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Chronologie des derniers évènements dans les centres de rétention [20 décembre 2007 - 8 mars 2008]

mis en ligne le 20 mars 2008 - anonymes

CHRONOLOGIE

20 décembre 2007
Des sans-papiers détenus au centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) entament un mouvement de protestation : cahiers de doléances, revendications écrites sur les vêtements ...

27 décembre
Certains des détenus commencent une grève de la faim, expliquant entre autre : « Nous nous sommes fait arrêtés pour certains lors de démarches au commissariat, pour d’autres lors de démarches administratives, pour beaucoup lors de rafles anti-immigrés. Nous refusons d’être traités comme des sous-hommes et appelons l’ensemble des gens qui pensent encore que nous sommes des êtres humains à dire « Stop » à cette politique raciste. » Abou considéré par la police comme un des meneurs du mouvement est transféré au CRA de Vincennes. Le même jour, les détenus de Vincennes entament à leur tour une grève de la faim et refusent de rentrer dans leurs chambres. Abou, qui passe devant le tribunal est libéré.
Dans la nuit du 28 au 29 décembre, 150 CRS font irruption dans le centre de Vincennes pour forcer manu militari les détenus à rejoindre leurs chambres.

29 décembre
Le mouvement s’étend dans les deux centres de Vincennes où de nombreux sans-papiers rejoignent la grève de la faim et refusent de rentrer dans leurs chambres. Les CRS entrent à nouveau pour mater la révolte. Des prisonniers sont mis en isolement. Mais les grévistes continuent d’exprimer leur détermination à ne pas céder. Ils demandent l’arrêt de la politique du chiffre, des rafles et des expulsions. Ce n’est pas une « amélioration des conditions de rétention » qu’ils veulent, mais bien la fermeture des centres eux-mêmes, car ceux-ci ne peuvent pas être humanisés.

30 décembre
Témoignage au CRA de Vincennes : « Il y a à peu près un mois, un sans papier s’est évadé du centre de rétention de Vincennes. Depuis cet évènement, les policiers sont particulièrement énervés et virulents envers les « retenus ». Par exemple, ils entrent dans les chambres pour faire des fouilles à n’importe quelle heure de la nuit, ils font entre 8 à 10 rondes par 24 heures, au lieu de 3 habituellement. Suite à cette évasion, les policiers ont eu pour ordre de dénombrer, tous les soirs, les sans-papiers pour vérifier qu’aucun ne s’est enfui. Avant hier, les retenus n’ont pas accepté de se faire comptabiliser comme du bétail et ont refusé de remonter dans leur chambre. Les policiers ont appelé les CRS en renfort qui ont passé une partie de la nuit à Vincennes. Hier soir, routine. Les policiers exécutent leur tour de surveillance et accusent un homme en train de fumer d’avoir fait entrer un briquet en rétention. Ils le menottent pour l’emmener en isolement. Les autres sans papiers jugent cet acte injustifié et interpellent à leur tour les policiers pour leur demander de le relâcher. Ils font valoir leurs droits et leur refus de l’arbitraire. Mouvement de masse, violences policières, au final, il y a trois blessés légers parmi les retenus. Ils ont vu un médecin, apparemment pas de jambe cassée. Les CRS sont revenus en renfort et sont restés jusqu’à 4 heures du matin. »

31 décembre
Peu après minuit un feu d’artifice a été tiré au-dessus du centre de rétention de Vincennes.

02 janvier 2008
Les sans-papiers détenus au Mesnil-Amelot communiquent qu’ils poursuivent la grève de la faim.

03 janvier
Une manifestation rassemble 200 personnes devant le centre de rétention de Vincennes. La mobilisation prend de l’ampleur. Tous les jours des rassemblements ont lieu devant le centre.

04 janvier
La préfecture organise une visite guidée pour les journalistes afin de prouver que rien ne se passe à l’intérieur et que les conditions de détention n’y sont pas inhumaines, les crapules relaient complaisament.
Le même jour, Paul Wem, prisonnier du Mesnil-Amelot également considéré par les keufs comme un meneur, est expulsé vers le Gabon alors que le Tribunal administratif de Melun n’avait pas encore statué sur le recours formé la veille contre son APRF (arrêté de reconduite à la frontière). Or, il se trouve qu’il ne serait pas gabonais, mais camerounais. À ce titre, l’accès au territoire gabonais lui est interdit – et il demeure enfermé, en zone d’attente au moins dix-neuf jours.

05 janvier
Une manifestation rassemble un millier de personnes devant le CRA de Vincennes. Parloir sauvage, chants et échange de slogans avec les détenus ; feu d’artifice depuis le parking. Les flics chargent et matraquent, une personne est arrêtée, elle sera relâchée le lendemain.

09 janvier
Les détenus nous racontent que le samedi 5 janvier, la police est venue les voir et leur à demandé d’arrêter en échange d’une prochaine libération. Alors que la grève de la faim a cessé, personne n’a été libéré et les pressions policières continuent : les fouilles quotidiennes plusieurs fois par jour, les difficultés à voir un médecin... Leur impression est que les autorités du centre veulent les diviser. Ce qui fait dire à certains que si rien ne change d’ici demain, ils reprendront la grève de la faim.

10 janvier
Ne voyant aucune libération, les détenus ont refusé d’être comptés et de descendre au réfectoire. Ils nous disent qu’ils restent solidaires et prennent les décisions ensemble.

11 janvier
Ils continuent de se réunir et dénoncent la manière dont la police leur attribue arbitrairement une nationalité, comment les détenus sub-sahariens sans passeport sont présentés aux ambassades de Guinée, du Mali ou du Sénégal qui délivrent des laissez-passer sans preuve de leur nationalité.

13 janvier
Un détenu témoigne de ce à quoi peut ressembler une journée au centre de rétention de Vincennes. « Tous les matins on nous fouille. On descend au réfectoire vers 9 heures. Ce midi, on nous a servi des haricots blancs périmés depuis le 5 janvier. Quand on l’a signalé, on nous a répondu qu’ils n’étaient pas là pour regarder les dates. Qu’ils ne voulaient rien savoir. Quand on se repose, les policiers viennent fouiller les chambres. La nuit, ils sont dans le couloir. Lorsque qu’on doit se rendre aux toilettes, ils nous suivent et laissent la porte ouverte. Ils nous provoquent. Ils nous dérangent la nuit en mettant l’alarme entre minuit une heure, pour qu’on ne dorme pas. Malgré tout, on doit se réunir pour communiquer. Il ne faut pas qu’on lâche. Il faut que tout le monde soit d’accord pour relancer la lutte. »

14 janvier
Nous continuons de téléphoner quotidiennement au centre de rétention de Vincennes. On nous a confirmé que dans un pavillon, une vingtaine de personnes ont refusé de s’alimenter pendant au moins trois jours.

