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Lettre depuis la maison d’arrêt des femmes de Fleury Mérogis

mis en ligne le 12 octobre 2017 - Marina

Maison d’arrêt des femmes de Fleury–Mérogis, le 10 mai 2016.

Je suis arrivée a la MAF (Maison d’Arrêt des Femmes) de Fleury­ Mérogis en 2006, et en 2016, après un petit tour par d’autres prisons, je suis encore là. J’ai donc vu l’évolution (ou plutôt l’involution) de cette maison d’arrêt, qui tombe en lambeaux depuis des années déjà : douches pourries, murs pleins de moisissure, morceaux du mur extérieur qui tombent sur la cour de promenade…dégradation matérielle qui vient s’ajouter à la dégradation psychique d’une administration malade de sécurité et de contrôle. Pendant des années, l’AP [1] a laissé pourrir cette prison parce que, soi–disant, de grands travaux de renouvellement étaient prévus pour… 2012. Après, ça a été reporté jusqu’en 2014. Nous sommes en 2016, et après avoir fait des travaux à la maison d’arrêt des hommes et au centre des jeunes détenus, il semblerait qu’il ne reste plus de budget pour rénover la MAF. Cela ne les a pas empêchés de dépenser de l’argent pour renforcer les mesures sécuritaires : barbelés, caméras, portiques, construction d’une nouvelle cage (impossible d’appeler ça une promenade) pour isoler les mineures… pour cela, oui, il y a de l’argent.

La MAF de Fleury a été construite en 1968, c’est donc une prison ancienne. Elle fait partie d’un programme pilote qui prétendait tenir compte des caractéristiques spécifiques des femmes, – dans l’optique hétéropatriarcale, en nous considérant comme des êtres faibles à protéger. Juste pour donner quelques exemples : dans les quartiers des hommes il y a des matons et des matonnes, mais chez les femmes il y a seulement des matonnes ; les vêtements trop courts, un peu transparents, les décolletés, ou même le fait de ne pas porter de soutien–gorge font l’objet de remarques et de prohibition ; les
activités proposées sont orientées vers des occupations dites « 
féminines » : patchwork, tricot, couture, soins corporels, etc. ; enfin
les parloirs avec des proches masculins sont doublement surveillés.
Autre particularité ; les fenêtres des cellules n’ont pas de barreaux –
peut­-être nous croit­-on incapables de tenter une évasion. Elles sont
grandes, dégagées, ce qui permet de voir un grand morceau de ciel,
mais en revanche, ce système ne permet pas d’aérer la cellule parce
que la fenêtre ne s’ouvre que de dix centimètres en bas et en haut – à
peine la place pour sortir l’étendoir.

Cette maison d’arrêt est donc construite à l’ancienne : une
promenade avec de l’herbe, deux ou trois arbres… il y a des grilles
pour séparer la promenade des fenêtres des cellules, mais elles ne sont pas assez hautes pour empêcher de s’envoyer un peu de tabac ou du café ; il y a encore des douches collectives et aussi des espaces où objets et histoires se sont accumulés au fil des années. Je dis cela
parce que j’ai connu des prisons récentes et qu’elles sont toutes en
béton, grises, sans vie ni histoire, aseptisées, cloisonnées, froides,
compactes, grillagées… et ça fait une grande différence.

Le fait est que la structure de la prison ne permet pas encore de nous isoler autant que l’AP le voudrait – alors comment empêcher le contact et la communication ? Comment mettre en place de nouvelles mesures sécuritaires ? En limitant nos mouvements au maximum, en nous isolant de plus en plus en cellule.

A mon avis, c’est dans cette logique que le système de promenade unique et les changements qui vont avec ont été conçus.

A l’intérieur, nous sommes à peu près 260 femmes. Il y a une aile arrivantes, 3 ailes pour les prévenues [2], 3 ailes pour les condamnées, une pour les mineures – elles sont entre 15 et 20 à
galérer dans un espace exigu, persécutées et fouillées sans cesse par
les matonnes à la recherche de tabac [3], avec un seul jour de sport par
semaine et des conditions vraiment pénibles… Ça mériterait tout un
texte à part ! Et il y a la nursery dans un espace complètement
différencié. Dans chaque aile il y a 20 ou 30 cellules de 9m2, avec un
lit superposé pour 2 personnes, mais aussi des cellules collectives de 6
lits. Être seule en cellule, pour celles qui le veulent, c’est considéré
comme un cadeau que l’AP te fait. Les cellules sont en très mauvais
état : la peinture tombe, il y a de la moisissure sur les murs, il manque
des carreaux au sol. Il y a quelques cellules dans lesquelles le soleil ne
rentre jamais, ce qui les rend très froides et humides en hiver. Il y a un
chauffage au sol, mais il ne marche pas dans toutes les cellules.

