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La fabrication artisanale des conforts affectifs
ou comment, ensemble, on s’en sort plus ou moins mal dans ce monde pourri...
mis en ligne le 18 octobre 2013 - DégenréE
On a eu envie que cette brochure existe parce qu’à un moment où il y a eu dans nos vies affectives plein de chamboulements, de questions, on n’a pas trouvé assez de ressources, de références pour nous aider à réfléchir et à avancer. Pourtant on sentait bien qu’il y a pas mal de gens qui brassent ces questions là, qui cherchent à inventer différentes façons de relationner, à créer de nouveaux imaginaires, mais ça reste souvent dans le domaine « privé », des discussions interpersonnelles qui ne laissent pas de traces accessibles plus largement.
Donc ça nous plaisait de donner de la place à des expériences et expérimentations, d’inviter des personnes à raconter dans les pages de cette brochure ce qu’elles dé-construisent en termes d’environnement affectif, de relations. Soyons clair-es, on ne veut pas ici parler « d’amoooouur » en le déguisant sous le terme « relations affectives » mais vraiment parler de la diversité des relations affectives qu’on peut vivre.
Ce qui nous intéressait c’est que ces textes partent de nous, que ce soit plus de l’ordre du témoignage que de la théorisation générale. Ca veut dire que l’idée c’était pas d’écrire la recette ou de décrire l’idéal mais plutôt de partir de ce qu’on vit réellement avec les trucs qui marchent et les trucs qui ratent.
A partir de cette envie, on a envoyé une invitation à des personnes qu’on connaissait plus ou moins et à des collectifs, beaucoup à des meufs, des gouines, des trans ou des pédés, mais pas seulement.
Ca a pris plus de temps qu’on pensait, un an depuis l’envoi de l’appel à contributions.
Et au final il y a cette brochure avec sept textes dedans écrits par une personne chacun.
Ca fait plaisir de la « sortir » enfin. Mais en vrai, ce projet, c’est bien plus que cette brochure : ce sont toutes les rencontres, les discussions, les réflexions dont elle a été l’occasion, les processus d’écriture partagés, en se faisant des retours, en s’encourageant... Et on aimerait bien que cette petite dynamique se poursuive et que cette brochure soit un outil pour ça, pour des discussions, peut être pour de nouveaux textes (et enfin des images !), pour faire en sorte que les histoires de conforts affectifs ne soient pas un sujet classé dans la case « privé », et qu’on imagine à plusieurs
des trucs incroyables.
Bien sur on aimerait bien savoir ce que vous en pensez, avoir des retours, alors hésitez pas à nous écrire à cette adresse : artichaud@riseup.net
Conforts Affectifs En 3 Points
par Mo’
été 2011
La famille,
à 11 ans, mon confort affectif familial est définitivement rompu. Cette situ a [de fait] déconstruit un des 1ers environnements affectifs « normal » dans la vie d’une gosse.
J’ai le souvenir saisissant, comme un grand froid dans le dos, d’une enfance où je chiale la douleur du manque d’affections. Et dans ce mélange de larmes et de morves, je gueule : pourquoi... à en avoir mal dans le bide.
C’est sûr, cette situ m’oblige à inventer comment aimer et être aimée avec rassurances hors de mon cadre familial quotidien, loin de mamans, d’un rep, de frères et sœurs qui te sécurisent.
À cet âge là de ma vie, je pense pas vraiment avoir eu d’imaginaires pour créer d’autres relations, mais, de fait, une boulet de place pour des rencontres extra-familiales. Ce sont les potes du quartier et du bahut qui prendront cette place. Le temps que j’ai pour construire des amitiés est énorme, la plupart de mes ami es seront celles et ceux qu’ont aussi « du temps »...
Aujourd’hui, quand je dis vouloir « retrouver mon père », c’est pour
reconstruire ce qu’a été déconstruit non pas par un désir conscient
d’inventer d’autres façons de relationner mais à cause de violences de
classe par ex. Car mon rep est pas seulement mon rep, c’est l’histoire
d’une Pègre qu’a pas pu rassurer ses proches ou encore que les massacres
bourgeois ont séparé de la dignité. C’est aussi l’histoire de la gosse de
cette Pègre qu’a grandit avec la honte (tant d’autres violences) et la
promesse de devenir fière.
Alors aujourd’hui, quand je me tatoue une pensée « pour ma grand-mère », celle inconnue, morte d’une cirrhose pendant que son fils [mon père] était en zonz, ce n’est pas par « fierté du sang » familial, mais pour toutes les grand-mères mortes dans la rue une bouteille à la main. Pour mon histoire. Nos fiertés de Pègres.
Et ouais aujourd’hui je suis toujours sans-famille, au sens d’un confort affectif que pourrait m’apporter une maman, un papa, des frangin es, pourtant je porte dans mon cœur et sans relâche mon histoire familiale d’origine.
Le couple,
lorsque Neya, un « frère » de quartier, m’a déclaré une flamme encore jamais vue, même pas dans un film, j’ai décidé de suivre son désir pour moi pour toute l’affection [et l’estime] qu’il donnait d’extraordinaire pour ma vie. Son amour là, complètement dingue, était un feu de confiances en ma capacité à être aimée et soutenue et jamais plus abandonnée. Sa folie pour moi était une source d’assurances.
Et un jour, 8 ans plus tard, j’ai décidé d’arrêter notre vie de couple. Pour des raisons qui touchent à ma sexualité [dans laquelle, en rêve, je suis gouine] et à mon genre [en lequel je rêve d’une espèce d’autonomie].
Aussi parce que j’étais dans l’envie de vivre un quotidien au delà du rythme conjugal que nous mettions en place.
Cette rupture a été très dure. Je devais apprendre à exister sans sa folle assurance, je devais supporter le ricoché de ruptures imposées par ses proches, je devais surmonter la peur de ma décision, mes incertitudes, l’inquiétude de mes proches... et celui de me retrouver sans confort familial ni de couple. Avec pas beaucoup de fric en poche.
Aujourd’hui je saisis à quel point j’étais tarée et en même temps à quelle point je suis gaie de cette décision. Moi comme lui avons traversé tellement de lieux magiques depuis que je peux que reconnaître l’importance de cette décision.
Mon esprit a intégré très tôt que rien sera facile. Et je veux garder tout serré la confiance en moi, malgré les déconfitures de vies.
Je garde en moi ma Flav’or, Ma nue, mes acharné es. J’existe avec mon Bel Ourse Péteur, mon duo en bouh-limie, mon étoile-filante, mon coeur « gros comme ça », le mien qui vibre à chaque fois que j’te vois, à celle qui rêve d’écrire ce qu’elle veut lire... dédicaces !
j’ai habité avec des potes qui pouvaient enfin profiter de ma présence à plein temps alors qu’elles n’étaient ni ma mère ni ma gouine... j’ai CO-rédigé un bouquin, découvert mon clito, la branlette, construit une mezzanine, volé un vélo...
et après ?
Ouais, mes mamans me manquent, mon père et Neya aussi. Mais je crois pas à l’idée que rien peut manquer dans une vie. Je crois aussi que ce qui manque le plus ce sont les folies « de chez moi », en puissance : rêver avec mon rep de braquer une banque ou écouter Klaus Nomi juste là, rêver avec une maman aux hirondelles d’Andalousie ou bricoler une case, rêver avec Neya de se former à la lutte armée ou manger les plats de sa Sicile... et connaître la première de maman, partager ses résistances.
Alors j’écris.
J’écris pour que l’histoire d’où je viens s’inscrive dans l’Histoire malgré les incompréhensions.
J’écris près de mes proches d’aujourd’hui que j’estime avec acharnement malgré mes imperfections.
Ben... ce que je comprends de ma vie, c’est qu’être en bande est le confort affectif le plus important pour moi. C’est sûr, j’ai toujours aimé mes bandes de tendres canailles qu’ont parcouru mon existence et je voudrai vivre avec cette force toute une vie.
Je veux dire : pas seulement pour le WE ou une semaine pendant les grandes vacances, mais le plus de temps possible.
Je voudrai garder confiance très longtemps et être entière même quand je revis des périodes de couple ou qu’un Yoyo me demande d’être la mère de ses gosses et que ses envies me perturbent.
J’arrive pas à imaginer la suite... par contre je sais ce qui m’excite. Alors si c’est pas pour toujours pour cette vie, ce sera écrit, pour d’autres à venir j’espère !
PETITS BRICOLAGES ET GRANDS TRAVAUX
par Marty Roussignol
Voici le récit de mon parcours dans la sphère affective, de comment ça s’est passé pour moi avec ce que j’ai vécu dans mes relations aux autres au fil du temps. J’y parle des différents modèles auxquels j’ai adhéré, des étapes de déconstruction que j’ai traversées, des petits bricolages et grands travaux que j’ai entrepris, et des difficultés que j’ai pu rencontrer. Il n’y a bien évidemment pas de conclusion à tout ça, car tout est encore en chantier dans ma tête, en mouvement et en questionnement. Et si j’ai un ton plutôt critique dans ce que je peux raconter, c’est bien parce que j’essaye de décortiquer et dénoncer certains mécanismes qui font mal. Les personnes qui m’ont accompagnée dans ces expériences vécues ont été mes complices jusqu’au bout, par le biais de nos petits plaisirs et de nos petites erreurs.
L’ARNAQUE DU MODÈLE AMOUREUX
Si je parle d’arnaque, c’est avec une grille de lecture actuelle de gouine anarcha-féministe de 30 ans, qui a grandi en tant que petite fille dans une société hétéro-patriarcale. L’amour est le modèle de relation le plus valorisé socialement. Et je suis en colère contre ce modèle, car j’ai l’impression de m’être bien faite avoir durant les deux premiers tiers de ma vie. J’y ai cru au concept de l’amour, et vu que je n’avais pas d’autres modèles sous la main, sans trop d’imagination, j’ai même cru longtemps que j’étais hétérosexuelle.
