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Psychologie du crime de l’exploitation animale
mis en ligne le 6 janvier 2005 - Philippe Laporte
Perpétuer le crime pour justifier le crime
Reconnaître la nécessité de mettre fin à une tradition
criminelle c’est reconnaître son caractère criminel. La
façon la plus répandue de dissimuler les crimes
traditionnels est donc de ne pas reconnaître qu’il s’agit
de crimes en continuant à les pratiquer afin qu’ils
gardent leur aspect banal et anodin. C’est ainsi que
pour éviter la culpabilité qui accompagne la prise de
conscience des crimes, beaucoup de crimes sont
répétés.
Les militants de la libération animale qui tentent
d’amener à la conscience du public l’horreur des
traitements infligés aux animaux sont souvent
confrontés à ce problème sans le savoir. Beaucoup
d’entre eux pensent qu’une simple information du
public sur les atrocités subies par les animaux pour le
confort humain devrait suffire à conduire ces atrocités
à leur terme. C’est mal comprendre que l’émergence
d’un sentiment de culpabilité dans le public ne peut
qu’appeler des mécanismes psychologiques de défense
contre cette culpabilité, au premier rang desquels celui
de poursuivre ces atrocités afin de leur conserver
l’apparence de la normalité.
Le sentiment de culpabilité des consommateurs de
viande, méconnu parce que refoulé, est en réalité
beaucoup plus répandu qu’il n’y paraît puisque, d’après
Pascal Lardellier, 89 % d’entre eux avouent qu’ils
préfèreraient renoncer à la viande plutôt que de tuer
eux-mêmes les animaux qu’ils mangent. D’où
proviendrait cette répugnance à tuer soi-même sinon
d’une réprobation intérieure de ces meurtres qu’il est
plus facile de faire commettre par d’autres afin de ne
pas se salir les mains ? Une réprobation intérieure qui
engendre nécessairement une culpabilité refoulée vis-à-
vis des meurtres dont nous nous savons néanmoins
responsables. Pascal Lardellier enchaîne sur le thème
des abattoirs expulsés des centres urbains en direction
de la périphérie afin de les éloigner des regards :
Bien sûr, Claude Fischler nous rappelle que la
“ filière viande ” comporte une difficulté : “ Il y
a certains aspects que, littéralement, on ne
peut pas montrer et que l’on ne veut pas voir [1]. ”
L’équivalent anglais d’“ abattoir ”, slaughterhouse
(maison du massacre), nous rappelle
combien s’y perpétuent des carnages.
L’opération de mise à mort a donc été
industrialisée, parcellisée, mécanisée. Mais une
mauvaise conscience hante encore nos steaks [2].
Pascal Lardellier poursuit sa réflexion en remarquant
combien l’apparence de la viande est gommée dans les
fast-foods. Avant d’être mangé, le corps de l’animal est
dénaturé, déstructuré, recompacté, coloré et travesti
tandis que le ketchup donne à son sang une apparence
sucrée et ludique. Ni dans la texture ni dans la couleur,
rien ne rappelle plus le cadavre de l’animal.
Les mécanismes de refoulement de la culpabilité des
consommateurs de viande font qu’une simple
information du public sur les atrocités subies par le
monde animal ne peut pas suffire à mettre fin au
massacre : l’atrocité du crime sera niée pour éviter la
culpabilité. La seule façon de voir ces crimes diminuer
vraiment est d’offrir une issue psychologique au
sentiment de culpabilité qui les accompagne. Cette
issue ne pourrait venir que de l’empathie - le fait
d’éprouver ce que l’autre éprouve - des militants
envers le public. Si les militants montrent qu’ils ont
déjà éprouvé cette même culpabilité, ils quitteront
leur position de juges accusateurs. Ils descendront de
leur piédestal symbolique et se présenteront au public
au même niveau que lui, en anciens malfaiteurs. Alors
ils pourront espérer être entendus.
Malheureusement la littérature antispéciste [3], fondée
sur la philosophie utilitariste, au contraire de faire un
effort d’accompagnement psychologique, axe son
discours sur la culpabilisation. Elle postule un devoir
moral et affirme implicitement que nous sommes
mauvais si nous ne l’accomplissons pas.
À la question pourtant cruciale de savoir comment des
êtres humains par ailleurs sensibles et généreux
peuvent faire preuve d’une telle cruauté et d’une telle
indifférence envers le monde animal, la philosophie
antispéciste orthodoxe ne propose pas de réponse.
Sinon que l’humanité est implicitement mauvaise et
irrationnelle et le restera aussi longtemps qu’elle ne se
soumettra pas au devoir moral utilitariste. Ce discours
culpabilisant ne peut être que rejeté par un public
ayant déjà tendance à se sentir inconsciemment
coupable et luttant pour refouler cette culpabilité.
Le présent livret propose donc, plutôt qu’une mise en
accusation, une analyse psychologique du phénomène
d’exploitation animale, destinée à une meilleure
compréhension mutuelle entre les militants et le
public. L’empathie des militants envers leur auditoire,
qui seule permettra d’établir un dialogue fructueux,
serait en effet impossible sans une authentique
compréhension du public. Et la première condition de
l’empathie est une compréhension des motivations de
son interlocuteur. C’est dans ce but que sont proposées
ici les analyses des principaux mécanismes
psychologiques accompagnant l’exploitation animale.
Ces mécanismes montrent que les comportements de
cruauté envers le monde animal ne relèvent ni de la
cruauté gratuite, ni de l’indifférence totale, mais
plutôt de réactions de défense contre une prise de
conscience de la culpabilité.
Le sentiment d’avoir commis l’irréparable
Avoir commis un crime, c’est avoir commis
l’irréparable. Dans bien des cas les individus comme les
populations sont prêts à commettre un second crime
pour éviter de prendre conscience que le premier en
était un.
Ce phénomène ne se limite pas aux consommateurs de
viande, il est classique. Afin de mieux le comprendre,
arrêtons-nous sur un exemple caractéristique de ce
comportement ; il ne concerne pas les relations entre
humains et animaux mais lui est transposable.
Cet exemple concerne les États-Unis d’Amérique. Le
passé criminel de ce pays pèse en effet lourdement sur
sa conscience et la banalisation des erreurs judiciaires
qui y sont commises aux dépens des Noirs et des autres
minorités ethniques en est une conséquence.
Gilles Perrault, dans son enquête sur l’erreur judiciaire
française qui conduisit Christian Ranucci à la guillotine
en 1976, explique les formidables réticences de
l’institution judiciaire à mener une enquête de
réhabilitation sur un innocent qu’elle a envoyé à la
mort, car ce serait reconnaître qu’elle a commis
l’irréparable [4]. C’est ainsi que les institutions judiciaires
évitent la plupart du temps de s’interroger sur leurs
propres dysfonctionnements et assurent de la sorte
l’avenir des crimes qu’elles commettent.
Jusqu’au jour où certaines choisissent enfin l’abolition,
ce qui fut d’ailleurs le cas en France quelques années
après l’exécution de Christian Ranucci.
Mais ce n’est malheureusement pas le cas aux États-
Unis où les exécutions d’innocents - noirs pour la
plupart - semblent institutionnelles. Le 27 décembre
1998, Sylvain Cypel écrivait à ce sujet dans Le Monde :
L’hebdomadaire The Economist faisait
récemment référence à un colloque, tenu en
novembre à la North Western University Law
School (faculté de droit de l’université du
Nord-Ouest) de Chicago, où il est apparu
que, sur les 490 exécutions effectuées à
travers le pays depuis 1976, 75 avaient
concerné des hommes et des femmes dont
l’innocence avait pu être démontrée après
leur mort. Soit une personne sur sept !Ce colloque a mis en exergue le fait que les
pauvres et les ressortissants des minorités -
tout particulièrement les Noirs - sont plus
susceptibles d’être condamnés à mort que
les autres, le plus souvent parce qu’ils ne
bénéficient, faute de moyens, que d’un
avocat commis d’office.
En janvier 2003, George Ryan, gouverneur de l’Illinois,
après trois ans d’enquête approfondie sur les erreurs
judiciaires commises dans son État, prend courageusement
la décision de commuer en peine de prison à
perpétuité la peine de mort des 167 détenus qui attendent
leur exécution. Le St-Louis Post-Dispatch, un quotidien du
Middle West, résume ainsi les arguments de George Ryan :
Presque la moitié des 300 condamnations à
mort prononcées dans l’Illinois ont été
annulées en appel, un taux d’erreur
ahurissant. Parmi ces condamnés, 33 avaient
été défendus par des avocats radiés du
barreau ou suspendus par la suite, et 35
étaient des Africains-Américains condamnés
par des jurys composés exclusivement de
Blancs. De plus, 46 prisonniers avaient été
condamnés à mort sur la base des
témoignages notoirement peu fiables
d’autres prisonniers servant d’informateurs [5].
Dix mois plus tard, la décision de George Ryan
débouche le 19 novembre 2003 sur le vote à l’unanimité
d’une nouvelle loi par les parlementaires de l’Illinois,
restreignant le recours à la peine de mort et tentant de
limiter les erreurs judiciaires en ce domaine [6].
Une douzaine d’États américains ont renoncé à
appliquer la peine de mort, mais la plupart continuent
à condamner massivement à mort des Noirs et des
membres d’autres minorités ethniques sur la base de
grossières erreurs judiciaires.
Comment s’en étonner si l’on veut bien se remémorer
le passé des États-Unis ? Ce pays fonda en effet son
Empire sur le génocide des Amérindiens et l’esclavage
des Noirs. L’ampleur du génocide améridien est
inconnue mais elle semble se situer aux alentours de 3
à 4 millions de morts pour le seul territoire des États-
Unis [7]. Les Anglo-Saxons américains, descendants des
puritains britanniques, ont largement repris à leur
compte la tradition génocidaire des conquistadores
espagnols, tradition qu’ils commémoraient encore
récemment avec les fameux westerns hollywoodiens
dans lesquels “ un bon Indien est un Indien mort ”. Ces
célébrations cinématographiques à la gloire du
génocide font partie intégrante du folklore américain...
pour ne pas dire qu’elles en constituent l’essentiel.
Outre le génocide amérindien, la déportation des Noirs
vers les Amériques causa la mort d’environ 2 250 000
esclaves pendant la seule traversée de l’Atlantique,
soit 15 % des 15 millions de déportés [8]. Après leur
déportation les esclaves continuèrent à mourir en
masse dans les plantations en raison des mauvais
traitements et de la cruauté délibérée des planteurs.
L’abolition de l’esclavage ne mit cependant toujours
pas fin aux crimes racistes puisque 4 742 Noirs furent
encore lynchés aux États-Unis entre 1882 et 1968 [9] et
que le président Roosevelt refusait toujours à la fin des
années 1930 d’apporter son soutien à un décret contre
le lynchage pour ne pas s’aliéner les politiciens blancs
du Sud [10].
Autant de morts sur la conscience ne peuvent laisser
aucun peuple indifférent et en l’absence de tout mea
culpa la banalisation des crimes racistes constitue
malheureusement la réponse psychologique la plus
probable à un tel héritage. Si les États-Unis
s’interrogeaient soudain sur l’innocence des Noirs
qu’ils envoient par centaines dans les couloirs de la
mort, comment cela ne ferait-il pas ressurgir de leur
mémoire la culpabilité collective des lynchages massifs
des années 1920 ou celle des crimes plus anciens ? C’est
donc en partie inconsciemment pour éviter le fardeau
de cette culpabilité que ce pays banalise le crime dont
il se sent coupable et en perpétue la tradition.
Le parallèle avec le sentiment de culpabilité des
consommateurs de viande est si évident qu’il ne semble
pas nécessiter de commentaires.
Maltraiter ses enfants pour justifier ses parents
Autre exemple, celui de la maltraitance infantile. Les
historiens répugnent à en parler, mais elle s’étend
malheureusement à la presque totalité de l’histoire
humaine [11]. Cette maltraitance nous offre un autre
exemple classique de crime répété pour justifier le
précédent, celui du père ou de la mère qui maltraite
ses enfants pour justifier ses parents.
