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Non-sco Recueil de citations contre l’école et la logique scolaire

mis en ligne le 23 décembre 2012 - Collectif

Des tas de gens très sérieux (puisqu’on les étudie en classe !) ont contesté avant moi l’École et l’État (sous ses formes publique et privée). On ne va pas leur enlever le pain de la bouche. Notre affaire à nous, c’est ce que, dans les milieux chics, on appelle le « passage à l’acte ».

Catherine Baker, Insoumission à l’école obligatoire


Bastien s’était arrêté de courir. Il allait maintenant à pas lents et il aperçut au bout de la rue le bâtiment de l’école. (…) La rue lui parut complètement déserte, même s’il y avait ça et là quelques passants. À celui qui arrive très en retard à l’école, l’univers tout autour semble toujours dépeuplé. Bastien sentait sa peur s’accroître à chaque pas. Il avait de toute façon peur de l’école, cadre de ses échecs quotidiens, peur des maîtres qui, dans un esprit de conciliation, faisaient appel à sa conscience, ou qui déchargeaient sur lui leur bile, peur des autres enfants, qui s’amusaient à ses dépens et ne perdaient jamais une occasion de lui faire sentir combien il était maladroit et sans défense. Depuis toujours, il voyait l’école comme une sorte de peine de prison infiniment longue, qui durerait jusqu’à ce qu’il soit adulte et qu’il lui fallait purger en silence et dans la résignation.
Mais quand il se mit à arpenter les couloirs sonores, qui sentaient l’encaustique et les manteaux mouillés, quand le silence aux aguets dans le bâtiment lui boucha soudain les oreilles avec ses tampons d’ouate, et quand il se retrouva pour finir devant la porte de la salle de classe, peinte dans le même vert épinard que les murs alentour, il vit clairement qu’ici non plus il n’avait désormais plus rien à faire. Bien sûr qu’il devait partir. Alors autant s’en aller tout de suite.

Michael Ende, L’histoire sans fin


C’est qui c’est quoi

Malgré les tentatives répétées pour nous confiner dans la rubrique des sujets de société de plus en plus tendance à chaque rentrée scolaire, nous voulons témoigner ici de la non-sco comme d’une réalité, toujours bien vivante.
Nos voix sont multiples et variées. Mais nous avons en commun de ne pas ou plus nous inscrire dans la logique scolaire, de tenter d’échapper à ses ravages. Qu’elle s’impose à des groupes pris par classe d’âge entre quatre murs, ou qu’elle se diffuse au sein du quotidien de chacun, cette logique scolaire repose sur les pratiques de surveillance et de contrôle qu’elle véhicule et enseigne. Dans la classe comme dans la famille, à la maison ou dans la rue, la scolarisation fonctionne toujours sur la même discrimination entre les supposés sachants, êtres aboutis, et ceux dont l’état de dépendance, imposé par une situation construite de toutes pièces, justifie qu’ils doivent être guidés vers le modèle, sous la bannière du « c’est pour ton bien ». Peu importe à quoi il ressemble d’ailleurs, ce modèle, et les conflits ne sont pas près de s’éteindre entre École, Famille et autres institutions ou communautés, pour définir les valeurs à inculquer à ceux qu’on destine à assurer la relève, et dont le devoir reste de s’y conformer, au moins jusqu’à l’âge d’y échapper. Pourtant, qui en réchappe jamais vraiment ?

Nous n’avons pas forcément d’autre but que de simplement mener une vie sans école. Ce qui déjà suffit à nous placer sur un terrain de lutte, bien malgré nous, mais comme tant d’autres qui aspirent à rester en vie. Et bien souvent pour les mêmes raisons. Nous côtoyons nous aussi les effets quotidiens de la normalisation des êtres, des poursuites de la déviance, de la volonté systémique de nous ramener à ce qu’ils appellent la raison. La raison du plus fort pensent-ils ; mais sans compter avec la puissance d’une relation de chair et d’os.

