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Confort affectif, amours pluriels et enjeux politiques

mis en ligne le 15 mars 2024 - Cha

Queer rurale dégenré.e et dégénéré.e, handi blanche misandre, c’est à coup de larmes, de rage et d’insomnies que j’ai creusé l’espace nécessaire à mes premières joies.
Amimoureuse au cœur éclaté, jardinière d’émotions au besoin brulant d’autonomie et d’espaces créatifs tendres.
Chenille testostéronée en lutte perpétuelle et en crise de foi existentielle.
Sans solution si ce n’est que l’amour vive et que tout brûle.
CHA.

J’ai eu envie d’écrire un zine sur le confort affectif parce que ma vie a été chamboulée par des tas de questionnements sur le sujet et je trouve peu de personnes pour en parler vraiment même si je vois bien que cela touche tout le monde.

J’avais envie d’écrire ce que j’aurais bien aimé lire. Comment réinvente-on les relations, l’amour ? Comment peut-on lutter contre le capitalisme et le patriarcat dans notre intimité ? Pourquoi l’intime c’est politique ? Pourquoi notre confort affectif reste-il une question centrale dans une société qui s’effondre ?

Ceci n’est pas un manuel, ni une recette de comment vivre le parfait amour. Si je critique certaines formes relationnelles cela n’est ni un jugement de valeurs ni un jugement moral.
C’est humblement que je propose ici mon témoignage et mon expérience pour celle.eux qui pourraient se sentir inspiré et moins seul.e dans leurs questionnements. Mon expérience étant elle-même inspirée par d’autres expériences. Cela n’est que mon point de vue de privilégiée, meuf cis blanche née en France, pas trop loin des normes de beauté et pas trop vieille. Au RSA mais sans enfant et avec du temps disponible pour réfléchir et faire des rencontres.

Je suis consciente que l’amour et la sexualité n’est pas accessible à toustes dans une société patriarcale ou le fascisme est fleurissant, qui reconnaît la supériorité de certains individus et oppressent les handis, les gros.ses, les agé.es, et toutes les personnes ne correspondant pas aux normes de beauté. Dans une telle société l’amour au pluriel est un privilège.

Il y a cette idée bien encrée chez nous que l’amour (romantique mais pas que) serait une chose incontrôlable qui nous emporte, nous passionne, nous déchire.

L’idée que l’amour serait un sentiment, un frisson de l’attraction et qu’il « nous tombe dessus » sans qu’on ne puisse rien y faire, ni le provoquer, ni le rejeter est largement répandue et racontée dans la majorité des films, livres et chansons romantiques du 21e siècles.

Cette idée néfaste n’a cessé de faire des dégâts dans nos relations, quel que soit notre classe sociale, notre âge ou même notre orientation sexuelle. Les pires comportements, les insultes, les hurlements de colère, les violences physique, mentales et/ou sexuelles sont perpétrés contre l’être aimé.e au nom de ce même amour. Soi-disant l’amour rendrait aveugle et nous ferait perdre toute lucidité laissant place à la violence sans qu’on n’en soit rationnellement responsable.

Les parents « corrigent » leurs enfants pour leurs apprendre « le bien » opposé au mal. Les adultes se hurlent dessus, se menacent, se frappent et parfois s’entretuent par jalousie et parce qu’il « l’aimait trop ».

J’adore la définition de l’amour de bell hooks.
« L’amour c’est ce qu’on fait. L’amour est un acte de volonté, c’est-à-dire désir et action, conjointement. Et la volonté implique aussi un choix. On n’est pas obligé d’aimé, on le décide. L’amour implique plusieurs ingrédients : soins, affection, reconnaissance, respect, engagement et confiance ainsi qu’une communication honnête et ouverte. Dans l’amour, la maltraitance et la violence n’ont pas de place. »

J’ai commencé à me demander pour combien de mes relations actuelles et passées cette définition faisaient-elle écho. C’est assez effrayant de se rendre compte à quel point on ne sait pas aimer et à quel point on n’a peu reçu d’amour dans sa vie. Ma première grande avancée a été de reconnaitre et d’accepter le fait que j’avais reçu très peu d’amour en tant qu’enfant au sein de ma propre famille. Très jeune même si l’on me montrait des marques d’affection j’avais été abusé et maltraité et cela m’avait brisé. Je me rappelle de ce mélange de morve et de larmes, de cette enfance passée à chialer de douleur du manque d’affection.