Ainsi, un moyen d’éviter le sentiment de culpabilité qui
pourrait naître chez les parents qui excisent leur
première fille est d’exciser la seconde. Car épargner
cette horreur à la seconde serait reconnaître l’horreur
du crime commis à l’encontre de la première. Mais ce
serait surtout reconnaître l’horreur des crimes commis
à l’encontre de toutes ses ascendantes par les
“ glorieux ” ancêtres dont la tradition impose la
vénération. Perpétuer la tradition criminelle est donc
bien le moyen d’éviter l’accusation des ancêtres.
Plus l’éducation que subit un enfant est autoritaire,
moins elle lui laisse par définition le droit de la
remettre en cause. En somme, plus un enfant est
maltraité plus il éprouvera plus tard le besoin de
justifier ces mauvais traitements en les reproduisant.
C’est ainsi que la psychologue Alice Miller montre
comment les horreurs commises par les nazis sont une
reproduction névrotique des mauvais traitements subis
par les enfants de la génération d’Adolf Hitler [12]. L’enfance d’Hitler se déroula en effet à une époque où la dureté de l’éducation allemande et autrichienne
atteignaient un paroxysme [13]. L’enfance d’Hitler lui-même
fut particulièrement marquée par la violence,
l’abus d’autorité et l’inceste entre ses parents puisque
sa mère était la fille adoptive de son père [14]. Les enfants de cette génération devenus adultes ne purent remettre en cause l’éducation particulièrement brutale
qu’ils avaient subie. Ils ne purent pas non plus
s’empêcher de reporter névrotiquement cette violence
sur d’autres. Ne parvenant pas à accuser leurs parents
d’avoir exercé de la violence sur eux, ils éprouvaient
donc le besoin de rendre la violence légitime, ce que fit
l’Allemagne hitlérienne en instituant un régime
totalitaire et génocidaire. Là encore nous retrouvons le
mécanisme consistant à rendre un crime légitime pour
légitimer les précédents.
Le processus mental conduisant à perpétuer les
traditions criminelles à l’encontre des animaux est
évidemment identique aux deux précédents. Renoncer
à la viande et aux autres produits animaux parce que
l’on a pris conscience de la souffrance que cette
exploitation induisait dans le monde animal, c’est
s’accuser de toute la souffrance que l’on a infligée aux
animaux jusqu’au moment de cette décision. C’est
également accuser ses parents, l’éducation qu’ils nous
ont donnée et éventuellement celle que nous avons
nous-même donnée à nos enfants. Pour n’accuser
personne et dissimuler qu’il s’agit d’un crime, la
solution choisie est donc souvent de ne rien changer
aux comportements d’exploitation animale.
Il n’y a pas d’exploitation animale sans sadisme
J’ai évoqué jusqu’ici le mécanisme psychologique
consistant à perpétrer un crime pour légitimer ceux du
passé. Mais il existe un second mécanisme, présentant
quelque similitude avec le premier, qui consiste à
torturer les victimes du crime que l’on commet comme
si elles étaient coupables de quelque chose. C’est une
façon de se donner l’illusion de justifier ce crime. Un
bourreau se considère en effet forcément comme un
être abject s’il tue des innocents. S’il ne renonce pas
au crime, la seule issue psychologique qui s’offre à lui
est donc de considérer que l’être abject n’est pas lui
mais sa victime. Son jeu consistera alors à dégrader
l’image de cette victime, notamment en la torturant.
Le phénomène est plus que classique chez tous les
tortionnaires.
En janvier et février 1995, plusieurs associations se sont
mobilisées en Angleterre puis en France pour
sensibiliser l’opinion au sort des animaux de boucherie
durant leur transport et leur abattage. Cette campagne
est parvenue à éveiller une laborieuse prise de
conscience des souffrances que l’humanité impose aux
êtres qu’elle asservit pour son confort. Ce sont de
telles campagnes qui, depuis la fin du XIXe siècle,
stimulent la lente évolution d’une législation qui tente
par exemple d’imposer peu à peu des techniques
relativement indolores de mise à mort.
À cette occasion, la diffusion de reportages télévisés
révéla à un public surpris et choqué la cruauté avec
laquelle étaient traités les animaux de boucherie à tous
les stades de leur vie. L’idée que ce public en a
globalement retirée demeure cependant qu’aussitôt
réglés les derniers détails législatifs relatifs aux
conditions d’exploitation, le problème disparaîtra.
Pourtant, quiconque veut bien prendre la peine
d’appliquer les acquis de la psychologie sociale aux
relations entre humains et animaux sera en mesure de
prédire qu’aucune législation ne suffira à mettre un
terme aux mauvais traitements, à moins bien sûr
qu’elle n’interdise purement et simplement toute
exploitation animale.
Un certain sadisme, inhérent aux pratiques
d’exploitation de tout animal dont le sort sera tôt ou
tard la boucherie, n’a en effet pas d’autre cause que la
connaissance de ce destin par l’éleveur, le transporteur
et le boucher. Encore vivant, l’animal est déjà
considéré comme de la viande par destination. Les
vivisecteurs par exemple ont coutume de dire que dès
l’instant où cela ne choque personne d’utiliser un
animal pour en faire de la viande, rien ne s’oppose à ce
qu’on l’utilise également pour n’importe quel autre
usage, même s’il est plus cruel. Franchir le cap de
l’abattage semble donc ouvrir la porte au sadisme.
L’expérience de Zimbardo
L’une des expériences de psychologie sociale les plus
remarquables portant sur le sadisme institutionnel fut
probablement celle de Zimbardo. Les conclusions de
cette expérience sont parfaitement transposables aux
relations entre les humains et les animaux qu’ils
exploitent.
En 1971 à Palo Alto, en Californie, dans l’enceinte du
département de psychologie de l’université de
Stanford, fut menée sous la direction de Philip
Zimbardo une expérience destinée à étudier les
relations entre gardiens et prisonniers dans les
institutions carcérales. Dix faux prisonniers et onze
faux gardiens furent sélectionnés, parmi soixante-quinze
candidats masculins ayant répondu à une
annonce, parmi les plus solides physiquement et
moralement, les plus mûrs et les plus sociables.
Participèrent également à l’expérience un surveillant,
un directeur, un comité de libération sur parole et un
comité de médiation. Initialement prévue pour durer
quatorze jours, l’expérience du être interrompue au
bout de six jours seulement tant le comportement des
gardiens devint sadique. Même les plus doux et les plus
pacifiques, qui se croyaient parfois auparavant
incapables de maltraiter un être humain, se muèrent
rapidement en bourreaux méconnaissables. On peut
trouver une description relativement détaillée de cette
expérience dans L’esprit nu [15]. L’ouvrage expose
également certains enseignements tirés de cette
expérience (y compris par ceux qui y participèrent sur
leur connaissance d’eux-mêmes), ainsi que quelques
controverses qu’elle suscita. Sans entrer dans le détail,
retenons surtout que malgré quelques écarts dans
l’interprétation des comportements observés,
l’expérience confirma que ces comportements étaient
induits par le système pénitentiaire lui-même et
nullement par un sadisme intrinsèque des participants.
D’ailleurs, ce comportement s’observe à très peu de
variantes près dans toute institution répressive, quelles
que soient les personnes qui incarnent le système. Que
ce point ne fasse plus maintenant de doutes est
certainement l’argument le plus important dans le
débat sur le sadisme au sein de l’exploitation animale.
Psychologie du crime
Ces résultats expérimentaux, pour intéressants qu’ils
soient, ne vont pas jusqu’à fournir l’explication
psychologique du phénomène. Cette explication n’a
cependant rien de bien mystérieux.
L’expérience a mis en évidence le plaisir de dominer,
même chez ceux de la part de qui on s’y attendait le
moins. Mais il existe une seconde raison, au fond
évidente, au développement du sadisme dans toute
forme de domination institutionnelle.
Imaginez que pendant la Seconde Guerre Mondiale,
vous ayez, en tant qu’officier allemand, été affecté
contre votre volonté dans un camp d’extermination.
Puisque vous n’avez pas le courage d’affronter le
peloton d’exécution en désertant, voilà que votre
fonction sociale devient celle de tuer des Juifs, des
Roms, des communistes, des homosexuels, des asociaux
et des dissidents [16]. Il vous est évidemment impossible
d’assumer cette fonction dans l’indifférence. Comment
vous justifier à vos propres yeux ? “Suis-je un être aussi
abject ? ”, vous demandez-vous. Pour éviter cette idée,
il n’existe qu’une issue psychologique : les êtres
abjects sont vos victimes, ce qui justifie leur exécution.
Plus vous les considèrerez comme haïssables, plus vous
les dévaloriserez par des tortures et plus vous vous
justifierez à vos propres yeux.
Un ami dentiste m’a raconté avoir été amené au cours
de ses études à opérer des mâchoires de cadavres. La
réaction de beaucoup d’étudiants était alors de
manifester une cruauté apparemment gratuite à
l’encontre du corps de ces malheureux qui venaient de
trépasser, en leur crevant les yeux par exemple. Cela ne
relève-t-il pas du même phénomène ? Si l’on vous
demandait de découper le corps de quelqu’un qui vient
de mourir et envers qui vous n’éprouvez aucune
animosité, pourriez-vous le faire sans la moindre gêne ?
Ne serait-ce pas plus facile si ce corps était celui d’un
être abject ? Puisque vous êtes en position de dominant,
c’est le jeu que vous jouerez inconsciemment.
Vous êtes maintenant payé pour tuer deux cents
cochons par jour. Au lieu de les faire descendre du
camion sans leur faire mal, vous les ferez tomber de
deux mètres de haut pour qu’ils se brisent les côtes, et
comme cela ne suffira pas vous leur décocherez encore
un coup de pied dans le ventre. Vous n’avez guère le
choix : sinon c’est vous-même que vous considérerez
comme abject.
On reproche souvent aux vivisecteurs leur cruauté
“ gratuite ”. Non contents d’effectuer sur les animaux
des tests et des opérations sans anesthésie, ils les
manipulent parfois sadiquement, les laissant par
exemple cruellement souffrir sur une table d’opération
pendant leur repas [17]. Ne trouvant pas d’explication à
cette cruauté, certains sous-entendent volontiers que
tout individu normalement constitué éviterait ces
tortures inutiles et que le comportement de ceux-là
prouve qu’ils sont des monstres. C’est ne pas
comprendre qu’il s’agit pour eux de la seule issue
psychologique à la cruauté qu’implique leur rôle social
et que chacun de nous serait très fortement tenté
d’adopter le même comportement dans une situation
semblable.
Comment ne pas en conclure qu’à l’échelle de notre
société il est utopique de vouloir mettre fin à ce type
de sadisme sans renoncer à l’exploitation animale elle-même ?
Reconnaître la souffrance animale, c’est accepter sa propre animalité
Il existe une difficulté psychologique supplémentaire à
l’abolition des crimes commis à l’encontre des animaux,
c’est celle de la prise de conscience des souffrances
éprouvées par des êtres qui ne nous ressemblent pas.
L’empathie, qui consiste à éprouver ce que l’autre
éprouve, nécessite une capacité d’identification à la
personne souffrante.
C’est pourquoi la souffrance animale est si peu reconnue.
Il est donc utile, afin d’établir un pont entre souffrance
humaine et souffrance animale, d’explorer notre propre
animalité. Et qui mieux que les enfants sauvages, ces
enfants élevés par des animaux et vivant comme des
animaux, peut nous mettre sur la voie d’une telle
exploration ? Leur histoire révèle que les souffrances qu’ils
endurèrent furent niées comme l’est aujourd’hui la
souffrance animale, jusqu’à ce que leur apparence
devienne plus humaine et permette aux personnes qui les
recueillirent de s’identifier partiellement à eux.
