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La Fraction Armée Rouge
Guérilla urbaine en Europe occidentale [extraits]
mis en ligne le 9 décembre 2008 - Anne Steiner , Loïc Debray
Un activiste des années 70 qui avait lu cette brochure sous son ancienne forme nous a envoyé le texte suivant. Quoique nous ne partagions pas tous les points de vue de l’auteur, nous l’avons publié car il soulève des questions intéressantes sur l’action armée dans les métropoles.
“ […] A l’automne 77 du siècle dernier, j’ai brièvement porté l’insigne de la Fraction armée rouge. Qui pouvait bien fabriquer et vendre cette petite étoile de bakélite, frappée des initiales et de la mitraillette ?... Enfin, il y avait un embryon de merchandising autour de ce groupe culte, ses étoiles se vendaient comme les posters du Che, dix ans plus tôt, et les foulards palestiniens, dix ans plus tard. Eternel prestige de la violence chez l’intellectuel aux mains coupées, surtout dans cette génération en queue de baby boom qui n’avait connu ni la Résistance ni la guerre d’Algérie. Une génération sans Histoire. Le passage à l’acte armé, surtout chez le jeune homme en colère (mais de ce point de vue, la tendance à l’homogénéisation des genres est réelle), fait partie des rites de passage, la plupart du temps rêvés, quelquefois actualisés. C’est par exemple le sujet de la pièce de Sartre, Les Mains sales. Cette génération contestataire a vécu dans la fascination et la culpabilité face à ceux qui étaient capables de violence, de tuer et de mourir, d’ « aller jusqu’au bout ». Quant à la nature mimétique, rivalitaire et agonistique de ce jusqu’auboutisme, on ne s’interrogeait pas ; on l’ignorait ou on la niait. Tuer et mourir suffisait à vous authentifier et à excuser jusqu’à l’inexcusable.
Eternel prestige aussi des desperados dans leur combat inégal, face à un ennemi globalement odieux : l’impérialisme américain, l’état allemand, l’armée israélienne. On ne va pas chicaner les héros sur leurs peccadilles : stalinisme, autoritarisme, nationalisme, ou simple et atterrante pauvreté intellectuelle et humaine. « Eux au moins, ils vont jusqu’au bout. » Au bout des années 70 les guérilleros des groupes clandestins tuaient comme on va au boulot et ne lisaient plus que des bandes dessinées.
Le port de cette étoile, en ce lointain et persistant automne (la preuve : des films, des livres, cette brochure), représentait une protestation interne au gauchisme, alors en pleine liquéfaction. Une affirmation d’irréductibilité plus que de sympathie pour la RAF. Moins nous étions, plus nous nous raidissions. Nous nous raidissions contre la reddition. C’est ce dégoût poussé jusqu’au morbide et au suicidaire, qui a fourni leurs maigres troupes aux groupes autonomes, et plus tard à Action Directe, mais aussi au mouvement punk. Finalement, ce sont les dealers d’héroïne qui en ont le mieux profité, avec les conséquences que l’on sait, quelques années plus tard.
Entre l’action armée et le ralliement au système, il y avait un vaste champ qu’ont tenté d’occuper les communautés urbaines ou rurales, le mouvement des radios libres, ou celui anti-nucléaire. En Allemagne, ce dernier organisait des dizaines de milliers d’activistes dans des « burgen initiativen », des « comités de citoyens ». Je les ai vus arriver, car après car, de tout le sud de l’Allemagne, à l’aube sur le parking du stade de Francfort, la veille de la manifestation de Kalkar [1]. Descendus de leur car, ils se rangeaient en escouades, casqués et revêtus de leurs combinaisons contre les canons à pompe, l’insigne de leur ville collé sur la poitrine. Ceux de Cologne portaient une cathédrale stylisée. C’était, pardonnez ce stéréotype, presque trop « allemand ». De temps en temps, on entendait le bruit métallique d’une barre de fer tombée sur le béton. Ces « comités de citoyens » ont réussi là où les contestataires français ont échoué. Quoiqu’il ait été construit, le surgénérateur d’Aachen, le jumeau de Superphénix, n’a jamais été mis en service, et l’Allemagne réunifiée a banni le nucléaire « civil » à la date du 14 juin 2000 [2]. Les révoltés allemands n’étaient pas si isolés dans leur société, si démunis, qu’ils n’aient eu le choix qu’entre l’action armée et la reddition.
En Italie et en Allemagne, les groupes armés ont rivalisé de surenchère, à la fois entre eux et avec la contestation ouverte, « haussant le tir » comme l’on disait pour attirer l’attention, les recrues, les média. Il n’y a rien de si spectaculaire finalement qu’un groupe bruyamment clandestin. Avec les arrestations – prévisibles, prévues, inévitables – malgré toutes les mises en garde, sont venues les sommations, les chantages au soutien. Du velours dans ce milieu intello-militant, si inquiet pour sa bravoure et anxieux de la prouver aux activistes armés promus sur-moi moral de l’aire extra-parlementaire. Le premier effet de cet activisme armé et de ce chantage au soutien était de satelliser nombre de contestataires autour des groupes armés, et de leur défense politique, juridique et matérielle, et comme l’on connaît l’arbre à ses fruits, sans doute était-ce l’objectif réel au delà des pâteuses logorrhées anti-impérialistes et anticapitalistes. Le coup d’éclat dans la contestation jouant souvent le rôle du coup d’état au sein du pouvoir. C’est un phénomène courant dans les bals et les cours de récréation. Peu avant sa mort, j’ai accompagné mon père, vieux voyou, boxeur et truand, dans ses quartiers de jeunesse de Malakoff, et de la porte de Vanves. « Ton père, il avait une sacrée patate, m’a confié un vieux joueur de pétanque, avec lui, ça dégageait ! – Ah bon, vous alliez dans les bals pour vous battre ? – C’est pas ça !... Mais on avait toujours des petits copains qui faisaient pas le poids et qui cherchaient des crosses à des costauds !... Et pis après, ils appelaient au secours ! » Il y a toujours des individus hargneux et quérulents « qui ne font pas le poids » politiquement, mais qui ne renoncent pas pour autant à se rendre intéressants et à s’imposer au centre de l’attention ; quitte à mettre leurs amis devant le fait accompli en cherchant à l’Etat une querelle qu’ils ne peuvent pas soutenir par leurs propres forces.
Liquidateurs politiques et activistes armés avaient un intérêt commun à nier, minorer, occulter, la contestation ouverte, si vivace et diverse dans la seconde moitié des années 70, et à s’entrevaloriser mutuellement pour coincer chacun entre le tout du ralliement (diplômes, carrières, argent, réussites des années 80), et le rien de l’action armée (des morts et de la prison). Il est notoire par exemple, que les vieux notables soixante-huitards de Libération ont sourdement combattu la contestation anti-nucléaire, et l’ont traitée avec toute la condescendance blasée des revenus de tout, cependant qu’ils multipliaient les unes à sensation sur les groupes armés ou le gangster Jacques Mesrine.
Les activistes armés peuvent être des héros ou des martyrs ; et il ne fait nul doute que les prisonniers de la RAF, à Stammheim, comme nombre de détenus des groupes armés des années 70, ont poussé l’héroïsme jusqu’au martyr. Cela ne les rend pas forcément plus sympathiques, ni leur politique moins insensée. Mais peu leur importe puisqu’ils jouissent narcissiquement d’être réputés « insensés », indépassables dans la surenchère. D’une certaine façon, on quitte la politique pour l’esthétique : live fast, die young, make a beautiful body. Cela fera des articles, des images, des films, des romans. Mais les conséquences de ce qui peut être proposé comme happening, ou vécu comme trip personnel, ne peuvent être imposées comme charge obligatoire et solidaire à une piétaille manipulée, caporalisée, contrainte de suspendre ses projets politiques pour perpétuellement servir de roadies, et secourir ses enfants perdus. Les ego trip doivent être assumés égoïstement, rançon de la gloire. Libres à ceux qui le souhaitent d’aider leurs amis ou leurs modèles dans le malheur.
Mes amis et moi, nous avons applaudi à l’assassinat de l’amiral Carrero Blanco, successeur désigné de Franco, par l’ETA. Nous n’avons jamais perdu une larme sur le sort de l’ancien SS Hans Martin Schleyer, devenu patron des patrons allemands. L’exécution inutile et cruelle d’Aldo Moro nous a répugné. Quant aux assassinats de Georges Besse, ancien président fondateur d’Eurodif [3]] et patron de la régie Renault, ou du général Audran, ingénieur général de l’armement et directeur des Affaires internationales de la Délégation générale pour l’armement, quels que soient les motifs allégués, ils frappaient des personnages trop obscurs, trop dénués de symbolique malgré leurs fonctions, dans un contexte trop anachronique, pour ne pas susciter une sorte de dérision amère et goguenarde. Un peu comme l’assassinat du préfet Erignac, récemment. L’imitation crevait les yeux jusque dans les textes de revendication en « yaourt » marxiste-léniniste qu’on aurait dit produits par un bureaucrate fou. – Au secours Docteur !... Le Camarade Commissaire Politique a sa crise !... Il tremble !... Il divague !...Vite !...Sa pilule !... Une injection !
L’avantage, si l’on peut dire, d’Action Directe, c’est qu’elle est arrivé si tard qu’il n’y avait plus grand chose à gâcher, ni de militance à cramponner. Personne ne prenait « ça » au sérieux, malgré le sang et les morts. Il est terrible que des êtres humains, y compris des « ennemis » soient morts dans ce qui pour tout le monde, sauf les acteurs, n’était qu’un feuilleton tragi-comique. Eh bon, les branquignols d’AD se faisaient leur feuilleton, comme on dit aujourd’hui « se faire un film » ; et les spectateurs, quand ils en avaient le temps, commentaient en ricanant. Ce n’est qu’à force de prison et de maltraitements, au fur et à mesure que s’effaçait avec les ans, le saugrenu de leur équipée, que les détenus d’AD, par leur dignité, leur endurance, leurs souffrances, ont peu à peu mérité la pitié, le respect, le soutien, jusque dans les rangs du parti communiste ou de la LCR, et sont en quelques sorte « revenus dans la famille ». Tout ça pour ça. Pour demander en fin de compte son adhésion au Nouveau Parti Anticapitaliste. Alors que depuis trente ans la critique de la société industrielle et les analyses écolo-libertaires ou anarcho-écologistes n’ont cessé de s’étendre et de se vérifier. Trente ans d’action armée, de prison, de soutien judiciaire et politique, pour si peu apprendre. Mais c’est en 77, Rouillan, qu’il fallait rejoindre la Ligue Communiste. Ses militants n’étaient pas si nombreux alors, et ils se prétendaient révolutionnaires plutôt que « 100% à gauche », telle une benoîte section socialiste des Bouches du Rhône. La seule chance que ce long et filandreux épisode n’ait pas été que du temps perdu, c’est la démonstration, enfin aveuglante, que l’action armée et la fabulation guérillère, ne sont pas en soi des manifestations de radicalité. Ce que les vieux Nestor marxistes résumaient par ce dicton : tout ce qui bouge n’est pas rouge. –A propos– je me souviens que bien après avoir manifesté contre l’extradition de France de Klaus Croissant, avocat de la RAF, j’appris, nous avons appris, et confirmé de son propre aveu, qu’il était un agent de la Stasi ; que la RAF avait bénéficié du soutien de celle-ci ; et que ses derniers survivants s’étaient réfugiés en RDA d’où ils ne furent débusqués qu’après la chute du Mur de Berlin.
Que nous rappelle votre brochure ? Qu’on a raison de se révolter. Qu’il n’est pas nécessaire d’attendre le plus grand nombre pour le faire. Que la révolte contre le plus grand nombre peut même être nécessaire. Un devoir de conscience. Mais aucun tour de passe-passe sémantique ne transformera une poignée d’isolés en « prolétaires » ou en « sujets révolutionnaires ». On ne gagne pas sans le nombre, et moins encore contre le nombre. La conscience révoltée et solitaire, ce n’est pas la Fraction Armée Rouge qui l’incarne, mais la Rose Blanche, ce groupe d’étudiants arrêtés et décapités, en 1943, pour leur propagande anti-nazie à l’université de Munich. […] ”
1.
De la contestation radicale à la violence diffuse
« La Nouvelle Gauche allemande »
L’apparition en 1970 d’un groupe de lutte armée opérant sur le territoire ouest-allemand constitue un événement sans précédent. Comment le situer par rapport au mouvement étudiant allemand ? Quels sont dans ce mouvement et dans la Nouvelle Gauche allemande les éléments qui ont favorisé le passage d’une opposition radicale à une violence diffuse et de cette violence diffuse à la guérilla urbaine ?
La Fédération des étudiants socialistes allemands (Sozialistischer Deutscher Studentenbund - S.D.S.), qui fut un pôle de rassemblement pour la formation d’une gauche extraparlementaire (A.P.O.) [4] au début des années soixante, joua un rôle moteur dans le développement du mouvement étudiant allemand. Fondé en 1946, par décision du commandement allié, le S.D.S. est resté jusqu’en 1960 l’organisation étudiante du parti social-démocrate. Sa principale fonction était alors d’approvisionner l’appareil du parti en cadres issus de la nouvelle génération universitaire. Cependant, alors que le S.P.D. s’engage dans une voie ouvertement réformiste qui aboutit en novembre 1959 au « Programme de Bad-Godesberg » [5], le S.D.S. maintient son orientation socialiste et continue à faire campagne contre le réarmement de l’Allemagne et contre l’arme atomique. La contradiction s’approfondit entre les jeunes intellectuels et la « bureaucratie » qui ne permet pas la discussion et qui s’oppose à la constitution de fractions ; en 1961, le S.D.S. est exclu du S.P.D.
N’ayant plus à se soucier des exigences d’un appareil de parti, l’organisation étudiante se consacre alors au développement d’une réflexion autonome sur les possibilités d’une nouvelle politique socialiste en R.F.A. Cette « Nouvelle Gauche » marxiste mais antidogmatique - elle accorde en effet une place prédominante aux théories de Wilhem Reich, à celles des penseurs de l’Ecole de Francfort, en particulier Marcuse, et à la philosophie de Sartre - aura une influence déterminante sur l’orientation idéologique du mouvement étudiant allemand. Le S.D.S s’organise en cercles d’études réfléchissant sur des thèmes déterminés. Un de ces cercles de travail, qui s’interroge sur les rapports entre tiers-monde et métropole et auquel participent plusieurs latino-américains, aura une importance décisive sur l’orientation politique future de l’organisation étudiante. C’est en effet par des actions de solidarité avec les luttes du tiers-monde que le S.D.S., rompant avec cette phase de militantisme de séminaire, commence à s’engager dans un affrontement violent avec l’Etat. En décembre 1964, le S.D.S. organise une manifestation contre la venue à Berlin de Moïse Tschombe, Premier ministre congolais. Peu après, il s’engage dans une campagne de dénonciation de l’intervention américaine au Vietnam qui débute le 4 février 1966 par un collage d’affiches à Berlin et à Munich, suivie le lendemain par une grande manifestation. La répression policière et l’attitude violemment dénonciatrice d’une certaine presse, en particulier celle dirigée par le groupe Springer [6], conduisent le S.D.S. à se radicaliser. Dans une brochure intitulée « information sur le Vietnam et les pays du tiers monde », l’organisation étudiante déclare : « (...) nos revendications ne resteront pas sans écho si elles quittent le cadre de la solidarité avec les opprimés où s’est placé, jusqu’à aujourd’hui, le mouvement de protestation allemand inefficace et geignard. Au contraire, elles gagneront en vigueur dans la solidarité avec les vainqueurs, avec chaque avion américain abattu, avec chaque ordre d’appel brûlé. Ce qu’enfin il faut faire et qui nous a échappé jusqu’à aujourd’hui, c’est nous reconnaître dans ceux que l’impérialisme avait condamné et qui entreprennent avec succès de se défendre. » [7]
Les manifestations organisées à Berlin par les étudiants sous l’égide du S.D.S. rassemblent en 1967 des milliers de personnes qui viennent de toutes les villes de R.F.A. Le 2 juin 1967, au cours d’une manifestation contre la visite du Shah d’Iran à Berlin-ouest, un étudiant, Behno Ohnesorg, est abattu par un policier. Les commentaires des autorités, comme ceux de la presse, accusent les étudiants d’être responsables de la montée de la violence. Au lendemain de cet événement, l’université est fermée, le S.D.S. est menacé d’interdiction et toute manifestation est interdite à Berlin-ouest. Le mouvement de protestation s’élargit alors et pendant les semaines suivantes, des sections du S.D.S. sont créées dans plusieurs universités de R.F.A. Des lycéens, des apprentis et de jeunes ouvriers rejoignent les étudiants. Tandis que le policier Kurras, assassin de Behno Ohnesorg, bénéficie d’un non-lieu, de nombreux manifestants interpellés sont inculpés.
Première rupture avec la légalité
En février 1968, un congrès sur le Vietnam réunit à Berlin des dizaines de milliers de participants venus de toute la R.F.A. et même de l’étranger. La définition de modalités pratiques d’internationalisme est à l’ordre du jour : soutien des partisans par l’envoi d’argent, d’armes, de médicaments, campagne de désertion dans l’armée américaine présente sur le territoire de R.F.A., actions de sabotage... L’importance de ce rassemblement et le recul des autorités qui, après une première interdiction, l’avait finalement autorisé, renforça la confiance du mouvement extra-parlementaire.
C’est dans ce contexte de rupture que quelques étudiants, dont certains étaient proches du S.D.S., décidèrent de prendre au sérieux la radicalité des mots d’ordre de l’organisation étudiante et de les actualiser en passant à l’action directe. Le 2 avril 1968, deux bombes de fabrication artisanale provoquent un incendie dans deux grands magasins de Francfort, le « Kaufhof » et le « Schneider ». L’attentat a été réalisé pendant la nuit de façon à ce qu’il n’y ait aucune victime, les dégâts matériels sont estimés à 280 000 DM. Deux jours plus tard, les incendiaires sont arrêtés. Il s’agit de Horst Sohlein, 28 ans, membre d’une troupe de théâtre expérimental de Munich, de Thoward Proll, 29 ans et Andreas Baader, 25 ans, étudiants en arts plastiques à Berlin et de Gudrun Ensslin, 28 ans, étudiante en lettres et en anglais, co-fondatrice des Editions Voltaire.
Dans l’ensemble, la gauche extra-parlementaire critique cette action ainsi que le dilettantisme avec lequel elle a été accomplie (les auteurs ont en effet été arrêtés moins de quarante-huit heures après). Cependant pour certains elle est perçue comme une tentative de sortir du cadre habituel de lutte qui peut se comprendre dans la perspective d’édification d’une avant-garde par le passage à l’acte. Ulrike Meinhof, éditorialiste du journal d’extrême gauche Konkret [8] y consacre un article. Elle affirme que l’aspect progressiste de cette action ne tient pas à la destruction de quelques marchandises, mais à sa forme qui exprime une rupture avec la légalité. Quant à Fritz Teufel, leader du mouvement étudiant allemand et futur membre du « mouvement du 2 juin » [9], il déclare à cette occasion : « II vaut toujours mieux incendier un grand magasin que le diriger. »
Jugés en octobre 1968, les accusés déclarent avoir voulu allumer un « fanal » pour le Vietnam pour protester contre l’indifférence générale face à ce « nouveau génocide » et contre le cynisme de la société de consommation. Ils défendent l’idée de la « propagande par le fait » pour secouer la partie potentiellement révolutionnaire de la population. Ils sont condamnés le 31 octobre 1968 à trois années de prison mais bénéficient de la liberté provisoire après quatorze mois de détention, en attendant que le jugement soit ou non confirmé en appel. A leur sortie de prison, très concernés par le problème de la justice, ils s’intéressent aux conditions de vie des jeunes placés dans les foyers d’éducation (enfants orphelins, maltraités, souvent délinquants, catégories regroupées en France sous l’appellation de « mineurs en danger »). Ces conditions sont à l’époque encore très dures et les jeunes commencent à se révolter. Un projet se met alors en place auquel participe une vingtaine d’étudiants. Ils louent des appartements pour ces jeunes et essayent de les aider à s’organiser eux-mêmes. Il s’agit de les sortir de l’impasse de la marginalité et de leur faire comprendre politiquement leur situation.