15 janvier
Nouvelles du CRA de Vincennes : « On continue de discuter entre nous. On fait des réunions entre les deux pavillons : une personne se rend au grillage pour raconter aux autres ce qu’il se passe dans l’autre pavillon et vice-versa. »

16 janvier

« On a fait une réunion. On s’est parlé pour relancer le mouvement. Beaucoup de personnes n’ont pas le moral. Il ne faut pas baisser les bras. »

19 janvier
Dans le cadre de la journée d’action contre les centres de rétention et contre la directive européenne qui prévoit d’allonger la durée de rétention, 4000 personnes manifestent jusqu’au centre de rétention de Vincennes. « Près de 400-500 personnes rentrent sur le parking. Les flics tentent de les en empêcher. Gros pétards qui détonnent, caillasses, pots d’échappement, bouts de bois et cannettes commencent à voler sur les gardes mobiles et les keufs. De l’autre côté, loin derrière les différentes lignes de gardes mobiles, et derrières les barbelés du centre, les retenus sont là. Ils gueulent « Liberté », ils chantent, agitent des draps blancs ainsi que des banderoles. Ils ne semblent pas se laisser abattre et ils ont l’air toujours bien déterminés. Pas d’arrestation, un feu d’artifice tiré, une voiture (de keufs ou de bourge ?) a vu un de ses pneus crever... Le soir même, la police est entrée dans les chambres pour fouiller et retourner les matelas. »
Des manifs ont lieu dans de nombreuses autres villes contre les centres de rétention : Angers, Nîmes, Lyon, Rennes ... A Toulouse, une personne enfermée crâme son matelas au moment du rassemblement.

22 janvier
Depuis le matin, 20 sans-papiers (sur les 30 présents) retenus au CRA de Palaiseau sont en grève de la faim pour obtenir leur libération. À minuit, à Vincennes, les détenus ont refusé d’être comptés et de rentrer dans leurs chambres. Ils ont essayé de dormir dehors. Les CRS sont intervenus pour les obliger à réintégrer leurs chambres. Tout le monde criait L-I-B-E-R-T-É.

23 janvier
A Vincennes, des détenus ont mis le feu à leur chambre, en brûlant des papiers. La police et les pompiers sont intervenus. Ambiance extrêmement tendue. 6 personnes en grève de la faim au centre de rétention de Nantes. Un rassemblement est appelé le jour même devant le centre.

24 janvier
Certains détenus ont refusé de manger et ont jeté la nourriture sur le sol.

25 janvier
Depuis 18h30, les sans-papiers du centre de rétention de Vincennes se battent contre la police. Ils ont commencé par refuser de se rendre réfectoire pour protester contre les traitements indignes qu’on leur inflige tous les jours. 21 heures : un détenu nous raconte que Brard (député-maire de Montreuil) est venu dans le centre de rétention : « Il nous a dit qu’il fallait respecter les policiers. Il nous a dit qu’ils n’étaient pas responsables et que les décisions venaient de plus haut. Les gens lui ont répondu qu’ils ne cherchaient pas améliorer leurs conditions de détention, ils veulent la liberté. ». Une chambre a déjà été incendiée. Sur place, on parle d’émeutes. A Nantes, un des grèvistes de la faim est libéré. Un autre considéré comme un des meneurs est envoyé sur Rennes.

26 janvier
Entre 16h et 20h, une trentaine de personnes se rassemblent en solidarité devant le centre de Vincennes. Fort déploiement de flics qui tentent de canaliser le rassemblement loin des grilles, mais à deux reprises des parloirs sauvages s’improvisent avec cris et échanges de slogans avec les retenus. Ensuite le parking est évacué manu militari.
Compte rendu de détenus : Midi « Un premier feu a pris dans les toilettes. Ensuite, deux chambres ont brûlé. On a refusé de manger. On a empêché l’accès au réfectoire en bloquant les portes. La police nous a demandé de laisser passer ceux qui voulaient manger. Ils ont fini par nous dégager. Mais seulement une minorité est allé manger. » Pendant le rassemblement (15h) : « La police nous empêche l’accès à la passerelle depuis laquelle nous pouvons vous voir. Mais nous pouvons vous entendre. ». 18h : « Une soixantaine de CRS sont entrés dans le centre. Ils ont fouillé toutes les chambres. Ils nous ont fouillé. Ils ont trouvé un briquet. Ils ont transféré deux personnes dans l’autre bâtiment. » Le soir, des détenus sont tabassés.

27 janvier
La tension ne cesse de monter depuis hier soir au centre de rétention de Vincennes. Les familles ont attendu en vain de pouvoir rendre visite à leur proche. Les affrontements directs entre sans-papiers et policiers ont repris dès cet après-midi. Deux départs de feux ont de nouveau nécessité l’intervention des pompiers. Un sans-papier qui doit sortir tantôt expliquait se faire tout petit, rester dans son coin pour ne pas se faire remarquer : « on dirait que c’est la guerre ici ». Autres échos à 15h : « Aujourd’hui, dans le bâtiment deux, le feu a pris dans une chambre de quatre personnes. Les pompiers sont entrés pour éteindre le feu. Ils nous ont enfermés dans le réfectoire. 20 policiers sont venus chercher 4 personnes violemment. Ils sont en garde-à-vue pour avoir mis le feu au centre. »
Vers 15 heures, une soixantaine de personnes tentent de se rassembler pour protester contre le camp de rétention de vincennes, mais la présence policiére massive encadre immédiatement le rassemblement.

28 janvier
Rassemblement d’une vingtaine de personnes à Nantes devant le CRA au commissariat Waldeck-Rousseau, où un détenu continue la grève de la faim entamée le 20 janvier. Des slogans sont lancés au rythme des tôles ondulées du chantier. Un rassemblement est appelé tous les soirs devant le Centre à partir de 17h30. A Rennes, au CRA de St Jacques de la Lande une grève de la faim a également débuté.
Au Centre de Vincennes, l’ambiance est extrêmement tendue. Trois tentatives de suicide et les personnes sont transportées à l’Hôtel Dieu. Quatre détenus sont mis en isolement : motif, ils parlent trop avec les « agitateurs « de l’extérieur, ou ils se sont mis en colère pour une visite supprimée. Quatre autres personnes sont extraites du Centre et placées en garde à vue. Considérés comme meneurs, ils sont accusés de la mise à feu des chambres.

29 janvier
A l’issue de la garde à vue, deux des personnes sont relâchées et ne sont pas ramenées en centre de rétention. Deux autres détenus qui ont fait une tentative de suicide sont libérés.

30 janvier
Les deux autres personnes placées en garde à vue, sont transférées au dépôt pour passer devant la 23ème chambre correctionnelle à Cité. Pour l’une d’entre elles, le dossier est directement classé par le procureur faute d’éléments, elle est relâchée. La deuxième passe en comparution immédiate. La qualification retenue est « incendie involontaire avec une cigarette oubliée allumée ». Il prend deux mois avec sursis mais est immédiatement libéré. Les quatre sont donc libres. Au Centre de Vincennes, deux nouvelles tentatives de suicide.