Ces enfants ressemblaient à des animaux et leurs
souffrances ressemblaient à des souffrances animales,
mais ils étaient pourtant génétiquement
humains et leurs
souffrances étaient donc également humaines. L’esprit
humain ne parvient à se représenter la souffrance d’autrui
que par rapport à la sienne. Il ne reconnaît d’abord chez
les êtres qui lui ressemblent que les souffrances qu’il a
déjà vécues lui-même. Puis, au fur et à mesure qu’il se
découvre des ressemblances avec des êtres différents, il
perçoit également leurs souffrances. Mais si l’humanité
commence timidement à se reconnaître une authentique
filiation avec le monde animal, elle ne reconnaît encore
que très partiellement les souffrances qu’elle lui inflige.
L’animal sacrifié à la grandeur humaine
Les animaux pensants que nous sommes se sentent
transportés par le caractère sacré qu’ils attribuent à leur
propre humanité. C’est qu’ils ont constaté que lorsqu’elle
n’est pas instinctive comme celle de la chatte protégeant
ses chatons, l’abnégation consciente et délibérée ne se
rencontre que chez leurs propres congénères. Forts de
cette gratifiante certitude, nous avons pris l’habitude de
qualifier l’altruisme de qualité “ humaine ”. C’est ainsi
que l’on parle d’aide “ humanitaire ”, ou de
“ l’humanité ” dont font preuve les héros du dévouement.
C’est oublier bien vite que faire preuve “ d’humanité ”,
c’est aussi gazer des soldats dans leurs tranchées, brûler
des incroyants
sur la
place
publique
et vendre des mines
anti-personnel sous prétexte de “ création d’emplois ”. Le
sadisme, lorsqu’il n’est pas instinctif comme celui du chat
jouant avec la souris, est lui aussi spécifiquement humain :
il n’a de ce point de vue rien à envier à l’abnégation
altruiste.
Mais cela n’empêche nullement l’humain de considérer
“ l’humanité ” comme la qualité estimable entre toutes.
Ne doutant pas un instant que le statut privilégié qu’il
s’octroie sur ce principe lui vaut d’infinies faveurs, l’être
humain n’envisagerait certainement pas de comparer sa
valeur à celle des autres animaux. Sacrifier un seul humain
pour dix mille vaches, cent mille chimpanzés, ou même
tous les animaux de la Terre, serait encore insupportable :
l’humanité se refuse à figurer sur la même échelle de
valeurs que le monde animal, qu’elle sacrifierait sans
hésiter tout entier pour sauver un seul des siens.
L’humanité, pour éviter sa propre contamination au cours
de l’épidémie d’encéphalite spongiforme, préféra abattre
des millions d’animaux plutôt que de renoncer à sa
consommation de viande et n’évalua les pertes qu’en
termes économiques. D’une façon plus ou moins avouée,
creuser le fossé entre humain et animal c’est renforcer la
grandeur humaine. Multiplier les cadences des abattoirs et
les plus cruelles expérimentations animales scientifiques,
pharmaceutiques ou cosmétiques, c’est célébrer la
transcendance humaine par le sacrifice animal.
C’est peut-être ce que ressentent ceux qui refusent de
penser autrement que pour en rire aux animaux morts pour les nourrir, aux poules pondeuses souffrant l’horreur dans les batteries d’élevage, aux vaches laitières efflanquées et aux mamelles crevassées sous l’effet de l’hormone somatotrophine bovine, aux lapins agonisant de cancers contractés en testant gels douche, déodorants,
shampoings, liquides vaisselle, cosmétiques ou cigarettes.
Ils ont pourtant tous déjà rencontré des végétariens mais
ne les ont pas vus. Ils ont entendu parler de tests
alternatifs pour les cosmétiques ou les produits
d’entretien, mais les ont aussitôt oubliés [18].
L’indifférence des dominants
Cette solide indifférence ressemble fort à celle dont le
corps médical peine à se défaire à l’égard des
nourrissons. Parce que les nourrissons sont, comme les
animaux, privés de la possibilité d’exprimer leurs
souffrance dans un langage qui nous frappe, elle est
trop souvent simplement ignorée. Il aura fallu les
progrès de certaines psychothérapies qui sondent les
souvenirs les plus profonds et font rejaillir en pleine
conscience adulte l’intensité des blessures de
l’enfance, pour amorcer une lente prise de conscience
dans le milieu médical. On commence ainsi à
comprendre ce que signifie une naissance sans
violence. On commence à hésiter avant d’opérer un
nourrisson ou percer le tympan d’un enfant sans
anesthésie, mais un long chemin reste encore à
parcourir. En 1987, un anesthésiste britannique, le
Docteur Anand, consulta quarante articles relatant une
opération bénigne mais nécessitant l’ouverture du
thorax sur un prématuré. Seuls neuf nouveau-nés
avaient été anesthésiés, les trente et un autres furent
simplement paralysés par du curare, avec l’aide, pour
certains, du protoxyde d’azote, un analgésique léger [19].
La souffrance ignore la frontière
humain-animal
Une souffrance ne perd pourtant rien de son intensité
parce qu’elle est cachée, au contraire. Parce que les
enfants sauvages sont humains et que certains d’entre
eux ont été capturés, apprivoisés et “ humanisés ”, rien
ne nous permet plus de douter de la réalité d’une
souffrance qu’ils ont fini par pouvoir exprimer. Mais
accepter d’ouvrir les yeux sur cette souffrance, c’est
déjà accepter de porter sur le monde animal un regard
du même ordre que celui que nous portons sur le monde
humain.
C’est pour cette raison que le Docteur Itard, qui a
soigné Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron, doutait de
la réalité des souffrances de l’enfant. Il ne pouvait se
résoudre à porter son regard à travers cette brèche
ouverte entre le monde animal et le monde humain. Il
raconte que peu après sa capture, Victor semblait
insensible au chaud comme au froid. Il prenait à mains
nues des charbons ardents ou des pommes de terre qui
cuisaient dans l’eau bouillante et les mangeait sans
attendre qu’elles refroidissent. Mais comment aurait-il
su qu’en attendant elles refroidiraient ? Petit à petit, à
force de bains et de massages, Itard réussit à faire
émerger la sensibilité étouffée de Victor. Au bout de
quelques semaines, ce dernier manifesta une
préférence pour une température douce de l’eau de
son bain. Avant sa capture, il avait passé sans
vêtements des hivers particulièrement rigoureux dans
les Monts de Lacaune. S’il n’avait pas pu à ce moment-là
étouffer sa sensibilité pour affronter le froid, la
neige, la faim et les blessures, il en serait mort. Sa
peau portait plus de 23 cicatrices plus ou moins larges
et même des traces de brûlures [20].
Amala et Kamala, élevées par des loups en Inde,
marchaient à quatre pattes au moment de leur capture.
Leurs avant-bras étaient couverts de plaies profondes
qui mirent plusieurs semaines à cicatriser. Elles aussi
semblaient insensibles au chaud comme au froid et
buvaient la même quantité d’eau quel que soit le
temps [21].
Sans notre certitude que ces enfants appartenaient à
l’espèce humaine, n’importe quel observateur aurait
décrété que leur capacité à courir sur des membres
blessés, leur indifférence à la soif, aux brûlures et aux
morsures du froid indiquaient qu’ils n’en souffraient
pas. C’était d’ailleurs ce qu’affirmaient les personnes
qui s’occupaient d’eux. Tout comme les médecins, qui
imposent aux nourrissons des souffrances qu’ils
n’envisageraient jamais pour des adultes - car un
adulte “ ne les supporterait pas ” - croient que
puisque les nourrissons semblent s’en remettre c’est
qu’ils en souffrent moins que nous et qu’ils finissent par
les oublier. Diverses techniques psychothérapeutiques
montrent aujourd’hui qu’il n’en est rien. Même
refoulé, un violent traumatisme de l’enfance n’a rien
perdu de son intensité et continue d’exercer une action
morbide sur le psychisme adulte.
L’amorce d’une révolution
copernicienne
Il aura fallu des siècles à l’humanité pour admettre que
la Terre n’occupait pas le centre de l’Univers. Combien
faudra-t-il encore de temps aux adultes pour admettre
que leurs problèmes et leurs souffrances n’occupent
pas non plus le centre de l’Univers mais n’en
constituent qu’un atome ? De plus en plus de voix
s’élèvent dans le monde médical pour le respect du
nourrisson. Certains éthologues découvrent tant de
similitudes entre les comportements sociaux des
humains et ceux des chimpanzés que Frans de Waal
n’hésite plus à écrire :
Si nous plongeons notre regard dans les yeux
d’un chimpanzé, nous y rencontrons une
personnalité intelligente et indépendante. Si
ce sont des animaux, alors que sommes-nous ? Toute une série de faits, bien connus à présent, réduisent le fossé entre humains et animaux [22].
L’éthologie, science maudite lorsqu’elle prend le nom
de sociobiologie en raison entre autre de la justification
des hiérarchies sociales qu’en tirait son inventeur E.
Wilson [23], devrait-elle également son exécrable
réputation à ce qu’elle nous révèle de notre similitude
avec le monde animal ? Le violent procès qui lui est
intenté ne descendrait-il pas à son tour de celui qui fut
intenté à un certain Charles Darwin qui osait faire
descendre “ l’Homme du singe ” ? Parler d’une part de
déterminisme biologique dans notre comportement
n’est-ce pas détruire l’illusion de la grandeur humaine ?
Les comportements sociaux des chimpanzés sont
pourtant si semblables aux nôtres qu’il est impossible
de nier tout déterminisme biologique sans une évidente
mauvaise foi [24].
À propos du film Primate de Frederick Wiseman,
documentaire sur l’expérimentation animale, Catherine
Humblot écrit :
Wiseman “ voit ” la souffrance des primates,
en même temps que les gestes précis des
chirurgiens. Ces corps impuissants,
malmenés, utilisés rappellent à l’évidence
l’univers concentrationnaire. (...) C’est le
moment que choisit Wiseman pour révéler
l’enjeu de ces travaux. (...) Il s’agit de
comprendre (entre autre) ce qui s’est passé
il y a quelques dizaines de millions d’années,
quand l’ancêtre de l’Homme a commencé de
se relever pour marcher. (...) Ces hommes,
ces femmes qui disposent des corps des
primates, c’est l’Homme occidental avec ses
rapports de classe, de race, c’est l’Homme
primitif qui a dominé son voisin. Il y a une
scène extrêmement révélatrice. Un
chirurgien soulève un orang-outang sur la
table d’opération. Il prend dans ses bras la
bête endormie, que l’on voit de dos. Une
moitié du corps de l’animal a été rasée.
Cette moitié qui révèle la peau est très
exactement celle d’un être humain. Vision
saisissante, qui dit l’histoire de la famille,
l’Ordre des pouvoirs et la violence exercée
par des vivants sur d’autres [25].
Une certaine conception de la philosophie humaniste
dont nous sommes si fiers n’est-elle pas au fond basée
sur un malentendu ? N’est-elle pas tout simplement la
naïveté de l’enfant gâté qui croit que tout lui est dû et
qui situe son propre nombril au centre de l’Univers
parce qu’il ne s’est pas encore ouvert au monde ? Sa
découverte du monde sera pour lui un traumatisme
lorsqu’il cessera d’en occuper le centre. Reconnaître la
souffrance cachée des êtres qui nous entourent
engendrera une véritable révolution copernicienne.
L’âme humaine y perdra le monopole du plaisir et de la
souffrance, pour ne plus en constituer qu’un atome.
Partager le romantisme avec les animaux, quoi de plus
révoltant ? Une conception trop étriquée de la
philosophie humaniste, édifice encore central de la
pensée occidentale, risquera alors de s’effondrer
comme un château de cartes.