Le projet prend de l’ampleur, une centaine de jeunes est concernée et le « Service de la protection de la Jeunesse » de Francfort accorde des subventions. Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Thoward Proll sont parmi les initiateurs de cette expérience. Ces jeunes rebelles d’origine prolétarienne incarnent pour eux un certain potentiel révolutionnaire que la classe ouvrière allemande, trop intégrée, a cessé de représenter à leurs yeux. Astrid Proll, jeune sœur de Thoward, qui a à plusieurs reprises rendu visite aux trois camarades lorsqu’ils étaient en prison, se joint à ce projet. Ulrike Meinhof qui leur avait également rendu visite reprend alors contact avec eux.
Elle prépare à ce moment là un article pour le Stern sur la révolte des foyers de jeunes et l’expérience de Francfort.
Mais en novembre 1969, le jugement est confirmé en appel et les quatre inculpés doivent retourner en prison. Ils n’acceptent pas cette décision qui après six mois de liberté provisoire leur semble injuste et stupide. Seul Horst Sohlein se rendra aux autorités judiciaires en février 1970. Les trois autres inculpés quittent l’Allemagne et se réfugient provisoirement à Paris, puis en Italie. Début 1970, ils se séparent, Thoward Proll part pour Londres, il se rendra au mois de novembre aux autorités allemandes. Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Astrid Proll, qui les a accompagnés dès le début de leur fuite, gagnent Berlin où malgré le reflux du mouvement étudiant une certaine dynamique contestataire se maintient.
A Berlin, ils retrouvent Ulrike Meinhof et Horst Mahler qui avait assuré la défense d’Andreas Baader dans le procès pour l’incendie de Francfort. Membre du S.D.S., Horst Mahler a créé le « Collectif des avocats socialistes » de Berlin et a abandonné le droit civil pour se consacrer à la défense des étudiants poursuivis. Avec Ulrike Meinhof et plusieurs autres futurs militants de la R.A.F. (Petra Schelm, Ingrid Schubert...), il participe à un groupe d’action intervenant au « Märkisches Viertel », quartier entièrement neuf du nord de Berlin, « de type Sarcelles ». Ils revendiquent avec les jeunes de ce quartier des espaces de loisir et des lieux de sociabilité pour tous (commerces, centres de santé, écoles, maisons de culture).
A cette époque à Berlin, la gauche issue du mouvement étudiant, lassée des grandes conceptions politiques planétaires veut porter la lutte sur le terrain du quotidien et s’attaquer à la transformation immédiate des rapports sociaux. Des actions sont développées à partir de points précis : occupations d’immeubles, travail éducatif auprès de jeunes délinquants, d’apprentis... Des éditeurs, artistes, avocats, médecins se groupent en « Collectif socialiste de travail ». Des communautés d’habitat, des jardins d’enfants anti-autoritaires, des coopératives d’achat se créent. Berlin est un laboratoire où s’essaient de nouveaux modes de vivre, de parler, d’agir.
Contre Springer
Mais ce déplacement de l’activité contestataire vers le terrain social ne signifie pas l’abandon de toute problématique révolutionnaire, et dans des cercles assez larges de la gauche berlinoise la question de la violence est à l’ordre du jour ; on envisage d’autres formes d’actions que les manifestations de masse qui sont toujours plus violemment réprimées. Cette question devient cruciale après la tentative d’assassinat du 11 avril contre Rudi Dutschke [10], leader du S.D.S., qui incarne la résistance du mouvement étudiant allemand.
Ulrike Meinhof écrit dans Konkret : « Les balles tirées sur Rudi ont mis fin au rêve de la non-violence. Qui ne s’arme pas meurt, qui ne meurt pas est enterré vivant dans les prisons, les maisons de rééducation, dans le sinistre béton des tours-résidentielles. » [11] Le soir même de l’attentat dans toutes les villes d’Allemagne, il y a des manifestations qui atteignent au paroxysme de la violence. Les étudiants s’attaquent tout particulièrement à la presse Springer rendue responsable du climat de haine entretenu contre les étudiants, haine qui aboutit directement aux coups de feu tirés contre Rudi. Les étudiants défilent aux cris de « Expropriez Springer ! », la livraison du journal Bild est bloquée dans plusieurs villes, les contenus des camions de livraison de la presse Springer sont incendiés. Jusqu’en mai 1968, les manifestations se succèdent et des poursuites judiciaires sont engagées contre les participants qu’ils se soient livrés ou non à des actes de vandalisme. L’avocat Horst Mahler est condamné à dix mois de prison avec sursis pour avoir participé à la manifestation la plus violente contre Springer [12].
Des centaines de gens sont traduits devant les tribunaux et, en juin, le parlement adopte le décret sur les lois d’exception Notstandgesetz qui donne au gouvernement des pouvoirs extraordinaires en cas de guerre ou de tension interne. Cette dynamique manifestation/répression apparaît de plus en plus vaine, un certain essoufflement se fait sentir ; le découragement et la résignation gagnent du terrain. Après avoir connu l’euphorie de cette période et avoir éprouvé le sentiment de participer à un processus révolutionnaire de dimension mondiale, beaucoup ne peuvent accepter cette normalisation progressive du climat social. Pour lutter contre ce sentiment d’impuissance, analysé comme une conséquence de la brutalité de la répression, on envisage des actions concrètes destinées à montrer la vulnérabilité du système.
Dans des cercles assez larges de la gauche extra-parlementaire, on discute de l’opportunité de la guérilla urbaine dans les métropoles. Des groupes se forment qui n’en restent pas au stade de la discussion théorique. De novembre 1968 à janvier 1970, on dénombre à Berlin quatre incendies criminels et quatre tentatives d’attentat à l’explosif. Les cibles sont des appartements de représentants de la justice, des bâtiments de la police, des tribunaux. Ces attentats qui ont une efficacité plus symbolique que réelle sont le fait de groupes informels et éphémères qui évoluent autour des « Rebelles du Hasch », courant qui représente tous ceux qui s’opposent à la création des organisations marxistes-léninistes et trotskistes. Les « Rebelles du Hasch » organisent des actions violentes pendant les manifestations, tendent des embuscades à la police et essaient d’organiser politiquement le Lumpenprolétariat.
Acte fondateur du groupe
C’est à cette époque qu’Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ulrike Meinhof, Horst Mahler et une dizaine de militants de la nouvelle gauche issue du mouvement étudiant, décident de s’organiser en groupe de guérilla urbaine selon l’exemple des Tupamaros en Uruguay. Avant même qu’aucune action illégale n’ait été entreprise, une certaine pression pèse sur ce groupe car Gudrun Ensslin et Andreas Baader sont clandestins, des avis de recherche les concernant sont déjà apposés dans les commissariats.
Le 4 avril 1970 Andreas Baader, reconnu lors d’un contrôle routier, est arrêté et emprisonné. Le 14 mai 1970, il est autorisé à venir travailler à l’Institut des Sciences sociales de Dahlem à Berlin pour y effectuer des recherches concernant la rédaction d’un livre à paraître aux Editions Klaus Wagenbach Sur l’organisation de la jeunesse marginale. Il est accompagné de policiers et la salle de lecture est exceptionnellement fermée au public, seule Ulrike Meinhof qui est censée l’aider dans son travail est autorisée à y entrer. Un commando de deux femmes et un homme, armés, s’introduit alors dans les locaux de l’Institut et sous la menace des armes libère Andreas Baader, un bibliothécaire est assez grièvement blessé. Andreas Baader, Ulrike Meinhof et les trois membres du commando parviennent à s’enfuir.
Huit jours plus tard, le 22 mai 1970, l’action est revendiquée dans un journal de l’« Underground » berlinois, Agit 883, de tendance libertaire. Le texte du communiqué, qui s’intitule « Construire l’Armée Rouge », affirme qu’il ne peut y avoir de lutte des classes et de réorganisation du prolétariat sans développement d’une résistance armée. C’est un texte très général, rédigé sous forme de slogans, qui ne contient pas de programme politique précis, les auteurs déclarent vouloir s’organiser en fraction armée à l’intérieur du mouvement anti-impérialiste allemand. Pour la première fois apparaît le sigle R.A.F., « Rote Armée Fraktion », Fraction Armée Rouge.
La presse, elle, commence à parler de groupe « Baader-Meinhof » ou de « bande à Baader ». De même que l’incendie du « Kaufhof » et du « Schneider » était le premier acte de sabotage organisé par un petit commando, l’action du 14 mai introduit pour la première fois l’usage des armes dans une action militante : un degré de plus dans la violence a été atteint. Aussi de nombreuses critiques sont-elles formulées par la gauche issue du mouvement étudiant, mais il y a tout un éventail de réactions allant du rejet total jusqu’à la sympathie.
Plusieurs de ceux qui ont participé à cette action sont immédiatement identifiés par la police. Devenus clandestins, ils sont coupés de l’extrême gauche légale et rejetés dans un certain isolement. Cette action marque pour eux un point de non-retour. En cela, elle constitue vraiment l’acte fondateur du groupe. Il ne restait à Andreas Baader que deux années de prison à peine à purger et il n’était pas à cette époque le seul prisonnier politique ; des actions légales pour un élargissement de l’amnistie se développaient. Mais l’action de libération exprimait la volonté de chaque participant de rompre avec un certain vécu, de se couper de toute possibilité de retour en arrière. A partir de cet instant, chacun d’entre eux se trouve entraîné dans un processus collectif irréversible qui les engage tous les uns par rapport aux autres.
C’est la déclaration d’Ulrike Meinhof, le 13 septembre 1974 au tribunal de Berlin-Moabit devant lequel elle devait répondre de sa participation à la libération d’Andreas Baader qui éclaire le mieux les mobiles de cette action : « (...) Notre action du 14 mai 1970 est et reste l’action exemplaire du guérillero dans les métropoles. Elle contient/contenait déjà tous les éléments de la stratégie pour la lutte armée contre l’impérialisme : il s’agissait de libérer un prisonnier des griffes de l’appareil d’Etat. Ce fut une action de guérilla, l’action d’un groupe qui, en décidant de faire cette action, s’est organisé en noyau politico-militaire. » [13]
Autant et même plus que le résultat immédiat, « la libération d’un prisonnier des griffes de l’appareil d’Etat », c’est le résultat secondaire, le saut dans l’illégalité de ceux qui y participent, qui est important. C’est en décidant et en accomplissant cette action que le groupe, jusque-là informel et qui aurait très bien pu être aussi éphémère que l’étaient d’autres groupes à Berlin à cette époque, se constitue vraiment en organisation de guérilla. Horst Mahler, qui a rompu avec la R.A.F. en 1974, a déclaré dans une interview [14] qu’il avait été personnellement opposé à la libération de Baader, laquelle impliquait, par ses conséquences, l’abandon de la conception stratégique définie par le groupe au départ : soutenir par des actions illégales se situant en dessous d’un certain niveau de violence le travail politique légal. Cette action, en contraignant les membres du groupe à couper toute relation avec la scène sociale, les aurait jetés dans une forme de guerre abstraite contre l’Etat et contre l’impérialisme.
Après cette action, une opération de police sans précédent est déclenchée à Berlin-Ouest, 110 appartements sont perquisitionnés, les portraits des recherchés sont présentés à la télévision, des avis de recherche promettant des primes de 10 000 DM à quiconque fournirait un indice permettant leur arrestation sont apposés dans les lieux publics. La population est encouragée par tous les moyens à collaborer avec la police dans sa lutte contre ceux qui sont dès à présent désignés comme « ennemi public n°1 ».
En juin 1970, la présence des fugitifs est signalée au Moyen-Orient, Interpol envoie des télex à Beyrouth et à Damas. C’est l’époque où en Europe, la gauche issue du mouvement étudiant s’intéresse de plus en plus à la cause palestinienne. En France, des Comités Palestine se créent qui succèdent aux « Comités Vietnam de base ». Cette tendance s’affirme aussi en Allemagne : en 1969 et 1970 des militants du S.D.S. séjournent dans les camps palestiniens pour s’informer sur la cause palestinienne. D’après Horst Mahler [15], les membres du groupe se seraient vu offert par les Palestiniens la possibilité de venir s’entraîner dans un camp d’ « Al Fath » en Jordanie, et l’auraient acceptée ne voyant aucune contradiction entre les buts qu’ils s’étaient fixés et le fait d’aller s’entraîner là-bas, cela en raison même de la nature de la cause palestinienne. Il n’y a aucune allusion à ce séjour dans les textes de la R.A.F., les seuls témoignages écrits sont le récit qu’en a fait Peter Homann au Spiegel [16] et une lettre de Gudrun Ensslin à son ancien compagnon, Bernward Vesper, reproduite dans son essai autobiographique Le Voyage [17]. Dans cette lettre, Gudrun Ensslin parle longuement de leurs activités extra-militaires (construction d’un réservoir d’eau, d’une piscine et d’une ferme à poulets) et se montre très enthousiaste sur tous les aspects de la vie du camp. Peter Homann dit très peu de choses ; les Palestiniens auraient reproché au groupe une certaine carence politique.
Le séjour en Jordanie prit fin en août 1970, il avait duré moins de deux mois. On a parlé d’une mauvaise entente entre Palestiniens et Allemands, mais c’est probablement la tension montante entre soldats jordaniens et fedayins palestiniens qui décida les responsables du camp à écourter le stage et à renvoyer chez eux les jeunes occidentaux dont ils ne pouvaient assurer la sécurité. L’effet majeur de ce séjour, à côté de l’acquisition toute relative d’un savoir militaire fut le renforcement de la cohésion du groupe. C’est seulement après cette fuite de quelques semaines hors de la réalité allemande que le groupe existe réellement au sens où son histoire a commencé.
De retour à Berlin, les militants de la R.A.F., devenus hors-la-loi et confrontés à une dure répression, seront dans l’impossibilité de rattacher leurs actions à celles du mouvement légal. Contraints de renoncer à leur conception initiale de la guérilla urbaine, ils négligeront de plus en plus toute référence au contexte national et aux luttes locales pour se situer dans un cadre international où l’ennemi se confond avec l’Impérialisme américain.
2.
Première phase offensive les attentats
Quel a été le rôle de la politique répressive de l’Etat allemand dans la radicalisation des partisans de la violence révolutionnaire et dans leur regroupement autour de la R.A.F. ? Les premiers attentats du groupe s’inscrivent-ils dans le prolongement du mouvement étudiant et sont-ils en correspondance avec les diverses luttes issues de ce mouvement ?
Mise en place d’une infrastructure
En septembre 1970, au retour de Jordanie, la R.A.F. compte environ une vingtaine de membres. Autour de ce noyau, il y a probablement un cercle de sympathisants sans lesquels la survie du groupe ne pourrait être assurée. car il devient de plus en plus difficile de se cacher à Berlin où, depuis le mouvement étudiant, les effectifs policiers ont été considérablement augmentés.
Rentrés en Allemagne avec la volonté de se constituer en organisation de lutte armée, les militants de la R.A.F. se préoccupent de l’infrastructure logistique. Ils doivent mettre en place un réseau d’appartements et de voitures, se procurer des faux papiers, des armes, et surtout de l’argent. Pour financer leur organisation, ils ont recours à la vieille technique anarchiste de l’expropriation de banques, réactualisée par les groupes de guérilla urbaine latino-américains et prônée par Carlos Marighella dans son Manuel du guérillero-urbain traduit en Allemagne en juin 1970 [18]. Le 29 septembre, à Berlin-Ouest, trois banques sont attaquées par des petits commandos qui assurent leur fuite avec des voitures volées aux plaques d’immatriculation falsifiées. La R.A.F. n’a pas revendiqué ces trois hold-up, mais des membres du groupe arrêtés peu de temps après ont déclaré que celle-ci en était l’auteur. Quelques jours plus tard, Ingrid Schubert, Irène Georgens, Horst Mahler ainsi que Brigitte Asdonck, étudiante, et Monika Berberich, jeune avocate, sont arrêtés le 8 octobre 1970 dans un appartement surveillé par la police.
Après ces arrestations, les autres membres du groupe quittent Berlin pour la R.F.A. L’action d’expropriation du 29 septembre 1970 leur a rapporté 220 000 DM, ce qui peut leur permettre de louer des appartements et de subsister un certain temps. En novembre 1970, ils cambriolent les mairies de Lang Göngs et de Neustadt pour se procurer papiers d’identité et tampons officiels. Fin 1970, la police arrête encore trois membres du groupe : Heinrich Jansen, Eric Grusdat, mécanicien berlinois de 34 ans qui a maquillé des voitures pour le groupe et son aide Karl-Heinz Ruhland. Ce dernier collabore avec la police presque immédiatement après son arrestation. Il témoignera pour l’Accusation dans chacun des procès contre les membres de la R.A.F. jusqu’en 1977.
Un climat d’insécurité et de suspicion généralisée se développe à Berlin-Ouest et en R.F.A. : la police arrête des suspects, soi-disant sympathisants, organise de grandes opérations de contrôle sur les routes, perquisitionne un grand nombre d’appartements.
Les premiers morts
Quand le procès contre Horst Mahler s’ouvre le 2 mars 1971, des mesures de sécurité exceptionnelles sont prises : les spectateurs et les journalistes sont fouillés, les accusés doivent garder les mains liées. Bientôt viennent les premiers morts, Petra Schelm, 20 ans, militante présumée de la R.A.F. est abattue le 15 juillet 1971 à Hambourg. Peu de temps après, le 22 octobre 1971, une nouvelle fusillade (la quatrième depuis le début de l’année) éclate à Hambourg entre la police et des membres présumés de la RA.F. Pour la première fois un policier est mortellement blessé [19]. Quelques semaines plus tard, le 4 décembre 1971, un jeune anarchiste, Georg von Rauch, est abattu par la police à Berlin. Il s’agit d’un étudiant en sociologie de 24 ans, fils d’un historien enseignant à l’Université de Kiel. La famille porte plainte, des manifestations sont organisées à Berlin et en R.F.A. pour protester contre les méthodes policières. L’éditeur Klaus Wagenbach qui publie un livre intitulé L’Exécution de Georg von Rauch est traduit en justice pour injure aux forces de l’ordre.
Entre temps, Peter Brückner, accusé par K.H. Ruhland d’avoir prêté assistance à Ulrike Meinhof, est suspendu de son poste de professeur de psychologie à l’Université de Hanovre. Les étudiants manifestent massivement pour obtenir sa réintégration. L’atmosphère est telle que des personnalités libérales s’insurgent contre l’hystérie des médias et le climat policier qui s’installe. L’écrivain Heinrich Böll écrit le 10 janvier 1972 dans le Spiegel : « Comment peut-on nous faire croire que six personnes peuvent menacer soixante millions d’Allemands ? » Dans cet article intitulé « Freies Geleit für Ulrike Meinhof » (Sauf-conduit pour Ulrike Meinhof), il accuse le quotidien Bild de la presse Springer d’incitation au lynchage. Il propose que l’on donne aux membres du groupe, particulièrement à Ulrike Meinhof, la possibilité de réintégrer la légalité, de faire marche arrière, avant qu’il ne soit trop tard. Cet article va déclencher pendant des mois une vaste polémique dans la presse allemande, Heinrich Böll reçoit des centaines de lettres à propos desquelles il signale que sont anonymes les lettres d’encouragement et signées les lettres de menace. Le 4 février 1972, lors d’une intervention télévisée sur le thème de la violence, le Chancelier Willy Brandt demande à la population de garder son calme tout en affirmant la détermination du gouvernement à combattre le terrorisme par tous les moyens.