Il est de tradition que ceux qui accueillent les nouvellement nés soient d’emblée baptisés parents, chargés de cette fonction sociale si rarement interrogée dans ses fondements qui consiste à “transmettre“. Transmettre quoi ? C’est là souvent que la bataille commence. Une bataille intérieure – mais reflet de la réalité la plus quotidienne – que connaît chacun de ceux qui se sont retrouvés un jour pris dans le flot des injonctions contradictoires, des luttes d’influences dont nous ressortons parfois, enrichi.e.s de trouver sur notre route ce qu’on avait voulu nous faire perdre et qui n’était qu’enfoui. La non-sco est aussi une quête de l’intégrité.

« L’enfance est une maladie ! » clament les incurables associés. Et l’école reste un des hauts lieux de son inoculation et de sa culture. Mais la dissémination en continu, hors-les-murs, de cette infantilisation n’a pas particulièrement de quoi nous réjouir. École et Famille fragilisées ne manquerons pas de se régénérer au cours de leur fusion. L’école à la maison, c’est encore l’école.
Même si la contrainte revêt un nouveau visage, qu’entre temps certains dont nous sommes en profitent pour prendre la tangente, il ne suffit pas d’en passer les grilles pour échapper à son emprise. Et si les vieux murs fissurés du XXème siècle s’effondrent lentement, ils se sont déjà démultipliés sur les écrans comme dans les têtes. La non-sco reste une pratique vivante toujours à renouveler.

Il s’agit ici de témoigner d’un vécu collectif pour ce qu’il révèle de ses implications politiques. La plupart d’entre nous qui prenons la parole dans ces pages ont été un jour nommés “parents“ ou “enfants“ et nous nous reconnaissons souvent dans ces identités. Mais nous voulons aussi faire entendre que la non-sco ne se réduit pas à un quelconque épisode du « c’est mon choix » à la mode. « Je voudrais bien que tu saisisses que ce choix est aussi autre chose qu’un choix. Il y a une logique du refus comme il y a une logique de l’acceptation. » précise Catherine Baker.

La pratique scolaire impose la discrimination, fondée sur l’âge et sur le savoir, et la domination des uns sur les autres, fonction de l’âge, fonction du savoir ; la séparation au cœur de nos vies. C’est de ce refus premier que nous sommes liés, comme des doutes partagés et des échappées qui engendrent nos rencontres.
La non-sco n’est pas une identité. Rien à défendre et tout à vivre.

Expérience au quotidien

« Pour moi, la non-sco représente une façon d’aborder ma place dans la société. Une prise de conscience sur pleins de sujets : la place de l’enfant, mon rôle de parent, ce que je souhaite leur transmettre, sur qu’est-ce que la liberté, sur mes peurs, mon rapport au savoir, sur la notion de pouvoir, etc.
La non-sco m’a permis de remettre en question, de me découvrir ; d’avoir une relation privilégiée, une complicité avec mes enfants.
Cela m’a permis de rencontrer un tas de gens qui humainement m’apportent beaucoup, de ressentir une mise en lien, de partager des émotions, des ressentis alors que d’habitude je suis plus réservée.
Je lâche de plus en plus de casseroles que je trimbale depuis de nombreuses années et qui m’empêchent d’être sereine, d’être complètement à l’écoute de mes enfants. En fait je me déconditionne d’un tas de choses que mes parents m’ont inculqué, ou la société. C’est une remise en causes de certaines valeurs actuelles (compétition, argent, pouvoir, image sociale…).
Je vois la non-sco comme un chemin, une recherche vers un idéal, une utopie. J’essaye du mieux que je peux, au quotidien de cheminer vers cela.
La non-sco, c’est une forme de libération intérieure pour moi. »

« J’existe.
C’est un enfant qui me l’a rappelé. Il le sait encore. Je n’ai pas envie de mettre en place ce qui le lui fera oublier ; les valeurs scolaires par exemple. Pas besoin de l’école pour avoir envie de se lever le matin.