Humanisme et solidarité
L’humanisme, apparu au Siècle des Lumières, se fonde
sur l’idée de respect de tout être humain quel qu’il
soit. C’est cette notion d’un statut inaliénable de l’être
humain qui a permis et permet encore de lutter contre
l’esclavage, les colonisations, le travail des enfants,
l’oppression des femmes ou le racisme en reconnaissant
théoriquement des droits égaux à tout être humain. Le
mouvement de libération animale se propose d’étendre
ce respect et ces droits à tout être sensible et plus
seulement aux humains.
Mais les militants du mouvement de libération animale
s’entendent souvent répondre qu’étendre ce respect
aux animaux saboterait l’humanisme. Paul Ariès par
exemple, qui défend cette idée [26], n’explique pourtant
pas vraiment en quoi l’absence de droit des animaux,
c’est-à-dire leur massacre, augmenterait le respect
entre humains. Le respect des uns peut-il réellement se
fonder sur le massacre des autres ? Cultiver le sens du
respect c’est pourtant cultiver un état d’esprit qui ne
peut que bénéficier à tous. Cultiver le différentialisme
entre ceux qui ont des droits et ceux qui n’en ont pas
c’est au contraire militer pour une société excluante.
L’idée forte de la libération animale est de repousser
toujours plus loin l’absurde frontière entre ceux qui ont
des droits et ceux qui n’en ont aucun, cette frontière
au-delà de laquelle toutes les abominations sont
commises, jusqu’à finalement dénoncer l’existence
même d’une telle frontière.
La tendance génocidaire de l’humanité
La souffrance animale ne présente aucune différence
fondamentale avec la souffrance humaine. Le cerveau
humain ne se différencie pas du cerveau animal par une
différence dans sa capacité à souffrir, mais par
l’existence du néo-cortex. C’est lui qui nous procure la
capacité d’abstraction caractéristique du cerveau
humain, mais il ne crée aucune différence dans la
perception de la douleur. Il augmente simplement la
capacité à l’imaginer.
Tous les animaux souffrent et éprouvent du plaisir,
même si leur sensibilité peut différer de la nôtre. Sans
souffrance ni plaisir, les animaux ne disposeraient
d’aucune motivation pour fuir le danger, rechercher leur
nourriture, s’accoupler ou nourrir leurs petits. Pourquoi
les escargots sortiraient-ils après la pluie chercher
l’humidité dont ils ont besoin si l’humidité ne leur
procurait aucune satisfaction ? Pourquoi les oiseaux ou
les poissons se précipiteraient-ils sur la nourriture qu’on
leur jette, pourquoi les lézards rechercheraient-ils le
soleil, pourquoi les animaux se protègeraient-ils du froid
et fuiraient-ils les incendies ou les coups s’ils
n’éprouvaient rien ?
Les plantes, les champignons et les bactéries réagissent
eux aussi à leur milieu, mais leurs réactions, beaucoup
plus simples, sont purement chimiques : ils n’ont pas
besoin d’éprouver quelque chose pour survivre. Les
animaux au contraire, dotés d’un système nerveux, ont
besoin pour se maintenir en vie et se reproduire de
réactions beaucoup plus sophistiquées à leur
environnement. Ces réactions seraient impossibles sans
la motivation procurée par le plaisir et la douleur.
Les études menées sur l’instinct montrent que l’animal
n’est pas biologiquement programmé pour exécuter des
gestes stéréotypés mais pour arriver à une fin, et la
complexité de son comportement ne peut s’expliquer
autrement que par la satisfaction qu’il éprouve lorsqu’il
y parvient. Il est capable pour cela d’adapter ses actes
de multiples façons. Les larves aquatiques des phryganes
(ou traîne-bûches), par exemple préfèrent des grains de
sable d’un certain diamètre pour construire leur fuseau.
Ces animaux fragiles et dépourvus de coquille doivent en
effet se confectionner un fuseau protecteur autour du
corps. Ils mesurent le diamètre des grains de sable avec
leurs pattes pour les choisir. Mais si on les place dans un
aquarium où ils ne trouvent que des grains plus gros ou
plus petits, ils sont capables de renoncer à sélectionner
des grains de la taille idéale et choisissent alors la taille
la plus proche. S’ils ne trouvent plus que des brindilles,
ils sont capables de renoncer aux grains pour les
brindilles. Et si on leur coupe une patte ils utilisent une
autre paire de pattes pour mesurer les grains. Ces
capacités d’adaptation, même chez des animaux à la
physiologie aussi sommaire que les traîne-bûches, ne
peuvent pas s’expliquer par la programmation de
comportements stéréotypés que l’animal exécuterait
sans la moindre sensation. La complexité des
comportements d’adaptation à l’environnement
implique la programmation d’un objectif que l’animal
éprouve de la satisfaction à réaliser et pour lequel il est
prêt à mobiliser toutes ses ressources. De la même façon
que nous sommes capables d’une infinie variété dans
l’adaptation de nos comportements visant à satisfaire
nos besoins de manger, de boire, de dormir ou de faire
l’amour.
Les animaux ne disposent pas d’autres guides que les
sensations qu’ils éprouvent pour trouver les réactions
appropriées à leur survie. Rien n’indique que la
souffrance animale présente une différence avec la
nôtre, bien au contraire. Une équipe britannique vient
de mettre en évidence la souffrance des poissons
mordant à l’hameçon [27], presque toujours niée par les
pêcheurs.
Il est difficile, lorsque l’on fait souffrir un animal, de ne
pas voir au moins une partie de sa souffrance, sauf s’il
a la taille d’un petit insecte. Puisque la souffrance
animale ressemble à la nôtre et puisqu’elle est souvent
visible, faire souffrir les animaux implique une
fermeture de la sensibilité sur la base d’une
discrimination arbitraire. La capacité à effectuer cette
discrimination arbitraire à l’égard d’êtres sensibles
implique la capacité potentielle à effectuer la même
discrimination à l’égard d’êtres humains. Hubert
Reeves rapporte à ce propos cette anecdote :
Des reporters de la télévision ont interviewé
un jeune sniper de la guerre de Serbie. Un
garçon aux allures douces et qui s’exprimait
fort bien. Installé au sommet d’un immeuble
de Sarajevo, il reconnaissait avoir tué à lui
seul deux cent cinquante-six piétons. “ Et
comment cette envie vous est-elle venue ? ”,
interroge le reporter. “ La première fois,
c’est quand mon père m’a mis un fusil entre
les mains et m’a amené à la chasse aux
canards [28]. ”
C’est ainsi qu’au cours de tous les génocides le mépris
appliqué aux animaux est transposé aux victimes
humaines qui sont animalisées avant d’être massacrées.
Si de tels crimes sont possibles, c’est évidemment
parce qu’une frontière absurde existe entre ceux qui
ont des droits et ceux qui n’en ont pas. Comme l’écrit
Jared Diamond :
Finalement, au regard de notre morale, les
êtres humains et les animaux n’ont pas la
même valeur. Par suite, les responsables de
génocides à notre époque appliquent
fréquemment à leurs victimes un registre
animalier, afin de justifier leurs actes : les
nazis considéraient les Juifs comme de la
vermine ; les colons français d’Algérie
appelaient les Musulmans des “ ratons ” ; les
Paraguayens d’origine européenne
décrivaient les Indiens Aché (des chasseurscueilleurs)
comme des rats féroces ; les
Boers appelaient les Africains des
“bobbejaan” (babouins) et les Nigériens du
Nord “ civilisés ” tenaient les Ibos pour des
Parasites [29].
Marcel Blanc, le traducteur de Jared Diamond, ajoute
en note :
En anglais, de nombreux noms d’animaux
sont utilisés comme adjectifs péjoratifs :
“ ape ” (singe), “ bitch ” (chienne), “ cur ”
(roquet), “ dog ” (chien), “ ox ” (boeuf),
“ rat ” (rat), “ swine ” (cochon) [30].
C’est également par le terme cancrelats que les Tutsis
furent dénommés par leurs assassins au cours du
génocide rwandais.
Dans son étude sur la résistance psychologique au
meurtre chez les soldats à travers l’histoire des
guerres, Dave Grossman montre que la supériorité
militaire des armées modernes vient autant de la
sophistication de leur armement que de leurs méthodes
d’entraînement permettant de surmonter cette
résistance au meurtre. Le conditionnement des soldats
ne leur permet d’ailleurs de surmonter cette résistance
au meurtre que dans le feu de l’action, mais lorsqu’ils
réalisent rétrospectivement ce qu’ils ont commis, ils
basculent couramment dans le syndrome de stress posttraumatique.
Grossman rappelle lui aussi que l’un des
artifices employés pour surmonter cette résistance est
la déshumanisation de l’ennemi :
Si votre système de propagande peut
convaincre vos soldats que leurs opposants
ne sont pas réellement humains mais sont
des “ formes de vie inférieures ”, alors leur
résistance naturelle à tuer leur propre
espèce diminuera. Souvent l’humanité de
l’ennemi est déniée par des qualificatifs tels
que “ Gook ”, “ Krau ” ou “ Nip ” [31].
S’il en est ainsi pourquoi les détracteurs de la libération
animale insistent-ils sur l’idée que refuser tout droit
aux animaux renforce la solidarité entre humains ?
Ce schéma mental est celui qui prévaut dans les
sociétés en guerre. Dans les sociétés sans agriculture
soumises au stress des guerres claniques, l’autre,
l’étranger, celui qui était différent, était toujours
perçu comme un ennemi potentiel. Dans ces sociétés
constamment menacées de guerres, la solidarité
clanique était synonyme d’une hostilité aux étrangers.
Il était impossible de prendre objectivement la défense
d’un étranger sans mettre en péril la solidarité
clanique : la peur des agressions incitait à une hostilité
permanente envers tout étranger.
L’humanité a vécu dans ces conditions d’hostilité
latente envers les étrangers pendant des millions
d’années et il serait vain de croire qu’un tel passé n’a
laissé aucune trace dans nos schémas mentaux.
Desmond Morris explique que d’un point de vue
biologique l’espèce humaine est probablement adaptée
à cette vie clanique dans laquelle l’individu n’a de
relations qu’avec des personnes qu’il connaît. En
conséquence, bien des problèmes sociaux que nous
rencontrons dans les sociétés urbaines viennent du fait
que nous devons sans cesse y gérer des relations avec
des personnes que nous ne connaissons pas et envers
qui nous n’éprouvons aucune solidarité, alors que nous
sommes mentalement inadaptés aux relations
impersonnelles [32]. La force de la thèse de Desmond Morris est que malgré la justesse de son analyse, il
prend suffisamment de recul par rapport à elle pour
défendre le mode de vie urbain en raison de la richesse
des échanges culturels qui s’y effectuent. Il affirme que
notre besoin d’échanges intellectuels est suffisant pour
que nous recherchions des moyens culturels de
surmonter nos difficultés biologiques à gérer les
relations impersonnelles.
Or s’exercer à la solidarité envers tous les êtres qui
nous sont différents est indéniablement l’essence
même d’une telle démarche culturelle susceptible de
nous aider à surmonter notre tendance biologique à
l’esprit de clocher.
La mentalité conduisant à considérer que l’hostilité
envers les étrangers renforce la solidarité au sein du
clan est donc potentiellement celle d’une humanité en
guerre. Les défenseurs de l’humanisme comme Paul
Ariès qui estiment que refuser tout droit aux animaux
renforce la solidarité entre humains font fausse route
en cultivant sans y prendre garde une mentalité
potentiellement guerrière, qui au contraire de
renforcer la solidarité entre humains exacerbe
l’hostilité envers les étrangers. Car établir une
frontière arbitraire entre ceux qui ont des droits et
ceux qui n’en ont pas peut toujours se retourner contre
ceux qui en ont : il suffit pour cela qu’ils passent de
l’autre côté. C’est ce qui se produit lorsque l’on
animalise les victimes d’un génocide. Ainsi Rosa Amelia
Plumelle-Uribe remarque-t-elle dans son réquisitoire
contre le génocide amérindien :
Il existe une relation dynamique entre la
destruction des indigènes d’Amérique,
l’anéantissement des Noirs et la politique
d’extermination introduite par les nazis en
Europe dans la première moitié du XXe
siècle.
