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Alors, Extinction Rebellion ?

mis en ligne le 17 octobre 2022 - Tulipe

ALORS, Extinction Rebellion ?

Sommaire

Préambule
Écologie Coloniale
Écologie Classiste
Écologie Validiste
Féminismes, luttes LGBTQ+
Un mouvement adapté à ses privilèges
Massification
Hégémonie des codes
Horizontalité
Organisations virtuelles
La Honte
Manque de recul et d’espace de questionnements
Prendre soin de nos communautés
Conclusion

Préambule

Ces textes n’ont pas pour but de décourager de rejoindre Extinction Rébellion (XR), ni de provoquer de la honte à celleux qui y militent. Nos combats tiennent à touxtes celleux qui y participent. On est déjà trop peu nombreux·ses à essayer, à se donner, pour uniquement se jeter des pierres. Évidemment, des points positifs sont à attribuer au mouvement, mais ces textes ne se penchent pas sur ceux-ci. L’exploration des thèmes qui suivent vise à questionner la place occupée par ses membres au sein de leur propre mouvement et dans le militantisme. Peut-être que la discussion pourra ainsi être ouverte et mener à des évolutions. Certains sujets rejoignent de très près des problèmes qui se posent dans toute la lutte écologiste
(mouvement climat, autonomes etc.).

Alice (XR) : La culpabilisation : bien sûr qu’elle est contre-productive…
dans beaucoup de cas, mais lesquels et pourquoi ? Car la culpabilité est mal placée et qu’ainsi cette culpabilisation sert parfois à désigner des boucs émissaires. Pour autant, devrions-nous censurer la culpabilisation lorsqu’elle cible notre incohérence, hypocrisie, face à notre lutte avec la somme des privilèges dont nous bénéficions, comparé à nos camarades de luttes sociales qui sont dans une position de survie ?

Le terme de culpabilisation n’est peut-être pas le plus pertinent ; toutefois, le droit à s’autocritiquer comme individu et groupe social, collectif, à nous responsabiliser sur l’échelle sur laquelle nous bénéficions de privilèges me semble primordial, bien que cela puisse s’opposer aux fameux principes dominants de la bienveillance. Il ne serait pas bon que nous continuions à nous épargner des discours responsabilisants, par crainte d’échouer dans notre mantra de bienveillance. Les évidences doivent être rappelées, et ainsi, comme un rafraîchissement, ou décentrage sur sa personne et son environnement proche privilégié, nous pourrions enfin avoir un rapport plus honnête avec et dans nos luttes.

Processus :
Ces textes ont émergé à la suite de discussions, ateliers et lectures, durant lesquels beaucoup de travail a été fourni par des minorités. Ils ont tous été écrits et récoltés entre mi-septembre 2021 et fin-novembre 2021, je les ai rangé dans 12 chapitres.
On peut voir ce livre comme un recueil de témoignages, de réflexions et d’analyses. Certaines de celles-ci sont collectives, d’autres très personnelles.

Nos regards sont subjectifs,
ils se posent sur Extinction Rébellion France, concernent souvent les groupes de Paris, et plus particulièrement les membres moteurs et plus “anciens”. Les ressentis et prises de positions internes à chacun de ces textes représentent la vérité de la personne qui parle au moment où elle parle. Par culture de sécurité, tous les noms ont été modifiés.

Choix d’écriture :
Les termes particuliers ou codés sont définis au fur et à mesure du texte.
L’écriture a essayé d’être rendue inclusive en utilisant le point médian (ex : gentil·le)
et d’autres jargons militants tels que :

 ellui pour elle et lui

 celleux pour celles et ceux

 touxtes pour toutes et tous

 iel pour il et elle

 lae pour la et le

 médiateurices, nouvelleaux etc.

Choix de diffusion :
Actuellement, l’idée est d’avoir surtout des versions imprimées plutôt que numériques, une vingtaine d’ouvrages qui seront alors transmis de main à main ou par la poste. Les textes sont en copyleft, vive le photo-copillage !

Pour éclaircir d’où peut venir mon point de vue,
je suis une femme-cisgenre, blanche, de classe moyenne, et valide. Je ne m’exclus pas des critiques qui sont faites.
Lorsque je rencontre XR en octobre 2020, je suis à mes débuts militants.J’ai un fort engagement féministe et je m’intéresse aux causes écologistes et sociales.
À travers ses membres, je découvre XR, sans à prioris, sans avoir lu l’histoire, ni les principes de cette mouvance. Je suis alors moins renfermée sur ce qu’elle prétend
ou voudrait être, et j’y observe simplement ce qui s’y passe. Par un concours de circonstances, je rejoins dès mon arrivée un groupe affinitaire national d’XR, Pour
une Ecologie Populaire Politique et Sociale (PEPPS), dans lequel j’ai toujours gardé un pied. En parallèle de mon groupe local Paris Canal, je travaille avec d’autres
groupes parisiens. On réfléchit à l’inclusivité, à la massification, à l’écoféminisme, au visage à découvert... En fait, je m’organise et relationne majoritairement avec
un groupe affinitaire majeur de Paris qui gravite autour du groupe local de Paris Nord. Je rencontre aussi des XR extérieurs à Paris. Quelques mois plus tard, je
m’aère un peu la tête de XR. La ZAD de Gonesse se monte, on fait un tour à la ZAD du Carnet, je passe du temps dans les squats. Je commence à m’organiser avec
d’autres collectifs en continuant de m’investir chez XR, parfois avec des mandats ou des coordinations d’actions. Fin juin, je ressens enfin très clairement la rupture
idéologique et interpersonnelle avec ce mouvement, qui se préparait depuis des mois. Trop de comportements récurrents ne me permettent pas de m’y sentir à
l’aise. L’été, je reste toujours attachée à mes amitiés chez XR. Entre balades en stop, moments dans différentes zones de lutte, je passe du temps avec elleux en vacances
et sur des actions. Depuis septembre 2021, je redécouvre mon “ancien” groupe local Paris Canal qui devient avec PEPPS, le seul groupe en IDF dans lequel je me sens
inclue et en accord.

Tulipe

1. écologie Coloniale

“La racisation est un processus politique, social et mental d’altérisation. (représenter quelqu’un·e comme “autre”, comme “différent”)
(...) Le terme “racisé” permet de rompre avec ce refus de prendre publiquement au sérieux l’impact social du concept de race, (...) refus qui permet justement de reconduire les discriminations et hiérarchies raciales. ”

la Ligue des Droits et Libertés

Le racisme s’étend bien au-delà d’une insulte à caractère raciste. Il renvoie à toute une structure de la société, dont nos espaces sont aussi le produit. Il sait se réadapter selon les nouvelles normes de chaque groupe. Le racisme, c’est aussi les blanc·hes en non-mixité qui préfèrent s’organiser entre elleux. La construction d’un milieu de lutte en absence presque totale de personnes non-blanches relève d’une exclusion, raciste, même si elle est inconsciente ou n’est pas voulue ainsi. Cette absence est reconnue par presque touxtes les XR que j’ai rencontré·es, qui la qualifient de “problématique”. Ce mot parapluie semble plutôt éviter de nommer et de prendre la responsabilité d’une discrimination.

Souvent, iels disent que c’est pour cela que nous devrions faire de la désobéissance civile à XR : pour touxtes celleux qui sont précaires et souvent racisé·es, qui sont trop occupé·es à travailler, à gérer leurs galères, pour celleux qui à cause de cela, ne sont pas au courant de l’urgence écologique et sociale. Avec nos privilèges, nous devrions donc « le faire pour elleux ». Ce “pour” me gène. La manière dont il est posé est arrogante, et rejoint cette impression que XR est le seul mouvement qui lutte vraiment pour l’écologie par l’action directe, renvoyant les autres à une certaine passivité. Il y a une grande ignorance de toute l’histoire des luttes passées et actuelles, que mènent tous les jours les classes populaires et les victimes du racisme d’État, qui luttent ouvertement mais aussi dans le quotidien face à la répression, invisibilisé·es. Ce discours prend une position de “sauveur blanc” qui préfère déraper vers faire et penser à la place des autres, plutôt que de s’organiser pour inclure des personnes racisées dans le mouvement. Peut-être que certaines minorités ont leur autonomie et force politique. Peut-être qu’iels n’ont pas d’énergie à perdre avec un mouvement dont les participant·es accumulant plein de privilèges monopolisent la place et le pouvoir. Penser que les autres ne sont pas encore capables de lutter, penser qu’il faut le faire en attendant qu’iels nous rejoignent a un caractère très infantilisant, et raciste.

Viens chez moi

Il y a une attente seulement dans un sens : l’attente que des personnes racisées soutiennent XR. Il s’agirait plutôt de donner un soutien à des luttes qui en ont moins, comme des luttes anti-racistes, par le partage de ressources humaines et matérielles. Les convergences se créent à travers des amitiés, des intérêts communs et avant tout, par le fait de s’intéresser aux autres. Durant ou après ce soutien, peut-être que ces personnes auront envie de se joindre au mouvement climat.

Une des questions posées de manière récurrente est « Comment atteindre et convaincre les personnes non-blanches de rejoindre XR pour pallier ce manque de mixité ? ». Déjà, point d’attention autour de l’intention de « ramener des personnes racisées chez XR » comme étant une mission de recrutement pour avoir une espèce de carte de validation du mouvement, qui avec une belle vitrine anti-raciste pourra prétendre être plus légitime par la suite. Les gens ne sont pas des points à s’attribuer quand un groupe ne présente pas de mixité. Si il n’a pas de mixité à ce point, c’est qu’il a de base des dynamiques qui posent problème. C’est être en déni des raisons pour lesquelles des personnes non-blanches préfèrent ne pas se retrouver chez XR. Ce déni ne permet pas de passer les premières étapes d’ouverture du mouvement. A ce jour, l’inclusion des personnes racisées impliquerait qu’iels se conforment aux codes du mouvement dont la majorité écrasante est blanche.

Ce n’est pas la même question.

Cet appel aux minorités à rejoindre le mouvement avant même de s’assurer qu’on ait fait une place plus “safe” est aussi une mise en danger. Les différentes oppressions systémiques sont incomparables, mais parfois leurs mécanismes peuvent être similaires :

Je prends exemple sur la domination que je subis :

Un mec cisgenre (en accord avec son assignation de genre à la naissance) essaie de me convaincre de rejoindre un collectif composé uniquement de mecs cis.

Par ma présence, il se procurera une légitimité dans son propre collectif, c’est-à-dire, une vitrine féministe. Il ne se demande pas pourquoi les non-mecs cis ont quitté son groupe, ni pourquoi aucun·e ne souhaite le rejoindre. Dès lors, je sais que leur absence est possiblement révélatrice d’oppressions qu’iels ont vécu·es, et que je suis susceptible de vivre en rejoignant ce collectif. En l’intégrant, je me doute qu’une énergie énorme me sera demandée pour faire de la pédagogie, en espérant que les membres y soient réceptifs.

Depuis les mouvements contre les violences et les meurtres policiers en 2020, la question du racisme a semblé enfin émerger dans des espaces écolos. Certains d’entre eux, dont des milieux autonomes, voient ce sujet comme étant une discrimination majeure au sein de leur militantisme. Ces milieux peuvent par exemple s’auto-critiquer au sein d’un cadre posé par des personnes racisées. La charge pédagogique devrait revenir avant tout aux groupes oppresseurs et pas reposer sur celleux concerné·es par une oppression. Elle ne devrait pas retomber sur les personnes racisées qui entrent dans le mouvement pour militer pour l’écologie. La pédagogie demande énormément d’énergie au quotidien, et ce travail pour les blanc·hes n’est pas gratuit. Le racisme, c’est un problème de blanc·hes.

2. écologie Classiste

Le classisme est une discrimination fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance à une classe sociale

Classe ou pas classe ?

L’appartenance à une classe sociale dans le militantisme est trompeuse. Lors d’une rencontre, elle ne se voit pas au premier abord. Elle se ressent dans les normes, les modes de pensée, les comportements invasifs ou l’absence de certaines identités sociales (personnes non-blanches, LGBT+, moins valides, de classes sociales moins privilégiées etc.). Inégalités de race et de classe étant étroitement liées, l’absence de personnes racisées chez XR est aussi une exclusion de classe. La plupart des quelques personnes racisées sont de milieux aisés et ont eu accès aux études supérieures.

Beaucoup de luttes sont composées de personnes qui ne luttent pas par choix mais pour leur survie. Elles sont une réaction aux oppressions vécues. Le constat est donc particulier - les mouvements écologistes se trouvent composés en grande partie de personnes peu ou pas victimes d’inégalités.

Jacques (XR) : De très nombreuses personnes dans XR n’ont pas d’expériences militantes antérieures, notamment dans des mouvements sociaux. C’est la "crise" climatique et écologique qui motive leur engagement. La question que cela pose est la suivante : s’il n’y avait pas ce contexte, ces personnes seraient-elles devenues militantes ? Ou auraient-elles continué leurs vies et les rôles sociaux qu’elles poursuivaient jusqu’à présent ? Une question qui se pose au regard de la sociologie d’XR qui est composée majoritairement de classes moyennes et supérieures blanches. Des classes considérablement moins touchées par les réformes sociales et politiques, ou qui en tout cas en subissent moins les effets directs.

Les XR n’ont pas forcément un mode de vie bourgeois, mais les codes qu’iels ont intégrés le sont. Beaucoup d’entre elleux sont au chômage ou au RSA pour militer, ne plus participer au système capitaliste, ou laisser de côté certains avantages. Petit rappel, cette précarité est un choix garantissant toujours les diplômes, les contacts professionnels, le capital culturel, le filet familial, la maison à la campagne, etc. La perte du salaire habituel n’annule pas ces facilités et maintient un rapport d’inégalité avec d’autres. Ces militant·es rentreront et sortiront de la précarité quand iels le voudront. Ce choix, n’est pas à la portée de touxtes. Le déni de nos privilèges nous fait tomber dans l’idée qu’on est « tous dans le même bateau », impliquant que nous devrions touxtes faire les mêmes efforts et donc occuper le même type de rôle dans le militantisme.

Alice (XR) : Alors que nous, mouvements écologistes, dont notre portrait démographique correspond majoritairement aux personnes privilégiées :
"blanches, occidentales, d’études longues ou issues d’écoles techniques, d’ingénieures du monde de demain" nous nous emparons aujourd’hui de luttes sociales par le vecteur ( porte un message ou une info) de l’écologie, que faisons-nous des personnes minorisées et discriminées, luttant bien avant nous ?

Petit rappel sur les luttes sociales. Pour la plupart, à leur racine nous y voyons un combat contre les institutions discriminatoires, exploitantes, oppressives et tout un système patriarcapitaliste et colonial. La source adverse des luttes de justice sociales et de justice climatique est la même : la domination d’une minorité propriétaire et capitaliste, la domination d’un système sociétal discriminant basé sur le patriarcat, l’exploitation et le colonialisme. Ce système défaillant voit aujourd’hui l’émergence de mouvements écologistes, dont les militant·es sont en proportion non négligeable, les individus que ce système auraient le mieux loti·es : les ingénieur·es et élèves issu·es de grandes écoles.

Un lien évident existe entre la présence de ces personnes dans ces mouvements et l’ampleur médiatique qu’ils reçoivent. Les privilèges associés permettent aux personnes influentes, du monde scientifique, artistique et starifié ( vu comme une “star”) d’être relais de ces combats, quand bien même des personnes moins favorisées véhiculent des idées similaires depuis des décennies… avec les luttes sociales. Les mouvements écolos occidentaux reconnaissent d’une part difficilement la primauté des luttes sociales face à la nouveauté des luttes de justice climatique, et d’autre part les effets de leur position dominante sur les premier·es de cordée que sont les militant·es de justice sociale.
Le passage de presque touxtes les XR par des études supérieures reproduit des manières et des visions d’élites. La domination de moyens d’expression, d’une maîtrise de la langue ou de connaissances communes, exclut d’autres classes et origines mais aussi tranches d’âge qui peuvent être en cours d’études. Globalement, il y a aussi le sentiment d’incarner lae civilisé·e, d’avoir un savoir sur comment se tenir et lutter.

Aurélie (XR) : Beaucoup de militant·es d’XR sont des gens très privilégiés, qui ne se rendent pas compte de ça, qui sont dans une position où iels sont dominant·es et pensent que leur façon de voir le monde et leur vécu est universel, qu’iels sont dans le Juste. Beaucoup ont fait des études d’ingénieurs. En tout cas, peu ont fait des études de sciences sociales. Les méthodes qu’iels ont apprises seraient suffisantes pour voir le monde, c’est scientifique, tout est calculé. Les sciences sociales pour elleux, ça n’existe pas. Iels n’arrivent pas à remettre en cause leur cadre de pensée. En plus, ce sont des “primo militant·es” donc souvent sans culture politique - ce qui n’est absolument pas le problème. Mais pas de culture politique + privilège + persuadé d’avoir raison - alors qu’on dit de la merde, ça fait de l’arrogance (incorrigible). C’est des conversations politiques impossibles. Si on les contredit, c’est pas juste qu’on n’est pas d’accord. C’est « moi je suis XR, toi t’es pas XR ». Iels n’envisagent pas qu’on puisse ne pas être d’accord avec elleux au sein de leur propre mouvement. Ça c’est grave pour un mouvement qui se veut démocratique. Et il n’y a pas de processus de résolution des désaccords.

L’activité des classes moyennes supérieures au sein des luttes écologistes est aussi nécessaire. Mais cette lutte demeure monopolisée et peine à laisser la possibilité à d’autres identités sociales de s’y reconnaître. Il s’agirait aussi d’avoir un peu d’humilité en portant l’étiquette “militant·e écolo” quand d’autres classes sociales et cultures pratiquent depuis longtemps des attitudes, gestes, actes ou combats, que nous avons et qualifions d’écologistes. Typiquement, partager des lieux de vie à plusieurs, essayer d’avoir une autonomie alimentaire, réparer et économiser, sont des attitudes communément partagées par les classes précaires.

Des exemples de soucis collectifs du quotidien

La situation sociale de la majorité des membres XR est vue comme normale et partagée par touxtes. Durant les moments collectifs, comme des week-ends, le confort du budget personnel de chacun·e n’est pas pris en compte. On ne prévient pas du montant précis des dépenses en amont, ni ne se renseigne sur le montant qui peut être dépensé. Ces moments ne peuvent donc pas s’adapter à touxtes.
Les réunions et " gavs-up " (gav-up :soutien devant les commissariats jusqu’à la sortie des camarades) dans des bars ont diminué à cause de leurs fermetures et puis du pass sanitaire. Pas principalement parce qu’ils sont des lieux qui nécessitent des dépenses. Même si dans certains cas, ces lieux n’obligent pas à consommer, une inégalité se pose si on ne peut manger et boire comme les autres, ou autant que les autres. Certes, souvent des militant·es proposent d’offrir des consommations en cas de “galère”, mais cela induit une relation de dépendance.

3. écologie Validiste

Le validisme, c’est une forme de discrimination contre les personnes vivant un handicap, donc les personnes invalides (ou non-valides). Le système validiste place la personne valide, sans handicap, comme la norme sociale.

La norme valide régit le fonctionnement de toute notre société, elle est loin d’être propre au militantisme, ou à XR. La manière d’adapter XR aux personnes invalides n’est pas mentionnée. Pour un mouvement qui se veut axé sur une culture de soin et qui se dit viser des personnes pour lesquelles les autres milieux militants seraient trop « durs », l’obstacle que pose le validisme mériterait d’être approfondi. Un espace n’est pas inclusif et ne permet pas aux personnes invalides d’y trouver leur place s’il ne leur est pas accessible. L’invalidité physique ou psychique (concerne le mental), visible ou invisible, n’est pas le soucis personnel d’un·e individu·e, mais d’une société qui lui demande sans cesse de devoir s’adapter et multiplier les efforts jusqu’à lui rendre impossible l’autonomie. Avoir écrit en fin de questionnaire d’inscription à une action “Autres commentaires (handicap, demande d’être en binôme, etc.)” comme seul point posé lié à l’invalidité n’est pas suffisant. Sans avoir fait le travail en amont d’informer des aspects d’inaccessibilité d’une action (ou réunion etc.), un effort en plus est demandé à la personne invalide. La plupart de ces personnes ne se trouvent finalement pas présentes du tout dans le mouvement, dans certaines actions, ou alors se voient relégué·es à des rôles invisibilisés et dévalorisés ​​​​​​(la base arrière, les bulles de soin hors action etc.) - bien qu’ils soient l’une des conditions de possiblité de faire et reproduire des actions.

Neuro-atypies

La neuroatypie, c’est un fonctionnement neurologique qui varie de la majorité des humain·es. On y trouve par exemple le spectre autistique.

Quentin (XR) : Dans XR, des personnes invalides, il n’y en a pas beaucoup, et quand il y en a, elles ont tendance à se cacher, à être ignorées comme telles.
Dans mon cas, on m’a diagnostiqué la phobie sociale et le trouble de l’affirmation de soi. Si XR est validiste envers des personnes phobiques sociales, c’est peut-être dans la mesure où les échanges sociaux sont faits de moments assez “rapides” socialement, où les échanges s’enchaînent vite. J’aime bien parler, découvrir les gen·tes etc, mais il faut qu’on me laisse du temps, sinon je me replie sur moi. XR a du mal à comprendre cela (et moi aussi, on ne m’a pas éduqué à ce que je comprenne un trouble comme le mien).

Je pense que les luttes doivent avoir pour rôle d’éviter le validisme que par défaut elles reproduisent. À la limite je trouve qu’XR est moins validiste que d’autres groupes. Dans une AG, on s’exprime à tour de rôle ou en levant la main, et ce sont des rapports sociaux plus simples et plus encadrés, car formalisés, que les rapports informels (typiquement : un apéro).

De nombreux outils de bien-être m’ont énormément aidé à me libérer (plutôt dans le mouvement écolo en général, en ZAD notamment, mais XR reste ce qui m’a le plus aidé dans l’ensemble). Le Cercle du cœur (découvert à Bure) c’est super profond et émotionnel. On se met en cercle et on dit ce qu’on a sur le cœur, à tour de rôle, et personne ne peut interrompre la personne qui parle, personne ne peut commenter ce qu’iel dit. Une fois le cercle terminé, ce qui a été dit dans le cercle, y reste. J’ai découvert d’autres aspects de moi. C’est comme si XR m’avait ouvert les portes vers le chemin d’une écoute progressive de moi-même et de mon mal-être, mais qu’à partir d’un certain stade de ce chemin, XR n’est plus apte à m’aider, parce que les gen·tes savent comment aider la plupart des gen·te·s, mais pas les personnes qui ont un trouble comme le mien. Une qualité supplémentaire d’XR toutefois à mes yeux, c’est qu’iels donnent plein d’espaces pour l’apprentissage et la réflexion. Ainsi, si je crée une formation à l’antivalidisme, je serais soutenu·e dans ma démarche (peu de chances qu’on puisse m’aider à l’écrire toutefois).