Transmettre ? L’apprentissage d’un rapport à soi. L’invention de soi, de son propre rapport au monde. C’est ça la non-sco. Est-ce que ça se transmet ?

En tout cas, ça n’a lieu que dans la liberté de la création, au quotidien. Ça se fait tout seul.
Comme la vie, quoi. »


Le jeu équivaut à ne rien faire. Le jeu ce n’est pas sérieux. C’est que, le jeu, c’est du plaisir, le jeu ce n’est pas du Travail : si encore on faisait ses devoirs ! La vie n’est pas faite pour s’amuser tu verras plus tard. Les adultes condamnés au travail, sont jaloux de qui peut encore s’amuser (le mort tire le vif). Et de jeu coupé et recoupé, de rappels répétés à la « réalité », l’imagination finit par en mourir (qui ne se souvient de la mort lente de son imagination ?).

Christiane Rochefort, Les enfants d’abord


Nous traçons notre chemin sans rendez-vous, et nos jours se colorent au rythme de nos envies.
Nous sommes riches de relations qui nous sont chères ; quiconque y pose un regard dénué de tendresse nous blesse.
Nous aimons les horizons dégagés ; on y respire tellement mieux.
Nous sommes de ceux que l’École ne concerne pas.
Nous n’accordons à personne le droit d’évaluer nos choix, de vouloir les corriger ou les référer à une norme ; nous sommes notre propre réponse.

Qui prétend y poser des balises, nous indiquer la route à suivre ?

Extrait de Hors-cases (Bul. led’a)


« Tout est là, il n’y a qu’à piocher. »

« Il se passe beaucoup de choses dans la vie ensemble, en famille. Arriver à vivre ensemble est un apprentissage. On grandit vraiment ensemble. »

« J’ai réalisé un truc finalement : en fait, j’aime pas les casses-tête. »

« Vivre, parler, sans jugement, autant qu’on veut,
sans cadre, avec un parcours
libre de pensée.
Parce qu’une écoute libre, une relation sans crainte, un regard accueillant.
Pas de reproche, pas de notion de faute, de jugement. Mais une réponse sincère, simplement vraie : une présence. »

« La non-sco, c’est ce qui vient. On est ouvert à ce qui survient.
Le cadre, c’est la sécurité ? Peut-être, mais qu’est-ce que c’est ennuyeux ! »

« La non-sco ? Ben, c’est la vie normale ! »
« Une chance. Un luxe. Une puissance. »

« Sur l’océan - J’ai tout l’horizon. Tout peut arriver et tout arrive.
Parfois une barque, parfois une île. J’y reste ou pas.
De temps en temps la tempête, de temps en temps le calme plat.
L’inconnu. grisant ! »

« Retourner dans le labyrinthe ?! Après avoir trouvé la sortie ?! »

« Il y a du possible, et ça se construit au fur et à mesure.
En avant, un agenda vide ; en arrière, il est plein. »

« Si la non-sco est une méthode, c’est celle par laquelle on a tous appris à marcher. Si on avait appris avec des béquilles, on serait sûrement des handicapés. »


« Je crois que pour explorer des terres inconnues avec le risque de tomber pour se relever ensuite, il faut être en confiance. On l’est lorsqu’on n’est pas jugé, qu’on est bien accueilli dans ses demandes.
Je pense que pour un enfant, les premières personnes avec qui la confiance peut s’installer par tout l’amour qu’on leur témoigne et par l’attention à leurs besoins, ce sont ses parents et il me semble alors logique qu’il se développe avec eux. L’enfant construit aussi des relations de confiance avec d’autres personnes et pourra grandir, en profondeur, avec ces personnes là.