31 janvier
Des détenus contactés par téléphone à Vincennes expliquent que certains d’entre eux sont toujours en isolement, d’autres en grève de la faim, d’autres désespérés parlent de suicide.

1er février
Une quinzaine de détenus déchirent leurs cartes (qui servent à la fois à avoir accès à la bouffe, au médecin, à la Cimade, mais aussi à vous contrôler à chaque instant et à vous compter à minuit). Ils les jettent ensuite dans le couloir.

3 février
Un détenu explique que la situation est toujours tendue dans le Centre : de nombreuses personnes sont en grève de la faim, tous les jours il y a des tentatives de suicides (par pendaison, médocs ou en se tailladant les veines). Après passage à l’Hôtel Dieu, c’est très aléatoire : ces personnes sont soit relâchées, soit ramenées au Centre. Il dit aussi que des bagarres éclatent régulièrement avec les flics et que ces derniers flippent qu’ils foutent le feu. Le rassemblement et les feux d’artifice de samedi soir ont bien été entendus à l’intérieur. Ça fait toujours chaud au coeur...
Au CRA 2, des détenus se sont réunis pour écrire une lettre au commandant du centre. La police a voulu isoler la personne qu’il jugait être à l’initiative de cette lettre. Les détenus s’y sont opposés. Deux d’entre eux ont été mis en isolement, un autre a le doigt cassé.
CRA 1 : « Dimanche, on a refusé de manger le midi et le soir. La nourriture était périmée. On a décidé d’écrire une lettre au commandant. Pendant qu’on l’écrivait un policier est passé dans le couloir pour demander ce qu’on faisait. Il a ajouté que c’était n’importe quoi. Quelqu’un lui a répondu « ta geule ! ». Il est parti et il est revenu avec 5 collègues. Ils ont voulu le prendre récupérer la lettre. On a refusé. On a dit qu’il n’avait rien fait qu’il ne faisait qu’écrire une lettre. On a manifesté pour qu’il laisse le monsieur. Alors, une quarantaine de policiers du centre ont débarqué et nous ont frappés. Un monsieur a le doigt cassé. Il a un certificat médical. Il a porté plainte contre le policier avec la Cimade. Ce soir on a une réunion tous ensemble. » « On a voulu écrire une lettre au commandant. À ce moment-là, un monsieur égyptien est venu me voir pour me demander s’il pouvait dormir avec des gens qui parlent la même langue que lui. Le policier était pressé de le ramener dans sa chambre. J’ai répondu au policier de nous laisser nous entraider et de se taire. Cinq autres policiers sont revenus pour m’enmener. Les autres retenus s’y sont opposés. Ils sont alors revenus à vingt pour m’emmener. Les autres retenus s’y sont opposés. Ils ont cassé le doigt à un monsieur et ils ont gardé deux personnes. Pendant tout ce temps, on s’est mobilisé pour qu’ils les libèrent. Ils ont finalement été relâchés. »

04 février
« Hier, une quinzaine de personnes ont déchiré leurs cartes et les ont jetées dans le couloir. La police nous parle mal. Les rasoirs qu’ils nous donnent, je ne sais pas ce qu’ils ont. Parfois, je me demande s’ils n’ont pas déjà servi. Tous les gens qui s’en servent ont des boutons. Hier soir, un nouveau retenu est arrivé, les flics ne lui ont pas donné de chambre, ils lui ont dit : « trouve-toi une chambre ». Ils font cela quand il n’y plus de place dans le centre. Les refus de comptage, je dirais que c’est presque tous les jours. Parfois, on refuse un peu. Parfois, on refuse beaucoup. »

05 février
CRA 2 : « Il n’y a toujours pas de chauffage. Le soir, il fait froid dans les chambres. Ça fait 11 jours que je suis ici. C’est la première fois que je rentre dans un centre de rétention C’est une prison, ça rend les gens dépressifs. Moi, je ne m’alimente pas depuis 11 jours. Hier soir, les flics ont éteint la télé. Un jeune a demandé aux flics de la rallumer. La policière lui a répondu : « Va te faire enculer ! » Il lui a sauté dessus. Ils se sont battus. Ils l’ont placé en isolement. On a manifesté pendant 20 minutes pour qu’il en sorte. Ils l’ont sorti de l’isolement. Aujourd’hui, il a été libéré. Ils m’ont retiré mon portable parce qu’il y avait une caméra. On n’a pas le droit d’avoir de stylos ni de papier. »
« Je suis passé hier devant le Juge des Libertés et de la Détention. On était sept. C’était décidé d’avance. On a tous pris 15 jours de plus. Tout à l’heure, le commandant m’a reçu dans le couloir. Je lui ai parlé de nos préoccupations. Ils nous ramènent des jeunes policiers qui nous insultent. Nous avons des problèmes pour accéder aux soins. Des personnes sont expulsées sans être averties à l’avance. Ils viennent les chercher tôt le matin pour les emmener. Les gens du guichet ne nous respectent pas. Quand nous avons besoin de leur demander quelque chose, ils ne nous répondent pas. Ils restent à parler au téléphone. La nourriture est périmée. Les briquets sont interdits. Si nous voulons fumer, il faut demander du feu aux policiers qui disent ne pas en avoir. Les policiers se moquent de nous. Ils nous disent qu’ici on est nourri et logé et nous demandent ce que l’on veut de plus. Ils nous manquent de respect. Parmi les policiers certains sont racistes. Ils disent qu’ils sont chez eux et pas nous. Ils veulent créer des problèmes entre les ethnies. Lorsqu’on refuse de manger, ils nous disent de laisser manger les Chinois, de laisser manger les Congolais. Mais nous sommes tous d’accord pour ne pas manger et personne n’est forcé. Nous, on veut notre liberté. On n’est pas venu en France pour aller en prison. On a dit au commandant qu’aujourd’hui nous attendions des réponses à notre lettre. »

07 février
« J’ai parlé au commandant au sujet de la lettre. Il m’a dit l’avoir faxée au préfet. Mais il n’y a toujours pas de résultats. Des gens ont été libérés. Des nouveaux arrivent dans le centre. Je ne peux pas leur parler de la lutte tout de suite. Je dois d’abord leur expliquer comment fonctionne le centre. Ils doivent d’abord régler leurs affaires avec l’ambassade. C’est dur de les convaincre. »

