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Désobéir (extraits)

mis en ligne le 9 juin 2009 - Maurice Vlaminck

I

(...)

* Détruire les machines, et travailler pour la paix. Ou continuer à faire tourner les machines pour la guerre. (...)

* Les hôpitaux ? Quelle hypocrisie ! Quel mensonge ! (...)

* (...) Avez-vous l’intention de secourir efficacement ceux qui en ont besoin : les vrais pauvres, ceux qui se couchent sans manger et dont les enfants n’ont pas de souliers aux pieds, ni de chemise sur le dos ? La pauvre môme qui, s’étant fait mettre enceinte, ne sait pas comment elle va faire pour garder son petit ? Est-ce cela que vous voulez faire ?

Un hôpital ? C’est trop facile et ça ne sert pas aux pauvres. Bâtir un hôpital ? Il y aura l’achat du terrain, la commission à l’intermédiaire, le pourcentage de l’architecte, les bénéfices des entrepreneurs ; ensuite, le fixe du directeur et du sous-directeur, celui de l’économe, du médecin, du chirurgien ; les salaires des cuisiniers, des infirmières, des surveillants, du concierge ; les congés payés : enfin toutes les charges que comporte l’entretien d’un hôpital. Est-ce pour faire vivre tout ce monde-là ou pour aider véritablement les pauvres que vous voulez distribuer votre argent ? (...)

* Des maisons confortables. Des escaliers qui montent tout seuls... Eau, gaz, électricité à tous les étages... Water... tout à l’égout... Métro... Autos... On n’a plus rien à faire. Tout marche tout seul. Même la pensée ! On a la T.S.F. et le journal : cela évite de réfléchir et on sait d’avance ce que l’on a à dire. On a une opinion toute faite, toute calibrée, comme l’étoffe qu’on vend au mètre...

On est nourri avant d’avoir mangé. On arrive sans avoir marché. On a de l’amour sans la peine – ni le plaisir – d’aimer.

On n’a qu’à payer pour rire. On ne sait même plus pleurer.

Et malgré cette vie mécanique, électrique, on a peur de mourir et on parle de bonheur ! (...)

* Je vis dans la solitude totale, loin de la ville. Loin d’une vie truquée, peuplée de combines, rongée par la passion de l’argent et ses hypocrites laideurs. (...)

A la campagne, il n’y a pas d’indigents. Il n’y a que de simples gens. Il y a des masures, mais pas de taudis.

Je pense aux années de ma jeunesse, passées dans la sombre et triste banlieue de Paris : paysages de cheminées d’usines, de petits champs garnis de petits treillages où brillent les culs de bouteilles, les débris de porcelaine. Je revois les villas des retraités et des petits commerçants, bâties au prix de vingt ou trente ans d’une application sédentaire, vingt ou trente ans d’emprisonnement, sans espace, sans lumière. (...)

* A quoi bon parler d’hygiène, d’augmentation de la durée de la vie humaine, quand une guerre moderne, tenant la place des choléras et des pestes d’antan, fait disparaître des millions d’êtres ?

* Je monte dans le rapide de Bruxelles. Je m’installe et coupe les premières pages du “Petit Mexicain” d’Aldous Huxley.

Le train démarre.

Frontière. Arrêt. Un douanier belge, à la casquette chargée de galons, me demande mes papiers.

Je n’ai sur moi aucun “papier”... Pour moi, la Belgique, c’est mon pays... (...)

Un douanier, encore plus galonné, intrigué par ce colloque, s’arrête devant moi. On le met au courant, il lit les lettres.

Les deux hommes parlementent un instant. Ils sont évidemment persuadés de ma bonne foi... Ils redoutent une tuile.

On va vous laisser passer, dit celui qui paraissait le chef... Mais, une autre fois, sais-tu, il faudra avoir des papiers. (...)

* Il est curieux de remarquer que la plupart des Français qui ont voté pour le Front Populaire – S.F.I.O., parti communiste – ont tous, dans la poche, un billet de Loterie Nationale, ne serait-ce qu’un dixième ou un vingtième de billet, dans l’espoir de devenir millionnaire ? (...)

II

(...)

* Qu’y a-t-il de plus monotone, de plus triste à voir, qu’une pépinière où se trouvent alignés des arbres de même essence, plantés en files parallèles ? Mais quelle beauté, quelle grandeur émanent de la forêt ! L’implacable injustice qui s’en dégage exprime une vérité souveraine.

