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Oppression et libération de la grosseur
mis en ligne le 30 juillet 2006 - Collectif
Introduction des éditions turbulentes
Un certain nombre d’entre vous doit se demander "Mais pourquoi faire une brochure sur ce sujet ?", "Il y a quand même d’autres luttes plus importantes !", "C’est la dernière mode Politiquement Correcte ou quoi ?", etc. Et bien il se trouve que je suis gros, et que le sujet m’intéresse donc ! Et oui, je considère avoir été opprimé pour cela, et encore aujourd’hui (même si j’ai réussi à prendre une certaine distance, à me "blinder", etc.). Au début, je pensais écrire un texte plus long, mais ce n’est pas évident... Puis m’est venu l’idée de lancer un appel à contributions (en direction surtout [uniquement ?] des gro-sse-s), mais bon, finalement je me suis dit que les textes ici présents (avec lesquels je peux être en désaccord sur certains points) méritaient d’être connus, et je n’avais pas envie d’attendre des mois de recevoir d’hypothétiques contributions... C’est aujourd’hui que j’ai envie de cette brochure !
Les textes qui la constituent (à part celui que vous êtes en train de lire, évidemment !) ont été écrits par des féministes (lesbiennes radicales pour certaines). Les textes sur le sujet par des femmes sont déjà peu répandus, mais alors par des hommes !1 D’ailleurs, est-ce étonnant si ce sont principalement des femmes qui écrivent là-dessus ? Nombre de féministes ont écrits sur les normes de beauté, le corps, etc. Il faut dire que les femmes sont les premières concernées par cette dictature de la "beauté" (en général au moins associée à la minceur...). D’ailleurs, cette oppression liée à la grosseur n’est pas uniforme, et ne nous touche évidemment pas de la même façon selon notre genre, notre couleur, notre âge, etc. Notamment en tant que mec, je pense que cela m’opprime moins que les femmes.
Sinon, j’en entends déjà qui posent l’épineuse question de la "priorisation" des luttes... M’intéresser à la lutte contre l’oppression de la grosseur ne veut pas dire que je la place avant, ou que je sous-estime ou ne suis pas impliqué dans d’autres luttes, etc. En ce qui me concerne, j’estime que cette oppression est moindre que les oppressions sexistes, racistes, capitalistes, etc.2, mais franchement, faut-il faire une hiérarchie des oppressions ? Et puis, vivre dans un monde anarchiste, non-patriarcal, etc. où l’oppression de la grosseur serait toujours d’actualité ne me satisferait pas complètement... (Mais quand même déjà pas mal !!) Donc on en parle ?
Parlons par exemple de la négation souvent exprimée de l’existence même de cette oppression. Je pense que tu peux dire être opprimé quand tu subis depuis l’école primaire les remarques désagréables, injures, "blagues" ("on rigole !" C’est bien connu, les gros n’ont pas d’humour, il faut savoir rire de soi, etc. Ben voyons...), quand tu prends en pleine gueule des images de gens minces, musclés, etc. (T.V., pubs3, etc.), quand tes parents t’emmènent voir une diététicienne (pour ton bien, bien sûr...) et que tu passes des années à te surveiller/fliquer, à maigrir/grossir/maigrir/..., à flipper dès que tu montes sur une balance (cassons ces instruments de torture !), etc. Bref, tout ça te pousse évidemment à complexer à mort (et pourrit même tes relations avec des gens4). Encore aujourd’hui, la perspective de devoir me mettre torse nu devant des gens, pour me baigner par exemple, peut me mettre mal à l’aise (combien de fois ai-je trouvé de pauvres excuses pour ne pas me baigner, alors que j’avais vraiment envie de me jeter à l’eau ?). MARRE ! Pendant combien d’années ai-je évité les fringues moulantes (je le fais encore...), me suis-je serré la ceinture (au sens figuré comme au sens propre !), ai-je rentré le ventre pour paraître moins gros (pitoyable technique !), etc. ? MARRE ! Et si aujourd’hui il y a certains (pas tous) de ces trucs que je ne fais plus, ce n’est pas que tout ceci ne me touche plus, mais que j’arrive à m’en foutre, à prendre du recul, ou que j’ai appris à encaisser... (Sinon, on ne vit plus, on survit !)
D’ailleurs, même dans nos5 milieux alternos-anarcos-trucs j’en prends plein la gueule. Combien de tracts qui parlent des "gros" capitalistes ou industriels (sans parler de la vieille représentation du gros patron qui affame le maigre prolo...), etc. ? Bien sûr, j’exagère... Si on ne peut plus rien dire ! Ben voyons... C’est comme ces camarades qui emploient l’expression "gros gars" pour parler des mecs très machos et pénibles qui emmerdent les filles6. Ou bien quand des gens7 que tu connais et apprécie commentent la photo d’un ami et disent "Ouah ! Il était gros à l’époque ! Il est mieux maintenant !", ou te prennent à témoin en te disant "T’as vu comme j’ai grossi ?" (ou des trucs du style) alors qu’ils sont plutôt minces, etc. Ou cette amie qui est en train de regarder un reportage où un mec gros essaye des voitures et montre qu’elles ne sont pas adaptées à sa taille : volant qui "rentre" dans le ventre, impossibilité de mettre sa ceinture, etc. et qui dit en rigolant : "Pourquoi il veut une ceinture, il ne peut même pas bouger !" Ou quand tu réagis à une expression que tu juges grossophobe en commençant par dire que toi même tu es gros et qu’on te rétorque tout de suite (comme pour te rassurer...) "Mais non, t’es pas gros..." (si, et alors ?!) et qu’on rajoute même "...t’es mignon !". Argh !! Ou encore, pour en finir avec des exemples8, ce tract fait par une association pro-végétarisme (A.V.I.S.) qui parle de l’obésité comme d’une maladie, etc. J’y réagis en disant que je trouve ça grossophobe, et en proposant d’envoyer des textes sur le sujet, etc. (le tout signé "un gros végan qui ne l’est pas devenu pour maigrir"). Et là, réaction ultra-violente d’un membre (ex-gros) de cette association, qui me dit qu’il en a marre du Politiquement Correct, qu’être gros c’est un choix et que ça ne tient qu’à moi de maigrir (parce qu’évidemment, il faut maigrir...), qu’avec ma surconsommation (De quoi il parle ? Il me connaît ?) je cautionne le système (!), qu’il est plus efficace pour militer (notamment sur le végétarisme) depuis qu’il a maigri, etc. Bref, à gerber ! Ensuite, quelques autres réactions (tout ceci se passe sur une liste de discussion internet), plutôt sympathiques. On me dit d’ailleurs que c’est vrai que ça peut être contestable, car il s’agit de savoir à partir de quand on est obèse... et de me donner le moyen de calculer l’Indice de Masse Corporelle, internationalement reconnu (si ce sont les scientifiques qui le disent)... Résultat : je suis obèse, et alors ! Bref, y’en a marre !
Bien sûr, c’est facile à dire tout ça, et moi-même ne suis pas libéré de ce poids (pas du mien, mais de celui de cette oppression !), et en prends encore plein la gueule (je me suis juste "blindé"... et encore...).
Evidemment, cette introduction n’a pas la prétention de faire le tour de la question, et j’aurais voulu aborder plusieurs autres points, comme l’emploi de l’adjectif "gros/se" (souvent négativement), ou le fait que parmi les gro-sse-s, ce sont quand même souvent les "moins" gro-sse-s qui s’expriment sur le sujet, ou sur le fait que les minces (et donc potentiellement belles/beaux) relationnent et/ou baisent plutôt entre elles/eux, etc.
En tout cas, j’espère que ce texte et cette brochure susciteront des réactions, et encore mieux des envies d’écrire sur le sujet ! Car j’ai vraiment envie de donner suite à cette brochure, donc je lance ici un appel à contributions : écrivez-moi, envoyez-moi des textes, dessins, etc. Exprimez-vous ! Si vous avez envie de réagir à des textes de cette brochure, de parler des sujets cités dans le paragraphe précédent, ou de tout autre thème, n’hésitez pas ! Textes personnels, théoriques, pratiques, enjoués, exutoires, tristes,... bienvenus ! Bref, tout ce que vous avez à dire sur la question de l’oppression et de la libération de la grosseur, dites-le moi ! A suivre ?
Steph.
P.S. : J’avais pris l’habitude d’employer l’expression "obéphobe", mais ça ne me satisfaisait qu’à moitié (référence à l’obésité). J’avais déjà vu employé "grossisme", mais l’adjectif "grossiste" n’est pas génial, je trouve... Puis j’ai vu récemment "grossophobe", et même si je ne trouve pas le mot forcément très beau, il a au moins le mérite d’être assez explicite ! D’autres idées ?
Notes :
1 - N’hésitez pas à m’en envoyer si vous en connaissez...
2 - Mais n’est-ce pas le but que de faire intégrer aux opprimé-e-s qu’il y a "pire" ?
3 - La dernière que j’ai vue est pour des yaourts (o% de matière grasse) : un mec soulève son pull et nous montre un ventre bien plat. Le slogan : "Sveltesse, 0% complexes"...
4 - Le seul truc positif que j’en retire (a posteriori, évidemment !) c’est d’avoir été "exclu" de tous les délires drague, etc.
5 - En tout cas c’est le mien...
6 - Merci à celles/ceux qui n’emploient plus ce terme depuis que j’ai mis un petit mot au mur dans le squat, ou que je me suis permis quelques remarques gênées (pourquoi gênées ?) ou sur le ton de l’humour (ça passe toujours mieux...) ; quant aux autres, ça ne vous dit pas de faire un effort, car moi je pense en avoir assez fait...
7 - Dans le cas présent des filles. En ce qui me concerne, je trouve cela plus difficile de parler de ça des filles qu’à des mecs, car je me demande comment je peux me permettre de faire ce type de remarques, en tant que mec et donc bénéficiaire quotidien du système patriarcal...
D’ailleurs il est bon de se rappeler que ce "système patriarcal" n’est rien d’autre que la classe des hommes dominant la classe des femmes. J’entends souvent "oui, mais les hommes aussi sont victimes de ce système, ils ont été construits ainsi, etc.". Bien sûr que le patriarcat aliène les femmes et les hommes, mais il opprime les femmes. C’est pourquoi je pense que les mecs feraient mieux de se remettre en question et essayer de se déconstruire, plutôt que de (se) trouver des excuses...
8 - A propos de tous ces exemples, ils ne sont pas forcément une attaque contre les personnes en question, car ils ne sont (malheureusement) que le reflet de la société grossophobe dans laquelle on vit. Attention, il n’est pas question de faire de l’angélisme révolutionnaire, en disant que ce n’est pas la faute des gens, qu’ils ont été conditionnés ainsi,... (surtout dans nos milieux radicaux où on est censé avoir réfléchi à plein de trucs et où on a accès à de nombreux écrits sur les différentes dominations et exploitations) mais juste de dire que les individu-e-s en question ne sont pas d’horribles personnages... Bref, pour celles/ceux qui se reconnaîtraient dans des propos et attitudes cités ici, n’en prenez pas ombrage... Posez-vous juste quelques questions... La banalité de ce type de comportement ne l’excusant évidemment pas...
Nos corps sont politiques ! : grossophobie
par Kangara Alaezia
Nous en avons tou-te-s entendu parler, le taux d’anorexie chez les jeunes femmes, les désordres alimentaires, comment la moitié de l’Amérique dépasse soudainement le poids "réglementaire". Nous voyons les pubs où des femmes minces vendent ceci ou cela, ou disent comment elles ont pu" être ainsi" [grosses], et tout ce qui fait la promotion des films et de la TV est mince et bien coiffé. Nous entendons parler de comment ceci pousse la jeunesse de notre société à se taquiner les un-e-s les autres et à s’affamer ou manger avec excès. Mais comment avons-nous analysés exactement ceci et avons - nous considérés le profit que chacun-e en tirait ? La peur de la grosseur. C’est ce qu’on dit à chacun-e de ne pas être - et l’être est en réalité un crime. Donc pourquoi ce crime est-il si grand ?
Parce que ça peut te tuer !
La grosseur cause des maladies de cœur et un bouquet complet d’autres maladies, n’est-ce pas ? Nous savons tou-te-s comment les gens gros meurent, des docteurs, des études et autres nous le disent. Mais qui financent ces études ? Il y a beaucoup d’études qui disent qu’il n’y a pas de corrélation entre la grosseur et le fait d’être en mauvaise santé. C’est la fluctuation du poids à cause des échecs de régimes répétés qui causent des problèmes de santé. En fait, les effets pernicieux sur la santé de la fluctuation de poids causent plus de morts prématurées que la cigarette. En réalité, le cholestérol cause des maladies de cœur et beaucoup d’autres problèmes de santé. En fait, un régime basé sur la viande et les produits laitiers te tue. Et oui, tu peux être végan/ne et gros/se.
Parce que les gro-sse-s sont paresseuses/eux
Nous voulons tou-te-s être couronnées de succès, capables et efficaces. Les gro-sse-s sont souvent décrit-e-s assi-se-s devant la TV et en train de manger. Elles/ils ne sortent jamais, ni ne prennent soin d’elles/eux. Les gens relient le manque d’activité et le fait d’être gros/se. Et bien, il n’y a pas de rapport. Il y a des gens de toutes tailles qui gâchent leurs journées devant la T.V. en ne faisant quasiment rien, et qui ne font jamais d’exercice. Il y a des tonnes de gro-sse-s qui font de l’exercice régulièrement, ont beaucoup d’énergie et font beaucoup de travail important.
Parce qu’elles/ils n’ont pas de "maîtrise de soi"
Rappelez-vous du film "Goonies" (ou prenez à peu près n’importe quel film avec un personnage gros connu) ? Le gros garçon était toujours en train de manger, surtout des glaces, ou des bonbons, ou du gâteau. S’il ne mangeait pas, il pensait à la nourriture. C’est toujours ce genre de stéréotype qui est transmis. On a appris à beaucoup de gro-sse-s, par le biais de comportements violents, à être calmes à propos de la nourriture qu’elles/ils consomment, peu importe la quantité. Tout le monde a un désir pour la nourriture. L’idée que chaque individu-e gro-se mange tout le temps est absurde. Des études ont montré que le ration alimentaire des individu-e-s obèses et la ration alimentaire des gens minces sont identiques. Il y a des gens minces et gros qui mangent beaucoup et des gens minces et gros qui mangent peu. Il n’y a pas de rapport.