Les outils numériques sont plus simples pour s’exprimer et recevoir de la satisfaction émotionnelle très facilement (recevoir des likes...) mais c’est aussi bien plus superficiel et chronophage, et n’apporte pas un vrai soin, contrairement à des discussions réelles. D’une certaine manière c’est pas mal d’alterner je trouve, pour aller de la facilité à la difficulté et inversement.

Mes relations avec les personnes de mon squat ont été plus intimes et je m’y suis très bien senti dans l’ensemble, mieux que dans XR. Mais il y a eu des hauts et des bas (les hauts allant plus haut que dans XR, et les bas allant plus bas que dans XR). Dans XR on se représente moins le mal-être des personnes qu’on délaisse je pense, et c’est moins crucial puisque c’est pas XR qui ramène des lieux de vies aux humain·es. Je dirais quand même que ça a bien mieux structuré ma pensée, mes émotions. En tout cas, le fort avantage du squat par rapport à XR pour les neuro-a, c’est le temps qu’on a pour parler ensemble, dormir dans la même maison, se croiser chaque jour, c’est ça qui m’a fait me rapprocher de certaines personnes, d’une manière qu’XR n’aurait jamais permis, sous sa forme actuelle. Les personnes neuro-atypiques font communauté et arrivent à se comprendre parce que leur place est difficile avec les personnes valides. Iels ont communément des difficultés d’une même nature avec le reste des groupes sociaux.

Il faudrait comprendre que certains vocabulaires sont inadaptés, car validistes : ne pas employer à la légère les mots “fou/folle”, “autiste”, “taré”, “débile”, “malade mentale”. Employer ces mots comme des insultes c’est validiste, car ça donne une image du handicap comme étant quelque chose de honteux, de moche, etc. C’est rare dans XR mais ça peut arriver de dire simplement « Macron est taré car il ne fait rien pour le réchauffement climatique », par exemple. Comprendre aussi que le handicap n’est pas une réalité physique mais un handicap socialement construit.

Les fonctionnements actuels d’XR permettent d’instaurer un début de cadre incluant certaines personnes neuro-atypiques (neuro-a). D’autres XR, ont témoigné à plusieurs reprises de la psychophobie (phobie envers des personnes avec troubles psychiques) envers iels, en étant qualifié·es de “chelou·es” ou régulièrement soupçonné·es d’être des keufs infiltré·es.

Une inégalité est très présente autour de la facilité à relationner socialement dans les dynamiques de groupes, qui demandent beaucoup d’énergie et de maîtrise de codes. Surtout lorsqu’il devient nécessaire de passer par ces étapes pour pouvoir monter des actions, être invité·e aux soirées qui permettront par la suite d’avoir les contacts nécessaires pour monter une action et pour “vendre” son action. Nos chances de faire venir le plus de personnes à une action que nous avons coordonnée dépendent de si nous sommes actif·ves dans les groupes sociaux “cools”, de si nous sommes bien présent·es aux soirées, et si nous arrivons à bien “tchatcher”.

Derrière le côté très “bienveillant”, il y a une sociabilisation informelle du groupe. A l’inverse, les codes de communication non-violente ou non-verbaux très figés peuvent être un obstacle. Il faudrait la possibilité d’être à l’écoute et d’adapter les situations ; comme pour allier le soin des émotions des personnes neuro-a et l’expression d’un conflit ou d’une violence légitime - c’est complexe. Il faudrait se protéger moralement mais sans silencier. Jusqu’ici la culture de soin d’XR correspond plutôt à une méthode de silenciation exploitée par des personnes bien valides.

Mel : Dans un groupe militant et/ou minorisé ( la militance est un groupe minoritaire dans la société ), il y a un danger de répression. La cohésion est donc un facteur important dans la tenue de ce groupe. Elle passe aussi par un cadre normatif rigide, des normes qui régissent les relations interpersonnelles. Des choses qu’on peut dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire - comme dans tout groupe social. La prégnance (qui s’impose à l’esprit) de cette norme est plus brutale dans les groupes militants et plus excluante vis à vis des personnes qui n’y répondent pas. C’est un problème pour les sujets dont on ne parle pas encore, dont la neuro-atypie. Un neuro-atypique ne va jamais réagir comme le groupe l’attend. Comme les normes de groupe constituent le seul socle, la répression des neuro-atypiques est invisibilisée. Elle n’est pas visible, moins tangible (concrète) et intelligible (clair / compréhensible) pour les gens. En tant que haut potentielle, il y a beaucoup de préjugés. Les gens pensent qu’on est plus intelligents qu’eux. C’est faux, il y a des facilités sur des domaines et compétences mais d’autres faiblesses que les gens normaux n’ont pas (l’interaction sociale, gestion des émotions…). Dans la gauche on parle de ne pas se comparer aux autres, mais les hauts potentiels on leur renvoie ça. Cette norme de concurrence entre les individus fait revenir dans ce schéma.

Il y a une réaction très néolibérale face à une personne hypersensible. Les individus vont faire des choix selon leurs intérêts. Les émotions négatives sont rejetées parce que ce n’est pas dans leur intérêt. La bienveillance c’est être ouvert au vécu des uns des autres et là elle n’y est pas. On va considérer que ta réaction est démesurée, tu vas pas te sentir adéquat. Arriver à dire que l’on est différent pour créer du lien, c’est un effort incroyable. Dans ces situations où l’on est socialement inadapté, un malaise insoluble est créé car il n’y a pas de possibilité de parler des vraies causes. L’autre se sent déjà heurté car quelque chose n’est pas rentré dans ses valeurs et la neuro-atypie insécurise. Vraiment en parler ce n’est pas voulu, alors il n’y a pas de contact avec les autres. C’est excluant.

C’est amplifié dans un milieu où la norme est un socle de protection important. Dans le reste de ma vie j’en souffre moins. Par exemple dans un milieu de boulot il y a plus d’ouverture à ça, ils se sentent moins en danger car il n’y a pas ce socle. J’ai donc constaté que la norme dans la militance est au moins aussi forte qu’à l’école et à l’université.

Le validisme est lié au sexisme car la tolérance de ce qui n’est pas conforme est moindre vis à vis d’une femme. Je peux être très vive - ça va plus déranger que si c’était un homme-cis. L’humour noir, un trait assez représenté par les hauts potentiels, c’est pareil. Vaut mieux s’abstenir dans les milieux militants. On va réagir par la censure. Mais cet humour est aussi un mode de fonctionnement. L’humour c’est intrinsèquement (lié inséparablement et nécessairement, indépendant de l’extérieur) lié à la domination, il rit des dominés. Dans le féminisme on développe l’humour misandre pour contrer l’humour sexiste. On dit qu’on peut rire de tout mais pas avec tout le monde - « pas tout le monde » devient personne dans le milieu militant. La vie c’est l’humour. Il n’y a pas de place pour la vie dans le milieu militant. On parlerait plus aux gens si on était moins glauques.

Machine de lutte

Le fonctionnement de XR permet d’avoir quelques manières de s’investir “hors” terrain sans uniquement voir le militantisme comme :

Notre manière de valoriser la lutte est quand même à déconstruire. On y a un rapport très capitaliste qui demande de la productivité et de la rapidité, où on reproduit des modèles de travail. La maîtrise du fonctionnement, des outils et des codes d’XR pour arriver à être très actif·ves est chronophage. Sans cette énergie, patience, et ces capacités, avoir une place est difficile.

Les militant·es sont par ailleurs encouragé·es à prendre soin d’elleux, pour être plus durables et productif·ves pour la lutte sur le long terme. Cette injonction au soin est difficile, car nous n’en sommes pas touxtes capables. C’est une autre manière de fonctionner. Faire culpabiliser à ce sujet provient d’intentions malsaines qui visent à nous rendre plus rentables, voire de nous faire taire.

Certaines maladies, états dépressifs ou incapacités à prendre soin de soi mettent des personnes dans des cases d’anti-productivité, non-valorisées dans le militantisme qui se lient très directement avec : « plus t’es productif, plus t’es légitime à donner tes avis sur XR ». Les personnes invalides, neuro-a ou pas, ont souvent des rythmes très différents des personnes valides. Parfois elles sont beaucoup plus investies, parfois elles se surmènent, et parfois elles ont besoin de temps. Peut-être devrions nous repenser le rythme de la lutte que nous avons imposé comme norme.

Par où commencer ?

Les besoins des invalidités physiques ou psychiques sont variés et demandent en premier lieu la possibilité d’en parler, avec des espaces en mixité choisie et des espaces pour parler d’invalidité avec l’aide de ressources. Le point essentiel est d’arriver à prévenir des probables obstacles pour que chacun·e puisse évaluer à l’avance la possibilité pour ellui de participer à l’activité (ex : action, réunion...) ;

comme les formats de réunions (moyens de communications, nbr de personnes) ;
comme les bruits et mouvements (ex : personnes avec hypersensibilité sensorielles) ;
comme l’accessibilité d’un lieu qui demanderait une capacité physique particulière ;
puis l’annoncer et tenter d’y palier.

Quelle est la possibilité d’avoir des traductions en langue des signes ?
Comment mettre en place des actions à la fois stimulantes et accessibles ?

Nous n’avons pas touxtes les mêmes aptitudes. Arriver à occuper le devant de la scène grâce à sa validité est encore un privilège qui efface d’autres personnes.

4. Féminismes, luttes LGBTQ+...

“Meuf trans, arabe, feuj’, gouine, queer : il y a très peu
de choses qui me correspondent dans ce collectif.
Quel est l’intérêt de lutter contre une répression dans un milieu
où je rencontrerai les mêmes discriminations ? ”
Ylla

L’éco-féminisme s’est relancé en début d’année 2021 chez XR, notamment à travers des discussions, un canal numérique en mixité-choisie sans mec-cisgenre, des réunions et des actions de collages écoféministes. L’esprit était de rendre le milieu accessible aux personnes non-conformes dans le genre mais il dérape facilement vers des idées binaires et déradicalisées. Bien évidemment, personne dans les branches éco-féministes de XR ne dira être transphobe. Mon expérience dans ces groupes m’a laissée perplexe. J’y ai vu un manque de connaissances autour du sujet, et l’écartement des luttes trans (personne assignée à un genre, mais dont l’identité correspond à un autre) et non-binaires (personne ne s’identifiant ni au genre masculin ni au féminin ou s’identifiant aux deux). Tout plein de “petite” attitudes banalisées et intériorisées ont cautionné du cis-sexisme (système de comportements, de représentations et de discriminations favorisant les personnes cisgenres au détriment des personnes trans.). Les slogans éco-féministes utilisés sont souvent très binaires. Demander les pronoms en même temps que le pseudo est plutôt mis de côté par la majorité. De nombreux débats ont émergé lorsqu’il s’agissait d’être inclusif à l’égard des non-cisgenres dans les slogans avec des rhétoriques comme : « On va finir par ne plus pouvoir juste employer le mot femme dans une phrase ! ». Inclure d’autres identités ne nous a jamais empêchées d’exister, on dirait un espèce de fantasme du grand remplacement. Dans ces milieux lorsqu’on évoque la nécessité d’employer un vocabulaire explicitement inclusif, on se confronte souvent à des oppositions qui prônent l’universalité de termes comme femme et autres. Comme si la trans-misogynie et la misogynie étaient des violences similaires. Une personne non-binaire assignée femme (personne dont le genre “femme” a été attribué à la naissance) n’a pas à se voir imposer la reconnaissance dans le terme femme.

Ylla : L’utilisation de ces termes n’a pas pour but d’être bêtement gentil·le. Le fait que les violences transphobes physiques et morales soient encore banales et quotidiennes dans l’espace publique, mais aussi dans beaucoup de milieux de gauche, rend nécessaire l’emploi d’un vocabulaire explicitement inclusif pour que les concerné·es puissent ne serait-ce qu’espérer ne pas y être harcelé·es. Pour elleux, c’est un indicateur qui permet de savoir si iels vont être activement soutenu·es et protégé·es ou si n’importe quelle violence peut avoir lieu en étant cautionnée par le groupe. Quand t’es trans, tu passes ton temps à faire attention à ces indicateurs pour savoir si tu dois rester ou fuir.

Avec des arguments comme : « On ne parlera plus à la masse » il y a eu la mise en avant de la massification. Puisque la majorité de la société est transphobe, soyons le aussi pour massifier. « Parce que si on utilise des mots LGBTQIA+ comme “adelphe”, “minorités de genre” etc., les personnes qui constituent cette “masse” ne rejoindront pas XR. ». En tout cas, avec des slogans essentialistes (courant féministe qui prône une essence biologique, “naturelle” de la femme, et donc une différence par essence entre les hommes et les femmes) une "masse" de féministes matérialistes et/ou LGBT+ ne rejoindront pas XR. L’éco-féminisme est d’ailleurs grandement craint par plein de milieux féministes comme dérivant vers des dynamiques essentialistes modernes. Il est aussi critiqué comme se fondant sur des réappropriations théoriques dans les milieux universitaires et sur des réappropriations de modes d’actions dans les milieux de luttes. Il y a d’une part la réappropriation théorique par des blancs·ches de nouveaux rapports à l’environnement alors que ces rapports existent dans des pays non-occidentaux depuis plus longtemps.

“L’écoféminisme est autre chose qu’une catégorisation très stricte de l’écoféminisme blanc qui est le féminisme mainstream. L’écoféminisme parle d’autre chose justement qu’une catégorisation fixe des termes hommes et femmes. Il est né à partir de luttes, de mouvements, de rassemblements, de groupes ( et non pas de la théorie ; en France on l’a reçu sous forme de théorie ) dans différentes parties du monde, plutot dans des pays du sud globalisé. Des groupes de femmes principalement qui luttent contre des projets coloniaux, mortifères, et patriarcaux - type extractivisme, déforestation, artificialisation, bétonisation des sols. De fait pour moi, l’écoféminisme est décolonial. Il naît à des endroits de contestation, de révolution contre un ordre qui est un ordre où plusieurs oppressions se chevauchent. ”
Myriam Bahaffou, doctorante en philosophie féministe et militante écoféministe, dans le podcast Kiffe ta Race

Il y a d’autre part eu l’intention d’utiliser les techniques des colleur·euses (mouvement autogéré de collages féministes en mixité choisie) dont les collages féministes recouvrent des murs de rues, pour mettre des symboles XR à côté des slogans éco-féministes. Iels nous ont évidemment expliqué que c’était une appropriation de leur mode d’expression monolithique et répétitif qui incarne le sens de cette lutte, à savoir : se réapproprier l’espace public urbain lorsque celui-ci y est hostile à toute personne subissant les pressions sexistes.

Pour revenir au sujet de la transphobie, au sein d’XR le principe de bienveillance peut laisser passer des propos transphobes en disant que toutes les opinions doivent être respectées (grosse rhétorique de droitard·e). Ces situations existent car la majorité est du côté de la position des oppresseur·euses ; signifiant celleux qui par leur statut de cis-normativité participent au système d’oppression, sans directement être auteur·ice de propos oppressifs. Les dominant·es se donnent bonne image en tolérant que des dominé·es s’immiscent dans les groupes dominants - tant que leur présence ne remet pas en question l’ordre du groupe.

Chercher à calmer des conflits face à une oppression par « faut être doux et gentil », ou autres attitudes de CNV type XR, c’est une prise de position et une violence infligée à travers des outils de contrôle faits par et pour des personnes privilégiées (classe, race sociale, genre, sexualité). Ce refus d’expression de colère, autant dans la parole que dans le corps, par la CNV est similaire aux rhétoriques sexistes qui refusent la violence des personnes assigné·es femmes. Nous devons être discrèt·es, ne pas être cru·es dans nos mots, ne pas insulter, ne pas prendre de la place physiquement. Ce refus devient alors particulièrement insupportable. La violence m’est déjà refusée partout dans le reste de la société en tant que meuf-cis. Elle me compose comme tout être humain·e. Et des fois, elle m’est légitime.

Un·e copaine me faisait part des discriminations transphobes qu’æl a vécu et du « silence qu’il y a eu de la part du groupe local (GL : groupe de militant·es XR constitué sur des bases géographiques) sur cette histoire. »

Alice (XR) : Silence, À PART, le fait d’être venu·es me chercher pour lancer une médiation avec elle, comme si c’était un conflit interpersonnel, et qu’il fallait que je me mette aussi dans sa peau, pour avancer et comprendre son point de vue. J’étais parée pour leur démontrer l’impasse dans laquelle cette situation allait me mettre. J’ai du stopper immédiatement le processus. La ligne rouge, nos médiatrices ne l’ont pas vue, et m’ont partagé leur frustration de me voir arrêter-là pour me plaindre, m’expliquant qu’il était un peu malhonnête de me plaindre d’un échec si j’abandonne si tôt le processus car « je n’avais pas encore eu l’occasion d’attendre ses besoins vis-à-vis de moi ». Puis quand tu entends ensuite en privé « attention quand même tu pousses le bouchon, le GL va devoir penser à des conséquences te concernant, je te le dis maintenant, tu crées beaucoup trop de tensions, et ça commence à crisper beaucoup de personnes » blablabla ...

Une culture du validisme - Notre existence et celle de toute autre personne trans est constamment invalidée. Nos existences, notre auto-détermination sont trop peu souvent respectées, par la posture dans laquelle les personnes cisgenres se mettent culturellement, à savoir : définir et enfermer les êtres selon leur grille de lecture, ne laissant aucune place, aucune validité à la volonté, à l’autodétermination de la personne en face. Pourtant il s’agit toujours bien de cela. Le fait de perpétuellement faire entendre aux autres que notre vécu, ressenti, intimité est singulier, et qu’il défie l’ordre cisgenre, hétérosexuel, et les assignations basées sur le sexisme. Et en face, de se le voir nié par des personnes qui ne le vivent pas et se refusent d’intégrer dans leur pensée, que des existences propres peuvent se définir par des facteurs qui nous dépassent, nous et notre idéologie, notre culture.

Une culture de l’alliæ absente dans nos collectifs - Pour beaucoup de personnes privilégiées socialement (entendu comme cumulant le moins de discriminations), leur propre vécu personnel semble d’apparence avoir peu été confronté à ces personnes ou groupes de personnes discriminées. Ça se voit et se ressent par différence de réaction et/ou d’appréciation face à des situations flagrantes de domination/discrimination sur des sujets pour lesquels presque seul·es les personnes concernées s’offusquent ou réagissent, car ces éléments sont douloureux et affaires de quotidien pour la plupart. On voit donc qu’il y a peu d’alliæs au sein du mouvement. Les alliæs sont celleux qui ont notion de ces discriminations, savent en reconnaître une bonne partie, défendre aux côtés des personnes atteintes par celles-ci, mettre en jeu leurs privilèges pour l’entraide, ET SURTOUT, n’agir et n’avoir d’initiatives que lorsque leur aide est enfin sollicitée.

Etre allié·e c’est aussi savoir checker ses privilèges, respecter le peu d’espaces pour les minorités, prendre la responsabilité d’évoluer sans la faire peser sur autrui, arrêter de monopoliser les espaces, faire de la pédagogie à celleux qui partagent ses privilèges et écouter la parole des concerné·es.

Le cis-sexisme évolue difficilement sans les personnes concernées. Sauf qu’il y en a très peu dans le mouvement car iels sont exclu·es de base, donc ce serait une charge énorme pour la minorité présente. Les personnes cisgenre LGBP+ (Lesbian, Gay, Bi, Pan, +) sont tout autant en grande minorité. Nos milieux militants sont très hétéros normés. Nous sommes plusieurs à nous retrouver à choisir entre vie amoureuses LGBT+ et le militantisme. Et puisque nous choisissons souvent le militantisme, nous sommes affectivement isolé·es, à devoir choisir entre une sphère LGBTQ+ d’ailleurs (qui nous fuit) ou se plier aux normes amoureuses hétéro-normatives du militantisme de gauche - parce-que celui-ci n’est pas inclusif envers nous. C’était intéressant de voir avec des copaines, que malgré nos fortes envies de nous épanouir autrement dans nos identités et nos désirs, nous nous retrouvions systématiquement dans des relations avec des mecs-cis, juste parce que l’ambiance générale expose encore cela comme norme.

Les modèles d’éco-féminismes d’il y a des dizaines d’années sont encore très décalqués. Le sens véhiculé par certains de ces mouvements se surveille quand il se base sur une harmonie du "féminin" complémentaire au masculin, mais aussi un rapport très identitaire à l’utérus, les menstruations, et la sacralisation du terme "femme". C’est quelque chose de peu défini finalement l’éco-fem, il y a tout un intérêt à le redéfinir, avec par exemple nos luttes LBGTQ+. L’éco-féminisme c’est des personnes MINT (meufs, intersexes, non-binaires, trans) qui se réapproprient les luttes écolos. Ma lutte féministe me fait questionner ma lutte écolo, et inversement. L’éco-féminisme plus que tout peut trouver son sens dans la lutte contre les systèmes capitalistes partriarcaux qui créent de la misère économique, du sexisme, du racisme et la destruction de la planète. Sans compter que les premières personnes à subir des exils et autres conséquences des crises climatiques sont des non-blanc·hes (avant tout) dont la majorité sont des personnes assignées femmes . L’éco-fem pourrait viser à mettre fin aux dualités qui sont Homme / Femme - Société / Nature - Raison / Emotion. C’est se retourner contre les mecs-cis blancs bourgeois qui ont modelé ce système productiviste, qui a mis dans des cases caractérisées les femmes, les queers, les invalides et les classes populaires comme exploitables. En faire un prétexte pour des propos transphobes, racistes ou putophobes c’est exclure des luttes écologistes. C’est intimement hyper violent d’être discriminé·e par des personnes qui sont censées être féministes.

Le féminisme chez XR tel qu’il est manque de temps, de pédagogie et de radicalité. Il rejoint le problème du profil type d’une XR, elle est blanche, cisgenre et CSP+. Faire des réunions éco-féministes à Aujourd’hui Demain, un restaurant parisien bobo blanc vegan hors de prix pour faire des amalgames entre nature et femme n’est pas le féminisme avec lequel je veux lutter.

Violences sexistes et sexuelles

Youss : Je pense que XR c’est cringe parce que précisément ce n’est pas un groupe politique qui se dit lutter dans une perspective féministe. C’est "juste" de l’écologie, et ça explique pourquoi tout le reste est dramatique, parce qu’il est laissé aux normes dominantes qui se reproduisent.

Plusieurs problèmes d’agressions sexistes et sexuelles ont été mal gérées ou pas gérées chez XR. Finalement, ce sont des situations que personne ne sait, ni n’a envie de gérer dans aucun milieu. Trop peu de groupes de travail se penchent sur la responsabilité collective qui permet à ces agressions de se produire, ni comment créer une justice transformatrice. Le seul groupe de gestion de violences sexistes et sexuelles (hors XR PEPPS) a été créé après des faits d’agressions et comprend des mecs-cis. Apparemment ce serait une bonne expérience de pédagogie - ce n’est pas le moment pour qu’on vous fasse de la pédagogie. Certaines ont adressé (non-officiellement, puisqu’il n’y a pas de structure adéquate pour accueillir cela) des comportements patriarcaux oppressifs envers elles. Ces conflits sont souvent vus comme interpersonnels. À ces quelques occasions dont j’ai la connaissance, aucune réelle responsabilité n’a été prise par leurs groupes.