D’autres, au contraire, sont orientées est – ouest, et en été elles sont
en plein soleil pendant des heures et des heures.

Dans les cellules, le mobilier est composé de deux ou trois armoires, une ou deux tables, des WC séparés par un rideau, un bidet et un lavabo. II y a une seule prise de courant tout en haut, au plafond, ce qui nous oblige à mettre des rallonges bout à bout pour brancher la bouilloire, la plaque électrique, le poste de radio, la télé, etc.

L’installation étant ancienne, ça pète souvent, à la moindre surcharge.
C’est l’excuse de l’AP pour ne pas installer de frigos et limiter l’accès
aux appareils électriques (sèche­-cheveux, lecteur DVD, etc.). Dans la
cellule, il n’y a pas de système d’alarme ni d’interphone, ce qui veut
dire que si quelqu’une a une urgence ou fait un malaise, nous sommes
obligées d’alerter nos voisines et de taper sur les portes toutes
ensemble jusqu’à être entendues par les matonnes, qui peuvent
prendre tout leur temps pour venir. Les repas sont distribués en cellule ; ici, ça marche encore à la louche. Composés de produits en boîte ou
surgelés, ils sont répétitifs, ni variés ni équilibrés et toujours en
quantité insuffisante ; parfois il y a de la salade ou un fruit. Ici chacune mange seule en cellule, impossible de partager un repas, ni même un café. Pour faire passer de la nourriture d’une cellule à l’autre, ça dépend toujours de la matonne, et il n’y en a pas beaucoup qui acceptent de le faire. Nous pouvons faire la cuisine en cellule avec des produits que nous achetons à la cantine – pour celles qui ont de l’argent, bien sûr. Il n’y a pas beaucoup de variété, mais il y a pas mal de fruits et légumes, et de ce côté­-là, ça passe ; j’ai vu pire, surtout dans les prisons semi–privées, où les prix explosent. Comme nous n’avons pas de frigo, en été nous devons consommer tous les produits
périssables en vitesse ou bien regarder s’ils ne sont pas pourris. Pas de boissons fraîches non plus.

En ce qui concerne l’hygiène, nous avons droit à trois douches par semaine, mais celles qui vont à la salle de sport peuvent se doucher là­bas aussi. Dans mon bâtiment, les deux ailes – à peu près 60 femmes – doivent se partager 6 douches. Les murs sont sales et le nettoyage inexistant, le seul changement des dernières années a été de passer une couche de peinture sur les murs pourris, mais maintenant la peinture tombe, et cela augmente encore la sensation de saleté ; il n’y a pas assez d’aération ; les dalles en plastique disposées au sol ont disparu : nous les avons sorties dans le couloir il y a quelques mois pour protester parce qu’elles étaient noires de moisissure et pleines de petites bêtes qui couraient en dessous ; nous ne pouvons pas régler la température de l’eau, et comme il n’y a pas assez de pression, il n’y a qu’un petit filet d’eau qui sort.

Avant, il y avait un salon de coiffure géré par une surveillante et deux auxiliaires [4], mais il y a deux ans, le salon a été fermé, et depuis lors il n’y a plus de service ; alors chacune se débrouille comme elle peut pour se faire couper ou tresser les cheveux… Suite à
nos protestations des derniers jours pour dénoncer la dégradation de
nos conditions de vie en général, il semblerait que la direction envisage de rouvrir le salon, mais pour l’instant il n’y a rien de fait. Tous les produits d’hygiène corporelle doivent être achetés, car ce qu’on appelle partout la « trousse mensuelle » (deux rouleaux de papier toilette, un gel de douche, un paquet de mouchoirs, un peigne, une savonnette, des serviettes hygiéniques, une brosse à dents et un tube de dentifrice) n’est maintenant distribuée que deux ou trois fois par an. Pour le nettoyage des cellules, nous recevons chaque mois (sauf quand il y a la trousse) un flacon de liquide vaisselle, un autre pour faire la lessive, une éponge à récurer et une dosette d’eau de javel. Avant, il y avait un service payant de lingerie, mais il a été supprimé il y a des années déjà, donc nous lavons tout notre linge dans de petites cuvettes.