En grandissant j’étais restée dans le cercle infernale des relations affectives toxiques, confondant la violence et l’amour. Dès l’âge de 13 ans, violée, étranglée, tabassée, menacée, insultée par les divers amoureux sensés m’apporter amour et sécurité.
Aujourd’hui en tant qu’adulte, j’ai découvert la possibilité de créer mes propres relations sur un autre standard que celui auquel j’avais été biberonné, sortir des relations amoureuses cis-hétéro normées (excellant terreau pour la violence patriarcale) et d’explorer mes propres chemins de relations affectives en croisant la route d’autres aventurier.es de l’amour.

L’amour amoureux est le modèle relationnel le plus valorisé socialement. Et je parle de ce modèle comme de tout un système culturel de valeurs et de croyances, qui considère que le couple doit être la cellule de base de toute organisation sociale. Le couple bien évidement hétéro, puis la famille. Si je prends ce point de départ dans mon récit, c’est que j’ai l’impression que toutes les difficultés que j’ai pu rencontrer dans ma vie affective, et tout ce que j’ai cherché à déconstruire par la suite, trouvent leurs racines dans ce système.
Toni Morrison décrivait l’amour romantique comme l’une des « idées les plus destructrices de l’histoire de la pensée humaine ». Je suis bien d’accord. En tant que femme cis j’ai grandi avec l’idée que ma plus grande réussite serait de trouver le grand amour et d’en prendre soin pour le reste de ma vie. Autant vous dire que le sacrifice n’en vaut pas la chandelle.

J’ai fait l’expérience du mariage hétéro et notre divorce a été la meilleure chose qui me soit arrivé.

A 19 ans j’ai quitté ma région natale et je suis partie vivre avec des ami.es que je ne connaissais que depuis peu. J’ai squatté un peu partout des maisons ou on m’accueillait avec joie sans jamais me demander quoi que ce soit en retour. J’y ai rencontré S. et sa famille.

Avant iel, je n’avais jamais connu le confort affectif.
Le confort affectif pour moi c’est cet endroit dans le cœur d’une personne où tu te sens à l’abri, joyeux ou triste, bruyant ou silencieux mais toujours safe. C’est tomber le masque, être nu.e et ne pas avoir peur. C’est une main, une voix à laquelle se raccrocher quand la vie c’est vraiment de la merde. Bref S. c’est mon ami.e, il n’y a jamais eu de partage de sexualité entre nous et pourtant iel a bien élevé le niveau de mes misérables histoires d’amour. Me concernant, iel est sans aucun doute ce qui se rapproche le plus d’une âme-sœur. J’ai rencontré quelques personnes comme ça les années qui ont suivi et quel bonheur ces personnes m’ont apporté.

J’ai navigué de nombreuses années entre des relations amoureuses nullissimes, insatisfaisantes sur tous les plans et de grandes histoires d’amitiés profondes, joyeuses et épanouissantes. Malgré la médiocrité de mes relations amoureuses avec des hommes cis je n’arrivais pas à me détacher de l’idée qu’il me fallait à tout prix en trouver un à placer tout là-haut sur le trône de ma vie. J’étais comme programmée pour ça. Ce modèle bien ancré m’aura volé de belles années de joies avec mes ami.es, mes véritables amours.

Peut-être que l’on devrait faire des pactes entre copaines pour se rappeler que le regard d’amour que nous portons les un.es sur les autres et tout aussi important que le regard de n’importe quel.le amoureux.reuse, amant.e et que nous pouvons nous en nourrir.