* Vers 1896, je collaborais au journal Le Libertaire.

Le Libertaire avait ses “bureaux” rue d’Orsel. Ils consistaient en une simple baraque de bois élevée dans le fond d’une cour, derrière un immeuble noir et pauvre. On y rencontrait de ces vieux militants dont les bourgeois parlaient comme de monstres assoiffés de sang et qu’ils décrivaient comme des bandits.

Trente ans plus tard, ces anarchistes devinrent, pour les mêmes bourgeois, les bolchevicks au couteau entre les dents. Aujourd’hui, le camarade des temps héroïques, communiste parisien en veston, a pris ses Invalides sur les banquettes du Parlement bourgeois...

A l’époque de Ravachol, d’Emile Henry, de Vaillant, le journal Le Libertaire était le seul organe qui osât batailler contre le capitalisme. En guise de récompense et de salaire, ses rédacteurs étaient toujours sûrs d’écoper de quelques mois de prison.

Certains soirs, nous nous réunissions autour d’une tasse de thé qu’offrait Matta, principal rédacteur et gérant du journal. On palabrait tard dans la nuit, et quand nous sortions dans la rue, les flics rôdaient. Le frère d’Henry : Fortuné Henry, Vigo Almeyreda, Charles Malato, Georges Pioch étaient des habitués du repaire.

Manquant continuellement de fonds, le journal paraissait irrégulièrement, et souvent Matta exprimait les craintes les plus sombres : disparition définitive ! Il répondait aux doléances ou aux menaces en nous mettant le bilan sous le nez et en nous proposant pour exemple ceux qui avaient été jusqu’à donner leur vie pour l’Idée, pour la “Cause” ! Malgré tout, l’espoir de réformer le Monde ne nous abandonnait pas. Nous nous sentions animés d’une Foi capable de nous imposer les plus grands sacrifices.

La presse bourgeoise ! nous disait un soir Matta, elle a dépeint Ravachol comme un monstre ! comme un vil nécrophore ! Alors que Ravachol était un brave coeur, un brave type qui nourrissait par son travail sa mère et son jeune frère. C’était un être courageux, simple, désintéressé...

Un matin, continua Matta, les journaux relatèrent le décès d’une bourgeoise de la haute. On racontait qu’à la prière de la défunte, le mari l’avait fait enterrer avec tous ses bijoux. Il y en avait pour soixante mille francs !... Soixante mille francs de perdus pour tout le monde !... Soixante mille francs enterrés inutilement avec cette morte !

Cela révoltait l’esprit logique de Ravachol. Il dit simplement :

Je vais aller les chercher ! Sans tarder il se renseigna et, le lendemain, à deux heures du matin, muni des outils indispensables à son entreprise, il escaladait les murs du cimetière.

Il pénétra dans la petite chapelle mortuaire. La pierre du sépulcre n’était pas encore posée. Il descendit dans le tombeau, ouvrit le cercueil. Suffoqué par l’odeur du cadavre, il mit le feu aux couronnes et aux bouquets... Il écarta le linceul... Il souleva la morte... Les bijoux n’y étaient pas. Les journaux bourgeois avaient menti... Et le mari aussi !

* (...) Le Fauvisme, art anarchiste, individualiste, est né à Chatou – Ecole de Chatou – de ma rencontre avec Derain.

En 1900, à ma libération du service militaire, des révoltes bouillonnaient en moi. Révoltes contre une société enfermée dans des conventions étriquées, bornée par des cadres étroits, soumise à des lois égoïstes et mesquines. Et le moindre choc, le moindre heurt auraient suffi pour que ces révoltes fissent explosion...

La peinture fut un exutoire, un abcès de fixation. Sans elle, sans ce don, j’aurais mal tourné. Ce que je n’aurais pu faire dans la société qu’en jetant une bombe – ce qui m’aurait conduit à l’échafaud – j’ai tenté de le réaliser dans l’art, dans la peinture, en employant du pures couleurs sortant de leur tube. J’ai satisfait ainsi à ma volonté de détruire, de désobéir, afin de recréer un monde sensible, vivant, et libéré. (...)

* Quand on tue un poulet pour le manger, on ne l’insulte pas : il est de mauvais goût de faire croire à la Société des Nations que c’est le poulet qui a commencé ! (...)

* Le progrès a amené l’homme de 1936 à un tel degré d’abrutissement que l’équipe gouvernementale comporte un ministère dit “des Loisirs, du Tourisme et des Sports” ! (...)