08 février
CRA 1 : « Il y a un peu de calme. La plupart des anciens, les plus combattants ont été libérés. Il y a beaucoup de nouveaux. Il ne peuvent pas tout de suite se mettre à protester. Il faut qu’ils voient et qu’ils comprennent. Ceux qui sortent de garde-à-vue, ils ont faim, on ne peut pas leur dire de ne pas manger. Pour l’instant, il n’y a pas de cœur à faire des choses. Moi aussi, j’ai senti que j’étais en danger. Mais, je sais qu’il est important que nous exprimions notre colère. On a toujours pas eu de réponse à la lettre que nous avons écrite. On s’est un peu arrêté. Quand nous faisons des choses à l’intérieur notre but est de mobiliser les associations. Si elles ne se mobilisent pas, c’est difficile. »
Nous les informons de la manif du lendemain. « C’est bien, cela va nous faire plaisir. On va essayer de sortir et de manifester avec vous. » Nous leur expliquons que la police nous empêche d’approcher trop proche du centre... « Nous aussi, elle nous empêche de venir vous voir. »
« Il y a un garçon malade. Il était dans une chambre en bas proche de l’infirmerie. Quatre policiers sont venus pour l’emmener de force dans une chambre en haut. Nous sommes tous sortis des chambres et nous avons dit aux policiers de l’emmener à l’hôpital ou de le laisser dans la chambre proche de l’infirmerie. Ils l’ont finalement emmené à l’hôpital. »

09 février
Nous appelons depuis le rassemblement devant le centre de rétention de Vincennes. CRA 1 : « On vous entend. Nous aussi, on a manifesté à l’intérieur pour vous accompagner. Une personne a été mise en isolement. On s’est tous rassemblés. Une personne de chaque communauté est présente. On discute de ce que l’on peut faire dans les prochains jours. Il faut que vous restiez mobilisés. » CRA 2 : « On est sortis dehors. On vous a vus. On s’est tous mis à la grille et on a crié liberté. J’ai l’impression qu’en France tout le monde devient « bleu ». Les policiers étaient plus nombreux que vous les manifestants. »

10 février
« Ce midi, nous avons refusé de manger. La date de péremption de la nourriture est aujourd’hui. Nos proches ne peuvent pas nous amener à manger dans le centre. Les policiers disent que c’est interdit. Nous devons aussi acheter nos cigarettes dans le centre. On en dépense de l’argent ici. »

11 février
« Les gens n’ont pas le moral. Plus personne ne descend dans les salles communes. Le réfectoire et la salle télé sont vides. Les gens restent dans leur chambre. On sort s’asseoir dehors entre 14 et 16 heures quand il y a du soleil. Je suis là depuis 18 jours et je suis fatigué. J’ai envie de sortir. »

12 février
A 1h25 du matin, nous recevons un coup de téléphone de quelqu’un avec qui nous sommes en contact à l’intérieur du centre : « Tout a commencé vers 23h30 suite à une provocation de la police. Nous étions devant la télé. La police a éteint la télé sans rien dire, sans explication. On a demandé qu’ils la rallument. Ils n’ont pas voulu. Le ton est monté très vite. Ils ont voulu prendre une personne pour la mettre en isolement. On a empêché la police de le prendre. Ils nous ont demandé de monter dans les chambres pour le comptage, on a refusé. Alors, ils sont revenus en nombre. Ils étaient plus de 50. Ils y avaient des CRS et des policiers. Ils nous ont séparés en deux groupes puis ils nous ont tabassés dans l’escalier, dans le couloir dans les chambres. Je dirais qu’il y a cinq personnes blessées dont deux graves. L’un semble avoir le bras cassé, l’autre le nez cassé. Pour celui qui a le nez cassé, ils sont rentrés dans sa chambre et ils l’ont tabassé. Il y a plein de sang dans sa chambre et dans le couloir. L’infirmier est venu et il a dit qu’il ne pouvait rien faire et qu’il fallait appeler les pompiers. Les pompiers sont venus. Ils ont emporté cinq ou six personnes. Certains sont à l’hôpital, d’autres sont en isolement, on ne sait pas trop. »
Témoignage recueillis ce matin mardi 12 février 2008 à 11h. « Entre 3h30 et 4 h, ils sont venus nous fouiller. Ils nous ont tous sortis dehors. Certains n’ont pas eu le temps de s’habiller. On a attendu une demi-heure dans le froid. Pendant ce temps-là, ils ont fouillé les chambres. Puis, ils nous ont fouillés 10 par 10. Quand nous sommes rentrés dans les chambres, on a trouvé un Coran déchiré et piétiné. Des chargeurs de portables détruits, les fils coupés, des téléphones avaient disparus. »
Départ et mise à feux de deux chambres à 3 heures. Deux blessés graves emmenés à l’Hôtel Dieu dans la nuit. Cet après midi, un est rentré au CRA avec le certificat medical : traumatisme crânien sans perte de connaissance, avec plaie et agrafes, et hématomes importants au bras. Le deuxième n’est pas revenu ce soir, il aurait le nez cassé. Les 4 personnes considérées comme responsables des violences ont été transportées au CRA2. On apprendra quelques jours plus tard que la police a fait usage de tasers.
Le même jour, prétextant une évacuation sanitaire, 400 flics débarquent dans le foyer pour travailleurs immigrés de la rue des terres-au-curé, dans le 13e arrondissement de Paris. Deux résidants terrorisés par les chiens et les portes qui volent en éclats sautent par la fenêtre. L’un d’eux est toujours hospitalisé. Le foyer est ravagé et « liquidé », selon le mot des flics sur place. 115 personnes sont raflées pour défaut de papiers d’identité ou aide au séjour d’immigrants illégaux. Une manifestation s’organise l’après-midi même. Le lendemain, une marche réunit 1000 personnes.

13 février
« Aujourd’hui, la police des polices (IGS) est venue dans le centre. On a témoigné contre les policiers qui ont tabassé les mecs et pour le coran déchiré. On attend maintenant de voir comment ça se passe. Quatre personnes sont toujours en isolement. Ils les ont pris quand il y a eu les violences. On ne peut pas les voir. On ne peut pas leur parler. »

14 février
La version politico-policière présentant les résidants comme des marchands de sommeil tombe lorsque les tribunaux relaxent neuf personnes accusées de partager leur propre chambre. Des réunions ont lieu tous les soirs au foyer à 18 heures.