(...) Pendant les trois siècles et demi que
durèrent la déportation massive des
Africains et leur mise en esclavage, une
caractéristique va, dès l’abord, s’imposer et
se développera ensuite, jusqu’à devenir un
élément culturel : l’éviction, le bannissement
des Noirs de la famille humaine,
dont la race blanche devient le modèle
référentiel à l’échelle planétaire. L’éviction
d’un groupe de la famille humaine entraîne
l’anéantissement de ce groupe. En effet, cet
anéantissement peut, alors, s’accomplir
dans l’indifférence quasi générale puisque
les victimes sont censées appartenir à une
autre espèce. Cela fut une constante tout au
long du génocide afro-américain. Mais cette
horreur s’est vérifiée bien au-delà de ce
génocide puisque ce comportement ouvrait
le chemin qui devait conduire à la
destruction, à l’anéantissement d’autres
groupes humains, les victimes de la politique
nazie d’extermination par exemple [33].
Dans sa terrifiante rétrospective des génocides qui
émaillent la sombre histoire humaine, Jared Diamond
montre que l’extermination de tout ce qui est perçu
comme différent de soi et de son groupe de solidarité
est en réalité une tendance générale dont l’humanité
contemporaine n’est nullement dégagée :
Depuis 1950 seulement, on a dénombré vingt
épisodes de génocide, dont deux ont
concerné plus d’un million de victimes
chacun (le Bangladesh en 1971 et le
Cambodge à la fin des années 1970) et
quatre ont porté sur plus de cent mille
victimes chacun (le Soudan et l’Indonésie
dans les années 1960, le Burundi et
l’Ouganda dans les années 1970 [34]).
Depuis que Jared Diamond a publié son livre en 1992,
les génocides du Rwanda en 1994 et du Kosovo en 1999
sont venus allonger cette liste noire. Diamond omet par
ailleurs le génocide tibétain (1,2 million de morts de
1951 à 1978).
Jamais aucun génocide ne fut fondé sur autre chose que
sur cette frontière arbitraire et absurde entre “ nous ”
et “ les autres ”. Cette tendance à établir une ligne de
démarcation au-delà de laquelle la souffrance n’est
plus prise en compte avait cours dans la Grèce antique
esclavagiste qui qualifiait le monde entier de barbare à
l’exception des Grecs. De la même façon le
pictogramme sumérien qui désignait une “ femme d’au-delà
des montagnes ” signifiait également “ femme
esclave [35]”. On le voit la solidarité entre les peuples
n’était pas à l’ordre du jour. Bien plus tôt encore,
l’époque de la disparition massive des Néandertaliens,
consécutive à l’arrivée de Cro-Magnon sur le continent
européen, fut probablement celle de l’un des premiers
génocides de l’aventure humaine. Jared Diamond
conclut son sinistre inventaire des génocides sur le
triste constat que rien n’a encore vraiment changé et
que notre tendance à exterminer tout être qui n’est pas
perçu comme appartenant au même groupe que soi est
toujours bien vivante. Il conclut entre les lignes son
essai un peu à la façon de Martin Luther King : “ Il nous
faut apprendre à vivre tous ensemble comme des
frères, ou bien nous périrons tous ensemble comme des
imbéciles. ”
Pour les civilisations sans agriculture du Paléolithique, la
solidarité entre les membres de la tribu passait par
l’extermination de tout membre d’un groupe rival.
L’évolution supposée des mentalités depuis le
Paléolithique n’est pourtant pas toujours un vain mot et
permet l’émergence progressive d’une conception de
l’humanisme s’inscrivant dans une logique égalitaire
plutôt qu’excluante.
Une bien étrange conception de
l’humanisme
Mais les résistances ne sont pas vaines non plus, comme
le prouvent les propos tenus le mardi 31octobre 2000
au cours d’une émission radiophonique consacrée à
l’antispécisme et à l’humanisme. Manifestement les
invités présents sur le plateau n’avaient aucune autre
connaissance de l’antispécisme que le livre de Paul
Ariès. Leurs propos montrent que d’après leur
conception de l’humanisme, une frontière, séparant
ceux qui ont des droits de ceux qui n’en ont pas,
renforce la solidarité au sein du groupe possédant des
droits. Quelques-uns de ces propos seront reproduits ci-dessous.
À la suite de ces propos, vous en trouverez une
transposition dans laquelle la notion d’espèce humaine
a été remplacée par celle de race blanche. Les propos
tenus deviendront alors scandaleux, grotesques et
absurdes et le résultat obtenu donnera certainement
l’impression que le procédé est brutal. Cependant une
lecture attentive des deux textes comparés montrera
que si le caractère absurde et scandaleux des propos
transposés paraît aussi criant, c’est parce qu’elle ne
fait que mettre en relief l’idée, contenue dans le texte
original, que l’exploitation du monde animal renforce
la solidarité au sein de l’espèce humaine.
C’est cette idée elle-même qui est en réalité absurde,
mais elle correspond à un puissant préjugé dont les
fondements psychologiques seront donnés en prélude à
la conclusion de ce livret. Les préjugés absurdes sur le
plan logique ont souvent une raison d’être qui ne relève
pas du domaine de la logique mais de celui de la
passion, de la psychologie inconsciente. Il est donc
profitable afin de s’en dégager de les analyser dans un
premier temps sous l’angle logique puis dans un second
temps sous l’angle psychologique.
Le point de vue logique
D’un point de vue rationnel, l’absurdité du préjugé
voulant que la solidarité au sein du groupe humain soit
renforcée par l’exclusion des autres groupes peut être
mise en évidence par la comparaison entre la race
blanche et l’espèce humaine. En effet le préjugé
voulant que le racisme renforce la solidarité ne tient
plus aujourd’hui. Il prévalait cependant autrefois, les
Blancs pensaient en effet que la solidarité entre Blancs
nécessitait l’exploitation des autres peuples et
notamment leur réduction en esclavage. La plupart des
autres peuples en pensaient d’ailleurs autant à
l’encontre de leurs voisins. La plupart des cultures de
la planète ont aujourd’hui compris aujourd’hui que les
idées racistes sont favorables aux inégalités sociales. Et
le racisme comme les inégalités sociales sont justement
les principaux facteurs d’absence de solidarité. Une
communauté ethnique qui fonde sa propre solidarité
sur l’exclusion des autres ethnies fait en effet courir à
chacun de ses membres le risque d’une exclusion de la
communauté, par exemple par son alliance avec un
membre d’une autre ethnie, ou par un comportement
qui n’est pas reconnu comme celui de l’ethnie. Une
société incluante est par définition plus solidaire
qu’une société excluante.
Mais les protagonistes de cette émission radiophonique
n’ont manifestement pas pris conscience de
l’irrationalité du préjugé qui sous-tend leurs
affirmations.
Cette première version des propos tenus au cours de
l’émission est authentique, cependant afin d’éviter
toute mise en cause personnelle les noms des
protagonistes ont été modifiés.
Intervenants : Alain Gordes (AG), Sophie Danvers (SD),
et leurs invités : Véronique Savelli (VS) et François
Portal (FP).
– SD : Véronique Savelli, on entend souvent
parler du sexisme (une très vilaine chose),
du racisme (pareil), et vous allez être
d’accord que l’âgisme est encore plus vilain.
(...)
Maintenant, Véronique, on parle de
spécisme.
– VS : En effet. Alors, de quoi s’agit-il ? (...)
Vous l’avez compris, c’est un néologisme qui
est calqué sur des termes comme racisme,
sexisme, etc. À ceci près que son référent
est le terme “ species ”, en anglais ou en
latin en l’occurrence, “ espèce ”. Alors du
coup l’antispécisme se définit comme une
attitude...
– SD : Comme l’antisexisme.
– VS : Voilà ! Comme une attitude critique vis-à-
vis de l’idée que l’espèce humaine, en
somme, aurait un statut d’exception dans le
règne du vivant, une position de supériorité
si vous voulez, intrinsèque, sur d’autres
espèces.
(...)
Alors, de façon générale, l’émergence à la
fois de cette notion, des mouvements
institutionnalisés qui le promeuvent, etc.,
renvoie à un phénomène qui intéresse
beaucoup les anthropologues et dont j’ai eu
l’occasion de parler dans cette émission, à
savoir la question du brouillage des
frontières en somme, ou de la frontière,
entre humains et non humains, et plus
généralement de cette crise d’identité
ontologique, en somme, qui semble frapper
les Occidentaux modernes...
– FP : Certains d’entre eux !
– VS : (...) Alors, ce phénomène de brouillage
se voit à de multiples signes, par exemple la
montée en puissance formidable de tous ces
mouvements zoophiles, de défense des
animaux, de “ deep ecology ”, etc., l’intérêt
même passionné que porte l’opinion
publique à des questions concernant la
primatologie, le paléo-anthropologie, toutes
ces disciplines qui concernent la question
des frontières entre humains et non
humains, etc.
– SD : Et puis l’intérêt que l’on porte aux
histoires d’actualité où il y a des baleines
qui s’échouent sur des plages.
– VS : Énormément ! La crise des zoos qui ont
de plus en plus de mal à justifier leur
existence.
– AG : Autrement dit, c’est un des avatars des
nouveaux de l’écologie profonde, mais qui
trouve aujourd’hui (avec beaucoup de
découvertes des anthropologues spécialisés,
je dirais, dans nos cousins, ceux que les
anglo-saxons appellent “ apes ”, c’est-à-dire
les anthropoïdes, les primates qui sont
proches de nous), qui trouve là une
crédibilité qui est inespérée. Il faut dire que
la culture n’apparaît pas être la rupture
hommes/singes, on l’a montré l’année
dernière.
– VS : Tout à fait ! Le fait est que ça devient
de plus en plus difficile de trouver des
critères stables, si vous voulez, qui
permettent d’asseoir de manière irréfutable
une différence DE NATURE entre humains et
non-humains, et animaux, disons, puisqu’il
s’agit essentiellement d’animaux.
– AG : Il y a une différence majeure, que tout
le monde nie, c’est qu’un homme est un
homme.
– VS : On va y revenir. Ce que je voudrais avec
vous aujourd’hui, c’est explorer en somme
très brièvement les arguments avancés par
les antispécistes, et tenter de clarifier les
enjeux de ce débat. Alors, la position des
antispécistes, elle est à peu près la
suivante ; il s’agit pour eux de lutter contre
l’objectivation des animaux, par les
humains, au nom de deux principes :
Premièrement, les animaux sont des êtres
capables d’éprouver plaisir et souffrance, et
ils ont de ce fait des intérêts spécifiques,
des intérêts propres. Alors, vous
reconnaîtrez dans cette approche un
héritage du courant de pensée dit
“ utilitariste ”, du courant philosophique
défini comme “ l’utilitarisme ”, qui construit
en somme la notion d’individu précisément
autour de cette capacité à avoir des intérêts
en fonction des sentiments qu’éprouve le
sujet.
Deuxième principe : nous, les humains, nous
ne sommes qu’une espèce parmi d’autres, et
rien en somme ne justifie le privilège
exorbitant que nous nous donnons d’ignorer
en somme les intérêts propres d’autres
espèces. Ça, c’est l’argument principal de
l’antispécisme.
– SD : Mais en quoi on ignore les intérêts des
autres espèces ?
– VS : Parce que c’est nous qui décidons quel
est l’intérêt, par exemple, des singes, ou des
porcs d’élevage, ou des vaches, etc., en
fonction de nos intérêts.
– AG : C’est quelque chose d’extrêmement
dérisoire qui heurte la barrière du bon sens.
Et ce qui est terrible, c’est que ça se charge
d’une philosophie souvent très pointilleuse,
et qu’on va trouver des arguments
philosophiques pour défendre cette position,
qui est en réalité une position antihumaniste
récurrente.
– VS : Tout à fait !
– AG : Et évidemment, il va y avoir des alliés
étonnants. On va retrouver des
Heideggeriens qui vont se retrouver
brutalement alliés, et sans raison aucune,
avec des Rousseauistes attardés.