Parce que les gro-sse-s consomment plus
Nous voyons ça tout le temps, surtout en tant qu’activistes. Des individu-e-s gro-sse-s représentant une entreprise dévorant le monde. Pourquoi cette représentation ? Les gro-sse-s dévorent-elles/ils vraiment tout ce qu’il y a autour d’elles/eux. L’idée que deux individu-e-s qui consomment exactement la même quantité et se comportent exactement de la même manière devraient avoir la même masse corporelle n’est pas seulement impossible scientifiquement, mais une pensée effrayante. Je suis contente qu’il y ait de la diversité dans la taille des corps. Que notre monde serait ennuyeux sinon. Cependant quand les gens stéréotypent que grosseur = plus de consommation, cela suggère que nous devrions tou-te-s avoir le même genre de corps au départ.
Parce que la minceur est belle
Ouais, et plus tu es mince plus c’est joli. C’est pourquoi nous sommes obsédé-e-s par les mannequins et actrices presque squelettiques. Dans la société, une idée a été créée. La majorité des gens s’efforce soit d’être cet idéal, soit de dater l’idéal. Et nous pourrions dire que nous dépassons cela, que nous acceptons tous les types de corps. Mais examinons vraiment cela. C’est une chose facile à dire mais une chose plus dure à expliciter. Est-ce que l’acceptation signifie que vous pouvez les tolérer, ou seulement ne pas discriminer les gro-sse-s ? ou cela veut-il dire que vous les regardez avec la même quantité de désir sexuel que leurs homologues minces, ou ne les estampiller avec aucun des stéréotypes dont on a bourré le crâne de chacun-e à propos de qui et de ce que sont les gro-sse-s ? Une expérience a été faite plaçant deux fausses petites annonces dans un journal. Un-e individu-e était décrit-e comme pesant 50 livres* de trop tandis que l’autre était décrit-e comme un-e toxicomane. 79 % des réponses furent pour cette/ce dernier-e. Qu’est-ce que cela dit à propos de notre société et de notre peur de la grosseur ?
Parce que... [remplir le vide]
Eh bien, je suis sure que la raison a été influencée par celles/ceux qui profitent de la peur de la société. Le fait est que les gro-sse-s sont discriminé-e-s quotidiennement. Que ce soit sur le lieu de travail (les femmes grosses gagnent en moyenne 7000$ de moins par an que leurs égales minces), dans les rues, dans les cabinets médicaux (parce que chaque maladie doit être causée par ton poids), par les compagnies d’assurance, dans les cours de récréation, etc. C’est partout. Si nous pensons qu’il est "mal" de juger les autres sur la base de la race, du sexe, de la sexualité, de la religion, etc., pourquoi permettre à la société de discriminer sur la base de la taille du corps ? L’augmentation du poids de la population depuis les 20-30 dernières années coïncide avec l’augmentation de la pression pour se mettre au régime. Y a-t-il un rapport ?
Nous avons une peur de la grosseur pas à cause de ce qu’est la grosseur. Nous ne comprenons pas vraiment ce qu’est la grosseur et les concepts autour du fait d’être gros-se en relation avec nos corps. On nous a appris quoi penser et comment traiter notre propre grosseur, ou les autres qui sont gro-sse-s. Mais qui nous contrôle et pourquoi ? Si nous pensons à toutes les industries qui nous racontent des mensonges, nous pouvons obtenir une image plus claire. L’industrie du régime, l’industrie de la mode, l’industrie pharmaceutique, l’industrie de la forme, et beaucoup d’autres. Toutes ces industries font du profit de la peur de la grosseur de la société.
Combien de nouvelles drogues de régime, toutes censées être un "miracle", frappent le marché chaque année ? J’ai détesté entendre comment les centres d’amaigrissement font se sentir les gens à propos de leur grosseur quand ils franchissent leurs portes. Parce que vous savez qu’au moment où ils repasseront la porte, ils ne pèseront pas beaucoup moins, mais ils ont déjà battu leur amour-propre, qui tombera énergiquement. L’industrie du régime fait des milliards de profits chaque année. L’industrie du régime fait des profits sur la santé et le bonheur de millions de gens.
Il semble qu’il y ait toujours une nouvelle pub à la T.V. à propos d’une nouvelle drogue à prendre pour perdre du poids, ou perdre l’appétit. Bien sûr, vous entendez ensuite la liste des sérieux effets secondaires que la drogue va causer. Il est triste que des gens risquent essentiellement leur vie dans le but de perdre du poids. On a approuvé des pilules de régime, qui sont connues pour causer des problèmes mettant sérieusement la vie en danger. Beaucoup de drogues de régime ont été retirées du marché à cause de tels effets. Des études sur ces mêmes drogues ont montrées que les drogues ne faisait pas grand chose pour favoriser la perte de poids. Mais nous savons tou-te-s qui en a profité et qui était considéré comme sacrificiable.
Donc quand nous parlons d’entreprises néfastes, n’oublions pas ces industries. Quand nous parlons de discrimination, n’oublions pas les luttes des individu-e-s gro-sse-s. Nos corps sont politiques dans tous les sens du mot, cependant nous permettons à des entreprises de contrôler nos perceptions sans les mettre en doute. Elles ne font pas seulement d’énormes profits, mais elles faussent la vue de notre société entière sur la grosseur et l’image du corps en général.
Pensez à tous les gens que vous connaissez que cela touche. Y a-t-il quelqu’un-e que vous connaissez que cela ne touche pas d’une manière ou d’une autre ? Ces entreprises détruisent l’amour-propre de millions de femmes et d’hommes - gro-sse-s, minces ou entre les deux. . Il est temps que des gens commencent à faire quelque chose à ce propos.
* N.D.T. : 1 livre = 0.453 kg
•Kangara est une écrivaine de zines et une activiste. Pour plus d’infos à propos de la grossophobie et/ou pour obtenir son zine (sur ce sujet), écrivez à : PO Box 175, Corvallis, OR 97339, U$A
•Traduction (laborieuse) : Editions Turbulentes
14 conseils pour être en meilleure santé dès maintenant
1. Arrête les régimes.
2. Traite ton corps avec respect et amour.
3. Jette ta balance dans la poubelle à recycler les ordures métalliques.
4. Découvre et revendique le plaisir de manger et apprend de quelle nourriture, et en quelle quantité, ton corps a envie.
5. Retourne ton placard à vêtements et jette tout ce que tu ne peux pas donner à une œuvre caritative ; et puis offre-toi en de nouveaux qui ont de l’allure et dans lesquels tu te sentes aussi bien que belle.
6. Apprend à te rendre compte de la diversité des poids et des formes naturelles des personnes, et apprend à reconnaître la beauté, la force et la grâce de TOUTES.
7. Deviens amie avec la personne que tu vois dans le miroir.
8. Rencontre des personnes grosses qui ont appris à s’aimer telles qu’elles sont : considère les comme des ressources de valeur, des modèles, des mentors... et des amies.
9. Sens le plaisir de bouger ton corps librement ; trouve des activités physiques que tu adores pratiquer - danser, nager, jardiner, faire du vélo, du ski, marcher, les sports collectifs ou n’importe quoi d’autre - et amuse-toi en les pratiquant.
10. Dénonce l’invisibilité qui entoure la grosseur, revendique des soins de santé réellement informés à ce sujet ; si ceux qui te soignent ne satisfont pas cette exigence minimale, cherches en d’autres qui y répondent.
11. Rejoins un groupe de soutien pour l’estime des personnes grosses, dans ton quartier, dans un centre de santé ou un centre féministe, dans une paroisse, dans une organisation pour les droits des personnes grosses ; si aucun groupe n’existe, tu peux en démarrer un toi-même !.
12. Défie la haine des gros-ses, et lutte contre les discriminations grossophobes en tout lieu et chaque fois que tu les rencontres.
13. Cherche les choses que tu as repoussées au jour où tu atteindrais le poids ou la taille parfaite, et fais les maintenant - tu as un poids et une taille parfaite pour TOI-MEME !
14. Fais des copies de ces conseils et envoies-les à toutes les personnes que tu connais.
Une information d’utilité publique fournie par "Largesse",
réseau féministe pour l’estime de la grosseur, site internet : http:/www.eskimo.com/~largesse.
Traduit et adapté par Madivine (mel : madivine@cheerful.com), Lyon, décembre 2000.
Oppression et libération de la grosseur : quelques notions de base
par Judith Stein
QU’EST-CE QUE L’OPPRESSION DE LA GROSSEUR ?
L’oppression de la grosseur est la haine, la dérision et la discrimination systématiques que la société manifeste envers les personnes grosses. Elle est fondée sur la croyance que les personnes grosses ne sont pas aussi bonnes que les personnes minces et que les personnes grosses restent grosses parce qu’elles sont lâches, manquent de volonté ou sont stupides. Plusieurs mythes constituent les pierres angulaires de l’oppression de la grosseur - presque tout le monde les considère comme des faits même si la recherche médicale ainsi que le vécu même de maintes personnes grosses les contredisent.
Mythe n° 1 : On devient grosse parce qu’on mange trop, ou qu’on mange mal, ou peut-être parce qu’on a un métabolisme qui ne fonctionne pas bien.
***
Plus de cent études auront tenté de prouver que les personnes grosses mangent plus que les personnes minces et chacune d’elles a connu l’échec. En moyenne, les personnes grosses mangent les mêmes quantités et les mêmes types de nourriture que les personnes minces. En fait, dans une étude, un groupe d’adolescentes grosses ont dit qu’elles mangeaient plus que leurs amies même si, dans les faits, un compte réel de la consommation alimentaire démontrait qu’elles mangeaient moins que leurs amies minces.
Le mythe que les personnes grosses, d’une manière ou d’une autre, mangent incorrectement est soutenu non seulement par les personnes minces mais également par nous-mêmes, les personnes grosses. Aussi longtemps que nous penserons qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez nous, nous ne regarderons pas de très près la culture qui nous fait nous sentir si mal dans notre peau.
Mythe n° 2 : Les personnes grosses pourraient cesser d’être grosses si elles se décidaient tout simplement à suivre un régime amaigrissant équilibré.
***
La recherche médicale a prouvé sans exception que les régimes ont un taux d’échec à long terme de 98 ou 99 %. Cela veut dire que 99 personnes grosses sur 100 qui réussissent à perdre du poids en suivant des régimes reprendront tout le poids perdu en moins de cinq ans.
De plus, étant donné que suivre un régime provoque, en soi, des changements dans le métabolisme, d’habitude on reprend non seulement le poids qu’on a perdu, mais on en reprend plus encore.
En fait. le processus même d’un régime est malsain en soi : on a démontré qu’il cause le durcissement des artères chez les rats et, d’une manière générale, on croit qu’il est relié à des risques plus élevés de crise cardiaque et d’attaque d’apoplexie chez les êtres humains.
Mythe n° 3 : Les personnes grosses sont en mauvaise santé ou elles ont une moins bonne santé que les personnes minces.
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La santé des personnes grosses se trouve sur une gamme allant de "très bonne" à "très mauvaise" tout comme c’est le cas chez les personnes minces. Toute tentative de prouver que le fait d’être grosse cause plus de crises cardiaques, ou d’attaques d’apoplexie, ou de diabète a échoué.
les maladies qu’on croit causées par la grosseur se rattachent toutes au stress (l’hypertension, par exemple) et il y a plus de chances que leur cause soit le stress provenant de la haine de notre culture envers la grosseur ainsi que les ravages physiques résultant des régimes répétés.
Les "traitements" de la grosseur - tels que les interventions chirurgicales de by pass ou les produits pour rapetisser l’estomac - sont accompagnés d’un taux de mortalité élevé et ils ne font que rendre les personnes grosses plus malades. Dans plusieurs cas connus, les régimes tels que la diète de protéine liquide ont entraîné la mort par inanition (mourir de faim !).
Une étude, connue sous le nom de l’étude de Roseto ,a démontré que, dans une communauté où la plupart des personnes étaient grosses et où la grosseur était très bien acceptée, le taux de crises cardiaques était inférieur à la moyenne nationale. Ces mêmes personnes ont été étudiées, par la suite, lorsqu’elles ont quitté leur communauté pour aller à des endroits où la grosseur est détestée et où les personnes grosses sont opprimées : le taux de crises cardiaques a augmenté jusqu’au niveau de la moyenne nationale pour les personnes grosses !
QU’EST-CE QUE LA LIBÉRATION DE LA GROSSEUR ?
La libération de la grosseur est à la fois une philosophie et un mouvement politique qui sont fondés sur la reconnaissance du fait que les personnes grosses sont des victimes d’une oppression systématique et que la façon de mettre fin à cette oppression est de travailler ensemble pour un changement social radical. Nous considérons l’oppression des personnes grosses comme faisant partie de l’ordre social existant, celui qui opprime les personnes à cause de leur âge, leur race, leur sexe, leur orientation sexuelle, leur classe et leur état physique. Nous savons que tant que les valeurs de cette culture ne seront pas radicalement changées, les personnes grosses et, en particulier, les femmes grosses subiront l’oppression de la grosseur.
Nous voulons particulièrement développer et renforcer les liens de solidarité entre la libération de la grosseur et les mouvements féministe et lesbien. Les femmes grosses ne répondent pas à la définition admise des femmes dans cette culture et elles sont particulièrement la cible de raillerie, d’exploitation et d’hostilité. Pour les lesbiennes grosses, affronter le sexisme, l’hétérosexisme et l’oppression de la grosseur fait partie de notre vie quotidienne. Les femmes grosses qui sont pauvres, ou de couleur, subissent cette oppression de manière intensifiée dans une culture qui est à la fois raciste et classiste.
Ce que nous tentons de faire :
En fin de compte, nous œuvrons à changer la société afin que le contrôle ne soit pas dans les mains des hommes blancs riches et afin que la haine envers les femmes, les personnes de couleur, les lesbiennes et les gays, les pauvres et les personnes grosses soit éliminée. Nous luttons pour une culture qui célèbre et qui appuie les différences existant parmi nous plutôt que de tenter de détruire les personnes qui sont différentes.
Nous voulons exposer au grand jour les mensonges qui sont à la base de notre oppression en tant que femmes grosses ainsi qu’encourager les femmes grosses à être à l’écoute de leurs propres expériences et de celles des autres femmes grosses.