Je parle maintenant du modèle amoureux comme de tout un système culturel de valeurs et de croyances, qui considère que le couple doit être la cellule de base de toute organisation sociale. Le couple, bien évidemment hétérosexuel, puis la famille. Si je prends ce point de départ dans mon récit, c’est que j’ai l’impression que toutes les difficultés que j’ai pu rencontrer dans ma vie affective, et tout ce que j’ai cherché à déconstruire par la suite, trouvent leurs racines dans ce système. Car même en tant que gouine ayant décidé de ne pas vivre en couple, je me suis souvent retrouvée dans mes relations à me confronter à des mécanismes bien intégrés, à des règles, à des codes culturels bien contraignants :
Tout d’abord cette injonction à être deux pour exister qui nous laisse entendre que tout-e seul-e on n’est pas complet-e, puisque la base sociale c’est d’être deux. Je me représente souvent les relations fusionnelles comme une espèce de monstre à deux têtes indivisible. Comme par peur d’être coupé-e en deux, cette fusion provoquerait une forte peur de l’abandon, la dépendance à cette autre moitié, et l’état de manque à chaque séparation.
Ensuite et toujours parce qu’il s’agirait de la cellule de base, c’est la relation dite amoureuse qui serait prioritaire sur les autres types de relations. C’est donc tout un système de hiérarchie qui s’opère dans notre entourage. En sachant que la règle, c’est plutôt d’être monogame et fidèle avec la jalousie comme système de régulation. Le risque, c’est de s’attendre à ce qu’une seule personne réponde à tous nos besoins affectifs, que ça devienne un dû, à coup de pressions et de reproches.
Et pour finir, un imaginaire qui facilite vraiment pas les choses, c’est qu’on n’est pas sensé-e-s choisir la personne avec qui on va vivre tout ça. L’amour nous tomberait dessus sans qu’on l’ait décidé. C’est le petit côté irrationnel des émotions amoureuses, soi-disant incontrôlables, qui brouillent la lucidité. Puis impossible de maîtriser l’aspect passionnel d’une relation, pouvant même laisser place à de la violence sans qu’on en soit rationnellement responsable.
Alors voilà, j’ai été bercée par ce modèle dans mon enfance, mon adolescence, et même encore un peu après. j’ai vécu comme ça plusieurs relations de couple, des monogamies sérielles, comme on dit, c’est à dire que je vivais une relation exclusive avec une personne, puis cette relation se terminait, et était remplacée par une autre relation exclusive, et ainsi de suite... Je projetais comme ça tout ce que je pouvais rêver sur une seule personne à la fois. Je finissais par être déçue ou je vivais de grands chagrins d’amour lorsque c’est l’autre personne qui partait déçue. Et ça jusqu’à ce que je rencontre un autre modèle de relation qui laissait planer l’idée qu’on peut aimer plusieurs personnes à la fois, répartir nos besoins d’affection, et être ainsi moins exigeant-e auprès de chacun-e.
LE NOUVEAU DOGME DE LA NON-EXCLUSIVITÉ
J’étais dans une relation de couple que je croyais plutôt exclusive, enfin vu que l’exclusivité amoureuse était ma seule référence, je n’avais pas pensé à y mettre de mots pour la qualifier. C’est dans le cadre de cette relation assez installée qu’est arrivée en bousculade ce concept de non-exclusivité. Il faut dire que cette époque correspond à peu près à ma rencontre avec les milieux anarchistes et féministes. Je commençais à avoir accès à quelques écrits et brochures sur cette manière-là de vivre des relations amoureuses multiples, avec des règles du jeu assez intrigantes quand on est anarchiste et qu’on lutte contre les systèmes d’oppression, de dépendance, d’aliénation et de hiérarchie.
Mais ces intérêts politiques-là n’ont pas suffit à ce moment-là à me convaincre. Quand les émotions font surface et prennent le dessus, c’est juste un nouveau dogme politique effrayant qui remplace un vieux modèle pourri avec autant de souffrance en vue. Du coup quand cette personne que j’aimais m’a annoncé qu’elle voulait vivre d’autres relations, ma première réaction a été une peur atroce de l’abandon. Je me demandais pourquoi je ne lui suffisais pas et la jalousie était là, bien présente. Alors j’ai tenté de poser mon désaccord, à coups de pressions et de pleurs. Mais j’étais face à un dilemme. Mes crises étaient inefficaces et contreproductives, j’allais faire fuir la personne et faire foirer notre relation.
Puis à force de longues discussions qui visaient à me rassurer sur l’amour que je recevais et à me faire comprendre que quoi qu’il arrive avec d’autres ça n’influerait pas sur ce que je vivais moi, je me suis laissée convaincre. Enfin j’étais pas tout à fait convaincue, j’étais même plutôt flippée, mais j’avais envie de faire ce pari que j’arriverai à surmonter mes peurs et à en protéger notre relation. Je ne me suis pas vraiment écoutée à ce moment-là, je me suis même plutôt fait violence. Je ne sais pas si c’était une bonne manière de vivre ce changement, ni une bonne raison. La liberté de l’autre personne, ok, mais surtout pour ne pas la perdre et c’est assez contradictoire. Je pense tout de même que j’ai bien fait de faire ce pari, car tout le travail de déconstruction qui a démarré pour moi à ce moment-là m’a bien été utile par la suite et j’y trouve aujourd’hui une belle force.
J’ai donc beaucoup pris sur moi et j’ai tenté plusieurs stratégies pour bien vivre ce qui m’arrivait. Par exemple, profiter du temps que cette nouvelle situation m’offrait pour me concentrer plus sur d’autres projets. Et surtout, ne pas perdre d’énergie à imaginer ce qui pouvait se passer ailleurs avec d’autres. Ça a bien marché. Bien sûr je n’ai pas résolu tout de suite mon rapport à la jalousie. Mais ce sentiment s’est atténué petit à petit. Surtout qu’il a bien fallu que je me rende compte qu’en effet, quoi qu’il se passe sans moi, rien ne venait mettre en danger ce que je vivais dans cette relation. Bien au contraire. Il y avait beaucoup de créativité et de confiance dans l’élaboration de nos nouvelles règles du jeu, qu’est-ce qu’on se raconte ou pas, comment on rend les gestes visibles ou pas, comment on gère les présences, les absences, les espaces, par quoi on se rassure mutuellement, comment on désamorce nos peurs...
M’autoriser moi à vivre plusieurs relations est venu bien après ça. Le sentiment amoureux provoquait chez moi une espèce de focalisation sur la personne aimée, des œillères qui faisaient que je ne voyais pas mon désir possible pour d’autres personnes. Alors j’ai essayé une sorte de petit jeu. Je me sens un peu idiote de raconter ça. Dès que j’avais l’esprit un peu disponible, je m’efforçais de bien regarder autour de moi et de me demander si je ressentais du désir pour les personnes que je croisais. J’ai joué à ce jeu un peu partout dans mes déplacements, dans la rue, à pied, à vélo, dans le bus... et oui, c’était possible d’être attirée par plus d’une personne, même dans une même journée. Je ne vais pas m’étendre plus sur cette pratique. J’ai arrêté d’y jouer quand ça m’a suffit comme prise de conscience de mes désirs multiples. J’avais pas non plus envie de passer mes journées à fantasmer sur des inconnu-e-s.
J’ai été séduite un moment par les possibilités qu’offraient ces modèles de non-exclusivité. Mais j’ai vite eu l’impression que ces nouveaux repères possibles se sont petit à petit imposés comme un nouveau dogme théorique dans mon entourage, avec finalement peu d’outils concrets pour les mettre en pratique sereinement. Et autour de moi, des ami-e-s continuaient à souffrir tout autant, voire plus, d’un manque de confort affectif qu’on peut se faire subir pour coller à un modèle politique plus éthique. C’était presque devenu inassumable, politiquement parlant, d’avoir envie de développer des relations amoureuses exclusives. Du coup je voyais bien que ce n’était pas non plus la panacée, qu’il y avait encore pas mal de trucs à réfléchir collectivement, à déconstruire et à reconstruire pour bien vivre nos rapports à l’affectif.
Parmi les relations que j’ai pu vivre depuis, je me suis d’ailleurs souvent retrouvée dans des rôles pas très satisfaisants. Par exemple, démarrer des relations avec des personnes qui sont déjà en couple et qui installent un système de hiérarchie. La première relation étant principale et prioritaire, moi je devenais le cheveu sur la soupe qui venait embrouiller tout ça, un rôle de maîtresse, avec l’imaginaire du couple marié et des trahisons amants/maîtresses. Ça donne donc, une personne qui souffre de jalousie, une autre coupée en deux par des émotions contradictoires et qui voit pas comment gérer tout ça, et moi, petit à petit, qui ne vois pas d’épanouissement là-dedans et qui finit par fuir.
LA BATAILLE CONTRE L’AMOUR
Il y a un moment où j’ai jeté l’éponge. Les relations amoureuses étaient devenues trop risquées, pour moi et pour les autres, et me demandaient trop d’énergie. Du coup j’ai décidé un moment de ne plus vivre de relations affectives, de mettre mon énergie ailleurs. Je me suis recentrée sur d’autres aspects de ma vie et j’ai tenté de construire une certaine autonomie affective et sexuelle. Pour la sexualité, j’avais déjà un rapport à la masturbation assez facilitant. Pour moi c’est une pratique quasi quotidienne, un rituel somnifère, et je ne vis pas l’auto-sexualité comme la compensation d’un manque de sexe avec d’autres. C’est pour moi une sexualité à part entière, dans laquelle je développe même des pratiques que je n’aime pas forcement partager.
Par contre pour l’autonomie affective, je me suis un peu plantée. Je me suis tellement focalisée à ce moment-là sur mes projets politiques, artistiques et autres, que je ne laissais plus aucune place à l’affectif en général. Au delà de ne plus vivre de relations amoureuses, je n’entretenais plus vraiment non plus de relations amicales. Les personnes que je côtoyais étaient des camarades de lutte, des co-habitantes, des collègues de travail, j’étais suffisamment entourée pour ne pas me rendre compte tout de suite que je me repliais sur moi et délaissais mes ami-e-s. Et au moment où je m’en suis rendue compte, c’était un peu tard, je me suis sentie bien seule et j’ai fait une dépression. Quand je vois qu’aujourd’hui, la base de mon équilibre affectif passe par les relations amicales que je développe, je me demande comment j’ai pu en arriver à un isolement aussi total.