– VS : Tout à fait ! D’autant plus, vous parliez
d’alliés étonnants, que cette position a pour
corollaire évidemment une naturalisation
des humains, ne l’oublions pas. Ça peut être
extrêmement dangereux. (...) Mais en tout
cas, le prolongement naturel, logique si vous
voulez, de ces positions, du point de vue des
antispécistes, c’est d’exiger un statut
juridique, équivalant à celui des humains,
pour les animaux en l’occurrence, et en tout
cas, par exemple, pour certains primates.
C’est exactement le projet qui inspire le
“ Great Ape Project [36]” lancé par Peter
Singer et Paola Cavalieri par exemple, qui
consiste à demander des droits juridiques
équivalents pour tous les primates.
– SD : Est-ce que ce n’est pas un petit peu
contradictoire ? Parce qu’on nous reproche
en quelque sorte de domestiquer, d’amener
dans notre société les animaux, et puis en
même temps on dit : on les amène dans
notre société, donc il faut leur donner des
droits comme nous les avons dans la société.
Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux dire : tout
le monde dans leur coin. Ce serait plus
logique. On laisse les animaux dans la nature
et nous on forme des sociétés.
– VS : Le problème, c’est que les animaux ne
sont plus dans la nature, en réalité, c’est
bien le problème. Ce type de distinction est
devenu impossible à soutenir en réalité.
– AG : Les animaux domestiques ne sont plus
dans la nature de toute façon, ils sont dans
l’humanité. Ils sont des partenaires, des
associés des humains.
– VS : Même les animaux sauvages, de toute
façon, ne sont plus dans la nature.
– AG : Les animaux sauvages, de toute façon,
par hybridation, sont de moins en moins
sauvages, et par contiguïté. Donc le
problème est extrêmement grave. C’est une
attaque frontale qui est menée contre
l’humain. Et c’est, je dirais, une façon de
détourner l’attention, qu’encouragent
beaucoup les sociétés capitalistes. Car il
vaut mieux se battre pour la défense des
singes que pour la défense des opprimés. Il
est clair qu’il est beaucoup plus facile de
prendre Kenzy, qui est un bonobo, à qui on a
systématiquement refusé de faire un
scanner pour voir comment fonctionnait son
cerveau, alors qu’on le fait chez les
humains, et qu’on traite les malades comme
DES BÊTES, ou moins que des bêtes dans un
certain nombre de centres de soins. C’est-à-dire
qu’il y a là un rejet de l’humain qui me
parait très gravissime.
– VS : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Et
d’autant plus, on peut avoir son gâteau et le
manger en même temps comme on dit en
anglais. Autrement dit, on peut défendre
l’idée que les droits des animaux peuvent
être mieux protégés qu’ils ne le sont
actuellement, tout en refusant absolument
cette personnification juridique des
animaux. Et même en droit. Et j’en veux
pour preuve un article très intéressant que
j’ai lu dans le recueil Dalloz [37] de 1998, écrit
par un juriste justement, qui fait une
démonstration implacable contre les
arguments des antispécistes, en disant que
leur vision de la personnification juridique
des animaux est une vision juridiquement
insoutenable, ou en tout cas qu’on peut
juridiquement combattre, en ce sens qu’elle
repose sur une lecture des droits juridiques
qui n’est pas du tout celle dominante dans le
droit français. Et qu’on peut reconnaître la
personnalité juridique des animaux sans
pour autant reconnaître leur personnification
en termes anthropomorphisants,
si vous voulez.
– FP : Oui, mais là, c’est un argument qui en
même temps a sa faiblesse puisque, le droit
n’étant pas naturel, on peut très bien
imaginer, avec des rapports qui évoluent en
faveur des antispécistes, que le droit puisse
évoluer. Et c’est ça qui est inquiétant. C’est-à-
dire, si on omet la question sur le plan du
droit, ce qui m’inquiète c’est qu’on fasse
évoluer le droit dans ce sens. Je crois qu’il
ne faut pas avoir peur de dire que l’Homme
est un animal pas comme les autres. C’est-à-dire
qu’il y a un statut très particulier de
l’humain, que l’Homme est sorti de la
nature, que l’Homme est un animal
essentiellement culturel. Moi, je suis pour
un anthropocentrisme radical à ce niveau-là,
parce que si on naturalise l’espèce humaine,
alors on tourne vers des données qui
deviennent simplement de la sociobiologie.
On est en train de faire alliance à ce niveau-là
avec ce qu’il y a de plus réactionnaire,
fondamentalement, sur le plan à la fois
biologique et philosophique.
– VS : Je suis d’accord avec vous. Cela dit, je
ne cracherais pas du tout sur l’aide que peut
apporter le droit tel qu’il est dans cette
lutte pour l’humanisme en l’occurrence. Au
contraire je pense qu’il est très dangereux
de ne pas se servir de l’appareil juridique.
– FP : Qu’on s’en serve, mais sans s’illusionner
sur le fait que c’est une barrière fragile.
C’est-à-dire que le problème est
essentiellement un problème philosophique,
et politique comme l’a dit Gordes. Mais au
départ un problème très philosophique,
c’est-à-dire : quelle est la position de
l’humain dans la nature ?
– AG : Moi, je suis d’autant plus en accord
avec François que je crois qu’on met là le
doigt sur un problème qui est considérable.
C’est-à-dire que je passe mon temps, et je
me fais attaquer pour ça, à dire que
l’Homme est un animal et à essayer de
décrire ses comportements comme des
comportements animaux. C’est ce qui est le
matériel principal de ma boutique. Mais en
même temps, c’est un animal qui n’est peut-être
pas comme on le dit contre nature mais
qui est hors nature. C’est-à-dire qu’il a la
capacité, et on pourra discuter sur ce qui
fait cette capacité, et il est par nature antinature,
ou a-nature, il est a-naturel, dans la
mesure où il doit pouvoir agir sur la nature.
Et à tel point (si on croit Sloterdijk [38], et il a raison sur le plan philosophique), qu’il va
pouvoir faire évoluer sa propre espèce, ce
dont aucune espèce n’a eu la capacité. Alors,
ça devient quand même très inquiétant si on
voit la réaction, et les réactionnaires,
prendre ce parti-là, ce parti qui
apparemment est généreux, pour en réalité
enterrer l’Homme, car en réalité c’est de
l’enterrement de l’Homme qu’il s’agit.
– SD : Véronique Savelli, quelques mots pour
conclure.
– VS : Écoutez, je ne défends pas du tout, vous
vous en doutez bien, la position des
antispécistes dans cette affaire, mais je
trouve que vous avez tout à fait tort de ne
pas vous appuyer sur le droit ; et notamment
le droit français qui permet de lutter contre
le type de position que vous dénoncez.
– AG : Peut-être qu’on sera mieux informé en
étudiant le droit français.
Au cours de la réécriture que vous allez lire, dans
laquelle la notion d’espèce humaine a été remplacée
par celle de race blanche, le parti a été pris de
remplacer humanisme par racisme. Il ne s’agit pas
d’une provocation : ce sont les propos même tenus par
les protagonistes de l’émission, qui parlent de
l’humanisme comme d’une discrimination arbitraire
permettant d’exclure tout ce qui n’est pas humain
plutôt que comme d’une solidarité entre humains, qui
m’ont conduit à transcrire humanisme en racisme. Le
sens dans lequel humanisme est employé dans cette
émission ne correspond évidemment pas à l’idée
d’humanisme défendue dans ce livret, qui est celle
d’une solidarité incluante entre humains. Solidarité qui
n’est, nous l’avons vu, pas renforcée mais au contraire
affaiblie par l’édification d’une barrière arbitraire
délimitant le groupe de solidarité, au-delà de laquelle
tortures et exploitations sont largement tolérées et
même encouragées.
– SD : Véronique Savelli, on entend souvent
parler du sexisme (une très vilaine chose),
de la xénophobie (pareil), et vous allez être
d’accord que l’âgisme est encore plus vilain.
(...)
Maintenant, Véronique, on parle de racisme.
– VS : En effet. Alors, de quoi s’agit-il ? (...)
Vous l’avez compris, c’est un néologisme qui
est calqué sur des termes comme âgisme,
sexisme, etc. À ceci près que son référent
est le terme “ race ”. Alors du coup
l’antiracisme se définit comme une
attitude...
– SD : Comme l’antisexisme.
– VS : Voilà ! Comme une attitude critique vis-à-
vis de l’idée que la race blanche, en
somme, aurait un statut d’exception dans
l’humanité, une position de supériorité si
vous voulez, intrinsèque, sur d’autres races.
(...)
Alors, de façon générale, l’émergence à la
fois de cette notion, des mouvements
institutionnalisés qui le promeuvent, etc.,
renvoie à un phénomène qui intéresse
beaucoup les anthropologues et dont j’ai eu
l’occasion de parler dans cette émission, à
savoir la question du brouillage des
frontières en somme, ou de la frontière,
entre Blancs et non Blancs, et plus
généralement de cette crise d’identité
ontologique, en somme, qui semble frapper
les Occidentaux modernes...
– FP : Certains d’entre eux !
– VS : (...) Alors, ce phénomène de brouillage
se voit à de multiples signes, par exemple la
montée en puissance formidable de tous ces
mouvements tiers-mondistes, de défense des
sans papiers, “ d’ethnologie politique ”, etc.,
l’intérêt même passionné que porte
l’opinion publique à des questions
concernant la sociologie, l’ethnologie, la
paléo-anthropologie, toutes ces disciplines
qui concernent la question des frontières
entre Blancs et non Blancs, etc.
– SD : Et puis l’intérêt que l’on porte aux
histoires d’actualité où il y a d’anciens Black
Panthers qui attendent dans le couloir de la
Mort [39].
– VS : Énormément ! La crise des prisons
remplies de Noirs, qui ont de plus en plus de
mal à justifier leur existence.
– AG : Autrement dit, c’est un des avatars des
nouveaux de l’ethnologie politique, mais qui
trouve aujourd’hui, avec beaucoup de
découvertes des ethnologues spécialisés, je
dirais, dans nos cousins, ceux que les anglo-saxons
appellent “ Noirs ”, c’est-à-dire les
humains qui sont proches de nous, qui trouve
là une crédibilité qui est inespérée. Il faut
dire que la culture n’apparaît pas être la
rupture Blancs/Noirs, on l’a montré l’année
dernière.
– VS : Tout à fait ! Le fait est que ça devient
de plus en plus difficile de trouver des
critères stables, si vous voulez, qui
permettent d’asseoir de manière irréfutable
une différence DE NATURE entre Blancs et
non-Blancs, et Noirs, disons, puisqu’il s’agit
essentiellement de Noirs.
– AG : Il y a une différence majeure, que tout
le monde nie, c’est qu’un Blanc est un Blanc.
– VS : On va y revenir. Ce que je voudrais avec
vous aujourd’hui, c’est explorer en somme
très brièvement les arguments avancés par
les antiracistes, et tenter de clarifier les
enjeux de ce débat. Alors, la position des
antiracistes, elle est à peu près la suivante ;
il s’agit pour eux de lutter contre
l’objectivation des Noirs, par les Blancs, au
nom de deux principes :
Premièrement, les Noirs sont des êtres
capables d’éprouver plaisir et souffrance, et
ils ont de ce fait des intérêts spécifiques,
des intérêts propres. Alors, vous
reconnaîtrez dans cette approche un
héritage du courant de pensée dit
“ utilitariste ”, du courant philosophique
définit comme “ l’utilitarisme ”, qui
construit en somme la notion d’individu
précisément autour de cette capacité à avoir
des intérêts en fonction des sentiments
qu’éprouve le sujet.
Deuxième principe : nous, les Blancs, nous ne
sommes qu’une race parmi d’autres, et rien
en somme ne justifie le privilège exorbitant
que nous nous donnons d’ignorer en somme
les intérêts propres d’autres races. Ça, c’est
l’argument principal de l’antiracisme.