Nous exposerons au grand jour les mensonges qui sont véhiculés par le milieu médical - ainsi que les "traitements" que celui-ci a développé pour les personnes grosses - et qui servent à nous maintenir physiquement affaiblies, affamées, préoccupées par les régimes et qui nous tuent tout simplement parce que nous sommes grosses. Nous revendiquons que le milieu médical cesse de nous vendre des "traitements" - parce que être grosse n’est pas une maladie, donc ne nécessite pas un "traitement".
Nous voulons mettre fin à l’isolement et au mépris de soi que vivent les femmes grosses en créant des groupes de réflexion collective et d’action politique.
Nous luttons contre les idées et les attitudes qui nous oppriment en tant que femmes grosses, ou les idées qui nient nos propres perceptions de nos vies. Nous voulons confronter ces idées quand elles sont soulevées en public (à la télévision ou lors de rassemblements sociaux, par exemple) et également quand elles se présentent lors de nos échanges avec des amies, des amantes ou avec la famille.
Nous luttons contre les oppressions sociale et juridique comme le fait d’être privée de job ou de vêtements abordables, ou quand notre mobilité est limitée par des chaises, des bancs et des passages étroits.
Nous voulons que les femmes minces réalisent comment elles sont également victimisées par la peur de devenir grosse ou la peur d’engraisser davantage. Cette peur nous enferme toutes dans une préoccupation de nos corps, et nous empêche de nous réunir pour lutter ensemble contre la véritable oppression - une société sexiste qui nous dicte notre allure et comment nous devons vivre.
Nous sommes en train de créer une présence et une image positives, en tant que femmes grosses, dans les sports, au travail, au théâtre et dans les arts, dans les médias - partout où nous nous trouvons.
Nous sommes en train d’apprendre à nous aimer et nous respecter et nous voulons que toutes les femmes aiment et respectent les femmes grosses, afin que chaque femme puisse réellement voir la beauté de son corps.
•Publié par Fat Liberator Publications, avril 1980.
•Traduction : Denise Blais et Louise-Andrée Lauzière
La grosse illusion ou le contrôle des corps comme forme de contrôle social
par Vivian Mayer
Si vous en doutez encore, la multitude de revues féminines, disponibles dans tous les magasins d’alimentation, démontre clairement à quel point la "grosseur" est un des sujets qui occupent le plus d’espace dans la tête des femmes. Presque tous les numéros de chacune des revues féminines contiennent un article sur les différentes façons de perdre du poids. La peur d’être grosse est si bien enracinée dans l’esprit des Américaines que même les plus radicales parmi elles, celles qui ont passé des années à chercher, à approfondir et à reconstruire la conscience des femmes par le mouvement de libération des femmes, ne sont pas arrivées à déceler l’imposture.
Dans les rencontres hautement révolutionnaires, vous verrez des féministes convaincues boire des boissons gazeuses "diètes" pour éviter de grossir. Qu’elles essaient d’éviter de grossir est un problème mais ce n’est pas le problème : les femmes devraient être libres de choisir leur apparence physique. Le problème réside dans le fait de croire que les boisson gazeuses "diètes" leur permettent de choisir leur taille, établissant ainsi l’illusion qu’être grosse ou mince relève d’un choix personnel et d’une autodiscipline. Elles sont enfermées dans cette "vieille croyance" mise de l’avant par une industrie sexiste qui en tire des profits de 11 milliards de dollars et qui fait de la vie des femmes grosses un véritable enfer.
Des électrodes ont été implantées le cerveau d’un rat. Le rat a appris à contrôler le plaisir car, lorsqu’il presse un bouton, les électrodes simulent la partie de son cerveau qui produit des sensations de plaisir. Puisque le rat préfère cette sensation de plaisir intense à la nourriture, il va bientôt mourir de faim.
Observation faite dans un laboratoire de psychologie
Je me sens bien quand j’ai faim. Les tiraillements d’estomac me rappellent que je n’ai pas cédé à ma faim ; je me sens donc fière de moi car je me maîtrise.
Commentaires d’une femme à la diète
Les femmes qui suivent des régimes amaigrissants ne se retrouvent pas dans des situations aussi extrêmes que celle du rat. Cette femme ne s’affamera probablement pas jusqu’à la mort. Le rat éprouvera, par contre, probablement beaucoup plus de plaisir.
L’une des rares formes de contrôle qu’on laisse exercer aux femmes est le contrôle de leur poids. Bien que certains hommes luttent contre leur poids, ce fait s’éclipse devant la légion d’industries de l’amaigrissement orientées spécialement vers les femmes : les hunger clubs, les sweat salons1, les pseudoproduits alimentaires dont la promotion est toujours assurée par des femmes sveltes. La faim qu’endurent les femmes de taille moyenne pendant quelques semaines, pour ensuite reprendre tout le poids qu’elles ont perdu, les femmes grosses, elles, l’endurent durant des mois, voire des années, pour ensuite, elles aussi, reprendre le poids qu’elles ont perdu. Personne ne parle du taux d’échec de 99 % de toutes les diètes. Tout le monde est trop occupé à parler de diètes.
Même parmi les groupes de femmes, soit les féministes radicales ou les lesbiennes féministes, qui ont poussé très loin la dénonciation des standards de beauté et de "santé" tels que définis par la culture patriarcale, le discours de la diète persiste :
Je me sentirais mieux si je pouvais perdre 15 livres...
Pour elle, être grosse c’était une façon d’éloigner les hommes. Depuis qu’elle est lesbienne elle a perdu beaucoup de poids, et tu devrais voir comme elle est belle maintenant.
J’aime beaucoup les femmes grosses comme sœurs ou comme amies. Mais elles ne m’excitent pas sexuellement
Malgré la connaissance superficielle de l’oppression spécifique faite aux grosses due à leur aspect physique (lookism) les radicales continuent à voir la grosseur comme une maladie personnelle ; anormale, indésirable, lamentable et curable.
Les "faits" relatifs à la grosseur tels que connus par Mme Tout-Le-Monde se résument de la façon suivante : les personnes grosses "manquent de volonté". Elles sont grosses parce qu’elles mangent plus que les personnes minces. Si elles mangent plus, c’est pour masquer des problèmes de personnalité ou parce qu’elles ne sont pas en contact avec leurs émotions réelles. Etre grosse, c’est mauvais pour la santé. Perdre du poids peut être agréable ou du moins tolérable. Une fois "l’excès" de poids perdu, on peut maintenir une taille mince en mangeant aussi attentivement qu’une personne normalement mince.
Ces "faits" viennent tout aussi bien des médecins et des thérapeutes que de la croyance populaire. On les retrouve dans les revues féminines à travers des articles rédigés par des "experts" médicaux et psychiatriques ou par des journalistes ; on les entend aussi à la télévision lors d’entrevues avec des médecins spécialisés en diète, on les lit dans leurs ouvrages dont ils font la promotion à la télévision dans le but d’en faire des best-sellers. Voilà qui est franchement étonnant - parce que toute la littérature médicale d’ordre technique contredit carrément chacune de ces affirmations populaires !
Pour ce qui est de "la suralimentation", péché fondamental pour lequel les personnes grosses sont constamment punies :
En comparant de manière rigoureuse la consommation de nourriture de personnes obèses avec celle de personnes de poids normal (sic), l’on a découvert que les personnes obèses consommaient la même quantité de nourriture que les personnes dites de poids normal. il y a des personnes minces qui mangent à l’excès "on entend souvent dire qu’un tel mange comme un défoncé sans jamais prendre une livre" - tout comme il y a des personnes grosses qui mangent trop. De même, il existe des personnes minces et des personnes grosses qui ont peu d’appétit. En moyenne, la personne grosse a un appétit modéré.2
D’après les résultats d’une étude menée par le ministère de la Santé, de l’Education et du Bien-être social des Etats-Unis, voici ce qui se produit lorsque des personnes consommant une certaine quantité de nourriture en réduisent la consommation juste pour perdre du poids :
Une étude rigoureuse a révélé que des jeunes femmes ayant maigri en suivant un régime alimentaire de 1 000 calories par jour ont subi une baisse de leur taux de métabolisme de base et que, pour maintenir leur nouveau poids, elles devaient réduire davantage leur consommation de nourriture. Le suivi de celle étude a permis de constater que, pour ne pas reprendre le poids qu’elles avaient perdu, ces femmes devaient consommer encore moins de calories que pendant la période initiale et cela, pour une période indéterminée.3
Les personnes grosses qui ont subi les affres de la faim en espérant ainsi "se guérir" et vivre comme des personnes "normales" (c’est-à-dire minces) ont appris, comme le signale un médecin spécialiste des diètes, que :
Les personnes qui perdent du poids et qui désirent maintenir un poids normal (sic) doivent se résigner à ne jamais manger à leur faim et à considérer cela comme un mode de vie.4
Mais puisque s’affamer est un état de souffrance physique constant, il n’est pas étonnant que tous nos instincts biologiques nous forcent à l’éviter.
En survolant toute la littérature écrite depuis 1958 au sujet des régimes amaigrissants, seuls ou combinés avec des médicaments, traitements psychologiques et programmes d’exercices, on ne retrouve aucune étude à long terme réussie.5
Il y a quelque chose de grotesque dans le fait de devoir citer des sources médicales pour défendre un mouvement de libération. Idéalement le Fat Liberation Movement, comme les autres mouvements de libération, sera basé sur les assertions des masses, sur la réalité de l’oppression des personnes grosses, sur le temps que nous consacrons à vivre des contradictions dont personne n’ose admettre l’existence : renoncer aux aliments "engraissants" comme n’importe quel mannequin de Vogue (mais en avoir quand même plein la vue de la différence entre lui et nous), envisager le suicide à mesure que nous reprenons du poids après chaque diète (en mangeant tout bonnement de la même façon qu’une amie mince - mais d’où vient cette graisse ?), découvrir que pour maintenir la perte de poids nous devons aller au lit affamées (est-ce ainsi que vivent les personnes minces ?). Mais qui croirait nos assertions ? Pas les médecins qui bâtissent leur réputation professionnelle et font fortune en vendant des cures d’amaigrissement basées aux deux tiers sur une dissimulation des faits et dont un tiers fait appel aux émotions. Pas le grand public qui pense que nous sommes malades, pécheresses, ridicules. Pas les gauchistes qui utilisent nos corps pour symboliser les oppresseurs - "Les Gros Capitalistes" - "Les Cochons" - et nous considèrent dégoûtantes et décadentes. Et même pas nous-mêmes dont la confiance en notre propre jugement est naturellement minée par le scepticisme avec lequel la société nous considère.
Personnes grosses et minces, professionnels de la santé et radicales, l’élite intellectuelle comme le reste de la population, nous sommes toutes sous l’emprise de la culture de la GROSSE ILLUSION. Nous croyons que la dimension de nos corps relève d’un choix, qu’elle reflète un contrôle personnel, et nous passons sous silence ou rejetons toute évidence contredisant cette croyance. Quelles forces de contrôle social rendent cette illusion aussi éblouissante pour que nous nous y accrochions malgré la privation, la souffrance morale, malgré le ridicule et l’échec de nos espoirs ?
Nous voici donc au cœur de la Grosse Illusion, cherchant l’issue. Des couches de confusion et de cruautés sont empilées les unes sur les autres, semblables à des couches d’atmosphère, empoisonnées. Commençons par la plus simple et la plus personnelle expérience de la réalité d’être grosse pour se frayer un chemin hors de cette illusion.
N°1 L’ILLUSION DU CONTROLE PERSONNEL
OBSERVATION : Je mange ni plus ni moins que les autres. Mon alimentation est étiquetée "suralimentation" et j’en suis punie. Les autres qui ne deviennent pas grosses ne sont pas accusées de suralimentation et ne sont pas punies.
CONCLUSION : Je ne mérite pas autant de nourriture que les autres. Je ne suis pas correcte, j’ai moins de valeur que les autres.
Etant grosse depuis mon plus jeune âge, je voyais naturellement ma condition en ces termes absolus et effroyables. Je ne pense pas que j’aurais pu assimiler une telle condamnation et rester en vie. Donc, comme plusieurs femmes grosses de la petite-bourgeoisie. j’ai trouvé plus facile de me couper de la réalité et de croire que ce que je voyais se passer n’arrivait pas réellement. J’essayais de me raisonner lorsque je voyais des personnes minces manger plus que moi en me disant : "Elles ont sauté le repas du midi" ou "Elles vont probablement faire de l’exercice pour brûler ces calories". Je refusais d’admettre que j’avais faim bien que je ne consommais qu’une très faible quantité de nourriture afin de maintenir la dimension "normale" de mon corps, que j’avais pu acquérir en m’affamant complètement. Lorsque j’ai dû admettre la faim, j’essayais de me raisonner en me disant qu’elle n’était pas réelle et que c’était ma capacité à sentir la faim qui était "détraquée". Cet état perpétuel d’affamée provoquait tôt ou tard des fringales d’une intensité si incontrôlable que je me croyais folle. Toute l’étendue d’une culture basée sur la haine des grosses m’a forcée à accepter l’illusion que ce que je sentais dans mes tripes était imaginaire et non justifié. Pis encore, la sensation de faim se transforma en sensation de plaisir malsain. Tout cri de mes entrailles devint supplice moral, rachetant mon péché imaginaire de gloutonnerie et me rapprochant un peu plus de l’état de femme "normale". Comme le rat recevant des chocs électriques, je croyais contrôler mon plaisir et ma douleur. La volonté, le contrôle de soi, le contrôle du poids : tout cela est pure illusion. Nous sommes manipulées par les hommes en blanc.
N°2 L’ILLUSION DE LA LIBERTE DE CHOIX
Considérant l’imbrication esthétique/économie comme un des aspects de contrôle social, Gudrun Fonfa écrit :
Le lookism est la standardisation d’un aspect physique (image corporelle) et la discrimination exercée contre celles qui ne rencontrent ou ne se conforment pas à l’image prescrite. Les sociétés fixent des limites acceptables assez larges car il est important de créer l’illusion que les individus choisissent leur propre esthétisme, c’est-à-dire qu’ils choisissent la façon dont ils vont se martyriser.6
Si vous êtes grosses, vous pouvez choisir de compter les calories ou les grammes d’hydrate de carbone que vous consommez, boire Nutri-Diète ou Norma-Ligne, acheter des produits Weight Watchers ou Diète Deluxe, aller à la clinique Gendron ou Ostiguy vous faire donner des injections de gonadotrophine chorionique humaine (HCG), de suivre les diètes de Madame au foyer ou de Châtelaine. Cet éventail de choix ne réussit qu’à masquer le fait que vous êtes obligées de choisir. Quant aux choix eux-mêmes, peu importe lequel vous choisissez, vous choisissez toujours la souffrance inhérente à la faim. Par contre, lorsque vous choisissez de rejeter toutes les méthodes d’amaigrissement, vous êtes punies par le ridicule et le rejet social. Hélas, comme presque toutes les tentatives de perte de poids échouent, les mêmes femmes qui utilisent constamment l’un ou l’autre des produits "diètes" sont aussi punies parce que leur aspect physique donne l’impression qu’elles ne l’utilisent pas !