Début 1972, le groupe n’a pourtant à son actif que trois hold-up, quelques vols de voitures et des vols de documents administratifs. De novembre 1970 à mai 1972, seules les arrestations, en général précédées d’une fusillade, des membres supposés de la RAF. témoignent de l’existence du groupe. L’imposant dispositif policier mis en place par le gouvernement allemand, difficilement explicable s’il ne devait s’appliquer qu’à la R.A.F., a surtout une fonction dissuasive à l’égard de tous ceux qui se sentent proches de la guérilla urbaine. Car si la R.A.F. elle-même a plutôt été sur la défensive pendant toute cette période, il existe un mouvement, une scène favorable au type d’actions qu’elle préconise comme en témoignent de nombreux attentats même s’ils sont réalisés avec des moyens modestes (bombes très artisanales, cocktails Molotov, etc.) ainsi que quelques hold-up qui peuvent être imputés avec une quasi certitude à des « politiques ».
Les premières arrestations ont probablement plongé le groupe dans un certain désarroi, ce qui peut expliquer la phase de latence qui dure jusqu’en mai 1972. Les membres du noyau initial ne s’attendaient pas à une telle réaction de l’Etat et peut-être ont-ils eu alors la tentation de revenir à une autre pratique, mais à partir de 1971 ce qui les attache à la lutte armée c’est aussi la fidélité à une conception politique pour laquelle certains d’entre eux sont morts. Cette période de retrait est aussi nécessaire pour reconstituer une certaine infrastructure car en République Fédérale le groupe peut moins facilement compter sur le soutien d’une certaine scène politique qui n’existe qu’à Berlin. Enfin, ce recul permet au groupe de préciser sa ligne politique, de définir une stratégie et de l’expliquer à l’extérieur, principalement à la gauche légale issue du mouvement étudiant.
En effet, en juin et juillet 1971, la R.A.F. publie deux textes qui, d’abord édités par un éditeur « underground » de Berlin et immédiatement saisis, sont repris en octobre chez l’éditeur Klaus Wagenbach et de nouveau saisis. Dans le premier texte « Sur la conception de la guérilla urbaine », la R.A.F. entreprend de répondre aux attaques de la presse. Elle met en garde la gauche contre un jugement trop rapide sur le groupe étant donné que celui-ci n’a pas un an de pratique. La R.A.F. reconnaît que sa préhistoire appartient au mouvement étudiant qui « a reformulé le marxisme-léninisme comme arme de la lutte des classes et fait apparaître le contexte international de la lutte révolutionnaire dans les métropoles » [20], elle pose la primauté de la pratique : « II est juste d’organiser la résistance armée si cela est possible ; et c’est par la pratique que se décide si cela est possible. » [21] Enfin la R.A.F. affirme vouloir détruire le mythe de l’omniprésence et de l’invulnérabilité du système. La conception originelle du groupe aurait été de lier la guérilla urbaine au travail politique à la base afin que chaque membre puisse continuer à militer dans les quartiers, les usines, les groupes politiques légaux. Mais l’hypercontrôle policier aurait rendu impossible la mise en pratique de cette conception. Aussi la R.A.F. défend le choix de l’illégalité, « il faut agir sans possibilité de retour à la vie bourgeoise, sans vouloir ou pouvoir mettre la révolution au clou » [22]. Et le texte s’achève sur une citation d’Eldridge Cleaver affirmant la primauté de la pratique : « Moi je suis persuadé que la plupart des choses qui se passent dans ce pays ne demande pas à être analysée plus longtemps. » [23] Le deuxième texte « Sur la lutte armée en Europe occidentale », plus détaillé, critique le mythe de la grève générale et déclare que seule la lutte armée contre l’appareil d’Etat peut conduire à l’insurrection généralisée. Il affirme que le prolétariat industriel n’est plus aujourd’hui à l’avant-garde du combat révolutionnaire. Le texte précise que la guérilla urbaine doit être liée aux luttes politiques et économiques de masse. Dans ces deux textes, la R.A.F. déclare vouloir articuler sa pratique autour du travail politique dans les quartiers, les usines, l’université.
Il n’y a aucune référence à l’impérialisme américain et à la présence de l’armée américaine en Allemagne Fédérale, ce qui peut surprendre lorsque l’on sait que les premières actions de guérilla réalisées par la R.A.F. environ un an après la publication de ces textes ont eu pour cible principale les bases militaires U.S. installées sur le territoire de la R.F.A. En un an la perspective dans laquelle se plaçait le groupe semble avoir beaucoup changé.
Mai 1972 : premiers attentats
Le 11 mai 1972, trois bombes explosent au quartier général américain de Francfort tuant un officier américain et blessant quatorze personnes. Le 12 mai 1972, des bombes explosent à la direction de la police d’Augsbourg et sur le parking des bureaux de la police criminelle à Munich, 16 personnes sont blessées et cent voitures sont détruites. Le 15 mai 1972, un juge de Karlsruhe, Buddenberg, chargé d’instruire le dossier de plusieurs membres de la R.A.F., est victime d’un attentat, sa femme est grièvement blessée. Le 19 mai 1972, deux bombes explosent à la maison d’édition Springer blessant trente-quatre ouvriers dont dix-neuf grièvement. Enfin le 24 mai 1972, au quartier général américain de Heidelberg un attentat à la bombe provoque la mort de trois militaires et occasionne de graves dégâts matériels : un ordinateur assurant une partie de la logistique des actions menées par l’armée américaine au Vietnam est détruit.
Tous ces attentats sont revendiqués par la R.A.F. Les communiqués concernant les actions du 11 mai et du 24 mai contre les quartiers généraux de l’armée américaine à Francfort et Heidelberg sont signés « Commando Petra Schelm » et « Commando 15 juillet », en souvenir du 15 juillet 1971 où Petra Schelm, militante de la R.A.F., avait été abattue par la police à Hambourg. La R.A.F. déclare vouloir répondre à l’intensification des bombardements au Vietnam et s’opposer à ce que la République Fédérale allemande et Berlin-Ouest servent de base aux « stratèges de l’extermination ». Le communiqué du commando « Manfred Grashof », responsable de l’exécution du juge Buddenberg, affirme que la R.A.F. utilisera de tels moyens de pression contre les juges et les procureurs aussi longtemps que les droits des prisonniers ne seront pas respectés. L’action contre les directions de la police à Munich et Augsbourg revendiquée par le Commando « Thomas Weisbecker » est présentée comme une action de représailles contre la mort de Thomas Weisbecker, militant de la R.A.F., abattu à Augsbourg le 2 mars 1972. Enfin l’action contre l’immeuble de Springer où travaillaient trois mille ouvriers est revendiquée un jour plus tard par un communiqué du commando « 2 juin » qui accuse Springer d’avoir refusé d’évacuer les bâtiments malgré ses avertissements répétés préférant ainsi courir le risque que des ouvriers soient blessés plutôt que de perdre du temps dans une fausse alerte. Cette action a été évidemment très néfaste pour l’image du groupe : 3000 personnes, employés et ouvriers, travaillaient dans ce bâtiment à l’heure à laquelle les bombes ont explosé. A l’intérieur même de la R.A.F., qui fonctionnait à cette époque sous forme de cellules indépendantes les unes des autres, il y eut une vive controverse car le groupe s’était donné pour règle de ne pas concevoir d’actions où il y ait le risque que des civils soient touchés [24]. Cinq jours après l’action, les auteurs de l’attentat, dans une lettre envoyée à une station de radio, s’excusent auprès des ouvriers blessés. Ils affirment avoir donné l’alerte à trois reprises, deux fois au secrétariat du bâtiment, et la troisième fois directement à la police. Pour Springer, il n’y aurait eu qu’un seul appel, celui à la police, six minutes avant l’explosion, donc trop tard pour organiser une évacuation.
Quelle que soit la version choisie, on peut s’étonner que la R.A.F. n’ait pas pris en compte un refus possible d’évacuation, d’autant plus que le groupe avait toujours parlé de Springer comme d’un fasciste. Le communiqué de revendication reproche aux journaux du trust Springer, d’inciter au racisme et à la haine anti-communiste.
Toutes les bombes utilisées sont de fabrication artisanale.
Dans plusieurs appartements ayant servi à la R.A.F., découverts plus tard par la police, des éléments chimiques et du matériel nécessaire à la fabrication d’explosifs ainsi que des moyens d’allumage et de mise à feu, et toute une littérature technique ont été retrouvés.
La chasse à l’homme
Après ces attentats, la population plus que jamais va accepter de collaborer avec la police qui dispose de moyens sans précédent. Le 31 mai 1972, 16 000 policiers sont affectés à là lutte antiterroriste, 200 000 DM de prime sont offerts au total et dans les jours qui suivent, deux cents suspects sont arrêtés. Avec de tels effectifs, la police peut se permettre de vérifier le moindre renseignement. On introduit une récompense financière pour tout indice sérieux. Des actions spectaculaires sont menées dans tous les milieux gauchistes susceptibles d’avoir des relations avec la R.A.F., autant pour obtenir des informations que pour terroriser les gens et les dissuader d’apporter quelque aide que ce soit aux membres du groupe. Le but c’est « d’isoler la R.A.F. de tout ce qu’il peut y avoir comme opinions radicales dans cet Etat » (Ehmke, chef de la chancellerie lors d’une intervention au Bundestag, en juin 1972). Herold, chef de l’office fédéral de la police criminelle (B.K.A.) déclarait en janvier 1972, lors de la conférence des ministres de l’Intérieur des différents Lander : « Les actions contre la R.A.F. doivent être menées de telle sorte que les positions de sympathisants soient refoulées. » Cette politique a une influence certaine sur l’extrême-gauche allemande qui hésite de plus en plus à accorder assistance aux membres de la R.A.F. Même si les actions anti-américaines de 1972 ont rencontré une certaine sympathie dans la gauche issue du mouvement étudiant, le fossé entre elle et la R.A.F. se creuse encore davantage à partir de cette date. Peu sont prêts à risquer des années d’emprisonnement pour rester en accord avec leurs convictions politiques.
Les succès policiers seront à la mesure des moyens déployés : le 1er juin 1972, Andreas Baader, Jan-Carl Raspe et Holger Meins sont arrêtés dans un garage de Francfort où ils stockaient du matériel et des armes. Le quartier est entièrement bouclé et plusieurs blindés participent à l’opération au cours de laquelle Andreas Baader est légèrement blessé. Six jours plus tard, Gudrun Ensslin est arrêtée à Hambourg dans un magasin, sur dénonciation d’une vendeuse. Enfin le 15 juin 1972, Ulrike Meinhof est arrêtée à Hanovre dans l’appartement de Fritz Rodewald, professeur de pédagogie et responsable syndical. C’est lui-même qui après avoir accepté de l’héberger l’a dénoncée à la police après en avoir discuté avec des amis, militants de gauche comme lui. L’exemple de cette arrestation montre à quel point les militants de la R.A.F., traqués par la police, étaient isolés.
On est frappé par le contraste entre l’envergure des attentats de 1972, leur excellente préparation technique et la rapidité des arrestations qui ont suivi, presque toutes sont dues à des imprudences et auraient pu être évitées ou retardées si la RA.F. avait eu un meilleur réseau d’appartements et de caches. Une vague d’arrestations avait déjà suivi les hold-up d’octobre 1970, là aussi on observait un décalage entre le niveau des actions et la fragilité des bases de repli.
Ainsi la première phase offensive de la R.A.F. se concentre dans ces deux semaines de guérilla intensive où les cibles déjà désignées par le mouvement étudiant allemand subissent des attaques d’une ampleur inattendue. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, des soldats américains sont tués en Europe de l’Ouest. A partir de ce moment, le conflit ne se situe plus entre la R.A.F. et l’Etat allemand : les autres Etats européens et surtout les Etats-Unis sont, eux aussi, impliqués. La RA.F. n’apparaît plus seulement comme une fraction armée de l’extrême gauche allemande mais comme une fraction parmi toutes celles qui combattent la domination des U.S.A. dans le monde. En cela, elle renoue avec l’orientation anti-impérialiste du mouvement étudiant allemand qui s’était développé, comme le mouvement américain, autour de la mobilisation contre la guerre du Vietnam. En portant la guerre sur le territoire européen, la R.A.F. actualisait le mot d’ordre de la Nouvelle Gauche américaine : « Bring the war home ».
La politique répressive de l’Etat allemand, qui provoqua la mort de plusieurs militants avant même que la R.A.F. organise ses premières actions, a contribué à dramatiser le caractère de l’affrontement et à renforcer simultanément la cohérence et l’isolement du groupe. Cet isolement, qui éloignait les militants de la R.A.F. du mouvement légal, renforçait leur fidélité aux orientations premières de la révolte étudiante.
3
" Sonderbehandlung" Traitement spécial et luttes de prison
Les conditions particulièrement dures de détention réservées aux militants emprisonnés ne préfigurent-elles pas un nouveau système de coercition et de domination où les auxiliaires principaux de la Justice sont les psychiatres et les médecins ? Ce traitement n’est-il pas la mise à nu des rapports de domination dans la société unidimensionnelle : l’isolement extrême et la surveillance perpétuelle de l’individu ?
La torture par privation sensorielle
Dès le début de leur incarcération, les prisonniers de la R.A.F. ont été soumis à un système de détention spéciale, lequel est appliqué également aux prisonniers du « Mouvement du 2 juin » et du « S.P.K. » (Collectif socialiste des patients de Heidelberg) [25]. Les prisonniers sont maintenus à l’isolement : tout contact avec d’autres détenus leur est interdit, ils ne peuvent participer à aucune des activités collectives de la prison, ni même au service religieux. Ils doivent faire leur promenade seuls et souvent les mains liées dans le dos ; les contrôles des cellules et les fouilles corporelles sont fréquentes, les droits de visite sont restreints, le courrier et les journaux sont censurés. De manière générale, le contact social est réduit au minimum.
Certains prisonniers ont été placés dans des conditions encore plus dures, au quartier spécial de la section silencieuse de Cologne-Ossendorf. Ce quartier est situé dans l’une des ailes du bâtiment « Psychiatrie Femmes » de la prison séparée du corps de bâtiment et spécialement aménagée pour être isolée acoustiquement. Ulrike Meinhof, et pour des périodes plus courtes Astrid Proll et Gudrun Ensslin, y étaient seules lorsqu’elles y furent incarcérées : les cellules situées au-dessus et à côté des leurs sont restées inoccupées le temps de leur détention ; ainsi aucun bruit extérieur ne pouvait leur parvenir. Les murs et l’ameublement de la cellule étaient peints en blanc et la lumière du jour ne pénétrait dans les cellules que par une étroite fente recouverte d’un très fin grillage. Les prisonnières de l’aile spéciale de Cologne-Ossendorf vivaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre sans milieu ambiant discernable.
Le 1er février 1973, le psychologue de la prison de Cologne, le professeur Jarmer, commentait ainsi les conditions de détention d’Ulrike Meinhof : « Le fardeau psychique imposé à la prisonnière dépasse de très loin la mesure normalement inévitable pour une détention en isolement strict. Si la détention en isolement strict, comme le montrent les expériences, n’est supportable pour les détenus que pendant un temps limité, cela vaut à plus forte raison pour la détenue Meinhof car elle est pratiquement coupée de toute perception de l’environnement. » [26]
Voici les extraits d’une lettre adressée par Ulrike Meinhof à son avocat :
« Le sentiment que ta tête explose, le sentiment qu’en fait la boîte crânienne va se casser, exploser.
Le sentiment que le cerveau se ratatine comme un pruneau.
Le sentiment que tu es sans cesse sous tension, que cela se voit et que tu es téléguidé (...).
Le sentiment que la cellule bouge — tu te réveil¬les, tu ouvres les yeux — la cellule bouge, l’après-midi, quand le soleil brille, elle s’arrête tout d’un coup. Tu ne peux pas te débarrasser de ce sentiment que tu bouges.
Tu ne peux pas savoir pourquoi tu trembles : de fièvre ou de froid.
Tu ne peux pas savoir pourquoi tu trembles, tu gèles.
Pour parler à voix normale, il faut des efforts comme pour parler très fort, il faut presque gueuler.
Le sentiment de devenir muet.
Tu ne peux plus identifier le sens des mots - tu ne peux que deviner - l’usage des sifflantes : s, ss, tz, sch, est absolument insupportable.
On ne peut plus contrôler la syntaxe, la grammaire. Quand tu écris deux lignes, à la fin de la deuxième ligne, tu ne peux pas te rappeler le début de la première (...).
Une agressivité démente, pour laquelle il n’y a pas de soupape.
C’est le plus grave, la conscience claire qu’on n’a aucune chance de survivre, l’échec total, pour faire passer cela, le faire comprendre aux autres (...) » [27]
Ces conditions de détention ont des conséquences terribles. Dans ce silence, cette monochromie artificielle, où les sens ne sont jamais sollicités, l’être humain est atteint dans sa totalité : le sens de l’orientation, l’intelligence, la faculté de concentration sont gravement atteints, des troubles des fonctions végétatives apparaissent.
Astrid Proll, internée pendant cinq mois dans cette section spéciale a dû être replacée dans des conditions normales de détention au début de 1973, avant l’ouverture du procès pour qu’elle puisse être en mesure d’y participer. Elle dut finalement être transférée dans une maison de repos en 1975, son état ne lui permettant plus de survivre en détention. Ces conditions particulières de détention infligées à Astrid Proll, Gudrun Ensslin et pour des périodes encore plus longues à Ulrike Meinhof correspondent exactement à la définition de ce qu’on appelle « privation sensorielle ». La privation sensorielle consiste en effet à réduire et si possible à annuler toute différence de perception (jour/nuit, silence/bruit, ...). Aucun changement acoustique ou visuel ne doit parvenir au sujet placé dans un milieu artificiel approprié. Les organes des sens alors privés de toute stimulation subissent une atrophie comparable à l’atrophie des muscles à la suite d’une immobilisation forcée et prolongée.
Les premières expériences concernant la privation sensorielle ont été réalisées au cours des années 1950 et 1960 aux Etats-Unis, dans le cadre des programmes de la C.IA. appelés « Blue Bird », « M.K. Ultra » et « Mik Delta » rendus publics en 1977 sous l’Administration Carter [28]. En Allemagne Fédérale, les expérimentations sur la privation sensorielle ont commencé en 1971, année des premières arrestations des militants de la R.A.F. à la clinique psychiatrique et neurologique de Hambourg-Eppendorf, sous la direction du psychiatre tchécoslovaque Jan Gross qui fit dans les années 1960 des expériences semblables à Prague avec Svab [29].
Ce programme de recherche intitulé « Aspects psychosomatiques, psychodiagnostiques et thérapeutiques de l’agressivité », fondé sur l’observation du comportement humain en situation de privation sensorielle, est intégré au Secteur Spécial de recherches 115, Sonderforschungsbereich 115, (S.F.B. 115) financé par l’Association Allemande de Recherche, Deutsche Forschungsgemeinschaft (D.F.G.) de l’Université de Hambourg. Ces expériences, commencées avec des étudiants volontaires, furent poursuivies avec de jeunes soldats de la Bundeswehr. A chaque fois ont été constatés, sous effet intense ou prolongé de la privation sensorielle, les phénomènes suivants : peur et réaction de panique, hallucinations visuelles et auditives, troubles des fonctions végétatives, déséquilibre moteur, tremblements [30]. L’existence de ces recherches indique que les conséquences de l’isolement sont parfaitement connues des autorités judiciaires qui ordonnent ces conditions de détention destructrices. Selon la définition même de l’O.N.U. : « ... le terme " torture " désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont délibérément infligées à une personne par des agents de la fonction publique ou à leur instigation (...) » [31] ; on doit bien admettre qu’Ulrike Meinhof a été torturée pendant ces longs mois de détention en isolement total à la prison de Cologne-Ossendorf.
Ce traitement s’inscrit dans une entreprise de psychiatrisation de certains prisonniers, dont Ulrike Meinhof fut particulièrement victime. Il était difficile, dans son cas, d’invoquer la perversion morale ou le gangstérisme pur et simple pour expliquer son engagement dans la guérilla. Son appartenance à la R.A.F. faisait rejaillir sur le groupe une certaine respectabilité, car Ulrike Meinhof était un personnage reconnu parmi l’intelligentsia de gauche. Or les autorités allemandes voulaient avant tout effacer la dimension politique du phénomène R.A.F. Dans les médias il sera toujours question du « gang Baader-Meinhof » et dans les discours officiels l’appellation R.A.F. ne sera jamais employée, le terme « groupe Baader-Meinhof » lui étant préféré.