« Peace, love, on s’aime » applatissons ça.

Momo (XR) : La recherche du consensus et la fuite du conflit ça passe sous silence des situations. Pourquoi on reconnait pas quand on s’embrouille ? Souvent dans un cas où un homme cis va monopoliser la parole, avoir des propos sexistes, créer des tensions, d’autre personnes essaierons de "calmer le jeu". Je trouve ça dommage de pas reconnaitre quand il y a des tensions. Ca invisibilise le fond.

Célia (XR) : C’est la culture de classe moyenne blanche de ne pas vouloir voir le problème tant qu’il n’interfère pas avec sa personne ou son travail pour ne pas entacher l’image du groupe avec une image sordide. On ne sait pas l’adresser car on a été éduqué·es comme ça.

Souvent dans les milieux militants lorsqu’un cas d’agression vient à la connaissance du groupe, la réaction est : « Si ce qui s’est passé n’est pas trop grave, on le passe sous le tapis. Si c’est grave, c’est la crise parce-qu’en fait, on ne sait pas gérer ces situations. ».

Momo (XR) : C’est dommage car on ne réfléchit pas en amont à comment gérer les comportements sexistes, oppressifs, les agressions... et donc personne ne sait quoi faire quand ils surviennent. Les faits d’agressions c’est des trucs qu’on apprend plus tard de bouche à oreille et qui personnellement me poussent à exclure la personne puisqu’il n’y a pas de gestion collective, ce qui est pas forcément constructif.

Féminisme et mode

Le féminisme n’est pas juste repris par le capitalisme dans un aménagement des consignes marketings. Il est aussi une mode du militantisme, une case à checker pour être validé en tant que mouvement, sans pour autant s’éloigner de sa mainstreamisation. Typiquement, tout le monde qui se réveille paniqué à chercher une femme au moment de faire des prises de paroles publiques ou avec les médias parce qu’ils se rendent compte que seulement des hommes-cis ont prévu de le faire. Mais personne ne se demande comment cela se fait qu’il n’y ait pas eu de place pour accéder à la confiance d’occuper des moments de parole importants. Nous ne sommes pas votre caution d’image publique féministe.

Quelques aspects classiques d’inégalité de genre dans le militantisme sont surveillés tel le temps de prise de parole ou la répartition des mandats. Mais le combat contre le sexisme stagne à cause de cette identité sociale courante chez XR qui donne l’impression d’être déjà "éduqué", d’être déjà un homme-cis "correct". A partir de là, il existerait les agresseurs, et les non-agresseurs - ignorant les 80 pourcent de zone grise existant autant dans la tête de lae victime que dans celle de l’aggresseur·euse - rendant presque impossible la reconnaissance dans cette position d’aggresseur - minimisant toute la structure d’oppression permanente et toute autre "micro-oppression" qui existe dans le militantisme. La gestion d’agressions est complexe et le sexisme s’étend au-delà des agressions. Par exemple, derrière l’esprit très "love" de XR, existent pas mal de contacts physiques amicaux. Ce que j’adore, mais pas avec tout le monde. Le consentement est assez peu pris en compte dans ces touchers non-sexuels. Seulement pour identifier ces choses là, il nous faut pouvoir parler entre minorités de genre. Ces espaces de mixité choisie ne sont pas acquis chez XR et selon les groupes, ils nécessitent parfois une justification. Dans la plainte du sentiment d’exclusion des cis-mecs j’y vois habituellement deux choses.

Soit une position de dominant non remise en question, découvrant les milieux militants, qui avec une explication de la mixité choisie laisse faire. Celui-ci, on ne connaît pas vraiment son avis dessus, mais il comprend qu’il n’a pas trop son mot à dire. Soit, une réelle intention de nuire, de faire perdre du temps et de l’énergie. Elle exige de nous une justification plausible, qui signifie « Je ne t’ai pas donné mon accord pour que tu sois indépendant·e de moi ». Leurs "plaintes" sont un harcèlement qui dit « Tu n’as pas le droit d’exister politiquement ». Généralement, si la nécessité de la mixité choisie est expliquée comme étant un endroit plus sécurisant pour parler de violences sexistes, des choses qu’on oserait pas dire devant eux, elle est plus facilement acceptée. En revanche, quand il s’agit de se réunir dans cet espace pour la principale raison de vouloir s’organiser politiquement, vient les crises de cis-mecs.
Genre t’as le droit de te réunir avec tes copines pour pleurer sur ton viol, mais militer sans nous, non.

Ça fait peur d’ouvrir des espaces en mixité choisie dans un mouvement où il y en a pratiquement pas. Parcequ’on connaît les réactions. D’où la difficulté de le faire si le mouvement n’a pas pris la responsabilité de faire de la pédagogie sur la légitimité de ces espaces. Cette responsabilité n’a pas à peser entièrement sur la personne qui va en ouvrir un, ni sur les minorités concernées.

Anecdote :
Lorsque j’ai proposé une réunion en mixité choisie dans mon groupe local, un débat a été lancé sur la mixité choisie par M (cis-mec). Après avoir expliqué en quoi c’était utile, j’ai continué de recevoir des tentatives d’empêchement par message écrits qui s’offusquait et expliquait en quoi la mixité choisie n’avait pas sa place ici. J’ai refusé, pas gentiment, de faire de l’éducation pour justifier cet espace. Je ne parlerai pas de la rhétorique de M, car il ne vaut pas cet intérêt. Il a rapidement été exclu du groupe pour une multitude de comportements oppressifs. Par contre, la réaction de groupe s’analyse. J’ai reçu du soutien de la majorité. De d’autres, j’ai reçu que ce débat n’était pas serein, que des arguments étaient violents, qu’il fallait qu’on crée une autre boucle Signal pour cette "discussion corporatiste", et qu’il fallait que je vois M en physique pour en discuter avec lui.

NON. NON. NON.

Cette réaction est "très XR". Déjà, quand on reproche la sérénité du débat, en tant que meuf j’entends de loin « féministe hystérique ». Et non en fait, je ne DOIS pas à ce type un énième débat. Moi, il faudrait que je donne de mon temps pour aller le voir et continuer de lui expliquer ? Moi, qui subis déjà le patriarcat, il faudrait que je fasse ce travail alors que des ressources existent de partout ? Pas de problème, mais pour ce niveau là de pédagogie qui est exigée de moi, je prends 15 balles de l’heure. Non, je suis trop gentille, là je prends 40 balles de l’heure parce que depuis ce 3 novembre 2021 je travaillerais gratuitement si je n’étais pas étudiante. Puis, c’est grave ce que M essaie de me faire. Il écrit bien tandis que mes mots sont crus et portent une histoire. Mais ce qu’il essaie de me faire est grave. D’ailleurs, comme souvent dans ces situations, il m’a reproché mon « utilisation de la langue ». Ca me donne juste envie de maltraiter cette langue, outil des dominant·es, comme je voudrais maltraiter l’ordre social. Et cette demande d’aller discuter ailleurs, c’est en gros, « allez vous disputer là où ça ne me dérange pas parce-que personnellement, ça ne me concerne pas ». Cette attitude là, c’est toujours les mêmes qui l’ont. C’est une attitude que t’as quand tu te fais jamais emmerder.
En fait, je vous emmerde, et je ne vous dois ni explication, ni excuses pour cela.

5. Un mouvement adapté à ses privilèges

Selon les périodes et les équipes d’organisation d’action, il se passe un double phénomène contraire vis-à-vis de la visibilisation de l’interpellation policière. Dans la présentation du militantisme de XR, se cache une facette malhonnête : soit la répression policière ferait parti du "fun", soit elle n’existerait pas.

Spectacularisation de l’interpellation

D’une part, XR pratique une théâtralisation médiatique de l’interpellation, qui s’abat très différemment selon les luttes et les identités sociales.

Ylla : J’ai même l’impression qu’il y a une dynamique qui vise à se mettre volontairement en danger, comme pour prouver que soi aussi on subit
quelque chose.

L’une des stratégies d’XR, bien plus dominante chez XR UK, consiste à faire des actions "peace" contre lesquelles une intervention policière injuste, voire violente, créerait une vague de soulèvement de la population - type l’action du Pont de Sully le 28 juin 2019. Ce raisonnement suit une méthode sacrificielle de nature plutôt viriliste, même si dans la pratique, le mouvement bénéficie d’une protection à travers ses privilèges.

Sophie (XR) : Je suis intéressée par la réponse du gouvernement à nos actions à travers sa police. En tant que femme blanche, je peux me permettre d’avoir une certaine défiance envers la police, et je n’ai pas peur d’en user pendant les actions XR. Ce n’est pas la même chose quand je vais en manif, je vais au plus près des confrontations, la police y est beaucoup plus violente et le risque d’être blessée est présent. Je ne ressens pas ce risque pendant les actions XR.

Sa logique consiste à prendre la police et la presse comme alliées du spectacle fait des interpellations. Cette étape de l’interpellation peut être encouragée par des membres comme un but dans une action.

Momo (XR)  : J’ai déjà été assez mal à l’aise de voir des gens insister, essayer de convaincre des personnes qui finalement ne voulaient plus prendre de risque. J’ai souvent entendu des « C’est nul, on est pas en GAV », « J’aurais voulu aller jusqu’au procès », « Je suis déçu de ne pas être suivi pas les flics », « Moi je suis prêt à aller en prison ». Cette glorification du risque me laisse plus que perplexe. Le but c’est gagner en "crédibilité", en légitimité, en reconnaissance et booster son égo militant ?

C’est pas honorable de se faire arrêter, c’est pas cool non plus. Personne ne devrait être encouragé à être arrêté comme stratégie de militantisme ou de massification. Les séquelles de la garde à vue (GAV) sont visiblement sous estimées par une population loin de celles qui subissent la garde à vue brutalement. La manière dont elle est mise en avant est un manque de respect pour les personnes réellement victimes de répression policière depuis longtemps. La réussite d’une action n’a pas à reposer sur le maximum d’arrestations qu’elle provoque. Aller en GAV avec sa bande de copaines blanc·hes ça peut être rigolo. Autrement, elle représente un réel danger. Mais encore, faudrait-il ne pas être enfermé·es dans ses petits milieux pour savoir qu’il est courant d’être violenté·es psychologiquement et physiquement en toute impunité. Tabassage. Agressions sexuelles. Viols. Humiliations. Manipulation. Mensonge. Harcèlement. Détentions avec motifs inventés. Fichage. Reconnaissance faciale. Prise forcée d’ADN. La répression réveille et crée des traumas. Après, la question se pose de comment donner des formations à la désobéissance civile qui soient honnêtes dans les risques et les privilèges que l’on a.

Avec cette spectacularisation, XR est un outil de comparaison des autres luttes usé par les politiques, les médias et le public - une sorte de “green-washing de la lutte” qui crée une division entre militant·es.

Tout le monde déteste la Police ?

D’autre part, XR ne souhaite pas se positionner vis à vis du rôle de la Police, ni de la répression policière et ne cherche pas à témoigner médiatiquement ou visuellement de celle-ci. Pendant les actions XR, tout le monde est content que les média-activistes filment, même l’intervention policière pour preuves en cas de violences. Mais les passages qui montrent les interactions plus tendues avec la police ne sont pas inclus dans les vidéos publiées. XR est hyper frileux sur sa médiatisation. Les coordos d’actions craignent que montrer sa présence empêchera de massifer car les gens auront peur qu’en rejoignant le mouvement, iels seront face à la Police.

On ne creuse pas suffisamment les causes et les structures permettant le dérèglement climatique, qui ont un lien clair avec le rôle de la Police. La prise de conscience de la répression policière chez beaucoup de militant·es (blanc·hes) n’est venue que lorsqu’elle s’est abattue sur elleux. Les luttes écologistes deviennent de plus en plus réprimées similairement à d’autres luttes sociales. "Déméter, la cellule de la gendarmerie qui surveille les opposant.es à l’agriculture productiviste" selon Médiapart, a été crée en 2019. La répression anti-nucléaire à Bure a escaladé d’un cran depuis 2017 : « Des poursuites pour “association de malfaiteurs”, des dizaines de garde à vue, des procès à la chaîne, des interdictions de territoire… Depuis 2017, dans ce coin de France dépeuplé, police et justice travaillent main dans la main pour mater la contestation. À tel point que la Ligue des droits de l’homme parle de "harcèlement" des opposants. À Bure, les outils de l’antiterrorisme sont appliqués aux militants écologistes. Un dispositif de surveillance de masse est déployé : 29 personnes et lieux ont été placés sous écoute, 85 000 conversations et messages ont été interceptés, soit seize ans de temps cumulé de surveillance téléphonique. » (Médiapart). A Bure comme à Saclay, comme à Niort, pendant les périodes d’actions ou de manifestations, des hélicoptères survolent nos camps d’habitations et nos mouvements. De plus en plus, les flics font disparaître l’existence même des mobilisations en intervenant en amont de déploiements d’actions. Notre vulnérabilité face à la police est en train de changer.

Soit, vous passez maintenant vos big soirées XR à chanter « Tout le monde déteste la police » sur du disco, mais le rapport à celle-ci et à la garde à vue n’évolue pas - probablement lié au fait que le profil social des XR est celui de personnes n’ayant pas vécu des violences policières quotidiennes mais qui sont aussi des propriétaires. Ces images d’actions, d’interpellations, vendent une utopie de la “rébellion” presque sans conséquence. Cette utopie n’appartient qu’à vous.

Youss : Pour moi l’un des aspects que j’ai pas mal vécu à XR, c’est de dire que la désobéissance civile est inclusive et rejoignable. Dire ça c’est précisément ne pas prendre en compte les inégalités de traitement face à la police et à la justice - l’exposition des personnes racisées n’est jamais évoquée. Pendant les briefs d’actions, j’ai déjà posé des questions là-dessus et tout le monde semblait presque ignorant à ce sujet. L’impensé de ça c’est chaud. En tant que personne étrangère ça m’a pas du tout donné envie de continuer parce-que je peux pas me permettre de me jeter dans les bras des keufs.

Rien n’est jamais évoqué ou mis en place pour tenter de protéger des personnes plus sensibles à la répression sans les exclure de pouvoir participer et agir sur une action. Le refus d’identité est plutôt pensé pour soi, pour repousser les probabilités d’embarquement des participant·es d’une action. Effectivement, le refus de masse de déclinaison d’identités dissuade l’embarquement en vérification d’identité et garde à vue. Mais il n’est pas pensé en priorité pour les personnes sans papiers, celles de nationalité étrangère, celles ayant un passé judiciaire, ou celles qui souhaitent protéger leur identité. La protection et l’évacuation de certain·es est censée être réfléchie en amont dans un soucis d’inclusivité.

Retour du débat sur le visage à découvert

La mention de la condition d’être à visage découvert lors des actions a été ajoutée aux principes longs de XR France par un groupe de travail de traduction des principes longs de XR UK. Cette décision a ouvert débat au sein du mouvement en décembre 2020. La traduction était ouverte à interprétation, et il n’était pas consensuel de décalquer les nouveaux principes longs de XR UK tandis qu’aucun moyen démocratique n’existait pour prendre des décisions qui s’appliqueraient à touxtes. Pourtant, encore aujourd’hui, plusieurs XRs maintiennent que le mouvement n’a pas le droit d’avoir des militant·es masqué·es car iels seraient synonyme de violence et d’actions non-assumées.

Le visage découvert pose le même type de problèmes que la livraison collective de nos pièces d’identités.

Axel (XR) : Tout d’abord j’aimerais pointer le fait qu’il y a une différence entre une action à visage découvert et une action assumée publiquement. À mon sens, une action réalisée à visage non découvert mais relayée publiquement avec photos et vidéos dans les médias est une action assumée publiquement
par XR.

Il y a bien des moments où assumer avec son visage, et des moments où se protéger est plus important. Quand nous disons « Je n’ai rien à déclarer » en audition de police, nous nous protégeons. On retrouve aussi dans ce débat la mystification de la “casseur·euse”, la binarité bon·ne militant·e et méchant·e militant·e, qui rentre dans le jeu des médias : « Si t’as rien à te reprocher, tu ne seras pas masqué·e ».

Forcer le visage découvert exclut de la désobéissance civile celleux ne pouvant pas se le permettre pour un tas de raisons. Ce n’est pas pour toustes de : ne pas avoir peur de perdre son travail (privilège de classe) ; ne pas avoir peur d’inquiéter des proches qui nous reconnaîtraient ; ne pas avoir peur de l’acharnement ciblé de la police si on est identifiable comme racisé·e.

Guillaume (XR) : C’est hypocrite de l’interdire en action car on fait déjà du visage masqué avec l’anti-pub et l’affichage. Après, je pense qu’on devrait pas avoir des personnes qui parlent aux médias à visage masqué parce-que la stratégie de communication risque de faire flipper. Il faut qu’on soit malin·es dans le sens où on peut mélanger les deux pratiques : des gens mignons parlent aux médias pendant qu’à quelques centaines de mètres des totos cagoulés détruisent des engins de chantier comme à GPE. Selon moi, on n’a pas besoin de trancher cette question qui relève du dogmatisme moral de la désobéissance civile mais stratégiquement ça n’a pas de sens.

Le fichage a des répercussions et dangers à long terme. Cette obligation systématique du visage découvert pousse à prendre des risques par pression collective. Lorsque j’ai commencé à militer, je ne connaissais pas l’ampleur de la surveillance. Je ne savais pas où et comment je militerai dans l’avenir. Aujourd’hui, je ne sais pas jusqu’où ira le fascisme et l’autoritarisme.

La réponse partagée de nombreux XRs à l’ouverture de ce débat a été « C’est une perte de temps, le visage découvert comme d’autres sujets ayant anciennement été décidés n’ont pas à être questionnés ». Mis à part le fait que personne n’a rien décidé, ces membres qui sont dans XR depuis longtemps, savent et considèrent XR comme une porte d’entrée - donc avec des “primo-militant·es” qui iront possiblement vers d’autres moyens d’actions. Et pourtant, iels n’admettent et ne préviennent jamais de la mise en danger d’avoir commencé à militer à visage découvert.

Privilège carcéral

Aurélie (XR) : Au tout début d’XR, le mouvement disait que les militant·es étaient prêt·es à être emprisonné·es, c’était la promesse au départ et c’était de la posture. On l’a pas inventé on a repris ce qu’XR UK disait. Mais en fait, on va aux Halles déguisé·es en oiseau noir. Aujourd’hui, on ne dit plus ouvertement qu’on est prêt·es à aller en prison. On veut même faire des actions qui attirent le plus de monde possible, donc avec le minimum de risques.

Des militant·es qui ont mis du blanc de meudon sur la Société Générale se sont pris·es des perquisitions, donc arrêtez de dire que y’a pas de risque. On ment un peu aux gens, et on nous pousse à faire des actions inclusives alors que tout est dangereux. Faudrait dire que personne veut aller en prison et qu’on va se protéger de la répression.

La question carcérale est totalement absente du mouvement. Le lancement d’XR consistait à dire que ses militant·es étaient prêt·es à aller en garde à vue, puis jusqu’au procès pour médiatiser l’état de la crise climatique. Un décalage subsiste car le mouvement n’a jamais parlé de ce que représente la prison en tant que outil de domination des puissant·es, et ne connaît, ni se positionne sur les luttes anti-carcérales. Cet engouement pour le procès, est dangereux car il ne permet pas aux militant·es de se poser les bonnes questions sur leurs limites. L’étape du procès politique est promu ouvertement par des membres influents qui parlent inconsciemment de chercher le procès sans avoir en parallèle d’autres opinions qui nuancent les réalités de cette stratégie. Ce discours reflète le fait que les XRs ne sont pas inquiété·es par la prison, car iels se savent non concerné·es de manière directe. Effectivement, la prison étant principalement une répression de classe et de race sociale, les “rebelles” provenant généralement de milieux où l’on ne grandit pas avec la présence de personnes ayant été emprisonnées ou le risquant, se sentent loin de ce terrain là. Le positionnement en faveur du procès est donc totalement hors sol. Il ne prévient pas “le jour où” arriveront les procès dont l’issue sera la prison.

À propos d’un procès :

Suite à une action d’occupation, deux militants dont un XR sont interpellés et convoqués au tribunal judiciaire. La justice impose de la prison avec sursis. Ce procès a été peu soutenu par XR. Selon moi, le peu de soutien relève d’un manque d’habitude et d’intérêt pour gérer l’anti-répression. On sentait qu’un procès c’était moins excitant, c’était pas une action. Ce qui est inquiétant dans les dynamiques d’XR, c’est qu’il relève aussi du fait que ce militant n’était pas dans les groupes affinitaires "cools". Une des raisons données pour le peu de motivation en soutien au militant est qu’il lui est reproché d’avoir des comportements virilistes. Ce qui est délicat là-dedans, c’est que la reproduction du racisme et classisme de la société sanctionne plus sévèrement les comportements virilistes d’un homme-cisgenre racisé de classe populaire, que ceux d’un bourgeois blanc. Parce que des blancs sexistes et gênants il en traine dans XR, et ils sont mieux tolérés, surtout si ils ont un petit effet "cool kid".

Vee (XR) : Pour l’action de Youth for Climate et de XR dans les locaux de BlackRock, c’est l’État qui porte plainte contre F et pas BlackRock, alors que ce sont les locaux de BlackRock qui ont été ciblés, pas ceux de l’État. Ça en dit long sur notre système qui protège des entreprises mortifères. Aucun représentant de BlackRock n’était présent pendant le procès. Et parmi touxtes les activistes présent·es à ces actions, les deux personnes en procès sont également des Gilets Jaunes qui participent aux manifestations, c’est important de le souligner. Ce qui m’a interpellée c’est la faible mobilisation des militant·es de XR le jour du procès.
Des personnes de XR n’apprécient pas F et m’ont dit des choses contre lui. C’était malaisant. Les chefs d’accusation sont politiques. F se retrouve là, face à la justice, avec des besoins d’activistes, avec le besoin de se sentir soutenu par le mouvement. Il était blessé du peu de personnes d’XR mobilisées pour le procès. Il faudrait plus communiquer sur les procès d’activistes, c’est politique et c’est une façon de se confronter au système qu’on dénonce, ça doit être considéré très sérieusement au sein d’XR commme un outil dans la lutte contre le dérèglement climatique.

Ce n’est d’ailleurs pas très clair s’il y aura un soutien financier par XR pour l’amende de dizaines de milliers d’euros.

