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France, pays des droits des Roms ?
Gitans, “Bohémiens”, “gens du voyage”, Tsiganes... face aux pouvoirs publics depuis le 19e siècle
mis en ligne le 6 juillet 2006 - Xavier Rothéa
Introduction
Dans ses conclusions d’un colloque organisé en octobre 2000, Médecins du Monde attirait l’attention de l’opinion et des pouvoirs publics sur la désastreuse situation sanitaire et sociale des communautés romanies en France, en Espagne, au Portugal et en Grèce. [1] Ce document, loin d’être une révélation (nous avons tous croisé des campements misérables ou des quartiers, essentiellement habités par des Roms, quasi insalubres) permit de mesurer la dure réalité de nombreuses communautés dans notre pays et en Europe.
Ce document insistait sur l’aggravation récente d’une situation déjà précaire auparavant. Il indiquait : “le constat est alarmant. Au plan de l’état de santé, trois indices le confirment : espérance de vie considérablement inférieure aux moyennes nationales, mortalité néonatale et mortalité infantile très élevées, plusieurs fois supérieures à celles observées dans les populations générales des mêmes pays.” Les auteurs du rapport d’ajouter : “les conditions de logement sont déplorables, sans aucun équipement sanitaire. Les lieux de vie se situent toujours à l’écart des autres populations, et les expulsions récurrentes ne sont jamais suivies de propositions adéquates.”
Ces conclusions sont restées lettre morte. L’heure est, au moins depuis la campagne présidentielle de 2002, au raisonnement sécuritaire et les Roms français ou étrangers, avec quelques autres catégories de la population, font les frais du contexte politique.
Alors qu’en septembre 2002, sans faire preuve d’originalité, le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy s’interrogeait publiquement sur la provenance des revenus de certains Roms et qu’un de ses subordonnés, le préfet de Vaucluse, Paul Girot de Langlade, affirmait : “je n’ai pas de tendresse particulière pour ces gens-là. Ils vivent à nos crochets, de la rapine aussi, tout le monde le sait [...] certains roulent dans des Mercedes que je ne peux même pas me payer, moi aussi ça m’agace” [2], nous ne pouvons qu’être inquiets pour l’avenir des populations romanies - même si le ministre de l’intérieur affirme condamner les propos de son préfet.
Pour autant, cette défiance envers les populations romanies est-elle une spécificité de notre époque ou s’inscrit-elle dans une démarche plus ancienne des autorités publiques en France ? Leur situation peut être envisagée à travers la problématique du traitement politique et institutionnel des minorités, traitement d’ailleurs quasi inexistant, mais aussi à la lumière des législations concernant les personnes non sédentaires.
Le principe de la République “Une et Indivisible” a, de tout temps, prévalu et servi de justification à la non-reconnaissance de l’existence des minorités, quelles qu’elles fussent, sur le territoire français. Cela n’est pas sans conséquence sur le mode de vie de ceux qui souhaitent, immigrés comme populations “provinciales”, faire valoir une culture et une identité originales tout en respectant la légalité républicaine. Une seule loi et une seule langue furent les piliers de l’intégration républicaine. Si le refus des particularismes et le centralisme pouvaient se comprendre à la lumière du contexte révolutionnaire des années 1790, leurs motivations apparaissaient bien différentes dès la fin du 19e siècle.
Il s’agit, alors, dans l’illusion de l’immuabilité de l’identité française et de sa prétendue supériorité face aux autres cultures, d’assimiler et de soumettre au contrôle de l’État, sous prétexte d’une égalité républicaine jamais atteinte, l’ensemble des personnes présentes sur le territoire. L’objectif était l’intégration des populations à forts particularismes régionaux ou les travailleurs immigrés, en leur imposant l’abandon de leurs identités. Malheur à ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne rentraient pas dans le moule. A priori, les Roms furent de ceux-là. Ce principe de la République “Une et Indivisible” ne souffre, aujourd’hui encore pour ses partisans, aucune entorse. L’esquisse d’un statut (légèrement) particulier pour la Corse a été suffisant pour pousser un ministre de l’intérieur à la démission. Que de débats également, dépassant les traditionnels clivages gauche/droite, autour de l’enseignement en langue régionale.
Pourtant depuis longtemps, au moins depuis la troisième République, un traitement spécifique est réservé à ceux désignés par les législations successives comme “nomades” puis comme “gens du voyage”. Le critère de différenciation n’étant, a priori, ni l’origine ethnique, ni l’origine géographique mais le mode de vie. Malgré tout, ces appellations doivent passer pour ce qu’elles sont, des “cache-sexe” d’une législation appliquée à un groupe ethnique : les Roms. Cette hypocrisie ne trompe pourtant personne. Ainsi dans un rapport de la commission des lois du sénat sur “l’accueil des gens du voyage”, dit rapport Delevoye [3], nous pouvons lire :
La population des Gens du voyage revêt certaines caractéristiques qui en font sa spécificité : une organisation structurée autour du nomadisme, le respect des traditions, l’usage d’une langue à caractère essentiellement oral et elle-même fractionnée en de nombreux dialectes, une solidarité familiale affirmée, une tradition d’activité indépendante et polyvalente.
On le voit, le mode de vie itinérant est loin d’être, aux yeux des sénateurs, la seule caractéristique des “gens du voyage”. D’autant plus qu’il est précisé plus loin :
En outre, le comportement à l’égard du voyage n’est pas homogène, ce qui n’est pas sans influence sur la façon dont le problème doit être appréhendé.
Le recensement de 1960-1961 distinguait ainsi trois catégories :
– les itinérants, catégorie correspondant à ceux qui se déplacent de façon permanente, qui étaient évalués à 26628 personnes ;
– les semi-sédentaires, constitués de ceux qui se déplacent une partie de l’année et sont stabilisés le reste de l’année sur un même site, estimés à 21690 personnes ;
– les sédentaires, fixés localement et ayant en principe cessé de voyager, au nombre de 31134 personnes.
Les données statistiques généralement retenues pour ces trois catégories sont désormais les suivantes :
– environ 70000 itinérants ;
– environ 70000 semi-sédentaires ;
– environ 110000 sédentaires.
Si ce n’est un critère ethnique, qu’est-ce qui permet de classer parmi les “gens du voyage” plus de 100000 personnes sédentaires ? Que des aménagements législatifs soient prévus pour un groupe particulier, pourquoi pas ? Surtout si les individus de ce groupe rencontrent des problèmes spécifiques comme c’est le cas pour les Roms en France. Certains États, tels que la Slovénie ou la Macédoine, ont reconnu l’existence d’une minorité nationale romanie sur leur territoire. Alors pourquoi le législateur français s’est-il toujours caché derrière des expressions édulcorées telles que “gens du voyage” ?
Parce que tous les “gens du voyage” ne sont pas d’origine romanie ? Peut-être... Cependant il est impossible de nier qu’ils en constituent l’immense majorité. Parce que la tradition républicaine assimilatrice s’est toujours refusée à reconnaître des composantes particulières au “peuple français” ? Sans doute... Cela vaut aussi pour les cinq millions de personnes d’origine algérienne. Toutefois, la raison essentielle de cette hypocrisie semble se trouver dans les volets répressifs ou coercitifs inhérents à toute législation concernant les “nomades” ou les “gens du voyage”. Ces dispositifs auraient été du plus mauvais genre au “pays des droits de l’Homme” s’ils avaient été clairement destinés à un groupe ethnique particulier. Il était plus facile pour les municipalités ou les préfectures de poser des panneaux “interdit aux Nomades” que des panneaux “interdit aux Gitans” ou “interdit aux Manouches” qui auraient trop rappelé ceux “interdit aux nègres” du sud des États-Unis.
Hormis les lois Besson, dont l’idéologie et l’application sont plus complexes et répondent à des démarches parfois contradictoires, le traitement des populations romanies par l’État français s’est, de tout temps, fait dans une optique répressive et ségrégative. Aussi, nous proposons-nous d’essayer de mesurer en quoi l’attitude des pouvoirs publics depuis le 19e siècle a contribué à la situation actuelle des communautés romanies en France. La principale difficulté de cette question réside dans le fait que cette attitude n’est visible qu’à travers les législations concernant les itinérants, et c’est à elles que nous nous intéresserons essentiellement, alors que de tout temps il y eut des Roms sédentaires. L’invisibilité légale et souvent sociale de ces Roms sédentaires signifie-t-elle qu’il n’y eut pas d’attitude particulière de la part des pouvoirs publics à leur égard ? La forte ségrégation socio-spatiale dont sont victimes les populations romanies dans les vieux quartiers des centre-villes ou en périphérie des agglomérations et les problèmes qu’elles rencontrent, par exemple pour la scolarisation de leurs enfants, semblent indiquer le contraire. Nous y reviendrons en conclusion.
Pour essayer d’offrir un tour d’horizon de la question nous nous attarderons, dans les premiers chapitres, sur quelques aspects des origines, de l’histoire et de l’organisation sociale des populations romanies. Cela avant d’étudier, plus en détail, l’évolution des législations françaises concernant les itinérants, du carnet anthropométrique de 1912 à la loi Sarkozy en passant par les lois vichystes. Nous avons également essayé, au-delà d’une étude chronologique des législations successives, de saisir les fondements idéologiques de ces politiques au regard des mécanismes d’exclusion, de rejet et de négation des populations romanies. Mécanismes propres à un phénomène que nous avons choisi de nommer “antiromisme”.
Identité et affirmation [4]
Le terme de nation est clairement revendiqué depuis une trentaine d’années par les intellectuels et leaders roms à travers, notamment, la constitution d’organisations internationales romanies dont les objectifs sont l’émancipation et l’affirmation de la “nation rom” : celles-ci font valoir la communauté historique, culturelle et dans une moindre mesure, surtout pour les Gitans d’Espagne, linguistique, de l’ensemble des Roms, quelle que soit leur situation géographique.
Le terme de “Rom” est aujourd’hui de plus en plus fréquemment employé. On ne peut que s’en réjouir même si cela entraîne quelques confusions car ce terme recouvre deux interprétations pas forcément contradictoires. Les organisations romanies comme l’Union romanie internationale (URI [5]) ou le Roma national Congress (RNC), mais aussi l’ensemble des intellectuels et les leaders politiques utilisent le terme générique “Rom” pour désigner et englober tous ceux que l’on désigne ailleurs comme “Gitans” ou “Kalé”, “Manouches” ou “Tsiganes”.
Cette prise de position répond à la nécessité de renforcer la cohésion des différentes branches de la nation rom mais aussi à la volonté d’affirmer leur propre dénomination face à certaines appellations erronées voire injurieuses données par les non-Roms. Nous devons à un des pionniers de l’histoire des “Tsiganes”, François de Vaux de Foletier [6], l’explication de l’origine des dénominations utilisées actuellement. Celles-ci ne sont, souvent, que des dérivés d’appellations données par les populations environnantes lors de l’arrivée des premiers groupes de Roms en Europe (11e et 12e siècles). Ainsi les mots Gitans, Gitanos, Gypsies sont dérivés du terme “Égyptien”, ceci dû à une erreur sur la provenance des Roms, tout comme pour le terme Bohémien. Les termes Tsiganes, Zingaro ou Zigeuner proviennent de la confusion avec les membres d’une secte venue d’Asie Mineure, les Atsinganos.
Si le terme “Rom” provoque une certaine confusion, c’est qu’il sert également à désigner une branche particulière du peuple rom que nous connaissons plus souvent sous le nom de “Tsigane”, généralement installée en Europe de l’Est et balkanique, et que l’actualité récente a contribué à porter sur le devant de la scène en France. Branche particulière pour qui cette appellation est péjorative et qui utilise le mot Rom pour se désigner.
L’affirmation d’une identité aux déclinaisons multiples
Nos représentations associent fréquemment les Roms au nomadisme alors que le voyage n’est pas une caractéristique constitutive de l’identité romanie. Il y a plus de sédentaires que d’itinérants parmi les Roms : 90% d’entre eux, en Europe, sont sédentaires. [7] En France et en Grande-Bretagne où, comparativement aux autres pays européens, le nombre de “nomades” est encore élevé, les sédentaires et semi-sédentaires (c’est-à-dire ne se déplaçant qu’à l’occasion de rencontres familiales, religieuses ou pour des raisons professionnelles) représentent près des deux-tiers des populations romanies. Selon Alain Reyniers, directeur de publication de la revue Études tsiganes, le nomadisme ou la sédentarité sont des modes de vie conjoncturels correspondant à des nécessités économiques et non des caractéristiques intrinsèques de l’identité romanie. [8] Qu’ils soient constitutifs ou non de l’identité romanie, cela n’a en définitive que peu d’importance, l’essentiel étant que chacun, nomade comme sédentaire, puisse vivre de la manière qu’il a choisi sans aucune barrière que ce soit. Comment alors, en dehors des stéréotypes et des lieux communs, présenter les populations romanies et ceux qui se reconnaissent comme partie intégrante d’une des branches du peuple rom ?
Il serait idiot, et même dangereux, de vouloir définir les Roms selon des caractéristiques physiologiques ou morales innées. Nous ne pouvons que rejeter ces classifications issues des théories racistes ou plutôt “ethno-différentialistes”. Pourtant certaines caractéristiques prétendues propres aux Roms sont fréquemment avancées. Il semble admis enfin, et encore pas partout ni par tous, que les Roms ne soient pas tous des “voleurs de poules” ou des “voleurs d’enfants blonds”, les idées reçues s’adaptent aux changements d’époque et aujourd’hui le terme de “trafiquant” a souvent remplacé les deux premiers. Malgré cela certains stéréotypes, tout aussi faux mais parfois plus positifs restent attachés aux Roms : un don pour la musique, un goût pour la “liberté” (qui ne l’a pas ?), un irrésistible besoin de voyage, une incapacité à vivre selon les normes des non-Roms (notamment pour la scolarisation des enfants) et parfois même un don pour la voyance. Que de fantasmes reportés sur une population dans un mélange de fascination ambiguë et de répulsion !
Pourtant, pas plus que les Africains n’ont de “don” particulier pour la danse, les Roms n’ont de “don” pour la musique. Les Roms n’ont pas non plus un besoin “physique” de voyage et de liberté, en tout cas pas plus que tout un chacun. La musique ou le voyage peuvent effectivement occuper une place importante, voire essentielle, chez certaines familles mais cela s’explique par des processus historiques, économiques et culturels qui n’ont rien à voir avec une présumée “nature” propre aux “Tsiganes”.
L’identité romanie n’est pas monolithique, ce qui ne signifie pas qu’elle ne présente aucune cohésion. La diversité des situations géographiques et la multiplicité des expériences historiques ont, à partir d’un tronc commun, entraîné de nombreuses déclinaisons culturelles ; l’identité, quelle qu’elle soit, étant une construction sociale et non une essence ou une hérédité innée. L’adaptation à chaque situation historique et géographique tout en maintenant une affirmation propre, voilà, peut-être, le trait commun à tous les groupes romanis. Cette unité se manifeste par une conscience commune, notamment perceptible à travers l’existence de termes comme “gadjé” ou “payo”, utilisés par les Roms pour désigner l’ensemble des non-Roms.
Il est généralement admis que les Roms forment une ethnie, soit. Nous devons faire attention à l’utilisation faite de ce mot qui est parfois utilisé comme palliatif au concept de “race”. Ceci n’est pas tellement nouveau et, par exemple, la Nouvelle droite tend à déplacer son champ sémantique de “l’ethnie” vers “la culture”. Il n’est nullement question d’abandonner l’utilisation de ces termes, avec les sous-entendus que l’on peut imaginer, à l’extrême droite. Nous devons cependant préciser ce que nous mettons derrière et refuser les cloisonnements “ethnique”, “identitaire” ou “culturel” que les différentialistes tentent d’imposer.
La définition même du terme ethnie et des caractéristiques applicables à la définition d’un groupe ethnique sont aujourd’hui encore largement discutées et controversées. Ces critères de définition sont variables selon les chercheurs. Peuvent entrer en ligne de compte l’unité linguistique, les valeurs morales, les rites, les pratiques culinaires ou vestimentaires, l’unité territoriale, ...
Les travaux de l’ethnologue américain Frederick Barth, et ceux, plus récents, de la sociologue Jocelyne Streiff-Fenart et du socio-linguiste Philippe Poutignat apportent un éclairage nouveau à ces questions. Tous trois affirment qu’“il est impossible de trouver un assemblage total de traits culturels permettant de distinguer un groupe d’un autre, et que la variation culturelle ne permet pas à elle seule de rendre compte du tracé des limites ethniques”. La problématique soulevée par ces auteurs “n’est plus d’étudier la façon dont les traits culturels sont distribués mais la façon dont la diversité ethnique est socialement articulée et maintenue” [9].
En réalité plus que l’énumération des caractéristiques d’un groupe ethnique, ô combien fluctuantes selon les individus, ce sont les conditions du processus historique de construction de ce que les individus reconnaissent comme leurs identités qui importent. Par exemple, les souffrances et les persécutions dont les Roms ont été victimes durant leur histoire et notamment, mais pas seulement, lors du génocide nazi [10] font aujourd’hui partie intégrante de leur identité.
Le postulat établi par Barth selon lequel l’identité ethnique est un processus dynamique et non statique, qui se construit par interaction entre les groupes sociaux, et par un processus historique, dans lequel rentrent en compte de multiples facteurs, est capital pour la compréhension de la situation des populations romanies en France : “les traits dont on tient compte ne sont pas la somme des différences “objectives” mais seulement ceux que les acteurs eux-mêmes considèrent comme objectifs.” [11]
Nous partons donc du principe selon lequel est Rom celui ou celle qui se considère comme Rom, c’est-à-dire qui fait sienne une série de traits sociaux, aux contours parfois fluctuants, mais communément admis et reconnus par l’ensemble des Roms.
Beaucoup nient, aujourd’hui encore, la qualité de nation (dans le sens de “communauté humaine qui possède une unité historique, linguistique et économique plus ou moins forte”) au peuple rom, du fait de l’inexistence d’un “pays” rom. Cette négation s’accompagne souvent d’une autre, celle d’une culture propre aux Roms.
L’URI, parmi d’autres organisations romanies, revendiquent ainsi ce terme de nation, une nation sans appareil d’État ayant fixé des limites rigides à l’espace où s’exercerait sa souveraineté. Les Roms ont, depuis le premier Congrès rom mondial, en 1971, un drapeau et un hymne, Gel’em, Gel’em. Ils se sont également dotés d’un parlement, fédérant et représentant la quasi-totalité des organisations romanies. Les Roms n’ont pas de pays qu’ils administreraient à la manière d’un État moderne et ils n’en manifestent pas le désir. Cela ne signifie pas qu’ils soient une nation sans territoire. En réalité on pourrait dire qu’ils forment une nation aux territoires multiples et variants que chacune des composantes délimite et structure indépendamment du mode de vie nomade ou sédentaire. Le terme de “nation sans territoire compact” est de plus en plus revendiqué. Ce territoire non compact peut être perçu comme la somme des territoires ressentis comme propres, mais toutefois sans exclusive sur la souveraineté à y exercer, par l’ensemble des groupes roms. Une des revendications du mouvement rom est d’ailleurs la reconnaissance au niveau européen de l’existence de ce territoire non compact. Dans cette optique certaines organisations réclament la création d’un statut de minorité européenne transnationale.
Quelques traits de l’organisation sociale des Roms
La diversité des situations géographiques, économiques ou religieuses pose de nombreuses difficultés à la définition d’un fonctionnement social “type” des sociétés romanies. Cela d’autant plus qu’existent, entre différents groupes ou au sein d’un même groupe, des différences de richesse, de niveau de vie, d’attachement aux valeurs traditionnelles ou d’imprégnation de celles des sociétés environnantes. Pour simplifier nous ne nous attarderons que sur les grandes lignes de l’organisation sociale de certains groupes vivant de manière dite “traditionnelle”.
Que ce soit dans des campements, des quartiers-ghettos ou des résidences individuelles, la structure de base des sociétés romanies est la cellule familiale élémentaire et la réunion de ces cellules élémentaires. La famille est “la mesure de toute chose”. La solidarité familiale est totale, tous y participent et tous en bénéficient. Le pendant de cette omniprésence familiale est la subordination des désirs ou de la volonté de l’individu aux besoins de la famille, subordination d’autant plus forte si l’individu est une individue.
Chaque cellule familiale est indépendante et leur réunion correspond à la nécessité de se regrouper pour assurer la réalisation des tâches, professionnelles par exemple, indispensables à la survie de chacun.
Chaque groupe, chaque famille s’identifie à un espace particulier. Comme le souligne Alain Reyniers, ces territoires sont définis et utilisés en fonction des besoins économiques ou des relations familiales. [12] Dans le cas des personnes nomades ou semi-nomades cet espace présente certaines particularités. Prenons l’exemple d’un groupe de Gitans perpignanais qui se déplace pour assister à des réunions familiales en Catalogne, puis part faire les vendanges en Suisse ou en Allemagne, avant de revenir en Roussillon pour une foire. Le territoire de ce groupe est avant tout un “espace vécu” de relations commerciales, professionnelles ou familiales. Dans cette conception du territoire comme espace vécu, c’est l’individu qui construit le territoire à sa mesure et non le territoire qui cloisonne l’activité humaine sur un espace préalablement délimité. Le territoire n’est ni plus ni moins que la somme des endroits où l’on a quelque chose à faire. Aucun besoin de barrières, de frontières, car les limites sont fluctuantes au gré des nécessités économiques ou des relations de tout type. Ce territoire n’est ni à défendre ni à conquérir et, au contraire, la libre circulation devient un des gages du fonctionnement social.
Cela n’exclut pas les conflits entre groupes sur des questions spatiales comme dans le cas de zones d’exercice de métiers. Le sociologue Jean-Pierre Liégeois, directeur du Centre de recherches tsiganes à l’université Paris V, rappelle que l’absence de pouvoir central ne signifie nullement qu’il n’existe pas d’interdits ou de règles. [13] Ses travaux ont permis de mieux connaître les critères et le fonctionnement du contrôle social dans les sociétés romanies, ainsi que le mode de résolution des conflits, indispensable à tout fonctionnement social. Le besoin de maintenir la cohésion sociale s’est traduit par la volonté de réparer ou sanctionner tout acte contraire aux règles communautaires. Ainsi des antagonismes trop prononcés entre groupes impliquent des prises de décisions communautaires, notamment dans le domaine de la répartition des zones d’activités professionnelles. La recherche du consensus est donc une nécessité, induite par l’absence d’une autorité supérieure commune qui pourrait imposer à chaque groupe une ligne de conduite, une zone géographique ou l’exercice de tel ou tel métier. La résolution des différends entre groupes ou familles passe par une concertation communautaire, une assemblée voire, dans certains cas, une cour de justice.