Le plus gros de la journée, nous le passons enfermées en cellule. Quand il n’y a ni sport ni activités pour cause de vacances, week­end, annulations, etc., le seul moment que nous avons pour nous rencontrer, c’est la promenade.

Les condamnées et les prévenues sortent dans des promenades
différentes. Avant la séparation prévenues–condamnées en 2009, nous
sortions ensemble, une heure le matin, et deux heures l’après­-midi en
horaire d’hiver – trois heures en horaire d’été. Après, l’horaire d’été a
été supprimé et elles ont mis deux tours de chaque côté. Le temps de
promenade est compté dès que les matonnes démarrent les
mouvements, alors la dernière à sortir peut perdre 15 à 20 minutes de
promenade. Et pour rentrer, c’est pareil : si la promenade doit finir par
exemple, à 11 heures, la surveillante va appeler à 10h50, afin qu’à 11
heures tout soit fini. Avec le système de promenade unique, il y a des
jours où nous passons vingt­ deux heures consécutives enfermées en
cellule, et cela a des conséquences à tous les niveaux.

La promenade est l’espace des échanges, où on peut se dépanner les unes les autres d’un peu de tabac, discuter avec les copines, passer un appel, marcher ou faire un peu de sport, s’allonger dans l’herbe, partager de bonnes ou mauvaises nouvelles, évacuer l’angoisse, respirer de l’air frais… Et les heures sont longues en cellule, surtout quand il fait beau à l’extérieur.

La chaleur est insupportable et te laisse dans un état de fatigue physique permanente aggravée par le manque de mouvement. En cellule, tu passes de la chaise au lit, du lit à la chaise, et le corps en subit les conséquences. Il faut être très motivée pour faire du sport sur
même pas 2 mètres carrés (le seul espace qui reste dégagé).

Psychologiquement, c’est très dur, car tu ne peux jamais « déconnecter » : toute l’activité se passe dans la tête, et même si tu es une personne qui aime lire, écrire ou étudier, il arrive toujours un moment où il faut que tu bouges, que tu communiques, que tu changes d’activité. Et en cellule, il n’y a pas beaucoup d’options pour cela. En plus, dans le couloir, il y a constamment des mouvements et des bruits qui t’empêchent de te concentrer. Dès le premier contrôle à 7 heures du matin, la prison te tombe dessus, le bruit des serrures, le claquement des portes, les matonnes qui se parlent entre elles en
criant d’un bout à l’autre du couloir, la sortie de la poubelle, la distribution des bons de cantine, du pain, du courrier. En une matinée,
on peut t’ouvrir la porte au moins dix fois. En plus, il y a des matonnes qui t’obligent à te déplacer jusqu’à la porte pour récupérer ce qu’elles ont à distribuer. Si tu ne te lèves pas pour prendre le pain, tu restes sans pain toute la journée ; c’est comme ça, à Fleury.

Sur les matonnes et le personnel pénitentiaire en général…que dire ? Qu’elles ont une apparence humaine et que cela nous confond parfois. On croirait qu’en tant que personnes, elles peuvent raisonner, argumenter, être sensibles, comprendre des situations graves et agir en conséquence, avoir de l’empathie… Mais non, il semblerait qu’en signant le contrat avec l’Etat, elles échangent leur cerveau contre un règlement et lui jurent obéissance absolue. Les effets sont dévastateurs. Nous avons vu mille fois le processus de dégradation d’une jeune stagiaire parfois arrivée toute fraîche et souriante, croyant venir faire du « social », ou l’autre extrême, la version apeurée et raide, venue protéger la société de toute cette racaille. Toutes découvrent très vite la parcelle de pouvoir qu’elles acquièrent avec l’uniforme, c’est­à­dire le pouvoir de décider si tu sors ou pas, si tu appelles, si ton attitude est suspecte et si tu dois être fouillée, si ton attitude est indécente et doit faire l’objet d’un rapport, si tu passes trop de temps sous la douche, en bref le pouvoir d’imposer quelque chose à quelqu’un, et elles y prennent goût rapidement. Maintenant, elles sont l’autorité ! Et qu’importe si la matonne sort de sa poche une nouvelle règle sortie de son interprétation personnelle du règlement, ou même de sa vision du monde personnelle : tous les bleus se couvrent systématiquement entre eux et c’est sa décision qui va finir par s’imposer.