* La Société des Nations... La Conférence du Désarmement : une équipe d’ingénieurs, de techniciens qui imaginent qu’en boulonnant le couvercle de cette immense marmite qu’on appelle le Monde, elle n’éclatera pas, même si on la laisse sur le brasier des usines.

* Tout travail fait en série est belliqueux.

* Une Nation qui se flatte d’avoir “LA PAIX” pour idéal ne peut pas être une nation industrielle.

* Une nation pacifiste ne peut être qu’une nation de poètes, d’artistes, d’artisans ou de sauvages. (...)

* Une guerre européenne serait évidemment la fin de la civilisation occidentale.

Une guerre n’est pas souhaitable, certes ! Mais la fin de cette civilisation mécanique, avec tout ce qu’elle comporte d’avilissement, ne serait-elle pas un bienfait pour l’Homme ?

* Au temps de l’esclavage, les captifs aspiraient à la liberté. En 1936, époque de “progrès” et de “science”, tout ce que les hommes revendiquent, c’est le droit d’être enfermés pendant quarante heures par semaine pour faire un travail idiot !

* Définition du Bourgeois :

Le bourgeois est celui qui pense que l’épaisseur de son portefeuille mesure sa supériorité et son intelligence.

* Chaque ouvrier est un bourgeois en puissance, en formation : assurances sociales, assurances maladies, retraites ! Comme idéal suprême, une chambre à coucher en faux bois, des tapis en fausse laine, des robes et des bas en soie artificielle, des bijoux en simili et des bibelots à “prix unique”...

* Qu’est-ce que le communisme ? ai-je demandé d’un air innocent à un ouvrier syndiqué.

Parbleu ! la révolution sociale...

Je ne lui ai pas demandé si elle serait aéro-dynamique.

* Pendant mon séjour aux usines, j’ai pu constater combien la classe ouvrière, fabriquée, malaxée par le milieu et l’ambiance était “standard”. Comme un pain de quatre livres ressemble à un autre pain de quatre livres, un ouvrier ressemble à un autre ouvrier... (...)

* La classe bourgeoise est désemparée à la perspective d’une révolution qui la dépouillerait de son argent.

* Il n’aimait que l’argent ! Il ne voyait que l’argent, ne comptait que sur la puissance de l’argent. L’argent s’écroulant, s’évanouissant, que va-t-il lui rester pour vivre ? Il avait bâti son existence sur l’argent. L’argent était le but de sa vie, son Idéal ! Le bourgeois ne croit plus en Dieu. Il va encore à l’Eglise, à la messe, pour remplir un rite obligatoire de sa condition... Mais, si l’argent n’existe plus, s’il n’a plus le moyen de s’enrichir, que fera-t-il de sa vie ? (...)

* Il est plus facile de devenir un technicien, un érudit, que de connaître la vie avec tout ce qu’elle comporte.

* Il faut beaucoup plus de volonté, d’intelligence, de compréhension pour labourer la terre, quand on a les moyens de ne pas la labourer, qu’il ne faut justifier d’authentiques qualités pour devenir avocat, médecin ou ministre.

III

(...)

* Quand ils prêchent le Désarmement, les Pacifistes en parlent comme les curés parlent du péché, de l’Enfer et du Paradis.

Il n’est question dans leurs discours que de canons, de tanks, de mitrailleuses et d’avions de bombardement. Pourquoi oublient-ils le principal ? L’accroissement de la natalité de certaines puissances... les usines d’autos, de produits chimiques, d’avions de tourisme et même les fabriques de couteaux à dessert et de cuillers à café.

Désarmer ? Oui ! mais désarmer la vie moderne ! (...)

* J’ai toujours été, depuis mon jeune âge, fixé quant à mes goûts, mes inclinations, mes sympathies. J’ai laissé aux autres, et sans regret, l’envie de ce que je n’aimais pas et de ce qu’ils adorent...

Je n’ai jamais voulu qu’une chaumière, une vraie femme, des arbres fruitiers, un petit bois, une rivière, pas de livret militaire ; des fleurs et des bêtes. Comme c’est l’idéal le plus vrai, le plus réel, le plus simple depuis le commencement du monde, ce n’est pas très commode à réaliser. (...)

* Ce petit homme passe devant le tribunal correctionnel pour crime de défaitisme et attentat au crédit de l’Etat :

100 francs d’amende et huit jours de prison ! prononce le Président.