Ces assemblées ou ces cours de justice (les Kriss), qui n’existent pas pour tous les groupes, sont composées des hommes “chefs de famille” choisis en fonction des gages de confiance et d’expérience qu’ils ont donnés au sein de la communauté. Le pouvoir de la Kriss ou de l’assemblée ne dépasse jamais le cadre pour lequel elle a été réunie. Des sanctions peuvent être prises, allant de la réparation du dommage au bannissement de la communauté. La réprobation générale ou la mise à l’écart tiennent lieu de moyen d’assurer le respect des décisions de l’assemblée. Pour être respectées, ces décisions ou sanctions doivent donc, avant tout, être acceptées par l’ensemble de la communauté, d’où la recherche du consensus. Il n’y a ni police ni mandat particulier pour faire respecter ces décisions.
Cette rapide évocation de quelques traits de l’organisation sociale des Roms, avec toutes les variations particulières propres à chaque groupe, et de quelques aspects de l’identité romanie sont un préalable nécessaire à l’étude des relations entretenues avec les pouvoirs publics. Nous aurions également pu nous attarder sur la danse ou la musique mais ce sont des aspects mieux connus même si la tentation folkloriste reste forte à ce sujet (que dirions-nous si l’on représentait les Provençaux uniquement comme des virtuoses du fifre ?).
Entre mythes, stéréotypes et négationnisme : l’antiromisme
Ce que tu m’as fait ? Dis-tu ! - Ah ! Ce que tu m’as fait Égyptienne !
Eh bien ! Écoute. - J’avais un enfant, moi ! Vois-tu ?
J’avais un enfant ! Un enfant te dis-je ! Une jolie petite fille ! [...]
Eh bien ! Vois-tu, fille d’Égypte ? On m’a pris mon enfant, on m’a volé mon enfant, on m’a mangé mon enfant. Voilà ce que tu m’as fait. [...] Je te dis que ce sont les Égyptiennes qui me l’ont volée, entends-tu cela ? Et qui l’ont mangée avec leurs dents.
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831
La vision des sociétés environnantes et la représentation qu’elles ont des Roms sont aujourd’hui un autre champ d’études en construction. Par exemple, la branche espagnole de l’URI dresse chaque année un bilan de l’image des Gitans véhiculée par la presse espagnole. Nous pouvons regretter cependant qu’aucun chercheur n’ait, à ce jour, synthétisé de manière exhaustive toutes les données concernant les représentations, très souvent négatives, liées aux populations romanies. [14]
Les manifestations de haine, de rejet ou de mépris envers les Roms s’inscrivent dans des mécanismes particuliers que l’on peut regrouper, par souci de clarté, sous le terme d’“antiromisme” qui, tout comme l’antisémitisme, a des expressions propres dans lesquelles racisme et xénophobie occupent une place importante mais où d’autres facteurs entrent en compte.
L’antiromisme : expression d’un ethno-différentialisme
De manière générale, le racisme, tel qu’il a été construit au 19e siècle, qui prône l’existence et la hiérarchisation des races, en s’appuyant sur des critères physiologiques, et qui pose leur affrontement comme moteur de l’histoire, est aujourd’hui en net recul dans les pays occidentaux. Non pas qu’il n’existe plus à l’heure actuelle d’individus ou de groupes prônant la supériorité de leurs “races”, les suprématistes américains ou les néo-nazis en sont l’illustration malheureusement bien vivante, mais ces formes-là de racisme tendent à devenir marginales. Rares sont aujourd’hui les personnes osant affirmer la supériorité “par nature” [15] et hérédité d’un groupe humain sur un autre. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale et face à l’horreur suscitée par les politiques racistes d’extermination, des institutions internationales, notamment l’UNESCO [16], et de nombreux scientifiques se sont attachés à démontrer l’absence de fondement du concept même de “race” qui ne correspond à aucune réalité scientifique. Malheureusement un discours raisonné n’est souvent pas suffisant face à des croyances irrationnelles. Les théories raciales sont bien souvent restées profondément ancrées, par une multitude de représentations mentales (“les Noirs courent plus vite”, “les Turcs sont plus forts” et “les Allemands plus ordonnés”) s’appuyant parfois sur des faits authentiques (des Noirs américains remportent fréquemment le 100 mètres aux jeux olympiques) qui ont pourtant des explications sociologiques ou culturelles n’ayant rien à voir avec une quelconque aptitude naturelle (les équipements d’athlétisme ou de basket coûtent moins cher dans les ghettos noirs américains que les green de golf ou les patinoires, beaucoup d’enfants noirs américains veulent reproduire l’exemple de leurs aînés dans des domaines où ils ont excellé). Pourtant ces idées reçues peuvent être largement répandues parfois même chez des personnes se déclarant ouvertement antiracistes.
Conscients de l’impasse de l’affirmation d’une supériorité “par nature”, les théoriciens d’une nouvelle forme de distinction et de hiérarchisation des groupes humains ont déplacé leurs argumentations vers “l’identitarisme”, la “différenciation culturelle” et le “développement séparé”. Ce fut le cas, par exemple, de la Nouvelle droite française, et notamment du GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) autour de Alain de Benoist, dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Dès lors, et comme l’a démontré Pierre-André Taguieff, le champ sémantique changea. Il distingue “trois grands déplacements de concepts de base, d’arguments ou d’attitudes dominantes dans l’idéologie racisante depuis le début des années soixante-dix : race - ethnie/culture ; inégalité - différence ; hétérophobie - hétérophilie.” [17]
La hiérarchie des “races” a été remplacée, dans l’esprit des ethno-différentialistes, par celle des civilisations. Le métissage et l’interculturalisme, tels furent les nouveaux démons d’une partie de la droite et de l’extrême droite. En 1985, Jean-Yves le Gallou, un des responsables du Club de l’horloge et du Front national, affirmait : “L’immigration est la machine à tuer les peuples.” [18]
Où que ce soit, quoi qu’ils fassent et quelle que soit l’époque à laquelle remonte leur présence, les Roms ont toujours été considérés comme des immigrés, immigrés dont la provenance reste généralement ignorée. Cette méconnaissance volontairement entretenue cloisonne les Roms dans le rôle d’éternels étrangers : “Manouches, Gitans, Tsiganes, Yéniches, Rom... Ceux que l’on surnomme volontiers Romanichels ou Bohémiens viennent du pays de nulle part et vont on ne sait où” écrivait récemment un journaliste du Figaro. [19]
L’antiromisme se nourrit aujourd’hui, et souvent de manière non consciente, de ce différentialisme, après s’être servi des théories et des classifications raciales. Dans leur idéologie, les nazis reconnaissaient une origine indo-européenne aux Roms dont ils auraient perdu, dans leur pérénigration, la “pureté originelle”. [20] Les Roms furent donc déclarés asociaux puis “criminels irrécupérables” par les lois sur “l’aryanisation” de Nuremberg en 1935. [21] Les théories raciales eurent aussi, et nous le verrons plus loin, une influence forte en France. L’encyclopédie Larousse du 20e siècle donnait en 1933 la définition suivante du mot “Bohémien” : “une race nomade, qualifiée aussi de Romanichel ou Tsigane en France.”
De telles considérations n’ont plus cours aujourd’hui, du moins publiquement. Il serait d’ailleurs bien difficile aux tenants de l’idéologie racialiste de déterminer des traits physiologiques propres et communs à l’ensemble des personnes d’origine romanie. Ni la couleur des cheveux ni celle des yeux ne fourniraient d’éléments probants car elles sont aussi diverses et variées que le teint de la peau. Par contre, les représentations mentales attachées aux Roms servent de base à un ethno-différentialisme plus ou moins feutré et admis. C’est sur le compte de cette “différence” que sont mises de présumées dispositions à voler, à mentir ou à refuser les normes sociales. Les préjugés envers les Roms présentent souvent un aspect négatif (les Roms seraient des voleurs de poules) mais parfois également un aspect plus positif (les Roms auraient la musique dans la peau). Ces préjugés “positifs” s’inscrivent dans un folklorisme portant une vision romantique et poétique (“les Roms, fils du vent et filles du feu”) mais tronquée de la réalité. Aussi n’est-il pas surprenant de lire dans le même quotidien de virulentes attaques contre des “gens du voyage” aux pages “faits divers” et, plus loin, dans les pages “culture” du même journal, l’éloge de la virtuosité des artistes “tsiganes”. Négatifs ou “positifs”, ces préjugés participent au même enfermement des Roms dans un rôle social dont on ne souhaite pas les voir sortir.
La pratique du nomadisme, présente ou passée, réelle ou supposée puisque, rappelons-le, 90% des Roms européens sont sédentaires, et l’absence d’un pays “de référence” qui serait revendiqué, induisant chez les populations environnantes l’idée que les Roms sont partout et toujours des immigrés, sont les points de départ de toutes les élucubrations antiroms.
Nous devons distinguer deux aspects, qui évidemment se nourrissent l’un l’autre, de l’antiromisme : d’une part un antiromisme commun qui regroupe un ensemble de préjugés et de stéréotypes largement répandus et, d’autre part, un antiromisme institutionnel perceptible dans la plupart des traitements légaux des populations romanies. Aussi est-il difficile de discerner qui “de la poule ou de l’œuf” est apparu le premier. La volonté de contrôle socio-spatial, justifiée par l’affirmation d’un danger social, celle d’assimilation à tout prix et les dispositifs contre le nomadisme ont-ils nourri un sentiment antirom dans la population ou, au contraire, par leur sentiment antirom, issu de cette prétendue fatale peur de “l’autre”, les populations environnantes ont-elles encouragé les pouvoirs publics à ces dispositifs coercitifs ? Bien que penchant plus pour la première hypothèse, l’utilisation de boucs émissaires et la création de sentiments d’insécurité étant des moyens classiques de conquête du pouvoir, il apparaît aujourd’hui que le cercle vicieux s’auto-alimente (en particulier via une partie des médias) de ces deux moteurs.
De cet antiromisme institutionnel, il en sera question tout au long de cet ouvrage en ce qui concerne les pouvoirs publics en France depuis le 19e siècle. Cet antiromisme-là, qui se nourrit des mécanismes et idées reçues de l’antiromisme commun, n’est pas que le reflet des conceptions racistes ou xénophobes, il est l’expression d’une volonté de contrôle absolu de la part des pouvoirs publics de l’espace social et donc des déplacements et mouvements à l’intérieur de celui-ci. Cette volonté de contrôle social est manifeste à travers le renforcement des mesures contre le nomadisme au fur et à mesure de l’affirmation de l’État et du renforcement de ses pouvoirs à l’Époque moderne. Citons, à titre d’exemple, l’interdiction de séjour puni de banissement décrété par Louis XII en 1504 ou encore l’envoi aux galères sous Louis XIV, pour le seul fait d’être “Bohémien”. [22]
La représentation que se font les pouvoirs publics des populations romanies et/ou itinérantes ne cadre pas avec cette volonté de contrôle socio-spatial. La méfiance que suscitent leurs déplacements est renforcée par cette suspicion de n’appartenir à aucune patrie et donc de présenter une menace interne en cas de conflit. Ainsi, de nombreux Manouches alsaciens ont-ils été sédentarisés de force durant la première guerre mondiale. Comme nous le verrons (p.65 et suiv.), l’une des premières mesures du gouvernement Daladier face à l’imminence de la guerre fut d’interdire les déplacements des “nomades” soupçonnés de pouvoir fournir des informations aux ennemis. Plus récemment, les Roms de Cossovie furent accusés par les Serbes comme par les Albanais de soutenir le camp adverse, ce qui eut pour conséquence l’instauration d’une véritable politique de purification ethnique contre les Roms. [23]
La négation de l’existence des Roms en tant que peuple
Très tôt, les pouvoirs publics ont voulu nier l’existence des populations romanies en tant que peuple à part entière. Celles-ci ont souvent été présentées, en France et ailleurs en Europe, comme un ramassis de marginaux, de hors-la-loi ou de brigands de toutes sortes sans autres liens que leur refus des règles sociales. Voici, au 16e siècle, ce qu’en dit un docteur de l’université de Tolède dans une lettre au roi Philippe II :
Toujours les Gitans ont affligé le peuple de Dieu, mais le Roi Suprême l’en a libéré par de nombreux miracles rapportés par les Saintes écritures, et sans aller jusque là, le talent miraculeux que possède Votre Majesté pour de semblables expulsions pourra libérer son royaume de ces gens. [...] Ce qui est certain c’est que ceux qui vont en Espagne ne sont pas Gitans mais ce sont des essaims de fainéants, d’hommes athées, sans loi, sans aucune religion, des Espagnols qui ont introduit cette vie ou secte du Gitanisme, et qui admettent en son sein chaque jour des oisifs et les réprouvés de toute l’Espagne. [24]
Plus récemment, Nicole Martinez, alors ethnologue à l’université de Montpellier III, dans son ouvrage consacré aux “Tsiganes” dans la collection de référence Que sais-je ?, n’a pas hésité à qualifier les “Tsiganes” de produit de “l’imaginaire occidental” n’étant en réalité qu’un ensemble de “populations flottantes”. Pour l’auteure, les Roms ne seraient qu’un “isolat social [...] à la frange de la plupart des sociétés dont ils sont les rejets” [25]. Une cour des miracles internationale en quelque sorte. Ses propos ne sont pas si éloignés de ceux cités juste avant à la différence près qu’ils ont été écrits quatre siècles plus tard.
Ne souhaitant pas qu’ils perdurent en temps que groupe, les pouvoirs publics ont souvent tenté d’en nier l’existence même, soit en interdisant tout ce qui s’y rapportait (langue, costumes, appellations) soit en les ignorant. En Espagne, en 1619, Philippe III ordonnait :
Que tous les Gitans, présentement dans le royaume en sortent dans un délai de six mois [...] que ceux qui voudraient se fixer le fassent dans des villes ou des localités de plus de 1000 personnes et qu’ils ne puissent utiliser ni le costume, ni la langue des Gitans et des Gitanes, et puisqu’ils n’en ont pas la nation que ce nom et son usage disparaissent et soient oubliés.
En Espagne, dès le 17e siècle, l’utilisation même du terme “Gitan” devient interdite et remplacée par celle de “nouveaux castillans” avant d’être elle-même proscrite au profit du mot vagos signifiant “feignant”. Le glissement lexical n’est jamais anodin et l’on peut s’interroger sur les raisons de ces changements du vocabulaire des pouvoirs publics français pour désigner les populations romanies. D’abord appelés “Bohémiens” (à travers une législation discriminante d’assimilation) ensuite “nomades” (à travers une volonté discriminante de sédentarisation) et enfin “gens du voyage” (à travers une législation discriminante de surveillance et de contrôle), les populations romanies se sont vues réduites à un trait ne caractérisant seulement qu’une partie d’entre elles : l’itinérance.
Les Roms sédentaires deviennent donc socialement invisibles alors qu’ils rencontrent des problèmes particuliers liés au simple fait qu’ils soient Roms (discriminations systématiques notamment à l’embauche, ségrégation, problèmes de scolarisation). Non reconnus, ces derniers n’existent pas. Dans ces conditions, rares sont les moyens mis en œuvre pour tenter de résoudre des problèmes spécifiques, notamment dans la lutte contre les discriminations. Il est intéressant de souligner ce que rappelait en 1991 la commission “Tsiganes et Gens du voyage” du MRAP :
En guise d’introduction, on se doit de réitérer une remarque formulée dans notre contribution de l’an dernier : la place assez minime accordée aux quelques 250000 Tsiganes et Gens du voyage dans la lutte contre la xénophobie.
L’invisibilisation sociale et publique conduit à l’ignorance ou à la minoration des difficultés et souffrances auxquelles sont confrontés de nombreux Roms. Par exemple, leur génocide pendant la seconde guerre mondiale a longtemps été passé sous silence, malgré ses 500000 victimes. Les réparations auxquelles ils auraient légitimement droit leur ont longtemps été déniées. D’ailleurs, en 1965, le général de Gaulle interdit la Communauté rom mondiale - organisation basée en France, créée en 1959 - qui s’était montrée trop revendicatrice sur ce point. [26]
Un péché originel ?
La question des origines a longtemps été un mystère et l’est encore pour de nombreuses personnes non spécialistes. Les explications les plus farfelues et les plus hasardeuses se sont succédées, et trouvent aujourd’hui encore un certain écho malgré les éléments fournis par les linguistes et les historiens, attestant l’origine indienne et l’arrivée en Europe entre le 11e et le 14e siècle. Toujours dans cette définition du mot “Bohémien” du Larousse de 1933, on pouvait lire : “on les considère comme originaires de l’Inde”, ce qui n’empêchait pas les mélanges entre mythes et Histoire dans le même paragraphe : “On leur attribue l’importation du bronze en Europe à une époque préhistorique.” Par la construction de récits mythiques sur l’origine des Roms, les contemporains cherchèrent de tout temps à fournir des explications sur la situation présente, avérée ou préjugée des populations romanies : l’importation du bronze étant censée expliquer par exemple la tradition de chaudronnerie de certains groupes d’Europe orientale et balkanique. [27]
La mythologie antirom repose parfois sur des références bibliques évoquant un péché originel qui justifierait l’ostracisme dont ils furent victimes. De la même manière que les Africains, les Roms furent présentés comme les descendants de Cham, le fils maudit de Noé auquel celui-ci aurait déclaré : “Maudit soit Canaan, qu’il soit pour ses frères le dernier des esclaves.” [28] Une autre légende fait des Roms les descendants des amours entre Adam et Lilith, démon femelle de la tradition rabbinique considérée comme la première femme d’Adam. Un autre mythe accuse les Roms d’avoir refusé l’hospitalité à la Sainte famille avant la naissance de Jésus. Ces trois mythes peuvent être compris comme des démonstrations de la culpabilité intrinsèque des Roms, culpabilité justifiant un châtiment multiséculaire. Le nomadisme fut ainsi longtemps considéré comme une errance punitive.
Le rôle des Églises chrétiennes dans la construction de ces mythes et des préjugés qu’ils alimentèrent restent à déterminer. Donald Kenrick et Grattan Puxon avancent au moins trois arguments permettant de supposer l’hostilité de l’Église catholique :
– leur arrivée en Europe, entre le 11e et le 14e siècle selon les chercheurs, se fit après une traversée des pays musulmans à une époque où la lutte contre les “infidèles” étaient une priorité de l’Église.
– même christianisés, leurs pratiques hétérodoxes suscitaient la suspicion et leurs conversions et leurs baptêmes toujours soumis à caution. Là encore les soupçons sur la réalité de leurs pratiques restèrent vivaces comme le démontre ce passage à nouveau tiré du Larousse de 1933 : “Il n’est guère possible de savoir s’ils ont une religion particulière ; ils se disent musulmans en Turquie, grecs orthodoxes en Roumanie, catholiques en Espagne.” “Ils se disent” et non “ils sont”, la différence révèle le peu de confiance qu’accorde l’auteur à ce qu’ils affirment.
– la pratique de la chiromancie, de la divination et leurs influences sur une partie de la population et sur certains gouvernants entraient en concurrence avec la religion officielle qui ne pouvait le tolérer. [29]
De la pratique de la bonne aventure à la magie noire et aux liens avec le diable, il n’y a qu’un pas qui fut souvent franchi. La croyance en la capacité des femmes à lancer le “mauvais œil” est encore aujourd’hui assez répandu. Les liens particulièrement étroits entre l’Église et le pouvoir politique au Moyen Âge et à l’Époque moderne contribuèrent, sans doute, à ce que ces deux pouvoirs s’alimentent mutuellement dans leur hostilité envers ces groupes. Signalons toutefois que les Roms, et surtout les Romnis qui pratiquaient la divination, ne furent quasiment pas inquiétés par les tribunaux de l’Inquisition. L’historienne Helena Sanchez attribue cela, non pas à une mansuétude de la part du Saint office, mais à une indifférence méprisante des tribunaux envers des groupes qu’ils ne jugeaient pas dignes d’intérêt. [30]
De la défiance à la culpabilisation et à la criminalisation
Le trait commun à toutes les manifestations d’antiromisme est la défiance envers tout ce que les Roms peuvent dire ou faire. Leurs activités, leurs revenus, leurs déplacements, leurs croyances sont d’abord perçus à travers le prisme d’un soupçon de mensonge. Leur expérience historique ne les a peut-être pas poussés à être très loquaces avec des autorités le plus souvent hostiles mais avant tout, la méconnaissance des fonctionnements économiques et sociaux des groupes a toujours permis toutes les élucubrations.
La défiance qui s’exprime ainsi se transforme bien souvent en accusation. Et celles-ci ne manquent pas. Le cannibalisme [31], la magie noire et par dessus tout, le vol. Le vol sous toutes ses formes. Le vol d’enfants, dont Victor Hugo se fit l’écho à travers le destin d’Esméralda, est une accusation récurrente maintes fois reprise dans la littérature, depuis Cervantés dans son roman La Gitanilla en 1612. Du vol de poules à la criminalité organisée, l’accusation a su s’adapter aux évolutions de la criminalité tout en gardant un caractère “folklorique” propre. Ainsi au début des années 1990, une partie de la presse s’est empressée de publier des listes de signes utilisés, selon elle, par des “Gitans” pour commettre des cambriolages. Parmi d’autres, le magazine Réponse à tout y alla de son couplet en affirmant : “Ce sont les Tziganes qui seraient à l’origine de ce principe de communication. Les “gens du voyage” utilisaient certains signes pour informer les caravanes empruntant le même itinéraire des conditions d’accueil ou de vie en général. Mais la passion du dessin s’est très vite répandue à toute la confrérie des voleurs et autres casseurs.” (novembre 1990)
Ces contributions à la pérennisation des stéréotypes ne sont pas seulement le fait de revues que l’on pourrait dédaigneusement qualifier de “grand public”. Des sources considérées comme plus sérieuses s’en font également l’écho. Dans l’émission Le dessous des cartes intitulée “Les Tsiganes aux Nations unies” diffusée sur Arte le 26 octobre 2001, le présentateur Jean-Christophe Victor affirmait :
Alors cette forme de nomadisme permet quel type d’activité ? Les Tsiganes pratiquent des métiers traditionnels, qui changent selon les besoins de la région où ils passent. Ils sont excellents danseurs et musiciens. Ils tiennent souvent des manèges de fête foraine, les cirques tsiganes proposent des spectacles d’une grande poésie. Ils sont très liés au monde équestre, ils ont longtemps été maréchaux-ferrants, forgerons. Les femmes exercent souvent la voyance, et la mendicité aussi à laquelle les enfants sont parfois associés. Ils pratiquent aussi, comme on dit, la maraude, c’est-à-dire le vol, ou le trafic de drogue. [...] Est-ce le nomadisme qui conduit au vol, qui conduit au rejet ? Ou est-ce le nomadisme lui-même qui est trop loin de nos pratiques de sédentaires qui provoque lui-même le rejet ? [32]
Ni le vol, ni la mendicité, ni le trafic de drogue ne font partie des activités “traditionnelles” des populations romanies ni d’ailleurs d’aucune autre minorité, nation, groupe religieux ou social. La situation économique et sociale est le seul facteur déterminant. Pourtant, les rapprochements avec des faits délictueux sont omniprésents dans tout discours sur les “gens du voyage” pris dans leur ensemble. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’il n’existe pas de singulier à “gens du voyage”. Comme si l’ensemble des individus de ce groupe correspondaient tous aux mêmes caractéristiques et qu’un fait imputable à l’un d’entre eux pouvait être reproché à tous. Lorsque le préfet de Vaucluse déclare lors d’une conférence de presse en 2002 : “ils vivent à nos crochets, de la rapine aussi, tout le monde le sait”, il ne fait qu’exprimer un sentiment largement partagé.