Alors qu’aujourd’hui on continue de me répéter que je n’ai pas encore rencontré « la bonne personne » ou surtout le bon garçon, (vous savez celui qui rendra mon existence si douce et confortable) je m’attaque avec véhémence à cette injonction qui me laisse entendre que d’être célibataire c’est être incomplet.e et seul.e et que la violence masculine n’appartient qu’à quelques individus isolés et non à un problème global et systémique.

Je me suis interrogée sur le fait de relationner avec des hommes cis, en dehors du risque évident de violence, il y a la dimension de « service affectif » (écoute et prise en charge affective) typiquement assigné aux personnes sexisées dont les hommes cis profitent trop souvent. Aujourd’hui je ne peux plus relationner avec l’un d’entre eux s’il ne se questionne pas, s’il n’est pas à l’écoute et s’il n’a pas la capacité de prendre soin et d’être attentif. Autant dire qu’ils sont peu nombreux dans mon cercle affectif.

En fréquentant le milieu anar et féministe queer, j’ai rencontré des personnes aux vécus souvent similaires au mien en lutte contre le patriarcat et j’ai découvert combien nos intimités, nos récits personnelles et collectifs étaient politiques. Combien nos relations affectives étaient politiques. C’est en regardant en face ma misandrie que j’ai découvert mon amour profond pour les personnes sexisées et les queeros. Que je me suis découverte moi - Queer et oh combien je m’aime comme ça. Je nous aime nous, les queers, les étranges, les handi, les moches, les gros.ses, les traumatisé.es, les révolté.es…
J’ai rencontré des sœurs et des adelphes et en bande je me suis sentie si bien, si forte.

Quand on se veut anar et qu’on lutte contre les systèmes d’oppression, de dépendance, d’aliénation et de hiérarchie il est difficile de ne pas se sentir intriguée par la non exclusivité.

Pour moi tout miser sur une seul.e personne pour répondre à mes besoins affectifs et sexuelles c’est un très gros risque. Les attentes deviennent des dû, demandées à coup de pressions et de reproches. A croire que les situations amoureuses provoquent de grands élans d’égoïsme qui nous feraient préférer notre confort personnel au bien-être des autres. C’est aussi demander à une seule personne ce que moi-même je ne saurai donner entièrement. C’est appliquer la jalousie comme système de régulation. C’est s’enfermer soi et l’autre dans des rôles très étroits. C’est oublier ce que c’est que l’amour.

Alors oui je sais, j’ai l’air de dire que c’est simple de choisir de vivre des relations libres et décentré des relations amoureuses mais non ça ne l’est pas. En tout cas pas pour moi et je n’ai croisé personne à ce jour me prouvant le contraire. C’est épanouissant et libérateur mais ça demande un grand travail de connaissance de soi et d’attention aux autres. J’ai beau être anar et féministe, je suis aussi une meuf polytraumatisée qui se traine un TSPT avec une hypervigilance à outrance. Bref dans mes relations, mes insécurités dues à mes traumas ne sont jamais loin et je passe beaucoup de temps à questionner mes émotions, reconnaitre mes besoins sous-jacents pour pouvoir y répondre avec un maximum d’autonomie et ne pas faire peser sur les autres des attentes trop lourdes.

Parfois je me sens comme une boule d’émotions, je me sens nulle et j’ai juste envie de m’éloigner de tout le monde avant que quelqu’un.e ne s’éloigne de moi.
Et si je n’en tiens pas compte, de toutes ces sensations et ces émotions qui me traversent, si je passe par-dessus à coup de rationalités fort pertinentes politiquement parlant, ça revient toujours en douce par derrière, comme un retour de flamme.