Horchem, chef des Services de Protection de la Constitution (Verfassungschutz) pour la région de Hambourg s’exprimait ainsi dans un congrès en mai 1975 : « ... Par le manque de nouveaux idéologues du style d’Ulrike Meinhof, la durée du phénomène de la terreur pourra être raccourcie : dans la mesure où ces groupes, au cours de leurs activités, reconnaîtraient eux-mêmes qu’ils sont de purs criminels et qu’il leur manque une base idéologique. Et alors, cette intention, cette énergie criminelle s’effondreraient. » [32]
Le Parquet fédéral alla jusqu’à examiner la possibilité d’une intervention chirurgicale sur la personne d’Ulrike. Dans une lettre du 4 janvier 1973 adressée au psychiatre de la prison, le docteur Götte, le Parquet fédéral demandait d’examiner si Ulrike Meinhof « devait être placée dans un établissement psychiatrique public pour préparer une expertise sur son état mental » [33]. En avril 1973, le professeur Witter, directeur de l’Institut de Psychologie de la clinique universitaire de Hombourg (Sarre) fut chargé par le procureur général Zeis d’établir une expertise psychiatrique. Lorsque le 10 mai, le professeur Witter répondit qu’une radiographie du crâne et une scintigraphie du cerveau étaient nécessaires pour établir le diagnostic, le juge Knoblich de la Cour fédérale prit le 13 juillet 1973 la décision d’autoriser un médecin à pratiquer ces examens dans l’établissement pénitentiaire, même contre la volonté de la prévenue et en utilisant si nécessaire la contrainte directe ou l’anesthésie. Seule la mobilisation de l’opinion publique, alertée par les conférences de presse des avocats, et la protestation de nombreux médecins décidèrent le Parquet à abandonner ce projet.
Résistance des prisonniers
Les prisonniers de la R.A.F. n’ont jamais cessé de lutter contre ces conditions de détention. Entre 1972 et 1975, ils ont mené trois grèves de la faim pour la suppression des « traitements spéciaux » (Sonderbehandlung). La première grève de la faim dure 30 jours, du 17 janvier 1973 au 15 février 1973, sans que les prisonniers obtiennent la suppression de l’isole¬ment : les autorités acceptent cependant qu’Ulrike Meinhof soit transférée dans une autre aile de la prison de Cologne-Ossendorf. Le 8 mai 1973, 80 prisonniers de la R.A.F., du S.P.K. et d’autres organisations proches de la lutte armée, la plupart encore en détention préventive, entreprennent une seconde grève de la faim pour l’amélioration des conditions de détention. Les autorités pénales réagissent en ordonnant la nutrition forcée. A la prison de Ziegenheim dans la Hesse, on supprime l’eau à Andreas Baader pour le contraindre à manger et il tombe dans le coma à la fin du troisième jour. Finalement les prisonniers mettent fin à cette grève sans avoir rien obtenu.
Les avocats des prisonniers multiplient les conférences de presse pour alerter et mobiliser l’opinion publique. Différents comités d’aide aux prisonniers, « Secours Rouge », « Secours Noir » [34], qui existent dans toutes les grandes villes depuis le mouvement étudiant, soutiennent les revendications des prisonniers et font un travail d’information. Plus tard, des « Comités contre la torture par isolement » se créent qui soutiennent non seulement les revendications des prisonniers de la R.A.F. mais également leur ligne politique, ce que ne faisaient pas obligatoirement les « Secours Rouge » et « Secours Noir ».
La création de ces comités, qui parfois travaillent avec les avocats, correspond à une nouvelle stratégie des prisonniers de la R.A.F. qui veulent voir se développer à partir des luttes contre les conditions spéciales de détention un mouvement de solidarité avec la politique de la R.A.F. A partir de 1975, de tels comités se créent aussi à l’étranger : Paris, Milan, Bruxelles, Amsterdam et Athènes. Ils apportent dans les limites de la légalité tout le soutien possible à la lutte de la R.A.F. ; ils traduisent et diffusent les textes du groupe et ils tentent de mobiliser l’opinion publique et les intellectuels sur le problème des conditions de détention et des atteintes aux droits de la défense.
Au cours de la plus longue et dernière grève de la faim qui dura 145 jours, du 13 septembre 1974 au 5 février 1975, Holger Meins meurt à la prison de Wittlich. En alimentation forcée depuis plusieurs semaines, il ne recevait chaque jour que 400 calories au lieu des 1200 calories minimum nécessaires à la survie. Le père d’Holger Meins ainsi que les avocats portent plainte contre les autorités de la prison et contre le médecin de Wittlich, le Dr Hütter. La mort d’Holger Meins déclenche un vaste mouvement de solidarité avec les prisonniers politiques en grève de la faim. Partout des manifestations sont organisées, à Berlin 10 000 personnes défilent dans les rues, promenant de grands panneaux avec les photos d’Holger Meins au côté d’un martyr anonyme d’Auschwitz, deux corps nus interchangeables dans leur squelettique maigreur. Cette effrayante photo d’Holger Meins est affichée dans toutes les villes de R.F.A. et également dans de grandes villes européennes : Paris, Amsterdam, Bruxelles. A Berlin, un groupe de 200 étudiants et professeurs commence une grève de la faim dans les locaux de l’Université par solidarité avec les détenus. Enfin 2000 personnes, dont Rudi Dutschke, ancien leader du mouvement étudiant, assistent à l’enterrement d’Holger Meins à Hambourg. C’est la première fois que la lutte des prisonniers rencontre une telle audience.
Le 4 décembre 1974, Jean-Paul Sartre rend visite à Andreas Baader à la prison de Stuttgart-Stammheim et déclare dans une conférence de presse que les conditions de détention réservées aux prisonniers de la R.A.F. auraient été dignes du régime nazi ; il annonce la création d’un comité international de défense des prisonniers politiques en Europe de l’Ouest. Peu après, le révérend Paul Osterreicher, secrétaire général d’Amnesty International pour la Grande-Bretagne, rend lui aussi visite aux prisonniers de Stammheim et le 31 décembre, l’organisation humanitaire A.I. dénonce dans un communiqué les conditions de détention des prisonniers de la R.A.F. Cette mobilisation internationale ne peut laisser indifférentes les autorités allemandes qui sont très sensibles à la façon dont est perçue l’Allemagne à l’extérieur. Les doutes émis sur l’authenticité du système démocratique de R.F.A. leur semblent associés à un certain parti pris anti-allemand.
Le 16 décembre 1974, le Président Gustav Heinemann écrit à Ulrike Meinhof pour la prier de cesser cette grève de la faim. Elle lui répond qu’ « il n’y aura pas de cesse tant que les revendications ne seront pas satisfaites : regroupement des prisonniers de la guérilla ou intégration aux conditions normales de détention » [35]. Cependant, malgré l’impact énorme qu’a eu la mort d’Holger Meins, malgré la mobilisation devenue internationale, les autorités refusent de céder. Le 5 février 1975, les prisonniers de la R.A.F., tous soumis à la nutrition forcée, mettent fin à leur mouvement. Le 2 février une lettre parvenue de l’extérieur et reconnue par eux comme authentique leur enjoignait de cesser leur grève de la faim : « Nous déclarons que la grève a atteint tout ce qu’il était possible de faire ici pour expliquer, mobiliser et organiser la politique anti-impérialiste, son escalade n’a pas été perçue comme une lutte d’une nouvelle qualité (...) Permettre que vous la prolongiez contre le calcul de la propagande étatique et l’exécution exemplaire de guérilleros emprisonnés... suffirait a donner à cette lutte l’apparence d’un acte désespéré et d’un sacrifice. Parce que la lutte pour les camarades emprisonnés est maintenant notre cause, du fait du rapport de force, ne peut être que notre cause et celle de nos armes qui en décideront - Nous vaincrons - R.A.F. » [36]
Horst Mahler, qui s’était publiquement dissocié du groupe et distancé de la politique de la R.A.F., dans une lettre publiée le 20 septembre 1974 dans Die Rote Fahne, organe du K.P.D. [37], avait critiqué cette grève de la faim dans une lettre adressée au Spiegel : « Seule une analyse bourgeoise et politiquement fausse permet d’espérer et d’attendre des chefs réactionnaires de la social-démocratie une amélioration de nos conditions de détention au moyen d’une pression morale. » [38] La lettre était cosignée par Dieter Kunzelmann et Ulli Kranzusch (anciens leaders du mouvement étudiant). Avant même sa rupture avec la R.A.F., Horst Mahler, s’était opposé à la politique qui consistait à porter la lutte sur le terrain des conditions de détention. Ce désaccord joua un rôle important dans le processus de « révision » de ses conceptions politiques.
Mais ces grèves de la faim menées contre des conditions extrêmement dures avaient surtout pour fonction de maintenir la cohésion du groupe. Elles étaient en effet les seules actions collectives possibles en prison. Pendant la grève de la faim, l’intérêt individuel est soumis au but collectif révolutionnaire et malgré l’isolement le groupe continue d’exister. En menant ces actions, la R.A.F. a aussi misé sur le développement d’une solidarité au moins émotionnelle dans la gauche allemande qui aurait pu se transformer, en solidarité politique. Il s’agissait de dévoiler le « vrai visage » de la social-démocratie, un visage brutal.
Atteintes aux droits de la défense
Les prisonniers de la R.A.F. ou d’autres organisations de lutte armée ainsi que les supposés sympathisants de la guérilla urbaine soupçonnés d’avoir aidé de quelque façon que ce soit les membres d’une « association criminelle » sont restés exceptionnellement longtemps en détention préventive, dans les conditions que l’on sait, à tel point que l’organisation « Amnesty International » et la commission européenne des droits de l’homme ont attiré à plusieurs reprises l’attention des autorités fédérales allemandes sur le cas de certains détenus comme Monika Berberich qui est restée plus de 40 mois en préventive dont 18 mois en isolement complet.
Tous les procès contre des membres de la R.A.F. ont été entourés de mesures exceptionnelles de sécurité : fouilles des spectateurs et des témoins, accusés restant menottés et dans certains cas, construction d’un bâtiment spécial pour le déroulement du procès.
Mais c’est le procès qui s’ouvre à Stammheim le 21 mai 1975 contre Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ulrike Meinhof et Jan-Carl Raspe qui sera le plus spectaculaire. La presse allemande en parle plusieurs semaines à l’avance, il est considéré comme le plus important procès d’après-guerre en Allemagne depuis Nuremberg. « Le monde entier qui doute de la réalité de notre démocratie a les yeux fixés sur Stammheim » titre le Süddeutsche Zeitung le jour de l’ouverture du procès tandis que le 13 mars 1975, devant des millions de téléspectateurs, à l’occasion du débat sur la sécurité, le chancelier Schmidt déclare : « ...Les procès du groupe Baader-Meinhof qui vont commencer ne manqueront pas de déclencher d’importantes campagnes organisées par les sympathisants. De soit-disant avocats du droit venus de toutes les parties du monde viendront en R.F.A. afin d’y proclamer leur philosophie. Ils viendront afin de dénigrer notre Etat constitutionnel devant notre opinion publique, comme cela s’est déjà fait et comme cela se dessine actuellement à propos de Bückeburg [39]. Le gouvernement fédéral attend que de telles campagnes soient réfutées avec toute la clarté et la fermeté nécessaire, comme cela a été récemment, le cas à Stuttgart, où un tribunal a refusé d’autoriser l’admission de certains de ces avocats-là. » [40]
La construction du bâtiment situé à deux cents mètres de la prison de Stuttgart-Stammheim a coûté plus de 16 millions de marks. C’est un bloc de béton dépourvu de fenêtres, entouré de barbelés, équipé d’un filet sur le toit afin de le protéger d’éventuelles attaques aériennes. Il y a trois entrées différentes, une pour la cour et les témoins de l’accusation, une pour les accusés et enfin une entrée équipée d’un système de sécurité sophistiqué, réservée aux spectateurs, journalistes et avocats qui pénètrent un à un et sont individuellement fouillés. Les papiers d’identité sont examinés et gardés pendant toute la durée de l’audience, ce qui permet le fichage des spectateurs.
Le premier jour du procès, 120 spectateurs et journalistes assistent à l’audience. Parmi l’assistance on peut remarquer la présence du révérend Osterreicher, secrétaire général d’Amnesty International. Ulrike Meinhof est défendue par l’avocat Helmut Riedel, Gudrun Ensslin par les avocats Marie-Louise Becker et Otto Schily et Jan-Carl Raspe par l’avocat Ruppert von Plottnitz. Quant à Andreas Baader, il se trouve privé, juste avant l’ouverture du procès, des défenseurs qu’il avait choisis. Ses trois avocats, Klaus Croissant, Kurt Groenewold et Christian Strobele ont été exclus de la défense l’un après l’autre, les 16 avril, 2 mai et 13 mai. Il ne pourra faire appel à un défenseur de son choix, Heldmann, qu’après plusieurs audiences. Ainsi, après une instruction qui aura duré trois ans, les accusés se trouvent privés, à sept jours du procès, des trois avocats les mieux préparés et les plus au fait de la procédure.
C’est une loi entrée en vigueur le 1er janvier 1975 qui donne une base légale à cette exclusion. Voici des extraits [41] du nouveau code pénal allemand relatifs à l’exclusion de la défense :
Article 138 A
(1) Un défenseur est à exclure de la participation à une procédure lorsque, de manière évidente, ou dans la mesure même où se justifie l’ouverture de la procédure principale, il est suspect d’être impliqué dans les faits qui font l’objet de l’instruction, ou qu’il est suspect d’avoir commis des actions qui pourraient, en ce qui concerne la condamnation de l’inculpé, biaiser la situation en sa faveur, entraver l’application de sa peine ou le soustraire à l’action de la justice.
(2) Un défenseur est à exclure de la participation à une affaire lorsque :
1°) il s’est avéré qu’il est suspect d’abuser de ses communications avec l’inculpé en état de détention en vue de commettre des délits punissables d’au moins un an de prison ;
2°) lorsqu’il abuse de ses communications avec l’inculpé qui est en état de détention de manière à compromettre sérieusement la sécurité de la prison (...)
Article 138 B
Un défenseur est également à exclure lorsque, sur la base de certains faits, il est permis de supposer que sa participation à la défense pourrait constituer un danger pour la sûreté de la République Fédérale d’Allemagne.
Cette loi dite « lex Baader-Meinhof » a permis d’exclure les avocats les plus importants du procès de Stammheim ; elle contient d’autres dispositions limitant à trois le nombre de défenseurs par accusé et interdisant « la défense de plusieurs accusés par un défenseur commun ». Cette interdiction de la défense collective entraîna plusieurs autres exclusions chez les avocats de la R.A.F. car les tribunaux en ont fait une application très extensive, l’élargissant non plus simplement aux avocats d’une affaire donnée mais à tous les avocats du même type d’affaires, quel que soit le nombre de procédures distinctes ouvertes.
Le 23 juin 1975, les avocats Klaus Croissant et Christian Strobele sont arrêtés, inculpés de « complicité avec une association de malfaiteurs ». On reproche à Klaus Croissant d’avoir servi d’intermédiaire entre les prisonniers de la R.A.F. et le journal Der Spiegel pour une interview publiée le 20 janvier 1975. Christian Strobele est accusé d’avoir communiqué aux prisonniers des actes du dossier et des informations sur la vie politique, économique, militaire en République Fédérale Allemande et dans le monde. Klaus Croissant reste sept semaines en détention et Christian Strobele cinq semaines. Ils sont accusés d’avoir facilité les rapports des prisonniers entre eux et des prisonniers avec l’extérieur, permettant ainsi, selon les termes de la décision d’exclusion, « la continuation des activités d’une association de criminels, acte de soutien punissable d’après le paragraphe 129 du code pénal ».
Des perquisitions et des saisies sont opérées dans leurs bureaux ainsi que dans ceux des avocats M.L. Becker et K. Groenewold. Ce dernier est également inculpé de « complicité avec association de malfaiteurs », sans être incarcéré cependant. Entre 1975 et 1978, une trentaine de procédures ont été engagées contre des avocats plaidant dans des affaires politiques [42].
Au mois de septembre 1975, au cours du procès de Stammheim, les experts médicaux non attachés au corps judiciaire établissent que les prisonniers sont dans un état de santé très grave, dû à leur longue détention en isolement et qu’ils ne peuvent suivre les débats plus de deux à trois heures par jour. Par un arrêt du 30 septembre 1975, le Haut-Tribunal de Stuttgart permet alors d’exclure les prisonniers du procès si leur état de santé les rend incapables de comparaître. Cette exclusion est ratifiée par la Cour Fédérale le 22 octobre. La Cour justifie l’exclusion par l’argumentation suivante : les inculpés se seraient eux-mêmes rendus coupables de leur incapacité à comparaître car ils ne laisseraient aux magistrats aucun autre choix que celui d’entériner les conditions spéciales de détention en raison du danger qu’ils font courir à la sécurité ; les inculpés continueraient de maintenir leurs idées en prison et auraient essayé de poursuivre leur association criminelle ; ils appartiendraient à une fraction de plus en plus restreinte de la population.
Aussi les accusés furent-ils très souvent absents des débats au cours des deux années du procès de Stammheim.
Dans leurs déclarations, ils refusaient de rentrer dans le détail des actions et de répondre aux questions de l’accusation. Dès le début, ils avaient déclaré endosser collectivement la responsabilité des attentats de mai 1972, et prétendaient utiliser le procès comme une tribune pour parler de leur identité politique ; leurs longs développements sur ce thème étaient le plus souvent interrompus par le procureur qui les qualifiait de « hors sujet ».
Au mois de mars 1977, un nouveau scandale allait entacher davantage l’image de la justice en République Fédérale d’Allemagne. Au cours d’une conférence de presse, le ministre de la Justice et le ministre de l’Intérieur de Bade-Wurtemberg, Vogel et Maihofer reconnaissaient que les conversations confidentielles entre les avocats et leurs clients, dans la prison de Stammheim avaient été écoutées : des micros avaient été installés dans les cellules des prisonniers et les parloirs des avocats par des agents du Bundesnachrichtendienst (B.N.D.) [43] avant même le début du procès. Les avocats exigèrent la suspension immédiate du procès, ce qui leur fut refusé ; ils cessèrent alors de participer aux audiences. C’est dans une salle vide, en l’absence des accusés et des défenseurs, que le verdict fut prononcé le 28 avril 1977 ; prison à vie pour Andreas Baader, Jan-Carl Raspe et Gudrun Ensslin. Deux des accusés du procès de Stuttgart-Stammheim sont morts avant la fin de celui-ci, Holger Meins en novembre 1974 et Ulrike Meinhof qui, le 9 mai 1976 au matin, a été retrouvée pendue dans sa cellule. Aussitôt les médias avaient diffusé la nouvelle du « suicide d’Ulrike Meinhof », version que les avocats et les proches d’Ulrike contestèrent immédiatement. Une commission internationale d’enquête fut créée à leur initiative ; elle publia un rapport, établi avec la collaboration d’experts qualifiés, qui conteste la version du suicide. Dans une conférence de presse, le 15 décembre 1978, les membres de la commission d’enquête déclarent :
« (...) Les résultats de l’enquête suggèrent qu’Ulrike Meinhof était morte quand on l’a pendue et il y a des indices troublants de l’intervention d’un tiers en relation avec cette mort. »
« La commission ne peut exprimer de certitudes sur les circonstances de la mort d’Ulrike Meinhof. Cependant, le fait qu’en dehors du personnel de la prison les services secrets avaient accès aux cellules par un passage séparé et secret autorise tous les soupçons. » [44]
Le rapport constate que les autorités commencèrent l’autopsie du corps dans des conditions de secret absolu bien avant le délai de 24 heures prévu par le droit allemand et sans autoriser le médecin de confiance, cité par la sœur d’Ulrike, à y assister. Pour l’ensemble de l’extrême gauche allemande et européenne le doute subsista quant aux circonstances exactes de la mort d’Ulrike Meinhof. Du 9 mai au 26 mai 1976, on a dénombré 11 attentats ou incendies volontaires en R.F.A. et 20 à l’étranger en relation avec cette mort, ainsi que 33 manifestations et meetings ; 4 000 personnes assistaient à l’enterrement. Cet événement n’a évidemment pas contribué à rendre l’atmosphère autour du procès de Stammheim plus sereine. Lors de l’audience du 11 mai 1976, Jan-Carl Raspe déclarait : « Nous savons qu’Ulrike n’est pas morte des suites de son isolement. Elle a été assassinée, nous ne savons pas comment mais nous savons par qui. Il y a un responsable : Buback » [45]. Le verdict du 28 avril 1977 ne donna lieu à aucun mouvement de contestation ; dès le début du procès, il était évident que les accusés encourraient la peine maximale en République Fédérale Allemande :
« la réclusion à perpétuité ».