15 février
« Depuis l’arrivée des gens du foyer, le centre est archi-plein. Tous les soirs, les CRS et un inspecteur sont présents pour le comptage. Pour l’instant, c’est plutôt calme. »

18 février
« Rien de nouveau. C’est calme. Deux personnes ont été libéré aujourd’hui. Il y a des gens qui dorment par terre. Les CRS ne viennent plus pour le comptage. Il y a seulement les policiers. »
« Ils ne restent que trois anciens qui ont participé à presque toute la mobilisation. Les autres ont pour la plupart été libéré. C’est difficile de parler avec les nouveaux. Ils sont déprimés. Ils viennent de garde à vue. Ils ont peur. Dans l’autre bâtiment les gens crèvent de froid. Il n’y a plus de chauffage. »

19 février
« On s’est réuni aujourd’hui, les représentants de chaque communauté étaient présentes. On pense faire une grève de la faim de quatre jours. Mais on veut que tous les retenus suivent. »

20 février
« Hier soir, on a fait une réunion, on est resté longtemps, on a parlé de la grève de la faim. Ce matin on a parlé avec les maliens, parce qu’il faut qu’on soit tous solidaires. On essaie d’organiser les choses. On s’est mis d’accord sur quatre jours pour le grève. Après on a fait la lettre pour la Cimade et là ma chambre c’est comme un bureau, tout le monde vient la signer ! On essaye de contacter les gens de l’autre centre pour qu’ils suivent. On a commencé la grève de la faim ce midi. Personne n’est allé manger. Six policiers sont allés voir les Chinois pour leur dire de manger. Ils ont refusé. Après, on s’est regardé et on a rigolé. »
À midi l’ensemble des détenus du centre n°1 ont refusé de manger, débutant ainsi leur grève de la faim. Ils se sont réunis pour écrire un communiqué qui sera remis à la Cimade avec la signature de l’ensemble des retenus et qui nous a été dicté au téléphone.

Communiqué des grévistes de la faim du centre de rétention de Vincennes.

Nous avons l’honneur de vous informer que l’on vit une situation très difficile et catastrophique. Le manque de la moindre des choses, la nourriture, les chambres sans chauffage, pas d’eau chaude, l’hygiène, les provocations des services de l’ordre et la chose la plus importante : la privation de notre liberté. Dans le centre de rétention des chambres ont été incendiées. Un coran a été déchiré par les CRS. On a pas eu de réponse satisfaisante à notre égard de monsieur le procureur de la république. Après notre témoignage, c’est comme si rien ne s’était passé. Quand nous sommes malades, les médecins ne nous donnent que du doliprane et des cachets pour dormir. _ On a 90% des détenus qui sont musulmans, ils nous servent de la viande pas hallal. Après trop de demande et des grèves, personne ne nous a écouté. Le manque de courtoisie bien que nous sommes dans un centre de rétention et pas pénitentiaire, mais c’est le contraire qu’on subit et de cela on garde un sentiment de mépris.
Pour toutes ces raisons nous demandons à tous les medias qu’ils soient au courant et qu’ils écoutent les témoignages des retenus. Nous exigeons notre libération et nous commençons une grève de la faim qui durera un délai de 4 jours.
Notre place n’est pas ici mais dehors.

Les grévistes de la faim du centre de rétention de Vincennes

(texte dicté au téléphone depuis le centre de rétention de Vincennes)

21 février
Matin : « Cette nuit, ils ont déchiré ma carte. Ma chambre est devenu un bureau. Les gens viennent pour signer le texte ou quand ils ont besoin d’un renseignement, d’une information. Alors, j’ai collé ma carte sur la porte avec de la confiture pour que les gens sachent que c’est ici. Le matin, je l’ai retrouvée par terre déchirée. Il ne m’aime pas. Un policier m’a bouculé dans les escaliers. Je lui est demandé de s’escuser. Ils m’ont mis en isolement. »
Après-midi : « On a arrêté la grève. La police est venue parler aux gens. Une trentaine de personne est allée manger, cela a cassé le moral des autres. »

22 février
« Un sénateur UMP et un journaliste sont venus nous voir. »

23 février
« On s’est mobilisé parce qu’une personne a dépassé les trente deux jours et il ne le libérait pas. On est passé dans toutes les chambres pour expliquer la situation. On est tous descendu à l’accueil. On a tapé sur les tables, on a crié « liberté ». Le chef du centre est descendu et il a demandé pourquoi on faisait cela. On a expliqué le cas. Il a dit qu’il allait téléphoner à la préfecture. Une heure après il est redescendu et il a dit : " Tu peux aller chercher tes affaires, tu es libre. " »

25 février
« Plusieurs sénateurs sont venus nous voir. Il y avait aussi François Hollande. Nous avons parlé avec lui. »

27 février
à 19h au CRA 1 : « Aujourd’hui, 2 maliens se sont fait expulser au CRA 1. Ils viennent d’afficher que demain, il y aura 12 expulsions vers le Mali, l’Algérie et la Turquie. Hier, nous avons été 18 personnes à être convoquées devant le consul. Ils nous ont emmenés jusqu’au centre de rétention du Mesnil-Amelot où se trouvait déjà le consul. Ils nous ont transféré en car, mais ils ne nous ont pas attaché pendant le transport. Nous ne sommes restés que 2-3 minutes chacun avec le consul. Pour l’instant ils ne nous ont rien dit. J’attends de voir ce qu’il va se passer pour moi. J’en suis à mon 15ème jours de rétention. Je passe vendredi ou samedi devant le juge car le précédent m’avait maintenu jusqu’à samedi 16h40. Le tribunal administratif a déjà refusé mon recours. »
« C’est la deuxième fois que je passe par ce centre. La première fois j’y suis entré le 29 novembre et sorti le 31 décembre. Je confirme les violences qui ont été commises par les policiers. Hier soir la plupart de ceux qui ont entamé une grève de la faim, ont mangé. Il reste une vingtaine de personnes en grève. Des journalistes sont passés au centre suite aux manifestations que nous avons faites jusqu’au 25 février. »
« Je connais un monsieur ici qui est malade. Il a mal au ventre depuis qu’il est entré dans le centre. Il a des enfants nés en France. Il est passé devant le juge des libertés mais il ne l’a pas libéré. Il est passé devant le tribunal administratif mais il est toujours là. De toutes manières le juge n’écoute même pas les avocats. »
Et au CRA 2 : « Tout le monde ici est déprimé. Cela fait 4 jours que je suis en grève de la faim. Hier, on a parlé avec le commandant. On veut soit être libéré, soit être expulsé, mais nous ne voulons plus être prisonnier dans le centre. Il a bien eu notre lettre de doléances et l’a envoyé au préfet. Il y a beaucoup d’expulsion par jour. Nous n’avons peut être pas de papiers mais nous avons des droits. À l’infirmerie, quoi qu’on ait comme maladie, ils nous donnent toujours le même médicament : du Di-Antalvic. Personne ne nous donne de renseignements. La police est partout. À minuit, ils nous comptent. Ils tapent dans les portes. Ils entrent. Ils fouillent les chambres. Ils se foutent de savoir si les gens dorment. Certains ne savent même pas qu’ils vont être expulsés. En principe ils doivent prévenir les gens 72 heures avant. Mais nous ne sommes prévenus que la veille. Et il arrive que les policiers viennent chercher les gens à 5 heures du matin pour les emmener à l’aéroport et les expulser sans qu’ils le sachent. 70 % des personnes du centre sont expulsées. Dans mon bâtiment, ils expulsent surtout des Magrébins ».
« Au sujet du texte que nous avons rédigé hier, le commandant nous a affirmé l’avoir envoyé au préfet. Il nous a dit qu’il n’y aura pas de réponses favorables. On a demandé à voir un responsable mais personne ne répond à notre demande. On essaye avec des collègues de faire exister une mobilisation. Une personne fait la grève de la faim depuis 28 jours. Moi je suis en grève depuis 4 jours. Certaines personnes sont en danger dans leur pays. Si elles rentrent, elles risquent d’aller en prison pour des années, d’autres peuvent se faire tuer ? Les gens ont peur. Ils ne veulent pas se battre. Ils sont trop déprimés. »