Le contrôle social va plus loin que la simple répression des déviants. Les moyens fondamentaux de contrôle social affectent tout le monde dans une société entièrement contrôlée. On pourrait logiquement dire que la persécution des femmes grosses enlève à chaque femme la liberté de devenir grosse. Comme on ne peut savoir d’après le poids d’une personne si elle mange peu ou beaucoup, il serait plus juste de dire que la liberté que nous, femmes, perdons, c’est la liberté de se sentir à l’aise avec nos appétits.
La plupart des femmes minces croient qu’elles pourraient devenir très grosses si elles "se laissaient aller". Cette croyance habilement exploitée par les publicitaires sexistes a été transformée en véritable obsession, particulièrement chez la petite et la grande bourgeoisie. Il en résulte donc que des millions de femmes de taille moyenne éprouvent une terreur continuelle à chaque bouchée qu’elles avalent et en viennent à considérer leur corps comme des dragons à peine domptés qui pourraient se retourner contre elles à tous moments et d’où pourrait jaillir la graisse. Le fait qu’elles puissent prendre cinq livres durant la période d’indulgence du temps des Fêtes semble confirmer ce danger à leurs yeux, et les amène à croire que toutes les femmes grosses sont des femmes qui s’accordent cette indulgence toute leur vie. Mais les millions de femmes persuadées que si ce n’était de leur diète, elles pèseraient 250 livres, luttent inutilement contre leur appétit. Environ 99 % des tentatives de perte de poids se soldent par un échec. Conséquemment, pas plus de 1 % des femmes qui sont minces peuvent attribuer leur taille au succès d’une diète7. Pourquoi les femmes minces sont-elles minces ? Est-ce génétique8 ? Est-ce magique ? Peu importe le mécanisme, là n’est pas la question. Ce n’est certainement pas une question de volonté ou de meilleures habitudes alimentaires puisque, de toute façon, la plupart des femmes minces mangent autant que la plupart des femmes grosses.
Plusieurs croient que ce qui rend les personnes grosses, c’est le manque d’exercice. Ici encore, la personne qui fait régulièrement de l’exercice a tendance à prendre du poids lorsqu’elle arrête d’en faire. De plus, des études ont montré que plusieurs groupes de femmes grosses (par exemple, les adolescentes grosses) ont tendance à être moins actives que leurs pairs9. Toutefois les mêmes études démontrent de façon significative que ces adolescentes moins actives mangent moins que leurs pairs minces. Au lieu de conclure qu’elles sont grosses parce qu’elles sont moins actives, les chercheurs devraient se demander si elles ne sont pas plutôt moins actives parce qu’elles sont sous-alimentées ; on a souvent observé une baisse d’activité et de productivité chez les travailleurs à peine nourris du Tiers-Monde. Tous ceux qui insistent sur l’exercice ignorent le rôle que joue la persécution dans le fait que des personnes grosses sont moins actives physiquement. Cette persécution va de l’absence de costumes de gymnastique de grande taille pour les élèves grosses des écoles secondaires à la risée à laquelle s’exposent les personnes grosses qui essaient de faire du jogging, de nager ou de danser en public.
Par ailleurs, ceux qui attribuent le fait d’être grosse à la paresse ignorent les évidences fournies par les différences de classes sociales. À titre d’exemple, les femmes de ménage, qui travaillent dur physiquement toute la journée, sont souvent grosses. Elles sont pauvres, possèdent rarement leur propre voiture et dépendent donc du transport public pour leurs déplacements. Ce qui veut dire qu’elles doivent marcher pour aller aux arrêts d’autobus et en revenir. Contrastant ainsi avec les secrétaires de direction assises devant leur machine à écrire toute la journée et, qui, elles, sont habituellement minces. Les personnes de la classe moyenne ont plus de chances que les autres de posséder leur propre voiture. Depuis quelque temps, de plus en plus de personnes de la classe moyenne, et plus particulièrement des femmes, font régulièrement de l’exercice - jogging, tennis, etc. Avant que cette tendance ne se dessine, elles n’étaient pas toutes grosses - du moins pas aussi grosses que les femmes de ménage typiques. Jean Mayer, un des chercheurs les plus connus dans le domaine de l’exercice et des diètes, écrit que la perte de poids pour les personnes grosses requiert "[...] une attitude presque stoïque d’austérité et... un réaménagement du temps pour ce qui sera souvent une période solitaire de marche et d’exercice"10. Stoïcisme, austérité, marche et exercice solitaires décrivent difficilement la vie d’une femme mince typique !
La pertinence de tout ceci réside dans le fait que nous n’avons pas autant le choix pour ce qui est de notre aspect physique qu’on voudrait nous le faire croire. La souffrance qu’endurent les femmes pour une question d’aspect physique n’a aucun sens - et cela est difficile à accepter.
N°3 L’ILLUSION QUE "C’EST POUR TON BIEN..."
Un demi-siècle de mensonges tant médicaux que psychiatriques emprisonne la honte des femmes grosses et la peur des femmes non grosses, mensonges que le groupe Fat Underground qualifie de "négligence criminelle et meurtrière dirigée contre les femmes"11.
Dans cet article, je veux n’accorder qu’une petite place aux contre-arguments radicaux suivants : ce sont les médecins qui rendent les personnes grosses malades et les psychiatres qui les rendent folles. L’essentiel de ces arguments repose sur les observations suivantes :
– En ce qui concerne la santé physique :
1. De sérieux dommages physiques surviennent à des corps gros à la diète, y compris les dommages occasionnés par un état perpétuel "d’affamé-e"12. Il existe des preuves que l’artériosclérose, qui mène aux crises cardiaques et aux attaques d’apoplexie, est causée par le recours fréquent aux diètes13. Ce fait à lui seul expliquerait le taux élevé de décès chez les personnes atteintes de ces maladies.
2. Toutes les études ayant fourni la preuve qu’être grosse est mauvais pour la santé ont été effectuées sur des personnes ayant eu recours fréquemment à des diètes et vivant dans un climat de persécution et de haine de soi.
3. Les quelques études réalisées sur des personnes grosses non persécutées suggèrent qu’elles sont en excellente santé14, alors que des études effectuées auprès des groupes persécutés autres que celui des personnes grosses, tels que les Noirs, démontrent que ces groupes sont atteints de plusieurs maladies "caractéristiques" aux personnes grosses15.
– Et concernant la santé mentale :
4. Presque tous les individus, gros ou minces, qui sont affamés ou privés de nourriture, ou menacés de l’être, ont une attitude compulsive face à la nourriture.
5. Puisque toutes les théories psychiatriques ont comme postulat de base que les personnes grosses le sont parce qu’elles mangent plus que les personnes minces, ces théories contredisent la réalité et conduisent forcément les personnes grosses à l’aliénation.
En fait, le "c’est pour ton bien" n’est pas la véritable raison de la persécution des personnes grosses. La véritable raison est le look16. Quand avez-vous vu de fumeuses se faire refuser un emploi, faire rire d’elles quand elles se plaignent de discrimination ; ridiculisées par les médias ; rejetées comme amies, comme amantes ? - et pourtant elles mettent en danger leur santé ainsi que celle des autres.
Le look est toujours la raison pour laquelle les femmes suivent une diète, même quand les raisons que l’on croit souvent et qu’on invoque sont des raisons de santé. Il n’y a aucune chance qu’une femme se sente bien dans cette société si elle se voit grosse. Les sentiments de léthargie et d’accablement que ressentent certaines femmes grosses reflètent, du moins en partie, la haine de toute une culture pour les personnes grosse. Haine qui est intériorisée par celles-ci et exprimée sous forme de mépris de soi. Gardons à l’esprit que certaines parmi nous avaient des grand-mères grosses qui, néanmoins, travaillaient dur et énergiquement.
Pour beaucoup de femmes, la santé n’entre même pas en ligne de compte quand il s’agit de se débarrasser de leur grosseur. Lors d’une réunion de femmes grosses à Los Angeles le 20 avril 1973, une femme grosse avoua son fantasme secret : "Je souhaiterais avoir le cancer ou une autre maladie pour pouvoir mourir mince". La popularité croissante du pontage intestinal reflète bien le désespoir des femmes grosses. Cette intervention chirurgicale consiste à court-circuiter la majeure partie de l’intestin grêle, ne laissant que quelques pieds (ou parfois que quelques pouces), de sorte que la majeure partie des aliments qu’une personne consomme passe dans le système digestif sans être digérés, Il en résulte généralement une perte de poids d’environ 100 livres. Pendant les mois ou les années où elle dépérit vers la mince (sinon bilieuse) beauté, la patiente se trouve aux prises avec une violente et douloureuse diarrhée nauséabonde, avec la malnutrition et des dommages aux autres organes. Selon des statistiques conservatrices, le taux de décès relié à cette intervention est évalué à 6 %17. Etant donné que ce genre d’intervention est nouveau et encore au stade expérimental, les effets à long terme ne sont pas encore connus. Pourtant, au moins 5 000 pontages intestinaux sont pratiqués tous les ans aux Etats-Unis, dont environ 80 % sur des femmes18 et généralement au coût de 6000 $ chacun, payable par la patiente - qui, bien sûr, à cause de sa grosseur n’est pas "assurable"19.
Détériorer ses organes, comme s’il s’agissait de pièces mécaniques et de circuits, est le devoir inhérent au statut d’objet sexuel. L’utilité (sex-appeal) en est la seule vertu, la douleur importe peu. La relation établie entre les médecins et les femmes grosses est sadomasochiste. Se croyant inapte à se manipuler elle-même en tant qu’objet sexuel, la femme grosse abandonne finalement son pouvoir au médecin qui, lui, la manipule (la mutile). Ses mâchoires seront ficelées avec du fil de fer. Ses tripes seront découpées en morceaux. Sa soumission n’est pas loin de ressembler à la passivité idéale. Inculqué à la plupart des femmes par le sexisme, voici la forme que prend le masochisme poussé à son maximum chez les grosses. Nous avons toutes été élevées selon un bon vieux, principe : "Il faut souffrir pour être belle". Pour ce qui est de la souffrance, ce n’est qu’une question de degré. Suivant la rhétorique du sadomasochisme, par sa soumission à la douleur, la femme obtient un pouvoir absolu. Ce qu’elle obtient réellement, c’est l’illusion d’exercer un contrôle sur elle-même.
Le pouvoir que détiennent les médecins pour perpétuer ou mettre un terme à cette misère n’est pas, lui, une illusion. Les médecins se disent déconcertés devant les contradictions contenues dans la documentation sur l’obésité - mais leur perplexité ne les empêche pas de traiter l’obésité comme une simple question de contrôle de débits et de crédits au grand livre des calories. Tant que les médecins orienteront leur pratique dans ce sens, ils continueront d’utiliser leur pouvoir pour nous abuser.
La découverte que les médecins peuvent être des ennemis politiques des femmes n’est pas nouvelle pour le féminisme : les mouvements d’auto-examen, de thérapie radicale, ainsi que les écrits, tels ceux de Barbara Ehrenreich et Dierdre English sur l’histoire des femmes en tant que guérisseuses, marquent une reprise de pouvoir par les femmes sur leur corps et leur esprit20. Le Fat Liberation est la prochaine étape dans ce processus de libération des femmes.
N°4 L’ILLUSION DU "VOULOIR, C’EST POUVOIR"
"Si tu veux vraiment quelque chose, tu peux l’avoir - cela ne dépend que de toi". Combien de fois entendons-nous ce cliché à double tranchant ! D’une part, le cliché exhorte les gens à ne pas s’abandonner au désespoir. D’autre part, c’est l’argument par excellence du statu quo, sous-entendant que les "nantis" méritent leur privilège et que les "dépourvus" sont "dépourvus" parce qu’ils ne sont pas suffisamment motivés pour faire ce qu’il faut pour obtenir ce privilège. Par cette ruse, les politiques sont déguisées en psychologie personnelle et les victimes en portent le blâme. La plupart des médecins sont profondément accrochés à cette attitude hypocrite. Comment arriveraient-ils à se respecter, comment éviteraient-ils une culpabilité démoralisante, s’ils ne croyaient pas à l’équité d’un système qui en prive tant et en récompense si peu et, fort heureusement, c’est à cette dernière catégorie qu’ils appartiennent.
Dans la section "L’illusion de la liberté de choix", j’ai décrit comment LA GROSSE ILLUSION piège chaque femme dans sa lutte insensée pour un "contrôle du poids". Au niveau de l’illusion de "vouloir, c’est pouvoir", ces luttes individuelles perdent de leur sens, masquant un système qui contrôle les énergies d’une multitude de femmes.
Les femmes sont ainsi divisées en deux groupes : celles qui ont peur de devenir grosses et celles qui ont honte d’être grosses. En adoptant l’idéologie de l’amaigrissement et en achetant ses produits (saccharine, boissons gazeuses "diètes", revue Weight Watchers, etc.), les femmes minces affirment qu’elles sont motivées à être minces et belles. Elles sont récompensées par l’approbation des mâles et par la permission de se sentir supérieures aux femmes grosses. En faisant de même, les femmes grosses affirment qu’elles veulent l’approbation des hommes - qu’elles ont le cœur à la bonne place, qu’elles acceptent la domination du Patriarcat - mais leur récompense réside seulement dans une promesse future d’approbation des mâles puisque aussi longtemps qu’elles sont grosses, même si elles sont à la diète, elles souffrent de persécution. Toutefois, elles arrivent à se croire supérieures à quelque personne imaginaire qui est plus grosse qu’elles ne le sont et qui mange sans honte.
La valeur et le pouvoir de l’approbation des mâles augmentent proportionnellement à la souffrance que les femmes subissent pour l’obtenir.