Les lois spéciales de 1975 restreignant la défense collective ont été appliquées depuis dans tous les procès politiques, notamment dans les procès concernant les manifestations contre l’agrandissement de l’aéroport de Francfort où beaucoup de manifestants interpellés se sont trouvés privés de défenseurs de leur choix, chaque avocat ne pouvant défendre qu’un seul inculpé. Le discrédit jeté sur les avocats de la Fraction Armée Rouge, qui ont été à plusieurs reprises victimes d’interdiction professionnelle, inculpés pour complicité avec leurs clients, arrêtés, victimes de campagne de presse, a rejailli sur l’ensemble de la profession, ce qui constitue une remise en question de fait du droit de tout accusé à être défendu.
Le caractère exceptionnellement dur de la répression policière et judiciaire à l’égard des militants de la R.A.F. faisait apparaître ceux-ci non comme des délinquants ordinaires, mais comme de véritables adversaires politiques de l’Etat allemand qui, tout en simulant « l’état de guerre », s’efforçait de nier le caractère politique de l’affrontement.
La résistance exemplaire que les militants de la R.A.F. opposèrent à leurs conditions de détention contribua à maintenir un courant de sympathie pour le groupe dans des cercles assez larges de l’extrême gauche et à sensibiliser l’opinion publique internationale aux problèmes posés par le fonctionnement de l’appareil répressif allemand.
Le traitement sans précédent en Europe, réservé aux prisonniers de la R.A.F., semblait confirmer les analyses politiques du groupe qui dénonçait la mise en place dans les sociétés industriellement développées d’un « Nouveau Fascisme » caractérisé par l’alliance du pouvoir et de la science en vue d’assurer l’intégration forcée de chaque individu au « système impérialiste ».
4.
Offensive contre l’appareil d’Etat
Comment la R.A.F., qui n’avait plus revendiqué aucune action depuis l’arrestation de ses principaux membres en 1972, a-t-elle pu reconstituer sa capacité offensive ? Quels sont les facteurs à l’intérieur comme à l’extérieur du groupe qui ont permis sa reconstitution ? Quel sens donner aux actions de 1977 ? La seconde phase offensive, suivie de peu par la mort des prisonniers de Stammheim, marque-t-elle la fin de la R.A.F. ?
Premières tentatives de réorganisation du groupe
Depuis les arrestations des principaux membres du groupe, la R.A.F. n’a plus revendiqué aucune action de guérilla jusqu’en 1975 bien que l’on puisse dénombrer en 1973 et 1974 33 attentats et incendies volontaires en R.F.A. et à Berlin-Ouest. Même s’il reste encore des militants de la R.A.F. en liberté pendant ces années, ils semblent isolés et impuissants. Dans ces conditions, ce sont les actions collectives menées en prison qui se substituent aux actions de guérilla pour assurer la continuité du groupe tandis qu’à l’extérieur de la prison, les « comités contre la torture par isolement » créés à partir de 1973 jouent un rôle de relais entre les militants de la R.A.F. incarcérés et l’extérieur en répercutant et en expliquant les luttes des prisonniers. Ce sont des membres de ces comités qui à partir de 1975 reconstitueront l’organisation.
Un témoignage intéressant sur le travail des « comités contre la torture par isolement » et le passage à la lutte armée de certains de leurs militants, est celui de Volker Speitel qui était membre du « Secours Rouge » de Stuttgart dès 1973 puis du « Comité contre la Torture » lequel travaillait en collaboration avec le bureau des avocats Croissant et Lang à Stuttgart. Arrêté en octobre 1977, Volker Speitel a été accusé d’appartenance à association criminelle et condamné à 38 mois de détention. Principal témoin de l’accusation dans le procès contre des militants de la R.A.F. et contre certains de leurs avocats en 1978 et 1979, il a bénéficié d’une réduction de peine et a été libéré en octobre 1979. En 1980, le Spiegel a publié un long récit où il explique son itinéraire politique [46]. D’après Volker Speitel, la mort d’Holger Meins fut pour beaucoup de militants des comités un événement décisif qui détermina certains d’entre eux à rejoindre la lutte armée : « Pour nous, cette mort a été un événement clef. Peut-être en partie parce que nous n’avions encore jamais vu avec une telle proximité et une telle intensité la souffrance et la mort et d’autre part surtout parce que nous nous sentions aussi moralement coupables. Coupables parce que nous n’avions pas pu empêcher sa mort malgré nos activités et nos efforts. La mort d’Holger Meins et la décision de prendre les armes ne faisaient qu’une. » [47]
Hans-Joaquim Klein, membre du « Secours Rouge » de Francfort en 1974, puis membre des « Cellules Révolutionnaires » (R.Z.), accorde la même importance à l’événement : « La mort d’Holger Meins fut le point décisif pour dire adieu à la politique légale, la politique de l’impuissance et de la stérilité (...) S’il me fallait encore une pichenette pour non seulement prôner la lutte armée mais aussi m’y engager moi-même : Holger Meins fut cette pichenette. Avec sa mort, l’impuissante détresse face à cet état monta tellement en moi qu’elle déborda. J’en avais fini avec la politique légale et j’étais prêt pour la lutte. Cette fois, pour de bon. » [48]
Cependant si cet événement coïncide avec la reprise d’actions de guérilla d’une certaine envergure en R.F.A., celles-ci n’ont pas été immédiatement le fait de la R.A.F. Le lendemain de la mort d’Holger Meins, le 10 novembre 1974 le juge Günther von Drenckmann, président de la Cour suprême de Berlin, est abattu à son domicile par un petit commando, l’action est revendiquée par le « mouvement du 2 juin » [49] : « ... Un des responsables des conditions de détention des prisonniers politiques était le juge von Drenckmann en tant que président de la Cour suprême de Berlin. Après la mort d’Holger Meins, il a été abattu. Gunther von Drenckmann était le premier juge de Berlin, il appartenait au « noyau dur » des responsables. Il n’a pas voulu écouter nos revendications concernant les conditions de détention des prisonniers. Il était clair qu’il comptait sur de nouvelles morts de révolutionnaires dans les prisons allemandes. Qui sème la violence récoltera la violence. Nous exigeons une fois de plus la suppression des conditions de détention inhumaines dans les prisons de R.F.A, et de Berlin-Ouest. » [50]
Cette action, la première à être revendiquée par le « mouvement du 2 juin » est diversement accueillie par tous ceux qui se sont massivement mobilisés dans la lutte contre les conditions de détention, mais l’émotion provoquée par la mort d’Holger Meins a été telle que beaucoup refusent de la condamner publiquement.
Le gouvernement craint que le courant de sympathie créé autour de la R.A.F. après cette longue grève de la faim et ce premier mort ne s’étende, et après l’assassinat du juge von Drenckmann une centaine de personnes sont interpellées à Francfort, Heidelberg, Munich, Hambourg et Berlin. Plus de cent appartements et locaux sont perquisitionnes. A Francfort sept personnes sont inculpées sur le seul témoignage à charge d’un ancien détenu [51], elles passeront plusieurs mois en détention jusqu’à ce que les accusations portées contre elles s’effondrent.
Le 23 février, trois semaines après que les prisonniers de la R.A.F. eurent cessé leur troisième et plus longue grève de la faim, Peter Lorenz, député C.D.U. de Berlin et chef de l’opposition au parlement de Berlin est enlevé par un commando du « mouvement du 2 juin » qui exige en échange la libération de six prisonniers. Parmi ces prisonniers, seul Horst Mahler appartient au « noyau historique » de la R.A.F. mais il avait annoncé publiquement sa rupture avec le groupe [52]. Le gouvernement allemand accepta immédiatement de traiter avec le commando et céda très vite à ses exigences. Six jours après l’enlèvement de Peter Lorenz, cinq des six prisonniers [53] dont le « mouvement du 2 juin » avait exigé la libération s’envolaient à destination d’Aden.
La lettre du 2 février 1975 [54] qui aurait été adressée aux prisonniers de la R.A.F. en grève de la faim, annonçait des actions de libération de prisonniers.
Mais de quelle force disposait alors la R.A.F. ?
D’après le témoignage de Volker Speitel, auquel on ne peut accorder qu’une confiance relative (sa position de témoin de l’accusation le pousse en effet à se présenter comme quelqu’un qui en sait beaucoup tout en ayant peu agi, ce qui dans une organisation clandestine est peu vraisemblable car ceux qui savent sont aussi ceux qui agissent), ce qui restait de la R.A.F. se réduisait à bien peu : un appartement à Francfort, du matériel nécessaire à la fabrication de faux papiers, quelques grenades et des explosifs. Ce matériel était à la disposition d’un petit groupe de quatre personnes.
L’enlèvement de Peter Lorenz en février 1975 venait de montrer qu’il était possible d’arracher au gouvernement la libération de prisonniers. D’après Volker Speitel, le petit groupe, qui tentait de se constituer en organisation de lutte armée, se serait alors vu reprocher par les prisonniers de la R.A.F. son impuissance à agir. Peut-être ces critiques et l’exemple réussi de l’enlèvement de Peter Lorenz ont-ils poussé le groupe à organiser une action de libération avant d’en avoir la capacité.
Le 24 avril 1975, le « commando Holger Meins » de la R.A.F. occupe l’ambassade d’Allemagne à Stockholm et exige, en échange des onze fonctionnaires pris en otage, la libération de 26 prisonniers de la R.A.F. parmi lesquels Jan-Carl Raspe, Andreas Baader, Ulrike Meinhof et Gudrun Ensslin. Dans l’ultimatum adressé au gouvernement allemand, les membres du commando menacent d’exécuter un otage toutes les heures si les 26 prisonniers ne sont pas conduits à l’aéroport de Francfort dans les six heures qui suivent, ils affirment qu’ils feront exploser l’ambassade au moyen de quinze kilos de T.N.T. si la police donne l’assaut. Le gouvernement allemand qui a réuni un état-major de crise refuse de céder aux exigences du commando. L’attaché militaire von Mirbach puis l’attaché économique sont exécutés, mais les autorités allemandes se montrent inflexibles et autorisent le gouvernement suédois à faire donner l’assaut par une section spéciale antiterroriste. Un des membres du commando est tué sur le coup, les cinq autres sont grièvement blessés. Ils sont immédiatement expulsés en Allemagne Fédérale, contre l’avis des médecins suédois qui leur donnent les premiers soins. L’un d’eux, Siegfried Hausner, meurt des suites de ses brûlures, le 4 mai 1975, à la prison de Stuttgart-Stammheim.
Tous les membres du commando, à l’exception d’un seul, avaient été très proches du collectif socialiste des patients de Heidelberg, le S.P.K., créé en 1970 par un groupe de médecins, d’étudiants et de patients de la clinique psychiatrique de l’Université de Heidelberg. Siegfried Hausner avait été condamné, en 1971, à trois années de prison pour ses activités à l’intérieur de ce collectif et il n’avait été libéré que quelques mois avant la prise d’otages de l’ambassade de Stockholm.
1977 : exécutions et prises d’otages
Après Stockholm., il faudra attendre deux années avant qu’une action de lutte armée soit à nouveau revendiquée par la R.A.F., ce qui représente le temps nécessaire à la reconstitution d’un groupe capable d’intervenir politiquement et militairement, A partir de 1975, le travail du « comité contre la torture par isolement » de Stuttgart lié au bureau Croissant, s’oriente selon une direction internationale. Sous son impulsion se crée l’I.V.K. [55] comité international de défense des prisonniers, qui a plusieurs sections (française, italienne, hollandaise, suisse et allemande). En vue du procès de Stammheim, les prisonniers produisent des textes qui se veulent une légitimation théorique et une analyse politique de l’action armée, ce qu’ils n’ont plus fait depuis 1971, date de leurs derniers écrits. Ils souhaitent que ces textes, pour la plupart des déclarations destinées à être lues devant le tribunal, soient diffusés et discutés en dehors de la prison. Le projet de traduire ces textes, et d’en publier un recueil dans différents pays, prend forme. Ce travail d’information, de diffusion et d’explication, est pour l’essentiel la tâche du comité de Stuttgart entre 1975 et 1977.
Pendant ces deux années, plusieurs militants proches de la R.A.F. rejoignent la clandestinité. L’avocat Siegfried Haag, après avoir été condamné à un court séjour en prison pour « complicité avec ses clients » déclare le 11 mai 1975, avant de disparaître, qu’ « il ne laissera pas plus longtemps sa liberté menacée par un état qui torture les prisonniers politiques, qu’il n’exercera plus sa profession d’avocat car il est temps dans le combat contre l’impérialisme de s’attacher à des tâches plus importantes ». [56] Entre 1975 et 1977, des membres du comité de Stuttgart, et des militants d’autres comités de soutien aux prisonniers, notamment ceux de Hambourg et de Heidelberg disparaissent pour rejoindre la clandestinité. Pendant ces deux années une structure illégale se reconstitue qui fera sien le combat de la R.A.F.
La première action de guérilla revendiquée au nom de la R.A.F. après la prise de l’ambassade de Stockholm est, le 7 avril 1977, l’exécution du procureur fédéral Siegfried Buback. Le communiqué, signé par le commando « Ulrike Meinhof » de la R.A.F., rend Siegfried Buback responsable, en tant que procureur fédéral, de la mort de Holger Meins, de Siegfried Hausner, et d’Ulrike Meinhof.
A cette reprise des actions de guérilla à l’extérieur, correspond la reprise des actions collectives en prison. Le 30 mars 1977, 35 prisonniers de la R.A.F. commencent une grève de la faim, leurs revendications sont la suppression de l’isolement, le regroupement des prisonniers par cercles de quinze, la création d’une commission internationale d’enquête sur les morts de Holger Meins, de Siegfried Hausner et d’Ulrike Meinhof et le démenti public par le gouvernement d’un certain nombre de fausses informations publiées par la presse. Le communiqué rédigé pour l’ensemble des prisonniers de la R.A.F. par les prisonniers de Stammheim affirme la solidarité de la R.A.F. avec les prisonniers de la résistance palestinienne en grève de la faim pour l’obtention du statut de « prisonniers de guerre », avec les grévistes de la faim de l’I.R.A. auxquels le statut de prisonnier politique est refusé et avec les prisonniers de l’E.T.A. revendiquant une amnistie en Espagne. Lors de cette quatrième grève de la faim, l’état de santé des prisonniers s’aggrave très rapidement. Le 28 avril 1975, le comité exécutif d’ « Amnesty International » adresse un télégramme au gouvernement fédéral pour demander la suppression de l’isolement. Pour la première fois, le gouvernement cède aux revendications de prisonniers en grève de la faim ; le ministre de la Justice de Bade-Wurtemberg, par l’intermédiaire du directeur de la prison de Stammheim, leur donne la promesse formelle qu’ils seront mis par groupes avec possibilité d’échanges, conformément à une décision du cabinet ministériel. Les prisonniers, qui pour la première fois ne se heurtent pas à une volonté inflexible, mettent aussitôt fin à leur mouvement.
L’application de la décision gouvernementale ne se fait que très lentement et partiellement de mai à août 1977. Les prisonniers qui sont exclus du processus de regroupement menacent de se remettre en grève de la faim. Finalement, trois groupes de sept à huit détenus sont créés dans les prisons de Stuttgart-Stammheim, Cologne-Ossendorf et Hambourg-Eppendorf. A Berlin-Ouest des prisonniers du « mouvement du 2 juin » sont eux aussi regroupés.
La reprise d’actions à l’extérieur vient perturber ce climat apparent de détente. Le 30 juillet 1977, Jürgen Ponto, Président de la Dresdner Bank, deuxième banque allemande, est abattu à son domicile par un petit commando de deux femmes et un homme. Aussitôt une offensive est déclenchée contre les « comités contre la torture » dénoncés comme organisations de recrutement pour la R.A.F. et contre le cabinet d’avocats Croissant/Newerla/Müller de Stuttgart. Le 11 juillet 1977, au cours d’une conférence de presse à Paris, l’avocat Klaus Croissant avait demandé l’asile politique à la France. L’Allemagne avait aussitôt envoyé un mandat d’arrêt international. Après la mort de Jürgen Ponto elle en envoie un second qui mentionne les relations des personnes recherchées dans le cadre de cette affaire avec Klaus Croissant. Ce dernier est accusé d’avoir soutenu « l’association terroriste de la R.A.F. en procurant une activité légale (« collaborateurs du bureau ») aux membres du groupe, laquelle leur aurait permis de couvrir leur « activité criminelle ».
Le 8 août 1977, à la prison de Stuttgart-Stammheim un incident éclate entre les prisonniers de la R.A.F. et les gardiens qui essaient d’empêcher l’ouverture des portes des cellules du septième étage, autorisée depuis la grève de la faim pendant plusieurs heures par jour pour permettre aux prisonniers de se rencontrer dans le couloir central et dans certaines cellules. Quarante policiers, attachés à la prison de Stuttgart-Stammheim, interviennent alors en présence du directeur de la prison et du responsable de l’administration pénitentiaire de Stammheim et frappent les sept prisonniers [57] de Stammheim avec une brutalité telle que certains s’évanouissent. Aussitôt, l’isolement est rétabli et les prisonniers qui avaient été regroupés sont transférés dans d’autres lieux de détention. Immédiatement 48 prisonniers de la R.A.F. et du « 2 juin » ripostent par une grève de la faim et de la soif. Au bout de quelques jours, certains d’entre eux tombent dans le coma et doivent être hospitalisés.
Gudrun Ensslin écrit le 12 août 1977 au Président Foth de la 2e chambre du tribunal de Stuttgart :
« Vous prendrez conscience du fait que vous ne pouvez pas enfermer pendant six ans des êtres humains comme des animaux dans des caisses, et vous changerez les conditions de détention selon les demandes des médecins et cela conformément :
– à la déclaration des droits de l’homme de 1984 : art. 5, 6, 7, 8, 10, 11 et 30 ;
– à la convention de Genève de 1949 en ce qui concerne le traitement des prisonniers de guerre : articles 3, 4, 7, 13 et 17 ;
– aux conclusions de la conférence pour la sécurité et la coopération en Europe ;
ou alors vous n’aurez plus de prisonniers ; c’est une décision irrévocable de notre part que des « mesures médicales » ne pourront retarder un jour de plus. » [58]
Mais cette fois les autorités fédérales refusent de négocier. Le procureur fédéral Kurt Rebmann déclare dans une interview au journal Welt am Sonntag [59] : « La population entend que ces gens soient sévèrement traités, comme ils le méritent, à la mesure des actes qu’ils ont commis. »
Aussi le 2 septembre 1977, les prisonniers en grève de la faim et de la soif qui, à l’exception des 4 prisonniers de Stammheim, Irmgard Möller, Gudrun Ensslin, Andreas Baader et Jan-Carl Raspe sont tous soumis à la nutrition forcée [60], décident d’arrêter leur mouvement. Un membre d’Amnesty International leur a annoncé que la tentative de conciliation entreprise par le comité exécutif international était interrompue parce que la situation s’était totalement durcie et que le procureur fédéral avait décidé de faire un exemple avec les prisonniers après l’action contre Jürgen Ponto. Continuer la grève de la faim, et de la soif dans ces conditions, c’était se condamner à mort.