– SD : Mais en quoi on ignore les intérêts des
autres races ?
– VS : Parce que c’est nous qui décidons quel
est l’intérêt, par exemple, des travailleurs
esclaves chinois, brésiliens, nigérians, etc.,
en fonction de nos intérêts.
– AG : C’est quelque chose d’extrêmement
dérisoire qui heurte la barrière du bon sens.
Et ce qui est terrible, c’est que ça se charge
d’une philosophie souvent très pointilleuse,
et qu’on va trouver des arguments
philosophiques pour défendre cette position,
qui est en réalité une position anti-Blanc
récurrente.
– VS : Tout à fait !
– AG : Et évidemment, il va y avoir des alliés
étonnants. On va retrouver des Heideggeriens
qui vont se retrouver brutalement
alliés, et sans raison aucune, avec des
Rousseauistes attardés.
– VS : Tout à fait ! D’autant plus, vous parliez
d’alliés étonnants, que cette position a pour
corollaire évidemment une naturalisation
des Blancs, ne l’oublions pas. Ça peut être
extrêmement dangereux. (...) Mais en tout
cas, le prolongement naturel, logique si vous
voulez, de ces positions, du point de vue des
antiracistes, c’est d’exiger un statut
juridique, équivalant à celui des Blancs,
pour tous les humains en l’occurrence, et en
tout cas, par exemple, pour certains Noirs.
C’est exactement le projet qui inspire le
“ Mouvement des Droits Civiques ” lancé par
Martin Luther King par exemple, qui consiste
à demander des droits juridiques équivalents
pour tous les humains.
– SD : Est-ce que ce n’est pas un petit peu
contradictoire ? Parce qu’on nous reproche
en quelque sorte de réduire en esclavage,
d’amener dans notre société d’autres
humains, et puis en même temps on dit : on
les amène dans notre société, donc il faut
leur donner des droits comme nous les avons
dans la société. Est-ce qu’il ne vaudrait pas
mieux dire : tout le monde dans leur coin. Ce
serait plus logique. On laisse les Noirs en
Afrique et nous on forme des sociétés.
– VS : Le problème, c’est que les Noirs ne sont
plus en Afrique, en réalité, c’est bien le
problème. Ce type de distinction est devenu
impossible à soutenir en réalité.
– AG : Les esclaves ne sont plus en Afrique de
toute façon, ils sont chez les Blancs. Ils sont
des partenaires, des associés des Blancs.
– VS : Même les Noirs d’Afrique, de toute
façon, ne sont plus dans l’Afrique sauvage.
– AG : Les Noirs d’Afrique, de toute façon, par
hybridation, sont de moins en moins
sauvages, et par contiguïté. Donc le
problème est extrêmement grave. C’est une
attaque frontale qui est menée contre le
Blanc. Et c’est, je dirais, une façon de
détourner l’attention, qu’encouragent
beaucoup les sociétés capitalistes. Car il
vaut mieux se battre pour la défense des
Noirs que pour la défense des opprimés. Il
est clair qu’il est beaucoup plus facile de
prendre Kenzy, qui est un Noir, à qui on a
systématiquement refusé de faire un
scanner pour voir comment fonctionnait son
cerveau, alors qu’on le fait chez les Blancs,
et qu’on traite les malades comme DES
NOIRS, ou moins que des Noirs dans un
certain nombre de centres de soins. C’est-à-dire
qu’il y a là un rejet du Blanc qui me
parait très gravissime.
– VS : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Et
d’autant plus, on peut avoir son gâteau et le
manger en même temps comme on dit en
anglais. Autrement dit, on peut défendre
l’idée que les droits des Noirs peuvent être
mieux protégés qu’ils ne le sont
actuellement, tout en refusant absolument
cette personnification juridique des Noirs.
Et même en droit. Et j’en veux pour preuve
un passage très intéressant que j’ai lu dans
le Code Noir [40], écrit par un juriste
justement, qui fait une démonstration
implacable contre les arguments des
antiracistes, en disant que leur vision de la
personnification juridique des Noirs est une
vision juridiquement insoutenable, ou en
tout cas qu’on peut juridiquement
combattre, en ce sens qu’elle repose sur une
lecture des droits juridiques qui n’est pas du
tout celle dominante dans le droit français.
Et qu’on peut reconnaître la personnalité
juridique des Noirs sans pour autant
reconnaître leur personnification en termes
humanistes, si vous voulez.
– FP : Oui, mais là, c’est un argument qui en
même temps a sa faiblesse puisque, le droit
n’étant pas naturel, on peut très bien
imaginer, avec des rapports qui évoluent en
faveur des antiracistes, que le droit puisse
évoluer. Et c’est ça qui est inquiétant. C’est-à-
dire, si on omet la question sur le plan du
droit, ce qui m’inquiète c’est qu’on fasse
évoluer le droit dans ce sens. Je crois qu’il
ne faut pas avoir peur de dire que le Blanc
est un humain pas comme les autres. C’est-à-
dire qu’il y a un statut très particulier du
Blanc, que le Blanc est sorti de l’humanité,
que le Blanc est un humain essentiellement
culturel. Moi, je suis pour un racisme radical
à ce niveau-là, parce que si on humanise la
race blanche, alors on tourne vers des
données qui deviennent simplement de
l’ethnologie. On est en train de faire
alliance à ce niveau-là avec ce qu’il y a de
plus réactionnaire, fondamentalement, sur
le plan à la fois biologique et philosophique.
– VS : Je suis d’accord avec vous. Cela dit, je
ne cracherais pas du tout sur l’aide que peut
apporter le droit tel qu’il est dans cette
lutte pour le racisme en l’occurrence. Au
contraire je pense qu’il est très dangereux
de ne pas se servir de l’appareil juridique.
– FP : Qu’on s’en serve, mais sans s’illusionner
sur le fait que c’est une barrière fragile.
C’est-à-dire que le problème est
essentiellement un problème philosophique,
et politique comme l’a dit Gordes. Mais au
départ un problème très philosophique,
c’est-à-dire : quelle est la position du Blanc
dans l’humanité ?
– AG : Moi, je suis d’autant plus en accord
avec François que je crois qu’on met là le
doigt sur un problème qui est considérable.
C’est-à-dire que je passe mon temps, et je
me fais attaquer pour ça, à dire que le Blanc
est un humain et à essayer de décrire ses
comportements comme des comportements
humains. C’est ce qui est le matériel
principal de ma boutique. Mais en même
temps, c’est un humain qui n’est peut-être
pas comme on le dit contre humain mais qui
est hors humanité. C’est-à-dire qu’il a la
capacité, et on pourra discuter sur ce qui
fait cette capacité, et il est par nature antihumain,
ou a-humain, il est a-humanisé,
dans la mesure où il doit pouvoir agir sur
l’humanité. Et à tel point (si on croit
Sloterdijk, et il a raison sur le plan
philosophique), qu’il va pouvoir faire
évoluer sa propre race, ce dont aucune race
n’a eu la capacité. Alors, ça devient quand
même très inquiétant si on voit la réaction,
et les réactionnaires, prendre ce parti-là, ce
parti qui apparemment est généreux, pour
en réalité enterrer le Blanc, car en réalité
c’est de l’enterrement du Blanc qu’il s’agit.
– SD : Véronique Savelli, quelques mots pour
conclure.
– VS : Écoutez, je ne défends pas du tout, vous
vous en doutez bien, la position des
antiracistes dans cette affaire, mais je
trouve que vous avez tout à fait tort de ne
pas vous appuyer sur le droit ; et notamment
le droit français qui permet de lutter contre
le type de position que vous dénoncez.
– AG : Peut-être qu’on sera mieux informé en
étudiant le droit français.
Une fois encore, cette transposition des propos des
protagonistes d’une émission radiophonique n’a pas été
rédigée dans un but de provocation. Son but est
uniquement de montrer l’absurdité de l’idée que la
solidarité au sein d’un groupe serait renforcée par
l’exclusion des autres groupes.
Le point de vue psychologique
Pourquoi alors les détracteurs de la libération animale
s’accrochent-ils à l’idée que l’humanisme est renforcé
par l’exclusion des animaux ? La réponse relève de la
psychologie.
L’humanisme n’est pas apparu sans raisons dans
l’histoire, il est apparu parce que les progrès techniques
amélioraient les conditions de vie. C’est ainsi que les
esclaves et les enfants furent progressivement libérés
du travail forcé et que l’alphabétisation progressa. Il
devenait donc plus facile de mieux traiter tout le
monde. On découvrit alors que mieux traités, les
pauvres et les exclus semblaient plus humains. Les
grands philosophes commencèrent à s’accoutumer à
l’idée d’inclure une part croissante de l’humanité dans
une sphère d’égalité au sein de laquelle des droits
seraient accordés. Un progrès considérable était en
marche.
Mais la mentalité ne peut évoluer que par étapes. Un
premier stade, déjà infiniment laborieux, consistait à
revendiquer progressivement l’accès au droit pour une
part croissante des membres de l’espèce humaine. Un
second stade consiste encore à se dégager de la logique
d’une société excluante. Au dix-huitième siècle,
l’humanité n’était pas sortie des longs millénaires de
sociétés inégalitaires qui constituent notre histoire. La
notion de société excluante était universelle et les
grands philosophes ne parvenaient pas à s’en dégager.
Ils cherchaient donc à l’idée d’égalité entre humains
une justification qui ne contredise pas les idées
d’inégalité et d’exclusion. Du dix-huitième au vingtième
siècle, au fur et à mesure que l’idée d’égalité entre
humains progressait, l’idée d’une transcendance de
l’espèce humaine était réaffirmée. Elle élevait le statut
humain bien au-dessus du statut animal et préservait
donc une inégalité fondamentale entre la souffrance
humaine et la souffrance animale. Même si elles étaient
en réalité de même intensité, l’une était abaissée et
l’autre élevée. C’est ainsi que l’animal fut sacrifié à la
grandeur humaine et que l’humanisme fut associé à
l’exclusion du monde animal. La logique d’une société
excluante était donc partiellement préservée.
Il n’est pas facile de sortir de ces conceptions
excluantes. Car nous retrouvons ici une fois de plus le
mécanisme consistant à reproduire un crime passé afin
de ne pas avoir à le reconnaître comme un crime.
Évoluer d’une société excluante vers une société
égalitaire c’est accuser de graves forfaits ses parents et
grands-parents, c’est accuser l’éducation qu’ils nous
ont donnée et à laquelle nous avons cru, et c’est parfois
accuser celle que nous avons donnée à nos enfants. De
puissantes résistances psychologiques s’opposent donc
inévitablement à l’idée d’une société égalitaire. Les
motivations de ces résistances sont passionnelles, c’est
pourquoi il serait vain comme nous l’avons vu d’y
chercher quelque rationalité.
En guise de conclusion
Les hypothèses psychologiques proposées dans ce livret
pour expliquer les résistances qui s’opposent à la
reconnaissance des souffrances animales ne se veulent
ni universelles ni exhaustives et ne prétendent
aucunement expliquer à elles seules les comportements
d’exploitation animale. Leur auteur espère seulement y
contribuer.
La compréhension des sentiments cachés qui induisent
ces résistances peut aider les militants à comprendre
les oppositions qu’ils rencontrent dans le public. Mais
que les militants comprennent le pourquoi de ces
résistances n’est certainement pas une bonne raison
pour asséner cette explication à leurs interlocuteurs.
Le moindre sentiment de supériorité tiré de la
certitude d’avoir mis au jour l’inconscient de son
interlocuteur constituerait en effet un puissant
obstacle à tout dialogue. Ces lignes de Thomas Gordon
sur la relation de parent à enfant s’appliquent
parfaitement à ce type de relation entre les militants
et le public :
Interpréter, diagnostiquer, psychanalyser.