J’ai mis l’accent sur l’approbation des mâles pour démontrer que ceci est une situation sexiste qui maintient l’ensemble des femmes dépendantes de l’ensemble des hommes pour ce qui est de l’estime de soi. La même situation existe chez les lesbiennes, mais de manière plus subtile.
L’argent et le support que les femmes fournissent à l’industrie de l’amaigrissement se transforment en un fouet qui persécute les femmes grosses - sous forme de diète et d’annonces de mode railleuses impliquant que seules les femmes minces sont dignes d’amour. Le triste spectacle de la souffrance des femmes grosses terrifie les femmes et les force à continuer à supporter l’industrie de l’amaigrissement. Ceci est un racket d’extorsion où chaque sou versé à cette industrie augmente le pouvoir qu’elle a sur nous. Le pouvoir des femmes est diminué non seulement par la compétition pour être plus mince que sa voisine, mais aussi par la faim et la préoccupation constante de nourriture. L’ultime message contre-révolutionnaire est : ce qui est bon pour nom - comme manger ce que nous voulons - est en fait mauvais pour nous.
La GROSSE ILLUSION, à tous les niveaux, doit être éliminée de la vie des femmes. Aucun support et aucune indulgence de doivent être accordés aux industries de l’amaigrissement puisque ces industries dégradent les femmes grosses. Chaque canette de boisson gazeuse "diète" que vous achetez - peu importe si vous en "préférez peut-être le goût" - blesse les femmes grosses et par extension toutes les femmes. A mesure que les femmes libéreront du monopole médical la connaissance en matière de grosseur, les femmes grosses sortiront au grand jour pour réaliser qu’elles n’ont rien à se reprocher. Il est temps de prendre conscience des implications que renferme le privilège d’être mince aussi bien que le fait d’être punie parce qu’on est grosse, de la même façon que nous avons pris conscience des autres injustices sociales que nous combattons depuis des années. Nous ne devons attendre ni aide ni conseils de la part des médecins. De plus, peu de médecins risqueront leur carrière pour discréditer un racket médical populaire qui est , après tout, principalement une affaire de femmes. Car, dans ce cas, dire la vérité ne serait tout simplement pas bon pour les affaires.
Nous, qui sommes gras comme des porcs, ne réussirons peut-être jamais à libérer la personne mince qui est emprisonnée dans le corps de chaque personne grosse, mais ça ne sera pas par manque d’efforts. Alors que nous avançons d’un pas lourd vers l’ultime victoire, nous voyons la route parsemée de "signaux d’arrêt" qui nous rappellent notre péché de gourmandise et nous ramènent dans le droit chemin.
(Traduction libre de l’article intitulé "The Wild Signal of Health", in 101 Ways to Lose Weight and Stay Healthy, a Woman’s Day Super Speclal, n° 3, 1975, p. 10.)
•Tiré de la revue Amazones d’Hier, Lesbiennes d’Aujourd’hui, "Dossier des oppressions", volume III, n° 2-3, novembre 1984.
•Traduction : Michèle Charland et Louise Turcotte.
•Version finale faite à partir d’une première traduction de Constance Durocher.
Notes :
1 - N.D.T. : Nous avons gardé ces deux expressions en anglais car il n’y a pas d’équivalents français. "Club de la faim" et "Salon de sudation" qui en sont la traduction littérale ne rendent pas l’idée de l’auteure.
2 - A.M. Bryans, "Chilhood Obesity - Prelude to Adult Obesity" (L’obésité infantile : prélude de l’obésité à l’âge adulte), in Canadian Journal of Public Health, novembre 1967, p. 487.
3 - U.S Department of Health, Education and Welfare, Obesity and Health (L’obésité et la santé), 1966, p. 60.
4 - W.L Asher, "Appetite Suppressants as an Aid in Obesity Control", (L’utilisation de médicaments anorexigènes comme mesure pour contrôler l’obésité), in Obesity : Causes, Consequences and Treatment, Louis Lasagna ed., New York, 1974, p. 73.
5 - Joseph A. Glennon, "Weight Reduction - an Enigma" (La perte de poids : une énigme), in Archives of Internal Medicine, 118, juillet, 1966, pp. 1-2.
6 - Gudrun Fonfa, "Lookism as Social Control" (L’esthétique comme forme de contrôle social), in Lesbian Tide, janvier 1975, p. 20.
7 - Alvan Feinstein, "How Do We Measure Accomplishment in Weight Reduction ?" (Quels sont les critères de réussite en matière de perte de poids ?), in Obesity : Causes, Consequences and Treatment, Louis Lasagna ed., Medcom Press, 1974, p. 86.
8 - Jean Mayer, Overweight : Causes, Cost and Control, Englewood Cliffs, New Jersey, 1968. Au chapitre 3, intitulé "Genes and Obesity" (L’obésité et l’hérédité), l’auteur cite des faits qui indiquent que la grosseur est héréditaire (pp. 45 à 57).
9 - Ibid., pp. 125-126.
10 - Ibid., p. 165.
11 - Fat Underground, "Health of Fat Women... the Real Problem" (La santé des femmes grosses : le vrai problème), 1974.
12 - Aldebaran, "Fat Liberation - A Luxury ?" (La libération des personnes grosses : un luxe ?), in State and Mind, juin/juillet 1977, pp. 34-38.
13 - Obesity and Health, op. cit., p. 40.
14 - Clark Stout and als., "Unusually Low Incidence of Death From Myocardial Infarction..." (Taux anormalement bas de décès dus à l’infarctus du myocarde), in Journal of the American Medical Association, 188, juin 1964, pp. 845-849.
15 - Jack SIater, "Hypertension : Biggest Killer of Blacks" (L’hypertension, principale cause de décès chez les Noirs), in Ebony, juin 1973.
16 - N.D.T. : Nous avons gardé les termes look et lookism tels quels car il n’existe pas encore d’équivalents français. Ils font référence à la définition de Gudrun Fonfa telle que présentée plus haut dans le texte.
17 - "Current Status of Jejuno-Ileal Bypass for Obesity" (Situation actuelle du court-circuit jéjuno-iléon comme traitement pour l’obésité), Nutrition Reviews, 32, 1974, p. 334.
18 - Propos recueillis le 6 août 1975 lors d’une conversation téléphonique avec un adjoint administratif du docteur J. Howard Payne, qui fût l’un des premiers médecins à préconiser le pontage intestinal comme traitement pour l’obésité.
19 - N.D.T. : L’assurance-maladie aux Etats-Unis n’existe que sur une base privée.
20 - Bon nombre d’ouvrages portant sur les femmes et la santé ont été écrits par des féministes. Une bonne bibliographie (qui ne contient cependant aucune information sur les femmes grosses) figure à l’appendice de The Hidden Malpractice, de Gena Corea (William Morrow and Company, New York, 1977).
L’ouvrage auquel le texte renvoi est intitulé Witches, Midwives and Nurses, écrit par Barbara Ehrenreich et Dierdre English et est publié par The Feminist Press, Bok 334, Old Westbury, New York 11568, USA. Cet ouvrage a été traduit et publié en français par les Editions du remue-ménage (Montréal, 1976) sous le titre Sorcières, sages-femmes et infirmières : une histoire des femmes et de la médecine.
Grosses et sans complexe - 10 déclarations de poids
1. Je suis une personne de poids et d’envergure, qui mérite mon propre respect et celui des autres.
2. Je suis solide, en bonne santé et belle, simplement avec le poids que je fais maintenant.
3. Je suis capable d’obtenir l’approbation, de gagner l’affection et d’être heureuse quel que soit le poids et la taille de mon corps.
4. Je m’autorise à manger normalement, et je reconnais que l’obsession de la bouffe et les désordres alimentaires sont la conséquence inévitable des régimes amaigrissants.
5. Je mérite d’être traitée avec dignité et respect tout le temps, et je m’efforce toujours de projeter une image positive de moi-même.
6. Où que j’aille, j’ai droit à un espace approprié à ma taille.
7. Je refuse à toute personne, groupe, ou institution la possibilité de me discriminer ou de me diminuer de quelque façon que ce soit à cause de mon poids.
8. Je vis ma vie dans sa plénitude et je refuse d’être victimisée par les préjugés ou les peurs des autres.
9. J’apprends à répondre franchement aux personnes sectaires envers la grosseur, et d’une façon qui les éduque et qui me donne de la force.
10. Je rejoins d’autres personnes grosses, nos ami-e-s, nos communautés, et nos allié-es non-gros-ses, pour travailler ensemble et faire de ce monde un espace plus accueillant pour toutes les personnes de TOUTES tailles.
Une information d’utilité publique fournie par "Largesse",
réseau féministe pour l’estime de la grosseur, site internet : http:/www.eskimo.com/~largesse.
Traduit et adapté par Madivine (mel : madivine@cheerful.com), Lyon, décembre 2000.
A propos d’une mythologie scientifique : la maladie de l’obésité
par Johanne Coulombe, Pascale Noizet et Louise Turcotte
L’idée d’associer oppression et grosseur ne semble pas encore acquise dans l’opinion populaire. Cela laisse sous-entendre qu’une partie de la population, les personnes grosses, est opprimée. L’idée même fait sourire et/ou exaspère comme s’il s’agissait là de la dernière trouvaille du courant politically correct. Les personnes grosses opprimées ? Et quoi encore ? Les trop petits, les trop grands, les trop laids, les trop beaux tant qu’à y être ! C’est la réaction spontanée la plus répandue lorsqu’on essaie d’expliquer la grosseur en ces termes.
Car la grosseur a bien été créée comme l’a été la race et le sexe pour faire subir à une population une situation sociale spécifique. En fait on a transformé une marque physique en une anomalie biologique. On a donc créé le problème pour justifier la solution. Il y a là-dessus toute une littérature de la plus scientifique (il existe, comme on va le voir, une "science" de l’obésité) à la plus populaire qui vient perpétuer ce fait incontesté : la grosseur est une anomalie, est une maladie. C’est donc la présence de ces différents discours qui fait croire à toute une partie de la population qu’elle est anormale. Car il n’y a pas un sujet qui soit plus discuté avec autant d’unanimité que la question de ce qu’on nomme obésité, et ce malgré les divergences du comment et du pourquoi. Les théories changent, elles se compliquent, elles trouvent de nouveaux créneaux à explorer, mais l’anomalie reste.
La première constatation qui vient à l’esprit lorsqu’on essaie de comprendre ce système d’oppression, c’est qu’on ne peut l’aborder de la même façon que tous les autres systèmes. Et c’est ce qui rend la réflexion si complexe. En effet, contrairement aux autres oppressions, celle de la grosseur n’est pas basée sur "un rapport social". Nous sommes pourtant devant une oppression qui, bien que relevant directement d’un marquage1, ne s’appuie pas sur une organisation sociale proprement dite pour maintenir et justifier ses objectifs répressifs. On ne peut donc voir ce système en terme d’antagonismes de classes par exemples. Et pourtant, si on ne peut voir la cause en ces termes, Les effets restent quand même les mêmes. Nous sommes en fait, comme pour la race et le sexe, devant un discours dominant et des pratiques de pouvoir avec des effets très concrets et très matériels sur la vie des personnes grosses. Et c’est par ces effets que le système d’oppression de la grosseur se distingue de tous les autres systèmes. Car, contrairement à tous les autres systèmes d’oppression qui créent et maintiennent leur objet d’oppression (la race ou les femmes par exemple), celui de la grosseur cherche à éliminer ce qu’il crée. En effet, tu es gros mais il est impossible que tu le sois. Créer une différence en cherchant à l’éliminer. Etrange paradoxe !
Ainsi, personne ne trouve étrange qu’on enlève des bouts d’estomac, d’intestins ou toutes autres mutilations que l’on fait subir aux personnes grosses. Même si on trouve ces méthodes horribles, on comprend qu’un individu doive en arriver là. En fait, rien ne peut être aussi horrible que la grosseur elle-même. Et c’est bien là ce que véhicule tout ce système d’oppression : son projet d’élimination de la grosseur.
Bien entendu, ce projet est entretenu en prenant bien soin de le dissimuler derrière une soi-disant compassion pour ces pauvres anormales puisque tout ce système existe pour leur venir en aide. La vérité incontestée et incontestable est là pour leur rappeler : c’est mauvais pour la santé. Mais d’où nous vient cette grande vérité ? d’abord de l’information provenant des différents discours scientifiques dont personne ne conteste l’impartialité des recherches empiriques. Or, voici ce que Danielle Bourque relate au sujet de la transmission des informations lors d’un congrès du National Institute of Health (NIH) qui se tenait en 1985 :
Lors du congrès de 1985, un grand nombre de chercheurs vinrent présenter les résultats de leurs études qui remettaient en question les données habituelles sur les dangers de l’obésité. Or, parmi toutes les recherches présentées, le comité du NIH retint seulement celles qui prouvaient que l’obésité avait des conséquences létales, sans tenir compte des faiblesses méthodologiques de plusieurs documents ; les études qui contredisaient cette affirmation furent systématiquement rejetées, indépendamment de leur rigueur scientifique.2
Cette position des scientifiques face aux discours qui contestent la construction de l’objet obésité révèle non seulement la force dogmatique d’un diagnostic mais également le pouvoir politique de l’establishment scientifique qui refuse de voir poindre à l’horizon le moindre éclair de conscience. Tout est mis en place ici pour que demeure en l’état la maladie de l’obésité et tous les discours s’accordent pour quadriller stratégiquement le trait physique de la grosseur. Nous allons le voir, rien n’est laissé au hasard de l’interprétation et les arguments, du social au médical, du médical au psychologique, s’enchaînent les uns aux autres jusqu’à atteindre leur but : faire croire et convaincre que l’obésité est une maladie à soigner et non pas l’effet d’une oppression à combattre.