Mon président, dit l’accusé d’une voix douce, vous pouvez me condamner à 100 francs d’amende et huit jours de prison ; mais il n’est pas en votre pouvoir de me condamner à être un imbécile. (...)

* (...) Parfois, à travers des verdures – d’un vert pâle et indéfini – on aperçoit un château. Ce sont les fameux châteaux de la Loire que les panneaux-réclames, le Ministère des Loisirs et du Tourisme et les Guides vous invitent à visiter... Quelles grandeurs vides ! Quel froid ennui se dégage de tout cela ! Quel concours de richesses inutiles !

Ces “châteaux” ont un destin amer. Ils deviennent des sanatoriales, des maisons de retraite pour vieux domestiques, vieux cabotins, vieilles concierges, vieux intellectuels...

Quand l’homme aura retrouvé sa vie d’homme, qu’il aura refusé de “produire” quarante heures par semaine, les usines deviendront des refuges pour vieux exploiteurs, patrons séniles, techniciens gâteux, ouvriers pâles et syndiqués. (...)

* Si une nouvelle guerre éclate, pourra-t-on parler encore sans rire - ou sans pleurer - des bienfaits de l’instruction, du progrès et de la civilisation ? (...)

* Le marasme dans lequel se débattent toutes les branches de l’activité humaine n’est pas une crise : c’est un aboutissement, un résultat.

* (...) Où va la peinture ?

L’Art n’ayant, par principe, aucun but, la peinture n’a jamais à “aller” nulle part. Elle n’a pas à devenir autre chose que ce qu’elle est :

UNE MANIFESTATION INDIVIDUELLE.

Si, aujourd’hui, se pose la question de l’avenir de la peinture, les peintres en sont responsables, qui ont fait de la peinture un métier.
Ce qu’il faut plutôt se demander, et franchement, c’est ce que vont faire les peintres ! Etre “artiste peintre” ne constitue pas un métier et n’aurait jamais dû être considéré comme tel. (...)

Engager les artistes à peindre des travailleurs pendant la période révolutionnaire, et à portraiturer des dictateurs pendant l’ère fasciste et des généraux pendant l’ère guerrière, c’est un point de vue !

Leur faire décorer les mairies, les écoles, les maisons du peuple à l’avènement du communisme ; des palais et des châteaux sous le règne des aristocrates et des rois, c’est une manière d’en sortir. Et, si c’est possible, d’en vivre !

Mais alors, avec de telles conceptions, qu’on ne vienne plus nous parler d’Art ! (...)

Attribuer à la peinture un “but”, c’est aussi puéril que d’en attribuer un au chant du rossignol. (...)

Je désire que tout le monde vive, que chacun mange et boive à son saoul. Mais quand on s’engage dans une voie aussi fragile, aussi peu sûre, dans un chemin aussi “en dehors” que la peinture, ne doit-on pas en accepter tous les risques avec dignité et abnégation ?

Avant l’industrialisation, avant le règne de la machine, tous ceux qui envisagent ou embrassent aujourd’hui la carrière de peintre avaient leur place dans l’Artisanat. Avant que la machine ne les ait remplacés, ils exécutaient des tapisseries, des meubles, travaillaient la pierre, le bois, forgeaient le fer. (...)

Ayant toujours placé la peinture au-dessus des contingences matérielles, j’ai fait tous les métiers pour gagner ma vie. Mais je n’ai jamais fait de la peinture un métier. (...)

* Un ami qui arrive de Russie me fait un récit enthousiaste de la vie en U.R.S.S.

Je le questionne :

Au point de vue de la vie, telle que nous la comprenons en France, y a-t-il quelques chose de changé ?

Tout !

Tout quoi ?

Je dis “TOUT”. C’est bien simple, si tu ne me crois pas, vas y voir toi-même.

Voyons, lui dis-je, procédons par ordre !

“Y a-t-il des maçons qui montent des murs, des cantonniers qui mettent des pierres sur les routes, des vidangeurs qui vident les fosses, des mineurs qui descendent dans la mine, des paysans qui labourent la terre, pendant que d’autres citoyens sont bien au chaud quand il fait froid et bien au frais quand il fait chaud ?

Qu’est-ce que tu me racontes-là ?

Je te demande s’il y a des types qui sont dans un bureau, en train de noircir du papier et des intellectuels qui glorifient le travail pendant que les copains le font ?