Trois jours plus tard, une nouvelle action de l’extérieur est tentée pour obtenir la libération des prisonniers. Le 5 septembre 1977, à Cologne, Hans-Martin Schleyer, Président du syndicat des patrons et de l’association des industriels allemands, est enlevé par un commando de la R.A.F. Ses trois gardes du corps et son chauffeur sont abattus. Onze prisonniers de la R.A.F. sont demandés en échange de Schleyer. Le commando Siegfried Hausner de la RA.F. exige que Denis Payot, secrétaire général de la fédération internationale des droits de l’homme à l’O.N.U. ainsi que le pasteur Niemoller accompagnent les prisonniers jusque dans le pays d’accueil. Le premier ultimatum est fixé au mardi 6 septembre. Le gouvernement allemand propose au commando la médiation de Denis Payot et engage aussitôt des négociations secrètes.
Réactions anti-françaises dans la presse allemande
Les contrôles et les perquisitions se multiplient dans les milieux d’extrême-gauche. Plusieurs membres des « comités de soutien aux prisonniers » et des collaborateurs du bureau Croissant, jusqu’ici légaux, figurent sur les listes des personnes recherchées et doivent devenir clandestins.
Les autorités allemandes reprochent à la France d’une part de n’avoir fait aucun effort pour arrêter Klaus Croissant qui a eu à deux reprises la possibilité de s’exprimer à la télévision française alors qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international, et d’autre part de ne pas coopérer aux recherches entreprises pour découvrir les ravisseurs de Hans-Martin Schleyer, lesquels, selon le B.K.A., pourraient se trouver sur le territoire français.
Depuis la dernière grève des prisonniers de la R.A.F. en août 1977 et depuis que Klaus Croissant s’est réfugié en France, un débat sur les conditions sociales et politiques en République Fédérale Allemande s’est engagé dans la presse française ; celui-ci est interprété en Allemagne comme l’expression d’un sentiment germanophobe. Aussi la presse française est-elle violemment attaquée par les journalistes ouest-allemands, des plus réactionnaires aux plus libéraux. Le journal Bild de Springer parle d’une « campagne systématique de haine organisée contre l’Allemagne » (Bild, 4 septembre 1977) tandis que le Frankfurter Allegemeine Zeitung dénonce « les corbeilles d’ordures politiques qui sont déversées sur la R.F.A ». (F.A.Z., 13 septembre 1977.) Le Frankfurter Rundschau reproche au journal Le Monde « ses insultes et son dénigrement systématique » (F.R., 9 septembre 1977) et le Spiegel lui attribue « une profonde tendance antigermanique » (12 septembre 1977). Le journaliste Bernhard Heinrich du Frankfurter Allegemeine Zeitung écrit : « Nous en avons assez d’être en permanence confrontés à tous ces slogans politiques tels que « Berufsverbote » [61], « chasse aux sorcières » ou « déprivation sensorielle », tous ces slogans infâmes qui s’implantent d’autant mieux dans l’opinion publique qu’ils sont imprécis et inexacts. Cela commence aussi à nous énerver sérieusement d’être informés par le menu de tous les détails concernant le déroulement de la grève de la faim, que nous le voulions ou non. » [62] Un texte de Jean Genet « Violence et Brutalité » [63], paru dans la rubrique « Point de vue » du Monde et qui n’engage en rien la responsabilité de la rédaction du journal, porte l’exaspération à son comble. Le Süddeutsche Zeitung parle de ce texte comme du « produit d’un esprit malade » [64] tandis que Die Welt évoque « la perversion » [65].
C’est dans ce contexte que se produit l’enlèvement de Hans-Martin Schleyer. Le consensus ne se créera pas autour de cet événement car la presse française, contrairement à la presse allemande, mentionne en général le passé du président du patronat allemand. En effet, celui-ci avant d’être le symbole d’un certain patronat de combat est surtout le symbole de l’intégration des anciens cadres nazis dans là République Fédérale Allemande. Membre des
« Jeunesses Hitlériennes » dès 1931, il revêt trois ans plus tard à l’âge de 19 ans l’uniforme S.S. sous le numéro « 227 014 ». A partir de 1933, il dirige à Heidelgerg le Reichsstudenten Werk (office des étudiants du Reich), organisme chargé de nazifier les universités, puis il est nommé à Innsbruck et enfin à Prague après l’annexion de la Tchécoslovaquie. Pendant la guerre, il est nommé responsable du Zentralverbrand für Boehmen und Moehren dont la fonction consiste à intégrer l’industrie de Bohème-Moravie dans celle de l’Allemagne nazie. Arrêté à la fin de la guerre par les troupes françaises, il a été libéré après trois années d’emprisonnement. A partir de 1948, il a siégé au sein de différents conseils d’administration dont celui de Daimler Benz avant d’accéder en 1973 à la présidence du patronat allemand [66]. Le rappel de ce passé encombrant par la presse et la télévision française est interprété en Allemagne comme une nouvelle marque de complaisance envers « le terrorisme ».
Mogadiscio
Les négociations entre le commando « Siegfried Hausner » de la R.A.F. et les autorités allemandes traînent. Le gouvernement allemand donne l’impression de chercher à gagner du temps. Le 27 septembre 1977, l’A.F.P., Libération, France-Soir ainsi que l’Agence Télégraphique Suisse et deux journaux néerlandais reçoivent une photo de Schleyer accompagnée d’un communiqué qui exige que les recherches entreprises en France, en Hollande et en Suisse cessent immédiatement. Le 7 octobre, 32 jours après l’enlèvement, les mêmes organes de presse reçoivent une seconde lettre du commando.
Au moment où tout semble indiquer que le gouvernement allemand ne cédera pas aux exigences du commando et sacrifiera Schleyer, un élément nouveau intervient : le 13 octobre 1977, un Boeing de la Lufthansa assurant la liaison Palma de Majorque-Francfort est détourné. Le commando « Martyr Halimeh » de la S.A.W.I.O. [67] exige la libération des onze prisonniers de la R.A.F. demandés par le commando « Siegfried Hausner » de la R.A.F. et la libération de deux Palestiniens : Mohamed Mehdi Zinh et Hussein Mohamed Alreshid, emprisonnés en Turquie pour avoir attaqué un avion d’El Al à l’aéroport d’Istanbul, le 11 août 1977.
Le Boeing détourné atteint Chypre où le représentant de l’O.L.P. à Nicosie tente d’engager le dialogue avec les membres du commando qui refusent. L’O.L.P. déclare alors qu’elle n’a aucun lien avec ce commando et condamne cette action. Le 14 octobre, le Boeing gagne Dubaï, l’ultimatum adressé au gouvernement allemand expire le 16 octobre à huit heures G.M.T. et aucune des capitales arabes n’accepte que l’avion se pose sur leur territoire. Le 15 octobre Libération et l’A.F.P. reçoivent un double communiqué du commando « Siegfried Hausner » et du commando « Martyr Halimeh », ce qui indique une coordination entre les deux actions même si le détournement d’avion n’était pas prévu dès l’enlèvement de Schleyer. C’est la première fois que la R.A.F. se retrouve associée à une action menée par des militants palestiniens. Après que l’avion détourné se fut posé à Mogadiscio le 17 octobre 1977 malgré l’interdiction des autorités somaliennes, le commando abat le commandant de bord en signe d’avertissement et expulse son corps de l’appareil. Le soir même, à 23 heures, la section allemande antiterroriste G.S.G. 9 donne l’assaut au Boeing : tous les otages sont libérés, trois membres du commando sont tués, le quatrième, une jeune femme est grièvement blessée. Le chancelier Schmidt, triomphant, annonce qu’il a pu compter sur « l’aide active » de la Grande-Bretagne, de la France, de l’U.R.S.S., de la R.D.A., des U.S.A., de la Grèce, de l’Arabie Saoudite et de la Somalie et que cette nouvelle solidarité internationale a permis le succès de l’opération.
Mort à Stammheim
Le 18 octobre au matin, on annonce la mort d’Andreas Baader, Jan-Carl Raspe et Gudrun Ensslin, une quatrième prisonnière Irmgard Möller a été retrouvée dans un état grave, la poitrine lacérée de coups de couteau. « Suicide collectif » dit la version officielle.
Cette fois, les contradictions des rapports officiels sont encore plus flagrantes que dans le cas de la mort d’Ulrike Meinhof : la balle qui a provoqué la mort d’Andreas Baader est entrée dans la nuque pour ressortir par le front, les traces de poudre se trouvaient sur sa main droite alors qu’il était gaucher, l’arme qui aurait servi au « suicide » de Jan-Carl Raspe a été retrouvée dans sa main alors que tous les médecins légistes s’accordent pour dire que le suicidé laisse échapper son arme, enfin des hématomes suspects sont observés sur le corps de Gudrun Ensslin.
Lorsque Irmgard Möller, survivant à ses blessures aura recouvré assez de force pour pouvoir s’entretenir avec son avocate, la version qu’elle donnera des faits accréditera la thèse de l’assassinat. Elle niera avoir voulu se donner la mort en se poignardant la poitrine [68]. Elle se rappellera avoir soudain perdu connaissance et s’être réveillée dans le couloir central de la prison, sur un brancard, couverte de sang. Elle aurait alors entendu des voix dire « Baader et Ensslin sont froids » (traduction littérale). Selon elle, son évanouissement aurait été provoqué par du gaz soporifique lancé dans sa cellule par une bouche d’aération, Irmgard Möller a expliqué que pendant toute cette période d’isolement, elle, et les autres détenus de Stammheim, n’étaient pas au courant de ce qui se passait à l’extérieur. Elle avait, cependant, appris l’enlèvement de Schleyer avant que les mesures d’isolement n’entrent en vigueur.
Selon les experts et les médecins qui réalisèrent l’autopsie, les détails troublants concernant les conditions de la mort des trois prisonniers ne suffisent pas à prouver qu’ils ont été exécutés.
Cependant, l’hypothèse du suicide, pose deux problèmes non résolus jusqu’à aujourd’hui.
Comment des armes auraient-elles pu être introduites, puis dissimulées à l’intérieur de la prison de Stammheim ? Volker Speitel et Hans-Joaquim Dellwo, anciens membres du bureau Croissant et du « comité contre la torture » de Stuttgart qui ont collaboré avec l’Accusation ont mis en cause les avocats Armin Newerla et Arnt Müller : ceux-ci auraient transporté les armes en pièces détachées dissimulées dans les dossiers préalablement découpés. Cette accusation repose sur la base fragile du seul témoignage de ces deux « repentis » [69]. Avant chaque entretien avec les prisonniers, les avocats étaient fouillés comme n’importe quel visiteur, les prisonniers étaient examinés au retour de chaque séance de parloir, des fouilles très fréquentes étaient opérées dans les cellules. Dans ces conditions, l’explication fournie par Volker Speitel et Hans-Joaquim Dellwo est peu satisfaisante.
Comment les prisonniers auraient-ils appris l’échec du commando « Siegfried Hausner » et du commando « Martyr Halimeh » et comment auraient-ils pu organiser leur suicide ? En effet depuis l’instauration de la loi sur l’interdiction de communiquer « Kontaktsperrensgesetz », quelques jours après l’enlèvement de Schleyer, les prisonniers étaient à l’isolement complet : les visites des avocats et de la famille avaient été supprimées, les journaux et le courrier étaient interdits et les prisonniers ne pouvaient plus communiquer entre eux. On aurait retrouvé un poste de radio dans la cellule de Jan-Carl Raspe et une installation électrique dans les cellules permettant aux prisonniers de communiquer en morse. Mais même si les mesures exceptionnelles d’isolement ont pu être en partie contournées, un système de communication aussi sommaire aurait difficilement permis à quatre personnes de s’entendre pour se donner simultanément la mort. S’ils ont pu le faire de cette manière, c’est que la décision du « suicide collectif » était antérieure à la période d’isolement, et que cette « solution » avait déjà été discutée et approuvée.
Le suicide aurait alors été réalisé de telle sorte que l’on croie à un assassinat. « On peut pousser la perfidie au point de faire passer son propre suicide pour une exécution » dira à ce propos Werner Maihofer, ministre de l’Intérieur. Pour simuler ainsi une exécution collective, il aurait fallu croire à une mobilisation de l’opinion publique en R.F.A. ou à l’étranger. Les prisonniers de la R.A.F. le pouvaient-ils encore ? Depuis l’enlèvement de H.M. Schleyer, des voix se faisaient entendre qui réclamaient l’exécution automatique des prisonniers en cas de demande de libération liée à une prise d’otages [70] ; l’extrême gauche allemande, qui ne se manifestait plus depuis longtemps que pour se démarquer de la R.A.F., avait perdu toute capacité d’indignation. A l’étranger, il y eut bien quelques attentats et manifestations mais qui restent très dérisoires par rapport à ce contre quoi elles entendaient protester : l’assassinat de trois prisonniers.
C’est pourquoi l’hypothèse de l’exécution doit être envisagée ; elle soulève bien sûr de nombreux problèmes, en tout premier lieu celui de l’identité des tueurs.
Le texte écrit à propos de cet événement en novembre 1977 par Jean Baudrillard qui dénonçait le côté morbide, voire obscène, de la polémique sur la mort des prisonniers, sonne aujourd’hui encore juste :
« Même si cette vérité éclatait (si dans quinze ans on établit enfin que Baader a été froidement liquidé), cela ferait tout juste un scandale et aucun pouvoir ne s’en effraiera, il changera d’équipe s’il le faut. Le prix de la vérité pour le pouvoir est superficiel.
... Bonne opération sous laquelle la mort de Baader risque d’être définitivement enterrée.
... Tout le monde s’épuise dans l’argumentation et dans la mise au point - mise au point renforcée par la mise en scène et jouant comme dissuasion gigantes¬que de la mise à mort et de la mise en jeu - tout le monde, et surtout les révolutionnaires qui voudraient bien que Baader ait été "assassiné". Charognards de la vérité eux aussi. Qu’est-ce que ça peut bien faire, suicidé ou liquidé ? Mais c’est que, voyez-vous bien, s’ils ont été liquidés et qu’on peut en faire la preuve, alors les masses, guidées par la vérité des faits, sauront que l’Etat allemand est fasciste, et se mobiliseront pour les venger. Foutaises. Une mort est romanesque ou elle ne l’est pas... » [71]
Le 19 octobre 1977, le corps de Hans-Martin Schleyer était retrouvé à Mulhouse dans le coffre d’une voiture. C’est en termes assez laconiques que le commando « Siegfried Hausner » revendique son exécution :
« Après 43 jours, nous avons mis fin à la misérable existence corrompue de Hans-Martin Schleyer. Schmidt, qui, dans son calcul de pouvoir, a, depuis le début, spéculé avec la mort de Schleyer, peut aller en prendre livraison rue Charles Péguy à Mulhouse, dans une Audi 100 verte, immatriculée à Bad-Hombourg. Sa mort est sans commune mesure avec notre douleur et notre colère après les massacres de Mogadiscio et de Stammheim. » [72]
Le 28 octobre 1977, les prisonniers sont enterrés au « Waldfriedhof » à Stuttgart. Le maire de Stuttgart, membre du C.D.U. et fils du général Rommel, malgré les pressions dont il a été victime (lettres anonymes, articles dans la presse), a tenu à ce que les vœux du pasteur Ensslin concernant le lieu d’inhumation soient respectés. Rommel se dira effrayé du climat de haine sévissant parmi la population. Malgré la suspicion généralisée qui règne à ce moment-là en République Fédérale Allemande, mille personnes environ assistent à l’enterrement. Parmi elles, Manolis Glezos, le résistant grec qui arracha le 31 mai 1941 le drapeau nazi flottant sur l’Acropole ; il déclare : « Pour nous qui avons lutté contre le fascisme le fait que ce crime inhumain ait lieu en Allemagne prend une dimension particulière. » [73] L’I.R.A. a envoyé un message de solidarité.
Deux semaines plus tard, Ingrid Schubert, militante de la R.A.F. arrêtée en octobre 1970 et condamnée à 13 ans de prison, est retrouvée pendue dans sa cellule de la prison de Munich-Stadelheim. Comme Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Jan-Carl Raspe et Irmgard Müller, Ingrid Schubert figurait sur la liste des prisonniers dont le commando « Siegfried Hausner » demandait la libération [74].
Le jeudi 10 novembre 1977, deux jours avant sa mort, son avocat, Maître Bendler lui avait rendu visite. Ils avaient évoqué les événements de Stammheim et Ingrid Schubert avait affirmé qu’il n’était pas question pour elle de mettre fin à ses jours. Mais cette déclaration même sera utilisée comme argument par les tenants de la thèse du suicide. De même la lettre rédigée par Klaus Croissant à la veille de son extradition, le 16 novembre 1977 : « Je ne vais jamais mettre fin à ma vie par suicide. Si on devait apprendre ma mort dans une prison allemande, ne croyez pas aux mensonges de mes assassins » inspira la déclaration suivante au procureur fédéral de Stuttgart : « Maintenant personne ne sera étonné si on apprend que Klaus Croissant s’est suicidé, après la lettre qu’il a écrite. » [75]
L’enlèvement de Hans Martin Schleyer et le détournement du Boeing de la Lufthansa auront été les dernières actions entreprises pour obtenir la libération de prisonniers politiques ouest-allemands. Si les prisonniers de Stammheim avaient été exécutés pour empêcher toute nouvelle tentative de libération par prise d’otages, le but aurait été atteint. Souvenons-nous des paroles d’Herold : « Imaginons les personnes de Baader et Meinhof disparues, le terrorisme se serait-il seulement développé en R.F.A. ? » [76]
En 1977, ce n’est plus l’armée américaine mais l’Etat allemand qui est visé à travers la personne de dirigeants politico-économiques tels que Ponto ou Schleyer ; les nouveaux militants de la R.A.F. sont passés de l’attaque contre les biens à l’attaque contre les personnes. Le groupe, qui s’est reconstitué autour des comités de soutien aux prisonniers de la R.A.F., ne répond plus « aux crimes du système impérialiste » mais « aux crimes de l’Etat allemand » : les expériences de privation sensorielle auxquelles sont soumis les prisonniers, la mort d’Holger Meins et celle d’Ulrike Meinhof.
Les actions de la seconde phase offensive ont encore été plus critiquées par l’extrême gauche légale que les attentats anti-américains de 1972 qui intervenaient dans un contexte de mobilisation générale contre la guerre du Vietnam ; beaucoup de ceux qui avaient accueilli favorablement les premières actions du groupe, accusent la R.A.F. d’être devenue, cinq années plus tard, une organisation de libération de ses propres militants.
Le capital de sympathie, que les militants de la R.A.F. avaient su entretenir par leur lutte intransigeante en prison et pendant les procès, a été ébranlé par les actions de 1977, en particulier celle de Mogadiscio menée par des militants palestiniens solidaires de la RA.F. La pratique du détournement d’avion venait contredire un des principes essentiels du groupe allemand qui était de ne pas concevoir d’actions comportant le risque de tuer ou blesser des civils [77]. Cette prise d’otages affaiblissait l’image morale et politique de l’organisation. Cette action intervenait au moment où la R.A.F., qui avait su mobiliser les grandes organisations humanitaires comme Amnesty International ou la Ligue des droits de l’homme, avait atteint l’un de ses buts : dénoncer sur la scène internationale le fonctionnement des institutions allemandes. Mogadiscio détruisit cet acquis et la réaction au « suicide collectif » controversé de Stammheim resta modérée en Allemagne comme à l’étranger.
La coupure avec l’extrême gauche européenne était à ce moment consommée et devait rendre difficile toute future jonction entre la R.A.F. et les mouvements sociaux à venir, en particulier le mouvement pacifiste qui s’est développé à partir de 1980 autour des thèmes qui étaient chers aux premiers militants du groupe.
La R.A.F. n’a cependant pas été anéantie en 1977 ; d’autres militants se sont regroupés sous ce sigle pour revendiquer de nouvelles actions. Tandis que les deux autres organisations de guérilla ouest-allemande, le mouvement du 2 juin et les Cellules révolutionnaires, se sont effondrées, la RA.F. a su rester un pôle de référence pour les partisans de la violence révolutionnaire.