Jess (XR) : J’ai suivi l’affaire pour comprendre la réaction de la justice et soutenir l’activiste. Le procès était juste après une série d’actions donc peu de gens étaient dispos. Mais ça fait quand même un moment que l’histoire du procès dure et il n’y a pas eu tellement de mobilisation. Il y avait un groupe de rebelles présent pour soutenir, avec une pièce de théâtre jouée devant le tribunal, mettant en scène le procès de BlackRock. Le soutien venait majoritairement des Gilets Jaunes, et d’autres militant·es que F a mobilisé·es. Tout un collectif hétéroclite avec des expériences différentes le soutenait, c’était intéressant. Le relai d’XR sur ses réseaux était surtout par rapport à la pièce de théâtre. Les journalistes étaient assez présents et ont fait des live tweets depuis la salle d’audience. Je pense qu’on devrait mettre plus d’énergie pour montrer la criminalisation de l’activisme. C’est important d’avoir une équipe dédiée à la réflexion sur la réaction du système, de l’État, de la police et les procès, les nouveaux textes de lois et leur évolution inquiétante. Ça peut se durcir contre nous, et encore plus si on s’attaque au portefeuille des entreprises.

6. MASSIFICATION

L’engouement suscité au début de XR, avec des actions montant jusqu’à 700+ personnes, s’est fortement épuisé. La crise sanitaire en est en partie responsable, mais on ne s’intéresse pas aux autres raisons. L’une des sections majoritaire d’XR est composée d’une gente temporairement attirée par le mouvement climat comme expérience, mais ne cherchant pas d’engagement politique prolongé. Ce constat mène à se demander quel type de personnes XR massifie. Une autre section quitte le mouvement ou se retranche dans des groupes affinitaires tel XR PEPPS (Pour une Ecologie Populaire Politique et Sociale) car XR ne permet justement pas un engagement politique prolongé. Cet éloignement est du à une perte de sens dans la stratégie et la pensée dominante. En fermant la porte du mouvement par fatigue de ne pas pouvoir y exister avec leurs opinions : les outils, les ressources et les réseaux dont ces militant·es pourraient aussi bénéficier sont abandonnés. A travers ce phénomène, XR devient une "porte d’entrée", ce qui ne devait pas être le cas à l’origine.

L’une des interprétations de la massification demande d’être dans une lignée douce, amusante, théâtrale et apartisane. Chez XR, elle s’impose – ou est imposée par certain·es - comme unique stratégie. Ce qui est expliqué par les ancien·nes et les meneur·euses, est qu’elle est la seule qui puisse toucher et garder des “primo-militant·es ou non-militant·es”. Il y a une dépendance à ce que les ancien·nes ont fait de XR par le passé et ce qu’iels veulent en faire maintenant. On retrouve dans ces arguments l’infantilisation des arrivant·es chez XR, le mépris intellectuel des non-militant·es ou non-XR, et l’impossibilité d’imaginer la massification comme autre chose que celle de sa typologie sociale. Rien ne prouve cette stratégie comme étant massifiante ; comme rien ne prouve que diversifier les types d’actions ou montrer la diversité des mouvances du mouvement empêche de massifier ; comme rien ne prouve que seul la non-violence stricte massifie - des exemples existent montrant le contraire. Mais le débat violence ou non-violence n’a pas sa place ici et la notion de violence est extrêmement subjective.

Max (XR) : Pendant la manifestation et action des Soulèvements de la Terre, à Niort le 6 novembre 2021, c’est la masse qui a fait que les gens étaient protégés. Il y a eu des belles images, de la communication, c’est ce que j’imaginais en rentrant chez XR.
Iels disent « Si on veut massifier faut rien faire et rien dire » alors qu’il peut y avoir des actions comme Niort avec des vieux, des enfants, de la masse et du sabotage. Leur discours, il est faux.

Océane (XR)  : Par la tradition militante française on a pas la même culture politique, ce qui marche chez XR en Angleterre comme actions type humour etc., ne marche pas du tout en France - surtout post gilets jaunes, sans prendre en compte qu’une énorme colère populaire s’est faite étouffée. C’est parce que c’est la même classe sociale qui se retrouve.

Dans le GL de Nantes, c’est plus ou moins la même catégorie sociale, mais iels ont conscience de leur privilèges. A Paris iels restent dans leur biais et ne font pas d’efforts pour en sortir. Iels veulent mobiliser les familles, les enfants, les grand parents etc. On peut militer en tant que CSP+ mais pas sans prendre en compte ce qu’il y a autour de soi, se préoccuper que de l’écologie et de rien d’autre. Il y a un double discours de vouloir combattre l’urgence climatique mais en partageant des gâteaux veganes.

Aurélie (XR) : La stratégie c’était l’escalade, mais c’est pas du tout ce qu’on a fait. On a presque fait l’inverse. Ça fait trois ans qu’on fait de plus en plus d’actions symboliques. Iels disent que l’escalade c’est la massification, mais c’était censé être l’escalade de la radicalité des actions. Quand on a essayé d’être un peu « radicaux », on s’est fait·es éclater, comme pour Italie 2, le coup du marqueur sur les trottinettes électriques ou Grand Péril Express. Ça a dissuadé, il y a un contrôle social interne, une pression interne qui ne laissera rien faire.
Dès qu’on fait davantage que se rouler par terre dans du faux sang, c’est fini.
(Italie 2 : blocage du centre commercial Italie 2 à Paris le 05/10/2019 par XR, en co-organisation avec entre autre, YFC, Désobéissance Ecolo Paris, des gilets jaunes, Comité Adama, collectifs queers, Terrestres. GPE : blocage de sites Lafarge et Eqiom à Genneviliers en IDF, le 29/06/2021 en co-organisation avec les Soulèvements de la Terre)

Cette massification est utilisée comme prétexte pour participer à figer plein d’idées en poussant à maintenir une image globale homogène et propre de XR - celle-ci désautonomise. Cette manière libéraliste de rassembler cherche à effacer toute réflexion et différence alors qu’une diversification d’actions permettrait peut-être à plus de personnes de s’y retrouver. Les personnes ayant des idées différentes du dogme sont systématiquement informellement repoussées aux bords du mouvement.

Une autre vision de la massification

Guillaume (XR) : Chaque mouvement occupe une place particulière dans l’éventail des actions possibles. Faudrait qu’on définisse collectivement notre place dans les mouvements et qu’on s’y tienne. Selon moi, XR a été pendant une courte période et aurait pu continuer être une machine à radicaliser des primo-militants (selon la stratégie de l’escalade à la fois individuelle et collective). Ca a été et ça pourrait aussi continuer à être une formidable machine à faire de la communication, à mener la bataille culturelle sur les fronts social, écolo et les liens entre les deux, les médias nous adorent, le logo est génial, autant en profiter ! Par contre je suis d’accord sur la stratégie de créer un rapport de force par le nombre, de faire "bloc" de manière cohérente, après la question c’est : quel nombre et comment l’atteindre ?

Je suis assez critique de la massification comme elle est présentée et pratiquée chez XR, parce qu’elle part d’un postulat relativement consensuel dans le mouvement climat (surtout avant 2019) : qu’on serait « touxtes dans le même bateau » - donc on aurait touxtes les mêmes bonnes raisons de se mobiliser. Non, il y a des groupes sociaux. La grande bourgeoisie n’a pas les mêmes intérêts que nous, ni ceux du vivant d’ailleurs. Et vouloir une stratégie de massification identique pour touxtes ça ne fédère pas. Il faut arrêter de penser que y’a un intérêt général et penser en intérêt de classe. Quels groupes sociaux ont les mêmes intérêts ? Ensuite, ce serait à nous de faire des compromis, car c’est nous les privilégiés.

Italie 2 c’était diversifié, ça a crée des frictions et des désaccords mais c’était fructueux. Les groupes locaux devraient se rapprocher de luttes sociales pour créer un maillage écolo-social et porter des intérêts qui ne sont pas forcément les nôtres. J’aimerais que XR fasse prioritairement des actions en co-organisation pour avoir quelque chose de politique, où on peut visibiliser que différents groupes sociaux s’entendent sur des intérêts communs, à l’encontre d’un bloc bourgeois qui exploite les travailleurs, s’enrichit sur notre dos, se rapproche de plus en plus du fascisme et détruit le vivant en produisant en masse. Et pas dans une vision électoraliste mais de militantisme politique.

Ça rejoint le fait que je pense que XR ne peut pas être un mouvement de sabotage de masse. Je ne suis pas sûr que le sabotage de masse hors période insurrectionnelle soit acceptable par le grand public : l’exemple des GJ qui mettaient le feu à la France et étaient soutenus par la population est un bon exemple que ça peut marcher mais pas dans n’importe quel contexte. Et puis je pense qu’on a pas l’organisation et qu’on est pas prêt·es à prendre ce genre de risques.

L’action Grand Péril Express (dite GPE) je trouve ça bien. (GPE a eu lieu fin Juin 2021 en co-organisation avec XR et les Soulèvements de la Terre regroupant différents modes d’actions et cultures de luttes différentes. Quelques centaines de militant·es se sont rendu·es sur 4 sites de Larfarge et Eqiom pour un blocage de deux jours et une nuit. Une communication médiatique a été faite et des gestes ont été posés, certains symboliques (banderoles, tags..) et d’autres plus directs (sabotage).)

Même si y’a eu des problèmes de communication, je trouve ça bien de faire des dégradations matérielles pendant des actions de désobéissance. C’est malin que des personnes hors du groupe d’organisation et n’ayant pas saboté, aient parlé aux médias, pendant que de manière cachée des personnes sabotent sans qu’on sache qui c’est. Les gens ne vont pas s’arrêter au fait qu’il y ait des machines sabotées car c’est pas la seule chose montrée. Donc le sabotage n’empêche pas de faire des actions colorées, mais c’est différent je trouve que des individus cagoulés de la tête aux pieds qui défoncent tout.

C’est sur que si on vient direct en mode « On brûle les usines et les patrons » - ça va pas le faire. Mais on peut massifier en se politisant mutuellement avec d’autres groupes, en allant à leur rencontre, en échangeant sur nos réalités respectives et nos besoins communs, en créant de nouvelles formes démocratiques. On peut avoir une approche historique pour que chacun·e ait les outils pour prendre conscience de sa condition, plutôt que de culpabiliser ou vouloir absolument convaincre. Faut culpabiliser les responsables économiques, politiques et les grands patrons, mais pas les gens pris dans un système et qui n’ont pas le choix.

Écologie scientifique et écologie sociale

La massification pratiquée s’inscrit dans une écologie scientifique qui entretient la récurrence du profil sociologique d’études supérieures des XR. La répétition des conséquences du dérèglement climatique sont souvent des chiffres, des statistiques, et des noms d’espèces disparues. Ces rapports sont déjà sortis sans arrêt, tellement, qu’ils sont devenus habituels et n’ont plus tant de sens pour une population qui en majorité n’est pas scientifique. Ces données provoquent de la peur. La peur ne rassemble pas forcément, elle est dangereuse car elle permet les basculements vers l’autoritarisme. Ce n’est à priori pas l’écologie recherchée. Cette approche est hors-sol à sa manière, car la planète ira bien mieux sans nous et survivra à tout. Mais nous, non - et plus un individu est défavorisé, plus ce non est fort. Ce serait plus réel et plus massifiant de se rapprocher en priorité des conséquences sociales du dérèglement climatique.

À propos des 3,5 %

« Il n’y a pas un gouvernement qui ait résisté à un soulèvement impliquant l’active participation d’au moins 3,5 % de la population, et ce, d’après les travaux d’Erica Chenoweth » - l’un des principes d’Extinction Rebellion

Aurélie (XR) : À propos des 3,5 %, ça me paraît claqué au sol d’avoir une méthode scientifique pour estimer une méthode d’action, en isolant les éléments comme si il n’y avait pas de contexte. Comme si les sociétés humaines étaient en laboratoire. Aucun historien·ne sérieux·se ne peut valider ça. D’après l’étude citée par XR, quand il y a moins de mille morts, ce serait de la non-violence. C’est énorme, mille morts. Ce qu’iels appellent la réussite d’un mouvement, c’est le changement de régime, donc si c’est un coup d’état par 3,5 % c’est réussi ?
Beaucoup de mouvements pris en exemple ont eu lieu dans des dictatures, le contexte est différent dans une démocratie. Y’a plein d’éléments ignorés. On peut s’inspirer, mais on ne peut pas transposer donc on ne peut pas se dire « là-bas, à tel époque, iels ont fait comme ça, on fait pareil ». Là où j’avais beaucoup de mal chez XR, c’est qu’il y a des gens pour qui c’est important de croire à ça parce que c’est simple. Le problème c’est se focaliser sur des outils et méthodes alors qu’il y a un contexte social qui est important. C’est pas une méthode qui fait la révolution, c’est un contexte social qu’on ne maîtrise pas, qui fait qu’elle est possible à un moment donné. C’est pas une recette de cuisine.

Écologie hors-sol

L’une des formes de massification, liée à la localisation à Paris, consiste à être un peu partout et nulle part. Si XR est sujet de plein de projections négatives et manque d’impact, c’est parce-qu’il manque d’ancrage. XR aime être partout, avant même de connaître des luttes. Partout de passage, partout sur les images, partout aux prises de paroles, partout en sortant des drapeaux XR, partout en chantant des chants XR, dans un but de massification mal placée dite de “soutien”. Quand il s’agît de faire des happenings sur absolument tous les sujets qui traversent la scène médiatique en écologie, il y a du monde, mais lorsqu’il s’agit de réellement soutenir matériellement et humainement des luttes alentours qui s’organisent et demandent du soutien, il y en a moins. Quand il y en a, ce type de présence est habituellement vécu comme une réappropriation des luttes locales. Peu de membres cherchent une rencontre et compréhension du militantisme écologique local, par manque de curiosité ou à cause de pratiques politiques différentes. Un décalage grave rend impossible tout travail avec les organisations alentours et encourage des positionnements complètement hors sols. Hors sols parce que ces militant·es ne connaissent pas l’histoire des luttes, sont loin des problématiques sociales et des vécus locaux, et peinent à trouver du lien avec des combats radicalement liés à l’écologie comme le féminisme ou l’anti-racisme.

L’engagement militant de XR manque de réflexion préalable, avec des idées souvent peu concrètes, et un manque de définition et d’identification de ce (ou ceux) qui permet la crise écologique. Beaucoup d’autres éléments ont manqué d’être pensés au fondement des mouvements climats - comme l’analyse de la complexité des systèmes d’oppressions qui s’articulent et se renforcent. On le voit dans la construction des stratégies et des valeurs. A d’autres moments, ce positionnement est probablement justement volontaire dans une optique de massification. XR n’est toujours pas officiellement anti-capitaliste et beaucoup sont réticents à l’idée de s’attaquer frontalement aux structures de pouvoir.

7. HÉGÉMONIE DES CODES

(Hégémonie : supériorité, domination)

La Culture Régénératrice (CR) est la qualification chez XR de la culture du soin. Sur son site nous trouvons que « En travaillant à prendre soin au sein même du militantisme, nous cherchons à tester et incarner une nouvelle façon de “vivre ensemble” de l’intérieur. Nous portons une attention soutenue aux moyens utilisés tout autant qu’aux buts poursuivis. Nous pensons que les sociétés durables et joyeuses que nous voulons voir advenir naîtront du soin que nous portons aux blessures de notre société actuelle. »

XR est connu pour sa mise en avant de la CR, comme centrale, le démarquant des autres mouvements. Cette culture est présentée comme étant une des solutions au “monde d’après”, la clé de l’horizontalité (système horizontal : où l’on n’attribue pas plus de pouvoir à une personne qu’à une autre) et de l’égalité.
On est nombreux·ses à avoir beaucoup à dire sur la bienveillance, les normes comportementales, l’inclusivité excluante et la culture du soin toxique.
Cette culture chez XR est avant tout une performance de l’inclusivité et de la bienveillance.

Ylla : Les seules "mesures sociales" dans XR sont des notions assez bobo, comme
la culture régénératrice. Autant je suis la première à dire qu’il faut de la bienveillance
dans les milieux militants, autant je trouve qu’on discute et on discute en disant que
tout le monde a sa place, mais c’est assez faux, puisque les changements de fonds ne
viennent pas.

Se remettre un peu à sa place dans cette histoire de soin

Les parties précédentes ont présenté les profils types des membres d’XR. Même si des postes “clés” de la CR peuvent être tenus par des cis mecs blancs, répartissant la charge mentale - la charge globale quotidienne ne se répartit pas de cette manière. C’est facile pour XR de prétendre être au top de la culture de soin. Ce qui vous permet d’atteindre cet espace où vous pouvez la développer à votre manière, c’est le travail d’autres personnes qui ont pris soin de vous - pour que vous puissiez clamer haut et fort que XR éclaire le chemin de la régénération.

C’est quoi exactement le soin ?
C’est partir d’une bonne intention ?
C’est un mandat ?

Non mais, parce que :

C’est la femme de ta relation cis-hétéro normée qui a la charge mentale émotionnelle du bien-être de la relation. Ta·on copaine qui est sociabilisé·e pour placer tes envies sexuelles avant les siennes. Les M.I.N.T qui ont pris la responsabilité de penser et effectuer le soin sur tes dernières actions. Les personnes racisées qui occupent les postes d’accueil et de ménage de ton espace de travail, d’étude, de vie, et de l’agréable hôtel où t’es allé pour te régénérer du militantisme. Les travailleur·euses du sexe qui ont pris soin de papa cadre avant qu’il rentre à la maison. Les infirmièr·es non-mecs cis et les aides à domiciles racisées qui t’ont enlevé la charge d’avoir à t’occuper de tes grand-parents. Des babysitteuses précaires qui ont gardé tes enfants. Vous êtes loin d’être les moteurs de la culture du soin, et n’avez pas la légitimité de revendiquer grand-chose en son nom quand vos privilèges vous ont épargné de tant de violences.

Individualisation des oppressions systémiques

“Le postulat tacite et incontesté qui sous-tend [ces instructions courantes, qui se fondent toutes sur le principe de bâtir la confiance] est qu’elles peuvent être appliquées de façon universelle. Mais comme elles ne prennent pas en compte l’inégalité des relations de pouvoir, elles ne fonctionnent pas de la même manière selon les groupes. Ces instructions sont dictées par la fragilité blanche et elles visent avant tout à la dorloter. Ces conditions sur lesquelles les Blancs insistent afin de rester dans leur zone de confort sont celles qui entretiennent le statu quo racial (la centralité blanche, la domination blanche et les revendications d’innocence). Pour les personnes non blanches, le statu quo racial est hostile et doit être interrompu, pas renforcé. Le principal message de la confiance, c’est soyez gentils. Et selon les normes blanches dominantes, laisser entendre que quelqu’un est raciste, ce n’est pas "gentil". (...)

Le respect : Le problème de ces recommandations est qu’elles définissent rarement la notion de respect, et ce qui peut sembler respectueux à des Blancs peut ne pas du tout créer un environnement respectueux pour des personnes non blanches. Par exemple, les Blancs qualifient souvent un environnement de respectueux s’il n’est pas conflictuel, s’il est dépourvu d’expression d’émotions fortes et de remises en question de schémas racistes, et s’il place l’intention avant l’impact. Or, nous les personnes non blanches, une telle ambiance est la recette idéale pour créer un environnement artificiel centré autour des normes blanches et, par conséquent, hostile. ”
Robin DIANGELO - Fragilité blanche - ce racisme que les blancs ne voient pas p.209

La Communication Non-Violente (CNV) comprise dans la Culture Régénératrice, devient vite un excellent outil de silenciation à travers par exemple, le “tone policing”. Ce terme anglais signfiant "police du ton" , désigne la silenciation d’une personne, souvent opprimée, sous l’excuse qu’elle ne s’exprimerait pas selon les codes et l’ambiance du groupe. Lorsqu’on nous fait remarquer un comportement oppressif ou un privilège que l’on a : oui c’est malaisant et ça peut créer du conflit. La CNV est dangereuse lorsqu’elle ne prend pas en compte les oppressions systémiques comme directement liées au soin.

Alice (XR) : Chaque personne est imprégnée d’idéologie, ce qui en soi, n’est ni négatif, ni positif. Là où ça devient négatif c’est lorsque ces idéologies nuisent. On a énormément de mal à concevoir en quoi les "idéologies" anti-racistes nuisent aux racistes par exemple. Si par idéologie on parle d’opinion, là effectivement, les visions du monde, les opinions se défendent et peuvent être débattues. Certes nous vivons entouræs de personnes haineuses et phobiques en tout genre, même dans nos milieux militants trop homogènes, et à part les ramener à la raison et l’acceptation d’autrui, pour arrêter de nuire aux autres, aucune autre interaction n’est envisageable.

Si le résultat visé est une coexistence saine, alors que l’un des côtés réfute l’existence de l’autre, la discrimine, le rapport est inéquitable. On en revient à demander à la personne qui subit l’exclusion, de prendre sur elle, de ménager ses propos pour ne pas froisser la personne discriminante.

La domination des personnages accumulant des privilèges, se voit comme le souligne Robin DIANGELO par des dispositifs, des instructions courantes, qui se fondent toutes sur le principe de bâtir la confiance, une hégémonie (supériorité, domination) de codes excluants, comme le “tone policing”. Lorsque des tensions surgissent, l’absence de confrontation quotidienne à la diversité de publics discriminés de la part des militant·es, en vient à :

1. Rester passif·ves face aux discriminations (ne les reconnaissant pas)

2. Appliquer des dispositifs déresponsabilisant comme la modération, ou la médiation (individualisant les situations, qui pourtant touchent un collectif)

Cette individualisation du soin résonne avec l’injonction au bien-être individuel, au développement personnel, aux logiques très libérales. Si tu vas mal et que tu t’énerves, ce n’est pas à cause du collectif, c’est forcément que tu dois prendre soin de toi. D’ailleurs, la culture régénératrice alimente un modèle entrepreneurial du soin. On peut prendre l’exemple de l’arrivée dans le groupe CR du SWOT - Strengths (Forces), Weaknesses (Faiblesses), Opportunities (Opportunités), Threats (Menaces), un « outil de stratégie d’entreprise permettant de déterminer les options offertes dans un domaine d’activité stratégique » selon Wikipédia.

Éteindre le conflit, éteindre le débat

Guillaume (XR) : Certaines personnes qui prônent la CNV et la bienveillance, font la surutilisation de ces pratiques là et il y a une stratégie derrière :
« Si t’es pas aussi bienveillant·e qu’il faut, c’est que t’es pas légitime », « Si tu me rends triste t’as tort. ». Les émotions personnelles sont utilisées comme des arguments prioritaires, ça peut être utilisé pour empêcher un débat qui n’irait pas dans leur sens.

« Si tu n’es pas tolérant envers absolument toutes mes idées et que tu me le dis d’une manière qui ne me correspond pas, ce débat n’est pas acceptable ». Dès lors, la bienveillance devient une norme libérale, parce qu’elle cherche à aplanir tout désaccord, et individualiste parce qu’elle passe toutes les émotions personnelles en premier plan. Le militantisme est un conflit en lui-même et ne peut pas se voir libéraliser cela. Il ne se fait pas sans culture de soin, mais la culture du soin ne se fait pas sans approfondir les causes de la souffrance, qui souvent, sont politiques.

