aurait confié au Sunday Times que les forces de police recherchent 30 000 personnes (la plupart non identifiées) qui seraient impliquées dans les émeutes, pillages et autres délits commis pendant cette période. 40 000 heures de vidéos provenant de caméras de surveillance de différentes villes devraient être examinées...
Pourtant, les prisons sont déjà pleines à craquer. « Dix jours après les émeutes, la population carcérale en Angleterre et au Pays de Galles a atteint un record (...). Le nombre total de prisonniers en Angleterre et au Pays de Galles a atteint 86 654, laissant seulement quelque 1 500 places disponibles. » [1] Et pour cause, 70% des prévenus ont été placés en détention provisoire en attendant leur procès, alors qu’en temps normal, seuls 10% des inculpés pour le même genre de délits sont incarcérés préventivement. Sans compter que quand les procès ont lieu, les condamnations sont beaucoup plus fréquentes qu’habituellement, et aussi beaucoup plus lourdes. « Plus de la moitié des personnes emprisonnées sont accusées de vol ou possession de bien volés, et écopent 5,1 mois de prison en moyenne. Un durée de 25% plus longue que la peine moyenne d’emprisonnement pour ces délits, qui s’élevait à 4,1 mois en 2010, d’après les statistiques du ministère de la Justice. Les atteintes à l’ordre public conduisent à des peines de 33% plus longues que la norme, et ceux qui ont été emprisonnés pour agression contre les forces de l’ordre resteront en prison 40% plus longtemps que d’habitude. » [2]
Ce qui s’est passé entre le 6 et le 10 août a plus que déplu au pouvoir, ça a carrément montré que certaines failles de la société sont accessibles et que faire vaciller le pouvoir est moins difficile que l’on peut le penser communément. Alors la menace de l’enfermement mise à exécution permettra-t-elle de faire taire durablement les milliers de rebelles des journées anglaises d’août 2011 ?
* * *
« Si la plupart sont des jeunes hommes issus de milieux pauvres, les tribunaux voient aussi défiler parmi les personnes arrêtées des enfants, des femmes et des quadragénaires établis. »
« Parmi les personnes qui ont défilé à la barre, un homme qui s’apprête à intégrer l’armée, un chauffeur de chariot élévateur, un graphiste, un ouvreur dans un opéra de Londres. Un cuisinier d’un restaurant bio âgé de 43 ans et son frère de 47 ans ont également comparu pour avoir dévalisé une enseigne de restauration rapide à Clapham, un quartier relativement aisé du sud de Londres. La plupart des accusés ont un casier judiciaire vierge, rapporte le Times. D’autre part, les différents témoignages recueillis par les journalistes britanniques montrent que l’origine ethnique des émeutiers est très diverse. Les pilleurs sont indifféremment asiatiques, noirs, blancs ou d’origine turque. Les foules de casseurs ne sont pas plus anarchistes ou altermondialistes. »
« “J’étais dans les émeutes et c’est ma fille de 16 ans qui m’appelait pour savoir où j’étais”, glousse Jackie, une mère de famille de 39 ans. Elle n’est pas la seule femme à avoir participé, loin s’en faut. Une autre mère avec deux enfants a par exemple été filmée par une caméra en train d’essayer des chaussures qu’elle venait de dérober dans un magasin de sport de Tottenham, au nord de Londres. »
« La distinction entre les participants responsables de délits d’émeutes – voitures brûlées, agressions de policiers – et des pillages opportunistes n’est jamais très claire. »
« On a arrêté un serveur sans casier, une hôtesse d’accueil, un cuisinier de 47 ans, qui se servaient dans des magasins dévastés ou démolissaient eux-mêmes des vitrines ! Parmi les 750 personnes déjà interpellées à Londres, on trouve les habitués du commissariat. Mais aussi des anonymes qui semblaient promis à une vie rangée. “Je passais, je suis entrée dans le magasin éventré. Toutes ces fringues gratuites et les policiers qui semblaient tétanisés, c’était trop tentant...”, explique une étudiante. »