28 février
CRA 2 : « Avant ils nous réveillaient à 3h du matin pour le comptage ; maintenant c’est à 18h. Certains continuent la grève de la faim, ils sont très fatigués ; moi j’ai fait la grève lundi, mardi, mercredi et j’ai arrêté car il y a eu des pressions du commandant et ils nous disent que de toute façon cela ne sert à rien. Ce matin 2 maliens du foyer de terres au curé ont été expulsés d’Orly ; ils ont appelé du Sénégal pendant leur transit. Ceux d’hier sont revenus au centre. Demain il y aura 2 autres expulsions. Il a été voir le consul mardi et pour l’instant il n’a pas la réponse ; il sera au TGI demain ».
CRA 1 : Les détenus parlent d’un climat plutôt calme à l’intérieur du centre. Les fouilles ne se passent plus au milieu de la nuit, mais au guichet où ils donnent leur carte pour le dîner. Les fouilles se font donc tous les soirs, avant le dîner, vers 18h00. Chaque jour il y a des expulsions, le nom des personnes ainsi que le numéro de vol et l’horaire de départ sont affichés dans un tableau entre 20h00 et 22h00. Aujourd’hui 9 marocains ont été expulsés, demain l’expulsion de 2 maliens avec escale à Casablanca est prévue. Hier un jeune Algérien de 27-28 ans a tenté, pour la seconde fois, de se suicider. Il s’est pendu avec les lacets de son blouson. Il l’a fait dans la nuit, vers 2h00 mais il ne c’est pas rendu compte qu’il y avait une caméra devant lui et donc les policiers sont tout suite intervenus, l’ont gardé pendant la nuit et puis l’ont laissé retourner dans sa chambre. « Il nous a dit qu’il en avait marre de rester enfermé ; soit ils le relâchent ou soit ils le conduisent au bled, mais c’est ici, enfermé, qu’il ne veut pas rester. Il est dans le centre depuis 12 jours. C’est le harcèlement quotidien dans le centre qui est dur : les personnes qui doivent aller au TGI à 10h00 sont réveillées à 6h00 du matin. »

Texte envoyé par les détenus de CRA 2 de Vincennes :

Tous les détenus du centre de rétention de Vincennes
Au secours, au secours, je suis le droit de l’homme ma vie est en danger. L’homme est devenu un chiffre. L’homme est chassé dans les gares, dans son lieu de travail et dans les lieux publics. Arrêtons ! Arrêtons la chasse à l’homme ! c’est urgent ! Attention ! j’entends un cri ! D’où vient-il ? Il approche, c’est un demandeur de secours. Est ce que j’ai entendu LIBERTÉ ? Je m’approche de lui, oui c’est la LIBERTÉ qui est en danger. Qu’est ce qu’elle dit ? Elle dit « c’est fini ! c’est fini ! ma vie est partie. Je n’ai plus de vie ici avec un système Sarkozy. » J’ai pris ma soeur et je suis parti. Mais on entendait beaucoup de cris de demandeurs de secours. Tout le monde crie. Les oiseaux crient, la nature aussi. On dirait un nouveau Tsunami et tout ça dans un pays de fraternité, d’égalité et de liberté.

3 mars
CRA 2 : On nous raconte qu’il y a déjà 4 personnes du Foyer Terre aux Curés qui ont été expulsées et que 11 sont toujours à Vincennes. « Je suis passé au TGI de cité ce matin. J’ai appelé mon avocat, mais il n’a pas voulu venir. Le juge m’a dit que sans avocat il ne pouvait pas me faire sortir. La plupart d’entre nous sommes passés par plusieurs tribunaux et nous avons aussi rencontré le Consul. L’atmosphère au centre est plus calme, même si la nuit, les bruits continuent. J’ai fait trois jours de grève de la faim, mais si on est que trois, c’est difficile. Les policiers disaient aux personnes que l’on mangeait alors que nous ne mangions pas. Il faut être beaucoup pour que les policiers se rendent compte que nous faisons la grève et qu’ils nous écoutent. Les vols pour demain n’ont pas encore été affichés. »

8 mars
Plus d’une centaine de personnes se sont rassemblées à Nantes samedi 8 mars entre 11h et 13h.

Chronologie mise à jour le 12 mars 2008.

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Ils disent que c’est un centre de rétention, mais c’est une prison.

Interview de « X se disant Samir » à la sortie du centre de rétention de Lyon.
Extrait de l’Envolée n° 19 mars 2007

C’est quoi ton parcours ?

J’ai pris le train, direction Saint-Jean-de-Maurienne, le train s’est arrêté à Chambéry, il y a des flics qui sont montés ; ils n’ont pas le droit de contrôler dans une gare qui n’est pas internationale, pourtant ils ont contrôlé. Ils choisissent et c’est l’arrestation. Les flics, ils sont de Lyon, ils sortent, et devant la gare, ils demandent : « il est où, le commissariat ? » C’étaient des flics spéciaux. Personne ne répondait : les gens croyaient que c’était une blague. Ils ont fait venir une voiture de Lyon devant la gare alors que le commissariat était à 50 mètres. Je suis resté deux heures dans ce commissariat, et après, ils m’ont amené à la police aux frontières à Chambéry aussi (PAF). Premier interrogatoire : « t’es d’où ? », etc. ; fouille à fond, ils cherchent la moindre trace de ton origine, ils lisent les bouts de papiers qui traînent dans tes poches, les numéros de téléphone.

Toi, t’avais quoi comme papiers d’identité ?

J’avais rien du tout. Interrogatoire, « comment t’es rentré en France ? », faire les empreintes... et moi, j’avais quelques arrestations avant, j’ai fait quelques centres de rétention. Ils ont tout ressorti : les empreintes digitales, toutes les arrestations, la photo, le nom. Le nom,c’est celui que je donnais avant : « X se disant Samir ». J’ai quatre reconduites à la frontière (APRF), deux de Paris, une des Bouches-du-Rhône, une de Lyon… Ils les ont toutes sorties et envoyé tout ça au Préfet qui décide s’il t’envoie en centre de rétention. J’ai attendu vingt-quatre heures en garde à vue à Chambéry ; et après, comme prévu, j’ai été amené au centre de Lyon le lendemain. A peine arrivé, fouille, photo… Je suis habitué à ça, c’est pour te faire ta carte d’identité à l’intérieur du centre. C’est une carte où il y a nom, prénom, numéro de chambre, adresse du centre et photo, mais pas d’empreintes digitales.T’as des papiers dans le centre pendant un mois (rire) et t’as pas le droit de traîner dans le centre sans tes papiers.