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La construction d’un objet, en l’occurrence lucratif, suppose qu’il soit le lieu d’une solide argumentation. Pour être convaincante, la rhétorique de l’obésité, dans son étroite association avec la maladie, a dû être supportée par un discours d’expertise. Ainsi des théories se sont élaborées, qui entérinaient et peaufinaient scientifiquement l’idée, désormais lieu commun, que l’obésité était une maladie. Mais nous allons ici au plus court puisque, à l’origine, l’objet se révélait plus commercial que médical :
Cela se situerait au début du siècle alors que la compagnie d’assurances Metropolitan Life aurait senti le besoin de posséder des normes pour évaluer les risques d’assurer certaines personnes : on a additionné le poids de tous les assurés d’un âge déterminé et on a divisé le total par le nombre de ces assurés, ce qui donnait un poids moyen mais pas nécessairement le poids réel que telle ou telle personne devait peser !3
En fait, les termes de la relation, soit du commercial au médical, ne s’excluent nullement ; on pourrait même ajouter que dans le cas qui nous préoccupe ils se renforcent drôlement. Aussi, de ce poids vaguement normatif du début du siècle a-t-on glissé vers le concept de poids-santé de plus en plus restrictif. Aujourd’hui, le poids-santé inclut les variables de grandeur, de grosseur des os, de l’âge, du sexe et de l’activité physique jusqu’à fixer un poids résolument normalisé :
une femme normale : 5 pieds/100 livres ; on ajoute ensuite 5 livres par pouce (5 pieds 4 pouces/120 livres). Une femme est considérée obèse quand son poids excède ces normes de 15 %. Une femme dont les mensurations sont de 5 pieds/115 livres sera donc au seuil de l’obésité.
Un homme sera jugé à partir de 110 livres pour 5 pieds et on ajoutera par la suite 7 livres par pouce.4
Même si ces chiffres sont surtout utilisés par les compagnies d’assurances (une personne considérée obèse paiera une surprime pour son assurance-vie), ils conviennent parfaitement au corps médical et paramédical. En effet, au moment où la Metropolitan Life s’inquiétait pour ses deniers, l’institution médicale s’assurait, quant à elle, d’avoir le privilège professionnel d’organiser la pensée sur ce qui allait devenir les sciences de l’obésité.
Les théories qui construisent l’objet obésité se spécifient par leur multidisciplinarité, tant au niveau social, médical que psychologique. Toutes cependant s’ouvrent sur la même prémisse, quasi implicite, en préjugeant un rapport obligé entre l’obésité et la suralimentation, et ce même si on a pu établir que 14 % seulement des personnes obèses étaient de gros mangeurs5. A partir de cette équation, trois facteurs étiologiques (les causes de la "maladie") influencent les diverses théories :
1) que ce sont des comportements et habitudes alimentaires qui créent l’obésité6 ;
2) que l’obésité est dépendante du niveau socio-économique dans lequel évolue le sujet7 ;
3) que l’obésité est le symptôme de divers troubles émotionnels8.
Les discours scientifiques ont donc rigoureusement pris possession de cette problématique de l’obésité qu’ils ont balisée à partir d’un petit nombre d’hypothèses, lesquelles encerclent stratégiquement l’obésité en la construisant et en l’organisant de façon cohérente et homogène. On pourrait certes être surpris de cette cohésion théorique qui évolue, redondante et sans voix contestataire, à l’intérieur d’un cadre idéologique qui s’impose depuis le début du siècle. Mais ne soyons pas positiviste : il y a là-dessous plus que de la répétition. De nouveaux paramètres se sont établis qui complexifient au fil des ans la difficulté d’appréhender la grosseur comme étant de l’ordre d’une oppression sociale.
Certaines contraintes nous ont amené à restreindre notre analyse : elle sera pour les pages qui vont suivre un survol non exhaustif des divers champs disciplinaires. Il nous a paru en fait plus utile d’en faire une synthèse que de les présenter comme des blocs de savoir erratiques qui accumuleraient une masse d’informations sans rapport les uns avec les autres.
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La théorie sociologique
Il n’y a pas à proprement parler d’approche sociologique de l’oppression de la grosseur. Bien qu’il existe à l’heure actuelle une sociologie du "corps", la discipline consacrée à cette problématique demeure sans voix sur la signification sociologique du corps gros9. A notre connaissance, seule l’analyse de Claude Fischler, qui se situe dans le domaine de la recherche scientifique, amorce une réflexion sur la "lipophobie" des sociétés modernes10, sans tenir compte toutefois de la situation des femmes dans ces sociétés. Il faut souligner ainsi l’un des points intéressants dans cette étude de Fischler, à savoir que la grosseur n’a jamais été à travers l’histoire en manque de signification. Le sociologue montre bien que, quelles que soient les connotations péjoratives ou mélioratives accolées historiquement à ce trait physique, la grosseur a toujours été contextuellement signifiante. Même si Fischler analyse les iconographies comme ca précis de cette pratique signifiante qu’il inscrit surtout au début du XXe siècle, il semble opportun, dans le cadre de cet article, de rapporter d’autres cas de la fin du XXe siècle et la façon dont les discours peuvent interpréter dans une conjoncture donnée le trait physique de la grosseur. L’essai intitulé Les stratégies fatales que Jean Baudrillard écrivait en 1983 est exemplaire de cette formation sémiologique. En s’interrogeant sur le fait que les choses échappent à la dialectique du sens, Jean Baudrillard avance l’hypothèse que l’obscénité "[...] leur tient lieu désormais de finalité immanente, et de raison insensée"11. La première de ces obscénités se cristallise dans l’obésité : "[...] cette sorte de conformité monstrueuse à l’espace vide" "[...] telle qu’on la rencontre partout aux U.S.A."12. C’est que, pour Baudrillard, le social n’existe plus que hanté par sa disparition. Ainsi les contradictions historiques, jadis ancrées dans des antagonismes de classe sociale, prennent aujourd’hui "[...] la forme pataphysique de la déficience mentale ou physique"13. A ce niveau, ce sont bien les obèses, les débiles et les handicapés, pour reprendre les trois catégories ainsi nommées par Baudrillard, qui font perdre au social la règle de son jeu politique : "[...] le social cherche dans ses déchets vivants une sorte de légitimité transpolitique - après la gestion de la crise, l’autogestion ouverte du déficit et de la monstruosité"14. Quel que soit l’objectif de cette recherche, l’analyse de Baudrillard, quand elle pense l’obésité en terme de monstruosité, s’avance nécessairement sur le terrain fascisant d’une conception du monde où les obèses, débiles et handicapés y sont persécutés jusqu’à la possible exclusion : c’est bien là que devrait les conduire en toute bonne logique la démonstration de cet éminent penseur. Il s’agit ici d’un exemple parmi d’autres de ce qui se dit des obèses, mais il étaye bien - non pas, comme on pourrait le croire, par une virulence extrême de ses propos mais bien par leur banalité doxique - l’hypothèse de Fischler quant aux interprétations qui ont été imposées au trait physique de la grosseur.
En dehors de cette étude de Fischler, l’une des analyses la plus pertinente (mais hélas marginale) est, du côté francophone, celle que Danielle Bourque présente dans son livre intitulé : A dix kilos du bonheur. En effet, bien que cet ouvrage s’adresse principalement aux femmes minces qui ont des problèmes de comportements alimentaires (la boulimie ou l’anorexie par exemple) ou d’obsession de la minceur (selon une échelle qui varie plus ou moins autour de dix kilos "en trop"), ce livre de Danielle Bourque est l’un des premiers qui questionne aussi bien les préjugés, les énoncés scientifiques que les images corporelles véhiculées par les sociétés. Il y a donc là un véritable trésor d’informations et un travail de recherche impressionnant. Malgré l’absence d’une analyse sociologique de l’oppression de la grosseur, Danielle Bourque consacre quand même quelques pages (cf. chapitre 6) aux discours social et psychologique qui catégorisent les personnes grosses. Elle parle par exemple de la "haine du gros" et de la "psychologie de l’opprimé" pour appréhender la vision négative que ces personne sont d’elles-mêmes. Elle dénonce clairement toutes les industries de l’amaigrissement, les chartes du poids idéal, les thérapies et l’imposition des critères esthétiques normatifs. Elle critique même certaines approches féministes, entre autres celle de Susie Orbach dans son livre intitulé : Fat is a Feminist Issue dont la traduction française résume bien l’approche "maigrir sans obsession" qui "associe obésité à alimentation compulsive"15. Danielle Bourque admet en fait que cette approche de "culpabilisation de la victime" est en grande partie responsable de l’idée que "je grossis parce que je mange mes émotions"16.
Cet essai représente donc le premier - et le seul jusqu’à présent en français - contre-discours s’attaquant directement à l’ensemble des arguments fallacieux qui construisent l’objet obésité. Cependant, la principale critique à faire de cette analyse, c’est qu’elle tombe dans le piège de la supposée féminité. Ainsi la prémisse de base de son analyse s’appuie sur le fait que les sociétés refusent actuellement les "rondeurs naturelles des femmes" et, par conséquent, le corps idéal imposé aux femmes s’apparenterait plus à celui d’un homme qu’à celui d’une "vraie femme". A ce niveau, l’analyse de Danielle Bourque finit par tomber dans le piège qu’elle dénonce, à savoir présenter un "nouveau modèle" de femme qui serait libérée de l’obsession de la minceur.
C’est en règle générale à cette solution du "problème" que prétendent la plupart des analyses qui abordent la grosseur par le biais thématique de l’obsession de la minceur17. Or, à notre avis, l’obsession de la minceur n’est en définitive que la partie "idéelle" de l’oppression de la grosseur. Cette obsession représente en quelque sorte l’effet psychologique d’une oppression concrète et matérielle ceinturée par un système : la cause est bien là. En fait, on ne pourrait jamais parler d’obsession de la minceur s’il n’y avait pas d’oppression de la grosseur : il s’agit que l’analyse la prenne de front et non pas pratiquer une déviation qui la détourne idéologiquement de sa réalité propre.
C’est pourquoi le seul ouvrage à nommer l’oppression de la grosseur reste encore Shadow on a Tightrope18 publié en 1983 aux Etats-Unis. En laissant la parole à celles qui en subissent les conséquences, cette collection d’essais contient à la fois des témoignages et des textes d’analyses dont ceux des premières théoriciennes du Fat Liberation Movement. Il s’agit là d’une dénonciation de toutes les formes de violences que subissent les personnes grosses : en premier lieu de ce pouvoir médical qui entretient l’illusion que la grosseur qu’il nomme obésité peut être guérie ; ensuite de ces industries de l’amaigrissement qui commercialisent cette illusion, en étant par le fait même l’une des industries les plus lucratives qui existe actuellement dans les sociétés occidentales. Pour ce qui est des témoignages, ils décrivent concrètement les humiliations perpétuelles que les personnes grosses ont vécues et continuent à vivre dans le cadre de leur vie quotidienne. Parce qu’il ne tergiverse pas avec une déformation de la réalité, que ce soit par le biais de l’obsession de la minceur ou que ce soit par le biais des préjugés fondamentaux, Shadow on a Tightrope élabore sans faux-fuyants une analyse de l’oppression de la grosseur.
Quant aux études qui s’occupent de trouver des causes sociales à l’obésité, elles ne font que glaner de-ci de-là quelques petits faits quotidiens de nature à camper un portrait-robot des individus obèses à partir de leur appartenance sociale et de leur style de vie. Autant dire qu’elles n’envisagent pas la grosseur comme un phénomène d’oppression. Tout au plus relèvent-elles des statistiques qui lui permettent d’affirmer que "le coefficient du risque d’obésité chez les femmes de niveau socio-économique défavorisé est six fois plus élevé que celui des femmes de niveau socio-économique favorisé"19. Mais ce qui pourrait advenir clairement à l’analyse s’enlise derechef dans le préjugé fondamental. En effet, même si P. Wyden20, la même année, souligne que les individus favorisés suivent généralement une diète amaigrissante, rien n’émerge qui puisse faire espérer une remise en question des prémisses scientifiques. Les explications à ce sujet s’ancrent résolument à la cause suralimentaire et au fait que les aliments bon marché sont le plus souvent hypercaloriques. Même en la présence d’un tableau comparatif, la boucle est pour ainsi dire bouclée ; elle n’a effectué qu’un tour sur elle-même en visant par le petit bout de sa lunette le paradigme conservateur : l’obésité est reliée à une suralimentation et s’ajoute ici le facteur "mauvaise alimentation". Ce dernier facteur est d’ailleurs devenu au fil des années le cheval de bataille de bien des diététiciens et nutritionnistes comme étant l’ordre nouveau à suivre, celui qui s’acoquine avec le précis du "défi alimentaire".
Les présupposés de cette recherche sur les causes sociales de l’obésité empêchent d’élaborer une analyse du rapport oppressif. Au contraire, et ici le fait est plus grave, leurs résultats mettent l’entière responsabilité sur les personnes obèses, en l’occurrence (et sans en questionner ni le pourquoi ni le comment) sur les femmes. On est obèse parce qu’on mange trop, et mal quand on est pauvre. Or les résultats, si évidents à leurs yeux - et aux nôtres - sont erronés : il n’y a pas plus de facteurs obésiques dans les milieux défavorisés puisque les autres suivent une diète amaigrissante. La solution qui s’en suivra en sera une de type contractuel dans la mesure où chacun devra remplir les conditions d’un contrat éducatif : apprendre à doser, équilibrer, mesurer, peser quotidiennement des denrées désormais normatives : apprendre à penser, à se penser, à s’auto-évaluer sous le joug tyrannique du poids-santé.
Car c’est bien de la "santé" des personnes grosses que tous ces discours semblent vouloir se préoccuper. Or, comme nous allons le voir dans la partie suivante, jamais une "science de la santé" n’a rendu des gens aussi malades.
La théorie biologique/médicale
Dans cet univers médical, on parle d’excès pondéral, d’hypothalamus, de structures neurologiques, de facteurs métaboliques, du volume des adipocytes, de déséquilibre hormonal. Mais, si les théories se contredisent à l’intérieur de leur propre champ, elles s’accordent sur l’étiologie, comme le prouve cette citation tirée de l’Abrégé de pathologie endocrinienne et métabolique : "Il n’y a qu’un moyen d’être obèse, c’est de manger plus que ses besoins"21. Ainsi, les facteurs exogènes seront la suralimentation et le manque d’exercice. Parmi les facteurs endogènes, on retrouve la prédisposition héréditaire et constitutionnelle. Mais, tout en s’affranchissant de ses critères scientifiques, l’argumentation devient fallacieuse au point d’altérer la méthodologie du dit savant. Par un miracle retors, les facteurs endogènes, à savoir l’hérédité, sont les mêmes que les facteurs exogènes : "les obésités familiales sont causées par des habitudes de suralimentation et de sédentarité"22.