« Un garçon de 11 ans, le plus jeune arrêté dans le cadre des émeutes du début du mois d’août à Londres, a été condamné mercredi à dix-huit mois de rééducation pour avoir volé une poubelle. Le récipient, d’une valeur de 55 euros, était exposé dans un grand magasin dont la vitrine avait été brisée par une bande d’émeutiers, le 8 août. »
« Stefan, 19 ans, quatre mois ferme pour le vol d’un violon ; Paul, trois mois et demi de prison ferme pour l’agression d’un policier (…). Mère de deux enfants, pas impliquée dans les violences, condamnée à cinq mois de prison pour avoir accepté des vêtements pillés dans un magasin. »
« Parmi les suspects qui se sont vu refuser mercredi leur libération, figure une jeune fille choisie dans sa commune comme ambassadrice des Jeux Olympiques de 2012 à Londres. Elle est soupçonnée d’avoir jeté des briques sur la police et d’avoir mené l’assaut contre un magasin de téléphones portables dans la capitale. Autre cas : un homme de 23 ans sans aucun antécédent a lui été condamné à six mois de prison ferme pour avoir profité des troubles pour voler un pack de bouteilles d’eau d’une valeur de quatre euros. »
« Dans la salle d’audience du tribunal de la cité de Westminster, au sud de Londres, plus proche de la salle de classe de banlieue que des palais dorés de sa très gracieuse majesté, les prévenus se prénomment Youssef, Marwan, Samir, Omar, Ibrahim... Ils ont entre 16 et 20 ans. Tous sont nés en Angleterre. Bien habillés d’un polo de bonne facture ou d’un tee-shirt de marque sportive, ils sont pour certains déscolarisés, sans travail et vivent le plus souvent chez leur mère séparée ou divorcée, d’expédients et de trafics divers. Dans le box vitré où ils comparaissent entre deux policiers noirs en chemise blanche et cravate, ils n’ont pas peur, affichant une relative indifférence à l’examen de leur dossier ou même ricanant. »
« A la barre du tribunal de Bexley, près de Londres, Laura J., 19 ans, fille de millionnaire : la jeune fille a été arrêtée au volant d’une voiture remplie d’appareils électroniques volés et de bouteilles d’alcool d’une valeur de 5 000 livres (5 680 euros). Elle restera en détention.
Natacha R., 24 ans, s’est rendue d’elle-même à la police parce qu’elle “n’arrivait plus à dormir” après avoir fait main basse sur une télévision dans un magasin. Malgré ses remords, elle encourt une peine de prison. Ce ne sont pas les regrets, mais la diffusion de sa photo dans la presse qui a poussé une autre jeune adolescente du sud de Londres à se rendre à la police (…). Parmi les premiers à comparaître à Westminster, un étudiant en deuxième année de droit accusé de faire partie d’un gang qui a mis à sac plusieurs cafés et restaurants du quartier de St John’s Wood, dans le nord de Londres, mercredi soir. »
[Extraits d’articles parus en août 2011 dans Le Monde, Le Figaro, L’Express et Le Point.]
Zanzara athée – septembre 2011
Nouvelles technologies + police + citoyenneté = répression 2.0
Si un saut qualitatif et quantitatif a pu être observé du côté de la répression suite aux émeutes de début août en Angleterre, si la répression qui s’est abattue sur une partie de la population a pu nous donner des impressions de déjà-vu à travers des films de science-fiction ou des romans d’anticipation, nous ne voulons pas développer la question ici pour nous scandaliser de nouvelles pratiques, car celles-ci ne font qu’accompagner la vieille réaction bourgeoise envers les « classes dangereuses ». Si les pratiques policières se modernisent avec le développement des outils de communication et des moyens technologiques de contrôle, le discours du pouvoir reste sensiblement le même depuis des siècles : il faut mater la rébellion, celle-ci n’a aucune légitimité et doit être combattue et punie coûte que coûte.