Ce n’est pas d’“une partie” ou de “certains” des “gens du voyage” dont il est question dans les deux exemples que nous venons de citer mais de l’ensemble. De tels propos dans la bouche d’un présentateur-télé ou d’un représentant de l’État ne peuvent qu’alimenter les idées reçues d’une partie de la population. Idées reçues déjà largement répandues. Pour preuve, ce sondage réalisé par la commission consultative des droits de l’homme en 1991 sur la question “des sentiments personnels à l’égard des différents groupes”. Les “Tsiganes, Gitans et gens du voyage” se classent à la deuxième place des groupes suscitant l’antipathie, avec 41% contre 49% pour les Maghrébins. Par contre ils n’arrivent qu’en quatrième position des groupes perçus comme victimes du racisme.
Fascination, mépris et répulsion
Au-delà du rôle des institutions, au-delà également du phénomène d’auto-amplification entre antiromisme commun et antiromisme institutionnel permettant aux préjugés de gagner en force de persuasion à chaque va-et-vient, pourquoi cette hostilité est-elle aussi largement répandue ? Rares sont les personnes qui connaissent ou ont déjà eu affaire avec des Roms, pourtant tout le monde a sa propre idée, souvent négative, sur le sujet. La responsabilité des médias serait à étudier de plus près. Toutefois l’hostilité envers les Roms revêt certainement des caractères plus profonds.
L’ignorance est vectrice de toutes les peurs, de tous les préjugés et de tous les fantasmes. C’est un truisme que de dire cela. Des siècles d’ostracisme, de discriminations et de défiance de la part des sociétés environnantes, à quelques exceptions près, ont contribué à la discrétion et parfois au repli communautaire de nombreuses communautés romanies facilitant ainsi les élucubrations sur leur mode de vie, leurs ressources et leur fonctionnement social.
Ce ne sont pas tant les modes de vie des Roms, qui sont divers et variés, que la représentation fantasmée du nomadisme et de ses implications qui suscite des sentiments hostiles. Le défilé des caravanes ou la vision d’un camp voisin peuvent susciter des sentiments contradictoires : parfois une représentation fantasmée de liberté et de voyage entraînant soit une interprétation romantique du mode de vie des Roms soit un sentiment d’aigreur face à ceux que l’on croit déliés de toutes contraintes. Les difficultés faites aux déplacements et aux installations mettent un sacré bémol à cette vision poétique. Malgré tout, la croyance en une absence d’obligations et de contraintes peut intriguer puis agacer ceux que leur quotidien blase et qui croulent sous le poids de leurs impératifs sociaux.
Le plus souvent cependant, c’est le mépris qui domine. Mépris envers un mode de vie méconnu mais que l’on juge inadaptable aux exigences de notre société. La critique de ce supposé mode de vie permet alors de se rassurer sur la légitimité du sien. Dans ses Réflexions sur la question juive, Jean-Paul Sartre écrivait : “l’antisémitisme n’est pas seulement la joie de haïr, il procure des plaisirs positifs : en traitant le Juif comme un être inférieur et pernicieux, j’affirme du même coup que je suis une élite” [33].
Cette remarque est valable pour “l’antiromiste” à quelques nuances prés. Tout discours antirom implique une dépréciation, voire un mépris systématique, et par là-même, un sentiment de supériorité de celui qui le tient, mais, contrairement à l’antisémite, le but n’est pas tant d’affirmer appartenir à une élite que de se sentir conforme à une norme sociale même si celle-ci n’est pas toujours très bien vécue. Le “Ils ne sont pas comme nous” implique une cohésion voire une solidarité du “nous” comme corps social. Parallèlement la saleté ou le désordre imputés aux Roms rassurent sur ses propres conditions de vie. [34] La stigmatisation du plus pauvre ou de celui considéré comme marginal réconforte quant à sa propre place dans l’échelle sociale.
L’hostilité envers les Roms est en ce sens un garant de l’ordre social. On comprend aisément que les pouvoirs publics puissent s’appuyer dessus à l’occasion. L’antiromisme a ceci de différent avec l’antisémitisme qu’il n’est pas, comme lui et comme l’écrivait Jean-Paul Sartre, “une forme sournoise de ce que l’on nomme la lutte contre les pouvoirs”. Le pouvoir ne peut être suspect d’abriter en son sein des Gitans ou d’être influencé par eux (peu de gens savent que Bill Clinton a des origines romanies), seulement peut-il parfois être accusé de laxisme. L’antiromisme apparaît au contraire comme un moyen de cohésion entre les administrés et les autorités locales ou l’État qui, de tout temps, ont pris en charge la répression des populations nomades. Un “ennemi commun”, rien de tel pour renforcer les liens entre un édile et ses administrés. C’est ce qu’a compris l’adjoint “chargé de la communication et de la sécurité” au maire de Ostwald lorsqu’il adresse, le 30 août 2002, la lettre suivante à ses concitoyens :
Madame, Monsieur,
Plusieurs des habitants des 15, 17 et 19 rue de XXX ont eu le bon réflexe civique de me signaler lundi 23 août 2002 au matin qu’un véhicule haut de gamme, type “gens du voyage” est venu repérer le champ en face de vos immeubles.
J’ai immédiatement fait benner de la terre au niveau de l’accès possible à ce champ.
Pour plus de protection, je vous suggère de garer vos véhicules pendant quelques temps le long de la rue, ce qui rendra l’accès quasi impossible au champ.
Il faut, dans l’intérêt de tous, éviter à tout prix un campement à cet endroit, car vous savez comme moi, que si les gens du voyage viennent une première fois, ils reviendront régulièrement.
N’hésitez pas non plus à nous signaler des faits que vous pourriez observer, et dans cette attente, je vous adresse mes meilleures salutations.
Il n’est pas rare que les maires utilisent les pétitions ou les manifestations d’habitants de leurs communes pour justifier leurs décisions ou appuyer leurs demandes d’expulsion des “gens du voyage”. Cela peut parfois prendre des proportions inquiétantes. Une quarantaine de maires lorrains ont ainsi menacé en août 2000 de boycotter le référendum sur le quinquennat si un rassemblement évangéliste de 40000 “gens du voyage” à Chambley devait être maintenu. [35]
De telles prises de position de la part des autorités contribuent encore une fois à pérenniser les sentiments et les démonstrations antiroms, comme ce fut le cas en juin 2002 dans la commune du Tremblay-sur-Mauldre lorsqu’une soixantaine de manifestants ont obligé une quarantaine de caravanes à quitter le stade de la commune, avant d’en bloquer l’accès par des tracteurs et des voitures.
L’hostilité se nourrit aussi de la répétition de l’affirmation que les Roms ne travaillent pas, se payent de somptueuses voitures et ne payent aucune facture aux collectivités. Rappelons tout de même que le stationnement dans les aires aménagées est payant, de manière à couvrir les frais d’entretien et de fonctionnement des sites. Rappelons également qu’une berline et une caravane de luxe, que ne possèdent pas tous les “gens du voyage”, loin de là, avoisinent ensemble les 50 à 60000 euros (entre 300 et 400000 francs), ce qui ne représente dans l’absolu qu’un très modeste appartement à Paris. Il ne semble pas que l’on ait mobilisé les Groupes d’intervention régionaux pour vérifier les revenus et les activités de toutes les personnes ayant acquis un logement de ce prix. Mais la présumée absence de contraintes des “gens du voyage” les transforme aux yeux de beaucoup en “parasites sociaux”.
Ce rapide et non exhaustif, loin s’en faut, tour d’horizon des mécanismes et des manifestations de l’antiromisme est un préalable nécessaire à la compréhension de l’attitude des pouvoirs publics en France depuis le 19e siècle, que nous allons aborder maintenant.
La criminalisation des “errants” et itinérants au 19e siècle
Jamais la République française n’eut de législation particulière concernant les Roms. Pourtant les législations successives concernant les “nomades” puis, à partir de 1978, les “gens du voyage”, eurent un impact très fort sur leur situation en France. Malgré le fait, comme nous l’avons dit, que le nomadisme ne constitue pas un élément incontournable de l’identité romanie, ce fut d’abord un mode de vie largement majoritaire chez ces populations avant d’être entravé, combattu et réprimé par l’État français.
Dans un article de la revue Études tsiganes paru en 2001 [36], Emmanuel Aubin, maître de conférences en droit public à l’université de Poitiers, rappelait qu’aucune mesure spécifique à l’encontre des itinérants n’avait été adoptée par le droit républicain entre 1789 et 1912. Nous pouvons cependant supposer que d’autres textes législatifs relatifs aux “vagabonds” ou aux “errants” ne furent pas sans conséquence sur la situation des Roms. Dans son étude sur le vagabondage [37], José Cubero démontre que bien avant la loi discriminatoire de 1912, l’État français s’employa à poursuivre les politiques de répression et d’assimilation mises en place par l’Ancien régime.
Dès 1802, sous le Consulat (1799-1804), le général Boniface-Louis-André de Castellane, préfet des Basses-Pyrénées, lança, les 6 et 7 décembre, une “battue des Bohémiens” [38] dans les sous-préfectures de Bayonne et de Mauléon. Cette “battue” dont l’objectif était la déportation des “Bohémiens” dans la colonie française de Louisiane, se fit avec l’accord du ministère de la police. 475 Bohémiens furent arrêtés mais finalement le projet ne put être mené à son terme. Certains d’entre eux furent enrôlés de force dans les troupes des colonies alors que les autres furent enfermés dans des dépôts de mendicité [39] avant d’être libérés, sur ordre de Bonaparte, en juin 1804.
Avec le code pénal de 1810, un pas est franchi dans le durcissement de la législation. L’article 269 affirme que “le vagabondage est un délit” punissable de six mois d’emprisonnement. La définition du “vagabond” donnée par l’article 270 (“les vagabonds ou gens sans aveu sont ceux qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance, et qui n’exercent habituellement ni métier ni profession”) permet d’élargir le contrôle policier aux populations romanies itinérantes.
Sous le premier Empire (1804-1814), le nombre de ceux considérés comme “errants” dans les campagnes ou “indigents” dans les villes ne cessent de s’accroître. La mendicité, malgré les restrictions, devient l’un des moyens de survie d’une partie non négligeable de la population. Ces “indigents” sont scrupuleusement recensés à Paris qui en compte 121801 en 1810. Les réfractaires aux armées napoléoniennes viennent grossir les rangs des “errants” dans le monde rural. Dans l’esprit des législateurs et des représentants de l’État le vagadondage, l’errance, le nomadisme et la mendicité sont amalgamés et deviennent des fléaux contre lesquels il convient de lutter. L’article 270 du code pénal de 1810 fut une arme efficace des pouvoirs publics pour lutter contre toutes ces entorses au contrôle socio-spatial.
Cette stigmatisation des itinérants doit être remise dans le contexte plus large du rejet et de la répression du “vagabondage” demandée par la bourgeoisie et les classes dominantes. Celles-ci sont effrayées par la multiplication des personnes itinérantes d’origine modeste que les vicissitudes économiques ont poussées sur les routes.
La révolution industrielle entraîne l’émergence d’un “peuple vagabond” [40] que la bourgeoisie a tôt fait de considérer comme potentiellement dangereux. La capitale draîne au milieu du 19e siècle un flot de population pauvre à la fois attirée par les perspectives de l’expansion industrielle et poussée par la précarité de leurs conditions dans leurs régions d’origine. Cette population ouvrière instable est estimée à 50007 personnes à Paris en 1847 [41]. Leurs déplacements et déménagements fréquents amènent les autorités policières à les considérer comme des “nomades”. Il ne s’agit plus alors d’“indigents” dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins mais tout simplement de journaliers, de chômeurs, de déracinés que les changements économiques et sociaux du 19e siècle ont contribué à paupériser davantage. C’est toute une partie du monde ouvrier qui est alors classée par les classes dirigeantes comme subversive, criminogène et représentant un danger pour l’ordre conservateur de la deuxième République (1848-1852). Aldophe Thiers entend bien alors, comme il l’explique dans un discours du 24 mai 1850, exclure ce “danger” de la vie politique du pays, par la privation du droit de vote :
Nous avons exclu cette classe d’hommes dont on ne peut saisir le domicile nulle part. [...] Mais ces hommes que nous avons exclus, sont-ce les pauvres ? Non ce n’est pas le pauvre, c’est le vagabond. [...] Ce sont ces hommes qui forment, non pas le fond mais la partie dangereuse des grandes populations agglomérées. [...] C’est la multitude, ce n’est pas le peuple, que nous voulons exclure, c’est cette multitude confuse, cette multitude de vagabonds dont on ne peut saisir ni le domicile, ni la famille, si remuante qu’on ne peut la saisir nulle part.
L’exclusion politique de ces “errants” n’est qu’une facette de la lutte qui oppose alors bourgeoisie et monde ouvrier.
La volonté de contrôle sur ces populations vues comme un “danger social” est reprise par le second Empire (1852-1870). Haussmann parle de cette “tourbe de nomades” qu’il faut réduire et étroitement surveiller.
Sa politique urbaine y contribuera, non pas en améliorant le sort des plus pauvres mais en les chassant du centre de Paris. À sa suite, beaucoup de bourgeois ne verront dans la Commune de Paris de 1871 qu’un mouvement de cette “tourbe”.
La lutte contre les vagabonds, errants, mendiants et “Bohémiens” se poursuit et se renforce sous la troisième République (1870-1940). Des mesures prises à l’encontre des professionnels itinérants ou des saltimbanques affectèrent sûrement certains Roms. En 1884, une politique strictement anti-nomade à destination des “Bohémiens” prend forme. Une loi permet aux maires de réglementer le stationnement des nomades sur le territoire de leur commune et une circulaire du 29 juin 1889 encourage les préfets à refouler les nomades hors de leur département en ces termes :
En ce qui concerne les nomades, généralement étrangers, dont un défaut de vigilance à la frontière aura permis l’entrée en France et que l’exercice d’une profession ne permet pas de ranger dans la catégorie des vagabonds, il conviendra de généraliser une mesure déjà prescrite dans quelques départements et qui consiste à les refouler purement et simplement jusqu’à la frontière du département. Le préfet du département voisin immédiatement avisé de cette disposition, procédera à leur égard de la même manière, les bandes nomades seront successivement menées sur la limite de notre territoire.
Dans les départements, les représentants de l’État redoublent d’intransigeance et les cas de discrimination légale se multiplient. Le préfet des Bouches-du-Rhône, par exemple, interdit en 1895 “le stationnement sur la voie publique et sur les terrains communaux des voitures servant au logement des Bohémiens et autres individus nomades sans profession avouée” [42].
En réalité, dès cette époque la plupart des nomades sont de nationalité française, comme le démontre le recensement général des “nomades et Bohémiens” de 1895. Le fait de les assimiler à des étrangers s’inscrit, déjà, dans un des leitmotivs de l’antiromisme, celui de ne voir dans les Roms que des étrangers en puissance malgré leur présence pluriséculaire sur le territoire. Le droit du sol ne semble pas, alors, être valable pour les Roms qui gardent sur eux la suspicion de ne pas être de “vrais français”.
Durant la deuxième moitié du 19e siècle, des groupes de Roms originaires de l’Europe orientale et balkanique arrivèrent en Europe occidentale. Des Roms de Roumanie, profitèrent, en 1856, de la fin du servage qui leur était imposé depuis quatre siècles dans ce pays pour chercher de meilleures conditions de vie en Europe occidentale. Les groupes de Roumains, de Hongrois ou de Bosniaques, dont nous ne possédons aucune donnée chiffrée, suffirent, ajoutés à l’éternelle assimilation des nomades français à des étrangers, à provoquer l’inquiétude des autorités publiques et des populations. Dans un rapport, un gendarme de Nevers décrit en 1881 ces “voitures de Bohémiens où grouillent pêle-mêle adultes, enfants de tous âges, chiens... qui se répandent dans les villages, harcelant les habitants pour avoir de l’argent” [43].
La population, surtout rurale, voit des “Bohémiens” partout et leur attribue toutes sortes de méfaits et de troubles à l’ordre public. Ses représentants s’en font l’écho auprès des ministères et à la chambre des députés. Des conseillers généraux des départements du Rhône et de l’Ain adressent, au début des années 1890, une lettre au ministre de l’intérieur dans laquelle ils affirment que “la campagne demande une loi contre les nomades” car “le nombre de vols et incendies constatés dans les campagnes suit l’accroissement inquiétant du nombre de ces dangereux nomades auxquels le territoire français sert de refuge et de promenoir”.
La grave crise économique que connut la France entre 1893 et 1896 accrut la mobilité de nombreux ouvriers et journaliers. [44] C’est dans ce contexte et à la faveur de l’arrivée de groupes de “Bohémiens” des pays de l’Europe orientale et balkanique que le ministre de l’intérieur Louis Barthou, sous la pression des notables locaux effrayés par les “bandes d’errants”, entreprend en 1895 leur recensement général. 400000 “errants” de toutes sortes sont dénombrés et parmi eux 25000 “nomades en bandes voyageant en roulottes”. Louis Barthou entend renforcer la répression contre l’ensemble de ces personnes itinérantes, qu’elles le soient par choix de vie, par nécessité ou parce qu’elles n’ont nulle part où s’installer. Les populations romanies sont directement concernées par une série de mesures visant à contrôler et à réprimer leurs déplacements, dont le point culminant est la loi du 16 juillet 1912 qui institue le carnet anthropométrique pour les “nomades”.
Loi de 1912 : le carnet anthropométrique obligatoire pour les nomades
Afin de surveiller les allées et venues des nomades, Georges Clemenceau avait créé en 1907 des brigades mobiles, les fameuses “brigades du Tigre”, chargées de contrôler les déplacements des “vagabonds, nomades et Romanichels”. Cet arsenal policier ne parut pas suffisant aux élus locaux et aux parlementaires qui décidèrent de soumettre le nomadisme à un contrôle policier encore plus serré.
La loi du 16 juillet 1912 instaura l’obligation de détention d’un carnet anthropométrique pour les “nomades”. Étant considérés comme tels “tous les individus circulant en France [quelle que soit la nationalité] sans résidence fixe et ne rentrant dans aucune des catégories ci-dessus spécifiées [45] même s’ils ont des ressources ou prétendent exercer une profession”. À la fois titre de circulation et fiche anthropométrique, devaient y figurer, entre autres, photos d’identité, empreintes digitales, vaccinations, arrivées et départs dans chaque commune. Ce carnet devait obligatoirement être présenté dans chaque commune qui, conformément à cette même loi, pouvait refuser le stationnement. Outre ce carnet individuel, “le chef de famille ou de groupe [devait] être muni d’un carnet collectif concernant toutes les personnes voyageant avec le chef de famille. [...] Les véhicules de toute nature employés par les nomades doivent porter à l’arrière, d’une façon apparente, une plaque de contrôle spécial.”
Le législateur donnait les moyens aux forces de l’ordre et aux municipalités de contrôler, de suivre voire d’empêcher le déplacement et le stationnement des nomades. En cas de non-présentation de ces documents, les individus et les familles pouvaient être punis au titre des lois contre le vagabondage.
Ce document obligatoire fut, plus qu’un simple instrument de contrôle, une entrave à la libre circulation pourtant nécessaire au bon fonctionnement de l’économie itinérante. Cette économie reposait sur des prestations et des services aux populations locales. La “bonne aventure”, les activités artistiques et du spectacle (musiciens, saltimbanques, gérants de manèges, montreurs d’animaux sauvages...) étaient des activités certes existantes chez les Roms mais pas exclusives.
Le travail et la récupération des métaux, le rempaillage de chaises, le colportage, la “chine” dans les foires et les marchés, les travaux agricoles saisonniers étaient des activités très largement dominantes et qui demandaient une grande mobilité. Les groupes s’arrêtaient un certain temps dans une commune jusqu’à épuisement des travaux et des services demandés. Le départ pour un autre lieu était alors imminent. La possibilité de se déplacer et de s’installer était une condition sine qua non de la perpétuation de ces activités. Le pouvoir fut ainsi donné aux maires d’interdire le séjour sur le territoire communal ou en reléguant celui-ci dans des endroits non appropriés à l’exercice des différentes professions exercées par les nomades.
Selon l’historienne Henriette Asséo, “ces mesures perturbaient le rythme d’une mobilité économique soumise à des contraintes (dates de foires, vendanges...) et elles grevaient par des amendes un budget par nature fluctuant. Le résultat en fut l’abandon du voyage pour des familles qui circulaient depuis plus d’un siècle.” [46] Cette législation, outre son aspect foncièrement discriminatoire, fut en réalité un moyen détourné de contraindre à la sédentarisation des populations que l’État ne pouvait supporter de ne pas saisir et qui par leur existence même, lui paraissaient mettre en péril son quadrillage du territoire. Cette loi était à double tranchant pour les populations romanies qui étaient alors majoritairement itinérantes. Cette surveillance constante les enfermait dans un rôle de délinquants en puissance par une criminalisation à outrance. D’autre part, en brisant leurs systèmes économiques on brisait également leur mode de vie itinérant. Cette législation ainsi que le carnet anthropométrique restèrent en vigueur jusqu’à son abrogation en... 1969 ! C’est à juste titre qu’Emmanuel Aubin parle de “l’application d’une législation d’exception” [47].