Mais malgré tout, mon positionnement anti-amour a continué à se renforcer. Je ressentais des signaux de danger à chaque fois qu’une personne m’approchait avec son désir ou à chaque signe de jeu de séduction. Je refusais de rentrer dans ces rapports et j’ai atteint un stade de contrôle et de blocage total de toutes mes émotions. Tout ce que je ressentais devait passer par un décodage rationnel avant de pouvoir exister. Et puis les relations amoureuses et de couple qui habitaient mon entourage me sont apparues de plus en plus tristes et insupportables. Je me suis mise à lutter activement contre les relations fusionnelles, passionnelles et hiérarchiques. Je décryptais et dénonçais chaque code, chaque signe que je trouvais insupportable, les personnes que l’on ne peut plus voir seule mais toujours à deux, qui ne disent plus « je » mais « on » ou « nous » en toutes circonstances, et les démonstrations publiques de ces amours qui créent des situations excluantes pour les autres. Une fois, on m’a dit que je devenais « couplophobe »...bon...bref... J’étais aussi tout de même devenue une bonne conseillère pour lutter contre l’irrationnel des émotions et passions amoureuses. Et les personnes qui ont tenté de me convaincre que quand même, l’amour c’est beau, que ça doit me manquer, n’ont pas encore su trouver les bons arguments. Je n’ai jamais rencontré personne qui ne galère pas dans ce domaine.
LA RÉÉDUCATION AFFECTIVE
Pour lutter contre la dépression, j’ai un peu rebâti mon environnement affectif. J’ai aussi donné moins de place à certaines activités et au travail salarié, mais ça, c’est une autre histoire. Au milieu de mon réseau camaradèsque, j’ai provoqué des temps informels là où je n’en vivais plus depuis longtemps. Entre deux réunions par exemple : « allez viens, on va boire un coup ! ». J’ai interpellé certaines personnes : « Hey toi tu sais quoi ?! je crois bien qu’on est potes...! ».
Je trouve ça hyper important aujourd’hui de nommer ces relations, de valider mutuellement qu’on se choisit réciproquement, qu’on a des préoccupations communes et des envies de faire des trucs ensemble, qu’on peut être là pour prendre soin de l’autre. C’est ce modèle-là de relation que j’affectionne particulièrement aujourd’hui, qui me fait du bien, et j’ai l’impression que ça fait du bien aussi aux ami-e-s qui vivent ça avec moi. Aujourd’hui, c’est ça la base affective qui fait que je vais bien psychiquement. Je tente de construire des cadres de confiance, de bienveillance, de confidence et de sincérité, avec de la place pour la complicité et pour les gestes d’affection et de tendresse. Pour moi l’intensité émotionnelle de ces relations est réelle. Ça me questionne toujours quand j’entends des propos qui viennent minimiser les sentiments d’amitié en comparaison implicite des relations amoureuses : « ah oui ? vous n’êtes que des amies ? ». Pour moi il n’y a pas d’échelle de valeur à appliquer là-dedans, c’est des modes d’interactions tout à fait différents.
Rien à voir je trouve avec les mécanismes des relations amoureuses, et leurs sentiments irrationnels qui nous font souvent perdre de vue la bienveillance. À croire que les situations amoureuses provoquent de grands élans d’égoïsme qui nous feraient préférer à tout prix notre confort personnel au bien-être des autres. L’amitié n’est pas pour moi un sentiment exclusif, bien au contraire, j’ai l’impression qu’on hésite beaucoup moins à multiplier les amitiés que les amours, et qu’à la réciproque, on aurait plutôt tendance à souhaiter à nos ami-e-s de se sentir bien entouré-e-s et soutenu-e-s dans leurs vie. En tout cas c’est comme ça que je le ressens...
Dans la continuité de ces grands élans de partage, je me suis remise à avoir envie de faire du sexe avec d’autres personnes. Laissez-moi vous dire qu’avec mon bagage de méfiance vis-à-vis de l’amour ça n’a pas été si simple. J’aimerais bien arriver dans mes relations, à dissocier le sexe des mécanismes liés au sentiment amoureux, sans non plus avoir très envie de vivre des plans culs anonymes. J’aimerais bien que le sexe puisse fonctionner dans les mêmes cadres de complicité que ceux de la bienveillance entre potes. Qu’on puisse se proposer de faire du sexe comme on pourrait se proposer de manger des cookies ou d’aller boire un coup, sans que ça implique forcément d’autres trucs associés. Imaginez un peu si à chaque fois qu’on partageait un apéro avec une personne, s’ensuivait tout ce qui peut accompagner les rapports de sexe, fétichisation de la personne avec qui on l’a fait, sentiment de jalousie si elle le fait avec d’autres... Bon, bref, j’ai cherché à comprendre pourquoi faire du sexe ça ne marchait pas comme manger des cookies...
ÉVITER LES COMPLICATIONS
Alors oui, je me rends bien compte que le désir de sexe c’est pas aussi anodin qu’une envie de biscuits, c’est un peu plus impliquant. Certaines de mes relations amicales se sont réellement épanouies seulement à partir du moment où toute ambiguïté de désir a pu être écartée. Et par ailleurs, d’autres relations se sont accompagnées de méfiance suite à l’expression de mon désir. Pourtant je continue à penser que c’est bien pratique de faire des propositions un peu directes sans enrober le tout d’un espèce de papier cadeau poétique. Ça a le mérite d’essayer de démystifier la sexualité, de rendre plus clair ce qui est de l’ordre du désir, et de tenter de dissocier les gestes de tendresse ou les jeux corporels et sexuels, des grands états amoureux. Je rencontre rarement des personnes qui expriment clairement leurs désirs. Bien souvent ce sont des imaginaires romantico/amoureux qui sont utilisés en guise de préliminaires pour faire des propositions de sexe. Moi ça ne me fait pas vraiment rêver. Ça me fait penser à de la publicité mensongère, une manière d’évoquer son désir tout en refusant de le nommer, voir même de le faire passer pour autre chose qu’une envie de faire du sexe.
En racontant tout ça, je donne sûrement l’impression d’être hyper à l’aise et hyper claire avec l’expression de mes désirs... alors oui, dans la forme, j’ai tendance à proposer des moments de sexe comme on proposerait n’importe quoi d’autre, mais avec tout de même la différence que certains paramètres viennent souvent réguler mes élans. Quand je soupçonne une personne pour qui j’ai du désir d’être dans un trop grand décalage avec moi sur ce qu’implique la sexualité, quand je perçois une situation qui serait compliquée à gérer et qui nécessiterait plein de temps et d’énergie, ou encore quand j’imagine tous les dommages collatéraux qui pourraient exister, alors j’hésite souvent à exprimer mon désir et parfois j’y renonce. La plupart du temps, ces hésitations me permettent de garder une attitude responsable et bienveillante vis-a-vis de mon entourage.
Aujourd’hui, je ressens un sacré soulagement d’avoir des complices et des alliées dans cette recherche de nouveaux imaginaires relationnels qui déconstruisent les mécanismes amoureux et romantiques. Car je ne me sens pas juste déconnectée ou insensible à ces imaginaires poétiques un peu niais. Si j’ai tendance à fuir les situations dans lesquelles des personnes pourraient projeter ces imaginaires sur moi, c’est que la moindre approche romantique me renvoie direct à des mécanismes d’oppression et d’aliénation et provoque chez moi un profond sentiment de malaise. Même dans de simples jeux de séduction utilisant juste quelques codes un peu poétiques, je me sens complètement démunie face à ce qu’on me propose, comme si c’était un langage que je ne connaissais pas. En vrai, c’est plutôt un langage que je connais juste trop bien et qui m’angoisse vraiment. Je pourrais me dire que les imaginaires que les autres projettent sur moi ne me concernent pas. Mais je n’arrive pas à ne pas me sentir impliquée par ces émotions qui m’englobent. Je me demande toujours si à un moment donné j’ai pu faire ou dire quelque chose qui aurait pu provoquer ça. Je ne veux pas me sentir responsable malgré moi du bonheur et/ou surtout de la souffrance des autres, ni me sentir coupable et prise en otage d’un état amoureux que je n’aurais pas choisi et consenti.
Dans mes dernières relations impliquant de la sexualité, j’ai tenté différentes choses afin de maintenir des imaginaires relationnels bienveillants. J’ai voulu éviter certains codes, certains signes, certaines paroles, qui me semblaient faire évoluer les relations vers des schémas amoureux de fusion, de passion et d’irrationnel. Par exemple, arrêter de se dire des « je t’aime » un peu vides de sens, des « je tiens à toi », des « je suis attachée à toi », des « tu me manques » et tout le vocabulaire associé à la dépendance et à l’aliénation. C’est une piste à approfondir, parce que censurer des mots et des gestes, ça ne suffit pas à s’assurer qu’on ne vivra pas les sentiments qui sont planqués derrière. Ça peut même juste amener que ces sentiments existent tout de même et deviennent des tabous. Alors j’ai aussi tenté d’arrêter certaines pratiques qui me semblaient nourrir des imaginaires romantico/amoureux. Je pense aux élans poétiques de certaines lettres, à la valeur symbolique et fétichiste de certains cadeaux, au décompte du temps des séparations qui viendra nourrir le manque, aux fantasmes qu’on peut construire autour d’une personne et qui deviendront des attentes puis des déceptions. A vrai dire je tâtonne encore un peu dans le repérage de ces mécanismes, puis dans comment les déconstruire de manière concertée. Ma posture anti-romantique a pu être interprétée par des personnes comme du désintérêt de ma part plutôt que comme de la bienveillance pour elles. Du coup tout ça n’est pas encore vraiment au point. Évidemment ça serait tellement plus pratique d’avoir des mots vraiment adaptés aux interactions que je souhaite mettre en place, plutôt que de m’exprimer toujours en creux, en négatif, par les trucs que je veux éviter. Ça me permettrait de me concentrer un peu plus sur ce que j’aime construire, sans focaliser toujours sur les risques à contourner...