Mon ami avait tout de même l’air un peu décontenancé...

C’est forcé, tout cela, me dit-il avec brusquerie. Comment veux-tu que ça marche autrement ? Je me demande un peu ce que tu voudrais ! (...)

* Le Progrès, c’est la vieillesse et la Mort déguisées en Avenir... (...)

* La moitié du monde passe sa vie à s’approprier l’argent que possède l’autre moitié.

* La machine est le moyen de faire travailler quelques-uns au profit de tous... (...)

* Les théories cubistes sont à la peinture ce que les théories marxistes sont à la Sociologie. (...)

* Le communisme, c’est le régime bourgeois de demain.

* Animés par un nouvel idéal social, de nouveaux révolutionnaires surgiront. Mais il y aura toujours des marches militaires et des policiers.

* La guerre de 1914 fut une guerre “cubiste”, mais celle qui vient sera “surréaliste”.

* L’esprit bourgeois n’est pas prêt de mourir ; il renaît tous les jours, sous d’autres formes.

* En politique sociale, à part quelques grands artistes, Ravachol, Emile Henry et Vaillant, quels chefs-d’oeuvre les autres ont-ils fait ? Il y a bien eu Jésus-Christ. Mais cela ne lui a pas réussi... (...)

*Le vrai, le seul pacifiste, c’est celui qui l’est PAR NATURE, c’est le paysan. (...)

Le Pacifisme n’est pas une théorie. C’est une fonction essentielle de l’ETRE, c’est une façon de vivre. Il suppose le renoncement de l’âme, le reniement des oeuvres factices, l’abjuration de la vie artificielle que l’homme s’est fabriquée.

Voilà pourquoi le véritable pacifisme est incompatible avec les aspirations de la foule, de la masse du peuple des Villes...

Le pacifiste, ce n’est pas le troupeau, c’est l’INDIVIDU. Ce n’est pas l’électeur et ce n’est pas l’élu, c’est l’HOMME. (...)

IV

(...)

* Mourir pour la collectivité, en héros, est une duperie : il n’y a pas réciprocité.

* Le Poilu Inconnu doit être fixé sur l’incommensurable bêtise et sur la monstrueuse hypocrisie humaine.

* Mourir empoisonné par des champignons ou mourir au champ d’honneur ? Dans les deux cas, c’est faire montre d’ignorance et de candeur. (...)

* Tous les groupements : Communistes, Croix de feu, toutes les Ligues, tous les Rassemblements populaires ne correspondent qu’à la même illusion, revivifier, électriser par la confiance un système faux, renouveler par la surenchère des combinaisons mortes, miser sur ce qu’on croit une martingale et qui n’est qu’une illusion.

* Si, dans chaque Nation, les dirigeants n’entrevoyaient pas la Guerre comme une fin providentielle, ils deviendraient fous devant l’insoluble problème économique et financier qui se pose au Monde. (...)

* On a séparé l’Eglise de l’Etat.

A quand la suppression de l’instruction obligatoire et du service militaire obligatoire ? (...)

* Ce qui est dangereux, c’est que l’homme est arrivé à voler à cinq cent kilomètres à l’heure, cependant que son coefficient de bêtise, d’égoïsme et de cruauté est resté le même qu’au bon temps où il n’avait que ses pieds pour aller chez le voisin. (...)

* Pour le particulier, le seul moyen de sortir élégamment d’une situation inextricable, c’est le suicide. Pour une nation, c’est la guerre...

L’Espagne est en train de résoudre pour une quarantaine d’années les problèmes jumeaux de chômage et de la surabondance. “Paix, pain et liberté !”... “Foi, espérance et charité”. Ces deux idéologies se seront affrontées avec une rage égale et les espoirs qu’elles représentent auront disparu, l’un comme l’autre, à tout jamais. (...)

* Les membres des Parlements de toutes nuances et de toutes couleurs votent des lois, toutes les lois qui leur passent par la tête. Cela n’a, à mon sens, aucune espèce d’importance.

* (...) Le travail de la machine rabaisse l’homme au niveau de la brute : ce ne sont pas les réductions d’heures de travail qui modifieront cet état... (...)

Cet ennui qui ronge le Monde, cette insatisfaction, cette angoisse mortelle ont pour cause l’abandon de la création individuelle, du travail manuel intelligent qui, seul, peut apaiser le besoin d’extériorisation que nous ressentons tous, du plus petit au plus grand. (...)