Nous ne pouvons que nous interroger sur l’idéologie qui sous-tend de telles mesures et à la mise en place de ce carnet anthropométrique. Pour cela il est nécessaire de se replonger dans le contexte politique et idéologique de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Les théories racialistes, inspirées entre autres par Joseph Gobineau et son Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), connaissent à ce moment leur apogée, ce dernier affirmant que “toute civilisation découle de la race blanche, aucune ne peut exister sans le concours de cette race”. À la fin du 19e siècle, Georges Vacher de Lapouge élabore une classification et une hiérarchisation des races. Selon lui, l’homo europaeus est au sommet de cette hiérarchie. Il le définit comme grand, blond, teuton ou nordique, protestant, créateur et dominateur. Gobineau, Vacher de Lapouge ou encore Houston Stewart Chamberlain, en auréolant leurs écrits d’un caractère scientifique, exercèrent une forte influence sur leurs contemporains. Si les conclusions qu’ils en tirent n’appartiennent qu’à eux, de nombreux scientifiques et hommes de lettres reprirent cette classification basée sur des critères physiologiques. L’anthroposociologie et la linguistique de l’époque furent fortement marquées par ces classifications.
Leurs théories participèrent à la justification de la domination des Européens sur l’Afrique et l’Asie. Selon Hannah Arendt, “le racisme a fait la force idéologique des politiques impérialistes depuis le tournant de notre siècle” [48]. Cet impérialisme raciste, qui s’exprimait de la façon la plus brutale dans les pays colonisés en soumettant de force les populations locales, revêtait souvent l’aspect d’une mission civilisatrice dans la bouche des hommes politiques qui s’en faisaient les défenseurs. Ainsi Jules Ferry déclarait, lors d’un débat parlementaire en 1885 :
Ce qui manque à notre grande industrie, que les traités de 1860 ont irrévocablement dirigée dans la voie de l’exportation, ce qui lui manque de plus en plus, ce sont des débouchés... La concurrence, la loi de l’offre et de la demande, la liberté des échanges, l’influence des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s’étend jusqu’aux extrémités du monde. [...] Il faut chercher des débouchés. [...] Il y a un second point que je dois aborder : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question. Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu’il y a pour elles un droit parce qu’il y a pour elles un devoir. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures.
Dans le même discours, Jules Ferry posait les fondements économiques capitalistes de l’expansion coloniale et sa justification idéologique. Les buts poursuivis par des personnes comme Vacher de Lapouge et Jules Ferry sont évidemment très différents voire antagonistes, la domination d’une sorte d’aristocratie raciale pour l’un et la recherche de débouchés économiques œuvrant, au moins en apparence, à l’universalisation de “La civilisation” pour l’autre. Il n’en reste pas moins qu’ils partagent cette vision d’un monde divisé entre races supérieures et inférieures. La soumission, l’assimilation par la mission civilisatrice ou l’extermination des “races inférieures” apparaissent comme des suites possibles de ces conceptions. Hannah Arendt soulignait que le racisme fut alors élevé au rang d’idéologie différant “d’une simple opinion en ceci qu’elle affirme détenir soit la clé de l’histoire, soit la solution à toutes les énigmes de l’univers, soit encore la connaissance profonde des lois cachées de l’univers qui sont supposées gouverner la nature et l’homme” [49].
Ces théories racistes qui orientent la politique internationale ne sont évidemment pas sans conséquence au plan intérieur. La loi du 16 juillet 1912 concernant les nomades, très majoritairement d’origine romanie, en est une des conséquences. Car c’est bien en terme de “race” que sont appréhendées les populations romanies présentes en France. Durant les débats préliminaires à l’adoption de la loi, le sénateur Félix Flandin, dans une tirade contre les “nomades”, les présenta comme “des vagabonds à caractère ethnique [qui] vivent sur notre territoire comme en pays conquis, ne veulent connaître ni les règles de l’hygiène, ni les prescriptions de nos lois civiles, professant un égal mépris pour nos lois fiscales et nos lois pénales. [...] Les Bohémiens sont la terreur de nos campagnes où ils exercent impunément leurs déprédations.” [50]
À cette influence des théories racistes, s’ajoute, à la même époque et en défaveur des populations romanies, la volonté centralisatrice et assimilatrice, déjà ancienne, de la “République radicale” [51] d’une part et, d’autre part, la constitution, depuis l’affaire Dreyfus, d’une droite nationaliste puissante, dont Maurras fut le porte-drapeau, aux accents racistes et antisémites. [52]
En digne héritière de 1789, cette “République radicale” est farouchement opposée à l’affirmation et encore moins à la reconnaissance de quelques particularismes que ce soit sur le territoire français. Car pour les républicains ces particularismes renvoient à trois idées qu’ils abominent : le fédéralisme, le cléricalisme et le royalisme. Dans cette lutte, les populations romanies sont certainement la dernière des préoccupations des pouvoirs publics français. Toutefois le refus républicain des particularismes créait un climat propice aux politiques d’assimilation forcée menées contre les populations romanies.
Au même moment, les sentiments racistes et xénophobes se trouvent exacerbés par la montée en puissance du nationalisme. Le nationalisme français puise sa force et élargit considérablement son audience lors de l’affaire Dreyfus. L’ennemi est alors clairement désigné pour les nationalistes : c’est “le Juif”, considéré entre autre comme figure-type de “l’étranger”. La ligue antisémite de Jules Guérin n’hésite pas à appeler au meurtre et les émeutes anti-juives se multiplient tout au long de l’année 1898 en France métropolitaine comme en Algérie. Ce phénomène n’est toutefois pas propre à la France car au même moment l’Europe de l’Est, et notamment la Russie, est secouée par une vague de pogroms meurtriers. Antisémitisme et nationalisme sont indissociables à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Les Juifs, les étrangers, les apatrides et les internationalistes font figure d’“anti-France” et représentent, aux yeux des nationalistes, une menace pour la sécurité du pays. Bien entendu, les “Bohémiens” font également les frais de ce déferlement de haine. Le très populaire Petit Journal se fait l’écho, en 1907, de cet état d’esprit : “Qu’il nous faille subir les nomades de nationalité française, passe encore, mais qu’on nous débarrasse au moins nos campagnes de tous ces gens sans aveu, sans état civil, sans patrie, qui terrorisent nos villages et grugent nos paysans.” [53]
Synthèse de l’idéologie contre-révolutionnaire, de l’antijudaïsme catholique traditionnel, d’un antisémitisme qui se veut moderne et d’un anticapitalisme conservateur, la droite nationaliste s’est faite la championne du combat anti-dreyfusard. L’Affaire et le soutien sans faille qu’elle apporte à l’armée lui permettent de récupérer “la religion de la patrie” [54], jusqu’alors détenue par les républicains et, ainsi, d’accroître considérablement son audience. Les nationalistes entendent dénoncer la collusion entre les Juifs “apatrides”, l’universalisme des droits de l’homme et l’internationalisme socialiste. Le courant nationaliste, s’il ne sort pas vainqueur de l’Affaire, a étendu son influence dans la société. Cette large diffusion de l’idéologie nationaliste, qui se poursuivra au moins jusqu’aux années 1930, concoura à l’acceptation de la législation discriminatoire de 1912. Notons que le Front populaire n’apporta aucune modification à cette législation.
Émergence et diffusion des théories racistes, lutte contre “l’errance ouvrière”, volonté assimilatrice et mission “civilisatrice” de la République, émergence d’un nationalisme xénophobe, renforcement du contrôle socio-spatial, voilà, pour résumer, le contexte qui a conduit à l’adoption de la loi de 1912.
L’internement des roms pendant la seconde guerre mondiale
Si l’on ne peut en aucune manière amalgamer les politiques discriminantes d’avant-guerre et celles du régime de Vichy, que ce soit dans l’idéologie ou la finalité, il est clair toutefois que les dispositions mises en place par la loi de 1912 furent utilisées par le régime vichyste dans sa politique antirom. Signalons également que l’assignation à résidence des Roms itinérants fut entreprise dès octobre 1939 par les autorités républicaines mettant en doute leurs sentiments patriotiques et craignant en eux une possible “cinquième colonne”. Sur décision du ministre de l’intérieur Henri Roy et du ministre de la défense Édouard Daladier, la circulation des nomades fut interdite par le décret-loi du 6 avril 1940, lui-même complété par une circulaire du 29 avril 1940. Dans ce dernier texte, le directeur général de la sécurité intérieure, A. Bussière, demandait aux préfets d’assigner les nomades à résidence en des termes ne comportant aucune ambiguïté sur la considération qu’il portait à ces populations :
Le décret du 6 avril 1940, publié au JO du 9 courant page 2006, a interdit la circulation des nomades pendant la durée des hostilités et vous a prescrit de leur assigner dans votre département une localité où ils seront astreints à séjourner sous la surveillance des services de police. [...]
Leurs incessants déplacements, au cours desquels les nomades peuvent recueillir de nombreux et importants renseignements, peuvent constituer pour la défense nationale un danger très sérieux, il est donc nécessaire de les soumettre à une étroite surveillance de la police et de la gendarmerie et ce résultat ne peut être obtenu que si les nomades sont astreints à séjourner dans un lieu déterminé. [...] Étant donné les raisons mêmes qui ont motivé cette mesure, il convient d’entendre que les nomades, aussi bien de nationalité française que de nationalité étrangère, n’ont la possibilité de circuler librement que dans la zone qui leur a été fixée par vous.
Il conclut en affirmant :
Ce ne serait pas le moindre bénéfice du décret qui vient de paraître, s’il permettait de stabiliser des bandes d’errants qui constituent du point de vue social un danger certain et de donner à quelques-uns d’entre eux, sinon le goût, du moins les habitudes du travail régulier. [55]
À cela furent ajoutés des recensements des populations nomades département par département. Ces mesures, ajoutées aux contraintes de la loi de 1912, permirent un fichage minutieux qui fut utilisé par le régime de Vichy lorsque celui-ci entreprit de traquer et d’interner les Roms. Dès l’été 1940, les assignations à résidence, les arrestations et les internements se multiplièrent aussi bien dans la zone occupée que dans la zone “libre”.
Claire Auzias, qui rejoint en cela le spécialiste du régime de Vichy, l’historien Robert Paxton [56], démontre que la politique antirom de Vichy, comme sa politique antisémite, était intrinsèque à son idéologie et non imposée par les nazis même si cela répondait à leurs attentes. Dans toute l’Europe l’heure était aux persécutions antijuives et antirom.
L’internement des “nomades” en zone “libre” fut confié aux préfets entre octobre 1940 et novembre 1941. Des camps furent aménagés des deux côtés de la ligne de démarcation. En zone occupée la plupart de ces camps étaient situés dans le grand-Ouest. Celui de Montreuil-Bellay a fait l’objet d’études approfondies [57] mais l’ampleur de ces politiques est aujourd’hui encore difficilement chiffrable. L’historienne Marie-Christine Hubert chiffre à 4657 le nombre de Roms français internés dans la zone occupée et à 1004 dans la zone “libre” [58]. Il est par contre impossible de déterminer le nombre de Roms de nationalité étrangère ayant subi cette politique. Une chose est sûre pour l’historien Jacques Sigot, le nombre d’internements est bien inférieur au nombre total des nomades recensés en 1939 (autour de 40000) car l’internement des Roms, contrairement à celui des Juifs et pour raciste qu’il fut, n’eut pas de caractère systématique. Conscients du danger qu’ils encourraient, de nombreux Roms itinérants ont tenté d’y échapper en se sédentarisant, ce qui pourtant ne les mettait pas à l’abri de policiers trop zélés. Jacques Sigot rapporte le cas de la famille de Jean Richard arrêtée à Quimper par des gendarmes français et internée malgré une sédentarisation effectuée dès le début de l’occupation.
Reste que l’internement, résultant de mesures prises par le régime de Vichy ou par les troupes d’occupation et généralement appliquées par des fonctionnaires français, fut une réalité pour de nombreux Roms. Le plus déconcertant est que de nombreux Roms ne furent pas libérés en 1944 comme beaucoup d’autres internés. Certains d’entre eux restèrent prisonniers jusqu’en... mai 1946. Une circulaire du ministre de l’intérieur du 27 mars 1945 précisa :
L’internement n’est pas une peine destinée à sanctionner, au même titre que les peines judiciaires, les faits de collaboration et les activités antinationales. C’est une mesure exceptionnelle de police préventive destinée à mettre hors d’état de nuire ceux des individus que vous estimez dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique.
Les “retrouvailles” avec la République étaient ratées. Les relations entre les autorités et les populations romanies ne s’annonçaient pas sous les meilleurs auspices, d’autant que la loi de 1912 et le carnet anthropométrique qu’elle imposait aux populations “nomades” restèrent en vigueur à la Libération.
Décret relatif à l’interdiction de la circulation des nomades sur la totalité du territoire métropolitain
Le Président de la République française décrète :
Art. 1 - La circulation des nomades est interdite sur la totalité du territoire métropolitain pour la durée de la guerre.
Art. 2 - Les nomades, c’est-à-dire toutes personnes réputées telles dans les conditions prévues à l’article 3 de la loi du 16 juillet 1912, sont astreints à se présenter tous les quinze jours qui suivront la publication du présent décret, à la brigade de gendarmerie ou au commissariat de police le plus voisin du lieu où ils se trouvent. Il leur sera enjoint de se rendre dans une localité où ils seront tenus à résider sous la surveillance de la police. Cette localité sera fixée pour chaque département par arrêté du préfet.
Art. 3 - Les infractions à ces dispositions seront punies d’emprisonnement de un à cinq ans.
Art. 4 - Les dispositions de la loi du 16 juillet 1912 et du décret du 7 juillet 1926 qui ne sont pas contraires aux dispositions du présent texte, demeurent en vigueur.
Fait à Paris, le 6 avril 1940
Albert Lebrun
Loi de 1969 : la volonté administrative de sédentarisation
Sans aucune considération des préjudices subis durant la guerre et sans qu’aucun dédommagement ou aucune compensation ne soient entrepris, les pouvoirs publics français reprirent dès les années 1950, puis dans les années 1960, leurs pratiques discriminatoires envers les populations romanies.
Celles-ci se heurtent alors à de nombreux arrêtés, émanant de maires ou de préfets, visant à interdire purement et simplement le stationnement des nomades sur les territoires qu’ils administrent. Par une circulaire du 16 juin 1960, le préfet des Alpes-Maritimes interdit le “stationnement des nomades titulaires du carnet anthropométrique” sur plus de soixante-dix-neuf communes de son département. En octobre 1963, le tribunal administratif de Nice annule cet arrêté. Le ministère de l’intérieur n’entend pas désavouer son représentant. Il dépose un recours devant le Conseil d’État, qui le rejette. La décision du Conseil d’État rend illégale l’interdiction “générale et absolue du stationnement des nomades sur le territoire d’une commune”. En conséquence, le ministre de l’intérieur se voit obligé, dans une circulaire du 6 mars 1966 adressée aux préfets, de leur rappeler l’illégalité d’une telle interdiction. Toutefois, il n’est pas “interdit d’interdire” le stationnement : la loi de 1912 permet aux maires et aux préfets, notamment sous le motif toujours très flou de troubles à l’ordre public, de refuser l’installation de “nomades” sur le territoire communal mais cette interdiction ne doit pas être systématique ni illimitée dans le temps. Les panneaux “interdit aux nomades” deviennent eux aussi illégaux.
Face aux remous créés par cette situation, une nouvelle législation est adoptée en 1969. Le carnet anthropométrique est supprimé, mettant ainsi fin à une pratique humiliante et arbitraire. La loi du 3 janvier 1969 constitue un tournant dans l’approche entamée par les pouvoirs publics. La criminalisation et la suspicion généralisées ne figurent plus comme les seuls éléments du traitement légal des “nomades” bien que le contrôle des déplacements et de l’installation restent la préoccupation essentielle du législateur. Alors qu’un livret de circulation est mis en place pour les commerçants ambulants et les caravaniers pouvant justifier de revenus réguliers, un carnet de circulation est créé spécifiquement pour les “nomades” tels que définis par la loi de 1912, c’est-à-dire ne pouvant justifier de revenus réguliers. Chacun de ces documents devant être présenté chaque trimestre à un commissaire de police ou un commandant de gendarmerie, la non-possession de ces documents pouvant être puni jusqu’à un an d’emprisonnement.
Malgré les timides avancées que présentent ces nouveaux textes, la volonté de sédentariser administrativement les personnes itinérantes est, dans la continuité de la loi de 1912, l’élément déterminant de ce dispositif. L’instauration de la notion de “commune de rattachement”, qui ne sera pas annulée par les différentes lois Besson de 1990 et de 2000, est la marque de cette volonté. Symboliquement d’abord, par cette mesure, les pouvoirs publics affirment leur volonté de faire rentrer les “nomades” dans la norme et ceux-ci doivent donc, “comme tout le monde”, être dépendants d’une commune. Cette disposition n’est pas seulement symbolique. Ce rattachement est obligatoire et d’une durée de deux ans. La liberté de choix de la commune n’est pas totale car le préfet ou le maire de la commune peuvent s’y opposer. Justifiée par l’octroi de droits s’attachant à la commune de rattachement, cette mesure n’en constitua pas moins une obligation arbitraire au moins pour deux raisons : d’une part, en fixant à 3% la limite de la part de la population nomade dans la population municipale [59], les motivations de cette limite n’étant pas exposées ; d’autre part, en imposant pour toute demande de changement de commune de rattachement l’existence de liens réels avec la nouvelle commune.
Article 9 : [La demande] doit être accompagnée de pièces justificatives, attestant l’existence d’attaches que l’intéressé a établies dans une autre commune de son choix.
A-t-on déjà vu des personnes sédentaires devoir prouver des liens réels avec une commune pour pouvoir s’y installer ? Selon Emmanuel Aubin, “l’objectif de cette loi était d’aboutir à une “sédentarisation” sans contrainte en incitant les nomades à revenir périodiquement dans la même localité pour y effectuer une partie des formalités administratives incombant à chaque citoyen français” [60]. Le juriste Christophe Daadouch et l’ethnologue Violaine Carrère ont pointé les dysfonctionnements liés à cette obligation de commune de rattachement :
Si, de fait, ce rattachement permettra de jouir de certains droits, tout montre qu’il est d’abord une contrainte, un moyen de surveillance et, finalement, de sédentarisation symbolique. [...] On ne sera pas surpris de constater que ces “effets attachés au domicile” sont surtout des obligations : l’accomplissement des obligations fiscales, l’accomplissement des obligations prévues en matière de sécurité sociale et l’obligation du service national. [61]
Droits illusoires mais obligations bien réelles lorsque l’on sait que la loi, toujours en vigueur, stipule que l’exercice du droit de vote n’est possible qu’après trois ans de rattachement à la commune alors que l’absence, souvent par simple oubli, au recensement a entraîné l’arrestation de nombreux jeunes Roms considérés comme déserteurs. Le journal Monde tsigane rapporte le cas du pasteur Raymond Colomba qui, suite à son rattachement à la commune de Décines-Charpieu en mars 2000, n’a pas obtenu l’autorisation de s’y inscrire sur les listes électorales en janvier 2002, alors qu’il était électeur depuis plus de dix ans à Laval. La mairie justifiant son refus en invoquant un rattachement administratif inférieur à trois ans. [62] L’égalité de droit avec les sédentaires est loin d’être acquise.
Outre cette dénonciation des dérives “liberticides” de telles mesures, Christophe Daadouch et Violaine Carrère soulèvent ce qui semble bien être, et de tout temps, le nœud gordien de toute politique concernant les “gens du voyage” : “Entre le désir de l’État de les voir s’installer et celui des élus locaux et d’une grande partie de la population de les voir circuler, les gens du voyage sont dans une situation paradoxale : il leur est imposé de se sédentariser sans que personne ne souhaite qu’ils puissent le faire.”
Finalement, et malgré les apparences, les dispositions retenues dans la loi de 1969 reprennent l’essentiel des fondements de celle de 1912. Les Roms itinérants restent considérés comme de dangereux marginaux qu’il convient de faire rentrer dans le rang, non plus par une criminalisation systématique, mais par des moyens apparemment moins révoltants mais tout aussi arbitraires.
Loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe [extraits]
Article 2 modifié par Loi 95-96 1995-02-01 art. 10
Les personnes n’ayant ni domicile ni résidence fixes de plus de six mois dans un État membre de l’Union européenne ne peuvent exercer une activité ambulante sur le territoire national que si elles sont ressortissantes de l’un de ces États. Elles doivent être munies d’un livret spécial de circulation délivré par les autorités administratives. Les personnes qui accompagnent celles mentionnées à l’alinéa précédent, et les préposés de ces dernières doivent, si elles sont âgées de plus de seize ans et n’ont en France ni domicile, ni résidence fixe depuis plus de six mois, être munies d’un livret de circulation identique. Les employeurs doivent s’assurer que leurs préposés sont effectivement munis de ce document, lorsqu’ils y sont tenus.Article 7
Toute personne qui sollicite la délivrance d’un titre de circulation prévu aux articles précédents est tenue de faire connaître la commune à laquelle elle souhaite être rattachée. Le rattachement est prononcé par le préfet ou le sous-préfet après avis motivé du maire.
Lois Besson : le grand malentendu
La loi Besson de 1990 : une nouvelle approche ?