J’arriverai pas à conclure ce texte sans exprimer combien d’enjeux sont politiques pour moi quand on me parle d’affectif. Ça prend de la place dans ma tête, du temps et de l’énergie, pas juste d’être en relation avec d’autres, mais surtout d’être en travaux permanents sur comment être en relation sans provoquer de grands éboulements. Prendre soin des autres, et travailler à de nouveaux imaginaires relationnels dont les références culturelles et le vocabulaire approprié manquent cruellement. Ça ressemble parfois un peu à de la science fiction de décrire mes idéaux, du coup je me sens un peu moins extraterrestre quand je rencontre des complices prêt-e-s à en faire de grands chantiers collectifs...
Mars 2012
Et si on parlait de conforts affectifs ?
– J’ai du mal à m’y mettre ! Ce truc sur les conforts affectifs… ça me fait très peur !
-Peur de quoi ?
– De me rendre compte que je n’en ai pas construit ! Est-ce que j’ai déjà réfléchi à la place que je fais dans ma vie aux relations et aux conforts affectifs ? Quelles sont mes stratégies pour y arriver ? Là, je me sens tout d’un coup très bête. L’impression de débarquer dans ma vie et de ne pas avoir prêté attention à ce qui est essentiel. Non, je ne fais rien pour répondre à mes besoins affectifs…
-Et si tu me parlais de tes « conforts affectifs »…
– Les conforts affectifs, je sais pas vraiment ce que c’est. Je sais juste que je ressens un manque quand ce n’est pas là. Un manque affectif. Mais après, il faudrait creuser un peu pour voir ce que c’est de plus près. Complicité, sentiment d’être dans une relation privilégiée avec une personne ? Contacts physiques affectueux ? Rapports sexuels ?
-Bon, eh bien allons-y !
– Déjà, je me rends compte qu’on est en train, tout bêtement, de parler de ce qui fait que ça a du sens pour moi de vivre avec d’autres personnes. Avoir besoin des autres, de leur présence, de leur attention, de leur amour pour vivre. Il y a donc un truc assez chouette, de ce qu’on s’apporte entre personnes distinctes. Un truc qui casse cette idée que je peux m’autosuffire, répondre à tous mes besoins et trouver l’équilibre juste par moi-même.
Mais d’un autre côté, il y a cette idée de « besoin » qui est un truc perso. C’est ce qui crie en moi, ce que je dois assouvir si je veux me sentir bien ou tout simplement survivre. Et là, ça ramène les choses à un trip plus individualiste. L’autre, il ou elle devient une sorte d’instrument pour assouvir mon « besoin affectif ». Et ça, c’est un truc qui m’interroge et qui me gène. C’est quoi le moteur de la relation ? Un réel intérêt pour l’autre ? Ou la nécessité de combler un trou pour me sentir bien ? Quand j’habitais seul je sollicitais très souvent des amis et connaissances pour qu’on se voie. Depuis que je vis en collectif, je fais ça dix fois moins. Parfois ça m’a presque dégoûté, j’avais l’impression que les relations se réduisent à un truc vachement utilitaire.
Mais aujourd’hui je suppose que c’est un mélange des deux : je réponds à un besoin, et en faisant cela je développe des relations qui vont plus loin que ça, un réel intérêt affectif et humain envers l’autre… Et puis c’est aussi une question d’énergies relationnelles. Je sens que mes capacités de relation attentive sont limitées. Et mon besoin de solitude se fait entendre aussi.
-Alors, c’est quoi ta situation affective aujourd’hui ?
– La situation est mitigée. Si je pense aux relations et échanges affectueux, passant essentiellement par la parole, par une présence quotidienne bienveillante, alors je sens un certain équilibre relationnel. Essentiellement parce que je vis en collectif, et qu’on essaie d’être attentifs/ves à cela. Je pense que le fait de vivre en collectif fait partie de ma stratégie pour trouver un équilibre relationnel, affectif. Il y a même des moments où j’ai besoin de solitude.
Ensuite, il y a le domaine des relations privilégiées avec quelques personnes, que je ne vois pas forcément souvent, voire rarement pour certaines. Mais des personnes avec qui il y a une vraie complicité. Ces personnes amies ou proches, qui ne sont pas dans mon entourage quotidien immédiat, mais que j’aime voir, et là ça fait vraiment du bien de se parler, de s’écouter, de jouer, de se prendre dans les bras… Et juste de savoir qu’on existe les un-e-s pour les autres. Je ne me vois pas vivre « bien » sans entretenir une belle complicité, privilégiée et pleine d’ « amour », avec quelques personnes qui comptent beaucoup à mes yeux. Tu sais, ces personnes à qui tu as régulièrement envie d’écrire pour leur dire « je t’aime » !
-Quelles sont tes stratégies pour entretenir, développer ces relations qui comptent tant ?
– Aucune, ou presque. Je garde un contact trop rare avec elles, je les vois rarement. On s’écrit des lettres de temps en temps, et c’est un vrai cadeau à chaque fois à recevoir, et un vrai moment passé à penser à l’autre, à préparer. On essaie quand même de se voir de temps en temps, quelques jours, parfois en faisant un petit voyage.
Et puis il y a une dimension plus corporelle. Sans parler de sexualité, mon équilibre affectif passe par un contact, un toucher, c’est important. Cela peut être avec des personnes avec qui j’habite, ou avec des personnes que je vois plus rarement mais avec qui on a une belle complicité. Se prendre dans les bras, s’enlacer, se masser, se caresser, dormir côte à côte, autant de manières de nourrir cette dimension affective-corporelle essentielle pour ne pas dépérir !
-Et les relations sexuelles ? Tu esquives ?
– Oui, les relations sexuelles ! J’entends par là les relations d’intimité corporelle, avec une dimension érotique, de désir dans le rapport au corps de l’autre. Donc bien au-delà des relations génitales. En ce qui concerne les relations génitales, j’aime cela bien sûr, mais ce n’est pas le plus essentiel dans mon univers affectif. Je ne centre ni ma vie affective, ni même ma vie sexuelle là-dessus. D’ailleurs dans les relations d’amant-e-s, je me sens plus à l’aise si dans un premier temps il n’y a pas relation génitale, pour mieux vivre les autres aspects si nourrissants de la « relation affective corporelle ».
-Tu as des stratégies pour accomplir ces dimensions ?
– La dimension corporelle, c’est quelque chose qui accompagne parfois les relations de complicité privilégiées que j’ai avec une personne. Mais ça ne se « commande » pas à l’avance j’ai l’impression. La dimension sexuelle… je trouve cela très délicat. Je crains tellement de tomber dans les jeux de séduction qui ne me plaisent pas…
-Qu’est-ce qui ne te plait pas ?
– Je n’ai pas envie d’être un de ces mecs pro-féministes qui en profitent pour convoler avec tout le milieu. Je suis suffisamment conscient des mécanismes de domination impliqués dans les relations hétéros pour ne pas être gêné par ça. Je ne suis pas non-plus à l’aise avec le modèle du couple classique vécu comme une évidence. Je me sens mal à l’aise avec tout ce qu’il contient de norme patriarcale, bourgeoise, étouffante… A côté de ça, je remets en question mon rapport au genre. Je suis sorti du cadre purement hétéro. Mais cela n’est pas évident à assumer, ni à vivre, et ça reste encore bien maladroit…
-Mais justement, tu vis avec des femmes, la plupart de tes relations privilégiées sont avec des femmes… moi je trouve ça « louche ».
– Je m’interroge moi aussi… Est-ce qu’il y a une dimension de « service affectif » (écoute et prise en charge affective) typiquement assigné au rôle féminin, dont je profite ? Difficile d’être juge pour soi-même… mais je crois que j’ai fait de grands pas en dehors de ce schéma-là… Je crois que j’ai été, dans mon histoire, marqué par les conséquences néfastes du patriarcat et que je me sens plus à l’aise dans un milieu où ce genre de dominations, de comportements que j’associe aux hommes sont absents.
-Alors, heureux ?
– Oula ! Je ressens souvent des manques affectifs, mais il y a aussi plein d’éléments et de personnes dans ma vie qui me font du bien ou qui me comblent par leur présence. En tout cas j’ai l’impression d’y voir un peu moins flou après cet échange !
Léo
Parfois j’aimerais bien être un robot... Vague impression que ce serait plus simple. Je serais programmé_e de manière bien claire. Sans tous ces vides, ces flous, ces trous, ces mous de la vie en chair et en coeur. Je serais en mesure d’identifier mes besoins, mes envies, et de les remplir, de les rencontrer au mieux.
Ce ne serait plus très humain, c’est vrai. Ce serait même rudement glauque (de mon point de vue en chair et en coeur d’aujourd’hui).
En fait, je n’aimerais pas ça du tout. C’est juste que parfois je fatigue de moi-même. Tiraillé_e par les différentes parties de moi, je recherche un repos, une stabilité parfois tellement difficile à atteindre... Alors je lorgne du côté de cette tentation robotique anesthésiante : envie de continuer à jouer, mais sans mes peurs d’abandon, la solitude qui certains jours me serre le bide, sans le désespoir qui me gagne...
Tout en sachant que c’est impossible. On ne peut pas vivre de plans, papier ou informatisés. Robot n’est pas moi. Vivant = complexe.
Et c’est reparti pour un tour, encore un, encore...
Parfois je suis drôlement content_e d’être humain_e. Ces moments fous où je touche du doigt une forme d’idéal. Où malgré toutes les complications, ces enjeux fous, ces verres à moitié vides, puis pleins, puis on ne sait plus où est passée l’eau... Malgré tout ça, j’arrive à vivre des trucs géants. Où je vois un peu où je voudrais aller dans ma vie affective et relationnelle, et je suis justement sur un chemin ! Alors là, c’est pépites, éclairs, étoiles dans les yeux et smile on your face. Des sortes d’ailes qui poussent, parce que des moments partagés, des ressentis pas faciles apprivoisés, des instants bons et sereins et agréables. Me sentir complèt_e, entièr_e, moi, avec une certaine autonomie. Là, plus question de robot, je veux la chair et le coeur !