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On m’a tant forcé : à manger, à apprendre, à me méfier de telle ou telle situation, à être comme ci ou comme ça. J’ai cru bon, pour m’adapter et survivre, de me forcer à faire des choses qu’on ne me demandait pas. Et aujourd’hui, j’ai du mal à savoir qui je suis, ce que j’aime ou non, ce qui est dangereux ou pas. Je fais tant de choses que je n’aime pas, qui ne me correspondent pas, il y a tant de choses que je ne fais pas, par peur. Petit à petit je me découvre, je vais vers ce qui me plaît et lâche ce qui ne me plaît pas, je lâche aussi mes craintes. Ce n’est pas chose facile et je suis beaucoup aidée par mes enfants, juste en les voyant vivre et par nos relations, leurs demandes, leurs envies, leurs réactions. Je lâche aussi en essayant de ne pas leur transmettre ces obligations, ces peurs qu’on m’a transmises. Je réalise souvent comme c’est incroyable tout ce qui est ancré en moi de normes, schémas culturels et sociaux, comme c’est ancré très en profondeur et comme il est dur de s’en défaire mais comme c’est chouette de s’en défaire !
Petit à petit je désapprend.

C’est pour ça aussi que j’ai voulu la non-scolarisation, j’ai voulu le respect de leurs rythmes, de ce qu’ils sont.
Je crois que ça peut être une force plus tard que de savoir que l’on peut tester des choses, découvrir ce qu’on aime, changer, tomber et se relever, recommencer encore et encore avant d’arriver à ce qu’on veut, questionner, trouver les moyens qui nous conviennent face à une difficulté, savoir puiser dans ses ressources, demander de l’aide, être à l’écoute de soi, de ce qui se présente à nous parce qu’on nous a laissé le vivre. Pour moi quand on sait tout ça, on peut faire face à tout ce qui se présente dans notre vie, que ce soit une difficulté ou la réalisation de nos rêves.
En résumé, je souhaite que mes enfants connaissent et utilisent leur ressources personnelles, c’est ce que je pense que la non-sco peut leur apporter de plus précieux.

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J’ai conscience que mes filles se construisent par rapport à ce qu’elles sont mais aussi par rapport à ce que je suis, à ce que sont les personnes qui leur sont proches et à leur environnement. C’est ainsi. C’est pareil pour tout le monde.

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Je vis. Je cuisine, je mange, je dors, je me promène, je fais les courses, je couds, je tricote, je bricole, je cueille, je joue, je discute, je range, je lave, je lis, j’écris, je réfléchis, j’aide.... J’essaie de faire les choses quand j’en ai envie. Je finis toujours par avoir envie de faire la vaisselle !!!
Mes enfants vivent. Chacun dors, mange, joue, se promène, colorie, peint, dessine, cuisine, bricole, discute, range, lit, se baigne, cueille, sors, aide....

Parfois nous partageons, parfois c’est chacun dans notre coin, parfois c’est seuls ensemble selon les envies, les besoins et les possibilités. Chacun peut avoir du temps pour soi, chacun peut avoir des échanges et ce, en vivant tout le temps ensemble.

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J’aime voir la joie de mes enfants d’être parvenue à leur objectif !
J’aime découvrir leur manière d’être. J’aime être surprise de ce qu’elles choisissent de faire. J’aime les voir absorbées par ce qu’elles font. J’aime les voir joyeuses de ce qu’elles font, ou concentrées. J’aime les voir vivre !