La multiplication des conflits entre groupes de “voyageurs” et communes dans les années 1980 ainsi que la dégradation des conditions de vie dans les campements poussèrent les pouvoirs publics à réenvisager l’approche légale du déplacement et de l’installation des “gens du voyage”. La loi Besson, initialement proposée pour s’attaquer aux problèmes de logement des plus défavorisés, fut adoptée le 31 mai 1990. Sa disposition unique concernant les “gens du voyage” est contenue dans l’article 28. Celui-ci n’était pas prévu initialement et ne doit son existence qu’à une initiative parlementaire. Il est rédigé de la manière suivante :
Un schéma départemental prévoit les conditions d’accueil spécifique des gens du voyage, en ce qui concerne le passage et le séjour, en y incluant les conditions de scolarisation des enfants et celles d’activités économiques. Toute commune de plus de 5000 habitants prévoit les conditions de passage et de séjour des gens du voyage sur son territoire, par la réservation de terrains aménagés à cet effet. Dès la réalisation de l’aire d’accueil définie à l’alinéa ci-dessus, le maire ou les maires des communes qui se sont groupées pour la réaliser pourront, par arrêté, interdire le stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal. [63]
Cet article ne concerne que les populations itinérantes : il passe sous silence le cas des personnes ayant cessé, pour diverses raisons, de se déplacer, contraintes de se sédentariser dans des endroits souvent inadaptés. Il est cependant indéniable que la loi Besson de 1990 constitue une rupture avec les pratiques antérieures des pouvoirs publics. Le droit à l’itinérance est reconnu et les autorités locales doivent, par l’aménagement d’aires d’accueil, veiller à son bon déroulement. Jusque-là, seuls 5000 emplacements, dont 3200 aménagés entre 1981 et 1989, existaient pour un total de 25000 caravanes, selon un rapport du préfet Arsène Delamon [64]. Quel changement, au moins dans le verbe... Toutefois, plusieurs remarques amènent à réduire la portée réelle d’un tel texte :
– la nouvelle loi n’annulait pas l’obligation du titre de circulation ni celle de la commune de rattachement ; l elle n’était accompagnée d’aucune sanction pour les communes récalcitrantes ou pour les départements n’ayant pas mis sur pied le “schéma départemental d’accueil” prévu par la loi ; l le texte permettait aux maires ayant réalisé une aire d’accueil d’interdire de manière définitive le stationnement sur le reste du territoire communal. L’imprécision de cette dernière mesure, notamment sur les capacités d’accueil et sur la situation géographique de l’aire peut conduire à de graves abus. Par ce manque de précision, le législateur n’a-t-il pas donné aux maires la possibilité d’empêcher la venue de “gens du voyage” sur le territoire de sa commune ?
– rien n’était prévu pour les grands rassemblements commerciaux, évangéliques ou autres ;
– aucune mesure n’était prise en considération de la situation particulière des semi-sédentaires dont les haltes de longue durée relèvent d’un autre type d’itinérance ;
– la loi ignorait également le cas des familles sédentarisées sur des terrains leur appartenant et désireuses, sans parfois avoir d’autres choix, de conserver leurs caravanes. Ces familles sont très souvent en infraction avec certaines règles d’urbanisme et notamment celles relatives aux terrains agricoles ;
– la loi ne prend pas en compte la volonté de certaines familles de devenir propriétaires de terrains familiaux pouvant servir de bases à des déplacements plus ou moins fréquents ;
– finalement le principal reproche que l’on peut faire à ce texte est de n’envisager les populations romanies qu’à travers une vision comptable, sans aucun souci des envies et des besoins propres à tout un chacun : l’envie légitime de s’installer à côté de personnes que l’on a choisies, le besoin d’organiser des réunions de famille, de célébrer des mariages, d’avoir un espace où travailler, ...
Ces défaillances de la loi ne furent pas sans conséquence sur les rapports entre les populations romanies, les élus locaux et les administrés. L’absence de prise en compte des grands rassemblements s’est souvent traduite par de fortes tensions. En septembre 1997, un syndicat intercommunal regroupant plusieurs communes du département du Nord fit creuser un fossé autour de l’aérodrome de Bondues, régulièrement occupé par plusieurs centaines de familles en caravanes, pour en interdire l’accès. De nombreuses familles se virent alors empêchées de stationner à un endroit indispensable à leurs activités professionnelles (Braderie de Lille, foires, textiles...) ou religieuses, et cela en l’absence de solution de remplacement. Ce n’est que devant la menace de blocage de certains carrefours lors de la Braderie que le préfet a ordonné la réquisition du terrain tout en y limitant le nombre de caravanes.
En 1997, le rapport Delevoye permit de dresser un premier bilan de l’application de ces mesures dans les communes et les départements : à la date du 16 octobre 1995, quinze départements, seulement, avaient adopté un schéma approuvé par le préfet et le président du conseil général. Pour expliquer ces retards dans l’application de la loi, il faut souligner qu’au désintérêt des pouvoirs publics s’ajoutent, parfois, les querelles politiques entre représentants de l’État et présidents des conseils généraux.
Dans le rapport Delevoye, ce ne fut pas tant la situation des populations nomades confrontées à l’insuffisance des aires d’accueil qui interpella les sénateurs mais plutôt le manque de crédits alloués par l’État aux communes et surtout “l’insuffisance des moyens de coercition pour faire face aux problèmes posés par le stationnement illégal”. La commission, à travers son rapporteur, se félicitait pourtant “des moyens théoriquement étendus pour faire cesser le stationnement illégal”, notamment l’arrêt du Conseil d’État/ville de Lille du 2 décembre 1982 selon lequel “l’autorité de police générale peut réglementer les conditions de circulation et de séjour des nomades pour éviter qu’elles ne créent un danger pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique” [65]. Ce même arrêt et l’article R. 443-3 du code de l’urbanisme permettent aux maires des communes de moins de 5000 habitants “de limiter la durée de stationnement des caravanes des gens du voyage à une durée minimale de quarante-huit heures et maximale de quinze jours” [66]. Dans la proposition de loi présentée par la commission, le rapporteur insistait sur la nécessité de renforcer les moyens “concrets” de répression du stationnement “sauvage” : L’article unique de la proposition de loi aurait pour effet de permettre au maire d’interdire, par arrêté, le stationnement d’une durée excédant 24 heures (contre 48 heures jusque-là) sur le domaine communal en dehors des aires publiques d’accueil déterminées par le schéma départemental.
La commission de conclure : Selon l’exposé des motifs, ce dispositif permettrait non seulement d’améliorer l’accueil des nomades mais aussi de mieux faire respecter l’autorité municipale, souvent affaiblie par les confrontations avec les gens du voyage.
Dans cette proposition de loi, adoptée en première lecture par le sénat le 6 novembre 1997, le souci sécuritaire transparaît nettement plus que le souci humanitaire. D’autant que la demande d’instaurer un schéma national dénote la volonté des municipalités de se débarrasser de la question de l’accueil des “gens du voyage”.
Un bilan plus complet, réalisé en 1998 par Louis Besson, secrétaire d’État au logement, permit de prendre la mesure de la non-conformité, voire la situation d’illégalité de la majorité des communes et départements : seuls 47 départements avaient élaboré un schéma d’accueil et seulement 17 d’entre eux l’avaient adopté définitivement. Seules 358 communes de plus de 5000 habitants, sur un total de 1739, disposaient d’une aire d’accueil. [67] Des associations, telles que le GISTI ou le MRAP, dénoncèrent l’inapplication de la loi dans la majorité des cas mais plus encore son détournement par les municipalités. En effet, nombre d’aires d’accueil présentent d’énormes insuffisances : soit leurs capacités d’accueil sont trop petites, soit elles sont installées en périphérie des villes, près des bretelles d’autoroutes, des grands axes de communication ou de zones industrielles parfois désaffectées. Rares sont les aménagements dignes de ce nom. Les installations sanitaires sont souvent insuffisantes et en inadéquation avec le nombre d’emplacements.
La manœuvre était habile. Beaucoup de communes ayant satisfait à l’obligation d’aménagement d’une aire le firent dans des endroits éloignés de la population et soumis à d’importantes nuisances. Ce faisant, cette obligation remplie, les municipalités peuvent se débarrasser de manière absolue et systématique des “gens du voyage” sur le reste de leurs territoires.
Les aménagements de la loi du 5 juillet 2000 [68]
Les ambiguïtés, les défaillances, l’inapplication ou la mauvaise application des dispositions de la loi Besson, mais aussi et surtout les protestations des élus locaux rendirent nécessaire l’adoption d’une nouvelle loi “relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage” en juillet 2000. Lors d’un colloque à Bourg-en-Bresse en 1999, Louis Besson déclarait : L’objectif général du projet de loi présenté au conseil des ministres le 14 mai 1999, est de définir un équilibre satisfaisant entre, d’une part, la liberté constitutionnelle d’aller et de venir et l’aspiration des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes et, d’autre part, le souci également légitime des élus locaux d’éviter des installations illicites qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés.
Reprenant les dispositions de l’article 28 de la première loi Besson, quatre grands axes se dégagent : l la signature d’un schéma d’accueil dans chaque département avant le 5 janvier 2002, prévoyant les aires de stationnement nécessaires et désignant les communes où elles devaient être aménagées. Passé ce délai, l’État “peut acquérir les terrains nécessaires, réaliser les travaux d’aménagement au nom et pour le compte de la commune défaillante” ;
– l’obligation, pour les communes de plus de 5000 habitants, de construire des aires d’accueil dans un délai de deux ans après l’adoption du schéma départemental ;
– la prise en charge par l’État, afin d’inciter à ces aménagements, du financement des travaux à hauteur de 70% ;
– la possibilité pour les communes ayant réalisé des aires d’accueil d’interdire, par arrêté, le stationnement en dehors des sites prévus. Les maires peuvent “par voie d’assignation délivrée aux occupants et, le cas échéant, au propriétaire du terrain ou au titulaire d’un droit réel d’usage, saisir le tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner l’évacuation forcée des résidences mobiles”.
Cet équilibre évoqué par Louis Besson prenait en réalité la forme d’un marchandage réalisé avec les édiles locaux, notamment la puissante Association des maires de France, et du sénat. Précisons également que le rapporteur de la commission sénatoriale, Jean-Paul Delevoye, n’était autre que le président de cette association.
Ainsi, l’obligation d’aménager une aire dans les communes de plus 5000 habitants est maintenue et renforcée par l’exigence d’établir des schémas départementaux dans les dix-huit mois à partir de l’entrée en vigueur de la loi. La carotte et le bâton, tels sont les moyens mis en œuvre par l’État pour pousser les communes à respecter cette obligation. La carotte par le financement des frais d’aménagement et de gestion des aires à hauteur de 70% par l’État (contre 35% auparavant). L’État satisfaisait ainsi l’une des principales revendications des élus locaux formulée dans la proposition de loi remise par le rapport Delevoye. Citée dans la revue Diagonal, Christiane Chanliau, chargée d’études à la Direction générale de l’urbanisme, constatait que le prix du terrain représente 25% des coûts totaux de la construction d’une aire d’accueil et qu’une commune qui consentirait à mettre un de ses terrains à disposition à cet effet, verrait son investissement réduit à 5% [69]. L’article 3, objet d’une passe d’armes houleuse entre sénateurs et députés, fit figure de “bâton”, en donnant le droit aux préfets, si les délais prévus par les schémas départementaux n’étaient pas respectés, d’imposer la réalisation des travaux d’aménagement après acquisition des terrains nécessaires.
En contrepartie à ces exigences, et c’était là le deuxième souhait de la commission Delevoye, le pouvoir des maires en matière d’interdiction du stationnement illicite et d’expulsion s’est trouvé nettement renforcé. Le nouveau dispositif permet aux municipalités d’accélérer les procédures d’expulsion lors d’un stationnement “sauvage” sur un terrain communal mais également sur un terrain privé. Le maire peut dès lors entamer une procédure à la place de l’un de ses administrés qui n’en n’éprouverait pas l’envie. Si les élus locaux n’ont pas obtenu, et il s’en est fallu de peu, le pouvoir de décider eux-mêmes de l’expulsion des contrevenants, ils pourront en tout cas saisir un juge afin d’obtenir une décision rapide. Dans une publication destinée aux collectivités locales, le commissaire Daniel Merchat note que “le juge dispose d’un pouvoir d’injonction, assorti d’astreinte, qui devrait éviter aux maires de multiplier les procédures. Enfin, la procédure de référé d’heure à heure exécutoire sur minute, c’est-à-dire sans signification, est applicable aux stationnements illicites des gens du voyage.” [70] La possibilité d’interdire le territoire communal aux “gens du voyage” est élargie, par de nouvelles dispositions, aux communes qui participent à travers l’intercommunalité à la mise en œuvre du schéma départemental ou à celles qui contribuent au financement d’une aire aménagée. De “l’esprit de la loi” à son interprétation le fossé se creusait. L’exemple de la commune de Villers-les-Nancy en Meurthe-et-Moselle est, en cela, significatif. Le 28 août 2002, le premier magistrat de cette commune, Pascal Jacquemin, écrivait dans une lettre ouverte à ses administrés : Depuis la mi-juin, il ne s’est pas passé un seul jour sans que je sois le destinataire d’un courrier d’un riverain ou d’une entreprise, se plaignant des nuisances occasionnées par les gens du voyage, aux habitations, aux locaux professionnels et à l’environnement, lorsqu’il ne s’agit pas de petits larcins ou même de comportements, heureusement isolés, portant atteinte aux bonnes mœurs. [...]
J’ai également mobilisé en permanence la Police municipale sur le terrain afin de limiter, autant que possible, les effets néfastes de ce stationnement. [...]
Aujourd’hui, je suis en mesure de vous annoncer que ces efforts [les démarches auprès des autorités compétentes] ont porté leurs fruits. [...]
Ce type de stationnement ne sera plus toléré sur le plateau de Bradois. La communauté urbaine du Grand Nancy demandera à la SOLOREM de renforcer la fermeture des accès au plateau.
Il n’y aura ni d’implantation d’une aire de grand passage ni d’aire aménagée permanente sur le territoire de la commune. C’est ce dernier point qui me semble très important car, en principe, il devrait mettre un terme définitif à ce problème.
S’insurgeant contre les tentatives de récupération de l’extrême droite, le maire s’empresse de rajouter :
Encore une fois les pires extrémistes cherchent à terroriser et à manipuler la population pour gouverner par la peur. Pourtant personne n’oublie que les nazis ont exterminé plus de 500000 Roms pendant la guerre avec, en France, l’aide du gouvernement de Vichy. L’extrême droite n’a pas de leçon à donner à qui que ce soit.
Sachez que votre équipe municipale est quotidiennement sur le terrain pour trouver une solution humaine, concrète et démocratique à la situation difficile à laquelle nous avons tous été confrontés.
Malgré les propos de Louis Besson, l’équilibre entre la volonté des itinérants de circuler et le désir des maires de la réglementer est loin d’être atteint. L’exemple évoqué ci-dessus est en ce sens éloquent. La commune de Villers-les-Nancy semble être un endroit régulièrement fréquenté par les “gens du voyage”. Pourtant, comme s’en félicite le maire, l’accès de la commune leur est à présent interdit sans que celle-ci n’ait à mettre à leur disposition un endroit de substitution. À force d’aménagements et de dérogations liés à l’intercommunalité ou à la possibilité de substitution financière à l’aménagement d’une aire d’accueil, la loi Besson reste lettre morte. Pire, elle confine maintenant les déplacements et le séjour des “gens du voyage” à un réseau d’aires d’accueil dont l’implantation répond aux désirs des pouvoirs publics et non aux besoins économiques, professionnels, religieux ou familiaux des populations itinérantes.
Celles-ci ne s’y sont d’ailleurs pas trompé, comme le montre cet extrait de l’interview accordée par Dominique Boiteau, délégué départemental de l’ASNIT [71] au quotidien Libération [72] lors de la discussion du projet de loi :
Libération : Cette obligation de faire des aires vous satisfait-elle ?
Dominique Boiteau : Avant, les gens s’arrêtaient où ils voulaient. Pendant longtemps, le stationnement était le fait d’arrangements avec des agriculteurs ou le garde-champêtre. L’aire d’accueil nous la subissons puisque dès lors qu’une commune aménagera un terrain, nous n’aurons plus le droit de stationner ailleurs sur son territoire.
L : Émettez-vous aussi des réserves sur le seuil de 5000 habitants ?
D. B. : Actuellement je stationne dans un village alsacien d’un millier d’habitants. Le jour où toutes les villes de plus de 5000 habitants seront dotées d’aires d’accueil, est-ce que j’aurai encore le droit de stationner dans un village ? La question doit être clarifiée pendant le débat. Parce que si la réponse est négative, cela voudra dire que toute une partie du territoire nous est interdite.
L : Le texte qu’examine l’Assemblée ne porte que sur l’accueil et le stationnement. Quels sont les autres problèmes auxquels sont confrontés les gens du voyage ?
D. B. : Nous sommes très demandeurs d’une politique de l’enseignement adaptée à notre mode de vie. Nos enfants doivent pouvoir être scolarisés sans nous forcer à nous sédentariser. Nous souhaitons un développement des écoles-bus, de classes montées sur les terrains de passage ou encore d’un enseignement par correspondance efficace. Et l’accès à la santé reste pour nous une demande très importante.
La loi Besson risque d’entraîner la multiplication des expulsions, les municipalités s’y préparent. Dans son ouvrage, Daniel Merchat indique la marche à suivre pour faciliter les expulsions. Ses conseils sont regroupés dans un vade-mecum intitulé : “Des gens du voyage viennent d’arriver”. Il écrit :
Une intrusion de gens du voyage est une partie d’échecs dans laquelle les gens du voyage ont joué le premier coup avec les blancs. Toute la stratégie consiste à transformer la situation initiale défensive, où les riverains subissent les événements, en situation offensive.
Il décrit ce qu’il croit être la position des “gens du voyage” : “ils savent qu’ils ont pris l’initiative, [...] ils ont l’habitude des affrontements, ils sont entraînés aux conflits, [...] ils savent comment les riverains vont réagir, ils savent qu’ils devront partir.” Il préconise la mobilisation tout azimut “des riverains, adjoints et conseillers, police municipale, gendarmerie nationale, sous-préfet, préfet, procureur, président du TGI... tous les jours”. Il déconseille, entre autres : les négociations violentes, les concessions inutiles, le ramassage de leurs ordures, les autorisations diverses, les variations du discours, les améliorations de leurs conditions de vie.
Pour la “négociation” il conseille “après avoir repris l’initiative : le constat d’huissier, la procédure de référé. Après avoir pesé sur les gens du voyage : contrôles de police, procédures (vols d’électricité ou/et d’eau). Pas de délai supplémentaire pour décès dans la famille, voiture en panne, travail à finir, marché à faire.”
S’il est peut-être possible aux “gens du voyage” de réparer rapidement une voiture en panne, il leur sera nettement plus difficile par contre de ne pas mourir quelque part. Outre l’utilisation d’un langage guerrier (“stratégie”, “défensive”, “offensive”, “affrontements”, “conflits”) de la part d’un agent de l’État dans une publication destinée aux collectivités locales, les incitations à ne pas améliorer les conditions de vie de familles déjà souvent en situation précaire laissent perplexes, comme les conseils visant à gêner le système économique itinérant (celui-ci étant sans doute perçu comme un prétexte). Cela d’autant plus que dans un rapport remis en décembre 2002 à Christian Estrosi, rapporteur du projet de loi sur la sécurité intérieure, le président de la Commission nationale consultative des gens du voyage (CNCGDV) estimait que seules 116 aires d’accueil permanentes existaient sur les 1482 prévues et que sur 246 aires de grand passage estimées nécessaires, 17 seulement avaient vu le jour. En tout et pour tout, 29 schémas départementaux avaient été signés. Le président de la CNCGDV rappelait que “les schémas auraient dû être conclus avant le 6 janvier 2002 et que, passé ce délai, l’article 1er de la loi du 5 juillet 2000 prévoit expressément qu’ils sont approuvés par le représentant de l’État dans le département.”
Les problèmes rencontrés sont récurrents : la moitié seulement des aires répondent aux normes d’hygiène et de salubrité. Selon un rapport (début 2002) de Jean-Louis Cottigny à Marie-Noëlle Lienman, alors secrétaire d’État au logement, les autres “sont situées dans un contexte de nuisance et de risque : voie à grande circulation, voie SNCF, décharge, station d’épuration, zone inondable”.
Quels autres choix, dans ces conditions, que le stationnement “sauvage” ? Quelles autres alternatives aux tensions entre autorités locales et populations itinérantes ? Parmi tant d’autres, l’expulsion, le 27 février 2002, d’un campement installé dans une zone industrielle d’Argenteuil, est à ce titre significatif. Les militants associatifs et les syndicalistes présents sur place pour témoigner leur solidarité à cette communauté dénoncèrent les conditions dans lesquelles cette expulsion fut ordonnée. Expulsion réalisée, selon eux, en dehors de toute légalité puisque aucun référé n’avait été signifié. Malik Salemkour, de la CNCGDV, n’hésitait pas à évoquer, quelques mois auparavant, dans Le Monde, “un vrai risque d’explosion sociale”.
Loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage [extraits]
Article 1
I. - Les communes participent à l’accueil des personnes dites gens du voyage et dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles.
II. - Dans chaque département, au vu d’une évaluation préalable des besoins et de l’offre existante, notamment de la fréquence et de la durée des séjours des gens du voyage, des possibilités de scolarisation des enfants, d’accès aux soins et d’exercice des activités économiques, un schéma départemental prévoit les secteurs géographiques d’implantation des aires permanentes d’accueil et les communes où celles-ci doivent être réalisées. Les communes de plus de 5000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental. Il précise la destination des aires permanentes d’accueil et leur capacité. Il définit la nature des actions à caractère social destinées aux gens du voyage qui les fréquentent. Le schéma départemental détermine les emplacements susceptibles d’être occupés temporairement à l’occasion de rassemblements traditionnels ou occasionnels et définit les conditions dans lesquelles l’État intervient pour assurer le bon déroulement de ces rassemblements. Une annexe au schéma départemental recense les autorisations délivrées sur le fondement de l’article L. 443-3 du code de l’urbanisme. Elle recense également les terrains devant être mis à la disposition des gens du voyage par leurs employeurs, notamment dans le cadre d’emplois saisonniers.
III. - Le schéma départemental est élaboré par le représentant de l’État dans le département et le président du conseil général. Après avis du conseil municipal des communes concernées et de la commission consultative prévue au IV, il est approuvé conjointement par le représentant de l’État dans le département et le président du conseil général dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi. Passé ce délai, il est approuvé par le représentant de l’État dans le département. Il fait l’objet d’une publication. Le schéma départemental est révisé selon la même procédure au moins tous les six ans à compter de sa publication.
IV. - Dans chaque département, une commission consultative, comprenant notamment des représentants des communes concernées, des représentants des gens du voyage et des associations intervenant auprès des gens du voyage, est associée à l’élaboration et à la mise en œuvre du schéma. Elle est présidée conjointement par le représentant de l’État dans le département et par le président du conseil général ou par leurs représentants. La commission consultative établit chaque année un bilan d’application du schéma. Elle peut désigner un médiateur chargé d’examiner les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ce schéma et de formuler des propositions de règlement de ces difficultés. Le médiateur rend compte à la commission de ses activités.
V. - Le représentant de l’État dans la région coordonne les travaux d’élaboration des schémas départementaux. Il s’assure de la cohérence de leur contenu et de leurs dates de publication. Il réunit à cet effet une commission constituée des représentants de l’État dans les départements, du président du conseil régional et des présidents des conseils généraux, ou de leurs représentants.