Les déclarations du premier ministre David Cameron rappellent celles des gouvernants de tous temps et de toutes régions du monde quand ils se trouvent face à une situation d’émeutes généralisées. La crainte d’un soulèvement qui dure et qui prend de l’ampleur s’accompagne alors de phrases choc qui stigmatisent et menacent les révoltés. Le 11 août, Cameron affirme qu’il ne s’agit « pas de politique, ni de manifestations mais de vol » [3], façon classique de diaboliser et ridiculiser la portée profondément sociale et politique des événements. Ce à quoi il ajoute : « Nous ne laisserons pas un climat de peur s’instaurer dans nos rues » [4]. Lors du même discours, Cameron évoque la possible présence de l’armée pour faciliter les opérations de police si jamais la situation venait à s’éterniser... C’est notamment dans ces moments que la guerre de classe saute aux yeux, lorsque le pouvoir, lui, n’a aucun scrupule à définir deux camps, et à faire comprendre que les émeutiers sont des ennemis de l’intérieur du pays.
Des ennemis à punir par la prison, bien sûr, mais qui peuvent aussi être déchus de leurs droits sociaux. Au lendemain de ses déclarations guerrières, David Cameron a estimé que les personnes impliquées dans les émeutes devaient être expulsées de leur logement social. Par ailleurs, une pétition électronique, lancée le 9 août par un député conservateur, demande que les « casseurs » soient privés de leurs droits sociaux. Cette pétition a recueilli en quelques jours plus de 160 000 signatures et devait être examinée en septembre par le Parlement. Nouvel instrument de la démocratie participative en Grande-Bretagne depuis le mois de juillet, l’e-pétition (epetitions.direct.gov.uk) est automatiquement soumise aux députés lorsqu’elle recueille plus de 100 000 signatures. « Les contribuables ne doivent pas financer ceux qui ont détruit des biens, des commerces, qui ont volé leur propre communauté et n’ont montré aucune reconnaissance pour les aides que leur offre leur pays, détaille la pétition. » [5]
Facebook, Twitter et BlackBerry – « réseaux sociaux » & répression 2.0
Ce mois d’août aura été l’occasion pour le gouvernement britannique de se poser moult questions concernant la liberté de communiquer et de s’exprimer via les « réseaux sociaux » de ce début de troisième millénaire, passant surtout par Internet mais aussi par téléphones portables ou objets hybrides équivalents.
David Cameron, lors de sa journée de discours du 11 août, a précisé ceci : « Lorsque les gens utilisent les réseaux sociaux pour des actions violentes, nous devons les en empêcher. Nous travaillons avec la police, les services de renseignement et les industriels pour étudier la manière dont nous pourrions empêcher ces personnes de communiquer via ces sites et services lorsque nous savons qu’ils préparent des actes criminels ou violents. » Le même Cameron, justifiant son parti-pris avec un moralisme affligeant : « Tous ceux qui ont été témoins de ces actes atroces seront frappés de constater comment ils ont été organisés par le biais des réseaux sociaux. La libre circulation de l’information peut être utilisée pour faire le bien. Mais elle peut aussi servir pour faire du mal. » Autrement dit, quand en Tunisie et en Libye, Ben Ali et Khadafi font tout pour bloquer Facebook et autres sites Internet dans une période de soulèvement populaire, on hurle à la dictature, mais quand une vieille démocratie européenne telle la Grande-Bretagne propose la même chose en période d’émeutes, on ne s’offusque pas car il s’agit, pour reprendre les termes de David Cameron, de « restaurer la société morale » [6]. La très démocratique « liberté d’expression » reste, ici et ailleurs, une vaste supercherie, qui fonctionne seulement quand tout le monde file droit.