Malheureusement la théorie médicale ne se contente pas d’être uniquement "explicative", elle se veut aussi "curative". Elle devient alors carrément dangereuse lorsqu’elle fait intervenir la chirurgie à défaut de trouver d’autre solution. Et on peut quasiment dire sans exagérer que cette solution finit par ressembler à la "solution finale" d’une époque pas si lointaine. En effet, il existe depuis près d’une trentaine d’années des interventions chirurgicales concernant le traitement de l’obésité. Ces interventions appelées court-circuit jujéno-iléal, court-circuit bilio-pancréatique, court-circuit gastrique et gastroplastie sont pratiquées, principalement chez les femmes, depuis toutes ces années sans qu’aucune de ces interventions n’ait été préalablement vérifiée en laboratoire :
C’est donc l’accumulation des complications graves et des cas de mortalité qui amènent les chirurgiens à abandonner une technique au profit d’une autre qu’ils croient moins dangereuse. Ils recommencent alors le même processus, opérant directement sur les humains et modifiant la technique au fur et à mesure des erreurs qu’ils constatent. Ils l’abandonnent finalement au profit d’une autre quand, faisant le bilan de 10, 15 ou 20 années d’intervention, ils constatent qu’ils ont accumulé plus de morts que s’ils avaient laissé les obèses tranquilles.23
Mais toute la question est bien là : on ne les laisse pas tranquilles.
Aussi est-ce ce même objectif que nous retrouvons dans la partie traitant de pathogénie qui amorce, quant à elle, le tracé d’une relation manipulatrice, absolument nécessaire à la construction de notre objet. En effet, il ne suffirait pas que l’obésité soit maladie physique. D’ailleurs, les résultats des recherches médicales sont par trop contradictoires pour ne pas laisser voir leur impertinence. Pour qu’elle soit opérationnelle, il faut organiser une relation de cause à effet entre le trait physique et les manifestations qui lui sont soi-disant inhérentes. Les individus obèses doivent absolument se sentir malades, c’est là une condition sine qua non du processus. A ce niveau, la construction psycho-somatique de l’obésité devient le lieu d’une culpabilisation en même temps qu’un outil répressif très efficace. Le trait physique, déjà interprété dans son rapport à la suralimentation, cristallise l’inhérence caractérielle suivante :
Les obèses étant généralement peu sincères dans leurs déclarations, il faut se méfier de leurs supercheries. Ils ont pour les aliments la même attirance que les morphinomanes pour leur toxique et pour manger acceptent de sombrer dans la déchéance.24
Ce portrait moral de l’obèse est par ailleurs pris en charge par les études en psychologie qui tentent elles aussi depuis plusieurs années d’atteindre l’objectif final.
La théorie psychologique
Au-delà des écoles de pensée, psycho-dynamique, psychanalytique ou béhaviorale, l’obésité est considérée comme étant le symptôme d’un malaise émotionnel. La suralimentation interviendra selon une modalité différente : elle sera en quelque sorte un épiphénomène, la traduction de problèmes psychologiques non résolus. Mais ces problèmes, une fois que la psychanalyse s’en mêle, sont légion. Pour les femmes, l’obésité serait, au choix, une réaction au : désir d’être un homme ; désir de grossesse ; peur d’enfanter ; insatisfaction affective ; compensation de rapports sexuels inadéquats ; dépendance infantile ; agressivité refoulée ; refus de la sexualité, etc.
Du côté psychologique, on dresse un portrait-robot hypersaturé de configurations négatives : tendance profonde au narcissisme ; peu d’initiative ; insatisfaction ; anxiété sociale ; désir de plaire ; manque d’autonomie ; sentiments d’infériorité ; peu de volonté ; sans imagination ; sans esprit créatif, etc. On peut s’en douter, le cadre familial, quant à lui, draine une mère dominatrice/autoritaire et un père faible/soumis. L’enfant, alors désorienté par ce désordre familial (on le comprend cet enfant désorienté qui tente vainement de trouver un père soumis et le fantôme d’un société matriarcale), confond ses besoins émotionnels avec celui biologique de s’alimenter !25
C’est cependant sans ironie aucune que les expériences thérapeutiques se sont acharnées sur la problématique. Certains traitement d’origine béhaviorale consistaient en de véritables tortures physiques. Durant les années 1920 à 1960, on utilisait la stimulation électrique et les produits chimiques pour soigner l’obésité comme d’ailleurs l’homosexualité26. Le but de ces thérapies visait à défaire des comportements conditionnés en associant des chocs électriques et des odeurs nocives de produits chimiques à l’odeur des aliments. Or, les effets secondaires physiquement décelables questionnèrent l’éthique de la profession. Aujourd’hui abandonnées, les pratiques béhaviorales n’en continuent pas moins leur ascension. Transposées au niveau imaginaire, on est passé de la torture physique à la torture mentale. En 1966, Cautela introduit la sensibilisation imaginée qui de non personnalisée passe au stade d’une méthode personnalisée. Le patient imagine, à l’aide du thérapeute, une scène aversive (qui lui répugne le plus) associée à l’aliment-cible qu’il préfère. Durant la séance, après avoir introduit une description savoureuse de l’aliment, le thérapeute campe une situation qui correspond à la plus grande aversion qu’éprouve le sujet (établie selon un questionnaire) :
Mais dès l’instant où vous approchez cette tranche de pain français à vos lèvres, d’autres vers en sortent, et plus la tranche de pain français touche à vos lèvres, plus nombreux et plus gros sont les vers, ces vers gluants, laids et affreux [...]. Ces vers se promènent sur vous, sur votre coup, dans votre blouse, dans vos mains, sur votre visage et sur votre bouche. Vous êtes couverte de vers et vous ne pouvez supporter que ces vers affreux se promènent sur vous. [...] Dès l’instant où vous jetez la tranche de pain français, les vers s’en vont. Arrêtez d’imaginer la scène et relaxez-vous.27
Si cette technique punitive n’obtient pas les résultats escomptés, à savoir la perte de poids, il semble difficile d’envisager qu’elle n’en obtient aucun au niveau psychologique puisque les mises en situation s’élaborent à partir de cas de névroses obsessionnelles : ce sont là des pratiques curatives qui continuent à s’exercer en toute cohérence scientifique et sur le principe bien-pensant d’un logique humanitaire...
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Ainsi, quels que soient les nombreux terrains disciplinaires où se pratique cette "recherche", très peu, mis à part quelques cas marginaux à peine entendus, sont à même de réfléchir profondément sur le caractère oppressif de cette construction sociale que représente l’obésité. En effet, aucune recherche n’a théoriquement développé une analyse qui questionnerait les fondements et le développement de la pensée scientifique reliée à l’obésité. Toute nouvelle approche, indépendamment de son terrain d’investigation, considère l’obésité comme une maladie dont le facteur étiologique est la suralimentation et (vers les années 60) la mauvaise alimentation. Et ici, les méthodes appliquées se ressemblent. L’obésité est isolée de ses bases socio-politiques pour être définie comme une anomalie physique et psychologique imputable au sujet obèse. Seul le lien entre le trait physique et des caractéristiques mentales inhérentes permet l’apparente cohérence du discours scientifique. Il cache en tout cas la contradiction fondamentale sur laquelle il s’appuie : si l’obésité était réellement une maladie, pourquoi aurait-elle besoin d’une argumentation socio-psychologisante pour la justifier ? Ce type d’argument est l’intermédiaire idéologique d’un discours où les connaissances scientifiques et leurs résultats font matériellement défaut alors qu’ils sont généralement un facteur de cohérence pour circonscrire et soigner une maladie. En la présence des arguments erronés et des échecs thérapeutiques de tout acabit, les sciences de l’obésité renforcent, mais ne rectifient pas, leurs postulats de base. Aussi continuent-elles à spécifier d’avantage l’obésité par l’intervention musclée du raisonnement socio-génétique. Tout opprimé est spécifié, on a pu le constater dans les critères sélectifs des différents discours comme on peut également le constater dans Le Petit Robert :
Antonyme d’obèse : maigre
Antonyme de maigre : corpulent, dodu, gras, gros, obèse ; abondant, copieux. Epais, large ; luxuriant, riche. Important.
Une fois marqués, il importe peu que les individus obèses ne soient pas malades ou qu’ils présentent des cas médicaux communément repérés chez les humains. L’objet est créé et bien ficelé et la personne obèse devient un malade ambulant convaincu (même sans malaise aucun, en parfaite santé) qu’il est porteur potentiel de la maladie. L’univers scientifique, qui contribue largement au projet social, a tout intérêt, économiquement et symboliquement parlant, à ne pas perdre de vue cet objectif lucratif. La compétition médicale et paramédicale en témoigne, qui met en place un arsenal multidirectionnel pour prendre en charge, par souci supposé humanitaire, les personnes obèses. Il n’y a qu’à regarder cette liste d’intervenants pour en être convaincu :
Acupuncteur ; chirurgien ; diététiste ; éducateur physique ; hypnologue ; infirmière ; masseur ; médecin ; naturopathe ; nutritionniste ; gourou ; animateur de groupe ; chercheur en pharmacologie ; publiciste ; plasticien ; psychologue ; relaxologue ; travailleur social ; psychiatre ; sociologue ; endocrinologue ; cardiologue ; couturier ; technicien en loisir ; ancien obèse ; cuisinier.28
Même si parfois la réflexion inaugure une mirifique prise de conscience, il n’est pas étonnant que la pensée scientifique continue inlassablement à courtiser sa trajectoire transcendantale :
Il est donc permis de se demander si l’étude des problèmes psychologiques de l’obésité n’a pas souffert de tendances aux généralisations abusives à partir d’échantillons biaisés et en se basant surtout sur des individus qui sans doute se situaient au pôle extrême d’un continuum allant de la stabilité émotive aux troubles graves de la personnalité, nonobstant la présence de l’obésité.
[...] [Mais à y bien penser...]29
A vrai dire, on n’a jamais possédé d’autres statistiques précises faisant ressortir le pourcentage des obèses qui seraient des cas "névrotiques", qui se révéleraient totalement réfractaires à toute mise au régime et chez qui le retour à un poids plus ou moins normal dépendrait de la disparition de problèmes sous-jacents [...].30
Il faut donc préserver et entretenir le cercle de ses vices. De nouvelles thérapies corrigeront à grands coups d’artifices scientifico-thématiques les défectuosités de l’appareil analytique. Car les chiffres sont les témoins partiaux de la praxis thérapeutique : à un taux situé entre 95 et 97 %, ils alignent sans concession l’échec (inévitable) de tous les traitements.
*
* *
Mais évidemment jamais les scientifiques ne pourront admettre l’évidence : si tous les traitements échouent, c’est tout simplement qu’il n’y a rien à traiter. Cela mettrait en péril le pouvoir incontesté et la crédibilité infaillible dont ils jouissent dans nos sociétés modernes. En effet, le "c’est prouvé scientifiquement que..." exerce dans l’opinion publique l’argument final de l’objectivité d’une affirmation. Et s’il fallait mettre à jour que le discours scientifique repose finalement sur des prémisses ou des paradigmes préexistants à la recherche elle-même et que ces paradigmes reposent tout simplement sur des préjugés sociaux, cela montrerait que tout objet d’étude ne peut être considéré comme étant neutre au départ. Ainsi tous les discours scientifiques qui cherchent à "prouver" que la grosseur est une maladie nommée obésité n’ont d’unanime que le paradigme lui-même. Et puisqu’il n’y a aucun traitement qui n’a réussi à ce jour à guérir cette pauvre maladie, on ne pourra que lui accoler le qualitatif de maladie incurable.
Mais que se passerait-il si l’on partait du paradigme contraire ? Des chercheurs31 ont tenté l’expérience et sont arrivés à des conclusions étonnantes qui ne doivent pas du tout faire l’affaire des scientifiques. Leurs conclusions avancent l’idée qu’il pourrait exister des rapports positifs entre l’obésité et certaines maladies. C’est dire que l’obésité ne serait pas nécessairement synonyme de problèmes de santé mais bien tout à fait le contraire, à savoir qu’elle aiderait à passer à travers certaines maladies. Ils en ont répertoriées près d’une quarantaine.
Il faut donc garder en mémoire que le discours scientifique n’est pas indépendant du contexte socio-politique dans lequel il s’inscrit. Faut-il rappeler que pendant longtemps on a travaillé à prouver que le cerveau des noirs et des femmes était plus petit que celui des blancs et des hommes ? Faut-il rappeler que les théories génétiques reviennent même à la mode ? Que l’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie mentale que depuis à peine une vingtaine d’années ? Combien de temps encore avant que la grosseur ne soit plus considérée comme une maladie ? Aussi longtemps qu’une remise en question politique de l’ensemble de ces discours qui constituent le point nodal de l’oppression des personnes grosses ne sera pas faite. Car, comme on vient de le montrer, il existe bien un consensus général qui fait des personnes grosses une catégorie à part d’êtres humains, lesquels partagent tous des caractéristiques bien définies c’est-à-dire qu’ils ne sont pas des êtres humains tout à fait normaux. C’est là une catégorie qui partage le même "problème". Or, ce problème, on l’a créé et on l’a imposé de force. Tous ces discours ne servent qu’à masquer un pouvoir institutionnalisé sur les personnes grosses. Et tant que ce pouvoir ne sera pas dénoncé on continuera à croire à la maladie de l’obésité parce qu’en réalité c’est dans leur tête qu’on est gros.
Cette dénonciation a pourtant été faite il y a plus de vingt ans par le Fat Liberation Movement aux Etats-Unis. Ce mouvement politique radical, qui se démarquait du National Association to Aid of Fat Americans (NAAFA) plus modéré et réformiste, fut l’un des premiers à dénoncer au début des années 70 la charte du Metropolitan Life Assurance. L’un des groupes de ce mouvement, le Fat Underground, rédigeait un Fat Liberation Manifesto autour de sept points principaux dont le troisième affirmait la volonté de lutter en solidarité avec tous les groupes minoritaires :
Nous concevons notre lutte en solidarité avec les luttes des autres groupes d’opprimés qui luttent contre le racisme, le sexisme, les classes sociales, l’âgisme, le capitalisme, l’impérialisme et tous leurs semblables.32
Si ce manifeste a été écrit en novembre 1973, il demeure tout aussi nécessaire, vingt ans plus tard, de reprendre ces mêmes termes parce que l’oppression de la grosseur demeure invisible. Or, le fait que cette oppression demeure invisible a de lourdes conséquences non seulement parce que sa rhétorique continue de faire croire à l’anomalie physique mais aussi parce que sa pratique persévère en toute quiétude dans des opérations chirurgicales qui font des ravages. A ce niveau, il n’y a pas plus de rhétorique à justifier qu’il n’y a de pratique à accepter. Sans doute, la prégnance scientifique sur le trait physique de la grosseur et le cadre médical dans lequel il s’insère constituent autant de freins à une prise de conscience collective de cette oppression. C’est pourquoi cet article s’est concentré sur une critique des théories scientifiques sans cependant perdre de vue qu’il s’agit là d’une oppression qui n’a pas le domaine scientifique pour seul point d’ancrage. Il reste à parcourir d’autres chemins, mais pour l’instant il y a celui qui nous mène tout droit à remettre en question la maladie de l’obésité et à appréhender la grosseur dans l’ordre d’une oppression sociale.