J’essaie de naviguer entre parfois et parfois.
De ne pas chercher de toujours. Trop dangereux. (J’y ai cru à des moments. Et à la solitude essentielle de tous les humain_es. Et à l’amour éternel entre deux personnes.)
Alors j’apprends. Beaucoup. Avec les parfois et les parfois, les larmes et les moments plus joyeux.
Et je crois que ça me plaît...
Je parle beaucoup de comment je le vis, mais quoi exactement ? Ça me donne envie de dérouler mon idéal, ce vers quoi j’essaie de tendre... Un sentiment de rassurance, d’avoir une place dans laquelle je me sens bien dans mon environnement (mes environnements, parce que c’est toujours à tiroirs et je ne fréquente pas un seul monde ou milieu). Arriver à exprimer mes envies, et essayer de les mettre en place autant que possible, en négociant pour cela avec les envies des autres. En acceptant que ça change, de me tromper, de blesser les autres, de souffrir moi aussi. Mais en essayant aussi que ça ne soit pas invivable, insupportable : moments difficiles, ok, mais pas un gouffre dans lequel je ne vois pas quoi faire à part me jeter dedans... Pour ça, j’ai envie de développer des liens avec des proches autour de moi. Des amitiés plus ou moins fortes, qui comprennent parfois du sexe. Mais pas seulement, aussi une solidarité matérielle : je me sens fort_e et rassuré_e si je sais que je ne vais pas me retrouver seul_e au premier pépin. Je crois que j’ai besoin de ça vu que je ne veux pas construire 1 ou 2 relations prioritaires, avec des personnes qui veilleraient fort sur moi. J’ai envie d’essayer de prendre ces soins un peu plus collectivement, avec un plus grand nombre de personnes, et de le rendre moins fragile que du simple « copinage » (« je ne t’aime plus, débrouille-toi »). Ce qui laisse selon moi plus de place aux absences ou impossibilités éventuelles, aux prises de distance parfois nécessaires, au fait qu’on ne peut pas tout apporter à une personne.
Le hic là dedans, c’est que parfois ça ne marche pas du tout...
Quand une personne dont je suis très proche, avec qui je partage également sensualité et sexualité, entame un partage similaire avec une autre, et que je me sens abandonné_e, délaissé_e ou j’ai très peur de l’être bientôt. Sans pouvoir me raisonner.
Quand je me sens en concurrence avec cette troisième personne, sans parvenir à me sentir appartenir à une même communauté, ou en tout cas comme investi_es dans une même démarche d’expérimentations relationnelles responsables.
Quand je me sens seul_e parce que mes proches passent beaucoup de temps avec leur « duo privilégié » (pas toujours amoureux, mais presque) et que personne ne s’est inquiété de moi, et que je vois que le « collectif » est un peu la cinquième roue du carrosse...
Quand j’ai l’impression que les personnes autour de moi suivent des trajectoires de vie pensées de manière individuelle, et que mes utopies de vie collective et de solidarités sont renvoyées à des créneaux horaires coincés entre le travail et la piscine...
Mais j’ai envie de finir sur une note positive, aussi parce que c’est ma perception du moment.
Du moment que j’accepte le fait que la première personne responsable de moi-même, c’est moi. Que ça veut dire concrètement demander de l’aide, communiquer, anticiper sur mes envies ou attentes pour qu’elles ne soient pas déceptions... Ce qui est contraire à la « flemme-romantique », quand je mets mon bien-être entre les mains d’1 autre, qui prend alors ce rôle attentif.
Donc, une fois que j’accepte ça et que j’apprends à me dépatouiller avec, alors je n’ai plus/moins peur d’être seul_e : dans le double sens où j’arrête d’appréhender que mon cauchemar de me retrouver seul_e au monde se réalise, et aussi j’apprécie le fait d’être seul_e, non pas comme une absence, mais comme le plaisir de ma propre compagnie.
Et alors je savoure hyper fort ce que je vis avec les autres, baissant peut-être du même coup mes exigences parfois hyper élevées, avec moi-même et par conséquence avec les autres.
Romanesco
hiver 2012
work in process / travail en cours...
A la recherche de conforts affectifs…
Sacrée fichue brochure. Tout ce que tu as produit dans ma vie depuis que j’ai eu le papier détaillant ton projet entre les mains ! Tu te rends compte, la quantité de discussions passées à déballer ce que j’avais beau savoir ne pas ressortir complètement du privé mais que je continuais de traiter comme si, si, c’était bien du privé et c’est tout ? Tu te rends compte, le nombre de pages noircies, les lettres qui sont parties, tous ces fous-rires, ces heures passées la tête entre les mains ? Tu te rends compte, cette relation, comme elle a rebondi ? Et celle-là, comme elle se modifie ?
Ça oui, tu m’en as fait faire, tu m’en as fait penser des choses. Tu étais tellement entrain de me faire que je ne pensais pas pouvoir écrire quelque chose qui t’alimente, qui contribue à te faire. Et puis il y a eu cette discussion, il y a plusieurs mois maintenant, dans le train qui nous ramenait, avec Glouglou. Glouglou, il est entrain de vivre une relation forte avec une personne qui habite assez loin, dans un autre pays, tout ça. Pour l’instant, illes se voient assez régulièrement, quelque chose comme une fois par mois. Et là, la dernière fois, à peu près un quart d’heure avant de se quitter, illes ont tâché de clarifier leur relation, leur rapport à la question de l’exclusivité ou de la non-exclusivité surtout si j’ai bien compris. C’est de ça qu’on parle, avec Glouglou, et je choppe un torticolis tellement on se porte de l’attention dans cette conversation. Et puis en arrivant à la maison, je me dis qu’il est temps que je rende un peu à cette brochure, comme un juste retour des choses quoi.
Je m’aperçois que depuis le lancement de l’appel à contribution un paquet de trucs à changé dans la manière que j’aie de penser mon rapport à la question des conforts affectifs. Aujourd’hui, la pensée en termes de « relation(s) privilégiée(s) », comme la pensée en termes de « couple », qu’il soit « libre » ou « non-libre », ne me convient vraiment plus. Ce que je sens plus juste, c’est l’idée que j’entretiens, avec des personnes, des relations. Ces relations se déclinent sur des modes différents en fonction de mes partenaires et en fonction des moments. Je peux, à un instant T, parler des pratiques qu’engage pour moi la relation avec telle ou telle personne – et encore, même ça n’est pas facile, ou alors il faut aller dans du très factuel : décrire ce qu’on fait, ne pas se contenter de dire « on partage de l’intimité », « on a des formes de sensualité », mais parler de nos pratiques, de nos gestes…
Ces relations, ça n’a pas de sens de les hiérarchiser. Il y a les pratiques que je peux avoir avec X à ce moment là. Ca n’est pas mieux avec ou sans sexe, avec ou sans cunni, avec ou sans baiser, avec ou sans la langue, avec ou sans balade à vélo, avec ou sans échange de monnaie, avec ou sans discussions à bâtons rompus, avec ou sans écoute de musique. Il y a des pratiques contextualisées. C’est pour ça que je n’ai pas l’impression de fabriquer du confort affectif avec certaines personnes en particulier. C’est une problématique transversale à tous les rapports un peu nourris que je peux entretenir avec des personnes. Que nous soyons directement en présence ou pas, que ces personnes soient géographiquement proches ou éloignées, si je me figure ma vie de manière imagée, c’est d’abord à un tissu que je pense, comme un canevas brodé où chaque point est une forme de lien.
Parfois, c’est comme si ces relations étaient libres de menaces. Je les sens belles et fortes dans les moments où je me sens aussi comme ça. Alors, je peux observer mes relations changer, prendre un tour ou un autre, avec une crainte mesurée s’il y en a. Dans ces moments-là, je ne redoute pas de ressentir de la peine, de la colère ou de la jalousie parce que je me sens assez d’aplomb, assez solide et avec assez de soutiens autour de moi pour donner à ces émotions une juste place et ne pas me laisser complètement envahir par elles. Lorsque je vis des périodes de ce type, j’ai le sentiment de quelque chose de gagné sur les systèmes de contrainte et de dressage des petits êtres humains - soit sur l’orthopédie sociale et familiale - qui ne m’ont pas appris à remplir mes besoins en terme de reconnaissance, d’affection et de sécurité de manière respectueuse de moi et des autres.
Mais ça n’est pas toujours comme ça. Sur ma route, pour avancer dans ce domaine, il y a principalement deux découvertes qui ont compté : les féminismes et une analyste avec une psychanalyste pas trop bouchée. Ca m’a permis de toucher au Principe de Réalité : il y a ce que je voudrais, ce que je peux et ce que je ne peux pas. Exemple : « c’est pourri la jalousie », « la propriété c’est pas bon »… Ok, mais je suis jalouse et possessive ! Et ça n’est pas tout - ou plutôt, ça va avec -, je suis aussi encline au sentiment d’abandon, à la peur, toujours, ne n’être pas aimée assez ! Et si je n’en tiens pas compte, si je passe par-dessus à coup de rationalités fort pertinentes politiquement parlant, ça revient toujours en douce, par derrière, comme un retour de flamme.
Rien ne m’empêche, sachant cela, de poursuivre discussions et lectures, en bref les rationalisations, mais ce qui a changé pour moi c’est que je ne vais plus faire comme si c’était uniquement par-là, par la lucidité, le savoir et la volonté, que je pouvais me sortir des situations de merde dans lesquelles je me mets des fois. La réflexion, ça me sert à faire le bilan de l’existant et à brosser à grands traits le tableau du désirable ; pour le reste, la perspective volontariste ne m’a jamais aidée à vraiment traiter ce sacré fichu besoin de consolation impossible à satisfaire (référence au super bouquin de Stig Dagerman). Si je ne veux pas en rester à ma programmation initiale (jalousie + sentiment d’abandon + manque de confiance en soi + besoin de reconnaissance etc), j’ai tout intérêt à reconnaître que je pars de là et que je suis une petite chose sur le plan affectif.