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Je me suis rendue compte qu’à chaque fois que je cherche à transmettre quelque chose, à apprendre, ça ne marche pas, en face il y a refus ou écoute désintéressée. En revanche, quand nous apprenons ensemble, ce sont de beaux moments de partages.
Idem quand ma fille me questionne, si je répond en cherchant à lui apprendre la chose, ça finit mal : en incompréhension, en non écoute ou autre. Si je lui répond simplement, comme si elle me demandait l’heure, ça va. Et si je ne sais pas, je l’aide à voir comment avoir la réponse autrement, si elle veut parce que parfois ça ne l’intéresse pas de chercher plus loin. »

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« La non-sco m’a appris que j’existais encore malgré mes implants sociaux. Une part de moi, rescapée du cadre, s’est manifestée : fragile, dépourvue de certitudes, affranchie du regard des autres. En présence d’autres non-sco et en partageant leur quotidien lors des rencontres, mes blindages s’écroulaient peu à peu. J’étais émerveillée, mon corps retrouvait des sensations enfouies, j’étais submergée par des émotions que je reconnaissais ; c’était comme si mon être retrouvait une certaine unité.
J’ai redécouvert ceux avec qui je partageais ma vie, bien loin des schémas tels que couple, famille, enfants. Nous avons pu réinventer des relations singulières et toujours en mouvement. Nous sommes moins figé(e)s dans des rapports sur lesquels nous n’avions aucune prise. Nous avons désormais de la matière sur laquelle travailler.
La non-sco c’est aussi la richesse des relations qui ne se préoccupent pas de l’âge. Apprendre de plus jeunes que moi sans idéalisation bêtifiante de l’enfance est une des plus belles découvertes de mon expérience de la non-sco. S’abstraire de ces différences ouvre des possibilités de rencontres d’une richesse infinie.
Je n’ai aucune peur concernant les apprentissages ; je ne suis pas adepte des autoroutes et les vacances m’ennuient. Je crois qu’aucun savoir n’est vital, indispensable en soi. J’ai tellement appris dans le vide que je me suis perdue. Je veux que ma fille puisse se découvrir, développer son imaginaire, appréhender ses peurs sans images construites plaquées sur ce qu’elle ressent.
Je suis persuadée que les obstacles à la réalisation de nos envies sont construits et que ce que nous croyons impossible est en fait interdit… C’est en cela que je perçois la non-sco comme un acte politique. »

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« Est-ce qu’à un moment, il y a eu un événement particulier qui a fait que vous avez décidé ça, ou est-ce que c’est venu comme ça, est-ce que c’est un truc de fond ? Comment c’est venu ?

En fait, quand on a commencé notre vie “de famille“ on va dire, on avait fait le choix de ne pas forcément être immergés dans la société classique, travail, maison,... On avait fait en sorte de se créer une activité à domicile, de vivre proche de la nature, et être à l’écoute de ce qu’on voulait vraiment faire, nous. Quand Robin est né, on a découvert une forme de “parentage“ à l’écoute des besoins. On avait confiance dans notre enfant pour être ce qu’il devait être, sans qu’on ait besoin de le dresser, de lui apprendre, tatata. Et le fait de pas aller à l’école, c’était une continuité de ce genre d’idées. Et on voulait aussi... ben, vivre ensemble, quoi... je sais pas comment dire, être autonomes, voilà. Et ça a coulé de source. En plus on a vu notre enfant grandir, apprendre à parler, à marcher, à découvrir plein de choses dans la vie ; et il nous semblait pas que pour certaines choses il fallait aller à l’école pour les apprendre, en fait. C’est la vie voilà. Il grandissait dans la vie. Il apprenait la vie. Et la lecture, l’écriture, compter, dessiner, chanter, tout ça, ça fait partie de la vie. Donc il n’y avait pas de raison que pour certaines choses il aille à l’école. En tout cas on n’en a jamais ressenti le besoin. C’est ça. Au début on disait ça aux gens : on ne trouve pas de bonne raison de l’envoyer à l’école. On n’a toujours pas trouvé en fait. »

Extrait d’une interview (30’) disponible sur le lien
http://www.non-sco-videos.org/node/13