Iris (XR) : Il y a un danger dans XR et ses relations : c’est la culture régénératrice toxique. C’est le côté « On s’aime touxtes absolument dans toutes les circonstances et on prend soin de nous ». Alors qu’en fait pas forcément. Et j’ai pas obligé envie de ça, ni donner, ni recevoir. De plein de manières, c’est obligatoire. Il y en a avec qui on accroche et d’autres pas, c’est humain. Y’a une illusion qu’on a rencontré une famille avec qui tout est possible et tout est bien, c’est extrêmement facile. Cette envie de créer une culture qui régénère peut être étouffante et vient de personnes toxiques. Ça peut en endormir certain·es ou en faire partir d’autres. Ça empêche une honnêteté, et quand ça pète, ça pète beaucoup plus fort. Ça a développé mon cynisme. Ça donne envie de piquer le machin jusqu’à ce que ça ne te ressemble plus.

L’humiliation dans le militantisme

Eli (coordination GPE) : Il y a des rapports de pouvoirs à cause des clans sociaux qui déteignent sur comment on fait les choses en collectif. On s’engueule sur des sujets de fond, mais avec ces histoires de clans. On a des discussions qui ne sont pas constructives où on mélange stratégie et émotion. La problématique principale, c’est qu’on adresse des situations de crise mais qui incluent du « social bashing ». Des choses ont touché des gens au plus profond, ont levé des anxiétés et peurs sur le mouvement auquel iels s’identifient comme communauté. Personne n’a réussi à avoir le recul de parler de manière constructive. J’ai très mal vécu de prendre ces critiques (pas les critiques en elles-mêmes). J’ai donné énormément de mon temps à XR, aux gens. Je me suis poussé·e au bout de ma personne. J’ai pas voulu les mettre en porte-à-faux. Les critiques sans considération pour la personne derrière, c’était hyper dur à vivre.

Un message a été posté dans le canal Fin de Chantiers public durant la semaine d’actions d’octobre 2021. Il m’a mis·e hors de moi, plus que après GPE. Ce commentaire semblait être un avertissement de culture régénératrice, super subjectif, du point de vue de cette personne et je l’ai vécu comme réellement malsain. Ça faisait deux jours qu’on vivait sur le camp, la personne a averti les gens de ne potentiellement pas nous rejoindre en se basant sur des faits d’anciennes actions, sans se renseigner sur la vie de camp et le vécu des gens. Avertissement subjectif sur des faits antérieurs. 48H ça peut paraître petit mais sur un camp c’est une semaine par jour. On a vécu des choses belles et riches malgré les défis. Je suis même plus capable d’entendre la critique contrairement à après GPE. Là je ne comprends pas le fond. Il y a un groupe qui impose sa définition de culture régénératrice aux autres. C’est à l’encontre de la culture régénératrice, une mise en pratique écrasante. En IDF les gens l’utilisent (ex : pour GPE et Fin de Chantiers) comme moyen moralisateur et non bienveillant. Le message insinue que les coordos de la semaine d’action n’ont pas répondu à son premier message, alors que si.

D’autres personnes viennent avec des à prioris car des messages en interne sont envoyés pour questionner l’investissement de militant·es, ou avertir de ne pas travailler avec telle ou telle personne ou action. C’est du bullying, on n’adresse rien, j’ai l’impression de me faire bully. On fait les mêmes reproches depuis des mois sans s’adresser à moi. C’est le même problème, qui n’a pas bien été traité en juin car trop dans les émotions. En juin, le tsunami de haine était moins du bullying. C’était un débrief émotionnel, pas cadré, dans ce canal numérique, c’était malsain mais nécessaire. Je l’ai vécu comme quelque chose de super dur comme individu car c’était des critiques pas mesurées que je prenais pour ma personne. C’est très dur en tant que coordo de pas prendre ça personnellement, c’est une autre problématique.

On a besoin d’adresser GPE dans un cadre constructif pour ne pas renforcer les guerres de clans. Tu te retrouves à devoir choisir ton clan, ou les gens pensent que tu l’as choisi si tu traînes avec tel ou tel pote. On ne se donne pas les moyens. On retombe dans les habitudes sociétales humaines. C’est des guerres de lycée et de collège, et on ne dépasse pas ça. On peut pas adresser la place du sabotage si on n’adresse pas les problèmes émotionnels. Ce serait une erreur stratégique. On mêlerait tous les sujets. Pour moi, le cadre de GPE était tellement toxique, que la question du sabotage, je ne me la pose même pas, je m’en fous.

Agathe (coordination GPE) : Les réactions post-action GPE faisaient ressortir ce coté faux d’amour et d’entente entre tout le monde. La coordo est devenue le vilain petit canard sur lequel on a fait ressortir la haine. C’était en sourdine à la fausse bienveillance qui était là avant. J’étais pas raccord avec les idées politiques et militantes notamment chez Paris Nord, mais on faisait des teufs chouettes ensemble. Donc après ça fait bizarre. Après coup, les autres de la coordo ont reçu des messages type « On vous aime, quittez pas XR ». J’étais pas incluse dedans. D’autres encore, ont reçu plus de haine que moi.

Ce débrief référent, c’était un procès populaire, un procès d’intention ni sain, ni régénérant. Une seule personne a fait un retour positif avec des critiques techniques, la facilitatrice lui a dit genre « On n’est pas la pour dire des choses positives, on est là pour dire les choses qui se sont mal passées ». On était les épouvantails qui devaient se construire en excuses pendant qu’on leur crache dessus. On a mal fait la communication, on ne s’est pas assez posé de questions, notamment vis à vis du désarmement (=sabotage). Par exemple, sur si y’aurait plus de gens que prévu qui allaient vouloir le faire. Mais pour des militant·es qui se disent culture régénératrice, en une étincelle ça a vrillé - c’est passé de faux cul à méchant. Le fait qu’il y ait de la rancune c’est malsain, tout le monde sait qu’on n’est pas des professionnels, on donne de notre temps libre. Voir des gens qui étaient plus intégrés que moi dans ces groupes là, s’en prendre plein la figure par ces groupes - alors qu’iels ont tant sacrifié pour XR - à être mis·es dans le même sac que des gens comme moi qui étaient pas autant intégré·es. Elleux c’était leurs ami·es. On n’a pas eu le bénéfice du doute, que c’était du stress, du manque de temps et d’organisation. C’était directement de l’agressivité : « Vous nous avez trahi·es ». On a été accusé·es d’entrisme (tactique de faire entrer un·e membre d’organisation dans une autre organisation pour la faire changer de l’intérieur) pour que les totos utilisent XR comme de la chair à canon.

C’était atroce considérant qui était dans la coordo côté XR.
Leur réaction c’était comme « Dès le départ on n’était pas dupes, on se méfiait de cette action, mais on a accepté quand même d’être référent·es. On pensait bien que vous alliez nous décevoir, mais on est venu·es quand même. » Et après on se la joue « On vous l’avait bien dit ». C’est presque une manière, comme après Italie 2, d’éliminer les gens pas raccord avec l’ambiance XR Paris. J’avais un pied dans la porte de sortie, on m’a poussée et claqué la porte.

Après que ça ait éclaté, iels ont dit que tout était pardonné mais on voit bien dans leurs attitudes, que non.

Ces témoignages peuvent êtres mis en parallèle avec les vécus du groupe de coordination d’Italie 2, deux ans auparavant. Ces dynamiques ne sont pas des évènements exceptionnels, mais des comportements qui perdurent et se répètent.

Aurélie (coordination Italie 2) : C’est surtout ce qui s’est passé avant l’action Italie 2 qui était scandaleux. Le groupe stratégie à l’international a décidé du lundi 7 octobre 2019 pour la Rébellion Internationale d’Octobre (RIO), la semaine d’actions d’XR. Italie 2 avait été la première de ces actions proposée par un groupe d’organisation constitué autour des “Drapeaux Noirs” de XR - un canal numérique public pour partager des choses autour de l’anarchie. Commencer la RIO le lundi, alors que les gens bossent, n’avait pas de sens. Les manifestations Gilets Jaunes (GJ) étaient le samedi et on était en inter-orga vu qu’on était critique de la posture “On s’occupe que de l’écologie”. XR s’est lancé au même moment que les GJ, c’était absurde d’ignorer ça. On était dans ces deux luttes et on voulait porter une écologie sociale. Donc on a prévu notre organisation pour le samedi d’avant. Ça a fait péter des câbles, iels n’ont pas toléré que ce soit deux jours avant la date prévue. Je pense qu’on devançait ce qu’iels imaginaient être la grosse action de la RIO, l’occupation de la Place du Châtelet (Blocage de la place du 07/10/19 au 11/10/19), qui était organisée par les stars d’XR. Je dis ça contre l’ambiance de XR, pas contre ces personnes. C’est jamais explicité, mais tout le monde le sent. Nous on était considéré·es comme des imposteurs, on n’avait pas le droit de faire cette action. Alors qu’on était aussi là depuis le tout début d’XR France. Mais on était pas assez XR correct, car on était critiques de la théorie des 3,5 %, critiques du fait de demander aux dirigeant·es d’agir ou critiques de la stratégie qui consistait à se réunir dans des capitales tous les 6 mois. Le simple fait qu’on dise cela, faisait qu’on était même plus XR pour certain·es, car c’était son âme. On était donc pas légitimes à organiser la première grosse action de la RIO. Il y avait aussi une énorme ambiance de concurrence au LEO, ressentie par la coordination d’une autre action, celle devant l’Assemblée Nationale du 12 octobre, qui était aussi minorisée par Châtelet. C’était une rétention de ressources humaines et matérielles, « prenez pas le matos », « pourra pas y avoir de cuisine pour vous »…

À Italie 2, on ne voulait pas que les participant·es soient juste des pions qui vont juste faire ce qu’on leur dit, avec un rapport de consommation d’action. Les actions XR ont un “consensus” alors que personne n’a décidé qu’on allait faire comme-ci ou comme ça. Italie 2 voulait juste faire en sorte que les gens arrivent au même moment, au même endroit, où iels auront un pouvoir de décision sur l’action. Des assemblées générales pouvant modifier le cadre d’action étaient donc prévues. Au sein d’XR, il y a eu des craintes vis-à-vis du fait que les gens puissent décider d’elleux mêmes. Si t’es contre ça, ça veut dire que t’es pas pour la démocratie, que les gens sont bêtes et mauvais. Que si tu dis pas aux gens quoi faire iels ne sauront pas faire les bons choix. Soyons réalistes les gens ne vont pas voter pour égorger des flics.
C’est allé hyper loin. Des gens se sont monté la tête en petits groupes, en soirée etc., sans jamais venir nous parler. Y’a eu des rumeurs de fou.

Au départ, on voulait aussi inviter ANV – on les adore pas, mais bon. Il y a eu une réunion où on présentait ce “consensus” modifiable. Une meuf de ANV se barre en pleine réunion. Elle a fait courir le bruit dans tout ANV que ce serait une action violente, au point où des potes de ANV Nantes et ANV Marseille ont rapporté qu’en interne, les gens disaient que ce sera une action violente. Une meuf d’XR Angleterre rencontrée à Cannes, m’avertit que chez elle, on s’inquiétait pour l’image d’XR à l’international. Donc les gens sont allés parler à touxtes leurs potes de France, sans jamais venir nous parler à nous, la coordo. On a crée un canal de questions sur l’action, mais aucune réponse ne les satisfaisait. C’était « il paraît que ci, que ça » et si on répondait pas immédiatement, iels s’énervaient. On voulait faire des boucliers mignons et inoffensifs avec des fleurs pour se protéger, ANV l’avait déjà fait pendant des actions. Finalement, on l’a pas fait, mais une personne voyant ça au LEO a fait courir des rumeurs de bataille. Y’avait la rumeur qu’on avait prévu des sorties de secours pour le Black Block. Ça c’est une déformation totale d’une discussion qu’on a eue avec les Gilets Noirs, les sans papiers, à qui on avait demandé si iels avaient besoin d’être évacué·es si y’avait une intervention policière. Iels n’ont jamais été vérifier ces rumeurs, iels voulaient pas.

Des membres envoyaient des messages privés sur Mattermost pour demander du renfort à l’action en tant que peace keepers car « elle sera violente ». Des gens sont donc venus en masse pour prendre le contrôle de l’action et faire en sorte que ce soit non-violence stricte parce qu’iels avaient peur que ça leur échappe. Voila un premier délire. Un autre ? Des gens ont préparé un communiqué de presse en avance de l’action à publier après, pour se désolidariser de l’action alors qu’iels ne savaient même pas encore ce que ça allait être.
Une personne de l’équipe juridique XR qu’on avait contactée, à qui l’action ne plaisait pas, menaçait de divulguer des informations au reste d’XR sur le lieu, ce qui aurait complètement menacé la tenue de l’action. Elle n’est jamais venue au rendez-vous proposé pour communiquer sur cette tension. C’était le dernier week-end de préparation. Grosse panique, flip de sécurité et peur que le mouvement ne nous suive pas.

Après l’action, il y a eu un déchaînement. On peut ne pas être d’accord avec Italie 2, mais on n’a rien fait de fou. Quand j’y repense, on était hyper non-violents, c’était même pas une action de sabotage. Un canal numérique privé qui s’appelait “Drapeaux Blancs” a été crée, pour marquer l’opposition avec le canal public “Drapeaux Noirs”. Ce nouveau groupe était un lieu où les gens se montaient la tête ensemble, d’une manière qui préparait le cyberharcèlement.

Psychologiquement ça m’a énormément affecté, j’ai perdu mes cheveux par poignées. C’était du harcèlement ; ce qu’on nous a fait subir. On avait un horrible sentiment d’impuissance, quoi qu’on leur dise, quoi qu’on fasse ça changeait rien. J’avais l’impression d’être face à un village qui faisait une chasse aux sorcières. J’ai été dans plein de collectifs, avec plein de problèmes humains. Cette folie collective je ne l’avais jamais vécue. J’avais l’impression qu’on voulait que je disparaisse, que je n’existe plus, je l’ai ressenti après l’action et je le ressens encore. J’ai toujours l’impression que je ne peux pas faire grand chose dans le mouvement car dès que je fais quelque chose, on me soupçonne : « elle a une idée cachée derrière la tête », « c’est PEPPS », ou
« c’est de l’entrisme ».

Plusieurs personnalités mystifiées d’XR sont présentées aux nouvelleaux arrivantes comme étant des méchant·es intru·es dans XR, tandis que PEPPS est présenté comme une déviante de XR. C’est un avertissement : « Si tu te rapproches de ces idées ou de ces personnes, tu seras traité·e comme elleux ». Alors que c’est juste une histoire de XR pas d’accord entre elleux. Il apparaît normal que les relations sociales impactent la lutte et que des désaccords existent, surtout lorsqu’un groupe grandit, c’est sain - selon la mise en forme. Le manque de cadre adapté pour ouvrir ces débats publiquement envenime les relations intra-XR. Les désaccords prennent une forme dogmatique, dans une tentative d’homogénéisation autour de soi et en prenant son identité comme référent d’acceptabilité.
La période d’organisation d’actions à des dates rapprochées a également été très éprouvante pour les coordinateur·ices des actions de juin 2021.

Maud (XR) : A cette période, j’ai vraiment ressenti ce côté "fake" dans l’ambiance des groupes "hype" à Paris. Les coordos étaient en concurrence. On essayait de dissuader les gens d’aller à telle action pour pas qu’iels ratent la notre. On se prenait à part pour avoir plus d’infos, on lançait des doutes collectifs, y’avait beaucoup de méfiance sur qui organisait quoi, comment et quelles étaient les intentions. Y’avait un peu ce seum que d’autres actions puissent venir faire de l’ombre à la soi disant action la plus importante du mois, Canopée, parce qu’elle devait massifier. Et on mettait de la pression sur l’action qui précédait en disant que si elle ratait, ça allait faire perdre des "nouvelleaux" pour Canopée. On aurait dit que plein de ces gens ne s’intéressaient même pas aux différentes intentions politiques des actions.

Les difficultés émanaient de relations interpersonnelles passées, et ... d’égo ! De manière assez similaire à Italie 2 et à la Place du Châtelet, certaines coordinations étaient "starifiées" par rapport à d’autres. La "notoriété" dans les cercles militants a servi à encourager ou décourager la participation à des actions. Les outils numériques ont été très exploités pour descendre en flèche des actions, mais aussi pour boycotter les Soulèvements de la Terre, jusqu’à boycotter le week-end de rassemblement en soutien au campement de Saclay contre la Ligne 18 début juillet 2021 ou jusqu’à boycotter les actions Fin de Chantiers reprenant en octobre 2021.

Bienveillance infantilisante

Trop souvent, des militant·es se croyant incarner la culture régénératrice ont cherché à éloigner d’autres XR qui amenaient des critiques sur le fonctionnement du mouvement. Les reproches consistaient à dire que ces XR pourraient "déprimer" et faire partir les "nouvelleaux". Comme si les "nouvelleaux" n’étaient pas capables de se faire leur propre opinion sur des débats, ou ne pouvaient pas voir et accepter le mal-être des autres. Des personnes dans des phases de dépression, de perte de sens, de baisse de participation, de perte d’enthousiasme, de colère à exprimer – et surtout lorsque celle-ci était contre la police - se faire collectivement juger (parfois par leurs propres groupes affinitaires) parce-qu’iels auraient des comportements « inutiles », « pas assez positifs et encourageants » pour les “nouvelleaux”. Il y aurait une manière valide et socialement correcte d’aller mal. D’autres fois, des personnes neuro-atypiques se sont fait reprocher leur asociabilité comme n’étant pas l’esprit d’XR ; des personnes en plein stress et fatigue d’organisation militante leur non-performance d’accueil des “nouvelleaux”.

Le soin en général et particulièrement le soin des “nouvelleaux” est instrumentalisé comme excuse pour valider ou invalider les opinions et émotions de militant·es, ou les directions du mouvement et des groupes locaux. « Mais les nouvelleaux ! » est devenue la meilleure réponse à tout ce qu’un individu ne veut pas voir chez XR. Les “nouvelleaux”, c’est la même excuse qui est utilisée face à des actions qui ne sont pas uniquement festives, qui sont politiques, ou faites à visage masqué. Même les personnes présentes chez XR depuis un moment sont maintenues dans cet état d’infantilisation par des personnes ayant des postures de meneur·euses à travers la culture régénératrice. La surutilisation du mot “nouvelle”, “nouveaux”, “nouvelleaux” est à limiter. Elle marque la séparation entre arrivant·es récent·es et les autres – en réalité, elle marque inconsciemment la légitimité que chacun·e peut s’attribuer.

L’homogénéité, c’est sain ?

Rester lié·es aux groupes nationaux et internationaux pour se soutenir, pour s’inspirer des réussites et des découvertes, est utile. Certain·es tentent de pousser XR France à se caler sur des modèles, comme celui d’XR UK, essayant d’être le plus similaire possible. D’une manière générale, on se pousse les un·es et les autres à prendre et à multiplier tâches et mandats, qui nous relient à d’autres réunions, qui sont reliées à d’autres réunions en ligne, jusqu’à en venir à des trucs qui nous dépassent, visant souvent à créer un XR National ou un XR Global. A quel moment est-on en train de créer du lien, et à quel moment est-on en rupture avec le réel qui nous entoure ?

En arrivant, on se dit en rigolant : « C’est fou, dès que tu mets un pied dans XR, on essaie de te garder, on te donne dix mille tâches à faire et tu t’en sors jamais. ».

Peut-être qu’on devrait passer plus de temps sur nos groupes locaux et affinitaires pour en prendre soin, pour avoir une cohésion avec ce qui nous entoure politiquement et humainement, avant d’inventer 35 000 nouveaux mandats.

Nos normes

Les codes de communication XR, notamment non-verbaux, sont fréquemment imposés comme obligation et évidence, partout, même pendant des moments avec des non-XR. XR a le chic de penser qu’il est à la pointe du progrès en terme de comportement et de communication et que autrui devrait être à l’aise avec (pensée coloniale aussi).

J’aimerais qu’on se demande quelles normes ont été créées en essayant de contrer d’autres normes, et comment elles en sont venues à opprimer. La notion de “constellation” plutôt que celle d’inclusivité semble intéressante. Elle cherche à créer un possible "vivre ensemble" qui ne demande pas à se conformer mais à pouvoir être ensemble avec ses différences – en espérant pouvoir limiter le sur-contrôle de soi et la honte d’être autrement. Le milieu militant demande beaucoup trop de codes qui font qu’il n’est pas accessible. Comment cela se fait-il que des militant·es se sentent parfois plus humilié·es par le militantisme qu’iels ne le sont par le capitalisme ? Le capitalisme accepte très bien la différence, parfois mieux que le militantisme - tant que les individus n’ont pas la capacité de remettre en question l’ordre du groupe. Chez XR, c’est pareil.

8. horizontalité

Des structures pas toujours horizontales (où l’on n’attribue pas plus de pouvoir à une personne qu’à une autre)

⁂ Média-Messages

« Le groupe Médias & Messages a pour but de faire vivre la communication externe d’XR France via les différents réseaux sociaux et le site internet. (...) Ce groupe incorpore également des rebelles qui assurent la rédaction et la diffusion de la Newsletter de XR France. Ses mandats incluent aussi les relations avec les médias, la presse et les journalistes afin d’avoir un meilleur impact médiatique auprès de la population. » - site d’Extinction Rebellion

Axel (XR) : Le groupe Relations Presse (RP) est problématique dans sa conceptualisation car il n’est pas en accord avec nos défis de changer les valeurs et hiérarchies de pouvoir. Les RPs sont la frontière entre nous et les gens de l’extérieur, sur lesquels on a moins d’emprise. Les journalistes attendent un contact privilégié avec une personne qui va faire un travail de relation personnelle. Donc c’est difficile d’avoir un grand groupe derrière.

Si on se place du point de vue du collectif, on a besoin d’équité entre les groupes et besoin que les RPs s’investissent pareil sur tout type d’actions. Mais du point de vue du bénévole, on ne peut pas demander cela. On pose une envie collective qui n’est pas humainement viable pour les personnes qui ont ce rôle dans la conception du groupe de RPs. Si iels acceptent de faire leur rôle (mais ne sont pas “pour’’ l’action), ce sera baclé. Les RPs ont un rôle crucial pour les actions, qui ne devrait pas reposer sur la volonté d’un individu voulant bien aider ou pas. Pour les réseaux sociaux, c’est les cinq mêmes personnes qui font base arrière pour toutes les actions depuis 1 an pour XR France. Je n’ai jamais remarqué un traitement impartial d’une action par la base arrière. Mais c’est humainement possible que si un sujet motive, iels taggueront davantage les bons comptes etc. Mais il y a moins d’enjeux que pour les relations avec la presse.
Seul les personnes encore actives restent dans ce groupe parce qu’il contient beaucoup d’accès sensibles. C’est normal, mais du coup, il y a une problématique de temps à donner.

⁂ XR Finances

Guillaume (XR)  : XR Finance n’est pas horizontal, avec notamment une personne qui tient bien les rênes. Par exemple, l’action GPE ne s’est pas fait rembourser parce que les coordinateur·ices ont envoyé le budget en retard, ce qui arrange bien cette personne en question. Il y a cumul de pouvoir.