Dans le centre, ça se passe comment ?

Dans ce centre, il y a 120 places, mais il n’est jamais plein, il y a entre 80 et 100 personnes. Il y a deux couloirs et une petite cour entre les deux. Chacun des couloirs est coupé en deux par un grillage. Le couloir famille, il est coupé en deux avec un couloir pour les jeunes filles ; et le couloir homme, il est divisé en deux. La grille, elle est ouverte la journée et fermée la nuit. Ils te réveillent vers 8 heures pour aller déjeuner ; après, tu reviens dans ta chambre, t’as accès à tout le centre ; après, vers 11 heures, ils ferment tout en disant qu’ils vont faire le nettoyage jusqu’à 14 heures ; mais tu retrouves ta chambre exactement pareil, mais les lits défaits. Moi, je pense que c’est la fouille des chambres. Ils essayent de mettre la main sur les papiers qu’on t’a filés pendant les visites pour prouver qui tu es. Même l’hiver, ils laissent un bébé de quatre ou cinq mois dehors pendant trois heures, que tu sois malade ou pas, ils s’en foutent, le temps de fouiller. Après, à 12 heures, ils appellent pour la bouffe dans la salle à manger, et un truc bizarre se passe : quand tu bouffes, après, tu te sens faible, t’as envie de dormir. Moi je pense, je suis pas sûr mais tout le monde le pense, qu’il y a des médicaments dans la bouffe. Après, tout le monde va dormir. Par contre, la bouffe du soir, à 6 heures, elle a l’air normale ; on ne peut pas confirmer à cent pour cent, mais bon.

T’as pu te balader et discuter avec tout le monde ? En fait, vous êtes souvent ensemble ? T’es pas enfermé dans ta chambre ?

Ils t’enferment la nuit de 10 heures du soir à 8 heures du matin. Ils disent que c’est un centre de rétention, mais c’est une prison. En tout cas, c’est la situation à l’intérieur. Avec le bureau de la Cimade qui sont des manipulateurs : c’est une association qui s’occupe du droit des étrangers, et la première chose qu’ils te disent, c’est de remettre ton passeport. Si tu le fais pas, ils te disent qu’on peut rien faire.

La Cimade, c’est la seule association qui entre dans les centres de rétention, officiellement pour apporter une aide juridique indépendante aux sans-papiers, et là, ce que tu dis, c’est qu’ils prennent le relais de l’administration, qu’ils collaborent directement en disant qu’il faut avant tout donner ton identité ?

Je sais que la première chose qu’ils disent, comme les avocats commis d’office, c’est : « je peux rien faire » ; alors comme droit des étrangers, c’est un peu léger. En regardant d’autres cas, même pas seulement moi, les demandes d’asile, ils les transmettent, mais du coup, ils obligent à donner l’identité. Sinon, ça dure dix secondes ; si tu donnes pas tes papiers, ils te donnent un numéro de fax, une carte téléphonique si t’en as pas. Moi, je vois rien d’autre. Les demandes d’asile, elles sont toutes refusées, et les gens qui ont donné leurs papiers, ils sont sûrs d’être expulsés. Il y a aussi l’OMI (Office des migrations internationales), qui te permet d’avoir des mandats, de recevoir des choses de l’extérieur, et là aussi tu dois donner ton nom et ta nationalité.

Tu peux expliquer pourquoi ça te paraît capital de ne pas donner son passeport ?

A partir du moment où tu donnes pas de passeport, ils savent pas d’où tu es ; et pour les laisser chercher un peu, tu ne donnes même pas ton origine géographique, car ils peuvent retrouver : faut toujours t’éloigner de 5, 6 pays. Si tu ne fais pas ça, ils sont trop forts dans les interrogatoires. Ils te laissent un flic gentil, qui te dit : « on peux t’aider que si tu donnes ton identité ». Ils vont jusqu’à dire qu’ils font ce travail pour sauver des gens, puis quand tu marches pas dans leur truc, ils te menacent de la prison. C’est pas seulement des menaces : à Lyon, j’ai vu plusieurs personnes aller en prison, et ça fait peur aux gens qui sont dans le centre et qui donnent pas leur identité, ils lâchent…

La chose importante, c’est de ne pas donner ton identité, ni ton origine, de ne pas marcher dans leur truc. Ne pas traîner avec des papiers qui prouvent d’où tu viens. Il faut toujours garder le même nom que tu as donné la première fois, même date de naissance, mêmes noms des parents. Si tu changes pas, ils peuvent pas dire que tu as menti et te poursuivre pénalement pour ça. Ils contactent le consulat que tu as désigné, et si lui, il te déclare inconnu, ils réessayent les interrogatoires ; ils regardent aussi avec qui tu traînes, avec qui tu parles, ils écoutent les conversations au téléphone portable. Ce n’est pas une preuve pour t’expulser, mais c’est pour savoir à quel consul ils vont t’amener.

Il y a des flics de toutes les origines à la PAF et des traducteurs sur place qui traduisent les conversations au téléphone. Quand tu rentres, tu donnes ton numéro de téléphone, et dès que tu appelles, ton nom s’affiche sur l’ordinateur avec le numéro que tu as donné ; ils vérifient avec les caméras que c’est bien toi qui téléphones avec. Il y a aussi des civils qui viennent dans la salle à manger pour savoir de quelle origine tu es. Ils te tchatchent, te montrent qu’ils sont des humains, qu’ils ont des enfants, et dans la conversation, ils disent en faisant semblant de chercher un nom : « et, tu sais, là, l’autre, le Tunisien… comment c’est déjà ? », en espérant que tu dises : « non, lui il est Marocain. » Ils tentent des tas de pièges comme ça.

Et toi, comment ça s’est passé à ton arrivée dans le centre ?