La même semaine, la police a interpellé plusieurs utilisateurs de Twitter et de Facebook, accusés d’incitation à la violence... Le 16 août, dans le nord-ouest de l’Angleterre, deux personnes ont été condamnées à quatre ans de prison pour incitation aux troubles via les réseaux sociaux. Jordan B., 20 ans, avait créé le 9 août un événement sur Facebook intitulé « Détruire la ville de Northwich ». Le deuxième accusé, Perry S-K., 22 ans, avait, lui, appelé à une émeute dans son quartier à Warrington, en ouvrant une page Facebook intitulée « Organisons une émeute ». Alors qu’aucun incident n’a été signalé dans ces deux localités, les deux accusés ont été lourdement condamnés pour avoir, selon le procureur du tribunal de Chester, « utilisé Facebook pour organiser et orchestrer des troubles graves au moment où de tels incidents se produisaient dans d’autres régions du pays. » [7]
Malgré ces condamnations pour l’exemple, il semble que Facebook n’a que très peu été utilisé pour organiser les émeutes. A vrai dire, les traces laissées sur Facebook servent plus aux flics qu’aux émeutiers potentiels, avec les photos, les vidéos et les quelques mots qui y sont laissés...
Mais Facebook et Twitter, bien qu’ouvertement aux mains d’entreprises capitalistes, ont, en tant qu’outils de communication de plus en plus massivement utilisés, un potentiel important de diffusion d’informations par les usagers eux-mêmes. Et si l’usage de ces outils dépasse ce pour quoi ils sont prévus légalement, pour Louise Mensch, députée conservatrice britannique, il n’y a pas besoin de se prendre la tête : « C’est une question de bon sens. Si les émeutes et la peur se propagent sur Facebook et Twitter, fermons-les pendant une heure ou deux, puis remettons-les en ligne. Le monde ne va pas imploser. » [8] Pour elle aussi, le parti-pris est clair et net, « la principale raison pour laquelle il serait bon que le gouvernement dispose d’un "bouton d’urgence" pour couper les réseaux sociaux serait de faciliter le travail de la police. » [9]
Plutôt que Facebook ou Twitter, les gadgets technologiques qui ont pu servir de moyen d’organisation d’actions lors des émeutes sont plutôt les téléphones portables, que ce soit par SMS ou communication vocale, en particulier les fameux BlackBerry et leurs messages cryptés (BBM). Le 9 août, David Lammy, député de la circonscription de Tottenham, a d’ailleurs demandé au gouvernement et à Research In Motion (RIM), le constructeur des BlackBerry, de bloquer le service de messagerie. [10]
Le 25 août, le gouvernement britannique a réuni des responsables de Facebook, Twitter et BlackBerry pour évoquer le rôle des réseaux sociaux dans les émeutes du mois d’août. Les discussions, menées par la ministre de l’Intérieur Theresa May, « ont porté sur la façon dont le système judiciaire et les réseaux sociaux peuvent consolider les relations existantes (...) pour éviter que les réseaux sociaux ne soient utilisés à des fins criminelles. » [11]
Le 15 septembre 2011, Stephen Bates, directeur général de RIM déclare aux parlementaires britanniques être disposé à couper les services de communication BlackBerry en cas de criminalité de masse (donc d’émeutes) ou de menaces terroristes : « De notre point de vue, nous respectons la loi et si la justice demande de fermer les réseaux de communication mobiles [...], nous nous y plierons et nous travaillerons avec les opérateurs de télécommunications pour les aider à respecter leurs obligations telles qu’elles sont définies par la loi. » [12] Et en plus de cet engagement très citoyen, RIM a fait savoir qu’il peut révéler à la police les noms des utilisateurs de BlackBerry et leurs contacts présents à un certain moment et à un endroit précis.