Plus que jamais, nous devons comprendre le sens politique de cette oppression parce que les arguments de tout acabit masquent une réalité répressive. Plus que jamais, nous devons comprendre le sens politique de cette oppression parce qu’elle s’actualise dans un système qui étouffe et finit par tuer ce qu’il considère relever d’une anomalie physique. Plus que jamais, nous devons dénoncer la maladie de l’obésité pour ce qu’elle est : une mythologie scientifique.
Notes :
1 - Cf. Colette Guillaumin, "Race et nature : système des marques. Idée de groupe naturel et rapports sociaux", Pluriel, n° 11, 1977, pp. 39-55.
2 - Danielle Bourque, A dix kilos du bonheur, Montréal, Ed.de L’homme, 1991, p. 152.
3 - Pierette Beaudoin, Sandra Conway-Le Blanc, Une promenade en montagnes russes, Montréal, Libre Expression, 1985, p. 56.
4 - Les chiffres sont tirés de Une promenade en montagnes russes, op. cit., pp. 58-59.
5 - Tiré de Michèle Declerck et Jane Lagier, La nourriture-névrose, Paris, Denoël/Gonthier, 1981.
6 - Cette cause apparaît dès 1930. Voir L.H. Newburg et N.W. Johnson, "The Nature of Obesity", Journal of Clinical Investigation, n° 8, pp. 197-213.
7 - Voir à ce propos Goldblatt et al, "Social Factors in Obesity", Journal of the American Medical Association, n° 192, pp. 97-102.
8 - Ce postulat fonde en général l’approche psychologique de l’obésité.
9 - Cf. le numéro de Sociologie et Sociétés, "Entre le corps et le soi", vol. XXIV, n° 1, printemps 1992.
10 - Claude Fischler, "La symbolique du gros", Communications, n° 46, 1987, pp. 255-279.
11 - Jean Baudrillard, Les stratégies fatales, Paris, Grasset, 1983, p. 7.
12 - Ibid., p. 31.
13 - Ibid., p. 34.
14 - Ibid., p. 34. Nos italiques.
15 - Danielle Bourque, A dix kilos du bonheur, op. cit., p. 183.
16 - Ibid., p. 183.
17 - Voir également le guide d’intervention établi par le Centre des femmes de Verdun intitulé : L’obsession de la minceur, Verdun, 1991. 158 p.
18 - Schoenfielder, Lisa and Wieser, Barbara (ed.), Shadow on a Tightrope. Writings by Women on Fat Oppression, Iowa City, Spinsters Aunt Lute Book Company, 1983, 260 p.
19 - C’est là la thèse de Goldblatt et al, op. cit.
20 - P. Wyden, The Overweight Society, New York, William Morrow, 1965.
21 - Jean Lederer, Abrégé de pathologie endocrinienne et métabolique, Paris, Masson, 1967, p. 156.
22 - Ibid., p. 157.
23 - Danielle Bourque, A dix kilos du bonheur, op. cit., p. 116.
24 - Jean Lederer, op. cit., p. 157.
25 - C’est d’ailleurs l’explication qui est au cœur de la dramatique de Jacqueline Barette intitulée Les larmes volées présentée en 1986 à Radio-Québec. On y voit la protagoniste principale chez son analyste. Elle décide de cesser son analyse au moment où elle commence à découvrir l’influence de sa mère sur sa vie et celle de son père. Elle quittera la séance avec ce lapsus révélateur comme elle le constate elle-même : J’vais manger ma mère... au lieu de dire chez ma mère.
26 - Appliqué par Moss en 1924, in R. Ladouceur, M.A. Bouchard, L. Grabger, Principes et applications des thérapies béhaviorales, Paris, Maloine, 1977.
27 - Claire Jodoin, Traitement de l’obésité par la sensibilisation imaginée non personnalisée par rapport à la sensibilisation imaginée personnalisée, Mémoire de maîtrise, Montréal, UQAM, 1981, pp. 107-108.
28 - Cf. Thérapeutique de l’obèse adulte, Cahiers de l’ACFAS, n° 3, 1979, p. 81.
29 - Notre ajout.
30 - André Busson, "L’obèse et son traitement : considérations psychologiques", Thérapeutique de l’obèse adulte, op. cit., p.29. Nos italiques.
31 - Paul Ersnenberg et Paul Haskew, "Rethinking Obesity. An Alternative View On Its Health Implication", The Journal of Obesity and Weight Regulation, vol. 6, n° 2, été 1978. Cité par Danielle Bourque, op. cit., p. 145.
32 - Tiré de Shadow on a Tightrope, op. cit., p. 52. Traduction libre.
Manifeste pour la libération des personnes grosses
par Judy Freespirit et Aldebaran
1. NOUS croyons que les personnes grosses ont entièrement droit au respect humain et à la reconnaissance.
2. NOUS sommes révoltées par le mauvais traitement qu’elles subissent à des fins commerciales et sexistes. Ils font de nos corps des objets de ridicule et créent ainsi un immense marché lucratif en vendant de fausses promesses pour venir à bout de ce ridicule.
3. NOUS concevons notre lutte en solidarité avec les luttes des autres groupes d’opprimées qui luttent contre le racisme, le sexisme, les classes sociales, l’âgisme, le capitalisme, l’impérialisme et tous leurs semblables.
4. NOUS exigeons l’égalité des droits pour les personnes grosses dans tous les domaines tel que cela est prévu par la Constitution des Etats-Unis. Nous exigeons l’accessibilité à tous les produits et services du domaine public ainsi que l’élimination de toute forme de discrimination que nous subissons dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, des services publics et des services de santé.
5. NOUS dénonçons comme notre principal ennemie toute l’industrie dite de l’amaigrissement. Ceci inclut tous les clubs de diète, les salons d’amaigrissement, les médecins spécialisés dans l’obésité, les livres de diète, les produits diététiques ou les suppléments diététiques, les interventions chirurgicales, les médicaments "coupe-faim", toutes les pilules et les gadgets tels que les machines amaigrissantes.
NOUS exigeons que l’industrie dite de l’amaigrissement prenne ses responsabilités face à ses fausses déclarations, qu’elle reconnaisse que ses produits sont nuisibles à la santé publique, et qu’elle publie des résultats d’études statistiques de longue durée démontrant l’efficacité de ses produits. Nous posons ces exigences en sachant très bien que, lorsqu’on les évalue sur une période de cinq ans, plus de 99 % des programmes d’amaigrissement sont un échec total et qu’il est prouvé que les gains et les pertes de poids importants et successifs sont très dommageables.
6. NOUS dénonçons cette science mystificatrice qui prétend, à tort, que nous ne sommes pas en bonne santé. Elle est l’origine à la fois de la cause et du maintien de la discrimination que nous subissons, en plus d’aller de concert avec les intérêts financiers des compagnies d’assurance, de l’industrie de la mode et du vêtement, de l’industrie de l’amaigrissement, des industries alimentaire et pharmaceutique ainsi que de l’establishment du pouvoir médical et psychiatrique.
7. NOUS refusons d’être subjuguées dans le but de servir les intérêts de nos ennemis. Nous proclamons notre pouvoir sur nos corps et sur nos vies. Nous nous engageons nous-mêmes à poursuivre ces buts ensemble.
PERSONNES GROSSES DE LA TERRE, UNISSONS-NOUS ! NOUS N’AVONS RIEN A PERDRE...
•Tiré de Schoenfielder, Lisa and Wieser, Barbara (ed.), Shadow on a Tightrope. Writings by Women on Fat Oppression, Iowa City, Spinsters Aunt Lute Book Company, 1983, 260 p.
•Copyright 1973 by The Fat Underground
•Traduction : Louise Turcotte
Une torche sert à éclairer ; une "grosse torche" à insulter ou c’est dans la tête qu’on est grosse !
Hommage à LG51
par Marie-Michèle
DANS LA TETE des concepteur du tourniquet où je risque de rester coincée2, du fauteuil qui me mord les hanches, de la ceinture "d’insécurité" qui me cloue à mon siège ou menace de m’étrangler...
DANS LA TETE des fabricants et des vendeurs de vêtements, des publicistes...
DANS LA TETE du médecin qui m’a suggéré de perdre du poids quand je me suis blessé au dos plutôt que de me référer en physiothérapie...
DANS LA TETE de l’amante qui, à la moitié de mon poids, me prend à témoin : elle est laide, grosse, affreuse, pas sexée, pas baisable, et j’en passe...
DANS LA TETE de celle qui s’étonne quand j’enfonce dans le banc de neige où elle vient de passer...
DANS LA TETE des passants de tout âge qui m’interpellent et commentent mon apparence...
DANS LA TETE d’éventuels employeurs dont le comportement a confirmé l’intuition d’une copine, durant ma recherche d’emploi : je devrais faire le premier contact par lettre ou par téléphone, mais jamais en personne.
DANS LA TETE de la voisine qui me dit que je suis belle "quand même", avec une note d’étonnement dans la voix...
DANS LA TETE de la vague connaissance qui s’inquiète de mes glandes, de ma glycémie et de mon alimentation...
DANS LA TETE d’une interlocutrice au téléphone : "Ben voyons, tu peux pas être si grosse que ça, tu es intelligente !".
DANS LA TETE du préposé à l’accueil qui jette un regard sur mon tour de hanches et ne porte aucune attention à ce que je lui dis. Au téléphone, il avait été convenable...
DANS LA TETE de l’artiste qui dit, durant son spectacle : "J’ai toujours été attirée par les grosses lesbiennes".
DANS LA TETE de la lesbienne qui a répondu au questionnaire de LG5 qu’on est grosse quand on pèse 130 livres - ou était-ce 120 ?
DANS LA TETE de celle qui est mal à l’aise quand je dis un "grand" verre d’eau ; elle, elle dit un "gros" verre, et me reproche mon obsession... Quelle obsession ?
DANS LA TETE de la moraliste qui exige que je fasse un effort ; de la "nouvelle ère" qui me psychanalyse ; de l’écolo-granola qui me dit : "Ecoute ton corps, c’est simple !".
DANS LA TETE de la dame décharnée qui, au kiosque à revues, me montre un numéro de Weight Watchers. Elle doit encore se demander pourquoi je lui ai dit : "Je ne crois pas que vous en ayez besoin...".
DANS LA TETE de l’amie à qui je dis, au téléphone : "Je fais une thérapie et ça va bien" et qui me demande : "Tu as perdu du poids ?".
DANS LA TETE de la serveuse qui m’apporte l’addition AVANT le dessert...
DANS LA TETE des assureurs, des médecins, des employeurs pour qui - à 5’ 2’’ - je devrais peser moins de 130 livres.
DANS LA TETE des "scientifiques" qui écrivent "grotesque obésité" mais jamais "grotesque maigreur" en parlant des effets de certaines maladies...
DANS LA TETE du psychosociologue qui publie que les grosses sont forcément antisociales puisqu’elles imposent aux autres la vue de leur corps inesthétique...
DANS LA TETE des compagnes de travail de ma sœur qui, à son retour après quelques semaines d’absence, refusent de croire qu’elle a été sérieusement malade - elle est passée de 120 à 95 livres.
DANS LA TETE de celle qui me parle avec empathie des lesbiennes differently able ou physically challenged3 mais comprendrait mieux ma haine des escaliers et mon inconfort assise par terre s’il me manquait une jambe...
DANS LA TETE de celles qui ont lu ce texte dans Treize...! Et m’ont félicitée de mon sens de l’humour...
DANS LA TETE de celles qui disent que c’est MA tête, le problème...
En fait, c’est dans la tête et les yeux des autres que je suis GROSSE. Ce n’est pas quelque chose qui se perçoit de l’intérieur : c’est une évaluation et une perception morales sociales. GROSSE ? ce sont les autres qui me renvoient cette image. Ne me reste plus qu’à la porter mais, des fois, je trouve ça lourd...
Notes :
1 - A la quatrième journée d’inter-actions lesbiennes, en octobre 1985, LG5 avait fait une animation sur l’oppression liée à la grosseur. Un commentaire est revenu souvent : "C’est dans la tête qu’on est grosse...". J’ai travaillé durant plusieurs mois un texte publié dans Treize...! de septembre 1986. En voici une version légèrement... engraissée.
2 - Peu après l’ouverture du métro de Montréal, une "grosse" est restée coincée dans un tourniquet durant des heures. Les journalistes et les photographes en ont fait des reportages "humoristiques"...
3 - Des expressions états-uniennes (différemment capable, qui relève un défi physique) pour éviter l’affreux disable qui veut dire rendue incapable.
Conseils de lecture
– Le corps construit de Colette Guillaumin (Editions Turbulentes)
– Ton corps est un champ de bataille (Macolère Editions)
– Grève de la faim (petit livret illustré)
– La grosseur : obsession ? Oppression !
(revue Amazones d’Hier Lesbiennes d’Aujourd’hui, n° 23, décembre 1992)
A.H.L.A., C.P. 1721, Succ. Place du Parc, Montréal, QC, Canada H2W 2R7
– Bisons (bulletin du collectif gay et lesbien Big and Friends)
Autres contacts
– Madivine, 15 rue de Marseille, 69007 Lyon / e-mail : madivine at cheerful.com
– Allegro Fortissimo, 46 rue de la Bidassoa, 75020 Paris, France / tél : 01-47-978-740
e-mail : ecriveznous at allegrofortissimo.com / site : http://www.allegrofortissimo.com
– Onward, PO Box 2671, Gainsville, FL 32602-2671, U$A - E-mail : theonwardcollective at hotmail.com
Sites internet
– http://www.eskimo.com/~largesse
– http://www.allegrofortissimo.com
– http://www.fatso.com
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