Mise enjeux

Dans les questionnements classiques à propos de confiance, de lâcher-prise, de peur, d’autorité, de savoir ce qui est bon pour soi et/ou pour l’autre, que nous vivons en tant que parents par rapport aux enfants dont nous partageons la vie, nous nous rendons compte à quel point ce que nous avons vécu enfant, nos modèles, imprègnent nos réactions spontanées, nos évolutions, nos facilités ou nos difficultés.
Je pense que le rapport à la loi procède de mécanismes similaires, mais à un niveau différent. Là pour le coup, nous ne sommes plus l’adulte qui, globalement, reçoit automatiquement une bonne dose de légitimité à faire comme il l’entend avec ses enfants : c’est la loi qui a dès le départ une bonne grosse dose de légitimité à dire ce qu’elle veut, à être respectée et obéie, voire dont le manque est puni.
(…)
Quand un parent réalise que la punition est inefficace, voire contre productive, et donc inutilement cruelle, comment l’articuler avec l’acceptation d’un système pénal ?
Quand un parent décide une bonne fois pour toute de ne pas (trop) définir à l’avance ce que doit savoir et comment doit s’épanouir un jeune individu, quand il perçoit, et reçoit en cadeau, la beauté d’une maturation accompagnée et non coachée, prémachée, standardisée... comment vivre avec le jugement de désobéissance ou d’échec qui lui pend au nez ?
Car de lui-parent, on a une idée bien définie de son job et de comment il doit le mener à bien, de comment et vers quel but il doit apprendre à devenir parent...

...et encore...

Quelles relations entre l’affranchissement (ou la tentative et l’évolution vers l’affranchissement) d’un système de domination adulte au sein de sa famille et l’affranchissement de règles sociales improductives, inappropriées, injustes ? Critiquer la loi, qualifier certaines d’injustes ou d’inadéquates, décider de s’y soustraire, n’est-ce pas le rejet de l’autorité arbitraire, n’est-ce pas le même acte que celui de l’enfant qui un jour résiste à des injonctions injustes ou inadéquates ?
(Bul. led’a)

(Bul. Led’a) : extraits de textes parus dans le bulletin interne de
l’association Les enfants d’abord
www.lesenfantsdabord.org


« Pourquoi l’existence de la non-sco est importante… Pour éviter la formation de masse totale, absolue, pour que subsistent des électrons libres, ayant développé leur esprit critique, propre à chaque individu, différent de l’un à l’autre, afin que ces individus, ou du moins une partie d’entre eux, soient les Veilleurs de la société, d’une société par trop uniforme car tous ses “éléments“ sont formés, moulés dans un même système pouvant trop facilement basculer dans un certain totalitarisme. Et humainement, pour que mes enfants s’appartiennent, et parce que la liberté est un besoin fondamental. »


Nous sommes tous prisonniers du système scolaire, si bien qu’une croyance superstitieuse nous aveugle, nous persuade que le savoir n’a de valeur que s’il nous est imposé, puis nous l’imposerons à d’autres – production et reproduction du savoir.

Ivan Illich, Déscolariser la société


“On ne peut aller nul part si l’on ne sait pas où l’on va“ : telle est leur logique, leur croyance et leur limite de pensée. Et c’est cette limite, qui n’est finalement qu’un dogme, qui dénote une orientation idéologique, un choix politique, c’est cette limite qui est inscrite dans la loi et veut s’imposer à nous, contre notre volonté, certes, mais surtout contre la réalité de ce que nous vivons tous les jours.
Elle cherche à s’imposer mais ne nous convainc pas, parce qu’elle n’est qu’un masque grossier, qu’elle ne cache qu’une intention bien plus prosaïque que nous connaissons trop bien : “tu n’iras nul part que je ne l’ai décidé“. Elle cherche à s’imposer mais ne nous touche pas, parce que cette idée comme sa pratique n’ont déjà plus court sur nos lieux de vie quotidiens.