Article 3
I. - Si, à l’expiration d’un délai de deux ans suivant la publication du schéma départemental et après mise en demeure par le préfet restée sans effet dans les trois mois suivants, une commune ou un établissement public de coopération intercommunale n’a pas rempli les obligations mises à sa charge par le schéma départemental, l’État peut acquérir les terrains nécessaires, réaliser les travaux d’aménagement et gérer les aires d’accueil au nom et pour le compte de la commune ou de l’établissement public défaillant. Les dépenses d’acquisition, d’aménagement et de fonctionnement de ces aires constituent des dépenses obligatoires pour les communes ou les établissements publics qui, selon le schéma départemental, doivent en assumer les charges. Les communes ou les établissements publics deviennent de plein droit propriétaires des aires ainsi aménagées, à dater de l’achèvement de ces aménagements.
Article 4
L’État prend en charge les investissements nécessaires à l’aménagement et à la réhabilitation des aires prévues au premier alinéa du II de l’article 1, dans la proportion de 70% des dépenses engagées dans le délai fixé à l’article 2, dans la limite d’un plafond fixé par décret. La région, le département et les caisses d’allocations familiales peuvent accorder des subventions complémentaires pour la réalisation de ces aires d’accueil.
2002 : vers une nouvelle législation d’exception
À ce jour, aucune avancée notable ne semble avoir été effectuée dans les conditions d’accueil des “gens du voyage”. Peut-être parce que depuis 2000, la logique du traitement légal de cette question s’est orientée, dans un contexte de primauté au sécuritaire, vers un tout répressif.
Quelles que soient les critiques que l’on puisse faire à la loi Besson, celle-ci envisage les populations itinérantes, avec toutes les restrictions que nous avons évoquées, sous l’angle d’un mode de vie encadré certes mais reconnu. Avec la loi sur la sécurité intérieure (LSI, adoptée le 13 février 2003) et la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI, été 2002), la criminalisation collective et la suspicion généralisée semblent bien être de nouveau les deux facettes de la nouvelle - mais pas tant que cela - logique étatique.
Les “gens du voyage” sont l’objet, via leur stationnement, de l’article 19 de cette LSI :
Le fait de s’installer, en réunion, en vue d’y établir une habitation, sur un terrain appartenant soit à une commune qui s’est conformée aux obligations lui incombant en application de l’article 2 de la loi n°2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, soit à tout autre propriétaire sans être en mesure de justifier de son autorisation ou de celle du titulaire du droit d’usage du terrain, est puni de six mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende.
Lorsque l’installation s’est faite au moyen d’un véhicule automobile, il peut être procédé à la saisie du véhicule en vue de sa confiscation par la juridiction pénale.
Les personnes physiques coupables de ce délit encourent également les peines complémentaires suivantes :
1° - la suspension pour une durée de trois ans au plus du permis de conduire.
2° - la confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction.
Au texte initial de la LOPSI, présenté devant l’assemblée nationale les 16 et 17 juillet 2002, qui prévoyait de “mieux réprimer l’envahissement de propriétés privées”, plusieurs parlementaires proposèrent avec succés des amendements encore plus contraignants.
Le rapporteur Christian Estrosi insista pour étendre son application aux domaines publics alors que son collègue, Alain Joyannet (Haute-Loire), de la commission des finances, faisait adopter l’amendement permettant la confiscation des véhicules, après que Nicolas Sarkozy l’ait lui-même évoqué devant la commission des lois comme peut-être “l’une des solutions” [73]. Dans le même temps, deux autres parlementaires, Richard Dell’Agnola et Christine Boutin, demandèrent la constitution d’une commission d’enquête sur “le train de vie des gens du voyage” [74]. Cette dernière a également présenté un amendement permettant d’utiliser les Groupements d’intervention régionaux (GIR), tout juste créés pour lutter contre “l’économie souterraine dans les quartiers en difficulté”, afin de soumettre les Roms itinérants aux contrôles croisés des services de douanes, des services fiscaux et des forces de l’ordre.
Les dispositions contenues dans cet article sont particulièrement inquiétantes pour plusieurs raisons :
– Dans le cadre de la LSI, le traitement des “gens du voyage” est intégré à un cadre législatif visant à réprimer et à surveiller plus étroitement pêle-mêle : les prostitué-e-s [75] et les proxénètes, ceux qui exploitent la mendicité, les mendiants eux-mêmes, les “jeunes de banlieues”, les squatteurs, ... [76] Le seul point commun aux catégories énoncées étant d’être considérées comme les “fauteurs d’insécurité”. Même si le gouvernement se défend de s’en prendre aux “gens du voyage” en général et affirme ne vouloir s’attaquer qu’à ceux en infraction avec la loi, l’insuffisance du nombre d’aires d’accueil et d’emplacements place l’immense majorité des “gens du voyage” en situation d’infraction. S’il n’y a pas d’aires il faut bien de toute façon stationner quelque part. Interrogée par une journaliste du Midi libre, une Manouche affirmait : “Nous restons parfois deux semaines sans trouver d’aire d’accueil. Alors nous cherchons des endroits où plusieurs caravanes sont déjà installées.” [77] En présentant les “gens du voyage” à travers un potentiel risque social, le gouvernement ne risque-t-il pas d’envenimer une coexistence parfois déjà difficile ? En plus, “l’amalgame entre “gens du voyage”, “délinquance”, “économie souterraine” et “immigration clandestine” stigmatise cette population, la livre à la vindicte publique, et crée un climat de suspicion et de violence généralisée” soulignait, dans un communiqué de presse le 2 août 2002, de nombreuses associations de défense des populations romanies. [78]
– Le fait de limiter ces mesures aux communes ayant rempli les obligations de la loi Besson n’apporte aucune garantie notamment du fait des multiples dérogations dues à l’intercommunalité ou aux compensations financières.
– Supprimer les véhicules revient à supprimer la possibilité de poursuivre un mode de vie itinérante, ce qui ne peut être qu’en contradiction avec la Constitution. Il n’est nullement indiqué ce que deviendront les familles à qui ces biens auront été confisqués.
– La confiscation des biens comme la lourdeur des amendes ne peuvent qu’aggraver la situation d’une population déjà largement précarisée (dans la ville de Pau par exemple, deux tiers des “gens du voyage” ne survivent que grâce au RMI [79]).
La LSI apparaît comme la concrétisation d’un vieux désir des pouvoirs publics, jamais encore pleinement assouvi, celui de la mise en place des moyens d’un véritable contrôle socio-spatial au détriment des populations itinérantes. Ces mesures sont paradoxalement un moyen de faire respecter la loi Besson dans ce qu’elle a de volonté de surveiller et de cantonner le nomadisme aux endroits prévus à cet effet. Endroits ne répondant pas toujours, nous l’avons déjà dit, aux nécessités du mode de vie itinérant. Mais après tout, qu’importent ces nécessités aux pouvoirs publics puisque ceux-ci refusent, bien souvent, d’admettre que les activités professionnelles de ces populations sont bien réelles, et les soupçonnent de ne vivre que de larcins et de trafics. Le ministre de l’intérieur lui-même ne déclara-t-il pas devant la commission des lois : “Comment se fait-il que l’on voit dans certains campements tant de si belles voitures, alors qu’il y a si peu de gens qui travaillent ?” [80] Méconnaissance noyée dans les préjugés ou argumentation politique inscrite dans une logique de criminalisation ? En entretenant les idées reçues, les autorités ravivent un processus de marginalisation qui, à l’inverse du but officiellement poursuivi, peuvent effectivement n’offrir que la “délinquance” comme moyen de survie.
Une fois encore, la législation applicable aux “gens du voyage” n’est compréhensible qu’à travers le contexte politique propre à l’époque. Deux facteurs au moins ont concouru à la mise en place d’un tel arsenal répressif : d’une part, un climat politique omnibulé par les questions de sécurité depuis plusieurs années et, d’autre part, l’augmentation et la médiatisation de l’immigration en provenance de Roumanie, comprenant de nombreux Roms.
Sécuritaire : le dernier bastion des politiciens
La focalisation du discours politique sur les questions de sécurité est, elle, le fruit d’un enchaînement de facteurs étroitement liés. Le premier est, semble-t-il, l’abandon du champ économique par la majorité des acteurs politiques.
Schématisons : la libéralisation économique, la mondialisation des échanges, l’imbrication des économies nationales ont conduit les politiciens de droite comme de gauche à considérer et à présenter comme inévitables les fluctuations économiques en période de croissance comme de crise. Les accords internationaux (OMC, Maastricht, Schengen...) et les directives du FMI à travers le monde ont contribué à limiter le champ d’action de l’État aux pouvoirs régaliens que lui assignaient les penseurs libéraux du 19e siècle : la police, la justice et l’armée. Conscients des limites de leurs actions sur d’autres sujets, les gouvernants mais aussi leurs oppositions en attente d’alternance, à plus forte raison lors des campagnes électorales, placent les thèmes liés à ces domaines au centre de l’intervention politique.
Du coup la tentation de la surenchère sécuritaire est grande. Celle-ci est d’autant plus forte en période de crise. Ne pouvant ou ne voulant résoudre les bases économiques des problèmes sociaux, l’action des pouvoirs publics se focalise contre les symptômes et non les causes. [81]
Cela se manifeste en France par l’adoption d’une série de législations plus répressives les unes que les autres depuis le début des années 1990. Les lois dites Pasqua, Joxe, Debré ou Chevènement, dont la répétition prouve l’inefficacité du fait de leur inadéquation, ont chacune amené leur pierre à la grande muraille sécuritaire. Le gouvernement Jospin, avec la loi sur la sécurité quotidienne (LSQ, 2001), n’a pas failli à la tradition. Ce faisant et par les débats suscités par cette loi, ce gouvernement a définitivement placé ces questions au centre de la campagne électorale de l’élection présidentielle de 2002.
Les partis de droite et le président sortant, dont le bilan se réduisait à la dissolution d’une assemblée acquise à sa cause, firent donc de la sécurité l’axe essentiel de leurs campagnes électorales. Cette cristallisation présentait le double avantage, pour la droite, d’être un sujet sur lequel la gauche se trouve généralement mal à l’aise et divisée et, surtout, de récupérer un électorat ayant tendance à glisser à l’extrême droite. La volonté de combattre ou, bien souvent, de récupérer le vote Front national a également conduit à focaliser l’attention sur ses thèmes de prédilection. Les partis politiques de droite et d’une grande partie de la gauche n’hésitèrent pas longtemps entre deux alternatives : soit reprendre les thèmes traditionnellement exploités par l’extrême droite pour séduire son électorat, au risque que les électeurs préfèrent “l’original à la copie”, soit s’y opposer au risque de paraître en décalage avec les préoccupations d’une partie de l’opinion publique.
Le choix ne fut pas cornélien, et même si les experts n’en ont pas fini d’analyser les résultats du premier tour de l’élection présidentielle, le score du candidat du Front national est là pour démontrer le risque de telles stratégies.
Une fois réélu, Jacques Chirac dut, dans la lignée de sa campagne électorale, activer une série de mesures visant à satisfaire les attentes de ses électeurs. La première étape fut de désigner des responsables à cette insécurité, complaisamment décrite, et au sentiment de peur, parfois bien réel mais souvent suscité et entretenu, qu’elle engendrait. Les “gens du voyage” étaient parmi eux. L’offensive contre ceux-ci avait d’ailleurs, délibérément ou pas, été bien préparée.
Dès septembre 2001, Le Figaro, dans un article intitulé “Délinquance : un rapport accablant pour les Tsiganes”, publiait “un rapport encore confidentiel d’un officier de police, le capitaine Philippe Pichon [révélant] l’ampleur des crimes et délits commis par les populations nomades issues de plusieurs groupes (Manouches, Gitans, Yéniches, Roms) qui représenteraient, en France, de 280000 à 350000 personnes, réparties à part sensiblement égales entre nomades, sédentaires et semi-sédentaires” [82].
Outre les contradictions propres à l’article, il est notable que c’est l’ensemble des populations romanies qui était montré du doigt. En citant un extrait du rapport Pichon [83], le quotidien signalait que “les Nomades commettraient trente fois plus d’infractions contre les personnes et cinq fois plus contre les biens que les délinquants locaux. [...] Un tiers [des nomades] aurait été condamné comme auteur, coauteur ou complice de délits ou de crimes...” En s’appuyant sur une étude de la cellule interministérielle de liaison sur la délinquance itinérante (CILDI) mise en place en 1997, l’article énumère dans l’article, avec une étonnante précision, les actes délictueux attribués aux “gens du voyage” : “60 distributeurs de billets pillés, 530 coffres percés, 2200 vols de fret (contre 11740 au plan national, soit 19%), 1200 pillages à la voiture bélier, 500 vols avec violence contre des personnes âgées (contre 2000 au plan national soit 25%) etc.” Cité, le capitaine en tirait alors les conclusions qui lui paraissent s’imposer : “Si l’éternelle mobilité des nomades évoque davantage la cavale des délinquants en fuite que l’exercice d’une liberté reconnue à tous les citoyens, comment s’étonner que la dialectique voyage et délinquance induise nécessairement dans les représentations que la délinquance soit érigée en système de vie ?” [84]
Outre les manifestations caricaturales d’antiromisme qui émanent de cet article (systématisation de la délinquance à un groupe dans son ensemble, négation du nomadisme comme mode de vie et assimilation de celui-ci à une fuite de délinquants, ...), de nombreuses questions restent en suspens.
Comment et sur quels critères les actes délictueux et criminels imputables aux populations romanies sont-ils comptabilisés ? Existe-t-il un fichier national permettant de les regrouper ? Demande-t-on à chaque délinquant s’il est d’origine romanie, s’il fait partie des “gens du voyage” ? Existe-t-il d’autres comptabilisations des crimes et délits par catégories de populations ? Si tel est le cas, quels sont les taux de criminalité chez les Juifs, les catholiques, les protestants, les Africains, les Maghrébins, les Corses, les fonctionnaires, les forains, les prêtres, les militaires ? Si tel n’est pas le cas, pourquoi est-ce réservé aux seuls Roms ?
Y aurait-il des consignes dans les commissariats, les gendarmeries ou les prisons pour renvoyer les informations concernant les “gens du voyage”, plus généralement, quelles sont les sources utilisées par la CILDI pour avancer des résultats aussi précis ?
Est-ce que les délits liés aux cas de stationnements dits sauvages (occupation illégale de terrain, dégradations, “vols” d’eau ou d’électricité, troubles à l’ordre public) sont pris en compte dans la comptabilisation des infractions contre les biens et les personnes ? Si tel est le cas, et devant le dysfonctionnement des structures d’accueil, ceci explique peut-être l’ampleur des actes délictueux.
Il n’est nullement question de nier les activités délictueuses ou criminelles de certaines personnes itinérantes. Comme dans toute catégorie de population en situation de marginalisation et de précarisation [85], la délinquance visible (en opposition à une délinquance invisible ou en “col blanc”) est une réalité bien présente. Marcel Courthiade, un des responsables de l’URI et professeur de romani à l’INALCO, apporte sur ce point quelques éclaircissements :
Il semble impossible de nier que la délinquance est plus élevée chez les Roms que dans l’ensemble de la population : l’impartialité du raciste consiste à livrer des chiffres sans commentaire. Or dans certains pays des recherches plus honnêtes ont été effectuées et il est apparu que le degré de délinquance est exactement le même chez les Roms que chez les non-Roms si l’on considère les deux populations par classe sociale équivalente. [...] Le double malheur des Roms est de se trouver presque en totalité dans les classes les plus défavorisées et les plus violentes. [86]
Le 18 juillet, au moment même où la LOPSI était discutée à l’Assemblée, Le Figaro titrait en une : “Les élus locaux en guerre contre les nomades”. Suivant l’auteur de l’article, “la CILDI fait aujourd’hui état de 20 à 30 altercations chaque semaine entre élus locaux et nomades”. Dans la même édition, Delphine Moreau reprenait les informations du rapport Pichon et citait ensuite le parlementaire Richard Dell’Agnola selon lequel “la loi Besson crée chez les gens du voyage un sentiment d’impunité intolérable” [87].
Nous voyons à travers ces exemples tirés d’une partie de la presse que l’offensive contre les “gens du voyage” ne tombe pas du ciel. Pour donner l’impression d’urgence et de la nécessité d’une réponse répressive forte, il suffit, comme cela fut fait par la suite, d’amalgamer “gens du voyage” en France, Roms roumains demandeurs d’asile qui s’entassent dans des bidonvilles insalubres en périphérie des grandes agglomérations françaises, et réseaux de trafiquants roumains, parfois effectivement d’origine romanie, qui exploitent des personnes handicapées ou des prostituées.
Les Roms d’origine roumaine sur le devant de la scène (bien malgré eux)
La chute des régimes communistes d’Europe de l’Est entraîna une détérioration de la situation déjà peu reluisante des communautés romanies dans les anciens pays du bloc soviétique. [88] La libéralisation de l’économie, entraînant ouverture des marchés, fermetures d’usines et “dégraissage” de la fonction publique, ne manqua pas d’accentuer la paupérisation de l’ensemble de la population. Parmi les catégories les plus vulnérables, les Roms ressentirent encore plus cruellement cette transition économique. Intrinsèquement liée à cette crise économique : la résurgence des aspirations nationalistes et des sentiments xénophobes. En Roumanie, la haine antirom atteint son paroxysme lors de l’incendie de 22 maisons de Roms dans le village de Bolintin-Deal, en avril 1991, par une foule de 2 à 3000 personnes, le prétexte en étant la mort d’un jeune roumain poignardé par un jeune Rom. Déjà en octobre 1990, trente-quatre maisons de Roms avaient été incendiées dans le village roumain de Constanza. [89] “Ainsi, la transition démocratique s’est traduite par le développement de l’insécurité physique, provoquée par la montée des actions violentes et leur généralisation”, notait Henriette Asséo. [90]
L’actualité récente a replacé les Roms roumains sur le devant de la scène. La première raison fut l’arrivée en France, entre 2000 et 2002, de plusieurs groupes de Roms au sein d’une vague d’immigration en provenance de Roumanie. Déjà en 1995, plusieurs centaines de familles s’installèrent autour de Lyon. Beaucoup essayèrent d’obtenir le statut de réfugié. En contradiction avec la convention de Genève, la clause de cessation introduite par les lois Chevènement permit de priver de nombreux Roumains du droit d’asile. [91] Clause renforcée par une procédure d’examen prioritaire permettant de supprimer l’autorisation provisoire de séjour. Ces mesures eurent pour effet de réduire le nombre de demandeurs d’asile roumains par sept. [92]
Les raisons qui poussent ces personnes sur les routes restent les mêmes, à savoir : la misère dans leur pays, le manque de perspectives, les discriminations systématiques et parfois les violences. Cette législation restrictive n’empêcha pas de nombreuses familles, n’ayant plus grand chose à perdre, de retenter leur chance. Ils furent ainsi des milliers à s’installer dans des bidonvilles périphériques que l’on croyait disparus depuis la fin des années 1960 - ce qui est faux notamment pour certains groupes de Roms sédentarisés sur des terrains vagues dans des cabanes ou des caravanes insalubres. Toutefois, l’ampleur prise par ce phénomène suscita un choc dans une opinion publique croyant ces paysages réservés à Calcutta ou Rio de Janeiro. Les plus médiatisés de ces “nouveaux” bidonvilles furent ceux de Choisy-le-Roi et de Vaulx-en-Velin. Leurs conditions de vie déplorables firent régulièrement la une de la presse locale comme nationale.
Aux cotés de la caravane, une vieille machine à laver et un frigo récupérés ont été raccordés à une borne EDF. Au sol sur ce qui fut autrefois un chemin, un tuyau crache de l’eau potable en continu. Un luxe presque inouï sur ce vaste terrain cabossé aux allures de décharge, où il n’est pas rare de voir des camions décharger gravas et détritus. Les nombreux enfants du camp, atteints de la gale et souffrant de malnutrition passent leurs journées à jouer dans la terre et les ordures. [93]
Ces bidonvilles ne sont d’ailleurs pas réservés aux seuls Roms roumains. Des Roms provenant de Bosnie ou de Cossovie s’y sont également installés. Les uns et les autres fuyant des territoires soumis à des logiques d’épuration ethnique. Il est d’ailleurs notable que le sort dramatique des communautés romanies d’ex-Yougoslavie n’a été que très peu évoqué pendant et après l’éclatement de la Yougoslavie. Les populations romanies musulmanes de Bosnie eurent pourtant autant à souffrir des exactions des milices serbes que les autres populations musulmanes. Les Roms furent les grands oubliés des accords de Dayton de 1996 qui partagèrent la Bosnie. En tout cas, si tous les occupants des nouveaux bidonvilles n’étaient pas tous roumains, ils étaient quasiment tous Roms.
L’extrême dureté de la situation ne suscita pas de réponse énergique de la part des autorités locales ou des préfets. La seule énergie déployée par les pouvoirs publics fut celle mise en œuvre pour procéder à des expulsions :
Lorsqu’un groupe de Roms s’installe dans une commune, le maire, pétition d’habitants à l’appui, déploie toute son énergie pour obtenir du préfet leur expulsion. L’intervention est généralement musclée : les caravanes sont détruites ou mises en fourrière. Jetées sur la route, des dizaines, voire des centaines de personnes finissent par trouver un point de chute dans une autre localité. [94]
Parallèlement à l’éclairage médiatique donné à la désastreuse situation sanitaire dans les bidonvilles, des centaines de reportages ou articles ont relaté la mise en place des réseaux de mendicités en provenance de Roumanie impliquant des personnes handicapées ou estropiées. Ces deux cas de figure n’ont pas forcément de liens l’un avec l’autre si ce n’est que chacun d’eux a pour base la misère dans le pays d’origine et l’espoir d’une vie meilleure en Europe occidentale. Les Roms roumains échouant dans les bidonvilles sont généralement venus en famille au bénéfice des accords de “libre” circulation dans l’espace Schengen avant de se retrouver en situation irrégulière. Des mineurs et des handicapés, parfois d’origine romanie, sont eux par contre pris dans les filets de réseaux mafieux qui exploitent leur situation de plus grande vulnérabilité.