Quand j’ai rencontré T. il y a quelque temps, je ne m’attendais pas à l’impact qu’iel aurait sur ma vie. En soi nous ne sommes pas les personnes les plus compatibles. Iel a un profil d’attachement évitant où la moindre projections ou responsabilité la fait flipper et s’éloigner, c’est la personne la moins organisée que je connaisse et iel est très spontané.e. Pour ma part, j’ai un profil d’attachement anxieux, je me sens profondément et viscéralement en insécurité dans l’amour, même lorsqu’il n’y a rien à craindre, je suis constamment sur mes gardes d’une crainte d’une trahison ou d’un abandon, j’ai besoin d’un minimum de cadre, de créer un lien sécure, de reconnaissance dans la relation, de prévoir des dates à l’avance pour se voir, d’organiser, de verbaliser ma peur et ma détresse, de créer des souvenirs et une culture en commun, ça me rassure et me sécurise. Et bien que nos deux fonctionnements soient opposés et puissent même être des triggers l’un.e pour l’autre, pour le moment T. et moi nous nous sommes choisi.es. Nous avons chacun.e de notre côté choisi d’être en relation l’un.e avec l’autre et peut-être ainsi, de nous aimer. C’est une personne merveilleuse qui m’inspire et pour qui j’ai beaucoup d’estime.

Quand iel m’a parlé de son envie de relationner de manière libre et déhiérarchisée, nous n’étions pas en couple mais j’ai d’abord flippé. Cette conversation a rallumé des tas d’insécurités, la principale étant ma peur viscérale de ne pas être reconnue. De ne pas exister et d’être aimée en tant qu’individue à part entière et unique, d’être remplaçable, d’être une parmi tant d’autres et que d’autres relations viendraient amoindrir l’intensité de ce que nous partageons.

Ma première réaction a été de me dire qu’il fallait qu’on se sépare, que nous n’y arriverions pas.

Mais c’était enfaite une parfaite opportunité pour moi d’évoluer et d’en apprendre plus sur moi-même. Cela me demande beaucoup d’énergie, de travail sur moi d’accepter de regarder en face mes insécurités, mes traumas et de me rendre vulnérable. Cela me demande aussi de faire preuve de beaucoup de compassion et d’amour envers moi-même pour ne pas culpabiliser de ressentir tout ce qui me traverse, comme la jalousie. Oui cette société m’a appris à moi (et à nous toustes) que ma valeur et ma dignité sont intrinsèquement liées à ma désirabilité, que les personnes féminines sont des biens de consommation et que nous sommes donc en compétition les unes avec les autres. Bref, avancer c’est commencé par reconnaitre que je pars de là (jalousie, sentiment d’abandon, manque de confiance en moi, besoin de reconnaissance…) et que je suis une toute petite chose sur le plan affectif.

J’en ai bien sur beaucoup parlé à ma psy. Je pense que c’est important de se faire accompagner surtout quand les émotions deviennent trop intenses. Il y a encore parfois des moments, le temps de quelques minutes où je voudrais me retrouver de nouveau dans le confort d’une relation exclusive, que l’on me dise que l’on m’aime moi et seulement moi puis je me rappelle à quel point le couple et l’exclusivité n’ont rien de confortable, que le risque est immense, la sécurité une illusion, ma liberté et ma créativité bien trop précieuses.

Une relation quelle qu’elle soit cela demande beaucoup de soins à soi et à l’autre, de savoir reconnaitre ses propres besoins et ses limites, de les partager, de communiquer calmement et de savoir écouter. De pouvoir se mettre à la place de l’autre et de trouver des compromis qui permettent aux deux de grandir et de donner de leur personne et non de se sacrifier.

Par exemple, j’ai besoin de savoir quelles personnes sont importante dans la vie de mes amimours. Je veux savoir pour mieux les comprendre, les laisser vivre ce qu’iels ont à vivre et ne pas me raconter des histoires, pour ne jamais tomber de trop haut et vérifier que je peux ce que je veux. Je ne veux pas non plus tout savoir pour pouvoir vivre ce que j’ai à vivre de mon côté sans être polluée de pensées inutiles et fausses. Ne pas nourrir mes insécurités.