Felix (coordination GPE) : On a manqué de forces et de ressources, donc on n’a pas fait la demande de budget à temps, et bien qu’on ait fait une action importante, qu’on ait essayé de recycler, ça n’a pas été pris en compte par un fonctionnement très froid et vertical du financement à XR. Y’a pas tant d’actions d’organisées, ni de gens qui montent des actions. Si on ne prend pas soin de ces gens là, qu’on est pas compréhensif·ves, ça dégoûte. Je pensais à eux quand j’allais à des actions sans les monter. Iels donnent de manière disproportionnée, sont peu et sont souvent les mêmes. J’ai découvert le peu de reconnaissance envers elleux. On fait comme si y’avait 40 actions par mois et que y’a pas assez de thune, alors que non. Là c’est la ZAD/ Les Soulèvements de la Terre qui vont rembourser une partie.

La structure rigide d’XR Finance exerce une pression similaire sur les actions Fin de Chantiers de Octobre 2021. Celles-ci sont dans le même thème que GPE, mais avec une majorité d’autres coordinateur·ices. Malgré le gros travail fait par le groupe coordinateur pour répondre aux questions et inquiétudes, une personne de XR Finance semble pratiquer un harcèlement numérique en messages privés et sur les canaux publics tandis que le budget n’est pas accordé à temps pour l’action.

Charlotte (XR) : Il y a une personne très visible dans XR Finance qui n’essaie pas de mettre en place de l’horizontalité. Le groupe fait un gros travail bénévolement, mais c’est administratif et non humain. Ils sont en désaccord avec la vie sur le terrain, où on s’adapte et on fait avec ce qu’on a.

Pour Fin de Chantiers (11-17/10/21), on a demandé le budget une semaine avant. Il faut selon la procédure - et je comprends le besoin de procédure - faire la demande deux semaines avant. Dans la réalité du terrain, c’est pas toujours réalisable : savoir qu’on va faire une action, mesurer son budget... Finances devait réfléchir à notre demande alors qu’on était dans une situation urgente. On a appris 4 jours avant l’action qu’on aurait une réponse le jour de l’action. C’est insensé. Donc les personnes qui engageaient les frais, ne seraient peut-être pas remboursées.

Il y a des imprévus pendant les actions, comme des affaires personnelles saisies ou détériorées. En fonction de la relation personnelle qu’un·e tel·le entretient avec XR Finance, est-ce plus ou moins possible d’avoir des avantages ? Canopée a eu un énorme budget, est-ce que ce sont des dépassements autorisés ? Est-ce que c’est un énorme budget autorisé dès le départ ? Est-ce que les actions parisiennes se voient attribuer un plus grand budget que les autres ? Au-delà d’une certaine somme, ne devrait-il pas y avoir une consultation ?

Charlie (XR) : Au moment de la création de l’équipe de soutien international de XR, s’est posée la question de comment répartir l’argent à travers tous les groupes nationaux. En France, s’est posée la question de si on accepte l’argent de telle ou telle source. Il en est sorti que XR France utilise uniquement les dons personnels. Il faudrait revoir comment la décision avait été prise. Une équipe créée par X a fait de la levée de fonds cet été. X pouvait contacter des personnes un peu comme pour un entretien d’embauche. Il assume qu’il sera là pour une capacité décisionnelle plutôt que de travailler avec le groupe de travail.

A la première réunion, il a ouvert la possibilité de faire des levées de fonds auprès des entreprises. La question de processus décisionnel à l’international a été levée, et la réponse à été que de toute façon, la plupart des gens contestataires dans la décision originelle n’étaient plus trop actifs, et qu’une décision nationale serait trop fatigante.

⁂ Un récit hors Ile-de-France

Thomas (ex-XR des débuts du GL de Bordeaux) : Je venais de milieux anarchistes et de gilets jaunes (GJ) où on parlait beaucoup de Bookchin, écrivain sur l’écologie sociale et libertaire. J’ai entendu parler de XR avec l’impression que ça rassemblait. Leurs publications étaient radicales et iels allaient vers l’antiproductivisme : mais sans parler encore de capitalisme, ce qui me questionnait. Ma première réunion de GL m’a requestionné sur certains points. On avait rendez-vous dans un bar très bobo, Darwin, on nous a fait un power-point pour nous expliquer XR, ce qui m’a vachement fait penser au fonctionnement d’un parti politique, et iels ne disaient toujours pas le terme anti-capitalisme. La raison donnée était que ça permettait de ne pas faire fuir certaines personnes. Finalement, je suis entré dans le groupe, dans lequel il y avait plein de nouvelleaux militant·es mais ultra "déters", qui pouvaient à la fois être attiré·es par des actions symboliques sans être à la recherche de pureté et pas dogmatiques (opinions bien arrêtées, considérées comme
des vérités absolues, exprimées catégoriquement), qui faisaient de tout type d’actions. Iels parlaient même de sabotage sans jugement moral. On se posait surtout des questions tactiques et stratégiques.

Plusieurs personnes de XR étaient aussi dans d’autres groupes militants, on faisait des réunions avec des collectifs anarchistes, et il y avait le mouvement GJ en même temps. On faisait des réunions avec elleux, dans leur local, et on était en tête de cortège de manifestations avec elleux. Je pense d’ailleurs que c’est grâce à elleux que XR a eu plus de soutien populaire. On avait eu la volonté dans XR d’arrêter de se retrouver dans des lieux où il y avait un devoir ou une incitation à acheter, parce que plusieurs d’entre nous étaient précaires. On a donc commencé à se retrouver au L’Athénée Libertaire pour les réunions. Puis on a ouvert un squat, où venaient les GJs, les personnes de l’Union Communiste Libertaire (UCL) qui étaient aussi des XRs...même des appellos (= en référence au texte l’Appel (2003), ce mot devenu “fourre-tout” qualifie l’élitisme dans le militantisme, notamment envers les légalistes de NDDL) venaient. Il y avait une recherche d’écologie populaire, des cours bénévoles étaient donnés au squat, on avait monté une garderie pour les réunions et actions des collectifs.

Il y a eu une période de désenchantement dans le groupe local XR après. Plusieurs personnes n’ont pas compris le besoin d’espaces en mixité choisie. Il y a eu des violences et menaces d’une personne qui tenait à une ligne particulière de XR, avec un processus de médiation trop lourd qui ne voulait pas passer à l’exclusion. Comme il n’y avait pas de ligne politique, au début on était un petit groupe affinitaire anarchisant, touxtes différent·es, mais comme il fallait toujours massifier le groupe s’était élargi. Un des groupes affinitaires prônait des actions symboliques, débattait sur ce qu’il fallait faire ou pas, avec des clashs et sans vraies discussions. Nous on faisait des alliances avec les GJs et les totos (= autonomes), et elleux des alliances avec Alternatiba etc. - et je trouvais ça pertinent d’avoir les deux. Avec les gens « plus à gauche » on laissait faire ce qu’iels voulaient faire, mais iels se mettaient en travers de la parole et de la discussion des autres. De base, XR National était juste un outil pour relayer les actions des XRs locaux, puis c’est devenu n’importe quoi quand iels tardaient, ou ne voulaient pas relayer nos actions : comme les sabotages de trottinettes, ou nos articles…. Donc finalement, il y avait bien une ligne politique qui avait été mise en place, mais pas décidée par les GLs, et avec des mandats qui sortaient de nulle part. En fait, XR National, c’est XR Paris, pas du tout représentatif des classes sociales des autres. Il y avait beaucoup plus de diversité à Bordeaux. Puis j’ai vu plein de copaines mettre tellement d’énergie dans les réseaux sociaux de XR pour se défendre et débattre avec elleux, c’était horrible…

Je trouvais ça bien quand XR pouvait créer des vrais liens, comme avec le squat ancré au niveau local qui permettait de faire des liens là où tu es, avec qui tu es.

⁂ Accueils Nouvelleaux

Julie (XR) : J’ai fait mon accueil XR avec Paris Nord, il y a environ un an, et je l’ai kiffé sur le coup. Mais je me rends compte qu’on ne m’a montré qu’une partie d’XR, qu’un type d’actions, celles qu’iels aiment et qu’iels organisent. C’était faux. On m’a beaucoup parlé de l’Aéroport, de Châtelet, mais pas d’Italie 2 ou d’actions de d’autres GLs. C’est vraiment dommage que Paris Nord et Paris Est aient le monopole de l’accueil nouvelleaux, car c’est les mêmes personnes pour moi. Ça entretient une seule vision d’XR.

J’aimerais faire quelque chose de plus complet, de plus large.

Agathe (XR) : Seulement quelques personnes « anciennes » arrivent à rester dans le mouvement. Car les nouvelleaux militant·es finissent par voir que ça tourne en rond. Celleux qui restent, prennent une place influente et paternaliste. Dans les accueils, on prend les gens pour des enfants - « les accompagner en douceur dans le militantisme » : alors que c’est des gens qui en ont marre qui ont envie d’agir. On re-crée ce côté mentor envers des personnes qui après sollicitent leur “expertise”. En coordination d’action, c’est les mêmes qui organisent sans concertation et sans échange sur des idées fraiches. Iels n’arrivent plus à se remettre en question. L’ancienneté trône chez XR.

⁂ Pouvoirs informels

Les pouvoirs sont maintenus par des sphères sociales, souvent à travers des personnes charismatiques aux opinions tranchées, qui créent une verticalité informelle.

Guillaume (XR) : On devrait explorer l’angle de ce que c’est d’être écolo dans un contexte parisien, et le manque de pensée politique dans un truc qui est très politique.

Dans les décisions qui ont été prises unilatéralement et sans concertation, il y a l’apparition des principes longs (qui interdisent plusieurs choses autrefois autorisées) ou le retrait de la Base du cadre d’action du début d’XR avec des points clairs comme la violence physique n’est pas autorisée, mais la dégradation matérielle si. Ce premier cadre d’action avait été validé collectivement, mais on était 40 et on ne savait pas qu’on finirait à être autant. Donc s’il était encore là et qu’on voulait le changer, on aurait pu faire une instance représentative pour le faire évoluer. Maintenant, à la place de ce cadre, y’a juste un texte vague traduit de XR UK, qui précise que XR n’assumera pas d’actions avec dégradations matérielles lourdes ou le visage masqué.

Pour la mise en place de l’Assemblée des Groupes Locaux (et Affinitaires), les premiers à s’y opposer c’est Paris Nord. Iels ont peur que ça les déconnecte des branches internationales, et ont trop d’intérêts à perdre car iels ont été élevé·es comme des dominant·es. C’est la crainte de la démocratie de la part de la bourgeoisie. « Nous on sait comment organiser la lutte, ce qui est XR. Leur donner du pouvoir démocratique ce serait forcément mal ou ça conduirait XR à sa perte ». Ils s’opposent à l’AdGL car c’est un "organe de décisions centralisé" qui iraient contre l’horizontalité mais c’est hypocrite car des décisions sont déjà tout le temps prises. La seule manière de contrer ça c’est un organe représentatif qui peut prendre des décisions démocratiques. Ce sera toujours plus représentatif que quelques personnes du groupe de travail stratégie (composé à 2/3 de gens de Paris). L’autonomie des GLs ne sera pas remise en question. Puis, c’est le premier essai de Assemblée des GLs, ça ne marchera pas complètement.

La décentralisation revendiquée par XR correspond plus à un éparpillement géographique qu’à une autonomie. Elle n’efface pas les rapports de pouvoirs entre les groupes locaux, ni entre les groupes hors Paris et ceux de Paris. Il serait plus transparent de se définir comme groupe affinitaire, plutôt que comme groupe local se considérant comme dans la neutralité, qui en réalité va véhiculer des idées fortes.

Ce qui manque d’être pris en compte, c’est que l’absorption dans XR est si forte, que le mouvement devient des communautés, voir des clans. Pour beaucoup, le mouvement n’apparaît pas ponctuellement sous forme d’une ou deux réunions par semaine. Il prévoit de nombreuses réunions, cercles de paroles, actions, apéros, colocations, amours, amitiés, sexualités ou vacances, qui nouent des relations très fortes, très vite. Ces dynamiques sociales permettent plein de choses, dont des comportements néfastes - comme des rapports de pouvoir, des besoins de se sentir accepté·e, ou la possibilité d’exclure (informellement) des personnes pour leurs opinions idéologiques. Cette exclusion passe par : ne plus être invité·e aux soirées, ne plus être invité·e à co-organiser des actions, ne plus être invité·e à participer aux actions cooptées (normalement par confiance et non par amitié).

L’aspect militant formel serait trop lourd s’il empiétait sur les moments intimes. Mais la forme de communauté, demande d’être considérée différemment. Lorsque dans une réunion, 15 des 25 personnes présentes ont passé leur week-end ensemble en soirée, il y a un impact sur cette réunion. La frontière est trop fine entre les réunions formelles et ces réunions bis, qui ont lieu en informel, créant une inégalité d’information. Les organisations d’actions ou autres, se font pendant ces soirées - qui à Paris sont lancées par, et concentrent, un groupe affinitaire de référence en organisation d’actions.

Youss : L’informel n’est pas mauvais en soi, mais mauvais à cause des rapports de pouvoir qu’il crée. Il y a donc un intérêt poltique à discuter de ce que l’informalité peut générer comme inégalités, et éviter ça.

L’abus de pouvoir que s’octroyaient des militant·es se sentant et étant considéré·es comme plus légitimes, a déjà été identifié plusieurs fois. La justification de cette légitimité insidieuse passe : par le développement de personnalités fortes et autoritaires ; par une capacité d’influence et une connaissance du fonctionnement de XR, grâce à son ancienneté ; par la quantité de temps disponible à être investi ; par la maîtrise des outils numériques ; par la présence aux moments sociaux ; par le cumul de privilèges ; par une mainmise sur les accueils nouvelleaux ; voire parfois par des mandats.

Cette nécessité de prouver sa légitimité contribue à pousser celleux voulant avoir une place, à se surmener et se surinvestir.

On peut voir la notion de burn-out militant comme étant la reproduction des rythmes de travail capitalistes que l’on s’inflige. La structure du monde du travail valorise les employés qui donnent plus, en leur donnant droit à des postes plus privilégiés (qui, ici, sont informels).

⁂ Non-inclusivité comme maintien de pouvoir des dominant·es

La non-inclusivité du mouvement envers les individus extérieurs et les individu intérieurs au mouvement n’est pas si inconsciente. Quand elle ne relève pas d’un manque de déconstruction, elle se cache derrière de la "bienveillance". Je pense que ces personnes et ces groupes - affinitaires ou rassemblant des privilèges communs - gardent intentionnellement le pouvoir au sein de ces espaces à travers l’exclusion. Les XRs se gardent le mouvement et ses richesses à travers l’exclusion des autres. Au sein du mouvement, des XRs se gardent des pouvoirs à travers l’exclusion de d’autres XRs. Iels se légitimisent en prônant l’inclusivité et l’absence de hiérarchie formelle. Après tout, c’est absolument impossible que ces XRs ne sachent pas qu’iels sont excluant·es. Tout le monde hors du mouvement le qualifie ouvertement de “bourgeois et blanc” et désigne ses stratégies comme inadaptées à la majorité. Iels savent que tout le monde le dit. Ce n’est pas un secret. Iels-mêmes le disent. Ces agissements ne sont pas inconscients.

Nos bulles militantes conservent des espaces et récits imaginaires permettant d’échapper à la société. Ces bulles sont inaccessibles pour la plupart et permettent aux égos de fleurir. Elles continuent d’aider des personnes à se valoriser au-dessus des autres, avec la maîtrise d’outils due à des privilèges, pour mettre en avant des opinions et des combats.

Les dominé·es sont tout à fait capables de saisir le pouvoir. Mais lorsque les dominant·es monopolisent l’espace pour y arriver, ce trajet est plus long et difficile. Ce n’est pas aux personnes qui subissent ces dominations de faire le travail de se battre pour avoir une place et de faire de la pédagogie gratuitement aux personnes dominantes. Chacun·e a un travail constant et évolutif de remise en question collective et individuelle à faire. La domination est un problème de dominant·es. Des ressources écrites par des personnes concernées existent, des moyens de s’organiser émergent, des collectifs ouverts à faire de la pédagogie sont disponibles - il y a des moyens de débuter quelque part.

⁂ Un problème de structures

Aurélie (XR) : On a un problème de structures, et une incapacité à changer ça. Depuis le début de XR, des gens pointent ce problème. Par exemple, comment prendre une décision pour tout le mouvement ? Car ça, ça n’a jamais fonctionné. C’est structurellement pas possible car quand XR a été inventé, il n’a pas été pensé pour ça. L’Assemblée des Groupes Locaux et Affinitaires est une tentative, mais ça ne changera pas tout du jour au lendemain. En tout cas, il y a un enthousiasme de la part de plein de GLs. D’autres gens, par contre ne veulent pas que ça arrive.

9. ORGANISATIONS VIRTUELLES

Comme dans le reste de cette brochure, il ne s’agit pas d’incriminer des personnes, mais d’identifier les raisons de certains comportements et dynamiques collectives toxiques pour mieux agir dessus. Malgré les aménagements effectués pour pallier les lacunes des outils numériques et du système d’auto-organisation d’XR, les logiques structurantes restent fondamentalement les mêmes.

(A) Critique de l’usage des outils numériques chez XR

Il est clair que les outils de communication que nous utilisons conditionnent grandement la manière dont nous nous percevons mutuellement, nous nous comprenons (ou pas) et nous nous organisons ensemble.

À ses débuts, XR s’est différencié de la plupart des mouvements écologistes existants par ses outils numériques libres, sécurisés (chiffrés et hébergés hors législation), performants, etc. qui se prêtaient bien à la volonté d’horizontalité, de partage d’informations et de réplication d’un modèle d’organisation similaire à différentes échelles géographiques. ·

Au début, il y avait juste un forum (La Base, pour les sujets qu’on doit pouvoir suivre) et un cloud (RDV, pour stocker, partager et travailler à plusieurs sur des fichiers), ça a été ensuite complété par une messagerie instantanée (Mattermost, pour éviter de noyer le forum), un système de visio-conf et un outil de visualisation de l’organisation (Glassfrog). La mise en place de ces outils par une équipe très compétente a permis à XR d’être rejoignable facilement, d’obtenir de l’information aisément sur le mouvement et de grossir très vite. La crise sanitaire et les confinements ont induit un usage massif de ces outils (notamment les réunions en ligne en interne et la communication sur les réseaux sociaux en externe).

Il ne s’agit pas d’être opposé au numérique en soi, mais on devrait pouvoir en faire une critique constructive car il y a plusieurs biais, à la fois (1) classiques relatifs aux réseaux sociaux en général et (2) plus spécifiques à XR, sa sociologie, son organisation et ses usages.

(1) Biais classiques relatifs aux réseaux sociaux :

 > Fear of Missing Out : les notifications, avoir un projet ou une conversation "sur le feu", la crainte de perdre une position privilégiée dans le mouvement (car il n’y a pas de moments physiques et formels où les grandes décisions sont discutées par touxtes et prises) peut entraîner une crainte de passer à côté de quelque chose qui encourage à passer énormément de temps sur les outils numériques (là où tout se passe), ce qui peut aliéner et délaisser des relations plus réelles.

 > Combats de coqs : le fait d’avoir un "public" encourage les combats de coqs (surtout les mecs cis). Ce n’est pas si important que ce "public" présent sur les canaux de discussions soit attentif ou non, le but étant d’être pertinent, d’avoir raison et de le montrer. Ce genre de comportement est à la fois aliénant pour celleux qui y participent et lourd pour les autres. Il ne s’agit pas d’être contre les débats, mais que ces derniers aient systématiquement lieu en public les rend souvent plus faux et n’encourage pas les compromis (difficile de dire "ouais, t’as raison je dis de la merde" devant 200 personnes potentielles).

 > Course au like et à la popularité : le système de "like" sur la Base et sur Mattermost est à la fois un bon système pour montrer son approbation ou sa désapprobation sans avoir à reposter un message, mais il induit aussi une course à cellui qui aura le plus de réactions positives (y’a même un classement des personnes en fonction de leurs likes reçus/donnés sur la base), et le contenu du message peut devenir secondaire. C’est aussi une manière de réaffirmer la dominance de certains codes sociaux (celleux qui mettent des émojis arc-en-ciel à chaque fin de phrase, on vous voit) ou d’une ligne politique majoritaire, sans que cela soit fait de manière trop frontale. Non pas que les discussions et les réactions soient mauvaises en soi, juste que là il n’y pas de cadre et ça nourrit le côté course à la popularité présent chez XR.

 > Facilite le harcèlement / violence symbolique : les témoignages des organisateur.trices des actions Italie 2 et GPE sont éloquents : les outils numériques facilitent le harcèlement ou le déversement de haine de certain·es (accusation d’entrisme, d’avoir trahi, menaces de nous dénoncer) sans que leurs messages ne soient franchement modérés, cela induit une forme d’impunité et de violence symbolique admise. Aussi le système de messages privés permets un effet cumulatif qui s’apparente à du harcèlement.

(2) Biais des outils numériques relatifs à XR :

 > Filtre sociologique : avoir fait de longues études (qui induit des différences aussi à l’écrit), être employé·e du secteur tertiaire, avoir plus de temps car étudiant·e ou pouvoir être sans activité par choix, être jeune, être habitué·e aux réseaux sociaux, etc. sont autant de différences qui induisent des inégalités dans l’usage des outils numériques qui prennent une place centrale chez XR. Ces inégalités, combinées à une absence récurrente d’espaces de débats cadrés (et physiques) donnent à beaucoup de gens l’impression que "rien ne va dans le bon sens", et que leur participation ne compte pas, entraînant un raz-le-bol et une désertion des outils, et donc d’XR. Ainsi, la place centrale des outils crée un filtre énorme qui trie en amont les profils sociologiques qui rejoindront XR, ce qui vient nourrir des inégalités plus globales (même profils privilégiés, classisme par ex.).

 > Mauvaise circulation de l’information et centralisation du pouvoir : la place centrale que tiennent les outils numériques dans l’organisation d’XR implique des rapports de pouvoir très forts et informels (ceux-ci n’étant pas formalisés, ils sont très difficiles à identifier, à décrire et à remettre en cause). Une personne peut très bien être dans de nombreux groupes différents et ainsi accéder à une quantité énorme d’informations et exercer une influence très forte sur des personnes moins intégrées. Qu’on se le dise : si on est pas actif·ve sur les outils, on est pas vraiment dans XR, point.

 > Sur l’utilisation des outils numériques : malgré les tentatives récurrentes des équipes de modérations, sans système de gestion des conflits clair, des comportements agressifs persistent sur les outils numériques. Comme sur d’autres réseaux sociaux, ce sont des comportements qu’on ne verrait jamais se produire dans la réalité, mais qui ont des impacts concrets sur celleux qui reçoivent cette agressivité. Aussi, le confinement a induit une utilisation massive des outils numériques (notamment les réunions en ligne) et a renforcé le déséquilibre des forces internes (déjà présent) en faveur de Paris, car nos activités se sont concentrées sur la communication.

nb : il est écrit "Paris", mais en réalité il s’agit plus d’un profil social homogène (pas que chez XR, mais dans le mouvement climat) qu’on retrouve majoritairement à Paris (ex. la majorité des coordo des GST (groupes de support thématiques), 2/3 de l’équipe "stratégie", etc. sont en Île-de-France), mais qu’on peut retrouver ailleurs.