Certains occupants des bidonvilles se livrent à la mendicité - souvent l’unique moyen de survie pour une partie des sans-papiers et demandeurs d’asile -, mais une mendicité dont ils sont les seuls bénéficiaires. Le Progrés de Lyon rapporta par exemple le cas d’un jeune Rom venu en France en famille pour mendier afin de payer les soins de sa mère atteinte d’un cancer. [95] Cela n’a rien à voir avec les réseaux démantelés par les services de police de Nîmes ou Montpellier. Réseaux dont les “tauliers” logeaient dans des hôtels de la côte languedocienne pendant que leurs “employés” mendiaient aux carrefours des agglomérations et à qui ils ne laissaient que 5 euros par jour pour vivre. [96] L’amalgame entre ces deux cas de figure n’est pas possible. Pas plus que ne l’est celui avec les Roms de nationalité française désignés par la loi comme “gens du voyage”. Pourtant la méconnaissance, feinte ou réelle, qui entoure ces dossiers permit les amalgames les plus scandaleux à certains parlementaires défendant le projet de loi Sarkozy.
Déjà, lors des discussions du projet de loi de sécurité quotidienne au sénat en mai 2001, le sénateur Pierre Hérisson jouait la confusion dans des propos violemment antirom :
Nous travaillons depuis plusieurs années à l’élaboration des textes législatifs et réglementaires concernant les gens du voyage. [...] Nous n’avons rien fait pour stopper les dérives extrêmement graves qui se sont produites dans leurs comportements. Je pense plus particulièrement aux migrants qui deviennent rapidement des clandestins. La plupart d’entre eux sont originaires de Bohème (sic) ou des Balkans, notamment de pays où les droits de l’homme sont rarement respectés. Dès qu’ils se trouvent sur notre territoire, ils comprennent que les crimes et délits qu’ils peuvent commettre sont beaucoup moins lourdement sanctionnés.
Nous avons atteint l’intolérable : vols de voitures, cambriolages, recels, trafics en tout genre, chantage, à tel point que dans nos départements savoyards ils ont par riposte à des contrôles tout à fait réguliers poussé la provocation jusqu’à cambrioler les appartements des officiers de gendarmerie et menacer les épouses de gendarmes de représailles. [...] La France, ses élus, ses forces de police, sa justice, ainsi que l’ensemble de nos concitoyens sont aujourd’hui dans la crainte et dans la peur et les plus exposés comme les forces de police, en danger de mort. [...] Il s’agit d’un véritable péril social, nous ne l’accepterons pas ! [applaudissements au centre et à droite] [97]
Les mêmes amalgames furent repris au moment des discussions du projet de loi Sarkozy au sénat. Une des attaques les plus virulentes fut celle du sénateur Dominique Leclerc :
On a aussi parlé des gens du voyage ! C’est le fléau de demain. Des textes ont mis en place des schémas départementaux d’accueil et des procédures judiciaires. Mais celles-ci sont plus ou moins onéreuses. Un référé coûte cher aux petites villes, surtout s’il doit être renouvelé toutes les semaines. [...]
Ce sont des gens asociaux, aprivatifs (sic), qui n’ont aucune référence et pour lesquels les mots que nous employons n’ont aucune signification. [...] Nous, les maires, qui faisons des patrouilles, nous voyons toutes les nuits trois, quatre ou cinq camionnettes de gens du voyage qui viennent sauter - je n’ai pas d’autre mot - des gamines de douze ou treize ans jusque devant chez leurs parents, et cela n’intéresse personne. [...]
Nous devons apporter notre soutien, notre adhésion à ce gouvernement qui, enfin, dit halte à la démagogie et au laxisme qui nous ont conduit à la situation que nous connaissons. [bravo et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants, de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE] [98]
L’émotion légitime provoquée par les réseaux de mendicité impliquant des infirmes et par les trafics humains qu’ils supposent [99] a entraîné une série de réactions en chaîne contre toutes les personnes, de nationalité française ou autre, stigmatisées comme “Tsiganes”. Que des Roms soient mêlés à des trafics, c’est possible et même probable, l’origine ethnique ne fait ni l’ange ni le démon. Prétendre par contre que tous les Roms d’origine roumaine sont des trafiquants, cela n’a ni sens ni fondement.
Pourtant, dans sa volonté de lutter contre le stationnement “sauvage” des “gens du voyage” et contre l’immigration clandestine en provenance de Roumanie, le gouvernement n’a pas manqué d’utiliser, avec force de raccourcis, ce phénomène. Ce faisant, ne s’est-il pas laissé entraîner, avec les dispositions de la LSI et les accords franco-roumains, vers la mise en place d’une législation d’exception contre une minorité ? Il est tentant de le croire si l’on regarde de plus près ces accords mis en place durant l’été 2002.
Depuis janvier 2002, la Roumanie fait partie de l’espace Schengen, c’est-à-dire un espace de libre circulation pour les ressortissants des pays signataires. Les accords signés entre M. Sarkozy et son homologue roumain Ioan Rus visent sans la nommer la minorité rom roumaine. Ils prévoient, entre autre, de faciliter les procédures d’expulsions et de renforcer les contrôles au départ de Roumanie, en imposant à tout candidat à l’immigration de justifier d’une activité professionnelle, ce qu’évidemment très peu de Roms peuvent faire, vu le niveau de discrimination en Roumanie. Tout cela ne vise-t-il pas, hypocritement, à restreindre les allées et venues de la minorité rom en particulier ? Les accords franco-espagnols conclus entre M. Sarkozy et son homologue espagnol M. Acebes le 25 novembre 2002 à Malaga renforcent le caractère exceptionnel de cette lutte contre les clandestins roumains. Qualifiés par le ministère de l’intérieur espagnol comme une “initiative novatrice”, ces accords prévoient “l’organisation de vols spécialement affrétés pour rapatrier ces collectifs d’immigrés illégaux avec une plus grande efficacité pour chacun des deux pays” [100]. Sitôt dit sitôt fait, 63 roumains en situation irrégulière en Espagne ont été embarqués dans un vol charter à Madrid début décembre 2002. Après une escale à Paris où les autorités françaises ont embarqué vingt-trois autres “clandestins”, ces personnes ont ensuite été remises aux autorités roumaines.
Par ce type d’accords, les pays de l’espace de “libre circulation” Schengen dressent des murs internes sélectifs à l’intérieur d’une Europe forteresse bâtie pour lutter contre l’immigration. [101] La lutte contre les déplacements des pauvres “d’ailleurs” se double de celle contre les pauvres “d’ici”. La libre circulation serait-elle réservée aux touristes, aux hommes d’affaires, aux marchandises et aux capitaux ?
Conclusion
La responsabilité des pouvoirs publics
La situation des populations romanies en France peut, dans l’ensemble, se résumer à trois mots : précarité, marginalisation, ségrégation. Les pouvoirs publics ont, semble-t-il, une large part de responsabilité dans cet état de fait. La volonté “sédentarisatrice” de l’État français, qui ne s’est pratiquement jamais accompagnée de mesures, de programmes ou d’aides à l’installation, s’est traduite pour les “gens du voyage” par l’abandon progressif du mode de vie itinérant et des activités économiques lui étant liées, sans qu’aucun palliatif ne soit mis en place. Les discriminations qui ont accompagné ces politiques, et qui continuent aujourd’hui encore, ont entraîné la marginalisation d’une grande partie des Roms et une mise à l’écart de la société, particulièrement visible à travers la ségrégation socio-spatiale dont ils sont victimes.
La sédentarité a bien sûr par moments été choisie et non imposée, notamment pour l’exercice de certaines professions. Toutefois, les entraves au déplacement et à l’installation ou encore les mesures discriminantes ont joué un rôle essentiel dans ce processus qui perdure. Peut-être également que les activités traditionnelles des Roms n’ont pas résisté aux changements et aux exigences de l’économie moderne. Pourquoi en auraient-ils été plus victimes que d’autres populations ? Les préjugés et les discriminations n’y sont certainement pas pour rien.
Le bilan de la loi Besson, qui, rappelons-le, présentait une certaine rupture avec les législations antérieures, s’est, pour l’instant, révélé bien décevant. Le nombre d’aires d’accueil est très nettement insuffisant. Pour ne citer qu’un exemple, le Gard, pourtant département de passage obligé pour de nombreux déplacements, n’en offre aujourd’hui que deux réellement aménagées (80 emplacements), alors que le schéma départemental en prévoyait quinze. [102]
Les aires équipées sont le plus souvent reléguées à la périphérie des villes et soumises à d’importantes contraintes. Dans la plupart des cas celles-ci n’offrent pas de capacité de stationnement suffisante et leurs infrastructures, notamment sanitaires, sont en inadéquation avec les besoins des populations itinérantes, besoins qui sont bien sûr ceux de tout le monde. De nombreuses municipalités se refusent à accueillir des “gens du voyage” et utilisent, pour déroger à leurs obligations, tous les méandres de la législation.
La loi Besson ne répond pas non plus à une problématique nouvelle, celle de la sédentarisation ou de la sédentarisation partielle de nombreuses familles que la pauvreté et les entraves aux déplacements ont amenées à s’installer dans les aires prévues pour les itinérants réduisant une fois de plus l’espace utilisable par ces derniers.
D’autre part, la possibilité donnée aux municipalités d’interdire tout autre forme de stationnement sur le reste du territoire communal revient à cantonner le nomadisme aux endroits imposés par les pouvoirs publics en dépit des nécessités économiques et sociales de leurs utilisateurs. Il apparaît clairement aujourd’hui qu’une partie du territoire national est interdite de fait aux “gens du voyage”.
Et les Roms sédentaires ?
Nous n’avons que très peu évoqué leur cas. La sédentarisation peut être très ancienne ou récente, résultant d’un choix, de besoins économiques ou consécutive aux difficultés faites à l’itinérance. Cette sédentarisation s’est effectuée de manière hétérogène et suivant les revenus des familles : sur des terrains privés en périphérie des grandes villes, dans les vieux quartiers, souvent abandonnés par d’autres populations, des centre-villes voire dans des grands ensembles HLM de banlieues. Le nombre d’acquisition de terrains privés pour y installer des caravanes qui n’en bougeront peut-être plus est aujourd’hui en progression.
Dans un rapport de 1993, le MRAP faisait remarquer : “Cette question des terrains privés est cruciale en région parisienne, peut-être plus importante que celle des terrains aménagés. Elle se pose un peu partout dans le pays. Mais le séjour sur un terrain privé, familial, est tout autant hérissé de difficultés que le voyage. [...] Pour la construction d’un bâtiment, beaucoup de voyageurs n’ont pas les moyens d’acquérir en zone constructible un terrain qui puisse abriter plusieurs caravanes, l’habitat en famille restant de tradition.” Et le MRAP de citer dans le même rapport le cas d’une communauté rom de Monfermeil, en Seine-Saint-Denis, sédentarisée et propriétaire depuis plus de trente ans, dont une partie des membres ont été contraints au départ suite à un arrêté municipal exigeant 250 m2 par caravane. Malgré le fait qu’aucune loi ne spécifie le métrage nécessaire, la municipalité a gagné les deux procés intentés. Le MRAP affirme même que des instructions ont été données aux agences immobilières afin qu’elles ne vendent pas à des “gens du voyage”.
La documentation sur l’attitude des pouvoirs publics à l’égard des Roms sédentaires est rare, même si celle-ci se traduit bien souvent par des discriminations plus discrètes. Quelle trace laisse un refus de logement social ailleurs que dans le ghetto prévu à cet effet par la municipalité ? Comment quantifier les rénovations non entreprises dans des quartiers de centre-ville à la limite de l’insalubrité (d’où les Roms sont expulsés en cas de remise à neuf) ? Comment encore comptabiliser les refus de scolarisation des enfants sous tel ou tel prétexte administratif ? Nous pouvons cependant évoquer quelques affaires révélatrices de cette attitude. Deux aspects appellent une attention particulière : la ségrégation socio-spatiale dont les Roms font l’objet et les difficultés rencontrées dans la scolarisation des enfants. [103]
La jouissance d’un terrain privé est aujourd’hui encore un but bien difficile à atteindre pour beaucoup de Roms, qu’ils soient sédentaires ou semi-sédentaires. En effet, la loi stipule que pour le stationnement de caravanes sur un terrain privé pour une durée supérieure à trois mois, l’accord du maire est nécessaire. Que celui-ci peut le refuser en raison de possibles “troubles à l’ordre public” ou pour préserver des sites “naturels” ou “historiques”.
Ainsi en août 2000, une famille sédentarisée sur une parcelle lui appartenant dans la commune de Marenne (Rhône) a été priée de plier bagage sous prétexte de non-conformité avec le Plan d’occupation des sols, six mois après qu’EDF ait enfin installé les raccordements électriques et que la scolarisation des enfants ait été engagée. Malgré les protestations et la mobilisation de plusieurs associations, la mairie s’est obstinée dans son attitude en s’appuyant sur le soutien de parents d’élèves de l’école communale dans laquelle étaient scolarisés ces enfants. [104]
En réponse à la critique faite de constituer des quartiers-ghettos, les municipalités se cachent souvent derrière l’envie bien légitime qu’ont certaines familles de se regrouper. Il serait toutefois étonnant que cette demande de regroupement soit formulée de manière à ce que cela se fasse dans les endroits les plus reculés et/ou soumis à d’importantes nuisances. Endroits où le prix du mètre-carré de terrain est ridicule et ne gêne ainsi aucune spéculation immobilière. La crainte d’une chute de la valeur de l’immobilier voisin est souvent avancée pour refuser l’implantation de familles romanies dans un quartier. C’est en tout cas l’argument qu’utilisèrent, par exemple, pétition à l’appui, les opposants à l’installation d’une aire d’accueil dans la commune de Castanet-Tolosan dans la banlieue de Toulouse. [105] Aussi les familles romanies sont-elles, la plupart du temps, isolées du reste de la population dans les endroits dont personne ne veut.
Le cas du “village andalou” de Bordeaux a défrayé la chronique en 2000. Ce quartier d’une quarantaine de pavillons a été construit en 1990 sur des marécages asséchés près d’une ancienne décharge sous le pont d’Aquitaine (endroit à faire pâlir d’envie un promoteur immobilier) afin d’y loger des familles gitanes. Après dix ans de dénonciations et de mobilisation d’associations, un journaliste du Monde en dresse un bilan peu flatteur : “À l’écart de la ville, sans signalétique ni éclairage public, certains vivent dans des caravanes, d’autres se retrouvent à plusieurs dans une même maison, presque toutes insalubres.” Plus grave encore, en juillet 2000, une enquête de Médecins du Monde révèle plusieurs cas de saturnisme, le sang de plusieurs dizaines d’enfants étant intoxiqué ou imprégné de plomb. La mairie de Bordeaux promit le relogement des familles en cinq ans, délai ramené à deux ans devant l’indignation suscitée par une telle lenteur. Procédure jugée encore trop longue par les habitants du “Village” qui manifestèrent à plusieurs reprises dans les rues de Bordeaux pour obtenir un relogement plus rapide. La lenteur de la procédure fut en partie due au refus des habitants de certains quartiers bordelais et des communes de la Communauté urbaine de Bordeaux de recevoir ces familles. Quatorze associations du quartier voisin lancèrent une pétition pour refuser “les solutions arrêtées par le préfet de la Gironde et le maire de Bordeaux pour reloger les familles dans les mobil-homes, en particulier dans le seul quartier de Bacalan”.
On le voit, nomades ou sédentaires, les Roms restent trop souvent indésirables. La radiographie des communautés romanies en France offre, certes, des situations contrastées. Celles des Roms de Montreuil ou des Gitans de la Placette à Nîmes ne présentent pas l’image de désolation des bidonvilles lyonnais. Mais ne s’agit-il pas là d’exceptions, et sont-ils véritablement à l’abri d’une détérioration de leurs conditions ? Qui a parcouru les immeubles de la cité Saint-Gély à Montpellier se sera rendu compte de l’extrême pauvreté, du sentiment d’abandon et, du même coup, du fort communautarisme qui y règnent. Ces quartiers aux allures de ghettos sont nombreux dans le sud de la France, de Perpignan à Marseille. Les problèmes sociaux s’y multiplient, faisant les “choux gras” de la presse locale et parfois nationale.
Le mode de vie supposé et la présumée “différence” des Roms furent à eux seuls longtemps considérés comme nuisibles et criminogènes. Leur simple apparition, enfin, suffit à engendrer contrôles et fouilles de la part des forces publiques. Le “délit de faciès” est à coup sûr le délit le plus répandu imputable aux Roms. Au bout du compte, on peut se demander si leur simple existence ne constitue pas aux yeux des autorités un “trouble à l’ordre public”. Au début des années 1990, Vaclav Havel, longtemps figure de l’opposition démocratique tchèque au régime communiste, affirmait que le traitement des Roms serait le “test démocratique” des anciens pays de l’Est. Une dizaine d’années plus tard, le test est loin d’être concluant dans la plupart de ces pays. Les discriminations sont flagrantes, les violences xénophobes fréquentes et le niveau économique et social des populations romanies est aujourd’hui très préoccupant. Sur la base des mêmes critères, il n’est pas évident que la France, pays de “vieille tradition démocratique” s’il en est, réussisse de façon plus satisfaisante ce test aujourd’hui. Ici comme ailleurs, les populations romanies font figure de citoyens de seconde zone.
Évidemment, la situation des Roms en France s’inscrit aussi dans des problématiques beaucoup plus larges. La discrimination dont ils font l’objet renvoie aux discriminations pesant sur tous ceux représentant, par leurs origines ou leurs modes de vie, des “minorités visibles”. Leur criminalisation s’inscrit dans celle des populations considérées comme potentiellement dangereuses par le pouvoir en place, hier les ouvriers, aujourd’hui les travailleurs pauvres, les précaires, les SDF, les chômeurs, les squatteurs, les “jeunes de banlieues”, tous visés d’une manière ou d’une autre par les lois sécuritaires. Leur précarité interroge sur les problèmes de répartition des richesses. Les expulsions des Roms roumains, yougoslaves ou albanais rappellent le sort réservé à tous ceux qui fuient (jamais de gaieté de cœur, combien de fois faudra-t-il le rappeler ?) une situation désastreuse et/ou dangereuse dans leurs régions d’origine. La particularité de la situation des Roms est de s’inscrire dans toutes ces problématiques à la fois. Le combat pour l’émancipation des Roms est aussi un moment pour appuyer les luttes contre toutes les formes de discriminations, quelles qu’elles soient. C’est aussi l’occasion d’affirmer les revendications d’égalité économique et sociale, de libre circulation et d’installation, bref tout ce qui serait nécessaire à l’épanouissement des individus.
Des espoirs de changement ?
Le tableau que nous venons de dresser est sombre mais deux raisons au moins poussent à ne pas désespérer. D’une part, des initiatives intéressantes ont été ou sont menées dans plusieurs endroits et, d’autre part, l’organisation des populations romanies pour la défense de leurs droits se fait plus forte depuis quelques années, ce qui peut conduire à la prise en compte de leurs revendications.
Certaines villes ont tenté d’offrir une approche différente par des initiatives encourageantes. Dans son dossier consacré à la mise en place de la loi Besson, la revue Diagonal cite le cas de la municipalité de Mourenx qui a engagé les travaux nécessaires à la rénovation de l’ancienne aire d’accueil délabrée. Celle-ci s’étend aujourd’hui sur 16000m2 et comprend à la fois une aire de passage et une de stationnement. Dans cette dernière quatorze emplacements privatifs de 300m2 ont été aménagés, comprenant chacun un studio de 38m2 avec douche, sanitaire et cuisine. Ces studios ouvrant, contrairement aux caravanes, des droits à l’aide personnalisée au logement. Le plus remarquable dans ce cas est que ces aménagements ont été imaginés en concertation avec les familles manouches présentes sur la commune. [106] Autre exemple déjà évoqué, Castanet-Tolosan où l’équipe municipale a décidé, malgré l’hostilité et les pétitions d’une partie de la population, d’aménager une aire avant même que la loi l’y oblige. Ces cas, bien qu’assez rares, ne sont toutefois pas isolés et permettent d’espérer de meilleures relations entre autorités locales et populations romanies.
Les communes faisant preuve d’une certaine bonne volonté se heurtent souvent à l’inertie ou à l’hostilité de leurs voisines. Le cas de Bourg-en-Bresse est en cela paradoxal. La municipalité a mené conjointement deux opérations. D’une part la réalisation d’un quartier pavillonnaire en lieu et place d’un bidonville occupé par des familles romanies : ces pavillons, construits là aussi en concertation avec les familles, disposent d’aménagements permettant d’inclure des caravanes. D’autre part la création d’une aire d’accueil d’une capacité de seize emplacements pouvant accueillir chacun trois caravanes (le seul hic étant la limitation du séjour à 28 jours). Malgré la bonne volonté mise en œuvre dans ces deux cas, la municipalité a multiplié les procédures d’expulsion contre les installations illicites, rendues inévitables par l’absence d’aménagements adéquats dans les communes environnantes. La loi Besson montre ici à nouveau ses limites. Quelles sont les possibilités offertes aux “gens du voyage” lorsque les aires des communes sur lesquelles ils souhaitent stationner sont pleines ? Que faire si les communes avoisinantes n’ont pas rempli leurs obligations ? Est-ce une raison suffisante pour interdire à quelqu’un de s’installer dans la municipalité de son choix ? Les “gens du voyage” doivent-ils subir la mauvaise volonté des municipalités et se cantonner aux endroits où il restera peut-être une place pour eux, parfois à plusieurs dizaines de kilomètres ? La loi Besson accentue malgré tout les pratiques ségrégatives dont sont victimes les populations romanies.
Dans la revue Hommes et migrations, Martine Chanal, de l’association Études-action, et Marc Uhry, de l’Association lyonnaise pour l’insertion par le logement (ALPIL), proposent quelques pistes pouvant améliorer la situation des “gens du voyage”. Leur constat est simple mais évident : “la connaissance des besoins constitue le préalable à la programmation des réponses. Ce syllogisme apparent est loin de guider les pratiques : les dispositifs actuels s’appuient sur une batterie d’outils et de concepts qui, partant de l’offre, semblent dénier la demande.”
Martine Chanal et Marc Uhry évoquent les possibilités qui pourraient être offertes par la simple application du droit commun pour mieux satisfaire les besoins des itinérants :
– le recours aux bailleurs sociaux pour la programmation de l’habitat adapté spécifiquement conçu pour les familles vivant en caravane (habitat mixte maison/caravane) ;
– des aides à l’habitat, adaptées aux besoins de ces populations (aides à l’accession de terrains, aides à l’achat des caravanes, allocations logement, etc.) ;
– la possibilité d’un accompagnement social lié au logement ;
– l’intégration de cette problématique dans les instances de la politique de la ville et de la politique du logement. [107]
L’aide à l’achat de terrains privés sur les territoires d’attache, l’équipement en aires d’accueil de toutes les communes fréquentées par les personnes itinérantes ou la mise à disposition d’un ou de plusieurs terrains pour les grands rassemblements dans chaque département, tout cela bien sûr après une évaluation des besoins des personnes concernées, voilà des mesures simples qui permettraient d’améliorer les conditions de vie des “gens du voyage”. Au regard de la loi, des capacités de chaque commune et des investissements nécessaires, toutes ces mesures sont aujourd’hui rapidement réalisables. Les obstacles ne sont ni d’ordre juridique ni d’ordre financier. Ils sont politiques. Les calculs électoraux poussent les autorités locales comme nationales à caresser l’électeur dans le sens du poil après avoir contribué, par la stigmatisation d’un groupe, à construire les préjugés négatifs.