Chronologie
1966-67
– Fin 1966 / début 1967 : Premières manifestations contre la guerre du Vietnam. Création des premières Communes berlinoises I et II.
– 2 juin 1967 : Lors d’une manifestation contre la visite du Shah d’Iran à Berlin, l’étudiant Behno Ohnesorg est abattu d’une balle dans la nuque par le brigadier Kurras. Inculpé, celui-ci sera finalement acquitté.
1968
– 3 et 4 avril 1968 : Incendie pendant la nuit du 3 au 4 de deux grands magasins de Francfort, le « Kaufhof » et le « Schneider ». 280 000 DM de dégâts. Les incendiaires Andreas Baader, Gundrun Ensslin, Thoward Proll, Horst Sohlein, sont arrêtés le lendemain.
– 11 avril 1968 : Attentat contre Rudi Dutschke, leader du mouvement étudiant allemand. Importantes manifestations à Berlin-Ouest, en R.F.A. et à l’étranger, notamment contre le groupe de presse Springer.
– Pâques 1968 : Un congrès international contre la guerre du Vietnam réunit à Berlin-Ouest des dizaines de milliers de participants.
– 24 juin 1968 : Décrets-lois d’exception qui prévoient de donner les pleins pouvoirs au gouvernement en cas de guerre ou crise interne (Notstandgesetz).
– 31 octobre 1968 : Baader, Ensslin, Sohlein et Proll sont condamnés à trois ans de prison ferme.
1969
– 13 juin 1969 : Après quatorze mois de détention préventive, libération des quatre incendiaires avant la venue en appel de leur procès prévu pour novembre 1968.
– 11 novembre 1969 : La peine de trois ans est confirmée en appel par le tribunal de Francfort. Les accusés refusent de se rendre aux autorités judiciaires et choisissent la clandestinité.
– 20 décembre 1969 : Incendie au « Kaufhaus des Westens » (Kadewe) à Berlin. C’est le huitième attentat à l’explosif ou à la bombe incendiaire à Berlin depuis mars 1968.
1969/1970 : Amnistie pour tous les inculpés ayant commis des délits lors des manifestations étudiantes.
1970
– 26 février 1970 : Le docteur Wolfgang Huber fonde le S.P.K. (collectif des patients socialistes) à la clinique psychiatrique de l’Université de Heidelberg.
– 4 avril 1970 : A Berlin, Andreas Baader, reconnu et arrêté au cours d’un contrôle routier, est de nouveau incarcéré.
– 15 mai 1970 : Andreas Baader qui a bénéficié de l’autorisation de se rendre, accompagné de policiers, à l’Institut des sciences sociales de Dahlem pour y effectuer des recherches, est libéré par un commando armé. Ulrike Meinhof, Horst Mahler, Gudrun Ensslin sont recherchés par la police.
– 22 mai 1970 : L’action de libération du 15 mai est revendiquée dans « Agit 883 » journal contestataire berlinois dans un texte intitulé « Construire l’Armée Rouge ».
– Juin 1970 : Rumeurs sur la présence au Moyen-Orient dans un camp du F.P.L.P., de Baader, Ensslin, Meinhof, Mahler et quelques autres. Interpol envoie des télex à Beyrouth et Damas.
– 29 septembre 1970 : La R.A.F. attaque trois banques à Berlin-Ouest. Bilan : 220 000 DM.
– 8 octobre 1970 : La police arrête cinq membres du groupe dans un appartement surveillé : Horst Mahler, Ingrid Schubert, Monika Berberich, Irène Goergens, Brigitte Asdonck. Inauguration d’un nouveau système de détention comportant l’isolement total.
1971
– 10 février 1971 : Fusillade à Munich entre la police et des terroristes supposés.
– 2 mars 1971 : Ouverture du procès Mahler à Berlin. Mesures de sécurité exceptionnelles. Fouille des spectateurs et des journalistes.
– 24 juin 1971 : Arrestation de sept membres du S.P.K. dont Wolfgang et Ursula Huber.
– 15 juillet 1971 : Petra Schelm, militante de la R.A.F. est abattue à Hambourg par la police. Arrestation de Werner Hoppe qui l’accompagnait.
– 22 octobre 1971 : Fusillade entre policiers et membres supposés de la R.A.F. à Hambourg. Mort du policier Norbert Schmidt (premier policier mort dans une opération contre la guérilla). Arrestation de Margrit Schiller.
– 4 décembre 1971 : Georges von Rauch est abattu par la police à Berlin lors d’un contrôle d’identité. Manifestations à Berlin et dans toute l’Allemagne. Quelques semaines plus tard des jeunes occupent une maison qu’ils baptisent « Maison Georges von Rauch ».
1972
– 14 janvier 1972 : Procès contre Karl-Heinz Ruhland à Düsseldorf. Il met en cause de nombreuses personnalités accusées d’avoir aidé la R.A.F. A la suite de ses accusations, Peter Brückner, professeur de psychologie à l’Université de Hannovre est suspendu.
– 25 janvier 1972 : Manifestation de 10 000 personnes à Hannovre contre la suspension du professeur Peter Brückner accusé d’avoir aidé des membres de la R.A.F.
– 28 janvier 1972 : Décret contre les extrémistes. Décret sur les « berufsverbot » ou « interdictions professionnelles ».
– 2 mars 1972 : Thomas Weisbecker, militant présumé de la R.A.F, est abattu à Augsbourg par la police. Arrestation de Carmen Roll qui l’accompagnait.
– 2 mars 1972 : Fusillade à Hambourg entre des policiers et des membres de la R.A.F. Arrestation de Manfred Grashof et Wolfgang Grundmann. Mort d’un commissaire de police.
– 11 Mai 1972 : Explosion de trois bombes au quartier général américain de Francfort. Un officier américain tué, quatorze personnes blessées (872 000 dollars de dégâts). Action revendiquée le 14 mai 1972 à l’agence O.P.A. de Munich par le « commando Petra Schelm » de la R,A.F.
– 12 mai 1972 : Explosion de deux bombes à la direction de la police à Augsbourg (6 personnes blessées, 27 000 DM de dégâts). Explosion d’une bombe sur le parking des bureaux de la police criminelle à Munich (100 voitures détruites, 10 personnes blessées, 588 000 DM de dégâts). Actions revendiquées par le commando « Thomas Weisbecker » de la R.A.F.
– 15 mai 1972 : A Karlsruhe, explosion d’une bombe dans la voiture du juge Buddenberg chargé de l’instruction contre des membres de la R.A.F. Sa femme est blessée. Le commando « Manfred Grashof » de la R.A.F. revendique l’action.
– 19 mai 1972 : Explosion de deux bombes à la maison d’édition Springer à Hambourg. (34 ouvriers blessés dont 19 grièvement, 340 000 DM de dégâts). Alerte donnée avant explosion non suivie d’évacuation des locaux. Revendication par le « commando 2 juin ».
- 24 mai 1972 : Explosion de deux bombes au quartier général américain de Heidelberg. (3 militaires américains tués, 6 blessés, 130 943 DM de dégâts). Cette action visait un ordinateur assurant une partie de la logistique des actions menées par l’armée américaine au Vietnam. Revendication par le « commando 15 juillet » de la R.A.F.
– 27 mai 1972 : Tous les journaux allemands publient la liste des 19 terroristes recherchés : Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ulrike Meinhof, Jan-Carl Raspe, Holger Meins, Brigitte Mohnhaupt, Klaus Jünschke, Irmgard Möller, Ilse Stachowiack, Ronald Augustin, Katarina Hammerschmidt, Rosemarie Keser, Siegfried Hausner, Bernard Braun, Ralf Reinders, Ingeborg Barz, Albert Fichte, Axel Achterath, Heinz Brockmann. Leurs photos sont également publiées.
– 1er juin 1972 : Arrestation d’Andreas Baader, Jan-Carl Raspe et Holger Meins dans un garage de Francfort. 250 policiers participent à l’opération. Encerclement du bloc de maisons par des blindés.
– 7 juin 1972 : Arrestation de Gudrun Ensslin à Hambourg.
– 9 juin 1972 : Arrestation à Berlin de Brigitte Mohnhaupt et de Bernhard Braun.
– 13 juin 1972 : Heinrich Böll annonce son intention d’émigrer pour échapper à la campagne de diffamation dont il est victime.
– 15 juin 1972 : Arrestation d’Ulrike Meinhof et Gerhard Müller à Hanovre. Ulrike Meinhof est mise à l’isolement complet dans un quartier insonorisé de la prison de Cologne-Ossendorf.
– 19 juin 1972 : Herold, président du B.K.A., déclare à la presse que les récents succès de la police dans la lutte antiterroriste (arrestation de 8 militants de la R.A.F. en deux semaines) sont dus à l’excellente collaboration de la population avec la police.
– 25 juin 1972 : Lors d’une action antiterroriste à Stuttgart, Ian Mac Leod, citoyen britannique, ancien employé du consulat, est abattu par la police dans son appartement. Protestation du consulat britannique. Plainte de la famille. Manifestations à Stuttgart.
– 7 juillet 1972 : Arrestation de Irmgard Möller et Klaus Jünschke.
– 13 juillet 1972 : Arrestation de Jörg Long, avocat de Stuttgart, suspecté de complicité avec la R.A.F.
– 19 décembre 1972 : Après un procès qui a duré trois mois, les docteurs Wolfgang et Ursula Huber et Siegfried Hausner, membres du S.P.K., sont condamnés à quatre ans et demi et trois ans et demi de prison.
1973
– 17 janvier - 15 février 1973 : Première grève de la faim de 40 prisonniers politiques en R.F.A. contre les conditions de détention. Ils réclament la suppression de l’isolement.
– Février 1973 : Horst Mahler est condamné à quatorze ans de prison.
– 9 février 1973 : 12 avocats manifestent, en tenue, devant la cour du Tribunal fédéral contre l’incarcération d’Ulrike Meinhof dans une aile silencieuse de la prison de Cologne Ossendorf.
– 15 février 1973 : Ulrike Meinhof est transférée dans une autre aile de la prison de Cologne-Ossendorf. L’isolement n’est pas supprimé. Fin de la grève de la faim.
– 8 mai - 2 juin 1973 : Deuxième grève de la faim des 41 prisonniers politiques contre les conditions de détention. Fin mai l’eau est supprimée à Andreas Baader avec l’accord du ministre de la Justice de Schwalmstatt. Andreas Baader tombe dans le coma.
1974
– 13 septembre 1974 : Début de la troisième et plus longue grève de la faim des prisonniers politiques contre l’isolement. Alimentation forcée de 25 prisonniers dans huit prisons de R.F.A.
– 9 novembre 1974 : Mort d’Holger Meins au 53e jour de la grève de la faim à la prison de Wittlich (Palatinat). Manifestations dans plusieurs villes de R.F.A. et à Berlin-Ouest. 2 000 personnes dont Rudi Dutschke assistent à l’enterrement à Hambourg. Plainte déposée par la famille contre les autorités de la prison.
– 10 novembre 1974 : Günther von Drenckmann président de la Cour suprême de Berlin-Ouest est abattu par un commando. Revendication par le « Mouvement du 2 juin ».
– Du 11 au 30 novembre 1974 : 4 incendies à Berlin dans des locaux ou véhicules de la police. Une voiture de police incendiée à Göttingen. Attentat à l’explosif devant le domicile du juge Ziegler à Sievensen près de Hambourg.
– Décembre 1974 : Le Parlement vote les articles de loi devant s’appliquer aux procès à venir contre la R.A.F. Ces mesures d’exception permettent :
– de conduire un procès en l’absence des accusés « si ceux-ci se sont eux-mêmes rendus coupables de leur mauvais état de santé » ;
– d’interdire aux avocats de plaider s’ils sont suspectés de soutenir une association criminelle ou de mettre en danger la sûreté de l’Etat ;
– d’interdire la défense collective telle que l’avaient jusque-là pratiquée les avocats de la R.A.F. (désormais un avocat ne peut pas prendre la défense de plus d’un accusé).
– 4 décembre 1974 : Visite de Jean-Paul Sartre à Andreas Baader en grève de la faim à la prison de Stuttgart-Stammheim. Dans une conférence de presse donnée juste après sa visite, le philosophe critique les conditions de détention inhumaines des prisonniers de la R.A.F.
- 16 décembre 1974 : Heinemann, ancien président de R.F.A., écrit à Ulrike Meinhof pour lui demander de cesser la grève de la faim.
– 31 décembre 1974 : Amnesty International dénonce les conditions de détention des prisonniers politiques en R.F.A.
1975
– 5 février 1975 : Après 145 jours, fin de la troisième grève de la faim des prisonniers de la R.A.F.
– 27 février 1975 : Enlèvement de Peter Lorenz, député C.D.U. de Berlin. Opération revendiquée par le « mouvement du 2 juin ». 5 prisonniers (Verena Becker, Rolf Pohle, Ralf Heissler, Gabriele Kroecher-Tiedemann, Ingrid Stepmann) sont libérés six jours plus tard en échange de Lorenz et partent pour Aden. Horst Mahler dont la libération avait été demandée par le commando refuse de sortir de prison.
– Mars 1975 : Les avocats K. Croissant, C. Strobele et K. Groenwold, soupçonnés de complicité avec leurs clients sont récusés pour défendre les accusés de la R.A.F, au procès de Stuttgart-Stammheim.
– 24 avril 1975 : Occupation de l’ambassade d’Allemagne à Stockholm par le « commando Holger Meins » de la R.A.F. qui demande la libération de 26 prisonniers en échange des 11 fonctionnaires pris en otage. Explosion à 23h48. Mort d’un membre du commando : Ulrich Wessel. Nombreux blessés. Mort de l’attaché militaire et de l’attaché économique, exécutés avant l’explosion. Arrestation de Siegfried Hausner, Hanna Krabbe, Lutz Taufer, Bernard Roessner, Karl-Heinz Dellwo, membres du commando, expulsés vers l’Allemagne contre l’avis des médecins suédois qui leur donnèrent les premiers soins.
– 4 mai 1975 : Siegfried Hausner meurt des suites de ses brûlures à la prison de Stuttgart-Stammheim.
– 12 mai 1975 : Passage à la clandestinité de l’avocat Siegfried Haag après un court séjour en prison pour complicité supposée avec ses clients.
– 21 mai 1975 : Ouverture du procès d’Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Jan-Carl Raspe, Ulrike Meinhof devant le haut tribunal de Stuttgart dans un bâtiment construit spécialement dans l’enceinte même de la prison de Stammheim. 500 témoins doivent être cités. Présence de 120 visiteurs dont le révérend Osterreicher d’Amnesty International. 81 journalistes.
– 23 juin 1975 : Arrestation des avocats Croissant, Strobele, libérés après respectivement quatre et sept semaines de détention.
– 29 juin 1975 : Mort de Katarina Hammerschmidt, accusée de soutien à la R.A.F., qui s’était rendue elle-même à la police en juin 1972. Atteinte d’une tumeur à la gorge, elle avait été transférée beaucoup trop tard à l’hôpital malgré la demande du médecin qui la suivait.
– 2 juillet 1975 : Exclusion de Heldmann (avocat de Baader) de la défense au procès de Stammheim.
– Septembre 1975 : Les experts médicaux, non attachés au corps judiciaire, établissent que les prisonniers sont dans un état très grave, dû à leurs conditions de détention et qu’ils sont dans l’incapacité de pouvoir suivre les débats plus de trois heures par jour. Le tribunal décide alors que le procès peut se poursuivre sans leur présence et la Cour de Justice Fédérale l’approuve.
– 13 septembre 1975 : Attentat à la bombe à la gare principale de Hambourg : 11 personnes blessées. Non revendiqué. Attentat condamné par la R.A.F. qui parle de provocation policière.
– 25 septembre 1975 : A la suite de l’affaire Lorenz, 16 mandats d’arrêt sont délivrés.
– 30 septembre 1975 : Le Haut Tribunal de Stuttgart promulgue un arrêté excluant les prisonniers du procès. Cette exclusion est ratifiée par la Cour Fédérale le 22 octobre 1975.
– 21 décembre 1975 : Prise d’otages à Vienne lors de la réunion des ministres de l’OPEP. Deux allemands sont membres du commando : Hans-Joaquim Klein (R.Z.) et une femme encore non identifiée.
1976
– 4 mai 1976 : Au procès, les accusés déclarent endosser collectivement la responsabilité des attentats commis en 1972 contre les quartiers généraux américains en R.F.A. Ils affirment que leurs actes doivent être replacés dans le contexte de la guerre du Vietnam à cause du soutien logistique fourni par les bases américaines d’Europe aux agressions américaines en Asie.
– 9 mai 1976 : Ulrike Meinhof est découverte « pendue » dans sa cellule. La version officielle du suicide est mise en cause par les proches et les avocats. Une commission internationale d’enquête est créée.
– Du 9 au 25 mai 1976 : En relation avec la mort d’Ulrike Meinhof, on dénombre en R.F.A. : 11 attentats ou incendies volontaires, 90 menaces, 23 manifestations et meetings, 42 impressions de tracts, 52 inscriptions murales, et à l’étranger : 20 attentats ou incendies, principalement à Paris et à Rome.
– 1er juin 1976 : Dépôt d’une bombe au quartier général des forces américaines à Francfort, le jour du quatrième anniversaire de l’arrestation de Baader, Raspe et Meins. Attentat revendiqué par les « Cellules révolutionnaires ». 16 personnes blessées dont 3 grièvement.
1977
– Mars 1977 : Le ministre de la Justice et le ministre de l’Intérieur de Bad-Wurtemberg avouent au cours d’une conférence de presse qu’un système d’écoute avait été installé par les services secrets fédéraux à la prison de Stammheim afin d’écouter les conversations entre avocats et prisonniers et cela avant même que ne débute le procès. Les avocats de la défense exigent en vain la suspension du procès qu’ils boycottent à partir de ce jour.
– 30 mars - 30 avril 1977 : Quatrième grève de la faim collective des prisonniers. Ils demandent à être réunis par groupe de quinze à vingt personnes selon les recommandations des experts médicaux et que leur soient accordées les garanties minimales accordées aux prisonniers de guerre par la convention de Genève.
– 8 avril 1977 : Le commando « Ulrike Meinhof » de la R.A.F abat le procureur fédéral Siegfried Buback responsable des conditions de détention des prisonniers de. la R.A.F. Des funérailles nationales sont organisées. Le chauffeur de Buback et un accompagnateur sont également abattus.
– 25-28 avril 1977 : L’état de santé des prisonniers en grève de la faim, depuis quatre semaines, s’aggrave très fortement. Le comité exécutif d’ « Amnesty international » à Londres adresse un télégramme au gouvernement fédéral.
– 28 avril 1977 : Le tribunal de Stuttgart rend son verdict en l’absence des avocats et des prisonniers qui depuis la mort d’Ulrike Meinhof ne sont plus reparus au procès : prison à vie pour A. Baader, G. Ensslin et J.C. Raspe.
– 30 avril 1977 : Pour la première fois le gouvernement cède aux revendications des prisonniers en grève de la faim et leur accorde la promesse formelle qu’ils seront réunis par groupes, avec possibilité de contacts. Fin de la grève de la faim. Dans les médias, le gouvernement est vivement critiqué, il est accusé d’avoir cédé au chantage.
– 27 juin 1977 : L’avocat Klaus Croissant est interdit d’exercer sa fonction d’avocat dans tout procès ayant rapport à la sécurité de l’Etat. Verdict rendu par la deuxième chambre correctionnelle du tribunal fédéral de Stuttgart. On lui retire sa charge de défenseur dans le « procès de Stockholm ».
– 11 juillet 1977 : L’avocat Klaus Croissant demande l’asile politique à la France au cours d’une conférence de presse à Paris.
– 12 juillet 1977 : La douzième chambre correctionnelle du tribunal de Stuttgart lance un mandat d’arrêt pour soutien à association criminelle contre Klaus Croissant,
– 20 juillet 1977 : K.H. Dellwo, Hanna Krabbe, Lutz Taufer et Bernhard Rössner du commando de Stockholm sont condamnés chacun à deux fois la prison à vie par le tribunal de Dusseldorf.