(B) Critiques du Système d’Auto Organisation (SAO) d’XR

Historiquement, le Système d’Auto Organisation (SAO) d’XR a été présenté comme une démarche d’enquête auprès des différents groupes d’XR pour lister les pratiques d’organisation afin d’identifier des bonnes pratiques qu’on aurait pu partager. Depuis, le SAO a pris de l’ampleur et s’est imposé de manière incrémentale comme le mode d’organisation d’XR sans que cela ne fasse l’objet d’une décision collective. En gros, il s’agit d’instituer comme fonctionnement normal le fait d’avoir des groupes auto-constitués (notamment les GST travaillant sur un sujet précis telle la stratégie) qui définissent leur mandat qu’ils doivent ensuite faire valider par le mouvement (à ma connaissance, les mandats sont publiés, mais il n’y a pas de validation car en l’état c’est impossible). Le SAO a été intégré à "l’ADN" d’XR : outre les critiques sur ce terme essentialiste (comment pourrait-on changer l’ADN d’un organisme sans que celui-ci ne meure ?) promu par une frange très proche de la pensée d’XR UK, cela signifie que le SAO a été placé au même niveau que les principes, les revendications, le consensus d’action dans la hiérarchie des normes internes à XR.

Avoir un mode d’organisation évolutif est essentiel, on peut aussi être pour une certaine division de l’activité militante (en fonction des envies, compétences, engagements de chacun.e) ou une hiérarchie "formalisée" (et donc questionnable), mais ce système particulier est problématique car il induit des biais anti-démocratiques :

L’utilisation des outils informatiques est centrale dans ce mode d’organisation : la "cartographie" des différents groupes est accessible via Glassfrog, la composition des équipes est sur la base, on rejoint ces groupes via la base, les informations (avancées des travaux, annonces de réunions en ligne) circulent uniquement sur les outils informatiques... sans être sur ces outils, il est impossible de se tenir informé·e et de participer à l’évolution de l’organisation d’XR. On peut cependant continuer à être tenu·e informé·e des actions mais on n’aura qu’une posture de participant·e. Ainsi, les inégalités provoquées par les outils se retrouvent dans l’organisation et inversement l’organisation légitime l’usage de ces outils.

Un outil complexe et imposé : déjà comprendre la SAO nécessite 3h de formation en ligne. Cet outil ne semble pas répondre à un besoin largement exprimé car sous investi par les GL. Nous avons été plusieurs à entendre des promoteurs de cette démarche dire que « si les gens ne s’emparent pas de la SAO / ne rejoignent pas les GST, c’est qu’ils n’ont pas compris / qu’on n’a pas fait assez de pédagogie », un discours quelque peu infantilisant, relativement proche de celui des dirigeants politiques dès qu’il s’agit de faire passer une réforme en force. Il n’y a pas de volonté d’écouter les besoins de la base des militant·es mais bien d’imposer une solution par le haut à grand renfort de "pédagogie". Celleux qui n’étaient pas d’accord sont partis (notamment par dépis), ce qui renforce le côté : "la SAO c’est la norme".

Logique de réseaux et homogénéité sociale : avec sa logique de réseaux, constitués de proches en proches, la SAO facilite l’homogénéité sociale (bien que des appels à recrutement soient fréquemment postés sur les outils en mode "offre de jobs") et d’idées politiques. Ainsi, on se sentira plus légitime à rejoindre un groupe si on connait ses membres, si on a les mêmes codes sociaux, les mêmes idées, le même vocabulaire et les mêmes pratiques que les gens déjà présents.

Manque de légitimité à tous les "étages" : comme le SAO n’implique pas de décision formelle, seulement des "propositions" qui à défaut de contradictoire et de circuit de validation formalisé auront effet de décisions, cela provoque une absence de légitimité à tous les étages de l’organisation. D’un côté, les membres qui ne participent pas à l’élaboration (ou plutôt qui sont empêché·es de le faire pour toutes les raisons évoquées précédemment) des grandes orientations d’XR ne les estiment pas légitimes (à juste titre), ce qui au mieux induit un désintérêt, au pire des conflits récurrents. De l’autre côté du spectre, les GST peuvent travailler pendant des semaines à une orientation sans avoir la garantie que leur travail sera suivi d’actes (ex : on peut travailler pendant des mois sur la stratégie et l’organisation de la prochaine "rébellion internationale" sans savoir si des coordo vont se constituer pour organiser des actions qui concrétisent effectivement cette stratégie). Il n’est pas difficile de voir en quoi ce genre de dynamiques sont mortifères à la fois pour les individus et le mouvement dans sa globalité.

Dans un livre de recherche sur XR UK¹, des sociologues analysent comment le mode d’organisation d’XR favorise l’efficacité au détriment de la démocratie. Cette critique rejoint celles qui ont pu être formulées dans "La tyrannie de l’absence de structure"² .

Il ne s’agit pas de refonder un mouvement vertical, avec des AG fleuves (assemblées générales interminables) et un politburo (bureau politique du comité central du parti communiste de l’URSS) qui sont autant de mécanismes toxiques reproducteurs de logiques de domination. Il s’agit de se doter de procédures de prise de décisions, de gestion de conflits, de se donner les moyens de modifier "l’ADN" d’XR (les principes, les revendications, le cadre d’action) sans que cela ne suscite des réactions épidermiques (vives et superficielles).

¹ Oscar Berglund, Daniel Schmidt, “Extinction Rebellion and Climate Change Activism”, 2020.
² Trouvable sur infokiosques.net

COMMENT SORTIR DE CETTE DOUBLE IMPASSE INDUITE PAR LES OUTILS NUMÉRIQUES ET LE SAO ?

Que faire de tout ça ? Car si la critique est aisée, il faut savoir proposer des alternatives pour sortir de ces dynamiques toxiques. Il y a bien une solution qui est dans les cartons depuis 2 ans maintenant : l’Assemblée des Groupes Locaux. Au moment où ces lignes sont écrites, il est prévu d’organiser la première session en janvier 2022 pour nous rencontrer, apprendre à mieux nous connaître en tant qu’individus et mouvement, pallier l’omniprésence des outils numériques, le distanciel, le manque d’horizontalité, l’homogénéité sociale, la déconnexion entre les GST (groupes de support thématiques) et les GL, entre Paris et le reste de la France, l’inertie post-COVID, le manque de stratégie, de vision politique et de structuration. Cela fait trois ans qu’XR existe, face à l’urgence écologique qui a refait surface fin 2018, après une série d’événements (opération d’évacuation de la ZAD de NDDL, incendies en Amazonie, émergence de Greta Thunberg et du mouvement des grèves pour le climat, émergence d’XR, démission de Nicolas Hulot de son poste de ministre, etc.), XR s’est focalisé sur l’enchaînement des actions, avec une certaine efficacité, mais a délaissé les questions de structuration et a préféré apporter des corrections ponctuelles à une organisation héritée d’XR UK.

Malheureusement, le manque de personnes dans l’équipe d’organisation de l’AdGL au regard de l’ampleur de la tâche pour la rendre réellement démocratique (synthèse des propositions, déroulé et facilitation, location d’un lieu, prise en charge des transports des délégué·es, prévoir les conflits en amont, etc.) semble compromettre ce projet (bien que de nouvelles personnes aient rejoint l’équipe récemment). Pourtant, de nombreux GL (une vingtaine) et groupes affinitaires ont exprimé leur volonté d’y participer, ont formulé des propositions, ont prévu d’envoyer des délégué·es à l’AdGL, etc.

De nouveau, des critiques s’élèvent de la part de membres du GL Paris Nord, qui ont menacé de déposer des oppositions formelles à l’AdGL. Certains membres de ce GL voient dans l’AdGL un moyen pour PEPPS de prendre le pouvoir sur XR (l’AdGL est une idée de membres de PEPPS ayant aujourd’hui quitté XR ; il y a des PEPPS dans le groupe d’organisation), qui craignent l’apparition d’un organe de prise de décisions centralisé allant à contre courant de l’horizontalité (fantasmée, on l’a montré) d’XR ou qui modifierait “l’ADN” d’XR et qui romprait avec sa dimension internationale. Ces critiques, associées à une réelle défiance envers les procédés démocratiques de la part d’une ligne majoritaire (sentiment d’être les seul·es à savoir ce qu’est vraiment la “bonne” ligne d’XR ; crainte de perdre du pouvoir), affectent grandement la motivation des membres du groupe d’organisation qui se pose aujourd’hui la question d’abandonner.

10. La honte

Se détacher de dire « je suis XR » est une manière de se libérer des injonctions imposées par XR. L’importance accordée à l’image renvoyée par l’individu, demande d’avoir une manière de se comporter et de penser publiquement - comme un sentiment d’impossibilité de détacher sa personne du mouvement. L’image homogène et idéale des XR qui est mise en avant, permise par l’obligation du visage à découvert, participe à inciter à ce que touxtes montrent cette bonne image. Car son visage, une fois qu’il est associé à XR, fait presque image de marque.

Chaque militant·e a sa manière de gérer son appartenance ou ex-appartenance à XR lorsqu’iel est sur d’autres terrains de luttes. La honte, est souvent celle d’être associé·e à l’image renvoyée d’XR - celle renvoyée par les groupes partageant des opinions similaires, ayant des postures de meneur·euses, qui occupent l’avant-scène des médias, des espaces d’expression, et des lieux de luttes traversés.

Ce sont les raisons pour lesquelles mes liens passés ou existants avec XR sont cachés. Certain·es d’entre nous ne voient pas l’intérêt de venir afficher de manière identitaire nos appartenances à travers drapeaux, conversations et codes, sur d’autres espaces, dans le but de faire de la publicité et recruter avant même d’apprendre à connaître et à soutenir d’autres collectifs. Cette invisibilité en tant que XR, est bien intentionnelle. Il y a des XRs qui vont en ZAD, des XRs qui s’investissent dans des luttes locales, des XRs qui travaillent à rendre l’écologie plus sociale, des XRs qui questionnent XR. Dès fois, on prend le temps de nuancer les critiques des autres militant·es sur XR. Ce que je ressens, c’est cette fatigue d’être minorisée et en confrontation à la fois à l’intérieur d’XR et à l’extérieur d’XR - parce que je suis aussi XR finalement. La question se pose pour plein de militant·es de quitter XR définitivement à cause de cette pression, ou d’y rester pour maintenir sa légitimité et la possibilité de faire exister différentes positions.

Je me suis demandé si ces critiques allaient rendre plus difficile le militantisme pour les XRs qui travaillent déjà sur les points développés. Si certaines de ces critiques visent bien l’ensemble d’XR, d’autres visent particulièrement des mentalités récurrentes et des sections qui y participent consciemment. La mixité et les comportements varient selon les zones géographiques. Plusieurs groupes hors d’IDF ne se retrouveront pas dans les problèmes que j’ai évoqués. Plusieurs d’entre eux partagent la difficulté de subir les préjugés qui leur sont attachés venant de la particularité des groupes parisiens.

D : J’ai beau avoir mis de l’énergie dans XR à ses débuts en France, je m’en suis vite détachée, et ai passé sous silence le fait que j’y ait été active.

XR a été une de mes portes d’entrée dans les milieux militants, avec les fameuses “grèves pour le climat”. Ce mouvement m’apparaissait plus radical que les autres mouvements, ceux que je connaissais à l’époque, alors je m’y suis lancée. Au bout d’à peu près 6 mois, je m’en suis un peu éloignée, en gardant des liens avec certaines personnes. Et puis j’ai arrêté de dire que je me reconnaissais dans ce mouvement 8/9 mois après l’avoir rejoint. Désormais, j’évoque même plus mes liens avec XR, même quand on parle d’actions auxquelles j’ai participé juste à côté de moi.

Cela tient à plusieurs choses, dont certaines sont clairement expliquées dans cette brochure : membres privilégiés sans le conscientiser et/ou le prendre en compte, manque de remise en question, rapport à la Police problématique, langage et pensée entrepreneuriale/managériale très présente, …

Ces raisons sont celles pour lesquelles j’ai quitté le mouvement et que je ne m’y organise plus.

En bref, une des raisons pour laquelle je ne dis pas que j’ai des liens avec XR, est la pensée politique du mouvement, trop libérale et problématique à mon goût.

Mais selon moi, il faut aussi comprendre la honte et la gêne de dire qu’on a des liens avec XR ailleurs. Cela vient aussi de la façon dont d’autres militant·es parlent d’XR. Souvent, on en parle comme des non-violents dogmatiques, des personnes qui ne sont pas opposées à la police et à la justice (parce que XR dit qu’aller en prison c’est bien, qu’il faut chercher à y aller), hors-sol parce qu’ancrées dans aucune lutte locale. Ces choses sont perçues comme “mauvaises” ou comme “naïves” dans une recherche de bon·ne ou de mauvais·e militant·e. Je trouve que c’est un problème.

Il s’agit selon moi de radicalisme rigide, et il y en a beaucoup dans les milieux militants (chez XR y compris). Cela se manifeste sous la forme de condescendance et de réponses sèches à des questions perçues comme naïves, la volonté de paraître lae plus radical·e possible, haïr des choses parce qu’il le faut, même sans savoir pourquoi, avoir les bons mots, les bons gestes.

Alors voilà, je pense que ce radicalisme rigide est perceptible chez d’autres, mais il est aussi intériorisé quand on se refuse à poser une question sur une pratique, un terme ou quand on revendique haut et fort nos exploits militants.

Sans surprise, ma posture dépend des personnes avec qui je suis. Je me sens moins jugée avec des personnes que je connais bien, alors je me tourne plus facilement vers elleux pour leur poser des questions. D’autres personnes n’auront aucun problème à poser des questions à des personnes qu’iels connaissent peu/pas, et d’autres préfèreront aller chercher des ressources sur internet.

J’ai choisi de passer sous silence que j’ai été dans XR, parce que ce n’est pas une fierté pour moi. Dans la plupart des cas, cela ne m’apporterait rien. J’en parle quand on me demande sans jugement comment je suis arrivée là, où j’en suis actuellement. Cela me permet de contextualiser, pourquoi j’y ai mis de l’énergie, pourquoi plus maintenant, et d’éviter de me prendre des remarques gratuites de personnes qui recherchent la pureté militante à tout prix. Je pense que c’est à questionner, parce que ça pourrait permettre de faire redescendre certain·es (plutôt certains) militant·es.

Iris (XR) : Moi je suis assez réticent à ramener mes couleurs dans tous les endroits, car je trouve ça pas approprié et en plus ça va me fermer des portes. Les actions comme Italie 2 et GPE aident à redonner de l’idée à XR, ça laisse derrière Roger Hallam, un des fondateurs d’XR, pour voir que y’a plein de gens chez XR. C’est bien pour les gens hors XR, mais aussi dans XR qui doivent comprendre ce qu’il y a dans leur mouvement. J’ai arrêté de tenter d’amener XR dans plein d’endroits, et plutôt m’amener moi dans plein d’endroits. Puis si je fais des choses chez XR, je mets les gens en rapport là où c’est cohérent.

La totalité des occupations en IDF, à chaque fois qu’on a su, compris que j’étais à XR, on m’a demandé c’était quoi le délire de XR. Je présente XR pas comme une fin, mais un moyen à attirer pour faire un peu de militantisme sur un chemin sympa, pour après faire autre chose. C’est dur de se sentir à l’aise tout de suite chez les antifas ou dans les squats, alors que chez XR, les gens sont de la même sociologie, tout est verni etc. Mais faut pas se tromper sur la portée que ça peut avoir. Je le résume comme un aspirateur à néo-militant·es : y’a des flyers, un site clair, ça fait pas trop peur. Et le but c’est de les amener à un truc suivant, plus fort et moins cadenassé, que ce soit les Soulèvements de la Terre, les MER, les antifas, les blackblocks, n’importe, c’est pour te lâcher après t’avoir fait monter en radicalité.

Agathe (XR) : Si on parle d’XR ailleurs c’est honteux, même si t’as pas honte. Les premières remarques sont des critiques. XR est perçu comme un milieu très parisiano centré, très moralisateur, alors que ça fait un an qu’il agite des drapeaux et qu’il sait ne pas de quoi il parle. Ses militant·es verraient la non-violence comme solution absolue.

J’étais hyper fière d’être chez XR, et moins je me suis sentie en accord avec XR, plus j’ai eu honte. Puis j’étais cataloguée hipster parisienne purement pacifique et dépolitisée. Ça me vexe, parce que c’est pas ce que je pense. J’ai l’impression de, soit devoir accepter d’être cataloguée, soit de devoir le justifier. XR est présenté comme une identité. Je suis militante climatique et sociale avant d’être XR. J’ai pas besoin du badge, du drapeau et du dossard qui fait marque. Les gens ont peur du prêcheur de la paroisse XR. Ça a du apparaître avec les premières actions. Quand je suis présentée comme XR, j’ai l’impression d’être forcée à effacer un tag ACAB. La classification d’un·e XR ne se défait pas, même aujourd’hui, c’est le premier truc qui revient dans les commentaires en ligne.

Alix (XR) : Concrètement, les critiques qu’on a reçues de la gauche (et donc d’Usul), c’était surtout après Châtelet. Deux ans après, je pense que l’effaçage des tags est la pire erreur stratégique qui a été faite par XR en France. Et pourtant, sur le coup, même si je trouvais ça débile, ce n’était pour moi qu’un détail, et je n’aurais jamais pensé que l’impact aurait été aussi fort à long terme. Et ça continue de nous coller à la peau, ce qui est sûrement injuste parce que c’était l’initiative d’un petit nombre de personnes (mais laissé faire par la majorité). Je suis pas sûre que collectivement, on ait vraiment mesuré le tort que ça nous a causé. Le problème aussi, c’est qu’on n’a jamais fait d’auto-critique là-dessus, alors qu’XR UK par exemple a écrit un an après un long texte pour redéfinir son rapport à la police et reconnaître que sa vision de départ était une vision de privilégié·es blanc·hes.

11. manque de recul et d’espace de questionnement

Une bataille culturelle - peurs et blocages

Adelie (XR) : J’ai rejoint XR il y a deux ans. Depuis le début très investie, je suis toujours aussi étonnée de voir l’énergie qu’on peut dépenser ensemble quand on croit en un collectif, une cause. Mais quand on est trop dedans il est parfois difficile de prendre de la hauteur, on reste trop souvent dans un entre-soi qui nous empêche de regarder objectivement ou sous un autre angle, nos failles. Depuis 6 mois, j’essaie de me dégager de rôles très opérationnels (Médias Messages par exemple) et d’aller voir d’autres luttes comme la ZAD, des “communes libérées”.
Depuis le début de l’année un groupe stratégie s’est créé pour qu’on s’adapte plus facilement aux contextes politiques/sanitaires/sociaux. Ceux et celles qui le rejoignent pourront j’espère prendre ce recul sur le mouvement, le critiquer aussi et faire en sorte que nos actions aient des impacts concrets. Je pense qu’on ne doit plus se contenter d’attirer l’attention des médias (qui ne nous regardent plus d’ailleurs) mais faire des actions plus ancrées et ça passera aussi par créer des alliances et diversifier nos modes d’actions.

Retours sur l’action Grand Péril Express (GPE), en co-organisation avec les Soulèvements de la Terre.

Agathe (coordination GPE) : L’action a mis en lumière des problématiques, comme certaines personnes qui ont senti leur autorité ne pas être respectée. Dans le retour du débrief, il y avait des « J’ai dit aux gens de pas faire ça, et ils l’ont fait quand même » ou « Les autres n’ont pas respecté la manière de faire, ils n’ont pas respecté la procédure XR ». Des personnes prennent à cœur leur rôle dans l’action, comme un rôle de théâtre ou de délégué de classe, surtout les médiateurices et les contacts police. On prône des valeurs et l’auto-organisation, mais on ne sait pas les mettre en pratique, car on n’a pas pris le temps de déconstruire.

Il y a eu mauvaise communication, je ne minimise pas notre connerie là-dedans. Mais y’avait plus de volonté de travailler ensemble de la part des gens hors XR, que de la part des gens dans XR - qui n’ont pas voulu faire de concessions. C’est tout ce que ces XRs connaissent comme fonctionnement et il n’y a pas d’envie de changer. On ne prend pas le temps chez XR de s’auto-former sur la culture militante, d’analyser d’autres modes d’action, se demander comment s’adapter aux contextes et autres groupes. À part Attac et Alternatiba, on n’a pas fait d’alliances fortes (sauf l’action Italie 2 avec les GJs qui a été bâchée comme GPE). On pense qu’on sait mieux faire que les autres, alors qu’on est un groupe récent qui connaît pas les rouages du militantisme. Aux réunions de Paris Nord, on brasse de l’air : “que faire dans son GL”, et autres questions vagues qui n’intéressent pas grand monde, genre le SAO. On n’approfondit pas les sujets politiques et les questions militantes. Les gens se renseignent en surface sur la thématique de l’action à venir pour pouvoir parler aux médias, puis dès qu’elle est finie, on passe à autre chose. Pendant GPE, on était face à des autonomes ou des zadistes, qui ne sont pas pour autant super au point sur tout, mais qui ont des expériences de lutte et qui ont déjà gagné des combats - donc c’est intéressant. Je vois les problèmes d’organisation et d’autoritarisme qu’iels ont aussi. Mais on n’a pas été humbles, et on était trop méfiant·es de base - « C’est des gens qui vont forcément venir tout casser ». Certains aspects de l’action leur a donné raison. La prochaine fois qu’il y aura une co-organisation, ce ne sera pas XR paris, qui se referme de plus en plus sur sa mauvaise foi et sa fausse bienveillance - « si t’es pas d’accord on te fait sortir ».

Iris (coordination GPE) : Il y a eu une incompréhension et un choc entre différent·es militant·es. Le but était de rencontrer des cultures militantes, mais pas seulement en mélangeant les modes d’actions. C’est aussi mélanger les mentalités, comprendre qui sont les autres, d’où iels viennent. Au sein d’XR, on a mal compris les autres gens, mais aussi la diversité des gens qu’il y a chez XR. Alors que beaucoup de XR étaient actifs à part entière dans plein d’évènements de cette action. On ne veut pas comprendre qu’il y a des gens dans son propre mouvement qui ont des idées autres que celles qu’on présente et celles qu’on veut bien voir. On connaît pas les gens avec qui on travaille chez XR, ni les gens des ZADs et les totos. Soit on a une idée fausse, soit on ne les connaît pas.