D’ores et déjà, suite aux émeutes du mois d’août, les responsables de BlackBerry et Facebook ont reconnu avoir répondu positivement aux sollicitations de la police, sans donner de détails sur le genre d’informations lâchées aux flics. [13]
Le renouveau des techniques policières et de la délation comme pratique citoyenne
L’ère de la démocratisation du numérique semble apporter quelques difficultés de gestion du côté de la police. En tout cas, Louise Mensch s’en inquiète : « La police de Northamptonshire m’a parlé du temps et des ressources perdues pour répondre à de fausses alertes et à des rumeurs liées aux réseaux sociaux. Les personnes qui tweetent devraient y réfléchir à deux fois avant d’utiliser le mot "rumeur" dans un tweet. » [14]
« Mais pour les policiers, le fait que les réseaux sociaux puissent propager des rumeurs ne doit pas masquer le fait qu’ils les aident aussi à les démentir. Twitter a permis aux policiers "de rassurer directement le public" et de "mettre un terme à des rumeurs" (…). Particulièrement active sur le réseau social, la police du grand Manchester a effectivement utilisé les réseaux sociaux pour confirmer ou démentir des informations durant toute la semaine. Elle a également sollicité les presque 100 000 abonnés à son compte pour tenter d’identifier des suspects, en demandant régulièrement aux internautes de dénoncer les personnes qu’ils reconnaîtraient sur les images. Avec une certaine efficacité, si l’on en croit la police, qui a également mis en place des bus qui circulent avec un grand panneau sur lequel sont affichées les photos. "Un autre homme vient de se rendre après qu’un ami ait vu sa photo sur le bus et lui ait dit que son visage était partout et qu’il ne pouvait pas se cacher", relate la police. » [15]
A Birmingham aussi, dès le 11 août, une camionnette de police s’est mise à sillonner le centre-ville en trimballant sur son toit un écran géant qui diffusait des photos d’émeutiers recherchés. Une cinquantaine de clichés de suspects, capturés par des caméras de surveillance, étaient ainsi exposés à la vue de tous de 7 heures du matin jusqu’à 19 heures, pendant trois jours... Voilà une bien belle mise en spectacle d’une pratique ancienne et devenue un peu désuète depuis les années 1940 : l’appel à délation.
D’un autre côté, il faut comprendre les stratégies policières : tout ce fric dépensé à mettre des caméras de vidéosurveillance partout, toutes ces photos accumulées dans des fichiers de police, il faut bien que ça serve à quelque chose ! Et puisque la police a quelques difficultés à trouver des coupables et encore des coupables, pourquoi ne pas faire recours aux bons citoyens ?
La flicaille britannique est allée jusqu’à dresser sur son site Internet une liste des condamnations suite aux émeutes du mois d’août : c’est la stratégie du Name and shame (nommer et faire honte). Sont indiqués les noms des condamnés, suivis de leur adresse et de leur date de naissance (qui doivent être « obligatoirement mentionnées » pour éviter d’incriminer à tort d’éventuels homonymes...).
Pour s’assurer que la police britannique est au top question Internet, il suffit de jeter un oeil sur son site, www.police.uk, qui s’ouvre sur ces quelques mots : « Ce site vous fournit des informations utiles à propos du crime et du maintien de l’ordre dans votre région. Entrez votre code postal, ville, ou rue dans la case de recherche ci-dessous, et ayez accès instantanément aux données et à la carte de niveau de crime de votre rue, ainsi qu’à des détails concernant votre équipe locale de maintien de l’ordre ».