Quand je dis ça, que je suis une petite chose, je ne parle pas de quelque chose que je serais en soi, par essence ou par nature. Je veux dire que j’ai comme tout le monde ou presque eu une enfance malheureuse - non pas parce ma sécurité physique et mes besoins physiologiques n’étaient pas remplis (ça non, je viens du premier monde et d’une famille où on mangeait bio le plus souvent), mais parce que j’ai vécu un nombre d’années considérable dans la dépendance de personnes (mes parents biologiques) aux pratiques affectives et relationnelles perverses. Du coup, forcément, ça laisse des traces, et c’est elles que j’ai besoin de ne pas oublier ; ça fait un moment que j’ai capté qu’ignorer, dans le sens de faire comme si on ne voyait pas, comme si ça n’existait pas, les aspects indésirables de ma construction sociale ne m’est d’aucun secours quand j’entends aller à leur encontre. Les ignorer, c’est leur laisser encore plus de latitude pour agir, de la même manière de les gens étudiant les modifications de la langue (cf. la novlangue d’Océania dans 1984 ou plus proche de nous la LQR [1] …) observent qu’un mot disparaissant peut faire disparaître avec l’idée qu’il désigne et pas le phénomène, et donc rendre ce dernier plus indétectable encore.
Alors, comment je fais, concrètement ? Une fois admis le fait que je suis une petite chose qui n’a pas appris à satisfaire ses besoins en matière de conforts affectif à un prix acceptable (pas trop coûteux pour personne en terme de santé psychique et physique), perpétuellement en manque, je tâche d’essayer de commencer à faire avec. Ca passe par le fait de ne pas m’exposer inutilement à ce pour quoi j’ai été programmée à être sensible et face à quoi je peux me sentir devenir impuissante, en particulier la jalousie (1). Ca passe par le fait de ne pas compter sur un nombre trop restreint de personnes pour ce qui est de la satisfaction de l’ensemble de mes besoins en matière de sexe, tendresse, complicité, affection, rires, discussions, sécurités, plaisirs et nécessités diverses (2). Enfin, ça passe par le fait de réfléchir ces questions à plusieurs et de les penser sur la base de nos différences (en termes de structures psychiques, de capitaux économiques, culturels, sociaux, de normes de corps, etc.), histoire que ce terrain là, celui des besoins à remplir en matière d’affection-ETC, ne soit pas le énième terrain de la reconduction des rapports de domination contre lesquels je/on entend lutter par ailleurs (3).
1) Ne pas m’exposer inutilement : je n’ai pas besoin de savoir que unetelle ou untel couche aussi avec bidulETTE. Les personnes avec qui je suis en relation ne m’appartiennent en rien, je ne recherche pas l’exclusivité avec elles dans quelque pratique que ce soit, et je pars en conséquence du principe que je ne suis la seule et l’unique en rien pour ce qui est des choses faites ensemble – ce qui n’empêche nullement d’escompter être appréhendée comme une personne singulière. Ne pas m’exposer inutilement, ça veut dire être à l’écoute des petites décharges électriques qui peuvent alerter sur ce qui advient pour soi dans le cours d’une conversation, avant même qu’on ne soit capable d’en inférer du sens, et ne pas hésiter à demander à l’autre que tout ne soit pas abordé sur le moment (à partir du moment où ça ne devient pas une manière systématique de défausse, une façon éprouvée de couper court à l’abord de certains problèmes qu’il faudrait bien, pourtant, aborder).
Mais ne pas vouloir connaître les détails de relations susceptibles d’éveiller chez moi des sentiments pénibles, ça ne suffit pas ; il faut aussi avancer dans la connaissance des manières qu’ont eues les différentes expériences de ma vie de se sédimenter en moi et de produire le rapport que j’ai aujourd’hui à des formes de réactivation de ces évènements, y compris émotionnels. Je n’ai pas écris le paragraphe précédent pour dire « vive la politique de l’autruche », quoi ! C’est juste que vue ma trajectoire personnelle, ça reste un enjeu pour moi de ne pas faire comme si n’importe quel sujet, n’importe quelle question, n’importe quel problème dans n’importe quelle relation était abordable tout le temps.
Ne pas vouloir tout savoir en permanence, ce n’est pas non plus nier l’interdépendance des relations. Je sais que certain_es disent « on ne s’en parle que si ça influe sur notre relation », mais je ne vois pas exactement les choses comme ça : j’ai l’impression que tout influe sur tout, que toutes mes relations influent sur toutes, que les liens avec chaque nouvelle personne inclue dans un réseau de liens se multiplient de tous les liens et toutes les pratiques qui sont les siennes de son côté – et que ça peut créer un « effet dominos » si un truc se passe mal d’un côté. Donc je tâche d’assumer autant que possible la responsabilité des relations dans lesquelles je suis impliquées, et sans qu’il ne s’agisse de logique de concurrence, de ne pas faire comme si ce qui se passe dans l’une n’avait aucun rapport avec ce qui se passe dans l’autre. Je tâche de les traiter à la fois comme singulières et comme liées. En écrivant cela, il me vient en tête la chose suivante : idéalement, je voudrais ne pas entrer dans une relation qui menace les autres, qui m’empêche de respecter les engagements que je désire honorer auprès des autres. Mais la réalité se fiche bien de ce que je pense et j’observe simplement que ou bien le désir a changé et j’aspire à me consacrer plus explicitement à certaines relations (auquel cas ça commence en réservant certaines pratiques à des espaces relationnels spécifiques et à me projeter dans le fait que ça puisse durer un moment), ou bien le désir n’a pas changé, et de fait il n’arrive pas qu’une relation prenne le pas sur les autres. Je sens bien que rien « n’arrive complètement », que l’on fait arriver, avec les autres protagonistes du jeu, et en même temps j’ai l’impression que beaucoup se joue en deçà de ma volonté et que je ne gagne rien à m’abuser en la matière en faisant comme si ce n’était pas le cas.
2) J’ai aussi dit que j’avais pour pratique de démultiplier les relations, par rapport au modèle « couple + une poignée d’ami_es ». Démultiplier les relations, ça ne signifie pas pour autant les multiplier sans limites (même si j’ai encore du mal avec l’idée qu’une journée ne comporte que 24h et que j’ai besoin de dormir un certain nombre d’heures tous les jours sous peine de ne plus pouvoir rien gérer) mais, en revanche, ça veut dire porter attention à la façon dont les choses se structurent dans la répétition : comment telle relation prend tel sens à force que s’y répète telle pratique. Parfois c’est agréable, parfois moins. Concrètement, ça implique que je me pose souvent la question : et si cette chose-là, que je fais plutôt avec telle ou telle personne, je la faisais plutôt avec untelle ? Et si je la faisais plutôt comme ça d’ailleurs, pour changer un peu ? Bien sûr, la question du désir entre en ligne de compte. Il y a définitivement de meilleur_es compagnes ou compagnons de cinéma que d’autres. Et en même temps, les autres ne risquent pas de le devenir si je ne les invite jamais à faire ça avec moi ! C’est toujours un balancier, un jeu de va-et-vient entre la tentation du faible coût immédiat quand je sollicite des interlocuteur_ices dont je sais par avance qu’illes savent participer de la prise en charge de mes besoins-désirs-envies dans tel ou tel domaine et l’aspiration consistant à élargir le cercle de ces interlocuteur_ices (ou bien simplement à en changer les places). Mais j’ai envie de continuer à me poser ces questions et chaque fois que possible d’aller du côté qui n’est pas immédiatement celui de l’évidence. Et bien sûr, ça implique de trouver des personnes qui soient ok pour faire ça. Et là vient la difficulté : il n’y a pas tant que genTEs que ça prêtes à investir vraiment dans des relations qui ne sont pas de l’ordre du couple, qui ne vont pas chercher à faire basculer les choses de ce côté-là ou ne vont pas considérer que ça a moins d’importance parce que ça n’est pas du couple. Il m’arrive d’avoir l’impression qu’il y a les personnes qui ne sont pas en couple mais attendent de l’être et celles qui y sont et privilégient leur-e partenaire donc. Entre les deux, une petite minorité, qui a ses moyens limités comme quiconque (temps, énergie, attention portée à l’autre…) et qui peut s’épuiser à force de sollicitations et d’engagements s’ils sont trop nombreux et pas assez réciproques (même si je sais que la réciprocité peut être le fruit d’un contre-don décalé, imprévu… qu’elle ne vient pas forcément de qui a reçu le don, et qu’elle ne se donne pas non plus obligatoirement dans un temps proche… Ici comme ailleurs le tout est de pouvoir bénéficier de ce qui nous est nécessaire pour vivre et agir). Au passage, c’est agaçant de constater que c’est souvent avec celleux avec qui je partage à un moment donné des pratiques qui renvoient classiquement aux relations d’amant_es classique que se pose le plus légitimement la question de comment on est en relation : quelles modalités, ce qu’on voudrait voir changer, ce qu’on aime… Ce qui est encore une manière de faire passer ces formes-là de relations avant les autres, de leur donner plus d’importance et de méconsidérer les autres.