Arrivés sur le terrain, on se rend compte que les modes d’action font moins débat (ex : sabotage). Mais la culture et la mixité militante n’ont absolument pas été travaillées en amont. Les gens d’XR n’ont pas eu la curiosité de rencontrer d’autres cultures militantes d’ailleurs, et en soi, vice-versa. Beaucoup d’idées sont préconçues et les manières de faire se sont entrechoquées. Il y a des choses dans XR, tel la passivité face à la police ou le visage découvert qu’il faudrait savoir adapter. Ces choses n’existent pas ailleurs - pas parce qu’ailleurs c’est juste des brutes - mais parce qu’il y a des raisons. Il y a un blocage mental qui se résume à « On a un peu la meilleure manière de faire et c’est relou quand on fait pas comme nous ». Ça se manifeste plus fortement quand on parle d’ADN, donc si on l’a pas en soi-même : On est pas de la même espèce ? Pas assez pur·es ? Il y a un dogme anglo-saxon. Ils n’ont pas la même histoire sociale que la France et surtout pas depuis 5-10ans.

On est touxtes néo-militant·es, mais il faudrait faire des pas vers les autres pour ne pas arriver dans un nœud. C’est une bataille culturelle qui se développe, avec des préjugés des deux côtés, et on ne peut pas juste souhaiter qu’il y ait des gens qui se rassemblent. Faudrait avoir l’intérêt d’aller voir dans les ZADs, les squats, les manifestations et parler à des gens.

Le « shit-storm » contre les orgas de GPE, je m’y attendais. Pour ce qui peut se dire, les messages en ligne, les canaux divers et variés je n’y prête pas attention, peut-être pour me protéger. C’est quand même bizarre, ça fait flipper. C’est la peur des gens qui te retombe dessus. Je l’absorbe pour moi et pourtant ça n’a pas été personnel. Ça a été dur, car ça émane de gens avec lesquels on s’entend plutôt bien de base. Tu découvres que non, que y’a des choses qui ont choqué que t’avais pas anticipé. Les critiques que j’ai prises le plus mal, c’était de celleux qui n’ont jamais monté d’actions. J’ai écouté celleux qui en avaient l’expérience. Alors que les autres disaient des choses complètement décalées. Au dé-brief, les gens avaient besoin d’exprimer leur peur et que quelqu’un l’entende. Je l’ai bien compris et je ne trouve pas ce moment injuste, mais il défait des liens. Je sens qu’on a pas compris ce qu’on voulait faire, pour des raisons que j’ai évoquées précédemment. C’était une occasion manquée de faire comprendre des choses. Après, y’a plein de détails techniques qui sont aussi la source de ces problèmes : la fatigue accumulée, devoir participer à une action, convaincre les gens de la faire, de avec qui on la fait.

Il y a un effet chefs de meutes dans les critiques qui ont été émises. Des personnalités plus fortes, avec des visions différentes, qui ne vont pas apaiser les choses. Ces gens je les connais, on les identifie. Ça réactive des conflits anciens. On leur a donné trop de raisons avec GPE pour qu’iels se réveillent. Ce qui m’embête, c’est que c’était prévisible qu’on soit critiqué·es sur des raisons pratiques. Mais on nous a renvoyé des raisons idéologiques : « C’était obligé de se passer comme ça avec ces gens là ». C’est faux. On n’a pas réussi à recruter. Pas réussi à s’organiser suffisamment. Manqué d’aide sur plein d’aspects. C’est pas une question de : on a ramené le loup dans la bergerie pour mettre le bordel.

Il y a des énergies ailleurs, et je vais les rejoindre parce que j’ai pas l’énergie d’avoir ces discussions en amont.

Le blocage, la peur d’aller plus loin étaient frappantes - celle du sabotage, du visage couvert, d’essayer de se dépasser, d’être avec d’autres. Elle était chez des gens qui ont décidé de ne pas venir à l’action, ceux qui n’ont pas pu y être, et ceux qui y ont été. On avait pas peur de la police, du tribunal ... on avait peur de ce qui allait se passer sur l’action, de qui y’aura… Il y a des processus importants dans XR, juridiques, ‘‘soins’’, finances etc. En fait non, ça existe, mais pas pour les actions où ça pousse plus loin. Donc est-ce que l’escalade, on y est prêt·es ? Car c’est apparemment la stratégie d’XR. En fait, y’a pas grand monde.

Les groupes XR en IDF sont toujours dans un moment critique des relations sociales et clans idéologiques depuis l’action GPE. Une grosse méfiance, déjà bien présente auparavant, de XRs envers les non-XRs s’est amplifiée. Certain·es de ces XRs en excluent d’autres, et se méfient de celleux qui fréquentent des militant·es non-XRs, ou qui s’investissent sur d’autres terrains de lutte en parallèle. Qui est vraiment XR ?

Si les collaborations avec des collectifs écologistes moins "radicaux", clairement verticaux hiérarchiquement et avec moins de diversité ne sont pas critiqués, pourquoi celles avec des mouvements plus sociaux, politiques, ou autonomes le sont-elles ?

L’Ego-trip militant

Il ne peut être reproché aux actions amusantes et tranquilles d’exister. On ne célèbre pas assez nos victoires, même petites. Cependant, de nombreuses actions se font en tant que forme d’accomplissement personnel. Cet égo collectif crée l’égo personnel. Le militantisme alimente l’égo et l’égo alimente le militantisme. L’utilisation de ressources militantes, autant humaines qu’économiques, pour cet accomplissement, se questionne. Monter des actions pour gérer son éco-anxiété individuelle ou son égo, en usant de ressources et de l’énergie d’autrui, est un schéma qui s’enclenche facilement. Autour d’une boucle malsaine, des actions sont crées pour "C’est bon on a de belles photos", pour terminer dans un "entre like" sur Instagram par ses propres participant·es. C’est déprimant de rejoindre un mouvement en voulant militer, pour se rendre compte qu’on est juste là pour se féliciter. D’où la nécessité de laisser les types d’actions varier.

Guillaume (XR) : "Rebelles". Je pense qu’au sein d’XR, on peut voir la différence entre ceux qui se désignent comme "rebelles" et les autres. Ca veut dire quoi ? Les gens qui ne sont pas dans XR ne sont pas des "rebelles" ?
C’est des moutons ? Est-ce que être rebelle c’est faire des réunions en ligne ? C’est coller des affiches ? C’est ne pas travailler ? C’est écouter du rock ?

Je trouve qu’il y a vraiment quelque chose de narcissique là-dedans. Au final, on ne se "rebelle" pas tant que ça, on ne se met pas vraiment en danger, on ne risque pas grand chose. Selon moi, se désigner comme "rebelles" c’est surtout pour le dire à ses potes.

Similairement, l’utilisation du mot "moldu·e" - dans l’imaginaire Harry Potter, une personne du monde ordinaire, dépourvue de pouvoirs magiques et ignorante de l’existence du monde des sorcièr·es - pour nommer un·e non-militant·e ou non-XR, renforce cette barrière entre XR et non-XR et alimente le sentiment de supériorité d’XR.

Et “XR Académie” (programme de formations délivré par XR) ? Sans juger le contenu de cette “académie” puisque je n’y ai pas assisté, le nom choisi et son format révèle une des pensées “à la XR”. Une académie se pose comme une instance institutionnelle d’enseignement supérieur et descendante, offrant une expertise à ses “élèves”. Elle s’oppose à une éducation populaire, une auto-formation ou un échange de savoirs et de pratiques.

XR Académie est proposée sous format de “packs” (coucou le monde entreprenarial) différenciant ses participant·es qui peuvent choisir le “pack office débutant·e” (non j’ai juste tenté une blague) – c’est le “pack découverte”, le “pack sensibilisation”, le “pack activiste”et le “pack avancé” (coucou les hiérarchies, l’infantilisation, le retrait de légitimité). Y’a des “levels” d’activistes maintenant ? Quand on est “débutant·e” activiste on va dans le “pack découverte” qui propose un “Échange sur nos émotions face à la crise écologique” ; puis quand on sera grand·e on ira parler de “Stratégie d’XR pour une escalade de la rébellion” dans le “pack avancé” ?

Guillaume (XR) : On finit par penser qu’on a révolutionné l’écologie, parce qu’on ne connaît pas notre histoire, qu’on n’a pas de transmission d’histoire entre militant·es .

La typologie des membres consiste souvent à ne pas avoir de passé militant, ni de proches militant·es - et à se voir gonfler l’égo parce qu’on a l’impression d’avoir tout inventé et d’être les seul·es à se donner. Trouver enfin des personnes qui "pensent comme nous" en découvrant XR est courant et satisfaisant. Le risque est de se refermer sur soi, devenir un microcosme et de vouloir le rester. En n’étant pas au courant des diverses manières de fonctionner et de s’accepter, les convergences apparaîssent comme un choc.

Emma (XR) : Beaucoup de problèmes, sont ceux d’XR Paris, pas d’XR tout court. Il y a plus facilement convergence dans les groupes non parisiens. XR Poitiers, XR Niort et d’autres sont très impliqué·es dans les Soulèvements de la Terre. A Paris, chacun·e est concentré sur son truc, on ne travaille pas ensemble, comme si y’avait concurrence entre entités militantes. C’est renforcé par le coté on aime mettre notre logo partout. La critique du monde militant envers XR c’est qu’on croit tout savoir sur la non-violence et la militance, alors qu’on milite depuis pas longtemps.

Que faire pour nous réconcilier ?

L’horizontalité est une belle vocation, mais nous restons des produits du capitalisme, du système scolaire, et de nos privilèges. Sans auto-critique, pédagogie, et réflexion, toutes ces dynamiques sont reproduites.

Agathe (XR) : XR est une puissance en tant que porte d’entrée vers la radicalisation, qui n’est pas assez exploitée. Seuls quelques électrons libres approfondissent des questions.

Alice (XR) : L’une des premières choses est de comprendre, qu’aussi fort que nous pensions que nos voix portent, elles ne sont jamais moins une affaire de dominance, de pouvoir d’influence que de multitude. Des mouvements sociaux nous précèdent et leurs combats, nous en récupérons les fruits mûrs aujourd’hui, pour que notre participation réussisse à donner plus d’ampleur à ces luttes jumelles. De ce fait, nous ne pouvons continuer d’agir par colonialisme d’idées, en nous positionnant comme juges et maître·sses du curseur du valide ou non, du juste ou non, du violent ou non. Nous ne pouvons non plus enjoindre les collectifs en lutte à converger vers notre jeune mouvement, ayons l’humilité de comprendre notre place et de coexister, d’entamer des échanges sains et non colonialistes à demander un ralliement, une massification dans nos propres rangs etc.

À cela, nous devons surtout et avant tout être dans une critique constante de nos actions, de nos réflexions, du fait que nos vies, en tant que personnes plutôt privilégiées, ont peu été confrontées à la réalité crue et violente de nos adelphes de luttes, discriminæs, opprimæs et pour la plupart dans un mode de survie quotidienne. Employons-nous à nous sortir d’une position centrale, sur la scène médiatique, sur la légitimité des modes d’action, des combats menés, et apprenons des expériences, des échecs, des difficultés des luttes anti-racistes, anti-sexistes, décoloniales, écoféministes, queers, etc.

Besoins de mixité choisie

L’existence et le respect des espaces en mixité choisie (genre, sexualité, classe, race sociale...) n’est pas acquise chez XR, car elle demande de pouvoir admettre l’existence de ses privilèges. Elle fait peur, parce qu’elle menace le pouvoir des dominant·es. Ces espaces permettent un travail qui va de pair avec la déconstruction des espaces en mixité.

La mixité-choisie peut-être un moment de joie et de partage serein. En réalité, elle est surtout un moment d’expression de souffrances, de rage, et d’efforts pour savoir comment affronter des oppressions collectivement. Pour cela, c’est un temps difficile, mais aussi ce n’est jamais un « safe » space. Aucun de nos espaces ne sont complètement guéris de rapports de pouvoirs. Ces moments de mixité choisie peuvent même permettre de faire connaître le combat écologiste à d’autres types de militant·es, et de s’en saisir. Des personnes dont le combat principal est le féminisme par exemple, s’intéresseraient à l’écologie si le féminisme pouvait y avoir une place. Des évènements écoféministes en mixité choisie pourraient devenir une porte d’entrée.

Solitude

J’ai souvent pensé être seule à avoir les réflexions que j’ai développées. Dès que j’ai commencé à parler ouvertement, un enchaînement de militant·es dont je pouvais être très proche ou que je connaissais de loin, m’ont partagé idées, craintes et reproches envers XR. Je ne les avais jamais vu·es adresser ces sentiments ni avec moi, ni publiquement. Ce mouvement ne permet pas de partager honnêtement des opinions sans pression sociale et dogmatisme. Il ne me l’a pas permis, et manifestement, ne l’a pas permis à elleux non plus.

Le processus naturel d’évolution en découvrant XR, pour y faire évoluer le mouvement avec, n’est pas permis. Cet état évolutif du militantisme permet de ne pas tomber, ni de rester, dans de nouvelles injonctions - dans une pureté militante.

“Et puisque la nature est attaquée de telle manière qu’il nous est devenu presque impossible de la défendre, efforçons-nous de préserver nos subjectivités, nos visions, nos poétiques de l’existence. Nous ne sommes pas les mêmes, et c’est merveilleux , nous sommes comme des constellations. Le fait que nous puissions partager des espaces, que nous voyagions ensemble ne signifie pas que nous sommes les mêmes ; mais cela signifie que nous sommes capables de nous attirer les uns les autres par nos différences plutot que par l’accession à un statut de commune appartenance à cette idée d’humanité.

Nous n’avons jamais connu qu’une seule manière de tout homogénéiser, et celle-ci nous a ôté la joie de vivre.”

Idées pour retarder la fin du monde, Ailton Krenak

12. Prendre soin de nos communautés

J’aimerais que XR se voit comme un ensemble de communautés. Ce n’est pas juste un mouvement – c’est un espace matériel et immatériel de vie.

En parallèle de la construction de moments sécurisants pour parler ouvertement, et du développement d’espaces en mixité choisie : il faudrait savoir réagir et évoluer collectivement, politiquement. Ce n’est pas juste parce qu’on se voit enfin attribuer un mandat de culture régénératrice qu’on peut subitement s’intéresser à des problèmes qui demandaient déjà de l’attention et qui ont toujours été collectivement ignorés. C’est procédurier et superficiel, ce mandat donne juste une étiquette “bonne intention et bienfaits assurés”. Je m’attends au moins à ce que nos espaces militants soient des lieux où on peut être confiant·e que des personnes réagiront face à une discrimination. Admettre l’existence d’une communauté, c’est aussi devoir y voir des dynamiques sociales, des responsabilités collectives ou des évolutions à entamer.

« On ne peut pas tout réparer si vite » constitue l’une des réponses récurrentes qui participent passivement à valider un système. « C’est pas le sujet de la lutte écologiste » en est une autre, venant de la peur de diviser le mouvement lorsqu’on explore les liens entre les discriminations. Pourtant, on prétend vouloir préparer le monde d’après qui préserverait la nature et qui fonctionnerait d’une manière plus horizontale. Déconstruire différentes choses en même temps, c’est sûr, c’est plus lent. C’est plus compliqué d’avancer comme ça dans la lutte. Et on n’a pas de temps. Et ce qu’il y a en face est plus puissant. Et on a peu de marge de manœuvre. Mais continuer de déconstruire nos communautés est la seule manière d’éviter la reproduction de nos modèles toxiques après. Cet après, on ne sait pas ce que c’est. C’est peut-être l’effondrement qui a déjà débuté, c’est peut-être une succession de crises, c’est peut-être un nouveau monde qui émergera d’une révolution. Ce qui viendra après, se prépare. Autrement, les schémas se reproduiront pendant et après les moments clés de changement - surtout pendant les moments d’instabilité.

En tant qu’individu, on ne peut pas fuir nos communautés si on veut continuer à militer. Le monde militant est si petit. Dans les milieux écologistes, on se croise tout le temps, que ce soit en IDF ou en France ; voire dans les pays voisins. C’est à la fois rassurant de retrouver ces visages connus - et compliqué lorsque des difficultés interpersonnelles et intracommunautaires surgissent. Certain·es se retrouvent à quitter le militantisme pour se protéger.

Agathe (XR) : Manif grosse teuf manif grosse teuf - l’impression de passer du temps avec des émotions fortes, de la peur, de l’incertitude. Mais on ne connaît même pas un prénom. On ne parle jamais, sauf assis·es par terre après une action.
On a de la solitude parce qu’on a pas d’amitiés profondes, ce ne sont que des relations superficielles auxquelles on mélange un peu tout. Une impression du truc le plus soudé qui soit, mais juste parce qu’on se retrouve entre personnes aussi paniquées les unes que les autres dans ce monde.

Peut-être que prendre soin ce serait aussi se ré-intéresser humainement et émotionnellement aux gens. Dans le militantisme, des liens d’amour beaucoup plus forts que n’importe où d’autre, se créent en si peu de temps. Ces attaches tournent autour de la politique, autour d’expériences de solidarité face à la répression et sont extrêmement stimulantes.

Pause.

On ne fait jamais de pauses pour créer d’autres liens d’amitié - ils nous permettraient d’avoir des espaces plus agréables pour apprendre à connaître nos différences. Sortir d’une discussion militante, connaître l’ami·e en face, c’est aussi du militantisme. Chacun·e abrite des vécus et des réflexions plus vastes qui permettent de comprendre politiquement le monde. Ces discussions permettent de garder un lien entre le monde non-militant - aux côtés duquel on se bat indirectement - et nous.

Nos milieux sont toujours virilistes - guerriers même sous la bienveillance. Tout doit être motivé avant tout par le militantisme et la réflexion politique. Par anonymité on aborde peu notre "vie". On discute autour d’une bière pendant des fins de réunions interminables dans des groupes nombreux. On parle sans cesse de nos collectifs, de notre dernière manif, des procès en cours et des campagnes passées. On ne fait que se croiser, car quand on termine une réunion, on court à une autre. On vit la métropole. Beaucoup d’entre nous, nous éloignons de nos liens familiaux et amicaux en commençant à militer. Lorsqu’on se retrouve à avoir besoin d’exprimer de la joie, de la tristesse, des traumas, de parler d’amour et de sexualité, de se montrer sensible et vulnérable - il n’y a pas la place pour ça dans le militantisme. On n’appelle pas nos camarades, parce qu’on n’a jamais eu l’occasion de se découvrir de manière personnelle devant elleux, parce-qu’on ne serait plus censé·es avoir ce type de préoccupations “superficielles”. Comme si l’aptitude à créer des liens simples et avoir des conversations sincères et dépolitisées, cette aptitude à faire une pause n’existait plus - on peine à le faire avec les militant·es et les non-militant·es.

Faire une pause des conversations militantes, c’est avoir le temps de se rencontrer en tant que personne. Faire une pause des tours de paroles CNV dans nos conversations, c’est réapprendre à se parler. Faire une pause des discussions centrées sur notre collectif, c’est se donner une chance de rencontrer des personnes de l’autre collectif qui sont à la table d’à côté. C’est du soin aussi de s’intéresser, pour arriver à s’adapter, à de plus petites échelles intimes - sans performer une gentillesse envers tout le monde, mais choisir et créer nos liens.

Conclusion

Permettons-nous un parcours de réflexion autour de ce que nous avons construit ensemble, en chamboulant tout si il le faut, jusqu’à notre conception de la notion de bienveillance. La culture du soin existe autrement, elle est capable de créer une puissance collective autre qu’une injonction ou un système toxique et dogmatique. Un certain nombre d’oppressions sont maintenues en place dans Extinction Rebellion, rendant le mouvement fermé et excluant ; rendant possibles des abus de pouvoir, encouragés par des normes et des dynamiques propres aux principales identités sociales qui y militent, ainsi que par des moyens de communication pas toujours adaptés. Les attitudes passées et actuelles de certains groupes, ainsi qu’une réception assez rigide des autres milieux militants, engendrent un inconfort constant autour de l’étiquette "XR".

“La question n’est pas d’être pro-violence/non-violence, mais de refuser la condamnation bourgeoise de la violence des opprimé·es et de favoriser une multiplicité de tactiques et donc la flexibilité et l’autonomie des luttes.”
Françoise Vergès, Une théorie féministe de la violence

L’exploitation des humain·es et les ravages écologiques provoqués par le capitalisme sont à la fois permis par notre dépendance à ce système, mais également par un ensemble de "lois", telles que la croissance économique infinie. Présentées comme des lois "naturelles", elles sont en réalité artificielles, autrement dit ce sont des "dogmes" (Proposition théorique établie comme vérité indiscutable par l’autorité qui régit une certaine communauté.) qui visent l’auto-justification de ce système, la légitimation des inégalités et de la destruction de la planète.

XR est une "communauté" et elle présente des dogmes : Non-violence stricte ; Dégradation matérielle mal vue ; Bienveillance et émojis arc-en-ciel en public vs. Agressivité-passive et harcèlement en privé ; Principes gravés sur des tablettes sacrées ; Dieu (ce bon vieux Roger Hallam) n’a pas créé le monde en 7 jours mais en 3,5% ; Alignement systématique sur XR UK et dimension internationale instrumentalisée pour ne rien changer ; « Il faut toucher les classes populaires, mais les GJ iels font un peu peur quand même et puis iels vont pas respecter le consensus » ; etc.

Qu’il est dommage de voir un mouvement politique comme XR reproduire ce genre de dérives dogmatiques en son propre sein, alors qu’il faudrait qu’on se remette individuellement et collectivement en question sur notre sociologie trop homogène, nos revendications pas assez sociales, notre organisation faussement horizontale, notre "ADN" trop pur pour ne pas frôler la consanguinité ; Nos outils trop compliqués et surtout, nos privilèges trop nombreux, pour enfin "massifier" auprès d’autres catégories sociales, d’autres luttes, faire "bloc" avec elleux contre le bloc bourgeois (qui, même s’il est plus proche de nous, ne sera jamais de notre côté des barricades).

On dit que l’humanité va s’éteindre et qu’on est prêt·es à aller en prison pour défendre le vivant. Et si on arrêtait de frimer 5 minutes en se revendiquant "rebelles" ? Et si on commençait à prendre des vrais risques, ça donnerait quoi ?

Avec (é)cœu-rage,
Tulipe

Barbouillage de ressentis personnels et de réflexions analytiques, ce recueil de témoignages et de critiques écrit entre mi-septembre et fin-novembre 2021 voudrait approfondir les dysfonctionnements de la branche française du mouvement écologiste international Extinction Rebellion, crée en 2018. Ces réflexions creusent notamment certains points abordés en surface dans les milieux de gauche - l’effaçage des tags ACAB, l’hommage à des victimes de violences policières en 2019 durant la semaine de Rébellion Internationale d’Octobre, la question de la non-violence, du désarmement, des procès, etc.
Les paroles déroulées sont saisies en majorité par des membres actuels du mouvement, et à d’autres temps, par des ex-membres ou participant·es occasionnel·les.

“Le droit à s’autocritiquer comme individu et groupe social, collectif, à nous responsabiliser sur l’échelle sur laquelle nous bénéficions de privilèges me semble primordial, bien que cela puisse s’opposer aux fameux principes dominants de la bienveillance.” Alice

contact : alorsxr [at] riseup [point] net



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