Où est le temps, pas encore si lointain, où les tailleurs de pierre se plaisaient à tailler la pierre, où les forgerons aimaient à forger le fer, où l’ébéniste, l’artisan, le sculpteur fabriquaient et sculptaient leurs meubles avec amour ?

Tous chérissaient leur travail : l’artiste son art et le laboureur sa terre. (...)

* Les vrais artistes, les créateurs, sont des fleurs qu’enfante le hasard.

* On naît peintre comme on naît bossu. C’est un don ou une infirmité.

* Pour être champion de boxe, il ne suffit pas d’avoir un père millionnaire.

* Encourager les arts, c’est nourrir des nullités et donner un vain espoir aux médiocres !

* Celui qui a une belle voix chantera malgré sa misère. (...)

* La lutte, la nage, la marche, la course ne sont plus des choses naturelles auxquelles on se livre sans réglementation et sans code...
Au moins, parlez-nous du “sport” !

Le “sport” est une institution de progrès. (...)

* L’activité du “Ministère des Sports” et de celui du “Sauvetage de l’Enfance” me font penser à celle des fabricants de masques destinés à combattre l’empoisonnement des villes par gaz toxiques.

Il serait plus simple de supprimer l’emploi des gaz. De cette façon, les manufactures de masques perdraient leur raison d’être... Mais il est aussi impossible d’enrayer la vacherie humaine que la tuberculose et le cancer ! (...)

*Ainsi, grâce aux ingénieurs et aux techniciens, le monde actuel nage-t-il dans le bonheur et la béatitude...

* Un homme bien portant n’entrevoit même pas l’éventualité de son passage entre les mains d’un chirurgien. (...)

V

(...)

Les techniciens agronomes sont de pauvres types et leurs statistiques une fumisterie. Tout cela ne changera rien aux faits et aux résultats. (...)

Leurs prévisions et leurs calculs vont se trouver en défaut. Tous les engrais chimiques du monde ne peuvent contrarier les lois de la nature.
Personne n’oublierait ces vérités essentielles, si le désordre ne s’était installé dans tous les cerveaux, à commencer par ceux des spécialistes et des dirigeants de l’économie distributive.

En quoi consiste cette “surabondance” dont les techniciens parlent avec tant de véhémence ?

Abondance de saucisses, de fraises, de cerises, de pommes de terre, de tête de veau, de bifsteacks, d’abricots et de haricots verts ? Cette année, de blé ?

Il n’y a pas assez de beurre en France puisque le Tip le remplace. Pas assez de fruits puisqu’on les fait venir d’Espagne ou d’Amérique. Pas assez de pommes et de poires, puisqu’on en importe du Canada.
S’il y a surabondance, c’est une surabondance de cons.

Accessoirement, c’est une surabondance d’objets manufacturés, d’autos, de bicyclettes, de machines à écrire, de seaux de toilette, de casseroles, de T.S.F., de phonos, de toute une quincaillerie, de bricoles en zinc chromée, en clinquant, qui, pour avoir subi les lois de la production intensifiée, ne trouvent plus ni débouchés, ni acheteurs.

Non contents de ne plus savoir que faire de toutes ces inutilités qui encombrent la vie actuelle, de ne plus savoir à qui les refiler, on a imaginé d’augmenter les salaires de ceux qui les fabriquent, afin qu’ils continuent à les fabriquer. Loin de restreindre la production, on crie stupidement à la sous-consommation.

Les techniciens de l’économie dirigée en sont toujours là : intensifier ! et l’augmentation des salaires n’a pas d’autre objet que de donner obligatoirement aux Français les moyens d’acheter deux autos, dix phonos, trois vélos, sept stylos, vingt pots de chambre, douze douzaines de briquets, trois moulins à café, neuf postes de T.S.F., deux mitrailleuses, un avion et trois tanks. (...)

L’ouvrier syndiqué, le fonctionnaire, n’est-ce pas le nouveau bourgeois d’aujourd’hui, le bourgeois à prix unique ? Est-il plus sympathique et le crois-tu meilleur et plus humain que le bourgeois classique, celui de la chaîne de montre en or et du chapeau haut de forme d’avant-guerre ?
As-tu réfléchi que toutes les revendications humanitaires et égalitaires ne devaient aboutir qu’à ressembler au bourgeois, à jouer au bourgeois ? A enfiler un pyjama de plage, à s’épiler les sourcils, à se faire faire une permanente ? En un mot à s’affubler des signes extérieurs du capitalisme ?