Au passage encore, point à ne pas négliger, la question du safer sexe. Des relations, ça peut engager des pratiques sexuelles avec risque de transmission IST. Logiquement alors, on se protège. Pourtant, même quand on ne partage pas du sexe avec une seule personne, la question peut se poser de ne pas se protéger avec l’une d’entre elles au motif qu’on a fait les tests, qu’on se fait confiance, que c’est la relation centrale pour nous, privilégiée, celle dont on attend qu’elle dure plus longtemps, ou en tout cas celle autour de laquelle on estime que orbitent les autres. D’abord, ça reste compliqué de poser les choses comme ça pour moi, étant donné que je n’ai pas envie d’autonomiser une relation par rapport aux autres. _ Ensuite, j’ai l’impression qu’avec une personne avec qui l’on a pris l’habitude de ne pas se protéger, quand tout à coup surgit la question de réintroduire du latex, ça n’est pas forcément très bien venu. Il faut imaginer le tableau : moment d’intimité folle, désir démultiplié, confiance, et là, soudain : « ça te dit, on utilise une digue ? » Ou un gant, peut importe. [Gros blanc – d’habitude, on fait sans] « Ben oui, en fait j’ai pris un risque… » Rien de tel que d’aborder les sujets sensibles au mauvais moment pour se retourner les tripes. Et c’est chiant de voir que dans les relations lesbiennes ça reste encore super compliqué d’introduire le latex en dehors des règles, quand on sait les risques de transmission démultipliés : manque d’infos ou infos erronées en matière de prévention et RDR, matos onéreux, manque d’études épidémiologiques, manque de représentations sexy aussi des pratiques safer…
3)Dans la série des trucs que j’essaye de faire pour vivre de manière pas trop débile mes relations, pour assumer la responsabilité des choix que je fais en matière de rapports avec les gens, il y a le fait de créer un cadre réflexif, en solo (petit cahier, sacré cahier…), en binômes de conversation avec des genTEs avec qui je sais pouvoir avancer sur ces sujets, et dans des groupes avec lesquels c’est le cas aussi, quand l’occasion peut s’en présenter. Mais je n’aime pas quand c’est abordé de manière désinvolte, par-dessus la jambe, comme un sujet de peu d’importance. Pour moi, ça compte. Quand je parle de personnes avec lesquelles c’est possible de construire un regard intéressant sur les pratiques qu’on a, ça passe par le fait de ne pas avoir des modes de faire et des manières de parler de nos modes de faire qui écrasent ceux des autres bien sûr, mais ça passe aussi par le fait de partager certaines exigences. Certaines exigences dans la réflexion, des manières de ne pas se laisser aller à dépolitiser complètement des rapports au motif qu’on serait dans de l’interindividuel et ne pas oublier, notamment, qu’on peut considérer les tissus relationnels comme des espaces type marché où s’échangent des biens et où certain_es en capitalisent au départ plus que d’autres, et où les plus privilégié_es voient croître plus sensiblement leurs capitaux que les autres. Je crois que la capacité à entrer en relation avec d’autres est une compétence inégalement répartie entre les personnes et que cette inégale répartition procède d’autres agencements de répartition de biens, plus ou moins différents suivants les espaces et ce qui s’y trouve valorisé (normes de corps, capitaux culturels, économiques, sociaux, etc.). J’ai l’impression que penser dans les termes de la multiplicité la question de la fabrication des conforts affectifs sans penser nos différences par rapport au cadre du « marché » en vigueur risquerait de nous faire retomber assez rapidement sur des positions libérales. C’est pour ça que j’ai essayé d’insister un peu dans ce texte sur la notion de responsabilité et d’engagement ; pour moi, relationner avec différentes personnes, ce n’est pas comme manger un jour à une cantine et puis un jour dans une autre. Il me semble que d’un certain côté, ça demande encore plus de rigueur et de faire preuve de plus d’exigence envers soi-même et les autres que les relations exclusives (pour ce que j’en ai testé). Aujourd’hui, je crois fondamentalement que ça en vaut la peine, qu’une part de ma liberté peut se concocter avec ce genre d’ingrédients là : rigueur et honnêteté devant soi-même et les autres, principe de réalité, assurance dans/connaissance de sa puissance et confiance en celle des autres, inventivité, … A agrémenter d’oignons ou d’échalotes suivant les jours, éventuellement d’une goutte de Tabasco.
MOKA
...
Il y a les personnes
avec qui j’habite
les ami-e-s – celles qui vivent proche de moi et celles qui vivent plus loin.
Les nouvel-le-s ami-e-s, les plus ancien-ne-s
Certaines personnes que je connais qui me connaissent depuis plus ou moins longtemps.
Des repères sur la carte.
ma famille
Le milieu. Faire parti d’un milieu, un peu beaucoup passionnément à la folie
- J’allais oublier les amantes – les amoureuses ...
Les gens avec qui j’aime parler
Qui me touchent, au sens propre ou figuré
celleux avec qui j’aime jouer, danser, construire des murs ou en démolir
celles qui savent avec leur tendresse et leur attention, parfois, me faire poser les armes.
Avec qui j’ai des rapports d’entraide affective et/ou matérielle
Avec qui je partage des « bases politiques », des rêves, des utopies
Avec qui j’aimerais bien vieillir
Tracer une carte pour se repérer dans ce paysage. Une carte mouvante – où pourraient apparaître des émotions, des états physiques, des pensées, des points d’interrogation et des changements de direction.
Une carte avec diaporama où défilent des visages, des paysages, des photos noir et blanc, des moments de solitude, des photos de groupe, des photos de vacances
1ère diapo (je fais les commentaires)
C’est de la mousse verte et tendre, photographiée de prés. Ça donne envie de s’allonger et de s’enfoncer dans le vert de la mousse.
Ça à l’air doux
Des heures de discussion – des après midi au soleil, des invitations, des litres d’eau chaude, à deux, à trois, à ... 4,5,6.
On se raconte nos histoires – de plus en plus – parce qu’on veut écrire pour la brochure, ça nous fait une bonne raison.
Au fait et nous c’est quoi qu’on vit ensemble ? J’crois que je vis une relation fusionnelle avec mon collectif d’habitation. C’est merdique ce truc exclusivité versus non-exclusivité. En fait vous vous connaissez depuis longtemps ?
Tu m’as dit que toi, une question que tu te posais, c’est « c’est quoi être amoureu-se-x ».
D’abord j’ai pensé que ça ne m’intéresse pas, c’est pas à ça que j’ai envie de réfléchir parce que ... ça me saoule ce truc. On en fait des caisses avec ça et on prend tellement moins souvent le temps de parler, de définir, de construire les autres formes de relations.
Et puis on a discuté à 2,3,4,5, ...
Alors plus tard l’histoire que j’avais envie de raconter s’est transformée. _ Parce que ça m’arrive d’être amoureuse même si je cherche toujours d’autres mots, parce que je ne fais pas confiance à celui ci.
L’histoire (qui change selon la perspective, comme la géographie) c’est que – peut être- j’ai un peu moins peur d’être amoureuse – peut être -
Il y a trois ans je suis tombée amoureuse pour la première fois d’une ... zut !, elle aime pas se définir, ... d’une personne.
Avant j’avais été « amoureuse » de types. Ca me paraît si loin et si incroyable, mais bon à l’époque ça m’arrivait d’appeler ça être amoureuse ... Ca me fait des frissons pas agréables d’y penser. J’avais quand même trouvé une petite stratégie de survie, c’était de faire surtout des histoires avec des mecs qui habitaient très loin de chez moi.
J’ai de gros à priori sur l’amour, parce que quand on entend partout tout le temps rimer amour avec hétérosexualité, exclusivité, couple, fusion, souffrance, aboutissement ... ça finit par foutre la gerbe. Et parce que je me suis faite avoir un bon moment, alors je sais que la propagande elle marche salement bien et que tout ça fait du dégât.
J’ai eu peur – je continue à avoir peur – mais un peu moins parce que j’ai découvert que je pouvais être amoureuse d’une amie, d’une alliée.
Alors je peux laisser entrer la personne un peu plus loin que le fond de mon vagin.
J’ai appris que c’est possible d’être si proche sans se faire mal.
Je l’ai pas apprit que en tombant amoureuse de cette ... « personne ».
A la même période j’ai rencontré d’autres personnes avec qui on a tissé quelque chose qui s’appelle de l’amitié mais qui est différent de ce à quoi je donnais le même nom quelques années avant, qui ressemble beaucoup à tomber amoureuse en fait.
Ca me plait de plus en plus de laisser s’approcher, et même d’inviter des personnes à s’approcher. Plus ou moins prés, plutôt doucement. Ca reste pas facile.
Diapo suivante -
Celle ci est flou – Des gens dans une cage d’escalier en train de pousser ou de tirer un truc qui à l’air lourd. La photo est prise du dessus.
C’est un coffre fort.
Je vis « en collectif » depuis 4 ans. Avant j’ai déjà vécu avec des gens et aussi seule. Ce que ça veut dire pour moi habiter en collectif, c’est habiter avec des gens avec qui je partage une vision critique de la famille et de l’individualisme ambiant et avec qui on essaye de construire quelques choses d’autre.
...
4 ans c’est pas énorme. C’est un début. Ce qu’on construit d’autre c’est en construction.
Les individu-e-s prennent soin du collectif qui prend soin des individu-e-s ... ?
Autogestion ...
Manger ensemble
La troisième diapo c’est un immeuble qui penche au milieu de nul part. Peut être un rescapé d’une zone indus ou d’une autoroute. Prise un jour où il fait gris.
Est-ce que t’as peur de tout lâcher des fois ?
S’écraser de tout son poids ... Parce que ... Ouvrir un peu plus que d’habitude, se laisser approcher d’un peu plus prés ... Laisser voir les blessures, les cicatrices. Et si tu me lâches maintenant, si tu trouves ça moche ou juste pas intéressant ce que j’dis.
Si les mots veulent pas dire la même chose pour toi, si on s’est mal comprises.
Petit vertige - perte d’équilibre – je penche – je joue avec ma peur du vide – et puis je ne joue plus – j’ai peur.
Quel poids je met ? Jusqu’à quand je choisis ? Quel poids tu donnes, tu reçois ? Jusqu’à quand ?
Est-ce que je sais encore rouler sur le côté pour amortir la chute et utiliser l’élan pour repartir et continuer à jouer ... ou m’enfuir ... ou dire stop les règles du jeu me vont pas ... Est-ce que t’es OK pour jouer avec d’autres règles ?
C’est quoi ma force, mon autonomie quand je suis toute seule ? Combien il y a de personnes autour de moi pour ... me rattraper si ça lâche ? Et des endroits ? Des lieux où c’est possible d’atterrir, même en miette ?
C’est solide comment ce que je construis ?
Est-ce que ça tient toujours si un moment je lâche, parce que c’est fatigant, décourageant, parce qu’on prend des claques, parce que c’est pas toujours évident de trouver un sens à tout ça et de continuer à lutter, de savoir comment lutter, contre la grosse machine coloniohétéropatriarcapitaliste, à l’extérieur comme à l’intérieur ?
Est-ce que ça tient toujours si on emprunte pas les mêmes chemins ?