En plus des sites locaux de la police, six sections sont proposées à travers des sites consacrés à des sujets spécifiques : un site à propos de « la sécurité sur Internet », un autre appelant à dénoncer la « fraude » (actionfraud.org.uk), un site de prévention des abus envers les enfants, un site de protection des bureaux d’entreprises (businesslink.gov.uk – « les crimes commis contre les entreprises peuvent causer des dommages très coûteux. (…) cela fait sens de prendre des mesures de sécurité appropriées afin de protéger votre entreprise. ») et surtout, deux sites qui s’inscrivent dans la lignée du cauchemar orwellien de 1984 : CrimeStoppers (crimestoppers-uk.org), qui est, selon Le Figaro, une « association indépendante [qui] a permis 107 000 arrestations en 23 ans d’existence outre-Manche grâce à des tuyaux d’informateurs anonymes » [16] dont l’objectif principal est d’inciter la population à dénoncer les « criminels » de tous bords : « Appelez anonymement avec vos informations concernant un crime » et « Combattez le crime sans révéler votre identité » sont les deux phrases principales qui présentent le site, montrant une photo de femme âgée affublée d’un masque et d’une combinaison de super-héroïne... Et Neighbourhood Watch (ourwatch.org.uk), organisation qui existe depuis 1982 et dont l’objectif est de créer des groupes de voisins qui secondent la police dans le maintien de l’ordre local (essentiellement via des méthodes de contrôle / surveillance du voisinage, soi disant de manière « bienveillante » et « amicale », pour plus d’efficacité, évidemment). Ces deux derniers sites, incitant et institutionnalisant des pratiques « citoyennes » comme la délation et la surveillance du voisinage, ont certainement permis les sorties hallucinantes du pouvoir et de la police appelant ouvertement à la délation d’émeutiers et autres pilleurs, par Internet comme par affichage de rue.
En France, même Le Figaro, pourtant loin d’être connu pour sa lutte contre la société sécuritaire, s’étonne qu’autant d’énergie soit dépensée pour lancer des appels à la délation : « Sur le site du tabloïd The Sun, l’appel "Shop a moron" (Dénonce un crétin) s’étale en lettres capitales. "Connaissez-vous ces pilleurs ?" demande son concurrent The Daily Mail. Sur le réseau social Facebook, des groupes comme "Wanted – émeutiers et casseurs de Londres" et "Attrapons les émeutiers de Londres 2011" se disputent l’attention des internautes, aux côtés de sites dédiés comme londonrioters.co.uk. Toutes ces invitations à la délation renvoient vers des séries de photos montrant plus ou moins nettement les visages de casseurs et de pilleurs en train de briser des vitrines ou de s’enfuir avec des butins parfois aussi modestes qu’une bouteille de gin et un flacon de ketchup. » [17]
Nous avons vu au début de cet article que de « bons citoyens » ont signé une pétition réclamant la privation de droits sociaux pour les émeutiers, mais lors de ce mois d’août, c’est avec la création d’un nouveau site Internet qu’on a touché le summum de la soumission citoyenne : zavilia.com a été créé dans la nuit du 8 au 9 août, alors que les émeutes continuaient, par un certain James, étudiant en physique et mathématiques. Ce site propose aux internautes de remplir un formulaire pour identifier des fauteurs de troubles dans une galerie de photos numérotées. L’informateur est invité à fournir un ou plusieurs noms, mais aussi d’autres informations comme les profils Facebook ou Twitter des personnes identifiées. Informations a priori plus aisées à obtenir depuis que Facebook a lancé, début juillet 2011, une technologie de reconnaissance faciale – « pour faciliter l’identification de vos amis », dixit Facebook.
James veut « traduire en justice ces criminels » [18], et il était alors plutôt optimiste, puisque selon lui, « souvent, les mêmes noms reviennent et nous commençons à avoir une liste pour identifier ces émeutiers. » [19] Citoyen engagé et bénévole, James a monté ce site avec cinq autres étudiants. Il se justifie avec un aplomb lamentable qui aurait sûrement fait rire La Boétie : « Si j’étais vu en train d’enfreindre la loi, je serais heureux qu’un public citoyen fasse ce travail de dénonciation. Ce n’est pas très différent des caméras de vidéosurveillance. » [20] Que dire de plus ? James a défini en deux phrases ce que l’on appelle ici la répression 2.0.