Je sais aussi que je ne me sens pas toujours prête à rencontrer ces autres personnes dans le réel et c’est ok, c’est mes limites et elles méritent d’être respectées.
Avec mes ami.es et amimours, la clé de bonnes relations résides dans une communication ouverte et comme nos besoins, nos limites et nos priorités évoluent cela me parait important de faire des checks up réguliers sur l’état de notre relation, réévaluer nos besoins, clarifier les éventuels malentendus. Je pense que ce type de remise à jour renforce notre complicité et c’est bien plus facile quand je sens que je ne suis pas la seule à faire ce travail émotionnel et à avoir cette attention dans la relation (sinon c’est encore une fois une prise en charge affective qui mène au burn out).

On pourrait croire que les relations libres et déhiérarchisés me protègent du moindre engagement, de créer des liens fort et que cela me permet de cacher mes vulnérabilités mais pour ma part cela me demande encore plus de rigueur, d’exigence et d’honnêteté envers moi-même et les autres que les relations exclusives. Car sans une totale transparence les relations libres n’ont aucune chance de fonctionner.
Je n’aime pas moins qu’avant, j’aime beaucoup et mieux et surtout je ne m’oublie plus.

Avec T. et avec les autres personnes avec qui je relationne chaque moment passé ensemble est un choix. Un choix de s’accorder mutuellement de l’attention, d’en apprendre plus sur l’autre, de partager des bouts de vie sans rien s’imposer. Pour moi la relation libre et anarchique rend chaque moment important et précieux.

Il n’y a pas de recette pour que cela fonctionne. Deux personnes doivent créer leurs propres règles du jeu et quoiqu’il arrive toujours se respecter.

Je créé les miennes avec les personnes que je rencontre. Elles sont différentes dans chaque relation.

Je ne multiplie pas à outrance les rencontres dites amoureuses et je ne cours pas après car le temps et l’énergie sont limités et que je privilégie la qualité des relations plutôt que la quantité. Le but n’étant pas de « consommer » du sexe ou de l’amour. D’ailleurs pour n’importe quelle relation j’essaie toujours de me poser la question, c’est quoi le moteur ? Un réel intérêt pour l’autre ou la nécessité de combler un vide pour me sentir bien ?

J’entends beaucoup que l’amour est une ressource inépuisable mais pour celle.eux d’entre nous qui avons cruellement manqué d’amour dans notre enfance et en tant qu’adulte, l’amour peut être pour nous une ressource rare. Oui je peux aimer plusieurs personnes à la fois mais non je n’aime pas tout le monde et je n’en ai pas envie ni la capacité. Et même si l’amour peut se multiplier, le temps, l’énergie mentale et physique ainsi que les finances sont limités.

J’ai besoin d’interaction sociale mais j’ai aussi besoin de beaucoup de temps calme seule pour ne pas me sentir déborder. C’est un vrai enjeu de savoir s’écouter et de prendre soin de soi. J’ai souvent besoin d’être seule pour exprimer ma créativité dans l’écriture, le dessin et nouvellement la musique.

Au fil du temps et de mes rencontres, j’ai doucement mais surement refusé que mes relations dites amoureuses prennent plus de place que les autres types de relations. La différence relationnelle entre mes ami.es et mes amimours n’est pas bien grande, de l’extérieur il est parfois difficile de dire qui est quoi et tant mieux car cela n’a pas grande importance. Pour moi il n’y a pas d’échelle de valeur à appliquer là-dedans, c’est juste des modes d’interactions différents.

J’ai aussi commencé à supprimer de mon vocabulaire des expressions comme « tomber amoureuse » et plutôt je suis en amour (de multiples personnes de multiples manières pour de multiples raisons). J’ai arrêté de dire « tu me manques » qui pour moi suggère que chaque séparation créerait un état de manque et une dépendance à cette personne, je préfère dire à une personne que j’ai hâte de la voir. Je ne me prive pas de dire « Je t’aime », ça non, et j’adore me l’entendre dire de manière sincère mais je ne réserve pas mes mots d’amour à mes relations dites amoureuses.