Et moi comment je suis disponible, avec quoi je peux aider celles et ceux qui sont broyé-e-s par la machine ? Ou juste fatigué-e-s ? Mes potes et les autres.
Une autre image – c’est un dessin d’enfant au crayon de couleur
J’ai une amie qui est ... très belle. Un tourbillon. Quelqu’une qui vit ses émotions et ses envies très fort, qui rayonne. Parfois de la voir exister si fort, ça me fait mal. On dirait qu’elle n’a jamais été quittée par personne.
Ca vient appuyer sur une très vieille blessure. Ma maman qui ne rentre pas, ne rentrera pas.
Les années qui ont suivi je n’ai plus fait confiance à personne – sauf à mon frère, sauf qu’il est vite devenu un garçon qui ne parle pas. Mais quand même mon frère.
Des années de silence.
Le Cézalier* ... A perte de vue de l’inhabité.
Essayer de se construire sur un désert.
J’étais persuadé qu’il fallait que je me construise toute seule. Faire confiance c’était prendre le risque d’avoir mal.
J’ai malgré tout croisé, rencontré, vécu avec des gens dans ce désert. _ Mais je m’efforçais de maintenir une distance, de ne pas m’appuyer sur les personnes, de ne pas donner ma confiance trop fort. Quand ça arrivait que des personnes soient proches de moi, ça me paniquait pas mal. Je savais pas exprimer ce que je ressentais, ce que je désirais et personne autour de moi savait très bien faire non plus.
Ca a donné des incompréhensions, des blessures, plus tard des ruptures difficiles.
Ca m’a construite quand même. Un peu de traviole, comme l’immeuble qui penche de l’autre photo.
...
Il n’y a pas d’image, la diapo a sauté. C’est un grand carré blanc sur fond du mur un peu crado sur lequel je projette ces images. Ca laisse juste le temps à une question de traverser la tête :
Est-ce que le désir à quelque chose à voir avec les conforts affectifs ? Est-ce que le désir peut être confortable ? Et son absence ?
La projection reprend et j’ai gardé le plus beau pour la fin. Une série de photo. Des visages, des photos prises joue contre joue en tenant l’appareil photo nous même, deux personnes qui parle dans le coin d’un salon, des grimaces, des gens qui rient autour d’une bonne femme de neige, une photo de la manif de nuit de la semaine dernière, l’ouverture d’un lieu collectif, ...
J’ai vécu plusieurs années avec beaucoup de solitude.
Aujourd’hui je me sens beaucoup moins seule.
Je sais que le fait d’être entouré-e dépend pas mal de privilèges. Par exemple j’ai accès à de la tendresse et à du sexe assez facilement parce que je correspond pas trop mal aux normes de beauté, que je suis pas trop vieille. J’ai assez d’argent pour construire des relations sans m’inquiéter d’un rapport de dépendance matérielle qui pourrait exister en ma défaveur. Ma validité me permet de participer à des travaux valorisants dans des contextes collectifs, ne pas bosser me rend plus disponible pour rencontrer des personnes, passer du temps avec elles ...
J’ai envie de me poser la question des privilèges que je partage ou pas avec les personnes qui m’entourent. Et d’essayer de construire avec ça.
Il reste encore une image finalement. Elle était coincée dans les rails du projecteurs diapo.
C’est une autoroute un jour de grande affluence, l’été. Sur la bande d’arrêt d’urgence une vilaine fumée blanche s’échappe du capot d’une caisse pourrie.
Pour les nuits passées dans une station service ou dans la gare d’une ville pérave.
Pour les réveils à 5 heures du mat avec une boule dans le ventre.
Parce que parfois tout autour va trop vite.
Et pour le jour qui finit par se lever et le goût du café de station service offert par l’employé qui commence sa journée de taf.
Un Lama Indolent
avril 2012
LES ÉCHAUFFADAGES AFFECTIFS
Cet écrit fait référence à moi et mon entourage affectif. Je me suis permis de généraliser et parler de “nous”, c’est claire que ça c’est mon point de vue personel, et que d’ autres, en partant du même entourage, l’auraient exprimée ou resentie d’une autre façon.
…comme entourage affectif, je sens qu’on a construit un “échafaudage affectif” entre pottes, qui sont sûrtout des copines de lutte, féministe sûrtout, (mais pas uniquement). Comme depuis la lutte féministe il y a un questionement des models rélationels, et on prend le personel comme une partie du travaill politique à faire, je sens que, dans une certaine mesure, on est moins individualistes que d’ autres, depuis des années de travaill en collectif et de vie comune.
…Mais je ne peux pas oublier non plus le fait que dans les moments difficiles, (des maladies, des crises), il y a une différence substancielle entre nous par rapport à si on peut compter sur le support de la famille et/ou du couple ou pas ; parce que ce sont des structures fort enracinées en nous, qui s’activent presque automatiquement aux moments de difficultés. D’un côté, celles d’entre nous qui avons le “matelas familial”, au niveau emotionel et au niveau economique (bien que ça nous fait chier parfois), et d’autre côté, la différence de statut qu’ a le couple par rapport à d’ autres amitiés, et que dans une certaine mesure c’est un privilege qu’ on a ou pas, et qui affecte les autres. (Par exemple, dans des époques ou, dans un groupe de pottes, il y en a beaucoup en couple, ça affecte celles qui ne sont pas en couple, car celles qui sont en couples vont organiser leur temps vachement autour de ça, et vont être absorbées par le couple…..)
D’un autre côté parfois, en partant du discours politique, nous nous refusons à vivre des trucs qu’on a envie de vivre (par exemple, être en couple)…
…Autour de moi je sens que l’”échafaudage” des amies marche, pour :
-donner et recevoir de l’affection.
-avoir differents repères affectifs avec lesquels partager nos peurs, nos doutes, nos conflits, nos joies, nos illusions, nos projets…
-nous donner du support et prendre soin de nous, dans les bons et dans les moments plus durs.
-agrandir notre estime de soi.
Mais je trouve que ça arrive aussi :
-parfois on prend pas soin de nos pottes (on n’est pas toujours conscientes ou on ne tiens pas en compte des nécessités des autres).
-parfois on voudrait que le collectif se rende compte de questions dont on doit se rendre compte nous même ; de cette façon, on se de-responsabilise de nos travails personels.
-À des moments on réalise que ça ne marche pas de la même façon avec tous/tes, qu’on ne ressens pas la même chose par tous/tes et on n’est pas disposées à donner le même par tous/tes. D’un coté c’est logique, mais ça aussi permet d’entrevoir les rapports de pouvoir dans un groupe, qui se trouve plus au milieu, et qui plus dans la péripherie.
À mon avis, il nous manque aussi de travailler en profondeur sur la classe sociale, sur la reconnaisance des differences de classe et de ressources entre nous ; il nous manque une recherche collective pour travailler cela, pour collectiviser plus les ressources et les precarités, pour inventer des formules d’economie collective. C’est une thématique complexe, mais si nous ne l’abordons pas, la classe sociale reste intacte. Si on prend seulement en compte notre situation economique actuelle, on ne voit pas la difference d’opportunitées qu’on a eu chacunNE, et comment ça nous configure (nos habiletés, nos peurs, nos attitudes…), et on ne voit non plus la difference entre quel futur on aurra, en fonction de la classe sociale à laquelle on appartient. Si on travaille pas sur ça, on réproduit exactement ce qui existe. Se faire conscientes de ça, et vaincre la peur de parler ouvertement de ça c’est un pas necessaire, mais ce n’est pas le seul ; il faut aussi chercher des propositions et essayer des formules pour lutter ensemble contre ça.
…Ça me fait du bien quand on parle avec sincerité de ce qu’on ressent, et pas de ce qu’on devrait ressentir, faire ou être, mais de la réconnaisance de notre realité concrete, tout en prenant soin de nous pendant les procesus de prise de conscience et de changement. Ça me fait du bien quand je vois là ou je voudrais arriver comme un horizon : c’est important de l’avoir à vue, mais c’est aussi important de reconnaitre à quelle distance j’en suis.
…Ça me fait du mal d’éviter le conflit et de chercher toujours à concilier des positions opposées.
…Ça me fait du bien quand je peux être qui je suis, me montrer comme je suis, sans (presque) aucun masque ; quand il y a une fluiditée dans la communication, et quand on peut parler franchement de nos misères affectives.
…Je me sens en stabilité affective quand je vois que les relations durent dans le temps, qu’on construit des bases solides avec les pottes.
Aussi avec les personnes avec lesquelles à un moment on a partagé une relation sexe-affective (des couples ou des amantes), je sens de la stabilité et de la securité quand on est capables de changer le format (même s’il y a des moments de distance necessaire), sans avoir des ruptures abruptes.
…Mais pour que les liens s’inscrivent dans la durée, ça depend beaucoup des changements et des choix qu’on fait dans la vie. Parfois je trouve difficile de respecter les changements des autres, sans les juger, et au même temps d’être capable de communiquer aux autres que certains changements me font m’èloigner d’elles/eux. Parfois il a eu un éloignement avec des pottes parce que je n’ai été pas capable de communiquer ce qui me gêne/ me fait m’éloigner / ce avec quoi je ne suis pas d’accord.
Parfois je trouve aussi difficile de respecter nos propres changements...
…J’aimerais bien qu’on soit vigilantes avec la possibilité de finir par nous convertir en ce qu’on critique durement ; qu’on soit capables de parler avec sincerité de ça.
...En tout cas, malgré les peurs, les doutes, les alertes nécessaires, j’ai une sort de confiance spontanée en nous, en ce qu’on construit ensemble, en vers ou on y va ; d’un côté par un optimisme indispensable pour survivre dans ce monde pourri, mais aussi parce que je crois en notre échauffadage affectif, comment il a été jusque là, et quelles rêves on essaie de mettre en place pour le présent et l’avenir.
Anú
[1] LQR = lingua quintae republica, autrement dit la novlangue qui nous est contemporaine, celle de la cinquième république. C’est Eric Hazan qui la nomme ainsi dans LQR, la propagande du quotidien, un petit bouquin aux éditions Raisons d’agir, paru 2006.
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