Ne sais-tu pas que les mêmes saloperies se répètent éternellement ? Qu’aujourd’hui ceux qui ont la chance de travailler trouvent tout naturel d’être augmentés et d’avoir des congés payés, cependant que des centaines de milliers de leurs camarades, mâles et femelles, crèvent la faim et chôment ?

Se cramponnant à leurs places, ils ont obtenu ce qu’ils voulaient, ils se sont habillés “en dimanche” et se sont dirigés vers les gares... Ah ! s’ils avaient eu le beau geste ! S’ils avaient abandonné le prix de leur billet à ceux dont la machine a fait des morts vivants, aux camarades chômeurs ! On aurait pu dire qu’il y avait dans l’humanité quelque chose de changé, un espoir, l’aube de temps meilleurs. (...)

Le nouveau paysage que j’ai devant les yeux provoque en ma mémoire l’éveil de toute une autre catégorie de souvenirs : les révoltes anarchistes de mes vingt ans, les rancoeurs contre une aristocratie incapable et dégénérée, contre une bourgeoisie mesquine et dépourvue de véritables sentiments humains. A cette époque je croyais au peuple. Je l’imaginais perfectible. Mais qu’est-elle devenue cette masse ? En quelles pitreries se sont changés ces grands gestes qu’elle faisait quand elle tenait un pan du veston bourgeois ? Elle n’a su qu’imiter les vices contre lesquels elle se révoltait. Elle a prit à son compte les idéaux que nourrit l’argent. Elle a endossé, sans même les désinfecter, les défroques de ceux qu’elle avait combattus et réprouvés... (...)

A la mer, il y a les gens vêtus de pantalons de flanelle blanche qui se donnent des allures de yachtmen, les femmes aux cheveux platinés, vêtues d’une épuisette et du pyjama de plage à pattes d’éléphant...
Tous ces échappés de prisons ont l’air heureux. La vie leur semble belle et ils ne songent qu’à remettre cela l’année prochaine.

Cette ville de pêcheurs, de gens qui avaient un métier, en est réduite à attendre avec anxiété, comme un banc de sardines aberrant, les francs-papiers de l’estivale nuée de sauterelles parisiennes. (...)

Peu de temps après, quelqu’un m’avait raconté l’histoire d’un chantage monstre qu’Arnold et trois ou quatre de ses amis, médecins et chimistes, avaient monté au détriment de grandes firmes américaines de conserves alimentaires.

Sous la menace de publier des comptes rendus de travaux de laboratoire concernant les origines et la propagation du cancer et de dévoiler ces dernières au grand public en les attribuant à la consommation d’aliments en conserves, ils avaient réussi à extorquer à ces firmes je ne sais combien de milliers de dollars... (...)

En ce même moment, la révolution espagnole fait rage... des milliers d’hommes s’entretuent.

Un idéal social, une mystique les séparent : deux clans, comme dans les guerres de religion. Et ces hommes se battent, s’entretuent et meurent pour un idéal de servitude !

Idéal de servitude, toujours...

S’il est difficile de ne pas obéir, il est aussi très difficile de ne pas avoir le désir de commander.

DESOBEIR au Progrès, à la civilisation... Désobéir à la mode, au snobisme, aux théories changeantes, contradictoires et déraisonnables. Désobéir à la machine ! Désobéir à la bêtise ! Prendre à rebours le chemin que suit la foule, la masse. Fuir la fausse mystique moderne. Renier l’idéal de la fille de la concierge, du fils du banquier, du retraité des assurances sociales...

S’en aller seul, tout seul... Ne compter que sur soi et n’obéir qu’à ses instincts, aux lois certaines de la nature... On frôle peut-être le précipice. Mais, à tout prendre, on ne risque pas beaucoup plus que le petit garçon bien gentil enterré à Verdun ou ailleurs...

Que ce soit au service d’Attila, de Charlemagne, de Robespierre, de Napoléon, de Guillaume II, de Lénine, d’Hitler, de Mussolini, de Franco...

Les masses s’évanouissent, disparaissent, conservant dans la Mort leur anonymat.

Les noms seuls de quelques-uns dont les mains furent rouges de sang sont gravés pour l’éternité dans la pierre.

On les imprime dans les livres pour les petits enfants.

LA TOURILLIERE,
Novembre 1936.



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