Oui je trouve que les mots sont importants. Par exemple pour moi, c’est hyper important de nommer mes relations, de valider mutuellement qu’on se choisit réciproquement, qu’on a des préoccupations communes et des envies de faires des trucs ensemble, de verbaliser qu’on veut être là pour prendre soin de l’autre. Cela m’évite de tout remettre question dans mes moments d’insécurités chroniques. C’est quand même chouette de se dire « j’aime bien être avec toi ». Je suis content.e de te voir. Merci de faire partie de ma vie. Je suis là pour toi si tu as besoin. Tu es important.e pour moi. Je te trouve très courageux.reuse…

En dehors des je t’aime, réinventons le langage de l’amour. C’est chouette, c’est gratuit et cela ne peut que renforcer les liens. Pour une anxieuse, verbaliser c’est valider et donner des contours et des couleurs à un lien existant.
 
Je ne me sens pas polyamoureuse parce qu’encore une fois être amoureuse c’est quoi ? J’aime me dire polyadelphe car j’aime de manière multiples des personnes bien différentes. Il y a iel avec qui j’ai envie de me confier et de confronter mes idées, iel avec qui j’aime dormir et les nuits sont si douce, iel avec qui je pars en rando, iels avec qui je chante, crie, pleure et qui m’accompagnent au tribunal lutter contre les VSS, iels avec qui j’ai envie d’habiter et d’avoir un jardin potager, iel qui sait avec tendresse me faire poser les armes, iel avec qui je partage une dimension affective corporelle, iel qui m’invite à manger une fois par mois avec qui je ris si fort, iel avec qui je fais un peu de tout ça, iel que je vois une fois par an et iel que je vois tous les 3 jours…

Ah et n’oublions pas la place inestimable qu’on les animaux pour beaucoup d’entre nous. Ma boule de poil n’est pas ma propriété mais elle est ma partenaire ride or die. Elle contribue largement à satisfaire mes besoins affectifs, au point qu’elle est parfois le seul être à pouvoir me réconforter dans un moment difficile.

Je crois qu’on peut apprendre à déhiérarchiser ses relations mais en tant qu’être social bien sûr que j’ai mes affinités. Il y a quelques personnes très importantes et proches de moi, avec qui je relationne sexuellement ou non, que j’appelle mon socle. Et il y a des personnes qui m’apportent beaucoup mais plus ponctuellement, sur le court terme et qui restent importantes pour mon confort affectif. Tout cela bien sur ce n’est pas figé dans le temps. Ce tissu relationnel je le perçois plus sous l’angle d’une toile d’araignée que d’une pyramide. Je refuse de faire dans ma tête des listes de préférences. J’aime l’idée qu’une relation soit prioritaire à cause d’un besoin et d’un intérêt mutuel et non d’un statut relationnel. Par exemple, un.e ami.e qui vie un évènement difficile recevra probablement plus d’attention à un moment donné qu’un.e amimour qui se sent bien et qui est occupé.e.

Je ne rêve pas d’une grande maison avec un.e amoureu.se et deux enfants.
Je rêve de faire des raids et des collages en bande organisée pour dénoncer tous les enfoirés qui nous volent nos vies. Je rêve qu’on détruit joyeusement leurs petits mondes d’intouchables. De bombes et de terreurs féministes. Je rêve de grandes déclarations d’amour et d’amitié qui font du bien et n’emprisonnent personne, jamais. Je rêve de sensualité plus que de sexualité. Je rêve de fête queer. De vivre avec des animaux libres. Je veux réinventer ma famille, faire des projets à long terme en bande de tendres canailles, construire une maison, un village. Ce serait (sera ?) une belle revanche sur tout ce que le patriarcat nous a volé.