– 30 juillet 1977 : Jürgen Ponto, Président de la Dresdner Bank est blessé mortellement par un commando de deux femmes et un homme. L’action est revendiquée par la R.A.F. La police croit à un enlèvement manqué.
– 8 août 1977 : Suite à une provocation des gardiens, les huit prisonniers de la R.A.F. de Stammheim sont sauvagement frappés et brutalisés par une quarantaine de gardiens. Après cet incident les conditions d’isolement sont rétablies et les prisonniers sont transférés. Immédiatement, les prisonniers réagissent par une grève de la faim et de la soif qui durera jusqu’au 2 septembre. Ils exigent le rétablissement des conditions de détention qui leur avaient été accordées à la suite de leur précédente grève de la faim. Certains prisonniers tombent dans le coma et doivent être transférés à l’hôpital.
– 14 août 1977 : L’organisation « Amnesty international » exige, par télégramme depuis Londres des informations du ministre de la Justice fédérale et du ministre de la Justice de Boa-Wurtemberg. Elle exprime ses craintes devant l’état critique de plusieurs détenus.
– 30 août 1977 : L’avocat Armin Newerla, collaborateur de Croissant, est arrêté à la requête du procureur Rebmann.
– 2 septembre 1977 : Confrontés à la position inflexible du gouvernement allemand, les prisonniers cessent leur mouvement de grève de la faim.
- 5 septembre 1977 : Le « commando Siegfried Hausner » de la R.A.F. enlève le chef du patronat allemand Hans-Martin Schleyer, ancien S.S. chargé de très hautes responsabilités sous le IIIe Reich. L’enlèvement a lieu à Cologne, les quatre gardes du corps, bien armés, qui l’accompagnaient, sont abattus. Le commando exige en échange de Schleyer la libération de onze prisonniers : J.C. Raspe, A. Baader, G. Ensslin, H. Krabbe, S. Schmitz, V. Becker, W. Beer, G. Sonnenberg, I. Möller, W. Hoppe, H. Pohl.
– 30 septembre 1977 : Klaus Croissant, réfugié en France depuis le 11 juillet et poursuivi par un mandat d’arrêt international, est arrêté à Paris. Le même jour, en Allemagne, son associé, l’avocat Arndt Müller est arrêté lui aussi.
– 13 octobre 1977 : Détournement d’un boeing de la Lufthansa assurant la liaison Palma de Majorque-Francfort par un commando palestinien du nom de « Martyr Halimeh ». Il formule les mêmes exigences que celles du « commando Siefgried Hausner » de la R.A.F. soit la libération de onze membres de la R.A.F., dont Baader, Ensslin, Raspe. Il demande, également la libération de deux palestiniens détenus à Istanbul.
– 17 octobre 1977 : Intervention du commando allemand spécial antiterroriste « G.S.G. 9 » à Mogadiscio où le boeing détourné avait atterri en dernier lieu. Trois membres du commando palestinien « Martyr Halimeh » sont tués. La seule survivante est très grièvement blessée. Les otages sont tous libérés.
– Nuit du 17 au 18 octobre 1977 : On retrouve A. Baader et Jan-Carl Raspe tués d’un coup de revolver dans leurs cellules, Gudrun Ensslin pendue et Irmgard Möller la poitrine lacérée de coups de couteau. Seule Irmgard Möller survivra. Les autres sont morts. La version officielle, que de nombreux faits viennent contredire, et principalement le récit de la survivante lorsqu’elle sera en état de parler, est le « suicide ». Depuis le premier jour de l’enlèvement de Schleyer, les prisonniers, grâce à la loi de « Kontaktsperre », avaient été placés dans un isolement total : suppression du courrier, des journaux, des visites des avocats ou parents. Plus rien ne les reliait au monde extérieur.
– 19 octobre 1977 : Le corps de Hans-Martin Schleyer est retrouvé dans le coffre d’une voiture à Mulhouse. Le commando « Siegfried Hausner » de la R.A.F. revendique son exécution.
– 20 octobre 1977 : Création d’une commission internationale d’enquête sur les morts de Stammheim.
– 28 octobre 1977 : Enterrement de Jan-Carl Raspe, Andreas Baader et Gudrun Ensslin au « Waldfriedhof » à Stuttgart. Le maire de Stuttgart, fils du maréchal Rommel, a reçu des centaines de lettres de protestation concernant l’enterrement des prisonniers dans ce cimetière. Rommel ne cède pas et déclare que nul n’est exclu de l’humanité, il se déclare inquiet de telles réactions chez ses concitoyens.
– 12 novembre 1977 : Ingrid Schubert, combattante de la R.A.F. est retrouvée pendue dans sa cellule à la prison de Munich-Stadelheim.
Principaux évènements relatifs à la R.A.F. après 1977 (extrait de la nouvelle édition de l’ouvrage aux éditions L’échappée, en 2006)
1985
– 1er février 1985 : un commando de la R.A.F. abat Ernst Zimmerman, président de l’Organisation fédérale de l’industrie aérospatiale et de l’équipement.
1986
– 9 juillet 1986 : Karl Heinz Beckurts, cadre de Siemens, et son chauffeurs sont tués par l’explosion d’une bombe télécommandée, action revendiquée par le commando Maria Cagol de la R.A.F.
– 10 octobre 1986 : le commando Ingrid Schubert de la R.A.F. abat le diplomate Gérold Von Braunmühl.
1989
– 30 novembre 1989 : attentat contre le président de la Deutsche Bank, Alfred Herrausen. Il meurt et son chauffeur est grièvement blessé.
1990
– Du 6 juin au 18 juillet 1990 : arrestation dans plusieurs villes de R.D.A. de Suzanne Albrecht, Inge Viett, Werner Lotze, Christine Dümlein, Sigrid Sternebeck, Silke Maier-Witt, Ralf Friedrich et Wolfgang Beer.
1991
– 1er avril 1991 : assassinat de Detlev Karsten Rohwedder, directeur de la Treuhandstalt,, organisme chargé de la privatisation de l’industrie est-allemande.
1998
– 18 mars 1998 : les derniers membres de la Fraction armée rouge dans la clandestinité annoncent qu’ils cessent le combat et que leur lutte appartient à l’histoire.
2007
– 25 mars 2007 : Après vingt-quatre ans de détention, Brigitte Mohnhaupt est libérée (liberté conditionnelle. Elle sera pendant cinq ans astreinte à un contrôle judiciaire très strict et devra rendre des comptes à un officier de probation) de la prison d’Aichach située dans le sud de l’Allemagne.
– 17 août 2007 : Liberté conditionnelle pour Eva Haule. Entrée dans la RAF (troisième génération) en 1984, arrêtée en 1986 et condamnée en 1988 à 15 ans de réclusion criminelle ; elle n’avait pas été libérée en 2001 en raison de la découverte de nouvelles charges à son encontre.
2008
– 24 novembre 2008 : La cour d’appel de Stuttgart accorde la liberté conditionnelle à Christian Klar à la fin de sa peine de sûreté. Membre du réseau recrée en 1977 (seconde génération) et arrêté en1982 ; il sera libéré début 2009.
Il reste encore une prisonnière de la RAF en détention :
– Birgit Hogefeld, intégrée dans le groupe (troisième génération) en 1984, mais arrêtée beaucoup plus tard, en 1993. Elle avait été condamnée, en 1996, à trois peines de réclusion criminelle à perpétuité, assorties d’une période de sûreté incompressible de quinze années.
Sept autres personnes soupçonnées d’appartenir au groupe dissous depuis 1998 sont encore recherchées.
[1] Le 24 septembre 77 [note BS (s)éditions].
[2] Les dix-neuf centrales construites seront normalement démantelées à l’horizon 2020. [note BS (s)éditions].
[3] Eurodif (European Gaseous Diffusion Uranium Enrichissement Consortium), est une usine d’enrichissement de l’uranium implantée dans le site nucléaire du Tricastin à Pierrelatte dans la Drôme, fondée par Georges Besse en 1973, inauguré en 1979 et exploitée par une filiale de Areva NC, Eurodif SA. [Notes BS (s)éditions, d’après un article de Wikipédia
[4] A.P.O. : Ausserparlementarisch Opposition.
[5] La conséquence la plus importante de ce changement d’orientation du S.P.D. fut, l’année qui suivit « Bad Godesberg », la révision de la politique étrangère du parti qui acceptait désormais l’intégration de la R.F.A. dans le bloc occidental (Europe/O.T.A.N.).
[6] Springer possède un très grand nombre de titres et contrôle une grande partie de la presse allemande. Publie notamment le quotidien Bild-Zeitung tiré à des millions d’exemplaires, qui est du niveau du Parisien Libéré.
[7] Cité par Philippe nahoun dans Allemagne anti-autoritaire. Ed. La Tête de Feuille, 1971, p. 25.
[8] Konkret : journal mensuel créé en octobre 1957 par Klaus-Rainer Röhl, membre du K.P.D. et directeur de publication du journal étudiant Studenten Kurier d’obédience communiste. Dès sa parution, Konkret est tiré à 20 000 exemplaires et paraît dans trois éditions régionales (Berlin, Hambourg, Munich). Ulrike Meinhof est éditorialiste du journal de 1959 à 1968. En avril 1969, elle annonce officiellement la fin de sa collaboration avec le journal.
[9] Le « Mouvement du 2 juin » a choisi ce nom en souvenir du 2 juin 1967 où l’étudiant Behno Ohnesorg fut abattu par le policier Kurras. Le groupe a revendiqué plusieurs actions dont l’enlèvement de Peter Lorenz et l’assassinat du juge von Drenckmann.
[10] Le 11 avril 1968, Rudi Dutschke circulant à bicyclette sur une grande artère de Berlin, reçut une balle en pleine tête. Longtemps entre la vie et la mort il ne se remit jamais complètement de sa blessure et il mourut en 1980 d’une commotion cérébrale. Son assassin était un jeune ouvrier.
[11] Konkret. mai 1968.
[12] Cette condamnation entraîna une interdiction de plaider, mais Horst Mahler bénéficia de la loi d’amnistie en 1970.
[13] Ulrike meinhof, déclaration de Berlin-Moabit 13.09.1974 in Textes des prisonniers de la Fraction Armée Rouge. Maspéro Ed., 1977, p. 36.
[14] Horst mahler « Look back on terror », interview réalisée par Sylvère lotringer, Revue Semiotext : « The German Issue ». Columbia University, 1982, pp. 100 à 106.
[15] Horst mahler, interview réalisée par Philippe garnier-raymond in Le Monde Diplomatique, 1980.
[16] Deux interviews : Der Spiegel (22.1.1971), Der Spiegel (23.10.1972).
[17] Bernward vesper, Le Voyage. Hachette Ed., collection POL, Bibliothèque allemande, 1981, p. 345.
[18] Le « Petit manuel pour le guérillero urbain » de Carlos marighella est paru dans la revue Sozialistische Politik (« SOPO »), Institut berlinois « Otto Sohr » en juin 1970.
[19] Il s’agit de Norbert Schmidt ; blessé mortellement par Manfred Grashof, il meurt quelques heures après la fusillade.
[20] « Sur la conception de la guérilla urbaine » in La Bande à Baader ou la violence révolutionnaire. Ed. Champ Libre, 1972. p. 109.
[21] Ibid,, p. 112.
[22] Ibid.. p. 116.
[23] Ibid., p. 116.
[24] Déclaration de Brigitte Mohnhaupt au procès de Stammheim (Juil¬let 1976) in Textes de la R.A.F. Maspéro Ed., p. 149.
[25] S.P.K. (Sozialistische Patienten Kollektiv) : Collectif socialiste de patients. Fondé en février 1970 par une cinquantaine de malades de la clinique psychiatrique universitaire de Heidelberg et les docteurs Wolfgang et Ursula Huber. Le S.P.K. constitue une expérience de radicalisation extrême du courant antipsychiatrique et veut « faire de la maladie une arme ». Plusieurs de ses membres, après l’expérience de la répression, ont rejoint la RA.F.
[26] Citation de Jarmer, psychologue de la prison de Cologne, dans A propos du procès Baader-Meinhof. Bourgois Ed., p. 84.
[27] Extraits d’une lettre d’Ulrike Meinhof cités dans A propos du procès Baader-Meinhof. Bourgois Ed., p. 108.
[28] International Herald Tribune, 21 juillet 1977. Frankfurter Rundschau, 5 août 1977. Article de Monika Metzeger correspondante à Washington.
[29] A propos du procès Baader-Meinhof. Bourgois Ed., p. 70.
[30] A propos du procès Baader-Meinhof. Bourgois Ed., p. 73.
[31] Article premier de la résolution 3452 des Nations-Unies, cité dans le rapport annuel (1975-1976) d’Amnesty International, p. 30
[32] Cité dans La Mort d’Ulrike Meinhof - Rapport de la commission internationale d’enquête. Maspéro Ed., p. 81
[33] Op. cit., p. 46.
[34] Ces organisations ont été créées à Berlin et dans plusieurs villes de R.F.A. pour défendre les personnes arrêtées et inculpées pour participation à des délits commis dans le contexte du mouvement étudiant. Schwarze Hilfe (secours noir) est plutôt anarchiste et Rote Hilfe (secours rouge) est plutôt marxiste. L’appellation Rote Hilfe rappelle le Rote Hilfe Deutschlands créé en 1924 par le KPD, Clara Zetkin en était la présidente
[35] La lettre d’Ulrike Meinhof a été publiée dans le Frankfurter Rundschau du 18 décembre 1974. La lettre d’Heinemann avait été publiée la veille.
[36] In A propos du procès Baader-Meinhof, Bourgeois Ed., p. 213.
[37] K.P.D. (Kommunistische Partei Deutschlands) : parti communiste d’Allemagne. Créé en 1974, c’est un des nombreux mini-appareils de partis sectaires et dogmatiques qui ont été créés en Allemagne au début des années 1970. Son organe Rote Fahne, journal hebdomadaire, est tiré à 16 000 exemplaires en 1974.
[38] Lettre entièrement reproduite dans Frankfurter Rundschau du 5 février 1975.
[39] Bückeburg : allusion au procès de Ronald Augustin (ressortissant hollandais), membre de la R.A.F., auquel plusieurs juristes européens (irlandais, anglais, français) ont assisté. Ils avaient été invités par Klaus Croissant, avocat de la défense.
[40] A propos du procès Baader-Meinhof. Bourgois Ed., p. 19.
[41] Ces extraits sont empruntés aux citations du nouveau code de procédure allemand publiées par le « M.A.J. » dans son livre L’affaire Croissant. Maspéro Ed., pp. 26, 27.
[42] Un dossier très complet sur les procédures engagées contre les avocats en R.F.A. a été publié dans le livre La Sécurité contre les libertés publié par un collectif franco-allemand aux Editions « Etude et Documentation Internationales » (E.D.I.), voir chapitre II « Justice et Prison en R.F.A. », pp. 80 et 130.
[43] Bundesnachrichtendienst : Office fédérale des renseignements – service de contre-espionnage ouest-allemand.
[44] Déclaration de la commission internationale d’enquête in La mort d’Ulrike Meinhof. Rapport de la commission internationale d’enquête. Maspéro Ed., pp. 7, 8.
[45] Déclaration de J.C. Raspe au procès de Stammheim le 11 mai 1976 in Textes de la R.A.F. Maspéro Ed., p.49.
[46] Der Spiegel : « Wir wollten alles und gleichzeitig nichts » Ex terrorist Volker Speitel über seine Erfahrungen in der Westdeutschen Guerilla — « Nous voulions tout et rien à la fois » Ex terroriste Speitel sur ses expériences dans la guérilla ouest-allemande. 1980, n° 31. n° 32, n° 33.
[47] Op. cit., Der Spiegel, 1980, n° 31.
[48] Hans Joaquim KLEIN, La Mort mercenaire - Témoignage d’un ancien terroriste ouest-allemand. Le Seuil Ed., 1979, p. 256.
[49] Voir note 6, p. 23.
[50] Communiqué du « Mouvement du 2 juin » in Der Blues - Gesammelte Texte der Bevegung 2 juin (Le Blues. Recueil des textes du « mouvement du 2 juin »), Berlin Ed., anonyme, 1983, p. 195.
[51] Il s’agit de Ralf Mauer, ancien prisonnier de droit commun, qui s’était lié au « Secours Rouge » et au « Comité contre la torture » de Francfort.
[52] Voir p. 49.
[53] Horst Mahler a refusé d’être libéré. Les motivations du commando qui avait demandé sa libération sont assez obscures.
[54] Voir p. 49.
[55] I.V.K. (International Verteidigung Komitee) : Comité international de défense.
[56] Cité dans le bulletin édité par le « comité de soutien aux prisonniers de la R.A.F. » de Paris Combattants anti-impérialistes, n° 3, p. 23, 1977.
[57] Il s’agit d’Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ingrid Schubert, Jan-Carl Raspe, Irmgard Möller, Werner Hoppe, Wolfgang Beer, Helmut Pohl.
[58] Cité dans Infos, 5 décembre 1977. Bulletin du « Comité de soutien aux prisonniers de la RA.F. » de Bruxelles. Ed. Pierre Carette.
[59] Welt am Sonntag, 14 août 1977.
[60] Nous soulignons ce fait, car ces quatre prisonniers seront retrouvés morts ou grièvement blessés dans leurs cellules le 18 octobre 1977.
[61] Berufsverbote : interdictions professionnelles.
[62] Frankfurter Allegemeine Zeitung, 3 septembre 1977.
[63] Le Monde, 2 septembre 1977.
[64] Süddeutsche Zeitung, 7 septembre 1977.
[65] Die Welt, 3 septembre 1977.
[66] Source : Schwarzbuch : Strauss, Kohl und Co. P.D.I. Bernt Engelmann, Cologne Kiepenhauer und Witsch Ed.. 1976.
[67] S.A.W.I.O. (Struggle against world imperialism organisation) : Organisation inconnue qui a revendiqué cette unique action.
[68] Le couteau supposé avoir servi au suicide est un canif à bout rond dont les prisonniers disposaient pour couper leurs aliments.
[69] Contrairement à ce qui s’est passé en Italie, il n’y a pas eu en Allemagne de lois concernant les repentis. Cependant tous les prisonniers qui ont collaboré avec l’Accusation n’ont été condamnés qu’à de courtes peines. D’autre part l’Absatz 6 (alinéa 6) du paragraphe 129 du code pénal stipule qu’un accusé a droit à l’aide et à la protection de l’Etat à sa sortie de prison s’il empêche une action dont il connaît le plan et s’il gène le développement d’une association criminelle par son témoignage.
[70] Süddeutsche Zeitung (10/09/77) : la fédération régionale du C.S.U. réclame l’exécution des prisonniers à intervalles d’une demi-heure jusqu’à ce que Schleyer soit libéré. Der Spiegel (12/09/77) : Becker et Zimmermann (députés C.S.U.) se prononcent pour la mort des prisonniers. Emission Panorama : Golo Mann propose le 17/10/77 d’exécuter les prisonniers comme otages. En France, Jean d’Ormesson s’était prononcé pour cette solution.
[71] Libération, 5 novembre 1977.
[72] Libération, 21 octobre 1977. Le texte intégral du communiqué a été transmis au journal en allemand par téléphone le 20 octobre 1977 a 17 h 30.
[73] Libération, 28 octobre 1977.
[74] Le 27 juin 1976, le commando qui avait détourné un Air-Bus d’Air-France assurant la liaison Tel-Aviv - Paris sur Entebbé avait aussi demandé sa libération.
[75] Lettre du procureur Heissler du 23 décembre 1977 citée dans Libération du 27 janvier 1978.
[76] Forum de Hesse : « Terreur, criminalité, Etat de droit ». Compte rendu Frankfurter Allgemeine Zeitung (30/05/75).
[77] Voir déclaration de Brigitte Mohnhaupt au procès de Stammheim, in Textes de la R.A.F. Maspéro Ed., p. 150.
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