Premier interrogatoire, un flic en civil dans son bureau. J’avais plus de cigarettes après les vingt-quatre heures de garde à vue. Il m’en donne une, l’allume, fait le gentil, sort le dossier, les quatre APRF : « cette fois, tu vas avoir du mal à t’en sortir, mais j’ai vu ton dossier, t’as pas fait de délit, t’es un travailleur, un mec bien ; je vais essayer de t’aider ; t’as galéré ; le moyen pour t’aider, c’est que tu donnes ton identité » ; ça commence bien. Je lui dis : « je vais réfléchir ». Je lui donne quelques alias et quelques pays (rire). Le mec, il me dit : « t’as dit t’es Algérien, t’es Tunisien, mais moi je suis sûr que tu es Marocain » ; j’ai dit : « voilà, c‘est ça, je suis Marocain… » ; là, il s’énerve,me menace : « si t’as décidé de me pourrir la vie, moi aussi je vais te pourrir la vie, je vais te foutre en prison… » Le lendemain, c’est un autre de la PAF qui m’appelle, et cette fois il fait pas le gentil, direct : « tu sors pas de ce bureau si tu me dis pas d’où tu viens ». Je dis rien, je vais réfléchir pour pouvoir sortir. Et ça recommence le lendemain. Ils m’emmènent au tribunal, je parle à l’avocat commis d’office et lui explique le vice de procédure au moment de l’arrestation, car c’était pas une gare internationale. Et puis devant le juge, il s’est assis en déclarant : « je n’ai rien à dire ». Impossible de parler, le juge te dit de te taire. C’est une machine. Tu peux faire confiance à personne, le but c’est expulser, point barre. Le procès, il dure deux minutes pour chaque retenu. Le rendu, tu l’as dix minutes après, hyper rapide ; il a donné une prolongation de rétention de quinze jours à tout le monde. En fait, j’ai eu deux jours de centre de rétention comme une sorte de dépôt avant de passer devant le juge ; là, il t’envoie quinze jours en centre, le temps qu’ils te reconnaissent. Et si au bout des quinze jours, t’es pas reconnu, tu repasses devant le juge qui te renvoie en centre pour quinze jours. Ça fait en tout un maximum de 32 jours.

Tu peux revenir sur ce qui s’est passé après ton premier passage devant le juge ?

A mon retour au centre après le passage devant le juge, j’ai commencé la grève de la faim le 28 novembre. J’ai fait quatre jours tout seul. Avec menaces, deux interrogatoires par jour ; quand t’es dans la cour, ils te parlent au micro ; par exemple, je fumais dans le couloir avec 6 personnes, ils disent : « Samir, sors fumer dehors ». Avec les caméras, ils voient tout ce qui se passe et te foutent la pression ; encore plus quand il y a eu le rassemblement contre les centres de rétention à Lyon, le 2 décembre. La veille, un flic qui a lu sur Internet le communiqué que j’avais envoyé m’a déjà convoqué pour avoir des infos sur le rassemblement. Le jour même, je suis encore convoqué au bureau.

Évidemment, je dis que je ne suis pas au courant. Ils me foutent la pression en disant qu’ils savent que c’est l’extrême-gauche, des casseurs, des trucs comme ça. Je réponds que c’est mes amis et que je les aime (rire). Bref, tous les jours ça se passe comme ça.

Donc là, ils commencent à te reprocher de leur tenir tête, d’avoir des liens avec l’extérieur et de faire sortir des informations ?

T’écris sur une feuille et tu le communiques par téléphone ou tu le fais sortir pendant une visite. C’est pas très difficile. Dans le centre de Lyon, même par la fenêtre, il y a deux chambres où tu as accès à la rue.Tu ne peux pas lancer, car il y a un grillage, mais tu peux crier ; les gens, ils peuvent te voir. Je suis resté quatre jours en grève de la faim. Ils m’ont fait chier, menacé, et même si je suis habitué aux centres, je sais que ça commence à être plus sérieux et je commence à les croire un peu. Le juge aussi a parlé de trois ans de prison, et dans le centre, ils parlent de deux mois. Le 4 décembre, j’ai fait le tour des chambres. Tout le monde s’est mis en grève de la faim, sauf deux malades. Il y avait aussi la famille Raba à ce moment-là. Le matin, personne va manger, le midi non plus, et là, les flics, ils commencent à avoir peur, il se passe quelque chose qu’ils ne comprennent pas ; après on a donné la liste des grévistes aux flics avec les signatures.

Très vite, ils ont commencé à appeler toute la liste un par un dans un bureau. Ils menacent, profitent des gens qui parlent pas bien français. Ça a marché, tout le monde a signé un papier comme quoi il arrête la grève, et en sortant du bureau tout le monde allait manger. Du coup, à 6 heures de l’après-midi, la grève de la faim s’est arrêtée. D’ailleurs, dans les hauts-parleurs, ils annonçaient que le soir il y avait un menu spécial avec des frites.

C’est comme ça que ça se passe. J’essayais de convaincre les gens à la porte du réfectoire en disant que c’était le jeu des flics. Je les empêchais pas, mais je leur disais qu’ils s’étaient engagés, qu’à l’extérieur aussi des gens s’étaient engagés, qu’il fallait pas lâcher. « Pourquoi t’as peur, t’es déjà enfermé, ils peuvent rien faire de plus, c’est du blabla ce que disent les flics ». Un flic est venu m’empêcher de continuer, il m’a attrapé, je l’ai frappé direct, un coup de poing dans le ventre… ses collègues m’ont mis à l’isolement, ils gueulaient mais ils m’ont pas frappé. Je suis resté quelques heures en isolement.

Il y a différents régimes d’enfermement…

Il y a l’isolement, c’est une cellule de 3-4 mètres carrés. Sans fenêtre. Ils peuvent te laisser trois, quatre, cinq jours, comme ils veulent. Il y a des gens quasiment tous les jours dans ces cellules. Après une bagarre, ou quelqu’un qui a gueulé, qui fait n’importe quel truc, ils le mettent direct. C’est des chambres individuelles. Je sais qu’il y en a au moins deux. Le lendemain, on était que 5-6 grévistes, on a décidé d’arrêter. Les gens, ils commençaient à avoir peur de moi à l’intérieur, à cause aussi de la bagarre avec le flic. Les téléphones portables sont pas interdits, c’est pas comme à Vincennes. Après 6 heures, quand les cabines étaient fermées, je recevais des appels sur les portables des autres, mais là, plus personne ne voulait me filer son téléphone. J’ai galéré quelque temps. Je n’arrivais pas à savoir exactement, mais en gros les flics disaient que j’allais finir en prison et donc que j’allais foutre les autres dans la merde pour rien. J’ai dû attendre qu’il y ait de nouveaux arrivants pour leur emprunter leur téléphone.

Comment ça s’est fini pour toi ?

Moi, j’ai eu deux consulats en tout. D’abord le consulat algérien, qui ne m’a pas reconnu et qui a dit que j’étais Tunisien ; donc ils m’ont amené au consulat tunisien. En principe, c’est lui qui se déplace au centre, mais là ils m’ont amené à Grenoble pour le voir. Ils ont fait 150 km pour dix minutes. Trois flics en escorte. Le consul tunisien n’a pas répondu non plus, il faisait une recherche et n’a pas donné sa réponse dans le délai de trente jours. Même s’il m’avait déclaré inconnu, je serais allé en prison, mais là il n’y a pas eu de réponse du tout. J’ai eu un coup de chance de ne pas y aller parce que sinon, après deux mois de prison, tu reviens en centre de rétention ; et après, c’est l’expulsion. Et si tu refuses l’avion, après tu retournes en prison, etc.

T’as quelque chose à ajouter pour conclure ?

Ben… qu’il faut lutter à l’intérieur et pas oublier que tu ne peux pas faire confiance à un flic.



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