Je me demande aussi évidemment si mon confort affectif tiendra le coup, existera-il toujours si a un moment je lâche, parce que c’est fatiguant, décourageant, parce qu’on prend des claques, parce que ce n’est pas toujours évident de trouver un sens à tout ça et de continuer à lutter, de savoir comment lutter, contre la grosse machine coloniohétéropatriarcapitaliste. Comment moi je peux aider celle.eux qui sont broyé.es par la machine ? C’est quoi ma force, mon autonomie quand je suis toute seule ? Combien y-a-il de personne autour de moi pour me rattraper si je lâche ? De lieux ou c’est possible d’atterrir même en miette ?
Est-ce que c’est solide ce que je construis affectivement ?

L’avenir environnemental et politique s’annonce très sombre dans les années qui viennent, si nous ne prenons pas soin de nos relations que ce passera il ?

Est-ce que je changerais d’avis plus tard sur tout ça ?
Probablement. Le but ce n’est pas d’avoir raison. Comme Despentes a dit, je ne suis pas du bon côté comme s’il existait quoi que ce soit dans ce capharnaüm qui soit une position juste, une position pure, une position idéale, une position définitive dont on ne bougerait plus…

Est-ce que parfois je manque encore d’affection ? Oui. Ce qui a été le plus difficile pour moi après la séparation avec mon ex, c’est le manque d’affection physique. J’étais comme une toxico en manque.

Bien que tant de choses n’allaient pas dans notre couple, être prise dans les bras et embrassée CHAQUE jour, dormir près d’un corps doux et de bras disponibles, c’était comme arroser le cœur asséché de l’enfant queer que j’avais été et qui avait profondément manqué d’amour familial. Les six mois qui ont suivi son départ j’ai eu besoin que ma chienne dorme avec moi et je me suis réjouie des quelques nuits partagées avec des personnes avec qui j’entretenais des relations platoniques.

Aujourd’hui, dans les moments où ma confiance en moi et mis à mal et la vie un peu trop lourde, je ressens encore le manque de tendresse. Je me demande quand mon être sera-il enfin satisfait.

J’ai toujours peur dans ces moments-là d’appeler un.e ami.e ou amimour pour demander simplement ce câlin qui me ferait du bien… J’ai honte.

Le patriarcat nous fait croire qu’en dehors du cadre bien précis du couple valides conformes aux normes de beauté et de genre, la tendresse ne serait pas pour nous. Par pour nous les déviant.es.

Alors ne pourrions-nous pas réinventer, créer des espaces où nous pourrions mutuellement subvenir à nos besoins de tendresse et d’amour en dehors du couple et des relations sexuelles ? Des collocs queers, des soirées films partagées sous le plaid, des ateliers de massages mutuels ou simplement nous donner la main entre adelphe n’importe où n’importe quand ?

Ne pourrions-nous pas nous exprimer simplement et sans honte, entre nous, avec consentement, quand le besoin de contact ou de mots doux se fait trop pressant, comme nous n’hésitons pas à demander à un.e ami.e de partager un repas, une balade ?

Je n’arriverai pas à conclure ce texte sans exprimer combien d’enjeux sont politiques pour moi quand on me parle d’affectif. Ça prend de la place dans ma tête, du temps et de l’énergie, pas juste d’être en relation avec d’autres mais surtout d’être en réflexion permanente sur comment être en relation sans provoquer de grands éboulements. Prendre soin les un.es des autres et travailler à de nouveaux imaginaires relationnels dont les références culturelles et le vocabulaire approprié manquent cruellement. Je me sens un peu moins dingue quand je rencontre des complices prêt.es à réinventer tout ça collectivement…

Merci à toutes les personnes qui m’ont inspiré par leurs expériences et leurs récits.

Si vous avez des partages et des retours bienveillant à me faire sur le confort affectif n’hésitez pas à m’écrire à cette adresse : nayouta@@@riseup.net

Chaque fois que tu as le courage de faire ce qu’il te convient de faire, ta liberté me contamine. Chaque fois que j’ai le courage de dire ce que j’ai à dire, ma liberté te contamine.
Virginie Despentes

Pas de copyright.



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