Pour nous, les DPS [5], le contrôle est total jour et nuit : tous nos mouvements sont notés dans des cahiers aux ronds ­points intérieurs, où nos photos sont affichées. Il y est noté aussi avec qui nous parlons en promenade, avec qui nous
nous promenons, ce que nous faisons… La nuit, nous subissons des
contrôles toutes les deux heures, les surveillantes allument la lumière,
certaines d’entre elles font claquer l’œilleton, frappent parfois à la
porte pour nous faire bouger – cela pendant des années et des années.

Nous sommes fouillées par palpation et nous devons passer sous les
portiques détecteurs de métaux pour sortir en promenade, pour nous
rendre aux parloirs famille et avocats, et même pour faire des photos.
Nous subissons encore la fouille à nu à la sortie des parloirs, ainsi
qu’à chaque extraction au palais ou à l’hôpital, et à chaque fouille de
cellule.

Nous avons imposé des limites, et nous n’acceptons pas certaines choses, comme les demandes de montrer l’intérieur de la bouche, retirer le tampon ou montrer ses fesses, mais ceci suppose toujours un moment de tension qui peut bien te gâcher ton parloir ou ta journée. Les matonnes contrôlent aussi le sac que nous emportons au sport, et parfois même la bassine pour aller à la douche. A tout cela il faut ajouter le contrôle de toutes nos communications écrites ou téléphoniques.

Ici nous vivons sous la contrainte permanente, torturées quotidiennement, oui, torturées, parce que cela n’a pas d’autre nom.

Il y aurait plein d’autres choses à dire, mais j’espère qu’avec
ça vous pourrez vous faire une idée de comment nous survivons ici.
Je ne vous ai pas parlé du mitard [6] parce qu’ils ont fermé l’ancien et que nous ne connaissons pas encore le nouveau, mais ne vous inquiétez pas, peut­-être que nous pourrons bientôt vous en dire quelque chose…

Demain, les 4 d’entre nous qui avons été choisies comme bouc­s émissaires allons passer en commission disciplinaire à cause des blocages, et nous ferons sûrement l’objet d’une lourde punition [7].

Rien de nouveau, cela nous le savions déjà. L’AP ne tolère pas
l’insoumission, et encore moins quand elle est collective. Elle nous impose des mesures de sécurité toujours plus strictes et veut que nous
avalions tout sans protester ; quand nous ne le faisons pas, toute la
machinerie répressive se met en route pour nous écraser. C’est le modèle régnant : obéir et se taire.

Contre cela, il nous reste toujours l’immense plaisir de désobéir et de crier bien haut que « non ! », on ne va pas tout avaler, et qu’il n’y a pas de grillage ni de mur assez hauts pour enfermer notre détermination !

Salutations à toutes les rebelles.

A-bas les murs des prisons !

Marina

[1Administration pénitentaire.

[2Les prévenues sont les prisonnières qui n’ont pas encore été jugées.

[3Les mineures n’ont pas le droit de fumer. Le 8 mars 2017 les mineures ont bloqué leur promenade pendant plusieurs heures pour exiger un entretien avec le directeur, jusqu’à l’intervention musclée des ERIS (Équipes Régionales d’Intervention et de Sécurité).

[4Les auxiliaires sont les détenues employées par l’AP pour assurer le fonctionnement de la prison (cuisine, distribution des repas, lingerie, ménage, etc).

[5Détenues Particulièrement Signalées.

[6Le mitard est le nom donné au quartier disciplinaire.

[7Elles ont pris 14 jours de mitard chacune. L’une d’entre elles les a passés en "confinement" c’est­-à­-dire enfermée dans sa propre cellule, faute de place au quartier disciplinaire. Une autre a été transférée dans une autre prison avant la fin des 14 jours. Son transfert était déjà prévu auparavant mais l’AP l’a précipité pour faire croire à un transfert disciplinaire et mettre la pression. Marina a elle été transférée peu de temps après sa sortie du mitard vers le Centre de Détention pour femmes de Rennes où elle est actuellement.




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