(Bul. led’a)


Légalité et réalité

La non-sco est un acte politique. Nous n’acceptons pas de reconnaître le pouvoir de l’institution qu’est l’école. Nous ne la combattons pas, nous la refusons. Et nous finirions même par l’ignorer… s’il n’y avait cette obligation de déclaration.
Qu’avons nous à déclarer ? Que nos enfants, comme nous-même sont libres de s’instruire comme bon leur semble et qu’aucune évaluation ne saurait rendre compte des connaissances de chacun, puisqu’étant singulières, aucun outil objectif et reproductible ne saurait nous en déposséder.
À déclaration obligatoire, instruction obligatoire. On nous demande par cette lettre annuelle de valider le fait que nous avons bien de l’autorité sur nos enfants. Les évaluations et les tests ne sont qu’un prétexte (un peu gros mais bon !) pour s’assurer de la soumission de chacun au pouvoir, qu’il soit parental ou institutionnel ; peu importe finalement les résultats (il faut bien des cancres aussi à l’ief [1]). (...)
J’ai souvent entendu défendre l’idée que la déclaration était un moyen d’assumer nos choix et de les revendiquer afin d’asseoir notre légitimité. Je n’ai personnellement pas le sentiment d’avoir fait un choix mais celui d’avoir pris le seul chemin qui existait pour trouver la sortie. Je n’ai pas choisi l’ief, il se trouve que c’était la seule case qui m’était offerte si je souhaitais rester dans un cadre légal.
Si l’ief était réellement un droit, je n’aurais pas à le déclarer mais juste à en user sans contrepartie aucune. C’est donc bien d’une autorisation, à peine tolérée, dont il s’agit, et qui implique les comptes que nous avons à rendre. Tout cela est implicite bien sûr mais nous sommes en liberté conditionnelle, sous surveillance.
(Bul. led’a)


L’instruction libre implique que je suis mon propre maître d’œuvre, que cette évolution devient la mienne propre, que mon parcours est personnel, que je suis libre des moyens, des méthodes, du rythme, des fins, des aides auxquelles je me réfère, des points d’appuis que je me choisis.
Je m’instruis : je me construis (… si je veux).
Il n’existe aucune raison a priori d’apprendre ou de s’instruire, ou de ne pas le faire, et ce quel que soit l’âge. Mais, que ce soit à grande échelle ou pour des enjeux plus personnels, certains ont tout intérêt à orienter, si ce n’est à forcer nos choix et notre parcours, afin d’adapter les individus que nous sommes à des fins qui ne nous concernent pas toujours (loin s’en faut). Ou du moins, qui ne nous auraient peut-être pas concerné.e.s, si seulement …
(Bul. led’a)


Les contrôles nous stressaient huit mois par an : dès la rentrée on y pensait en rédigeant nos déclarations. Chaque année, je me disais : « tu vas inscrire tes enfants au contrôle ». Car si la loi nous oblige à déclarer l’ief de nos enfants, elle précise aussi que toute déclaration entraîne alors les contrôles. Ensuite, après l’envoi des déclarations, je savais avoir au moins deux mois sans contrôle, mais si ce dernier arrivait dès le début du troisième mois, il fallait bien avoir quelque chose à montrer ! Donc j’y pensais tout de même et cela continuait jusqu’au contrôle. (…) Et chaque fois, après chaque contrôle, ce goût amer de s’être une fois de plus faite avoir, de s’être une fois de plus faite manipuler et d’avoir abandonné un peu plus de nos rêves, idéaux, et donc liberté. Sans compter une petite phrase que l’on m’avait glissé un jour alors que je parlais de ma peur du contrôle : « Ta peur, c’est du pouvoir que tu leur donnes ».
Cela devenait vraiment nauséabond.
Donc notre signalement a été le signal justement : on étaient allé jusqu’au bout des tentatives de négociation, maintenant on allait vivre.
(Bul. led’a)


Que la fréquentation d’une école soit obligatoire ou pas, nous vivons dans des pays sous régime scolaire ; l’École se veut obligatoire. « Devoirs, surveillance, contrôles, intégration, évaluations, progression » : ces mots qui ne nous parlent pas, comment pourrions-nous en rendre compte ? Quoi que nous fassions, la loi fait de nous des illégaux. Nous sommes de tous ceux qui veulent sont abolition.