Les messages de ce type font sentir à
l’enfant que le parent voit clair “ dans son
jeu ”, qu’il connaît ses motifs ou les raisons
qui l’amènent à agir de telle façon. Une
telle psychanalyse de la part du parent peut
devenir une menace et une frustration pour
l’enfant.
Si l’interprétation ou l’analyse du parent se
révèle juste, l’enfant peut se sentir
embarrassé de se voir ainsi exposé. (“ Tu n’as
pas d’amis parce que tu es trop timide. ” “ Tu
fais cela pour attirer l’attention. ”)
Lorsque l’analyse ou l’interprétation du
parent est erronée, comme cela se produit
souvent, l’enfant se sentira irrité d’avoir été
accusé injustement. (“ C’est ridicule de dire
que je suis jalouse ! ”)
Les enfants voient dans ces diagnostics une
attitude de supériorité de la part du parent.
(“ Tu crois tout savoir. ”) Les parents qui
psychanalysent souvent leurs enfants leur
communiquent qu’ils se croient supérieurs,
plus intelligents.
Les messages du genre “ Je sais pourquoi ” et
“ Je vois dans ton jeu ” ont souvent pour
effet immédiat de couper toute communication
avec l’enfant sur le sujet : et le jeune
en retient qu’il ne lui sert à rien de faire
part de ses problèmes à ses parents [41].
L’intérêt d’avoir compris ou cru comprendre les
motivations cachées des résistances rencontrées dans
le public n’est donc pas d’asséner à ce public des
vérités qu’ils ne souhaite pas entendre. Et encore
moins de lui asséner des interprétations erronées de ses
comportements.
Cet intérêt réside ailleurs : tout d’abord, la
compréhension psychologique facilite la relation
d’empathie qui peut s’établir entre les militants et
leurs interlocuteurs. Ne perdons cependant pas de vue
que, même facilitée par la connaissance des
mécanismes psychiques, la véritable empathie repose
davantage sur l’écoute attentive de l’autre que sur la
fausse certitude de savoir ce qu’il ressent.
Ensuite, une prise en compte des facteurs
psychologiques réorienterait les stratégies militantes
vers des actions moins culpabilisantes. Certains types
d’actions de rue menées par des militants de la cause
animale - répandre par exemple du faux sang en
distribuant des tracts qui accusent les consommateurs
de viande des massacres quotidiens dans les abattoirs -
semblent en effet relever d’une logique purement
culpabilisante. Cet éveil d’une culpabilité latente chez
les consommateurs de viande les incite parfois à
renoncer au régime carnivore s’ils sentent une réelle
possibilité de dialogue. Mais ils ne la sentent pas
toujours chez des militants imprégnés d’un discours
antispéciste postulant un devoir moral et la culpabilité
implicite des personnes ne s’y soumettant pas. À
l’inverse de l’effet escompté, l’éveil de cette
culpabilité latente peut alors, on l’a vu, déclencher des
mécanismes de défense psychologique visant à nier
l’horreur du crime pour chasser la culpabilité et donc
perpétuer le crime.
D’autres types d’actions beaucoup moins culpabilisantes
ont été expérimentés, comme la marche
végétarienne nue à travers les rues de Toulouse du 14
juillet 2003. Tandis que les soldats défilaient en armes,
les amoureux de la vie marchaient faibles et nus [42]. Les
actions nudo-militantes, comme celle qui consistait à
dessiner les lettres du mot peace avec des corps nus à
l’orée d’un bois ou en bord de mer au moment de
l’invasion américaine en Irak, sont en effet généralement
bien perçues et rarement ressenties comme
accusatrices.
Il existe également bien d’autres types d’actions plus
chaleureuses et plus créatives que la classique mise en
accusation, par exemple les repas végétaliens
collectifs, les manifestations à tendance festive comme
la Veggie Pride [43], les publications de recueils de
recettes ou les créations de coopératives d’achats de
produits vegans et non testés. Il est probable que dans
l’avenir la cause animale trouvera en elles un soutien
plus sûr que dans les discours accusateurs des
moralistes.
[1] Claude Fischler dans Autrement n° 172 (Le mangeur et l’animal),
juin 1997, p. 145.
[2] Pascal Lardellier, Le steak caché des fast-foods dans Le Monde
diplomatique n° 596, novembre 2003, p. 32.
[3] Le mot antispécisme a été inventé par le philosophe utilitariste
Peter Singer (dont on peut lire en français L’égalité animale
expliquée aux humain-es, Lyon, Tahin Party, 2002, La libération
animale, Paris, Grasset, 1993 et Questions d’éthique pratique,
Paris, Bayard, 1997). Ce mot désigne le courant de pensée pour
lequel l’importance accordée aux souffrances et aux plaisirs
dépend de leur intensité et non de l’espèce à laquelle
appartiennent les êtres qui les éprouvent. L’antispécisme est à
l’espèce ce que l’antiracisme est à la race et l’antisexisme au
sexe. Cette idéologie a été diffusée en France à partir de 1991
par les Cahiers Antispécistes.
[4] Gilles Perrault, Le pull-over rouge, Paris, Fayard, 1994.
[5] Traduction publiée dans Courrier International n° 637, du 16 au 22
janvier 2003, p. 18.
[6] Le Monde, 22 novembre 2003, p. 5.
[7] Nelcya Delanoë, Américains et Amérindiens dans Manière de voir
(supplément bimestriel du Monde diplomatique) n° 76, août-septembre
2004, p. 40.
[8] Louis Sala-Molins dans sa préface à Rosa Amelia Plumelle-Uribe, La férocité blanche. Des non-Blancs aux non-Aryens, génocides
occultés de 1492 à nos jours, Paris, Albin Michel, 2001, p. 10.
[9] Anne Chaon, Le lynchage comme art photographique dans Le Monde diplomatique n° 555, juin 2000, p. 24 et 25.
[10] Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à
nos jours, Marseille, Agone, 2002, p. 457.
[11] Lloyd de Mause, Les fondements de la psychohistoire, Paris,
Presses Universitaires de France, 1986.
[12] Alice Miller, Abattre le mur du silence, Paris, Aubier, 1991, p.107 à 125.
[13] Emmanuel Todd, Le fou et le prolétaire, Paris, Robert Laffont, 1979, p. 18, 19 et 79.
[14] Walter C. Langer, Psychanalyse d’Adolf Hitler, Paris, Denoël, 1973 ; Helm Stierlin, Hitler : a Family Perspective, New York,
The Psychohistory Press.
[15] Hans et Michael Eysenck, L’esprit nu, Paris, Mercure de France,
1985.
Pour plus de détails :
Zimbardo, P.G., On the ethics of intervention in the human
psychological research : with special reference to the Stanford
prison experiment dans Cognition 2, p. 243 à 256, 1973.
Zimbardo, P.G., Transforming experimental research into
advocacy for change dans M. Deutsch and H.A. Hornstein (Éds.)
Applying Social Psychology ; Implications for research, Practice,
and Training, London, Halstead, 1975.
[16] Christopher Browning, Des hommes ordinaires, Paris, Les Belles
Lettres, 1994 (coll. 10-18). Ce livre d’historien relate le quotidien
du 101e bataillon de réserve de la police allemande qui a, entre
juillet 1942 et novembre 1943, tué ou déporté des dizaines de
milliers de Juifs polonais, alors que rien à l’origine ne l’y
prédisposait.
[17] Samir Mejri, Victimes silencieuses, autoédition avec le soutien de
la Fondation Bardot, 1991, dont on peut lire un extrait :
Civilisation humaniste dans les Cahiers Antispécistes n° 15-16,
avril 1998, p. 77 à 79.
[18] On trouve une liste de produits non testés à cette adresse Web :
http://www.experimentationanimale.org/ressources/produits_non_testes.html.
Des informations sur l’expérimentation animale et ses
alternatives se trouvent également sur http://perso.club-internet.fr/lfcv/francais/frame.htm.
[19] Annie Gauvain-Piquard et Michel Meignier, La douleur de l’enfant, Paris, Calmann-Lévy, 1993, p. 27. Voir également
Thierry Delorme, La douleur, un mal à combattre, Paris,
Gallimard, 1999, p. 40.
[20] J. A. L. Singh et R. M. Zingg, L’homme en friche, de l’enfantloup à Kaspar Hauser, Bruxelles, éditions Complexe, 1980, p. 241 à 245 ; Lucien Malson, Les enfants sauvages, Paris, Union Générale d’Éditions, 1964, p. 137 à 148.
[21] Singh et Zingg, déjà cités, p. 8 à 150.
[22] Frans de Waal, La politique du chimpanzé, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 21 et 22.
[23] Jacques Ruffié, Traité du vivant, Paris, Flammarion, 1982, vol. 2,
p. 327 à 332 ; Pierre Jaisson, La fourmi et le sociobiologiste, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 263 à 268.
[24] Frans de Waal, déjà cité.
[25] Catherine Humblot, “Primates” ou l’exercice du pouvoir dans Le
Monde, supplément Télévision Radio Multimédia, 19-20 juillet 1998.
[26] Paul Ariès, Libération animale ou nouveaux terroristes ? Les saboteurs de l’humanisme, Villeurbanne, Golias, 2000.
[27] Lynne U. Sneddon, Victoria A. Braithwaite et Michael J. Gentle,
Do fishes have nociceptor ? Evidence for the evolution of a
vertebrate sensory system dans Proceedings of the Royal Society
of London. Biological sciences, vol. 270, n° 1520, année 2003,
p. 1115 à 1121.
[28] Hubert Reeves, Mal de Terre, Paris, Seuil, 2003, p. 181 et 182.
[29] Jared Diamond, Le troisième chimpanzé. Essai sur l’évolution et
le devenir de l’espèce humaine, Paris, Gallimard, 2000, p. 350.
[30] Même source, même page.
[31] Dave Grossman, On Killing. The Psychological Cost of Learning to Kill in War and Society, Boston, New York, Toronto, London, Back
Bay Books Little Brown and Company, 1995, p. 161. Ces
qualificatifs très péjoratifs furent employés par l’armée américaine pour désigner respectivement les Vietnamiens, les Allemands et les Japonais.
[32] Desmond Morris, Le zoo humain, Paris, Grasset, 1970.
[33] Rosa Amelia Plumelle-Uribe, déjà citée, p. 23.
[34] Jared Diamond, déjà cité, p. 345 et 346.
[35] Georges Jean, L’écriture mémoire des hommes, Paris, Gallimard,
1987, p. 14.
[36] “ Le Projet Grand Singe ”.
[37] Recueil Dalloz Sirey de doctrine, de jurisprudence et de
législation (revue hebdomadaire de droit général français et
communautaire), Paris, Dalloz.
[38] Peter Sloterdijk, Règles pour le parc humain, Paris, Mille et une nuits, 2000, p. 43 ; Peter Sloterdijk, La domestication de l’être, Paris, Mille et une nuits, 2000.
[39] Mumia Abu-Jamal, ancien Black Panther injustement condamné à
mort raconte son expérience dans En direct du couloir de la mort,
Paris, La Découverte, 2003.
[40] Promulgué par Louis XIV en 1685, confirmé et aggravé en 1724,
le Code Noir, qui réglementait l’esclavage aux Antilles et en
Louisiane, ne fut définitivement aboli qu’en 1848. Lire de Louis
Sala-Molins, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Paris, Presses
Universitaires de France, 1987.
[41] Thomas Gordon, Parents efficaces, Paris, Marabout, 1996, p. 343.
[42] Voir le site http://vegetariensnus.free.fr/.
[43] Voir le site http://www.veggiepride.org/.
L’auteur en quelques lignes :
Né en 1960, Philippe Laporte commence à militer contre
l’exploitation animale et contre l’automobile en ville au
début des années 1990. Il est frappé par le désintérêt des
militants pour les facteurs psychologiques et pour les
déterminismes sociaux. Il s’oriente alors vers la psychologie
sociale.
Merci à Myriam Battarel,
Céline Trousseau, Yves Bonnardel, Sabine Li et Clèm,
qui ont participé à la réalisation de ce livret.
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