Opre Roma ! [108]
La force des discriminations et la récente offensive contre les populations romanies française et étrangères ont suscité un début de mobilisation sans précédent. Ainsi a-t-on vu de nombreux “gens du voyage” participé aux différentes mobilisations contre la LSI. Le 12 novembre 2002, plusieurs dizaines d’entre eux s’étaient joints aux prostituées pour manifester devant le sénat lors de la lecture du projet de loi. Le 18 décembre, 300 Manouches et Sintés défilèrent devant le parlement européen à Strasbourg, drapeaux français et européens en tête de cortège, pour dénoncer les “simplifications outrancières et dangereuses” se développant à leur égard. Le 11 janvier 2003, ce fut au tour des associations regroupées dans le Collectif du 24 septembre [109] de défiler lors d’une manifestation nationale contre le projet de loi sur la sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy. Les mots d’ordre avancés étant les suivants : “reconnaissance des Gens du Voyage ; abrogation de l’article 19 ; liberté de voyage - liberté d’aller et venir ; reconnaissance de l’habitat caravane ; droit d’exister - reconnaissance de notre culture ; non aux discriminations - oui aux richesses culturelles ; voyageurs français à part entière ; sécurité pour nos familles ; non à la criminalisation.”
Parallèlement, les Roms non français, majoritairement roumains, commencent également à s’organiser soit dans les structures existantes de soutien aux sans-papiers, soit de manière indépendante. Cent cinquante Roms de Roumanie installés à Montreuil et un collectif de soutien [110] ont ainsi appelé à une fête de solidarité le samedi 8 février 2003 :
parce que Sarkozy a choisi d’en faire les boucs émissaires de sa politique sécuritaire ; parce que les charters n’ont jamais rien réglé en terme d’immigration ; parce que la communauté européenne feint d’admettre la Roumanie dans le cercle des pays démocratiques et leur refuse l’asile territorial ; parce que les Roms de Roumanie n’ont aucun avenir en Roumanie ; parce que leur passeport est confisqué par l’État roumain pour cinq ans à leur retour ; parce que l’État roumain leur promet la prison s’ils se livrent à la mendicité ; parce qu’ils n’ont pas d’autres recours que la mendicité ; et parce qu’ils fuient les discriminations roumaines et retrouvent la répression française et européenne ... Grande fête de solidarité avec les Roms de Roumanie !
Partant du principe que “seule la lutte paye”, la récente mobilisation des Roms contre les pratiques et législations sécuritaires laisse peut-être entrevoir le début d’un mouvement pour les droits civiques des populations romanies. Du fait de l’ancrage des préjugés, le combat contre les idées reçues et les discriminations qui en résultent est un travail de longue haleine, qui passe par une meilleure reconnaissance et nécessite l’engagement de tous, Roms comme non-Roms.
[1] Roms, Sintis, Kalés - Tsiganes en Europe. Promouvoir la santé et les droits d’une minorité en détresse, http://www.sante.gouv.fr/presidence....
[2] Bruno Hurault, “Le grave dérapage du préfet de Vaucluse contre les gens du voyage”, La Provence, 23 octobre 2002 ; Jean-Luc Parpaleix, “Le préfet de Vaucluse persiste et signe”, La Provence, 24 octobre 2002.
[3] Commission des lois du sénat, rapport n°283 : “accueil des gens du voyage”. Consultable sur le site du sénat, http://www.senat.fr/rap/l96-283/l96....
[4] Ce chapitre reprend en partie un article que j’ai déjà publié : “les Roms, une nation sans territoire ?”, Réfractions, n°8, 2002.
[5] L’URI possède un rôle consultatif comme représentante des Roms auprès de l’ONU et du Conseil de l’Europe. Créée dans les années 1970 par des Roms pour la plupart issus des pays de l’Est, notamment de Yougoslavie, cette organisation, en phase avec le régime titiste, joua un rôle très important pour la reconnaissance de l’identité romanie (et plus anecdotiquement dans la mise en scène du rapprochement entre l’Inde et la Yougoslavie au sein du mouvement des non-alignés). Depuis les années 1980 cette organisation a été le fer de lance du mouvement d’émancipation des Roms et regroupe la plupart des intellectuels roms.
[6] Mille ans d’histoire des Tsiganes, Fayard, 1970.
[7] Marcel Courthiade, préface à l’ouvrage de Claire Auzias, Les Tsiganes ou le destin sauvage des Roms de l’Est, éd. Michalon, 1995, p.18.
[8] Alain Reyniers, “le nomadisme des Tsiganes : une attitude atavique ou la réponse à un rejet séculaire ?”, in Patrick Williams (dir.), Tsiganes : identité, évolution, Syros Alternative, 1989.
[9] Jocelyne Streiff-Fenart et Philippe Poutignat (dir.), Théories de l’ethnicité, PUF, 1995.
[10] Voir les ouvrages de Donald Kenrick et Grattan Puxon, Destins gitans. Des origines à la “solution finale”, Gallimard, coll. “Tel”, 1995 [1972] ; Claire Auzias, Samudaripen. Le génocide des Tsiganes, L’Esprit frappeur, 2000.
[11] Frederick Barth, “Les groupes ethniques et leurs frontières” [1969], in Théories de l’ethnicité, op. cit., p.216.
[12] Alain Reyniers, op. cit.
[13] Jean-Pierre Liégeois, Tsiganes et voyageurs. Données socio-culturelles, données socio-politiques, Conseil de l’Europe, 1985, p.50-53.
[14] Voir le site de la section espagnole de l’URI : http://www.unionromani.org. Signalons par ailleurs les textes suivants : Alain Reyniers, “L’identité tsigane, stéréotypes et marginalité” in Stéréotypes nationaux et préjugés raciaux aux 19e et 20e siècles, éd. Jean-Pirotte, 1982 ; Jean-Pierre Liégeois, Les Tsiganes, Maspéro, 1983, chap. “Stéréotypes et préjugés” ; Donald Kenrick et Grattan Puxon, op. cit., chap. “Les sources du préjugé” ; Ian Hancock, We are the romani people, University of Hertfordshire press, 2002, chap. “Explaining antigypsyism”.
[15] Sur les fondements naturalistes des mécanismes de domination raciste, voir par exemple l’ouvrage de Colette Guillaumin, L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Gallimard, coll. “Folio/essais”, 2002 [1972].
[16] Le racisme devant la science, UNESCO/Gallimard, 1960.
[17] Pierre-André Taguieff, La force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, La Découverte, 1988, p.14.
[18] Cité par Pierre-André Taguieff, op. cit., p.579.
[19] “Tsiganes : une délinquance qui désarme l’État”, Le Figaro, 10 septembre 2001.
[20] 7 - Henriette Asséo, Les Tsiganes. Une destinée européenne, Gallimard, coll. “Découvertes”, 1994, p.94.
[21] Claire Auzias, Samudaripen, op. cit., p.25.
[22] Pour les mesures contre les “Bohémiens” du 16e au 19e siècles, voir le tableau dressé par Jean-Pierre Liégeois dans Tsiganes et voyageurs, op. cit., p.96-97.
[23] L’European Roma rights center (Budapest) a publié à ce sujet plusieurs rapports, disponibles sur son site, http://errc.org.
[24] Cité par Jean-Pierre Liégeois, “Gitans et pouvoirs publics en Espagne”, Ethno-psychologie, n°1, 1980, p.70.
[25] Nicole Martinez, Les Tsiganes, PUF, coll. “Que sais-je ?”, 1986, p.6. Entre autres réactions publiées à la réédition de cet ouvrage : Patrick Williams, “Un “Que sais-je ?” surprenant”, L’ethnologie française, n°1, 1988 ; Henriette Asséo, “Une entreprise révisionniste sur les Tsiganes”, Études tsiganes, n°1, 1987.
[26] Ian Hancock, op. cit., p.119.
[27] Le nom de “Kaldérash”, désignant un groupe de Roms d’Europe orientale, vient du mot roumain caldera, “chaudron”.
[28] Genèse 9-25.
[29] Donald Kenrick et Grattan Puxon, op. cit., p.23.
[30] Helena Sanchez, Los Gitanos espanoles : el periodo borbonico, Castello editor, 1977.
[31] Donald Kenrick et Grattan Puxon rapportent plusieurs affaires et notamment le cas d’un groupe de Roms slovaques injustement jugés pour cannibalisme en 1927, op. cit., p.37.
[32] Transcription de l’émission réalisée par le centre de documentation Études tsiganes.
[33] Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive, Gallimard, 1954, p.30.
[34] Les qualificatifs de “noï” et de “caraque” utilisés dans le sud de la France pour désigner les Gitans le sont également pour parler des personnes mal habillées ou désordonnées.
[35] Katrin Tluczykont, “Malgré les protestations de maires de la région, les caravanes de Tsiganes convergent vers Chambley”, Le Monde, 8 août 2000.
[36] Emmanuel Aubin, “L’évolution du droit français applicable aux Tsiganes. Les quatre logiques du législateur républicain”, Études tsiganes, vol. 15, 2001, “L’habitat saisi par le droit. Les virtualités de la loi Besson du 5 juillet 2000”, p.26-56.
[37] José Cubero, Histoire du vagabondage du Moyen Âge à nos jours, Imago, 1998.
[38] Ce sont les termes alors utilisés.
[39] Napoléon généralisera, par un décret du 5 juillet 1808, à tous les départements les dépôts de mendicité ou ateliers de charité. Ceux-ci sont destinés à accueillir les mendiants interpellés afin de les contraindre à travailler. Voir José Cubero, op. cit., p. 226.
[40] José Cubero, op. cit., p.248.
[41] Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris dans la première moitié du 19e siècle, Hachette, coll. “Pluriel”, 1984, p.289 [1958].
[42] “Principaux textes d’ordre législatif, administratif ou judiciaire...”, Études tsiganes, n°1-2, juin 1973, p.26.
[43] Cité par Henriette Asséo, Les Tsiganes, op. cit., p.84.
[44] Voir Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, 19e-20e siècle, Le Seuil, 1986.
[45] Ce carnet anthropométrique n’était pas obligatoire pour les commerçants ambulants et les forains.
[46] Henriette Asséo, op. cit., p.89.
[47] Emmanuel Aubin, op. cit., p.27.
[48] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme. L’impérialisme, Fayard, 1982, p.70, [1951].
[49] Ibid.
[50] Cité par Emmanuel Aubin, op. cit., p.27.
[51] Madeleine Rebérioux, La République radicale ? 1898-1914, Le Seuil, 1975.
[52] Voir Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Le Seuil, 1999 ; René Rémond, Les droites en France, Aubin, 1982 ou Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, Le Seuil, 1978.
[53] Cité par Henriette Asséo, op. cit., p.88.
[54] Madeleine Rebérioux, op. cit., p.33.
[55] Cité par Claire Auzias, Samudaripen, op. cit., p.184.
[56] Robert Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Le Seuil, 1974.
[57] Jacques Sigot, Ces barbelés oubliés par l’histoire. Un camp pour les Tsiganes... et les autres, Wallada, 1994.
[58] Marie-Christine Hubert, Les Tsiganes en France, 1939-1946, assignation à résidence, internement, déportation, thèse, université de Paris X-Nanterre, 4 tomes, 1997 ; voir également l’ouvrage de Denis Peschanski, Marie-Christine Hubert et Emmanuel Philippon, Les Tsiganes en France 1939-1946, contrôle et exclusion, éd. du CNRS, 1994.
[59] Article 8 de la loi du 3 janvier 1969.
[60] Emmanuel Aubin, op. cit., p.32.
[61] Violaine Carrère et Christophe Daadouch, “Les gens du voyage en mobilité surveillée”, Plein droit, n°46, septembre 2000, http://www.gisti.org/doc/plein-droi....
[62] Monde tsigane, n°3, avril 2002 - journal trimestriel publié par l’ARTAG, artag at wanadoo.fr.
[63] Article 28 de la loi n°90-449 du 31 mai 1990.
[64] Rapport au Premier ministre, “La situation des gens du voyage et les mesures proposées pour l’améliorer”, 13 juillet 1990.
[65] Commission des lois du sénat, rapport n°283, op. cit.
[66] Daniel Merchat, Accueil et stationnement des gens du voyage, Le Moniteur, coll. “guides juridiques”, 2000, p.79.
[67] Journal officiel de l’assemblée nationale, 28 avril 1998.
[68] Voir Études tsiganes, vol. 15, 2001, op. cit.
[69] Marc Lemonier, “L’esprit de la nouvelle loi”, Diagonal, n°138, juillet-août 1999, dossier “Nomade ou sédentaire, le droit à l’habitat”.
[70] Daniel Merchat, op. cit., p.50.
[71] Association sociale nationale internationale tsigane.
[72] “Nous n’aurons plus le droit de stationner ailleurs”, Libération, 2 juin 1999.
[73] Bertrand Bissuel, “Offensive des députés de droite contre les gens du voyage lors du débat sur la sécurité”, Le Monde, 20 juillet 2002.
[74] “Sécurité intérieure : la commission des lois a adopté le texte de Nicolas Sarkozy”, Le Figaro, 12 juillet 2002.
[75] Sur la criminalisation des prostitué-e-s, voir le site de l’association Cabiria : http://perso.wanadoo.fr/cabiria/.
[76] “Dix nouveaux délits et un arsenal de sanctions”, Le Figaro, 4 octobre 2002.
[77] Cécile Bontron, “Les Tsiganes en quête d’une ère nouvelle”, Midi libre, 16 janvier 2003.
[78] “Offensive contre les gens du voyage”, communiqué du 2 août 2002, signé entre autres par : le MRAP, la LDH, l’UNISAT (Union nationale des institutions sociales d’action pour les Tsiganes) et de nombreuses associations de “gens du voyage”.
[79] Isabelle Berthier, “Des caravanes passent, d’autres font halte”, Diagonal, op.cit.
[80] Cité par Bertrand Bissuel, art. cit.
[81] Sur l’idéologie et les politiques sécuritaires, voir par exemple de Laurent Mucchielli, Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, La Découverte, 2002.
[82] “Délinquance : un rapport accablant pour les nomades”, Le Figaro, 10 septembre 2001, en une.
[83] Depuis, Philippe Pichon en a tiré un livre, Voyage en Tsiganie, éditions de Paris, 2002.
[84] “Tsiganes : une délinquance qui désarme l’État”, art. cit.
[85] Cf. Roms, Sintis, Kalés - Tsiganes en Europe, op. cit.
[86] Marcel Courthiade, préface au livre de Claire Auzias, op. cit.
[87] Delphine Moreau, “Les gens du voyage en stationnement gênant”, Le Figaro, 18 juillet 2002.
[88] Lire à ce propos l’ouvrage de Claire Auzias, Les Tsiganes..., op. cit. ; Henriette Asséo, “Les Tsiganes dans la transition à l’Est”, Historiens et géographes, n°377, janvier-février 2002.
[89] Jean-Baptiste Naudet, “Les maisons brulées des montreurs d’ours”, Le Monde, 29 avril 1991.
[90] Henriette Asséo, ibid.
[91] Sandrine Chastang, “Mouvements migratoires, dura lex...”, Peuples en marche, n°177, juin 2002 ;
[92] Idem.
[93] Frédéric Crouzet, “Les abandonnés des bidonvilles lyonnais”, Le Progrès, 5 juillet 2002
[94] Tonino Sefarini, “En Île-de-France, la manière forte contre les Roms”, Libération, 30 juillet 2002.
[95] Frédéric Crouzet, art. cit.
[96] Catherine Bernard, “Une journée à mendier pour cinq euros de salaire”, Libération, 20 juillet 2002.
[97] Compte rendu de la séance du 10 mai 2001, “gens du voyage et insécurité”, question au ministre de l’intérieur.
[98] Séance du 31 juillet 2002 au sénat, “suite des débats et adoption définitive du projet de loi”.
[99] La secrétaire d’État à la lutte contre l’exclusion estimait à 2000 le nombre de mineurs roumains victimes de la prostitution ou de la mendicité contraintes, ou se livrant à diverses formes de délinquance ; “Sarkozy balise le retour des Roumains”, Libération, 1er septembre 2002.
[100] Communiqué de presse du ministère de l’intérieur espagnol, Madrid, 4 décembre 2002.
[101] Le réseau international No Border est l’un des plus actifs contre l’Europe-forteresse et dans le soutien aux réfugiés, demandeurs d’asile et sans-papiers : http://www.noborder.org/.
[102] Cf. “Les Tsiganes en quête d’une ère nouvelle”, art. cit.
[103] Sur la scolarisation des enfants roms, voir les travaux de Jean-Pierre Liégeois publiés par le Conseil de l’Europe.
[104] Sophie Landrin, “Près de Lyon, une famille gitane menacée d’expulsion du terrain qui lui appartient”, Le Monde, 19 août 2000.
[105] “Le camp témoin de Castanet”, Libération, 2 juin 1999.
[106] “Des caravanes passent, d’autres font halte”, Diagonal, op.cit.
[107] “Gens du voyage : vers le nécessaire renouvellement de l’intervention publique”, Hommes et migrations, n°1227, septembre-octobre 2000, disponible sur le site de l’ALPIL http://habiter.org/.
[108] “Debout les Roms !”, slogan classique des organisations politiques romanies.
[109] Créé pour fédérer les diverses initiatives contre la loi Sarkozy, ce collectif regroupe entre autres la LDH, le MRAP, l’UNISAT, l’association nationale des gens du voyage catholiques, l’office national des affaires tsiganes, l’association des Français du voyage, etc.
[110] Voir le site http://romsdemontreuil.free.fr/.
Bibliographie
– ALPIL, Errance et transparence, éd. Mario Mella, 1999
Coordonné par l’Association lyonnaise pour l’insertion par le logement, cet ouvrage regroupe plusieurs contributions faisant le point, au moment des débats sur l’adoption de la seconde loi Besson, sur l’état de l’accueil des “gens du voyage”.
– Henriette Asséo, Les Tsiganes. Une destinée européenne, Gallimard, coll. “Découvertes”, 1994
Ouvrage “de référence” sur l’histoire des Roms. Henriette Asséo, historienne, codirige le Centre de recherches tsiganes.
– Claire Auzias, Les Tsiganes ou le destin sauvage des Roms de l’Est, Michalon, 1995.
À noter la préface de Marcel Courthiade et le texte de Françoise Kempf, du Conseil de l’Europe, qui rappelle les différents statuts juridiques des Roms en Europe.
– Camille Duranteau, La santé des gens du voyage. Approche sanitaire et sociale, L’Harmattan, 1999
– Études tsiganes, vol. 6, 1995, Jacques Sigot (dir.), “France : l’internement des Tsiganes”
– Études tsiganes, vol. 7, 1996, “L’urbanité en défaut”
– Études tsiganes, vol. 15, 2001, “L’habitat saisi par le droit. Les virtualités de la loi Besson du 5 juillet 2000”
– Bernard Formoso, Tsiganes et sédentaires. La reproduction culturelle d’une société, L’Harmattan, 1997
– Ian Hancock, We are the Romani people, University of Hertfordshire press, 2002
Riche synthèse, la plus récente, des recherches et travaux concernant les populations romanies, par l’un des leaders du mouvement rom international.
– Hommes et migrations, n°1188-89, juin-juillet 1995, “Tsiganes et voyageurs”
– Jean-Baptiste Humeau, Tsiganes en France. De l’assignation au droit d’habiter, L’Harmattan, coll. “Géographie sociale”, 1995 (Géographe, l’auteur livre ici une réflexion sur un “droit d’habiter différent” pour les populations romanies itinérantes en France).
– Donald Kenrick & Grattan Puxon, Destins gitans. Des origines à la “solution finale”, Gallimard, coll. “Tel”, 1995 [1972] (Ouvrage majeur sur le génocide des Roms lors de la seconde guerre mondiale. À noter le chapitre “Les sources du préjugés” dans lequel les auteurs proposent un tour d’horizon des manifestations de l’antiromisme).
– Donald Kenrick, Les Tsiganes de l’Inde à la Méditerranée, Centre de recherches tsiganes/CRDP Midi-Pyrénées, coll. “Interface”, 1993 (L’auteur confirme dans ce livre l’origine indienne des Roms et étudie leurs migrations jusqu’en Europe (14e siècle).
– Jean-Pierre Liégeois & Nicolae Gheorghe, Roma, Tsiganes d’Europe, Groupement pour les Droits des Minorités, 1996 (Rapide panorama de la situation des Roms en Europe, puis présentation du rapport des institutions internationales, européennes surtout, à “la question Rom”).
– Patrick Williams (dir.), Tsiganes : identité, évolution, Syros Alternative, 1989 (Une quarantaine d’articles publiés à l’occasion du vingtième anniversaire de la revue Études tsiganes. De nombreuses contributions dont celles d’Henriette Asséo, Donald Kenrick, Bernard Leblon, Alain Reyniers, Jean-Pierre Liégeois, Marcel Courthiade, etc.)
Sites internet
– Le site de l’UNISAT : http://www.unisat.asso.fr/ propose entre autres la plupart des textes législatifs concernant les Roms.
De nombreux textes sont trouvables par exemple sur les sites :
– http://mayvon.chez.tiscali.fr/, http://patrin.com (en anglais), et celui de la section espagnole de l’URI (en anglais, espagnol et romani) : http://www.unionromani.org.
– Médecins du Monde propose des informations sur la situation des Roms dans les bidonvilles : http://www.medecinsdumonde.org/2mis....
– Des rapports et autres textes institutionnels à trouver sur le site du Conseil de l’Europe : http://www.social.coe.int/fr/cohesi....
Centres de documentation
– Études tsiganes - 59, rue de l’Ourcq - 75019 Paris - tél. 01 40 35 12 17 - http://www.etudestsiganes.asso.fr/
– Centre de recherches tsiganes - 45, rue des Saints-Pères - 75006 Paris - http://www.eurrenet.org/
Contact : Carobella ex-natura
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