Extrait de Hors-cases (Bul. led’a)


Qu’en est-il du boiteux qui hait les danseurs ?
Qu’en est-il du bœuf qui aime son joug et pour qui le cerf et l’élan de la forêt ne sont que des bêtes perdues et vagabondes ?
Qu’en est-il du vieux serpent qui ne peut rejeter sa peau et qui dit de tous les autres qu’ils sont nus et éhontés ?
(…)
Que dirais-je de tous ceux-là, sinon qu’ils bénéficient aussi de la clarté du soleil, bien qu’ils lui tournent le dos ?
Ils ne voient que leurs ombres, et ils ont fait de celles-ci leurs lois.
Et qu’est le soleil pour eux, sinon ce qui projette des ombres ?
N’élaborent-ils leurs lois qu’en se penchant pour dessiner leurs ombres dans le sol ?

Vous qui marchez face au soleil, vous laisserez-vous enchaîner par les images de la terre ?
Vous qui voyagez avec le vent, laisserez-vous une girouette déterminer votre course ?

Khalil Gibran, Le prophète


Un maillon parmi d’autres

Les enfants vont à l’école parce qu’on les y oblige. C’est la première chose à regarder en face.

Catherine Baker, Insoumission à l’école obligatoire

L’enfance est une institution, non un fait. (…) Les sociétés modernes ont légalisé une discrimination fondée sur une différence de force musculaire. « Mineur » signifie : moindre. Plus petit. Inférieur. Lesdits « enfants » sont un ensemble d’humains plus faibles au combat au corps à corps, constitués par les plus forts en catégorie, et soumis à un statut et à un traitement spéciaux.
Le statut est la privation de l’autonomie.
Le traitement, appliqué par l’autorité adulte, à laquelle les mineurs ne peuvent se soustraire, consiste à éliminer du potentiel inné les éléments indésirables, incontrôlables, ou simplement superflus, pour ne conserver et développer que ceux utiles à l’exploitation.
C’est proprement une mutilation. Une mutilation corporelle, pas seulement un conditionnement mental. Les mutilations corporelles tombent sous le coup des lois dans nos sociétés mais pas celle-là, qui n’est pas avouée comme telle. Elle est dite formation, éducation.
(...)
L’oppression des enfants est première, et fondamentale. Elle est le moule de toutes les autres.*

*Et il n’y a ni hiérarchie, ni priorité dans les oppressions. On peut en subir plusieurs à la fois. Les luttes convergent vers le même ennemi. Les groupes opprimés sont objectivement alliés. Il ne leur manque que de s’en rendre compte.

Christiane Rochefort, Les enfants d’abord


Nous avons besoin les uns des autres. Il ne s’agit pas ici, malgré certaines impressions, de la défense des enfants seulement. Nous sommes peut-être d’anciens enfants, mais nous ne serons véritablement libres d’inventer chacun notre propre histoire, libre d’en offrir la possibilité à ceux qui nous entourent, qu’en faisant céder ensemble la menace légale et normative qui prétend brider notre créativité.
(Bul. led’a)

[1Ief : « Instruction en famille ». En France, statut légal de tous les individus soumis à l’instruction obligatoire (de 6 à 16 ans) en dehors d’un établissement scolaire. La loi impose une déclaration annuelle de l’identité et de la domiciliation, et un contrôle effectué par l’éducation nationale (au moins annuel) et par les services sociaux (tous les deux ans). Un « socle commun », programme étatique obligatoire, recense les aptitudes requises par tous à 16 ans, quelque soit le mode d’instruction déclaré. L’école est obligatoire en Allemagne et depuis peu en Suède. De nombreuses familles ont dû passer la frontière pour ne pas risquer d’être séparés.


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