Ce monde de surveillance, de contrôle et de citoyennisme spectaculaire, a ce petit côté 2.0, le charme de l’update, l’attrait de la mise à jour, une espèce de fascination que peut provoquer l’horreur de la nouveauté technologique dans de telles circonstances. Mais au final, nous devons replacer tout cela au coeur de pratiques policières et citoyennes qui ne datent pas d’hier. En France aussi, la vieille habitude de la délation, devenue plus ou moins taboue depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a été réactivée en 2007 suite aux émeutes de Villiers-le-Bel, avec prime à la dénonciation anonyme. La spectacularisation à l’anglaise de la délation comme outil répressif citoyen (utilisation de droits et devoirs inscrits dans la citoyenneté au service de la Loi) est due autant à une démarche répressive décomplexée qu’à un renouveau technologique dans la manière dont les appels à la délation sont émis, mais tout cela est à placer dans la continuité d’une société qui cherche à se protéger, comme elle a toujours cherché à se protéger. Selon ses moyens, selon ses besoins... Avec ou sans vidéo-surveillance, délation, techniques de reconnaissance faciale ou ce que l’on voudra (puces RFID, outils de géolocalisation, identification biométrique, etc.), il n’y a pas de « bons » outils de contrôle et de surveillance, il n’y a pas de « bonne » protection du pouvoir.
Il n’y a pas de « bons » pouvoirs. Nous voulons les détruire tous.
Zanzara athée – septembre 2011
Textes compilés, travaillés, et parfois retraduits par
Fuck may 68 fight now ! et Zanzara athée.
Octobre 2011.
Ce recueil n’est rien d’autre qu’un modeste geste de solidarité avec les prolétaires révoltés d’Angleterre et d’ailleurs, ainsi qu’avec tous
ceux qui se font attraper par les griffes de la répression.
Il est possible de participer à la diffusion de cette brochure. Nous pouvons faire parvenir à qui le désire le nombre d’exemplaires souhaité (jusqu’à plusieurs dizaines) en contre-partie d’une modique somme (prix coûtant d’impression et frais de port)...
[1] Emeutes à Londres : 1100 cambriolages, 162 incendies, 400 voitures saccagées, AFP, 20 août 2011.
[2] Grande-Bretagne : qui sont les émeutiers ? Où vivent-ils ?, Libération, 19 août 2011.
[3] Émeutes : Cameron n’exclut pas de recourir à l’armée, Le Figaro, 11 août 2011.
[4] Ibid.
[5] Les Anglais veulent priver les émeutiers d’aide sociale, Le Figaro, 12 août 2011.
[6] Ibid.
[7] Quatre ans de prison pour deux Britanniques qui ont incité aux émeutes sur Facebook, Le Monde, 16 août 2011.
[8] Tory MP Louise Mensch backs social network blackouts during civil unrest, The Guardian, 12 août 2011.
[9] Grande-Bretagne : police, Twitter, prison, Le Monde, 13 août 2011.
[10] David Cameron souhaite priver les émeutiers de réseaux sociaux, Le Monde, 11 août 2011.
[11] Citation d’une porte-parole du ministère in Emeutes britanniques : le gouvernement réunit les responsables des réseaux sociaux, Le Monde, 25 août 2011.
[12] BlackBerry prêt à couper ses services en cas d’émeute, Numerama, 16 septembre 2011.
[13] Emeutes en Grande-Bretagne : BlackBerry, Facebook et Twitter mis sur le grill par des députés, AFP, 15 septembre 2011.
[14] citation du compte Twitter de Louise Mensch in Tory MP Louise Mensch backs social network blackouts during civil unrest, The Guardian, op.cit.
[15] Ibid.
[16] La chasse aux casseurs est lancée sur Internet, Le Figaro, 10 août 2011.
[17] Ibid.
[18] Ibid.
[19] Ibid.
[20] Ibid.
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